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Category: Amérique Latine
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Venezuela : Lancement du “Conseil populaire révolutionnaire” à Caracas
La situation au Venezuela
Le “Consejo Popular Revolucionario” (CPR, Conseil populaire révolutionnaire) est une nouvelle coalition autonome révolutionnaire regroupant environ 30 organisations révolutionnaires, des mouvements sociaux, des collectifs et des groupes militants, qui a été fondé en réaction à la situation critique qui est en train de se développer aujourd’hui au Venezuela. Jamais n’a été aussi claire jusqu’à présent la nécessité de construire une organisation révolutionnaire non seulement pour triompher de la nouvelle offensive de droite, mais également pour défendre les acquis du “Processus bolivarien” (mouvement d’émancipation nationale lancé par feu le président Chávez dans les années ‘2000) et pour les faire progresser vers le socialisme révolutionnaire. Lors du congrès de lancement de cette organisation, à laquelle plus de 100 personnes étaient présentes, de nombreux militants ont parlé du caractère critique de la situation, qui nous force à prendre des mesures décisives et courageuses dans le cadre de cette crise.
Jusqu’à présent, 28 personnes ont été officiellement tuées au cours des manifestations qui se sont répandues dans le pays depuis le mois dernier. Dans certaines régions comme Táchira, Zulia et Merida, on voit l’infiltration de groupes paramilitaires de droite envoyés par le gouvernement colombien de M. Uribe ainsi que de rebelles pro-impérialistes, avec la militarisation partielle de ces régions par les FANB, Forces armées nationales bolivariennes ; cela confère donc à la situation un air de début de guerre civile.
Les militants qui ont pris la parole lors de l’assemblée nous ont décrit la situation dans les villes de la région de Táchira qui sont maintenant tombées entre les mains des rebelles. Les rebelles exigent de leur payer des prix exorbitants pour avoir accès au gaz, à l’eau ou à la nourriture, tous ces produits de base étant devenus extrêmement rares. Dans de nