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Category: Europe
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Manifestations contre les fabricants d’armes liés à la machine de guerre israélienne
Alors que le massacre à Gaza a repris le 1er décembre après une brève “pause”, l’État israélien a considérablement intensifié son invasion brutale dans le sud de la bande de Gaza. Le nombre de morts est estimé à plus de 16.000, un record qui fait froid dans le dos.
Par Tom Costello et Matt Hirst
Les manifestations se poursuivent dans le monde entier. Une nouvelle campagne a été lancée, Workers for a Free Palestine (WFP), qui vise à développer l’action syndicale pour perturber la machine de guerre israélienne. Après les appels à la fermeture des usines d’armement au Royaume-Uni, plus de 1.000 personnes ont organisé des blocages le 7 décembre, avec la participation et le soutien total de Socialist Alternative (section d’Alternative Socialiste Internationale en Angleterre, Pays de Galles et Ecosse). Ce jour-là, les sites de BAE Systems dans le Lancashire et à Glasgow, d’Eaton Mission Systems à Bournemouth et de L3Harris à Brighton ont été fermés par des manifestations imposantes et déterminées. Dans d’autres villes, des manifestations locales ont été organisées pour perturber les fabricants d’armes.
Le lancement de WFP représente une avancée majeure pour le mouvement de solidarité avec la Palestine. Ce que le Premier ministre britannique Sunak, le chef du parti travailliste Starmer et l’establishment belliciste craignent encore plus que les manifestations de masse dans les rues, c’est l’action de masse de la classe ouvrière sur les lieux de travail.
Si les travailleurs des chemins de fer, des docks et finalement des usines d’armement s’organisent et sont prêts à faire grève pour stopper la fabrication et le transport d’armes, cela aura un impact majeur sur la capacité de l’impérialisme à faire pleuvoir la destruction sur le peuple palestinien.
Les syndicats doivent maintenant agir
Bon nombre des actions syndicales les plus puissantes ont été inspirées par l’appel lancé par les syndicats palestiniens en octobre pour “mettre fin à toute complicité, cesser d’armer Israël”. WFP a aujourd’hui la possibilité de faire pression sur les syndicats britanniques pour qu’ils suivent cet exemple et répondent pleinement à cet appel.
Les syndicats Unite et GMB, qui représentent de nombreux travailleurs employés dans la production d’armes, doivent en particulier adopter une position forte et claire d’opposition à l’industrie de l’armement. Les motions de solidarité avec WFP, qui s’engagent à ne pas manipuler d’armes israéliennes, doivent ensuite être transformées en actions, à la suite des travailleurs de l’industrie et des transports d’Italie, d’Espagne, d’Afrique du Sud, de Belgique et d’ailleurs, pour refuser de fabriquer ou de manutentionner les armes pour Israël.
Les travailleurs de ces secteurs, s’ils sont dirigés par les dirigeants syndicaux dignes de ce nom – ou plus vraisemblablement par des militants de la base puisque les dirigeants syndicaux continuent de refuser d’agir – pourraient être certains des alliés les plus essentiels du mouvement international de lutte contre le massacre à Gaza. Les travailleurs britanniques ont bien plus en commun avec les millions de Palestiniens qu’avec les patrons, qui réalisent des profits obscènes en temps de guerre, profitant directement de la mort de milliers de personnes.
Commencer à soutenir WPF et faire en sorte que ses revendications soient prises en compte par le mouvement ouvrier au sens large pourrait également signifier l’organisation régulière de stands de campagne et des séances de distribution de tracts devant tous les lieux de travail liés à la machine de guerre israélienne.
Protéger les emplois, stopper la machine de guerre
L’action sélective des travailleurs pour empêcher la poursuite de l’armement de l’État israélien est la prochaine étape immédiate du mouvement. La classe ouvrière a le pouvoir d’arrêter la machine de guerre en refusant d’effectuer le travail qui la fait fonctionner. Une telle action montre également comment la classe ouvrière peut construire un avenir meilleur, où nos emplois ne dépendent pas d’une industrie conçue pour le massacre de masse des travailleurs dans d’autres pays.
L’argument de certains dirigeants syndicaux est que si des entreprises comme Elbit et BAE cessent de produire des armes, les travailleurs perdront leur emploi. Des syndicats comme le GMB ont même lancé un appel honteux au gouvernement pour qu’il augmente les dépenses d’armement sur cette base !
Parallèlement, de nombreux travailleurs des communautés voisines de ces usines s’inquiètent sincèrement des conséquences de l’arrêt de la production sur l’emploi local. Beaucoup de ces sites constituent la seule source d’emploi local réel pour de nombreuses personnes. Mais il ne s’agit pas d’un simple choix binaire entre les entreprises d’armement et le chômage des travailleurs. Il existe une alternative, mais seulement si notre mouvement se bat pour elle !
Si, par exemple, les syndicats exigeaient la nationalisation de BAE Systems et d’Elbit, sous le contrôle démocratique des travailleurs, sans compensation pour les millionnaires, cela jetterait les bases d’un plan visant à répondre aux besoins des populations et de la planète. Grâce à un programme de reconversion garantissant des emplois bien rémunérés et protégés par les syndicats, les compétences et la technologie pourraient être utilisées à des fins réellement utiles.
Ce type de transformation massive a été proposé chez Lucas Aerospace dans les années 1970. L’entreprise a été confrontée à des licenciements et à des réductions d’effectifs et le personnel a créé le plan Lucas, qui consistait à créer des produits hautement innovants, économes en énergie et faisant appel à des technologies vertes. Ce type de plan est absolument nécessaire compte tenu de la crise climatique que nous vivons et peut contribuer à mettre fin au massacre de vies palestiniennes et autres, tuées chaque jour dans le monde entier par les roquettes et les bombes des puissances impérialistes dans leur quête de profit au détriment de la classe ouvrière.
L’héritage de l’action des travailleurs contre la guerre
Bien qu’elle soit souvent occultée, la classe ouvrière britannique a une riche histoire de solidarité internationale face à la guerre. Les ingénieurs d’East Kilbride, qui ont refusé de réparer les pièces de l’armée de l’air chilienne de 1974 à 1978, après avoir vu les horreurs de la dictature de Pinochet, en sont un exemple frappant. Ce boycott particulier a été immortalisé dans le documentaire Nae Pasaran (2018) et doit être regardé par tous ceux qui veulent voir comment les travailleurs du monde entier peuvent jouer leur rôle pour mettre fin à la guerre et à la dévastation.
Seule une action internationale de masse permettra de mettre fin à l’assaut brutal contre Gaza. Au sein d’Alternative Socialiste Internationale, nous nous organisons au niveau mondial – y compris en Israël et en Palestine – pour un avenir socialiste de paix et de libération, pour le peuple palestinien et tous les travailleurs et opprimés du monde. Rejoignez-nous !
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France. La classe dirigeante accentue sa croisade islamophobe pour diviser et régner : une réponse combattive de la classe travailleuse est nécessaire!
Le régime israélien mène une guerre de vengeance brutale contre la population de Gaza. Une invasion qui, après une trêve de sept jours, est repartie de plus belle le 1er décembre. Le 9 décembre, l’armée israélienne avait déjà tué plus de 17.700 personnes, dont un enfant toutes les 10 minutes, et des milliers de personnes sont encore sous les décombres.
Par Philipp
Cette violence trouve son origine dans l’oppression profonde du peuple palestinien par le régime israélien, qui dure depuis des décennies. Suite à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, Macron s’est positionné et a positionné la France dès le début dans une alliance complète avec les États-Unis, l’Allemagne et d’autres puissances impérialistes occidentales, soutenant inconditionnellement Israël.
Concernant la politique intérieure, cela signifiait que la classe dirigeante a tout mis en oeuvre dès le début pour interdire toutes les manifestations de solidarité avec la Palestine et que la répression contre les personnes musulmanes et/ou originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient passait à la vitesse supérieure.
Une correction tactique dans l’intérêt de l’impérialisme français
La pression du mouvement contre le massacre en cours et la nécessité de préserver les intérêts de l’impérialisme français en Afrique du Nord et au Moyen Orient ont contraint le gouvernement à adapter légèrement ses positions au fil du temps. Le premier jour de son voyage au Moyen-Orient, Macron a demandé que “la coalition internationale contre Daesh [“État islamique”] à laquelle nous [la France] participons lutte également contre le Hamas”. Un jour plus tard, il a dû faire une volte-face rhétorique en appelant à “la lutte contre le terrorisme en général, à l’aide humanitaire et à la reprise des discussions politiques, en vue de relancer la solution des deux Etats”.
Ce changement de cap est une réponse à la réaction des États d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient face à la proposition de coalition anti-Daesh de Macron et à son soutien inconditionnel à Israël. Le personnel diplomatique français du département Afrique du Nord et Moyen-Orient n’a franchement pas été “amusé” par la position initiale de Macron, qu’il a qualifiée de “rupture avec notre position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens”. Après des semaines de violence déchaînée contre Gaza, Macron a ressenti la pression d’organiser une conférence humanitaire symbolique sur Gaza le 9 novembre sans la participation d’Israël ; et c’est seulement la semaine suivante qu’il a appelé pour la première fois à un cessez-le-feu.
Ni le personnel diplomatique en désaccord avec Macron, ni le président lui-même n’ont agi pour des raisons charitables. Leur appel au cessez-le-feu est purement tactique, car ils craignent pour l’influence, les atouts et la sécurité de l’impérialisme français dans la région, en particulier après l’humiliante éviction des troupes françaises du Burkina Faso, du Mali et, plus récemment, du Niger.
S’il est faux de prétendre que l’Etat français a traditionnellement eu une position “équilibrée” sur le sujet, force est de constater que contrairement à ses prédécesseurs, Macron vient d’adopter une approche plus unilatéralement favorable au régime israélien, dans la foulée du positionnement des États-Unis. Mais les préoccupations des ambassadeurs français dans la région ont tout de même plus à voir avec la défense des intérêts impérialistes qu’avec la défense de la population palestinienne en détresse : leurs craintes sont le reflet des masses en colère dans la région, et lié à cela le risque pour la classe capitaliste française de perdre en influence sur place.
La ligne principale en France reste essentiellement celle d’un soutien fort au régime israélien, tandis que les critiques à son encontre et le soutien aux Palestiniens sont rapidement dépeints comme de l’antisémitisme et une apologie du terrorisme, qui est lié à des attaques racistes et à une répression sévère.
Racisme et répression pour empêcher la résistance contre la misère, l’oppression et le massacre de Gaza
Le 20 octobre, deux syndicalistes – le secrétaire général et le secrétaire administratif de l’Union départementale CGT Nord – ont été arrêtés pour “apologie du terrorisme” en raison d’un tract de soutien aux Palestiniens. Samira [nom fictif], une mère franco-palestinienne vivant à Paris, a déclaré que son “fils a été battu et accusé de faire l’apologie du terrorisme à l’école pour avoir parlé du nombre de morts palestiniens et du blocus israélien de Gaza”.
L’interdiction générale de toute manifestation pro-palestinienne n’a été levée que le 18 octobre par le Conseil d’État, alors que près de 3 500 personnes avaient déjà été tuées à Gaza par le terrorisme d’État israélien. Cette décision ne signifiait pas pour autant la fin de la répression. Le 28 octobre, 1 487 personnes ont été verbalisées et 21 arrêtées lors d’une manifestation pro-palestinienne à Paris. Par ailleurs, le 7 novembre, la présidence de l’université du Mirail a tenté d’empêcher la création d’un comité de solidarité avec la Palestine par le biais d’une loi vigipirate.
Pendant ce temps, l’establishment politique et les principaux médias ont attaqué sans relâche La France Insoumise, Mélenchon ainsi que la gauche radicale dans son ensemble, les accusant d’antisémitisme et de complicité avec le terrorisme du Hamas. Le niveau d’acrobatie mentale auquel certains ont recours pour insinuer que la solidarité avec les habitants de Gaza et les Palestiniens est généralement suspecte de soutenir le terrorisme, a été bien illustré par le tweet de Caroline Yadan (députée de Renaissance, le parti de Macron). Le 9 novembre, elle a publié sur Twitter une photo d’un graffiti sur lequel on pouvait lire “Fuck antisemitism – Free Palestine – Fuck Apartheid” et a affirmé que le message était…. en fait antisémite. Les tropes racistes tels que l’”antisémitisme importé” et l’”islamo-gauchisme” sont également dans ce contexte aussi très populaires dans les rangs de la droite et l’extrême droite et dans la bouche de la plupart des journalistes des médias dominants.
Tout cela est utilisé par la classe dirigeante pour dépeindre le RN comme “l’opposition raisonnable” et LFI comme radicale, dangereuse et proche du terrorisme, ce qu’elle a fait à de multiples reprises, et notamment lors du mouvement contre la réforme des pensions.
Cette approche fait partie de la tactique “diviser pour régner” de la classe dirigeante. Dans le contexte de l’augmentation de la pauvreté et de la précarité, ils attisent le racisme pour détourner l’attention et empêcher la formation d’une résistance générale unie, contre la misère, l’oppression et le massacre de Gaza. C’est d’autant plus important pour les patrons et leurs représentants politiques que la classe ouvrière, bien qu’elle n’ait pas remporté de victoire concrète, a été considérablement renforcée par sa lutte contre la réforme des retraites.
L’interdiction raciste et sexiste de l’abaya s’inscrit dans la même logique. Elle a servi à étouffer dans l’œuf la discussion sur les investissements dans le secteur de l’éducation publique qui sont une nécessité criante (les bâtiments ont besoin d’être rénovés, il n’y a pas assez d’enseignants et de personnel, ce qui crée inévitablement de mauvaises conditions de travail et d’apprentissage), à détourner l’attention et à semer la division. C’est avec la même intention que le gouvernement et les forces de droite ont cyniquement exploité l’attentat terroriste dévastateur contre Dominique Bernard. Darmanin a appelé à “l’expulsion systématique de tout étranger considéré comme dangereux par les services de renseignement”. En un mois, les expulsions d’étrangers condamnés ont augmenté de 30%.
De plus, en suivant allègrement les propositions de LR, le gouvernement a encore durci la loi sur l’immigration, déjà fondamentalement raciste. Si cette loi, adoptée par le Sénat le 14 novembre, devait entrer en vigueur, elle constituerait probablement l’attaque raciste la plus grave en termes d’impact depuis des années. Elle prévoit la suppression de l’aide médicale d’État aux personnes sans papiers, le durcissement des conditions du regroupement familial, le rétablissement du délit de séjour illégal et la facilitation de l’expulsion des personnes sans papiers.
Alors que le racisme, en particulier à l’encontre des musulmans et des personnes originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, atteint une nouvelle fois des sommets dégoûtants, le gouvernement et la classe dirigeante traitent la violence raciste et l’extrême droite avec des gants. Le policier qui a tué Nahel, 17 ans, le 27 juin à Nanterre, par exemple, a récemment été remis en liberté sous contrôle judiciaire ; selon Le Monde, “on ne sait pas si et quand l’affaire sera jugée”. La mère de Nahel a manifesté contre cette injustice le 19 novembre. En attendant, le policier, qui a assassiné Nahel, et sa famille vont pouvoir profiter de l’argent de cagnotte qui avait été lancée par des éléments d’extrême droite (1,6 millions d’euros ; 630.000 après déductions de frais et impôts).
L’arme du racisme attisée par la macronie entraîne une normalisation de l’extrême droite
La classe dirigeante française resserre les rangs de la droite à l’extrême droite contre les personnes musulmanes, les personnes originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et la gauche, afin de semer la division et de préparer les attaques économiques à venir contre la classe ouvrière et les opprimé.e.s dans leur ensemble. Ils ont hypocritement détourné le souhait sincère des gens de s’opposer à l’antisémitisme pour organiser des marches réactionnaires pro-israéliennes dans lesquelles ils ont défilé aux côtés des formations d’extrême droite de Le Pen et Zemmour.
L’antisémitisme doit être combattu sous toutes ses formes. Il y a clairement une augmentation des actes antisémites en France. Cependant, l’antisémitisme et toutes les formes d’oppression ne peuvent être combattus que contre l’extrême droite et la classe dirigeante, et non avec eux. Le 9 octobre déjà, des membres du Rassemblement national, parti d’extrême droite, ont pu participer à une marche à Paris en faveur d’Israël, à l’appel du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), connu pour ses positions pro-régime israélien, sans être expulsés. L’extrême droite a utilisé son soutien au régime israélien et à sa terreur d’État pour dissimuler son antisémitisme et promouvoir l’islamophobie et le racisme.
Que ce soit avec ou sans la faible excuse d’un “cordon républicain”, la marche du 12 novembre à Paris marque un nouveau tournant dans la normalisation de l’extrême droite et de ses politiques racistes, antisémites, sexistes et totalement anti-ouvrières. Il est clair que cela enhardi les groupes d’extrême droite et les incite à plus de violence. Après le meurtre de Thomas à Crépol, 80 militants d’extrême-droite armés de barres de fer ont défilé le 25 novembre à Romans-sur-Isère près du quartier populaire de la Monnaie en scandant « La rue, la France, nous appartient ». Dans la soirée du 11 novembre, une 40 à 60 personnes du groupe “Guignol Squad” a attaqué une conférence sur le thème de la Palestine à Lyon avec des barres de fer et des mortiers, blessant 3 personnes. Lors de la marche contre l’antisémitisme à Paris, un manifestant qui dénonçait l’extrême droite – “Marine Le Pen, dégage ! Vous êtes une bande de fachos”. – a été violemment agressé par “une vingtaine” de militants de la Ligue de défense juive (LDJ), une organisation d’extrême droite, qui ont également frappé une personne scandant “Free Palestine” le long du parcours de la marche et criant “Mélenchon, salaud, les juifs auront ta peau”. Les manifestants portant des pancartes qui, en plus de s’opposer à l’antisémitisme, osaient dénoncer l’extrême droite et le racisme en général ont été insultés et chassés de la manifestation. Des pancartes sur lesquelles on pouvait lire “RN/Reconquête = antisémites” ont été confisquées par la police. En Allemagne, l’approche est la même : le 22 novembre, la police de Cologne a confisqué une banderole de la SAV (ISA en Allemagne) pour “incitation à la haine”. La banderole se lit comme suit : “Gaza : Arrêtez le massacre. Pour l’unité de la classe ouvrière contre l’occupation, la pauvreté et le capitalisme”.
Comment lutter contre l’oppression, l’exploitation et l’extrême droite ?
La FI a eu raison de refuser de manifester aux côtés de l’extrême droite et d’appeler sa propre action “contre l’antisémitisme, les racismes et l’extrême-droite”. Toutes les autres forces du NUPES ont cependant participé à la marche à Paris, ce qui reflète une accélération et une consolidation de la dynamique de désintégration du NUPES ; une union de la gauche parlementaire que les forces à la gauche de Macron et à la droite de la FI n’ont jamais eu l’intention de construire, et n’y avaient été contraints qu’à cause du rapport de forces favorable à la FI.
Plus important encore, cela montre pourquoi la lutte contre l’antisémitisme, le racisme et l’extrême droite ne peut être menée avec succès avec la classe dirigeante, mais seulement contre elle. Nous avons besoin d’un large front uni des travailleurs, des jeunes et des opprimés, des syndicats, des partis de gauche ainsi que des organisations féministes, queer, antiracistes et climatiques pour lutter collectivement contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation.
La déclaration du syndicat de l’éducation “CGT Educ’Action” après l’attaque terroriste d’Arras est un exemple très positif dans ce contexte. Ils ont déclaré qu’ils refusaient “que cette tragédie soit récupérée à des fins politiques et utilisée pour stigmatiser une partie de la population ou pour imposer une politique réactionnaire, autoritaire et sécuritaire en matière d’éducation”. Il est extrêmement important que des syndicats comme la CGT et SUD Solidaires aient soutenu le mouvement de solidarité avec la population de Gaza et que des comités soient mis en place dans les universités françaises. Dans de nombreux autres pays, les travailleurs et les jeunes ont également mené des actions contre le massacre de Gaza et l’envoi d’armes à Israël. Par exemple, en Belgique, les syndicats du secteur transports ont appelé à ne plus charger ou décharger du matériel militaire à destination d’Israël dans les différents aéroports du pays. Les dockers de Catalogne et de Gênes (Italie) ont fait de même. Ils répondent ainsi à l’important appel international des syndicats palestiniens pour refuser de fabriquer ou transporter des armes destinées à Israël. Et le jeudi 30 novembre, les docker.e.s et les travailleur.se.s portuaires en France et dans plusieurs autres pays européens se sont arrêtés de travailler pendant une heure en réponse à un appel du Conseil européen des dockers (European Dockworkers Council, EDC) pour des actions dans tous les ports de l’EDC pour la paix et contre l’oppression et l’inégalité. Ces actions du mouvement ouvrier organisé contre le massacre à Gaza étaient urgentes et nécessaires et doivent être généralisées et intensifiées, aussi dans d’autres secteurs, en France et partout dans le monde !
Les comités démocratiques dans les écoles, les universités, les lieux de travail et les quartiers seront essentiels pour attirer davantage de couches ainsi que pour discuter du programme, de la stratégie et des actions. Sur cette base, nous pouvons également développer la lutte contre nos propres gouvernements pour qu’ils cessent de financer la guerre et mettent fin à tout soutien militaire et financier au régime israélien, ainsi que pour qu’ils mettent fin à la militarisation. Les milliards de dollars doivent être investis dans les services publics. Nous avons besoin de syndicats de lutte combatifs qui luttent chaque jour contre toutes les formes d’oppression et qui renforcent et construisent activement les liens mutuels avec les luttes pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. C’est une nécessité cruciale pour construire un puissant mouvement de résistance contre le massacre de Gaza, l’oppression et l’exploitation, dont le potentiel a été démontré par les millions de personnes qui ont lutté contre la réforme des retraites, la volonté de la jeunesse particulièrement d’origine immigrée de lutter contre le racisme systémique et les violences policières et maintenant les travailleurs et les jeunes qui se tiennent en solidarité avec le peuple de Palestine.
Qu’il s’agisse du massacre horrible à Gaza, de l’oppression des femmes et des personnes LGBTQIA+ ou de la lutte contre la crise climatique, l’inégalité et l’exploitation : Nous devons construire un mouvement de masse uni des travailleur.se.s, des jeunes et des personnes opprimées qui relie la lutte pour les améliorations les plus urgentes et les plus concrètes aujourd’hui à la lutte contre le système capitaliste violent et oppressif dans son ensemble.
Avec la solidarité et l’action collective basées sur la discussion démocratique et un programme clair, nous pouvons changer le monde.
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Victoire de l’extrême droite au Pays-Bas, signe avant-coureur pour les élections de 2024?
Le PVV de Geert Wilders vient de largement remporter les élections parlementaires aux Pays-Bas le 22 novembre. Le BoerBurgerBeweging (BBB) qui avait remporté les élections provinciales en mars dernier semble être déjà de l’ordre du passé. Le nouveau parti d’Omtzigt, en tête des sondages jusqu’à un mois avant les élections, est maintenant en quatrième place.
Par Geert Cool
La situation politique est faite d’instabilité profonde, avec des changements brusques, sans qu’aucun parti traditionnel ne résiste. Dans le nouveau parlement, sept des huit élus les plus anciens seront des membres du PVV. Les scores élevés de l’extrême droite constituent en fait le seul élément de continuité. Le même scénario menace la Flandre en 2024 et, par extension, les élections européennes en France, en Italie, en Allemagne, en Suède, en Finlande et ailleurs.
Wilders a commenté sa victoire en ces termes : “Les électeurs ont parlé et ils en ont assez !” Il a ajouté que les gens voulaient plus d’argent, plus de sécurité et plus de soins de santé. La dégradation des conditions de vie – avec une baisse des salaires réels de 8,3 % en 2022 – apporte de l’eau à son moulin. Puisque le mouvement ouvrier ne tape pas du poing sur la table pour aller chercher l’argent là où il est, l’extrême droite marque des points avec l’idée de récupérer les moyens alloués aux demandeurs d’asile et aux migrants. L’idée semble plus concrète qu’une lutte contre les capitalistes qui ont ammassé des profits records.
Le VVD de Yesilgöz et le nouveau venu NSC (Nieuw Sociaal Contract) d’Omtzigt ont suivi le discours anti-migration et ont banalisé les idées de Wilders. Une participation de l’extrême droite au gouvernement est possible. En 2010, il y a déjà eu un gouvernement éphémère composé du VVD et du CDA avec le soutien tacite du PVV. À l’heure où nous mettons sous presse, aucun gouvernement n’est encore formé. Si Wilders en fait partie, cela ouvrira davantage la porte en Belgique à des coalitions au moins locales avec le Vlaams Belang après les élections communales d’octobre 2024.
La méfiance a atteint un niveau fiévreux dans la société. Certaines personnes en sont presque asphyxiées, mais elles ne vont pas plus loin que l’action symbolique. Cela a un effet paralysant. En l’absence d’une conscience de classe et de puissantes organisations de classe (syndicats, partis politiques), il n’y a guère de contrepoids dans la société. Même les membres de la classe ouvrière sont sensibles à ce genre de sautes d’humeur.
Cependant, la classe ouvrière dans toute sa diversité, avec les jeunes, les femmes et les personnes LGBTQI+ en tête, ne peut compter que sur elle-même pour mettre ses revendications et ses préoccupations sur la table et les défendre. Elle peut jouer un rôle actif et s’imposer dans le débat public par la lutte collective. Si les travailleurs et travailleuses ne le font pas eux-mêmes, d’autres le feront en leur nom, avec toutes les conséquences que cela implique. L’extrême droite y est déjà parvenue.
Le néolibéralisme a transformé la société en cimetière social après 40 ans de domination. La jeunesse et les mouvements de lutte contre l’oppression doivent faire entendre leurs revendications spécifiques. Ces mouvements peuvent renforcer la voix de la gauche et construire le rapport de force nécessaire au sein de la société pour imposer leurs revendications.
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Climat. Devant nous le déluge ?
Depuis la parution de cet article le 26 septembre sur le site de nos camarades allemands de Sozialistische Alternative, la ville de Volos en Grèce a connu de nouvelles inondations. À part les terribles pertes humaines, surtout en Libye, l’impact énorme sur la production agricole grecque est un présage de ce qui nous attend. L’article fait aussi mention des inondations qui en juillet 2021 firent de nombreuses morts en Allemagne et en Belgique. Les priorités du gouvernement allemand décrites ci-dessous nous démontrent que les leçons n’ont pas été tirées. Cela démontre encore une fois de plus que le capitalisme est soit incapable soit indifférent aux menaces de la crise écologique, même dans les pays impérialistes les plus riches.
Par Conny Dahmen, Cologne
Un été comme un cauchemar sans fin ; à peine les premières pelles s’étaient-elles attaquées à la boue à Volos en Grèce, que dans l’espace de quelques heures un raz-de-marée emporta en mer Méditerranée des quartiers entiers de la ville libyenne de Derna. Le bilan est d’au moins 11.000 morts. Peu avant la même tempête avait inondée de vastes zones en Turquie, en Bulgarie et en Grèce.
Après que cet été plus de 1,7 million d’hectares de forêts et de villages ait brûlés en Grèce (d’après les données du système européen d’information sur les feux de forêts EFFIS), en septembre les pluies diluviennes de la tempête Daniel inondèrent 720.000 hectares tuant 16 personnes (selon les statistiques officielles). Des dizaines de milliers d’habitants à Volos et dans le Pélion se sont retrouvés privés d’électricité et d’eau potable pendant des jours. Ils se retrouvent aujourd’hui devant les décombres de leurs existences. La pleine de Thessalie n’est plus qu’un lac de boue où, selon Efthymios Lekkas, professeur en gestion de catastrophes naturelles, l’agriculture ne pourra y être reprise qu’après cinq ans au plus tôt. La région fournissait auparavant plus de 25% de la production agricole et près de 11% des emplois du pays.
Depuis le début des relevés, jamais autant de pluie n’est tombée en Grèce. La station météorologique de la ville de Zagorá dans le Pélion a enregistré 734 litres de pluie par mètre carré en 20 heures. En guise de comparaison, lors des inondations de juillet 2021, dans la vallée de l’Ahr (région de l’Eifel en Allemagne) il était tombé jusqu’à 200 litres par mètre carré en deux à trois jours.
L’accumulation rapide de conditions météorologiques extrêmes est un symptôme bien connu de l’avancé du changement climatique. Les ouragans méditerranéens (Medicanes) comme la tempête Daniel se forment plus rapidement et deviennent plus forts lorsque la température de l’eau est trop élevée. Même sans plus émettre de gaz à effet de serre, de tels événements climatiques extrêmes continueraient à se produire. Nous devons y faire face.
Effondrement climatique et défaillance de l’État
La situation des États des régions concernées rendent cependant une telle adaptation difficile, voire impossible. Ainsi, en Libye, les avertissements des météorologues furent initialement soit ignorés par les autorités, soit diffusés trop tard. Après le désastre, l’aide du gouvernement arriva trop tard et s’avéra insuffisante. Selon un rapport de la Banque mondiale d’avril de cette année, le PIB libyen a chuté de plus de 50 % depuis le début de la guerre civile en 2011. En conséquence, les infrastructures (tels les deux barrages qui se sont effondrés à Derna) et les systèmes d’alerte se sont détériorés. Les habitants des pays du Sud sont généralement touchés de manière beaucoup plus extrême par les conséquences du changement climatique. Ils les subissent au côté des conséquences des interventions néocoloniales des États impérialistes occidentaux et par le pillage opéré par les grandes entreprises.
En Grèce non plus il n’y eu aucune évacuation. L’approvisionnement immédiat en biens essentiels, voire en eau, n’était initialement possible que grâce aux actions de solidarité de la population locale. Même après neuf jours, il restait encore des gens à secourir de leurs toits.
Les véhicules de secours, les hélicoptères des pompiers ou de l’armée, les canots pneumatiques et les engins de chantier ne sont arrivés qu’après des heures interminables et la plupart des avions de sauvetage n’ont pas pu être utilisés. Ce n’est qu’au bout de quatre jours que le gouvernement a installé un centre de crise sur place.
La pleine de Thessalie est connue comme une zone potentiellement inondable, ayant déjà subi une inondation en 1994 et plus récemment en 2020. Néanmoins, malgré toutes les promesses des gouvernements concernant l’expansion des infrastructures de protection contre les inondations, rien ne s’est produit. Les ponts, les barrages et les routes sont réparées et reconstruits de la même piètre manière (sinon au mauvais endroit) comme auparavant.
Se protéger contre les catastrophes signifie lutter contre le capital
En Allemagne aussi, les infrastructures et la protection contre les catastrophes ont été et sont toujours négligées. Alors que d’énormes sommes d’argent sont injectées dans l’armée et l’armement, la coalition au pouvoir («Ampelregierung» – gouvernement «feu de circulation» qui réunit les sociaux-démocrates, les libéraux et les verts) pratique l’austérité de tous les côtés avec des coupes budgétaires de 23 % chez l’Office fédéral de protection civile et d’aide en cas de catastrophe, de 9 % chez le Fonds fédéral pour la protection de la nature, de 34 % pour l’aide humanitaire et la prévention des crises, de 10% chez l’Agence fédérale des secours techniques (THW).
Au lieu de réduire les dépenses, nous avons besoin d’investissements massifs dans la protection contre les catastrophes et encore davantage dans la protection du climat et de la nature. Afin d’atténuer directement les inondations, il est plus urgent que jamais de restaurer les rivières ainsi que les plaines inondables naturelles qui ont été nivelées. En Allemagne, 80 % des zones d’inondation naturelle des principaux fleuves ont déjà disparu. En raison de cela et des barrages, les rivières coulent beaucoup plus vite qu’auparavant, de sorte qu’un raz-de-marée dans le Rhin ne prend actuellement que 30 heures pour descendre de Bâle à Karlsruhe alors qu’en 1955 cela aurait encore pris 65 heures. Les forêts doivent être protégées et reboisées à grande échelle, notamment à proximité des cours d’eau.
Mais rien de tout cela n’arrivera tant que les entreprises privées utiliseront leurs représentants politiques dans les groupes de pression pour déterminer où l’argent de l’État est investi et comment l’énergie est produite.
Si l’on veut assurer que le réveil du cauchemar ne doit pas être un suicide, nous devons enfin priver de pouvoir ceux qui nous ont conduits au désastre. Les entreprises de l’énergie, de l’automobile et des matières premières, pour les profits desquelles des millions de personnes meurent de faim, sont brûlés ou se noient, doivent être transférées dans la propriété publique et organisées de manière démocratique. Ce n’est que si nous dépassons le capitalisme et organisons l’économie de manière démocratique que la production (y compris celle de l’énergie) pourra vraiment être transformée dans le sens de la durabilité.
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La crise politique s’approfondit aux Pays-Bas
Le quatrième gouvernement de Mark Rutte (VVD, Parti libéral) vient de chuter. Depuis la trahison du parti travailliste social-démocrate, la gauche politique est affaiblie et incapable de vaincre la droite. Les sociaux-démocrates ont ouvertement choisi des gouvernements néolibéraux depuis les années 1990, ce qui leur a coûté de nombreuses voix. En 2023, les partis établis « de gauche » ne représentent plus que 34 des 150 sièges de la Chambre basse.
Par Jorein Versteege (Socialistisch Alternatief, ASI-Pays-Bas)
Cinq partis de gauche sont présents à la Chambre basse. Le BIJ1 est considéré comme le plus à gauche. Parti né de la lutte contre le racisme et l’oppression, il se dit anticapitaliste, mais il a été marqué par une série de conflits internes exacerbés par l’absence de programme visant à construire l’unité dans la lutte contre toutes les formes d’oppression.
Le Parti pour les animaux se présente comme une variante radicale de la Gauche verte qui a intégré progressivement d’autres thématiques que celle du bien-être animal. En septembre dernier, il a connu une crise interne lorsque la direction du parti a voulu écarter la tête de liste. Les médias ont présenté les choses comme une bataille entre les fondateurs activistes de 2004 et une génération plus jeune plus modérée.
La Gauche verte et le Parti travailliste constituent une liste commune pour les élections de novembre. Les sondages laissent présager une progression en termes de voix, surtout par crainte d’une nouvelle victoire de la droite. Mais ils ne sont pas dignes de confiance. Ils peuvent s’allier avec n’importe qui pour constituer un gouvernement et sont eux-mêmes de fervents partisans des lois du marché.
Dans les sondages, le Parti socialiste (SP, un parti de gauche radicale) est en très mauvaise posture, avec seulement 3 à 4 % d’intentions de vote. Sa présidente Lilian Marijnissen semble conduire le parti à la défaite, une fois de plus. Le SP n’a pas gagné une seule élection depuis 2010. Cela fait des années qu’il refuse d’en tirer les leçons. Sa direction cherche désespérément à se rapprocher du monde politique traditionnel. Lilian Marijnissen a déclaré qu’elle serait heureuse de faire partie d’un gouvernement avec le VVD libéral ! Lorsque l’organisation de jeunesse du parti (Rood) a vivement critiqué cette déclaration, toute la structure a été dissoute.
La confusion politique produit régulièrement des météores populistes. L’extrême droite a réussi à marquer des points avec des figures comme Geert Wilders et Thierry Baudet. Ces formations s’avèrent toutefois très instables. Nous pouvons nous réjouir que l’extrême droite néerlandaise se prenne régulièrement les pieds dans le tapis. Le Forum pour la démocratie (FvD), en particulier, a perdu des députés en raison du comportement de Baudet, qui croit fermement aux théories du complot et soutient Donald Trump et Vladimir Poutine. Le FvD a perdu plusieurs membres au profit de partis dissidents tels que JA21 et BVNL.
Les nouveaux prétendants sont le Boer Burger Beweging (BBB, Mouvement agriculteur-citoyen) et le Nouveau contrat social (NSC). Le BBB a marqué des points sur base des protestations d’agriculteurs. Le Nouveau contrat social n’a pas encore de sièges, mais les sondages en font le futur plus grand parti. Il a été fondé par Pieter Omtzigt, ancien député du CDA (Appel chrétien-démocrate) considéré par beaucoup comme un homme politique intègre et différent. C’est en partie dû au rôle qu’il a joué dans la poursuite en justice des fonds de pension et, plus récemment, dans l’affaire des plus de 25.000 familles accusées à tort de fraude aux allocations familiales. Mais le Nouveau Contrat Social ne représente pas une rupture avec le système, il assurera précisément la continuité des mêmes politiques une fois au gouvernement.
Malgré un paysage politique très fragmenté et l’absence d’une voix de gauche forte, les revendications radicales bénéficient d’un soutien certain. Par exemple, nombreux sont celles et ceux qui souhaitent que le gouvernement cesse de subventionner les combustibles fossiles. Beaucoup espèrent également des investissements dans la collectivité, tels que des salaires corrects liés automatiquement à l’augmentation des prix et de meilleures conditions de travail. Même en l’absence d’un parti des travailleuses et travailleurs doté d’un programme socialiste, le mouvement ouvrier et les socialistes anticapitalistes peuvent intensifier la lutte en ce sens.
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France. L’interdiction de l’abaya, basse manœuvre de diversion
Macron et son gouvernement sont sortis victorieux, mais profondément affaiblis, de la bataille des retraites. Pour reprendre le contrôle de la situation, il leur fallait tenter d’amadouer de potentiels alliés à droite, injecter des éléments de division racistes dans la société et détourner l’attention des questions sociales. Le soldat Gabriel Attal, nouveau Ministre de l’Éducation nationale, a répondu « présent ! » avec l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires. Comme l’a résumé le député de la France Insoumise, Thomas Portes: « Les fournitures scolaires augmentent de 11%. Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap, NDLR) et les professeurs sont en sous-effectif. Des parents ne peuvent même plus payer la cantine. L’urgence pour Gabriel Attal c’est de faire la police du vêtement : une décision islamophobe.»
Par Stéphane et Myriam
Aux femmes de décider !
Macron a donné le ton de la rentrée politique: « il faut réduire significativement l’immigration » (en parlant du projet de « loi Immigration ») et « il faut reciviliser » (à propos des révoltes dans les banlieues fin juin). Interdire l’abaya, c’est une attaque de plus contre la communauté musulmane. Une attaque de plus aussi contre les femmes : vêtements trop courts, vêtements trop longs ; leur corps est en permanence instrumentalisé à des fins de divisions, à l’aide de l’islamophobie et du sexisme.
Qu’il s’agisse d’une mini-jupe, d’un t-shirt troué, d’un crop top, d’un pantalon, d’un voile ou de l’abaya : nous défendons le droit des femmes à librement choisir de porter ce qu’elles désirent. Cela implique une opposition résolue aux conservateurs qui veulent interdire un vêtement, mais aussi aux autres conservateurs qui veulent l’imposer.
Le port de l’abaya est présenté – à tort – comme une attaque contre la laïcité et la République. Interdire l’abaya ou même tout port de signe religieux, cela n’a rien à voir avec la lutte contre l’islam radical. La mesure est même plutôt de nature à en renforcer l’influence par effet boomerang. Si l’on veut s’en prendre à la force d’attraction de l’islam radical sur des jeunes aliénés de la société, il faut s’en prendre aux discriminations et à la pénurie de moyens, notamment dans le domaine de l’éducation. La question est totalement liée à la défense d’un enseignement de qualité accessible à toutes et tous, qui tienne compte des différents milieux et qui dispose du personnel qualifié en suffisance pour faire face aux discriminations au sein de l’établissement ainsi qu’à la pression des proches.
Le prétexte de défense des droits des femmes sert régulièrement d’alibi raciste dans les pays occidentaux avec un aspect très genré : les hommes étant considérés comme « oppresseurs » et « dangereux », les femmes comme « victimes à sauver ». Il existe bien entendu des rapports de domination sexistes, mais ils sont présents dans toute la société. Mais les viols et agressions de quelqu’un comme Patrick Poivre D’Arvor sont considérées comme un cas individuel, alors qu’un cas de violence exercé par un migrant ou une personne issue de l’immigration est directement relié à sa « culture ».
Pour rendre réellement possible de faire un choix en toute liberté, il est essentiel d’améliorer la position sociale de toutes les femmes dans la société et tout particulièrement de garantir leur indépendance financière. Cela signifie de se battre pour des allocations sociales qui dépassent le seuil de pauvreté, un salaire décent indépendamment du genre, de la religion ou de l’apparence, etc.
Le rôle crucial du mouvement des travailleurs et travailleuses
La révolte dans les quartiers socialement défavorisés à la suite du meurtre policier et raciste du jeune Nahel ainsi que le caractère partiellement émeutier qu’elle a prise ont souligné les faiblesses et les erreurs commises par les directions syndicales au cours des dernières décennies. Ce fut aussi le cas durant le récent mouvement contre la réforme des retraites. Tout porte à croire que le sommet des appareils syndicaux est incapable de considérer la classe travailleuse au-delà des couches traditionnellement organisées. De là l’échec à élargir la lutte au moment de la bataille des retraites et à réagir avec une approche de classe conséquente concernant l’abaya ainsi que la population musulmane et celles des banlieues.
La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet s’est d’ailleurs favorablement prononcée concernant l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires : « Si c’est considéré comme un signe religieux, évidemment qu’il faut l’interdire. » Macron n’espérait probablement pas trouver un tel soutien à sa volonté de diviser notre classe sociale ! Cette division se reflète aussi partiellement à l’Assemblée Nationale au sein de la NUPES, l’alliance de partis autour de la France Insoumise, regroupant des formations à gauche de Macron et à droite de la FI.
Les syndicalistes et les militant.e.s de la FI ont un rôle important à jouer dans l’émergence d’un mouvement de lutte unifié. Mélenchon avait d’ailleurs remporté des scores exceptionnels dans les quartiers populaires lors de l’élection présidentielle 2022. L’alliance de la NUPES qui a suivi a toutefois mis à mal une partie de ce soutien puisqu’il a intégré des responsables de politiques d’austérité locales. Le collectif « On s’en mêle », un réseau d’acteurs de terrain des quartiers populaires lancé en soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, avait ainsi rapidement exprimé sa colère et sa déception en dénonçant les logiques d’appareils de la NUPES qui s’étaient imposées à leur détriment.
Les points forts et l’atmosphère combative du mouvement historique sur les retraites peuvent servir de levier pour une lutte de masse en faveur d’une hausse généralisée des salaires et des allocations, pour bloquer les futures lois « immigration » et « travail » et toute la politique austéritaire et oppressive. Le mouvement des travailleurs et travailleuses a un rôle crucial à jouer en défendant par la lutte un programme qui ne laisse personne au bord du chemin. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut assurer que personne ne se trompe de colère et ne s’oriente vers l’extrême droite ou son frère jumeau, l’islam politique réactionnaire.
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Antifascisme et défense des droits LGBTQIA+ : entretien avec Ollie Bell (Trans & Intersex Pride Dublin)
L’école de juillet d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) est toujours l’occasion d’échanges d’expériences et d’analyses entre militant.e.s, et cette année n’a pas dérogé à la règle ! Nous en avons profité pour discuter avec Ollie Bell, membre de notre section irlandaise, le Socialist Party, et l’une des personnes à la base de la Trans & Intersex Pride organisée à Dublin depuis 2018.
« Nous avons connu de sérieuses avancées concernant les droits LGBTQIA+ en Irlande ces dernières années avec la victoire au référendum sur le mariage égalitaire en 2015 et la possibilité de quitter légalement le genre assigné à la naissance. Mais nous constatons toujours l’état lamentable des soins de santé en Irlande, tout particulièrement pour les personnes transgenres. Une seule clinique irlandaise s’occupe des personnes trans et la liste d’attente peut vous faire patienter 6 à 10 ans. Durant tout ce temps, il n’y a pas d’aide ni de nouvelles, on laisse les gens en plan.
« Après de longues années, on a enfin droit à un rendez-vous extrêmement pénible de trois à quatre heures avec une pause de 15 minutes. Il s’agit d’un véritable interrogatoire sous un feu nourri de questions invasives : quelles sont nos habitudes concernant le porno, de quelle manière nous rencontrons nos partenaires, la nature de nos relations, nos rapports avec la famille et nos parents, si ceux-ci sont divorcés… Inutile de dire que c’est traumatisant.
« Cet entretien s’effectue sous la suspicion permanente que l’on est peut-être pas une véritable personne trans, sur base de préjugés parfaitement scandaleux. On attend des personnes trans qu’elles se présentent en se conformant à l’extrême aux standards de genre en vigueur. Des femmes trans arrivent ainsi à la clinique en top et en jeans, mais vont se changer aux toilettes pour enfiler une robe et se maquiller. On doit correspondre aux standards de féminité ou de masculinité les plus stéréotypés afin d’être considéré comme une véritable personne trans. Et même après tout ça, l’accès à un traitement peut être refusé parce que vous êtes sur le spectre autistique ou sous un autre diagnostique, ou même simplement parce qu’on est bénéficiaire d’allocations sociales.
« Le système de soins de santé existe bel et bien en Irlande, mais il est tellement difficile d’accès pour la vaste majorité des personnes trans… Et je ne parle ici que des adultes. Il n’existe aucune prise en charge pour des jeunes et des adolescent.e.s.
« Quand nous manifestons, le premier changement que nous exigeons est l’abolition pure et simple du National gender service (service national de genre) pour le remplacer par une toute nouvelle institution reposant sur le consentement, un service public qui livre toutes les informations et l’aide nécessaires aux personnes trans afin qu’elles puissent librement prendre leurs décisions concernant leur autonomie corporelle et la façon dont s’effectue leur transition.
« Parallèlement, nous avons assisté ces derniers temps à la croissance de l’extrême droite, un phénomène très récent en Irlande mais qui suit la tendance européenne. Ces militants s’en prennent aux migrant.e.s, mais aussi aux personnes LGBTQIA+ et mènent des actions aux centres pour réfugiés et aux hôpitaux, ou encore déboulent en nombre dans des bibliothèques pour arracher certains livres des étagères en harcelant le personnel.
« Cela ne se passe pas sans riposte : cet été, les syndicats ont réuni 200 personnes devant le conseil municipal de Cork (deuxième plus grande ville d’Irlande, NDLR) pour réclamer une protection des bibliothécaires. Dans ce genre de mobilisation, on retrouve des travailleuses et travailleurs, des syndicalistes (essentiellement du syndicat Union) et la communauté LGBT mobilisée en solidarité.
« La Trans & intersex pride est explicitement organisée par des socialistes anticapitalistes. Nous défendons un programme qui souligne l’importance des travailleuses et travailleurs en tant que classe sociale ayant des intérêts communs. Elle seule constitue une force capable de dépasser les petits changements législatifs pour lutter contre les inégalités et l’oppression inhérentes au capitalisme et construire une société axée sur l’épanouissement de chacun.e.
« Nous avons grandi de manière significative dès la première édition en 2018, dans l’élan de la victoire obtenue concernant le droit à l’avortement, dont l’interdiction était jusque-là inscrite dans la Constitution irlandaise. De 3 à 5.000 personnes ont participé aux différentes éditions pour défendre les droits des personnes trans et intersexe. L’atmosphère de l’événement a été constamment plus radicale, la colère n’a fait que croître.
« Un des éléments frappants est la compréhension croissante du rôle du capitalisme. Nous lions ce terrain de lutte aux autres mouvements sociaux et réclamons par exemple un accès à un logement abordable et de qualité pour chacun.e parallèlement à une solidarité active vis-à-vis des migrants. Ce sont des thèmes brûlants en Irlande et ils sont directement liés au fonctionnement du capitalisme. De plus en plus de gens sont enthousiastes quand nous expliquons la nature anticapitaliste et socialiste de notre combat, les applaudissements de la foule interrompent les discours ! Le mouvement a toujours été radical, mais ce type d’ouverture aux idées socialistes n’était pas visible en 2018 quand nous avons commencé. »
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Insorgiamo ! La formidable histoire du collectif d’usine GKN à Florence
De l’occupation d’usine à la reconversion durable
Le 9 juillet 2021, la multinationale GKN, détenue par le fonds financier Melrose, a envoyé un mail aux plus de 400 travailleurs employés dans son usine de Campi Bisenzio (Florence). Ils étaient licenciés. L’usine, rentable, ne l’était toutefois pas assez. À la suite d’une assemblée générale, le personnel a occupé l’usine. Elle l’est toujours aujourd’hui et les métallos ont eux-mêmes récemment relancé la production pour produire des batteries électriques et des panneaux solaires. Nos camarades italiens de Lotta per il socialismo en ont discuté avec Francesco Iorio, membre du collectif d’usine de l’ex-GKN.
Votre collectif d’usine existe depuis 2017. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire du collectif ?
Nous sommes nés de l’usine FIAT de Florence. En 1994, FIAT a décidé de fermer sa succursale puis de vendre une partie de sa production à GKN. Parallèlement, un changement de génération a eu lieu dans la délégation syndicale. Nous nous sommes rendu compte que dans les assemblées, il y avait beaucoup de participation à l’écoute, mais beaucoup moins à l’action. Notre expérience du militantisme social et politique nous a poussés à chercher à créer un instrument qui nous relie au monde qui nous entoure et qui nous permette en même temps de nous organiser au sein de notre usine. C’est ainsi qu’est né le collectif d’usine GKN.
Les décisions sont prises lors d’assemblées générales, soit dans l’entreprise après la fin du travail ou dans d’autres espaces sociaux en soirée. C’est là que sont discutées les initiatives à prendre ou auxquelles on veut participer, chacun ayant son mot à dire. Un vote simple est ensuite organisé pour décider ce qu’il est préférable de faire ou de ne pas faire. Tout le monde peut proposer ses idées.
Dès qu’une lutte se développait sur le terrain, syndicale ou autre, le collectif d’usine sortait montrer sa solidarité et voir ce qui se passait, en participant ainsi également aux luttes d’autres entreprises en difficulté par des grèves, des collectes de fonds et une présence constante aux manifestations. Toute cette solidarité nous est revenue quand nous en avons eu besoin.
Comment avez-vous géré votre plan de reconversion de l’entreprise ?
Beaucoup de personnes solidaires nous ont fait profiter de leur expertise tout simplement parce que chacun voulait voir une autre façon de faire tourner l’industrie. Pas une industrie basée sur un patron qui ramasse tout et s’en va quand ça lui chante, comme dans notre cas. Nous avons vu l’opportunité de développer une industrie différente, une industrie basée sur des principes de solidarité, d’éthique, de prise en compte du changement climatique, avec les compétences de solidarité de tout un territoire, d’ingénieurs aux juristes.
De nombreuses propositions nous sont parvenues et nous en avons discuté durant vingt mois. Ensuite, nous nous sommes orientés vers la production de panneaux solaires et de batteries électriques. Nous pensons qu’il faut donner de l’argent public à des entreprises publiques et non de l’argent public à des entreprises privées, comme cela a été fait jusqu’à présent. Surtout, ces entreprises doivent être aux mains des salariés. On nous a donné des indications, mais on a tout fait nous-mêmes. Notre idée est de créer un pôle public qui va dans le sens de la mobilité durable. Très souvent, l’expertise que nous obtenons provient des travailleurs solidaires, mais cela pourrait devenir un partenariat avec l’université publique.
À côté de cela, nous continuons à soutenir toutes les luttes. Ces vingt mois nous ont aussi fait grandir culturellement. Il y a tellement de questions que nous ne nous posions pas avant et qui, dans cette situation, nous ont fait prendre conscience qu’il y a un autre monde à l’extérieur. Nous avons donc donné un sens à ce que nous appelons la convergence des luttes. Nous venions de vingt ans de retard du mouvement syndical dans tant de luttes qui étaient moins visibles : des travailleurs précaires aux femmes, au mouvement LGBTQI+, au mouvement écologique. Nous avons compris que seul, personne n’est sauvé. Notre exemple est de dire : « Il n’y a plus d’emploi sûr, on peut être licencié à tout moment. Alors, pourquoi ne pas se mettre tous ensemble pour faire valoir les droits de chacun ? » Et ensemble, nous avons aussi montré qu’il peut y avoir un autre avenir que celui que l’on veut nous faire croire.
Les communiqués de presse du collectif, avec des détails sur leur militantisme et leurs campagnes de crowdfunding, sont disponibles via leur newsletter : https://actionnetwork.org/forms/newsletter-collettivo-di-fabbrica-gkn.
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Élections dans l’État espagnol : impasse et polarisation
La droite ne parvient pas à obtenir de majorité, une nouvelle crise gouvernementale s’ouvre dans l’État espagnol
Dans le monde entier, on se demandera, étant donné les conditions sociales dans l’État espagnol (avec 2,8 millions de personnes dans la pauvreté absolue, la montée en flèche des prix de l’énergie et des denrées alimentaires et de nombreux travailleurs et communautés en lutte, sans parler des traditions de combat de la classe ouvrière), comment il se fait que le Parti populaire de droite, avec le soutien de l’ultra-droite VOX, soit à portée de main du pouvoir ?
Par John Hird, Alternativa Socialista (ASI dans l’Etat espagnol)
Nous voulons offrir une analyse sobre de ce qui se passe, non pas seulement l’instantané que représente une élection, mais le film des événements et des processus à l’œuvre pour tenter d’expliquer comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui et quelles en sont les conséquences.
Après la victoire de la droite aux dernières élections locales et régionales, nous avons déjà signalé les problèmes de l’incapacité de la gauche à mettre en œuvre sa politique dans les différentes mairies et gouvernements autonomes ainsi que du manque d’unité autour d’un programme de gauche clair et combatif. Des millions de travailleurs et de jeunes dans l’État espagnol redoutaient la montée de la droite et un éventuel gouvernement PP -VOX après le 23 juillet, sans pour autant se sentir inspirés par l’alternative de gauche qui leur était proposée.
Au cours de la campagne électorale, Sánchez (PSOE) a fait de la crainte de voir VOX entrer au gouvernement sa principale arme, ce qui a eu un certain effet dans les derniers jours de la campagne, lorsque les électeurs ont envisagé la possibilité de voir un parti d’extrême droite au pouvoir. VOX a finalement perdu 19 sièges tandis que le PP en a gagné 47.
Des résultats serrés
Les résultats sont très serrés : le PP a obtenu 33,1 % des voix contre 31,7 % pour le PSOE, soit une différence de 330.953 voix seulement. VOX se retrouve troisième parti avec 3.033.78 voix (12,4 %) et la nouvelle coalition de gauche SUMAR est quatrième avec 3.013.899 voix (12,3 %).
La participation aux élections a augmenté de 4,2 % par rapport à 2019, pour atteindre 70,39 %. Depuis les premières élections de la démocratie espagnole en 1977, la participation moyenne aux élections générales a été de 72,28%, atteignant même 82% à des moments cruciaux comme en 1982.
Dans les quartiers populaires, les gens ont vu de leurs propres yeux l’incapacité de la coalition PSOE-UP (Unidas Podemos) à les soutenir. L’incapacité du PSOE à inspirer les électeurs, conjuguée à la crainte de voir VOX parvenir à entrer au gouvernement, sont les principaux facteurs de l’impasse électorale. 90 % des promesses du programme électoral du PSOE-UP de 2019 n’ont pas été tenues.
Les travailleurs en lutte
De nombreuses couches de la classe ouvrière ont été impliquées dans des luttes importantes et sérieuses, mais elles n’ont pas été soutenues par le gouvernement de “gauche”. En 2021, à Cadix, une grève acharnée des métallurgistes a éclaté et le gouvernement de coalition a autorisé l’utilisation de petits véhicules blindés pour attaquer les grévistes dans leurs quartiers. Les travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation et des transports ont tous fait grève, mais la coalition n’a pas respecté son engagement de réformer les lois restrictives sur le travail.
La “loi sur le bâillon”, utilisée pour emprisonner les jeunes rappeurs et faire taire tous ceux qui critiquent la royauté, les hommes politiques, les riches et les puissants, est toujours en vigueur.
Les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé n’ont pas été annulées et la crise du logement se poursuit à un rythme soutenu, avec des familles jetées à la rue en raison de la pauvreté et l’absence de construction de logements sociaux.
Les lois progressistes en faveur des femmes et de la communauté LGBTQIA+ ont été partiellement sabotées et les lois racistes restent en place, de même que les attaques meurtrières de la Guardia Civil contre les réfugiés et les migrants à Melilla. Sánchez a même déclaré à l’époque qu’il s’agissait d’un “travail bien fait”.
Le rôle de la gauche
La nouvelle coalition de gauche n’a pas non plus réussi à inspirer les jeunes et la classe ouvrière. SUMAR est dirigée par Yolanda Díaz, qui était ministre du travail et de l’économie de Sanchez. Díaz a créé SUMAR pour permettre la poursuite de la carrière parlementaire des députés de Podemos et d’IU (Izquierda UNida) qui, lorsqu’ils étaient en coalition avec le PSOE, ont subi une chute massive de leur soutien en raison de leurs promesses électorales non tenues.
Alternativa Socialista (ASI dans l’État espagnol) s’est opposée à ce que Podemos et IU entrent dans une coalition à l’époque. Nous avons insisté pour qu’ils soutiennent plutôt la formation d’un gouvernement PSOE minoritaire afin d’avoir la liberté de critiquer le gouvernement depuis la gauche.
Malheureusement, l’entrée en coalition a presque anéanti le projet de Podemos. Sa figure de proue Pablo Iglesias s’est retirée de la politique et la classe ouvrière est sceptique quant à l’engagement des “camarades parlementaires” en faveur d’un véritable changement.
Dans les colonnes des journaux et les podcasts des médias qui soutiennent la « gauche » parlementaire, on observe une certaine condescendance à l’égard des jeunes et des électeurs de la classe ouvrière qui ont adopté une position abstentionniste. La « gauche » officielle n’essaie pas d’analyser les raisons du manque d’enthousiasme pour la coalition. Elle cite les statistiques du gouvernement et affirme qu’il s’agit du gouvernement le plus « progressiste » de mémoire d’homme.
Quelle est la réalité ?
Les élections régionales et locales, au cours desquelles des personnalités de gauche comme Ada Colau (qui était maire de Barcelone) ont perdu le pouvoir, ont marqué un tournant. Elles ont révélé que la masse de la classe ouvrière ne considère pas la coalition dite “progressiste” comme telle. Elle n’a pas fait une réelle différence dans leur vie.
Colau et d’autres mouvements de gauche autour de Podemos avaient été portés au pouvoir par de puissants mouvements de rue, tels que “Los Indignados” (né en 2011) et, dans le cas de Colau, un mouvement pour le droit au logement. Une fois au pouvoir, ces élus ont peu à peu abandonné leurs programmes radicaux et se sont fondu dans les institutions. Il s’agit d’un important point à saisir pour comprendre la difficulté qu’a eue la gauche à faire barrage à la droite lors des élections législatives.
La peur de l’ultra-droite
Cependant, il ne s’agit pas d’un changement fondamental vers la droite au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse de l’État espagnol. Les votes supplémentaires engrangés par le PSOE et le SUMAR au cours des derniers jours de la campagne sont dus à la crainte de voir l’ultra-droite au pouvoir. Ce n’est toutefois pas à considérer comme une approbation du bilan de la coalition.
Yolanda Díaz est membre du PCE (le parti communiste espagnol) et, fidèle à cette tradition, elle a purgé des listes électorales les derniers députés combattifs et de gauche de Podemos. Même la ministre de l’égalité et dirigeante de Podemos Irene Montero a été écartée. Montero est considérée comme une combattante des droits des femmes et de la communauté LGBTQI+. Elle a subi des attaques horribles et dégoûtantes de la part de la droite et de la presse en raison de sa position en faveur des droits des personnes transgenres. Son exclusion des listes électorales a encore plus démoralisé les militants de gauche.
La campagne de Sánchez et Díaz s’est appuyée sur des publicités peu convaincantes, utilisant des statistiques pour affirmer que l’économie se porte bien, que l’inflation est sous contrôle et qu’un nombre record de personnes ont un emploi. Ces statistiques ne correspondent pas à la réalité vécue dans les quartiers populaires où les travailleurs pauvres vivent avec des salaires bien inférieurs à la moyenne.
Les résultats électoraux confirment que l’État espagnol reste extrêmement polarisé. La progression du PP ne signifie pourtant pas qu’il gagne les cœurs et les esprits. Son avance est due à un déplacement des voix vers la droite.
Le parti de centre-droit Ciudadanos (Parti des citoyens) s’est quant à lui effondré et a presque disparu. Il avait été créé par la classe dirigeante pour semer la confusion et capter les électeurs qui s’étaient orientés vers la gauche au cours de la période précédente. Le PP pourrait avoir obtenu environ 900.000 voix de ce parti et environ 700.000 électeurs de VOX ont transféré leur vote au PP en raison de l’idée du vote “utile”, c’est-à-dire un vote pour un parti qui peut constituer un gouvernement, point sur lequel le PP a mené une campagne acharnée.
Après les élections locales et régionales, Vox est entré au gouvernement de plusieurs villes et provinces. Dans le village de Náquera, à Valence, ils ont interdit les manifestations de soutien et de commémoration des femmes victimes de féminicides. VOX a également convaincu le PP d’interdire l’utilisation du terme “violencia de genero” (violence de genre) et d’utiliser à la place le terme “violence inter-familiale”, ce qui constitue une tentative de nier l’existence de la violence à l’égard des femmes.
Ils proposent également d’interdire les drapeaux LGBTQIA+ dans les bâtiments municipaux et ont déclaré qu’une fois obtenu le portefeuille de l’éducation au pouvoir, ils essaieront d’interdire les cours sur l’égalité des femmes et des LGBTQIA+ dans les écoles espagnoles. Ils ont également déclaré vouloir limiter l’autonomie régionale au Pays basque et en Catalogne et restreindre l’enseignement des différentes langues minoritaires dans l’État espagnol.
Pendant la campagne électorale, le parti d’extrême droite a demandé à faire partie du gouvernement à Madrid. Cette possible réalité cauchemardesque explique pourquoi de nombreux travailleurs ont voté pour le PSOE et le SUMAR en se pinçant le nez. Ce processus a permis au PSOE d’être le principal parti au Pays basque et en Catalogne. En Catalogne, bien que les partis indépendantistes soient décisifs quant à la possibilité pour Sánchez de former un gouvernement, leur vote global a diminué.
Les questions nationales
Les questions nationales, historiquement non résolues, fluctuent au sein de l’État espagnol. Une victoire de la droite, en particulier avec la participation de VOX, aurait exacerbé les tensions nationales. En 2020, VOX a déjà proposé une loi qui rendrait illégaux les partis indépendantistes catalans et basques. Lors des récentes élections locales dans la capitale basque, Vitoria-Gasteiz, le parti nationaliste basque de gauche, EHBildu, a remporté la majorité pour la première fois. En 2015, Podemos a remporté le plus grand pourcentage de voix lors des élections au Pays basque, avec 26,02 %. Depuis, l’expérience de Podemos au pouvoir a provoqué un glissement vers EHBildu, en particulier chez les jeunes.
La crainte de voir VOX entrer dans une coalition avec le PP et insister sur la poursuite de ses politiques provocatrices a durci l’opposition au PP et à VOX au Pays basque, où le soutien au parti de gauche pro-indépendance EHBildu a augmenté.
Au Pays basque, le PSOE a remporté la plupart des voix et des sièges au parlement espagnol, suivi de près par le parti nationaliste de gauche EHBildu qui a remplacé le parti nationaliste basque bourgeois, le PNV, en tant que principale force indépendantiste.
En Catalogne, le PSOE est arrivé en tête des sondages avec 34,5 % des voix, suivi de SUMAR avec 14 %. Le PP arrive en 5ème position derrière les partis indépendantistes catalans, ERC et Junts. VOX n’a réussi à obtenir que deux sièges.
Qui formera le gouvernement ?
L’arithmétique électorale signifie que ni le PP ni le PSOE ne peuvent former un gouvernement à eux seuls et Sánchez a atteint son objectif d’empêcher VOX de former une coalition avec le PP puisque les partis de droite n’ont pas suffisamment de sièges.
Feijóo tentera de former un gouvernement, mais il lui sera extrêmement difficile d’atteindre les 176 sièges nécessaires pour former une majorité. L’échec des élections a provoqué une nouvelle crise au sein du PP. Lorsque Feijóo s’est exprimé dimanche soir sur le balcon du siège du PP à Génova, son discours a été interrompu par des cris de “¡Ayuso, Ayuso !”. Isabel Ayuso est la présidente populiste de la région de Madrid qui a joué un rôle décisif en forçant le dernier dirigeant du PP, Pablo Casado, à démissionner sur la question de la collaboration avec Vox.
Il est possible que Sánchez parvienne à mettre sur pied une coalition impliquant directement SUMAR, avec le soutien de divers partis indépendantistes de Catalogne et du Pays basque. Dans le passé, le PNV a soutenu les gouvernements du PP, mais avec EHBildu à sa gauche, cela semble peu probable aujourd’hui. De plus, cela signifierait approuver une coalition avec VOX, un parti qui a publiquement déclaré qu’il essaierait d’interdire les partis indépendantistes s’il accédait au pouvoir.
Pendant la campagne électorale, le PP a cyniquement évoqué le fantôme de l’ETA, ce qui n’a guère eu d’effet au Pays basque. Cependant, la presse espagnole rapporte qu’un fantôme vivant pourrait revenir hanter les principaux partis. Carles Puigdemont, l’ex-président de la Catalogne qui a fait une déclaration d’indépendance de courte durée en 2017, pourrait être la clé d’un éventuel gouvernement du PSOE, car Sánchez aurait besoin des voix de son parti, Junts, pour former un gouvernement.
L’incapacité des principaux partis traditionnels à obtenir une majorité à eux seuls est un signe de la crise des partis de droite et sociaux-démocrates.
Les nouvelles formations de gauche ont également échoué. La constitution espagnole de 1978 et le système électoral sont truqués pour empêcher un changement réel et fondamental. Depuis la “movida madrileña” des années 1980, en passant par le mouvement des “Indignados” et le magnifique mouvement féministe de ces dernières années, les changements culturels et les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ ont été défendus et gagnés dans les rues par des mouvements de masse, puis seulement approuvés par les politiciens.
L’idée selon laquelle la participation de VOX au gouvernement signifierait qu’ils seraient en mesure de revenir à l’époque de Franco est ridicule. Cependant, cela introduirait un élément perturbateur supplémentaire dans la situation politique. C’est pourquoi les bourgeois espagnols les plus clairvoyants préféreraient gouverner sans VOX, même si l’arithmétique électorale pourrait les y obliger à l’avenir.
Pour l’instant, il y aura des mois de marchandage politique qui pourraient aboutir à une coalition du PSOE ou à de nouvelles élections, ce qui signifie que la possibilité d’un gouvernement PP incluant VOX n’est pas à l’ordre du jour.
La situation réclame un parti basé sur la classe ouvrière et la jeunesse avec un programme de gauche sans équivoque. Un tel parti ne sortira pas des manœuvres parlementaires que nous verrons dans les mois à venir dans l’État espagnol.
N’oublions pas que Podemos a été porté au pouvoir grâce à un mouvement de masse semi-spontané. Los indignados” et “15 de mayo”. Certaines des formations et coalitions de gauche locales et régionales qui incluaient Podemos étaient au pouvoir depuis 2016.
Bien sûr, une éventuelle victoire de la droite sera un revers, mais pas une défaite fondamentale pour la classe ouvrière. Il y aura un choc initial, mais les travailleurs et travailleuses finiront par provoquer un tourbillon d’opposition s’ils tentent de mettre leurs menaces à exécution. Une victoire parlementaire de la droite n’empêchera pas non plus des mouvements similaires au niveau, sinon plus élevé, de “Los Indignados” et du mouvement féministe à l’avenir, et les militantes et militants marxistes doivent s’y préparer.
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Existe-t-il une issue à la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
Le dossier suivant a été initialement publié en anglais le 20 juin, juste avant mutinerie de Prigojine et de ses mercenaires de Wagner. Nous vous invitons à également prendre connaissance du commentaire que nous avons livré au sujet de ces événements : Fin du premier acte de la pièce de théâtre « L’effondrement du régime de Poutine »
Par Walter Chambers (ASI)
La fin de la guerre d’Ukraine parait toujours aussi lointaine, tandis que les coûts humains, sociaux et économiques continuent d’augmenter, pas seulement en Ukraine même, mais aussi dans le monde entier. En Ukraine, six villes ont été effacées de la carte, dont Marioupol et Sievierodonetsk, dont la population combinée est égale à celle de Dublin ou de Düsseldorf.
Bakhmout, qui avait une population de plus de 100 000 habitants, a été détruit. Si les forces russes n’ont pas réussi à faire la moindre avancée au cours de l’hiver, elles ont attaqué les infrastructures de l’Ukraine, restreignant l’approvisionnement des grandes villes en électricité. Cependant, la destruction du barrage de Kakhovka, qui est le résultat direct de l’invasion russe de l’Ukraine, est une catastrophe majeure sur les plans humain, économique et écologique, dont les répercussions se feront sentir pendant des années.
De plus en plus de bases militaires et de sites de dépôt de carburant sont ciblés en Russie elle-même. Des drones ont attaqué Moscou et d’autres villes ; il y a eu des incursions de troupes dans des villes voisines de l’Ukraine. Les puissances occidentales ont encore intensifié leurs approvisionnements en armes, tandis que la Chine a cherché à mettre en avant son « plan pour la paix ». À mesure que la nouvelle guerre froide s’approfondit, les grandes puissances impérialistes font étalage de leurs muscles.
Un désastre pour le Kremlin
Le régime a annexé quatre régions d’Ukraine en septembre et mobilisé 300 000 soldats. En novembre, il a dû opérer une retraite humiliante de la région de Kherson. Depuis, il n’a fait aucun progrès digne de ce nom. Il lui a fallu plus de dix mois d’âpres combats pour prendre Bakhmout : un cout énorme en vies humaines pour n’obtenir, de l’avis de nombreux stratèges militaires, une position à l’avantage purement tactique. Tandis que l’Ukraine entame sa controffensive, il est possible que le régime russe commence à perdre le contrôle.
Les forces russes avaient désespérément besoin de prendre Bakhmout pour afficher ne serait-ce qu’une victoire. La bataille a été menée par le célèbre groupe de mercenaires « Wagner », dont le chef, Yevgueniy Prigojine, s’attaque de plus en plus vertement à l’armée et à ses dirigeants. Ses forces ont même fini par se battre contre les soldats de l’armée régulière au moment où elles se retiraient de la ville. Prigojine a publié une vidéo avec ses troupes dans les mines de sel voisines ; il ne fait aucun secret du fait qu’il pille les zones qu’il capture. .
En Russie, chaque coup porté par les forces ukrainiennes provoque une condamnation virulente de la part des dirigeants de l’armée et, de plus en plus, du Kremlin lui-même, à travers son « parti de la guerre ». Pendant que Poutine délivrait son adresse de Nouvel An accompagné par des acteurs vêtus en tenue de soldat, des dizaines de combattants nouvellement mobilisés qui le suivaient à partir d’une salle dans la banlieue de Donetsk ont été tuées par un missile HIMARS qui visait les signaux émis par leurs téléphones portables. De nombreux officiers s’en sont toutefois sortis indemnes, vu que leur propre fête avait lieu dans un endroit bien plus luxueux.
La colère, bien que confuse, croît contre l’incompétence du commandement militaire, mêlée à des demandes de vengeance qui se sont exprimées lors des funérailles de ces jeunes soldats. Dans le même temps, d’autres personnes se demandent pourquoi attaquer l’Ukraine, alors que « la Russie a déjà ses propres problèmes ». Ailleurs, des parents ont protesté devant une école contre la pose d’une plaque commémorative à un meurtrier condamné, tué alors qu’il combattait pour Wagner, alors qu’il n’y a pas d’argent pour réparer les toilettes de l’école.
L’économie russe
Le PIB russe a chuté de 2,1 % en 2022. On voit toutes sortes de prévisions contradictoires concernant son avenir en 2023 : l’OCDE entrevoit une chute de -5,6 %, la Banque centrale russe parle d’une croissance de +1 %. Ces divergences sont l’expression de changements de grande ampleur et chaotiques au sein de l’économie russe, qui compliquent le suivi de la situation réelle. Mais même les récentes prévisions, plus optimistes, masquent le fait que, pour les travailleurs, la guerre et ses conséquences sont bel et bien en train de causer des dégâts très réels.
Le taux d’inflation était officiellement de 12 % en 2022. Mais la hausse des prix a été beaucoup plus élevée pour les biens essentiels. Certaines denrées alimentaires de base ont même vu leur prix monter de 30 à 50 %. Pendant ce temps, même en temps de guerre, la richesse des Russes les plus riches augmente de façon spectaculaire. Le revenu nominal des entreprises et des entrepreneurs ont crû de 26 %, tandis que le revenu des personnes qui dépendent des salaires et des retraites n’ont connu que 12 % d’augmentation. Pour cette dernière catégorie, le revenu réel disponible a chuté de 6 %, prolongeant une tendance à la baisse qui dure depuis 2008. Pour le magazine Forbes, « la Russie et l’Asie centrale » est la région du monde dans laquelle la part de richesse nationale qui appartient aux 1 % les plus riches est la plus élevée (45,9 %).
Ce serait déjà assez mauvais en temps normal, mais nous ne vivons pas une époque normale. C’est en 2008, après dix années de croissance économique, à une époque où il existait encore une relative coopération au niveau mondial, qu’a éclaté la guerre entre la Russie et la Géorgie. La Russie a contribué plus de 200 milliards de dollars aux plans de stimulus économique qui ont suivi la grande récession de 2008-2009. C’est après cette crise qu’on a vu s’interrompre la tendance à la mondialisation. À partir de 2014, la Russie annexait la Crimée et faisait face à des sanctions, certes modérées. Les investissements directs étrangers en Russie ont atteint leur sommet en 2008 (75 milliards $). Ils ont connu un nouveau pic en 2013 (69 milliards $). Depuis, ils ne valent plus en moyenne que 22 milliards $ par an.
En 2022, le flux d’investissements directs étrangers a été négatif, en raison du retrait des entreprises occidentales, principalement des marques connues employant une main-d’œuvre importante et dont la rentabilité était faible. En fait, seules 18 % des filiales d’entreprises états-uniennes, 15 % des filiales japonaises et 8 % des filiales d’entreprises européennes se sont complètement retirées de Russie. Cependant, ce désinvestissement touche surtout certains secteurs industriels stratégiques. C’est ainsi que les ventes de voitures neuves ont chuté de 80 % en 2022. Le vide laissé par le départ de Toyota, Ford et Volkswagen est comblé par des modèles russes ou iraniens, plus basiques. Les anciennes usines BMW et Nissan négocient des contrats avec des fabricants chinois.
En fait, la production industrielle a connu une légère hausse en 2022, car la production a été intensifiée afin de remplacer les produits occidentaux et, surtout, produire des armes. Les usines d’armement ont reçu pour instruction de travailler nuit et jour pour produire des chars, de l’artillerie, des drones et autres armes mortelles. En dépit de la corruption et de l’inefficacité notoires, au moment où les cent premiers chars occidentaux arriveront en Ukraine, la Russie aura assemblé deux fois plus de nouveaux chars, et en aura réparé ou modernisé 300 autres.
Du fait de l’état antérieur de la technologie, les modules de contrôle des voitures et des systèmes d’armement russes dépendent de puces produites par l’Occident ou la Chine. Lorsque la production de la nouvelle voiture « Moskvitch » a débuté dans l’ancienne usine Renault, il manquait les puces nécessaires aux airbags et aux systèmes de freinage modernes. Pour contourner les sanctions, le pays recourt à un système complexe d’« importations parallèles », qui consiste à acheter des pièces par le truchement de pays tiers, tels que la Turquie ou Hong Kong. L’État a à présent dégagé 40 milliards de dollars pour moderniser l’industrie russe des puces, afin de produire ses propres puces de 28 nm d’ici 2030. Il s’agit du niveau de technologie atteint par Taïwan en 2011. D’ici 2030, Taïwan produira des puces de 2 nm. [Le sigle « nm » signifie « nanomètre », une unité de grandeur. En gros, il se rapporte à la taille des transistors sur la puce : plus la taille est petite, plus la puce est puissante.]
Le pétrole russe se vend toujours
Jusqu’ici, les sanctions appliquées par l’Occident contre les exportations russes de pétrole et de gaz connaissent un échec retentissant. Les restrictions imposées par l’UE sur les importations de pétrole russe ont été compensées par la hausse des ventes à d’autres pays, bien qu’à un prix fortement réduit. L’Inde, qui cherche à maintenir un équilibre entre les deux grandes puissances, a augmenté la part de pétrole qu’elle importe de Russie. Alors que le pétrole russe représentant 2 % de ses importations totales avant la guerre, il est de près de 50 % aujourd’hui. Comme l’a dit un analyste : « Les vendeurs de pétrole aiment dire que le pétrole trouve toujours un acheteur ».
La baisse de 20 % des exportations de gaz naturel liquéfié en provenance de Russie a été compensée par le doublement du prix moyen. De ce fait, les recettes budgétaires russes provenant des exportations d’hydrocarbures ont augmenté de 28 % en 2022. Entre 2008 et 2020, le revenu mensuel que la Russie tirait de la vente d’hydrocarbures était en moyenne de 18 milliards de dollars. Depuis le début de la guerre, il a dépassé les 25 milliards de dollars par mois. Sa balance commerciale a augmenté de 58 milliards de dollars en 2022 (une hausse de 25 %). Les statistiques pour la première moitié de l’année 2023 montrent jusqu’à présent une augmentation de 20 % par rapport aux mêmes mois de l’année 2021, avant la guerre.
Néanmoins, l’économie russe va devoir faire face à plusieurs années difficiles, particulièrement pour la classe ouvrière, qui manque d’organisation et se trouve dans une situation où il lui est difficile de s’opposer au régime. Par conséquent, presque toutes les actions de protestation dans le pays ont un degré élevé de spontanéité. Au cours de la pandémie, les restrictions visant à contrôler la maladie ont aussi servi à restreindre encore plus le droit à manifester. Avec la guerre, la répression fait à présent partie de la vie quotidienne.
Même si plus de 20 000 personnes ont été arrêtées en 2022, des mouvements se sont poursuivis sur un certain nombre de questions. On a signalé 400 conflits en entreprise, dont 72 ont mené à des grèves ou à des sit-ins. Même si ces actions sont moins nombreuses qu’en 2020 (lorsque de nombreuses entreprises ont cessé de payer leurs travailleurs sous prétexte de pandémie), les enjeux sont maintenant passés à un niveau supérieur. Des dirigeants de mouvements de grève ont passé plus d’un an en prison ; c’est notamment le cas de Kirill Oukraïntsev, du syndicat des coursiers. Ailleurs, les travailleurs qui avertissent d’un arrêt de travail sont menacés de mobilisation dans l’armée.
Les manifestations antiguerre ont pris une nouvelle forme après la mobilisation générale, moment où la guerre a commencé à toucher une couche beaucoup plus large de la population, surtout aujourd’hui, avec la hausse du mot de code « Cargaison 200 » (qui, dans le jargon militaire, désigne les soldats morts). Par ailleurs, sur les plus de 25 000 décès identifiés par des chercheurs indépendants (ce nombre lui-même étant considéré comme sous-évalué), la proportion des régions ethniquement non russes, telles que la Bouryatie et le Daghestan, ou des villes de l’est et du sud du pays (de population ethniquement asiatique ou caucasienne), est plus de dix fois plus élevée que celle de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Cela alimente le mécontentement et accentue la question nationale. Cependant, sans une direction claire, la conscience peut évoluer de façon confuse, voire contradictoire.
Il faut aussi noter que la contestation est de plus en plus féminine. En janvier 2021, les femmes ne constituaient que 25 % des personnes participant à des mouvements. Lors des premières marches antiguerre, 44 % des manifestants étaient des femmes. Après la mobilisation, cette proportion est même passée à 71 % ! Étant donné que de nombreux hommes ont été mobilisés ou ont fui le pays, les femmes vont de plus en plus s’affirmer dans les revendications sur les lieux de travail.
Une crise au Kremlin ?
Depuis le début de cette année, l’offensive russe n’a plus connu le moindre progrès. On a vu les partisans de la « ligne dure » le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, le fondateur de Wagner Yevgueni Prigojine, et le général Sourovikine dit « Armaguédon » se faire mettre sur la touche, tandis que le contrôle global de l’invasion a été ramené sous la hiérarchie militaire officielle, dirigée par le Ministre de la défense, Sergueï Choïgou et le général Guérassimov.
Mais les attaques massives de missiles contre les infrastructures ukrainiennes, débutées à l’initiative des partisans de la ligne dure, se sont poursuivies. Cette tactique cruelle a « réussi » à causer de graves perturbations et difficultés à la classe ouvrière ukrainienne et aux Ukrainiens pauvres, mais sans parvenir à renverser la tendance de manière décisive. Une grande partie des missiles lancés ont été détruits par les défenses aériennes de l’Ukraine, qui utilisent des missiles S300, des armes antiaériennes et des drones conçus par les Soviétiques, ainsi que des systèmes occidentaux qui ont commencé à arriver en fin d’année. Malgré cela, un grand nombre de frappes ont atteint leur objectif ; c’est ainsi qu’une sous-station alimentant Kyïv en électricité a été touchée à neuf reprises. Les réparateurs travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ignorant le système de gestion bureaucratique auparavant en place pour assurer des réparations rapides, arrivant souvent sur les sites endommagés avant même que les incendies n’aient été éteints. Les habitants de Kyïv décrivent les travailleurs du « front énergétique » comme des « héros pour nous tous ». Chaque fois que le régime russe ressent la moindre faiblesse, il intensifie ses attaques de missiles sur des zones civiles.
On a vu les tensions entre les partisans de la ligne dure et les dirigeants militaires officiels atteindre un niveau dramatique. Prigojine et Kadyrov accusent de plus en plus la bureaucratie militaire d’incompétence et de corruption. Prigojine se plaint de l’incapacité de l’armée à lui fournir des munitions, qu’il décrit comme un acte de « trahison ». Le Kremlin, qui semblait de plus en plus fatigué des critiques de Prigojine, et peut-être aussi par crainte du danger qu’il pose, a d’abord essayé de l’écarter, puis de le mettre sous contrôle. Alors que les troupes de Wagner avançaient sur Bakhmout, les médias russes ont reçu pour instruction de ne pas faire de reportage à leur sujet. Aujourd’hui, de nouvelles armées mercenaires sont en train d’être formées en opposition à Wagner, dont certaines sont gérées par de grandes sociétés comme Gasprom. Récemment, des conflits ont éclaté entre Wagner et d’autres radicaux comme Kadyrov et Guirkine, un mercenaire d’extrême droite, ancien agent du KGB, qui semblent ressentir la domination de Prigojine.
Cela peut-il éventuellement conduire à une crise politique, voire révolutionnaire, en Russie ? Lénine expliquait qu’une situation révolutionnaire peut se développer lorsque la classe dirigeante est divisée et incapable de gouverner comme auparavant, lorsque la classe ouvrière ne tolère plus les anciennes conditions, et lorsque les couches moyennes sont en fermentation. Il a également ajouté que pour triompher, la révolution devait être guidée par un parti révolutionnaire de masse et faisant autorité, capable d’armer le mouvement en le dotant d’une stratégie et d’une tactique correctes.
Il est évident qu’il y a une importante volonté de lutte de la part de la classe ouvrière russe, y compris parmi ceux qui ont été « mobilisés ». Beaucoup des personnes qui ont participé aux deux remarquables vagues de contestation en 2022 étaient des jeunes et des parents des mobilisés, issus de la classe ouvrière, mais sans que les couches plus larges de la classe ouvrière ne se mêlent au mouvement de manière organisée, ni à une échelle de masse.
Mais les couches de la classe moyenne sont certainement en fermentation. Parmi les centaines de milliers de personnes qui ont fui la Russie, on retrouve de nombreuses personnalités de la télévision, des musiciens, des artistes et des personnalités libérales telles qu’Anatoli Tchoubaïs, l’architecte de la privatisation de masse qui a suivi la chute de l’Union soviétique. La principale chaine de télévision d’État a vu une grande partie de ses « stars » l’abandonner, ce qui la contraint aujourd’hui à recourir à des podcasts pour diffuser ses émissions aux heures de grande écoute.
La restauration capitaliste en Russie n’a pas permis de créer une classe bourgeoise forte et consolidée, capable de maintenir la stabilité. C’est pourquoi le capitalisme y repose sur des mesures autoritaires et sur un État de type « bonapartiste », dans lequel le pouvoir se retrouve concentré entre les mains d’un seul individu. Les quelques oligarques qui se sont opposés au régime ont été emprisonnés ou contraints à l’exil. À mesure que croît l’appétit réactionnaire, impérialiste et expansionniste du capitalisme russe , la plupart des oligarques et leurs adeptes se sont largement félicités de l’invasion de l’Ukraine. Les quelques-uns qui se sont déclarés non satisfaits ne faisaient que défendre leurs propres biens.
Les sondages privés réalisés par le Kremlin révèlent que la couche de partisans de la ligne dure est en fait assez mince. La majorité des Russes veulent une fin rapide de la guerre, si nécessaire par le biais de négociations. Pourtant, aujourd’hui, c’est le discours jusqu’au-boutiste qui domine les médias d’État comme les réseaux sociaux.
Mais il faut tenir compte de la grande lâcheté de l’élite dirigeante russe. On suppose qu’il se trouve au sein de cette couche des gens qui préfèreraient entamer des pourparlers, mais qui sont comme paralysées par la crainte de tomber victimes de la répression. Pour ces personnes, il n’y a pas de voie de sortie facile. Plusieurs rapports indiquent qu’elles estiment que la Russie est promise à une défaite humiliante. Même si le Donbass et une partie du sud de l’Ukraine devaient demeurer sous occupation russe, ce que le régime dépeindra comme une victoire, une grande partie de la population pourrait ne pas considérer comme justifié l’énorme cout humain et économique. Au départ, l’élite dirigeante se disait que le Kremlin devait certainement avoir un plan. Mais aujourd’hui, elle craint une défaite, car elle comprend très bien que cela pourrait engendrer une explosion sociale que personne parmi cette élite ne souhaite voir. Il y a eu beaucoup de cas de suicides ou de décès inexpliqués au sein du régime, le dernier en date (20 mai 2023) étant celui du vice-ministre Piotr Koutcherenko, qui avait proclamé que l’invasion de l’Ukraine par la Russie constituait un acte « fachiste ».
Guérassimov, Poutine et Choïgou
Cette situation s’est mise en place après la retraite de Kherson. Mais aucune section de l’élite ne suggère actuellement de mettre fin à la guerre (en se repliant éventuellement jusqu’aux frontières de février), par crainte de la répression par le régime bonapartiste et de provoquer des manifestations sociales. Tout ce que ces personnes peuvent espérer, c’est davantage de retards dans la guerre, pour permettre à l’armée de se rééquiper, à l’économie de se redresser, et mobiliser de nouvelles forces, en évitant toute actions qui risquerait de mener à un conflit plus ouvert avec les forces de l’OTAN. Paradoxalement, certains partisans de la ligne dure adoptent également cette position, comprenant bien que toute nouvelle escalade conduirait à une catastrophe.
D’autres va-t’en-guerre, comme le Parti « communiste » (éminemment réactionnaire), continuent d’affirmer que la seule issue est d’intensifier l’offensive, peut-être même en déclarant ouvertement la guerre, pour orchestrer une mobilisation à grande échelle et procéder au bombardement généralisé de l’Ukraine. Comme le dit Guennadi Ziouganov, le dirigeant de ce parti : « Dès le premier jour de l’“opération spéciale”, nous avons exigé des mesures d’urgence… pour permettre une mobilisation maximale de l’ensemble de la société dans la lutte contre le nazisme et le fascisme… ».
Soit la guerre tirera en longueur, ce qui engendrera un coût terrible, menant à une hausse de l’opposition au sein de la Russie, soit les tentatives malavisées d’intensifier les hostilités pourraient conduire à de nouvelles défaites brusques et à une opposition plus explosive.
Une perspective encore plus inquiétante pour l’élite dirigeante russe est de voir une défaite, ou tout incident inattendu ou imprévisible, déclencher une explosion spontanée à la base de la société, tout comme cela s’est récemment produit au Bélarus, au Kazakhstan (l’année passée), ou en Géorgie (en mars 2023), où on a connu des manifestations et des émeutes. Cela pourrait convaincre une partie de l’élite dirigeante de rompre avec le Kremlin pour tenter de détourner un tel mouvement. Ces « nouveaux opposants » pourraient être aidés par une section de l’opposition libérale. En effet, on aperçoit des signes de division au sein de l’organisation de Navalny, où une section semble tentée de s’associer avec certains puissants oligarques.
Le problème central est l’absence d’une force ouvrière indépendante capable de fournir une direction aux mouvements potentiellement explosifs qui pourraient survenir en opposition au Kremlin et au système capitaliste à l’origine du régime dictatorial en Russie. Le fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de mouvement ouvrier indépendant ne signifie pas qu’on ne verra pas se mettre en place un tel mouvement (ou l’embryon d’un tel mouvement) au cours des évènements sans nul doute tumultueux qui se dérouleront dans la région dans les mois et les années à venir. Jeter les fondations claires d’un tel mouvement, l’armer d’un programme socialiste clair, voilà quelles sont les tâches principales pour les socialistes en Russie aujourd’hui.
Un coût énorme pour l’Ukraine
Des dégâts incalculables ont été infligés à l’Ukraine. Le Ministère ukrainien de la défense ne communique pas sur le nombre de décès, mais il est certain que ce chiffre est extrêmement élevé, en particulier autour du « hachoir » qu’est Bakhmout. En septembre 2022, le Premier ministre Denys Chmyhal a estimé le coût des dommages à plus de 349 milliards de dollars. Depuis lors, les infrastructures ont subi au moins 120 milliards de dégâts supplémentaires. En octobre 2022, Volodymyr Zelensky a déclaré que l’Ukraine avait besoin d’au moins 1 000 milliards pour « se reconstruire aux normes européennes ». L’aide totale engagée jusqu’à présent n’approche nullement cette valeur.
Cette guerre ne peut pas être envisagée isolément de la situation internationale, qui est dominée et caractérisée par la nouvelle guerre froide en cours, qui contraint les pays à se réaligner selon différents blocs et alliances impérialistes de part et d’autre de la ligne Chine / États-Unis. Cette évolution a été considérablement accélérée par la guerre en Ukraine.
Le célèbre stratège prussien (allemand) Carl von Clausewitz (1780-1831), souvent cité à tort et à travers, soulignait l’interaction dialectique entre divers facteurs : pour lui, « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens ». Le résultat de la guerre ne dépend pas seulement de décisions militaires, mais aussi de phénomènes sociopolitiques, et de la relation entre l’armée régulière, les groupes de partisans et la population en général. La présente guerre ne fait pas exception.
Même si elle s’inscrit dans le cadre de la nouvelle guerre froide, le régime russe ment lorsqu’il prétend affronter l’OTAN et l’impérialisme états-unien. Ses opposants sont condamnés comme agents du monde « anglo-saxon ». Mais si la majorité de la population russe était convaincue que c’est effectivement le cas, et que la Russie était menacée d’une invasion imminente, alors les forces russes seraient bien plus motivées pour se battre qu’elles ne le sont aujourd’hui. Mais au lieu de cela, l’impérialisme russe, qui dispose sur le papier de vastes forces armées et d’armes extrêmement puissantes, a fini par démoraliser ses troupes, dont l’action est sapée par la corruption et le manque de planification, sans parler des conflits constants entre les différentes ailes que sont l’armée régulière, la garde nationale, le FSB et les mercenaires de Wagner, tout en induites en erreur par la direction du Kremlin, autoritaire et coupée de la réalité.
De son côté, l’impérialisme occidental, qui avait au départ sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens, a ensuite fait tout son possible pour freiner les initiatives émanant de la base. Il a saisi cette occasion pour augmenter massivement ses dépenses militaires, afin d’amener ses partenaires potentiels à former un bloc plus consolidé en opposition à la Chine et à la Russie, en guise d’avertissement pour la Chine concernant d’éventuels plans d’invasion de Taïwan. Malgré sa réticence à laisser l’Ukraine adhérer de façon formelle à l’UE et à l’OTAN, l’impérialisme occidental se sert de l’aide et des livraisons d’armes pour réaliser ses propres objectifs et imposer ses propres conditions à l’Ukraine.
La population ukrainienne a des motivations totalement différentes de celles de l’OTAN et du gouvernement de droite de Zelensky. D’après Clausewitz, une armée qui se défend contre une agression est intrinsèquement supérieure à l’armée assaillante. On voit en Ukraine de nombreux cas de résistance héroïque, à l’heure où le pays, les familles, les moyens d’existence et les libertés sont menacés par l’occupation russe. Ces actions vont souvent à l’encontre de l’ordre du jour établi par les médias russes et occidentaux, qui cherchent à dépeindre ce conflit comme un simple affrontement entre deux forces militaires et leurs armements.
Dans la nuit du 24 février 2022, tandis que des milliers de soldais russes avançaient sur Kyïv, les habitants sont sortis de chez eux pour ériger des barricades avec tout ce qui leur tombait sous la main. Alors que Zelensky annonçait une mobilisation de masse, les volontaires ont afflué pour former des « unités de défense territoriale » qui se sont armées de tout ce qu’elles pouvaient trouver, établissant des points de contrôle, préparant la résistance. À chaque étape de leur marche, les colonnes de chars qui approchaient de Kyïv ont été embusquées par des groupes de volontaires comme par des détachements de l’armée régulière. Les volontaires grimpaient aux poteaux télégraphiques pour suivre les communications de la force d’invasion. Dès les tout débuts de la guerre, de nombreux simples citoyens et citoyennes ont appris à manipuler des drones (souvent achetés en ligne pour quelques centaines de dollars) afin d’observer ou faire tomber des grenades sur les chars qui avançaient. Les travailleurs de première ligne, qui avaient déjà tant sacrifié pendant la pandémie, ont intensifié leurs efforts : ce sont tous les travailleurs médicaux, les équipes de chemin de fer qui ont transporté les équipements et les réfugiés, les chauffeurs de camions qui ont livré des bornes en béton et aidé à ravitailler les combattants.
Au cours des premiers jours de l’invasion, l’armée, la police et les autorités locales avaient abandonné Soumy, la plus grande ville qui se trouve entre Kyïv et Kharkiv. D’après un reportage, c’est le personnel municipal qui a mobilisé une équipe de défense territoriale de plusieurs centaines de civils et civiles. Sans protections, armée uniquement de fusils provenant d’une armurerie locale et de cocktails Molotov, utilisant des téléphones portables et des coursiers, cette force de défense a retenu les envahisseurs pendant plus de six semaines avant que les forces russes ne se voient contraintes de fuir de la région.
Et il existe de très nombreux autres exemples de telles initiatives prises par les simples travailleurs et travailleuses pour défendre leurs foyers et leurs moyens d’existence. Le personnel médical d’un hôpital de Kherson a empêché une prise de contrôle russe en recourant à plusieurs ruses, dont la déclaration d’une quarantaine due à une prétendue pandémie. Le personnel des usines et des petits ateliers adaptent des drones pour la collecte de renseignements et le ciblage. D’autres réparent des chars et des équipements russes capturés. C’est ainsi que l’Ukraine a acquis un grand nombre de chars d’assaut.
Ces initiatives populaires auraient pu changer le cours de la guerre, en particulier si elles avaient été dirigées par une classe ouvrière organisée et politiquement consciente. Mais à mesure que le rôle de l’armée et des armes fournies par l’Occident a pris de l’ampleur, ces actions ont été de plus en plus marginalisées. La guerre a commencé à tirer en longueur, des armes de plus en plus destructrices ont commencé à être employées, et les batailles sont devenues de plus en plus brutales. Analysant les guerres des années 1930, Léon Trotsky expliquait que pour triompher d’une occupation impérialiste, une nation faible, confrontée à une force militaire supérieure, ne peut se fier aux seuls moyens militaires. L’histoire l’a démontré à de nombreuses reprises. La masse de la population mobilisée se révèle toujours beaucoup plus inventive que le corps professionnel de l’armée. Et les forces bourgeoises, même si elles prétendent représenter la « nation entière », en sont incapables. Au contraire, la bourgeoisie fera tout son possible pour empêcher une telle mobilisation, car elle entraine une hausse de la conscience de la classe ouvrière et engendre une remise en question directe de sa domination. C’est particulièrement le cas lorsque cette bourgeoisie dépend du soutien de puissances impérialistes.
Au lieu d’une action de masse indépendante sous direction ouvrière, le régime ukrainienn repose sur l’action militaire brutale, recourant à des armes de plus en plus puissantes. À présent, les pays de l’OTAN promettent des chars. Le 24 avril, le Ministère de la défense des États-Unis a annoncé que les 31 chars d’assaut Abrams promis atteindront le front d’ici la fin de l’année. Forbes rapporte que les chars Leopard 1 promis par l’Allemagne et le Danemark arriveront probablement à temps pour aider à « nettoyer » après la controffensive attendue de l’Ukraine. Mais même les promesses de l’OTAN provoquent la réaction de la Russie : on la voit maintenant envoyer son tout dernier modèle de char, le T14, afin de renforcer le moral de ses troupes. Ni cette course à l’armement, ni l’emploi d’un nombre croissant d’avions de chasse par les deux parties, n’accélèrera le cours de la guerre. Au contraire, cela ne fera qu’augmenter le taux de mortalité d’un camp comme de l’autre. Cette impasse ne pourra être résolue militairement sans de nouvelles pertes massives de vies humaines.
ASI est absolument opposée à l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie, et exige que toutes les forces russes soient retirées de l’Ukraine afin que les Ukrainiens et les Ukrainiennes puissent décider eux-mêmes et elles-mêmes de leur propre avenir, sans occupation militaire. Nous nous opposons également au transfert d’armes par les impérialistes occidentaux, qui ne cherchent certainement pas à défendre la population ukrainienne, mais uniquement leurs propres intérêts impérialistes.
La seule force capable de donner la motivation politique du retrait des troupes russes d’Ukraine, et de garantir non seulement son autodétermination, mais aussi les droits des minorités nationales et autres groupes minoritaires au sein de l’Ukraine, est la classe ouvrière organisée, agissant en toute indépendance de toute force impérialiste et capitaliste. ASI appelle à la construction d’une telle force, liée à une lutte pour transformer la vie des travailleurs de toute l’Ukraine, faire tomber le gouvernement Zelensky, exproprier les oligarques ukrainiens et russes, et établir un gouvernement ouvrier pour mettre en œuvre des politiques socialistes.
L’offensive contre les travailleurs d’Ukraine
Par ses actions, le gouvernement Zelensky s’en prend à toute tentative d’organiser la classe ouvrière. Le droit de grève a été supprimé ; un grand nombre d’entreprises publiques sont destinées à être privatisées. Le nouveau budget 2023 réduit de 23 % la masse salariale des personnes travaillant dans le secteur public, provoquant un chômage énorme. Le même chômage qui atteignait déjà 30 %, alors que le taux d’inflation est de 20 %.
Les pays occidentaux se vantent de l’aide qu’ils accordent à l’Ukraine, mais tout en se taisant sur ce que l’Ukraine leur devra en retour. Sur les 60 milliards d’euros d’aide financière promis jusqu’à présent, la moitié se présente sous forme de prêts à rembourser au cours des 35 prochaines années. Le reste est constitué de subventions associées à des conditions strictes, dont la « restructuration », l’« augmentation de la productivité du travail » et la vente d’énergie au prix du marché.
La récente purge de hautes personnalités publiques avait pour but d’endiguer le mécontentement croissant parmi la population à l’égard des profits et de la corruption. La nourriture achetée pour les troupes coûte trois fois plus cher que celle que l’on trouve dans les supermarchés. Des véhicules fournis en tant que « aide humanitaire » sont utilisés par des fonctionnaires. Un ministre aurait détourné 400 000 dollars destinés à la reconstruction des infrastructures. Les dernières arrestations de dirigeants régionaux, dont le maire d’Odessa, accusé d’avoir mis en place une bande criminelle et de s’adonner au blanchiment d’argent, semblent également avoir pour but de mettre un terme aux tentatives des chefs régionaux de renforcer l’opposition politique à l’État central. Il est possible que les élections législatives soient reportées cette année ; cela comporte le risque de voir se renforcer les tendances au bonapartisme.
Y a-t-il une fin possible à cette guerre ?
À l’automne dernier, au cours d’une vague de discussions concernant d’éventuelles négociations, il était clair que Zelensky et l’Ukraine n’accepteraient aucun accord négocié autorisant les forces russes à occuper une partie du pays. Le Kremlin a parlé d’éventuelles négociations, sans être lui-même prêt à faire la moindre concessions. En réalité, il voulait profiter d’une pause pour reconstruire ses forces.
Après les attaques contre les infrastructures électriques ukrainiennes, qui n’ont pas réussi à mettre le pays à genoux, et vu que l’offensive brutale des forces russes dans le Donbass ne leur a pas permis de réaliser de gains notables, on est en droit de se demander dans quelle direction évoluera cette guerre. L’offensive des forces ukrainiennes aura probablement pour objectif de rétablir le « pont terrestre » entre Marioupol et Kherson, occupé depuis le 24 février. Reprendre la partie du Donbass contrôlée par les forces pro-russes depuis 2014 exigerait de nombreuses pertes humaines et consommerait une grande quantité d’équipements.
Lors du sommet du G7 à Hiroshima (auquel Zelensky était invité), il a une fois de plus été démontré à quel point l’impérialisme états-unien est parvenu à renforcer le bloc occidental, avec pour résultat des promesses d’aide continue à l’Ukraine et une condamnation unifiée de la « coercition économique » chinoise. Bien que l’unité politique sur ces questions soit évidente, il existe encore des différences quant à la manière de traiter ces questions. Selon l’Agence japonaise de presse « Kyodo News », le président français Emmanuel Macron s’est fermement opposé à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN au Japon, car il estimait qu’un tel acte aurait été perçu par la Chine comme une provocation ; Macron aurait donc « compliqué des mois de discussions au sein de l’OTAN au sujet de l’ouverture de cet avant-poste à Tokyo ».
Paradoxalement, c’est au sein de l’armée des États-Unis que se trouvent les personnalités les plus « modérées », contrastant avec les voix plus « radicales » émanant des personnalités politiques. Cela confirme que le soutien offert par les États-Unis à l’Ukraine est motivé par leurs propres objectifs, dont la nécessité de renforcer leur position dans les conflits interimpérialistes émergents. Ainsi, Mark Milley, chef d’état-major des États-Unis, a déclaré à plusieurs reprises que la guerre se terminera par des négociations.
Dans les diverses déclarations qui ont été faites à l’occasion de la visite de Joe Biden à Kyïv fin février, les hauts responsables des États-Unis ont fait preuve d’« ambiguïté stratégique » concernant la Crimée. Tout en promettant son soutien inconditionnel à l’Ukraine, Biden s’est gardé d’approuver en public l’objectif de récupération de la Crimée. La sous-secrétaire d’État Victoria Nuland a déclaré que « la Russie a transformé la Crimée en une installation militaire de grande envergure… Ce sont des cibles légitimes, l’Ukraine les frappe, et nous approuvons ». Pour le secrétaire d’État Antony Blinken, cependant, toute tentative de reprendre la Crimée représenterait le franchissement de l’une des « lignes rouges » définies par la Russie, ce qui « pourrait conduire les Russes à élargir la guerre ». Pendant ce temps, le « Washington Post » rapportait que « les responsables des États-Unis ont averti Kiïv que le niveau actuel de l’aide offerte à l’Ukraine ne peut être garantis, et que l’Ukraine pourrait devoir revoir ses ambitions à la baisse ».
Il est typique du cynisme des impérialistes des deux camps que le destin de la Crimée et de sa population ne se fonde que sur son importance militaire, et de ce qui pourra être négocié autour d’une table. Tout comme l’Ukraine elle-même et toutes les régions et communautés qui se trouvent à l’intérieur de ses frontières, la Crimée a le droit à l’autodétermination, lequel ne peut s’exercer que dans des conditions d’absence d’occupation militaire de la part de l’un ou l’autre camp. Pour cela, il est nécessaire que la classe ouvrière de la Crimée s’organise afin de pouvoir superviser un référendum véritablement démocratique, tout en assurant la protection des droits des minorités ukrainiennes et tatares et en arrachant les ressources aux oligarques russes et ukrainiens afin de les utiliser dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres.
Il est clair qu’il existe un point de tension entre l’objectif des États-Unis de voir la Russie forcée de reculer (ce qui l’affaiblirait en tant que partenaire de la Chine) et l’objectif ouvertement déclaré du régime de Kyïv, qui vise à reprendre l’ensemble du territoire perdu depuis 2014, et que cette tension pourrait se renforcer à l’avenir. On en a vu un exemple en janvier, avec la pression mise sur Zelensky par Biden pour qu’il se retire de Bakhmout. À ce stade, les États-Unis appuient une nouvelle offensive de la part de l’Ukraine pour reprendre le pont terrestre en tant que prochaine étape. Mais cela ne satisfera probablement pas le gouvernement ukrainien à long terme.
Le sondage d’opinion publié le 24/02/2023 dans les régions non occupées de l’Ukraine montre que l’humeur de la population ukrainienne s’est durcie au cours de l’hiver. Si par le passé, très peu de personnes étaient favorables à l’idée d’attaquer la Russie elle-même, aujourd’hui, 38 % de la population ukrainienne estime qu’il faudrait viser des cibles militaires sur le territoire russe, tandis que 39 % souhaitent également que l’on bombarde des infrastructures russes. Enfin, 13 % de la population trouvent que tout objectif en Russie mérite aujourd’hui d’être attaqué. Cela inclut une majorité absolue des personnes du Sud et de l’Est du pays qui se considèrent comme ethniquement russes, ou qui ont des parents en Russie.
Un autre facteur qui met en évidence une contradiction potentielle entre objectifs états-uniens et objectifs ukrainiens est la peur, dans les cercles de l’OTAN, du prix à payer et des conséquences qui pourraient découler d’un soutien à long terme à une guerre qui tire en longueur. Ce facteur transparait également dans les discussions sur la question au sein des élites dirigeantes américaines et européennes, et aux États-Unis, au sein du Parti républicain. Le dernier rapport fiable sur l’aide apportée à l’Ukraine a été celui de l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, paru en février 2023, qui faisait état d’un total de 143 milliards d’euros. Cet institut réclamait bien entendu davantage d’aide à l’Ukraine, puisqu’il affirmait que seule 48 % de l’aide financière promise avait été décaissée, et à peine 25 % de l’aide militaire promise.
Nombre de chars d’assaut occidentaux promis et livrés. Ce graphique ne tient pas compte des centaines de chars soviétiques envoyés en Ukraine par la Pologne et d’autres pays au cours des premiers mois de la guerre.
L’Institut Kiel insiste sur « la vue d’ensemble ». Toute guerre qui tire en longueur consomme d’énormes ressources, en particulier si les troupes sur le terrain ont besoin de financement. Les dépenses militaires que les États-Unis ont consacrées aux guerres du Vietnam et de Corée (lors desquelles les États-Unis ont envoyé leurs propres soldats se battre) étaient respectivement 5 et 13 fois plus élevées, en pourcentage du PIB, que les énormes montants déjà engagés en Ukraine. Si l’UE a promis à l’Ukraine 55 milliards d’euros, elle a mobilisé dix fois plus de ressources pour ses propres plans d’aide dans le cadre de la hausse des prix de l’énergie. Dans certains cercles dirigeants, on discute déjà de la « fatigue de guerre », qui est alimentée par le risque de voir l’inflation encore plus augmenter, à un moment où tant d’autres facteurs pèsent sur l’économie mondiale, sans parler de la pression de plus en plus forte exercée aux États-Unis par les Républicains de droite.
La Chine s’est avancée avec son propre « plan pour la paix » en 12 points, publié en février, dont la reconnaissance de la souveraineté nationale des deux pays, la fin des actions militaires, le retour à des pourparlers de paix, la fin des sanctions unilatérales et la reconstruction post-conflit. D’autres personnalités commencent aussi à pousser à des négociations. Une délégation de dirigeants africains dirigée par Cyril Ramaphosa est en route pour Moscou et Kyïv.
Pour Biden, l’idée que la Chine puisse diriger les négociations est « tout simplement pas rationnelle ». Non seulement une telle initiative serait contraire à la détermination des États-Unis de renforcer leurs alliances et leur potentiel militaire dans le cadre de leurs préparatifs pour affronter la Chine, mais ce pays s’inquiète également de ce que la Chine cherche à conforter son soutien de la part des pays qui ne font pas directement partie du bloc occidental. Pour le « Japan Times » : « Peu de gens s’attendent à ce que la diplomatie du président chinois Xi Jinping [Shí Tjìn-píng] permette d’obtenir la moindre percée dans la guerre d’Ukraine. Mais à Washington, il y a des craintes que Pékin puisse réussir ailleurs, en gagnant en crédibilité sur la scène mondiale ».
Les limites de l’accord « sans limite » avec la Chine
Il est clair que lorsque Poutine a lancé son invasion, il estimait que la Chine, qui venait tout juste d’accepter son accord de coopération « sans limite », était prête à le soutenir jusqu’au bout. En cas de victoire, la Chine aurait considéré la Russie comme un partenaire fort et efficace. Mais on voit à présent qu’avec le manque de succès de Poutine, alors qu’en face, le bloc américano-occidental s’est considérablement renforcé en conséquence, la Russie a perdu une grande partie de son potentiel en tant que partenaire. Pour cette raison, Xi Jinping cherche un moyen de réduire les conséquences négatives. Ainsi, son plan de paix, contrairement à ce qu’affirme les dirigeants occidentaux, n’est pas destiné à soutenir la Russie envers et contre tout, mais bien à protéger les intérêts du régime chinois.
C’est ce plan de paix qui a dominé les discussions lors de la visite de Xi Jinping à Moscou, au mois de mars. Au départ (du moins dans les discours diplomatiques), il a reçu l’approbation du Kremlin, bien qu’il soit clair dans la presse russe que Xi mettait la pression sur Poutine en coulisses.
Des accords économiques ont été signés dans le cadre de la stratégie adoptée pour la première fois en 2019, visant à intensifier le commerce bilatéral jusqu’à 200 milliards de dollars par an d’ici 2024. Cet objectif pourrait d’ailleurs être dépassé cette année, en grande partie parce que le gazoduc « Siberia 1 » a atteint sa pleine capacité, combinée l’augmentation des prix de l’énergie. Agathe Demarais de l’Economist Intelligence Unit suggère cependant qu’« il est probable qu’après la croissance observée l’an dernier, les exportations d’énergie de la Russie vers la Chine aient atteint un plateau. Pékin fait en effet attention à ne pas trop dépendre d’un seul fournisseur d’énergie ». Lors de sa visite à Moscou, Xi a refusé de signer le projet de gazoduc « Power of Siberia 2 » qui aurait permis à la Chine d’acheter davantage de gaz de la Russie, expliquant ne pas vouloir « accroitre sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs russes ». À la place, la Chine envisage plutôt un nouvel oléoduc à partir du Turkménistan.
Selon le journal d’affaires russe « Vedemosti », la visite de suivi du Premier ministre russe Michoustine à Pékin a été remarquable pour la manière dont les Chinois n’ont montré aucun intérêt à fournir la moindre aide économique concrète. À la suite de cette visite, la Banque de Chine a informé plusieurs banques russes qu’elle ne traitera plus les transactions internationales en provenance de la Russie.
Il est évident que le Kremlin ressent la pression. Xi a suivi sa visite à Moscou par un appel téléphonique à Zelensky à la fin du mois d’avril. Après quoi, la Chine, l’Inde et le Brésil ont tous trois modifié leur attitude à l’ONU pour soutenir une nouvelle résolution dans laquelle était mentionnée « l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine ». La télévision publique russe a donc commencé à se plaindre de trahison : « Camarade Xi Jinping, pourquoi donc êtes-vous venu à Moscou ? Pourquoi avoir passé trois jours ici, interrompant le travail de M. Poutine ? »
Zelensky a décrit l’appel téléphonique qu’il a eu avec Xi Jinping comme « un fort stimulus pour le développement des relations entre nos deux États ». Il s’est déclaré ouvert à certaines parties du plan de la Chine, à condition qu’elles soient interprétées comme signifiant que la Russie se retire de tous les territoires occupés. D’après Xi, l’Ukraine est un « partenaire stratégique » de la Chine, la Chine étant d’ailleurs le plus important partenaire commercial de l’Ukraine. Zelensky a accepté d’envoyer un ambassadeur en Chine, et la Chine a envoyé des diplomates à Kyïv pour y travailler sur le plan de paix.
De leur côté, les États-Unis expriment leur colère face à la volonté apparente de certains dirigeants européens (suivant l’exemple de Macron), d’encourager les démarches entreprises par la Chine. Le chancelier allemand Olaf Sholtz, le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez et d’autres personnalités européennes ont visité Pékin ; la Première ministre italienne Giorgia Meloni en Italie prévoit elle aussi de s’y rendre. La Chine veut briser l’alliance entre l’Union européenne et les États-Unis. De son côté, Macron se dit préoccupé que l’UE ne devienne trop subordonnée à la Maison-Blanche. Il a dit vouloir travailler avec la Chine pour élaborer une proposition.
La manière dont la Chine exerce sa pression sur le Kremlin, ainsi que les actions menées par différents pays européens, démontrent que bien qu’il existe une dynamique claire vers la polarisation du monde en deux blocs impérialistes (tendance accélérée par la guerre, et qui va se poursuivre), il existe des tensions importantes au sein de ces blocs, qui grandissent au fur et à mesure que les dirigeants des différents pays s’inquiètent de ce que leurs propres intérêts économiques et géopolitiques pourraient être lésés.
Les discussions autour du plan chinois suggèrent qu’une certaine forme de « garantie de sécurité » pour l’Ukraine, fournie par la France, l’Allemagne et la Chine, pourrait être considérée comme le début d’un éventuel accord à l’avenir.
Il est toutefois beaucoup trop tôt pour envisager un règlement négocié à ce stade. Si l’offensive ukrainienne visant à prendre le pont terrestre permet d’aboutir rapidement à une déroute des forces russes, le Kremlin pourrait se retrouver pris de panique et contraint à mener des pourparlers. Mais la population ukrainienne pourrait ne toujours pas tolérer l’annexion du Donbass et de la Crimée. Si l’offensive devait en revanche durer plusieurs mois, la lassitude face à la guerre pourrait croître tant en Ukraine que parmi les soutiens occidentaux de Zelensky. L’humeur pourrait alors se faire plus propice à des négociations.
Mais l’expérience des années 2014 à 2022 en Ukraine, tout comme dans de nombreux autres pays, montre que les accords négociés sous la tutelle des puissances impérialistes ne peuvent mener à la moindre solution à long terme. Dès le tout premier jour, ASI s’est opposée à la guerre et a défendu le droit des Ukrainiens et des Ukrainiennes de décider de leur propre avenir et de le défendre. Nous exigeons le retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine, des troupes impérialistes occidentales d’Europe de l’Est, et la dissolution de tous les blocs militaires tels que l’OTAN. Cependant, même si l’Ukraine réussissait à atteindre ses objectifs militaires et à chasser toutes les troupes russes hors de son territire, il est évident que sur la base du système capitaliste actuel, et tandis que la nouvelle guerre froide s’intensifie, l’indépendance de l’Ukraine ne pourra être garantie de façon durable, stable et pacifique.
Comme ASI l’écrivait dans sa déclaration du 24/02/2022 : « Nous ne pouvons pas compter sur les institutions impérialistes ou les machines de guerre pour amener la paix, et encore moins la prospérité… Nous ne devons pas faire confiance à ces organes impérialistes. Toute solution « diplomatique » convenue entre eux, même si elle sera initialement saluée par les peuples du monde entier, se fera au détriment des populations ordinaires et ne fera que préparer le terrain pour de nouvelles tensions et confrontations.
De ce fait, il est d’autant plus important que les socialistes et la classe ouvrière d’Ukraine, de Russie et du monde entier mettent sur pied des campagnes de masse pour édifier des alternatives fortes aux gouvernements impérialistes et capitalistes partout où ils existent, s’appuyant sur une forte solidarité ouvrière internationale pour renverser le système capitaliste, le système qui provoque la guerre, la pauvreté, les changements climatiques et l’oppression nationale, afin de le remplacer par une fédération mondiale d’États socialistes véritablement démocratiques.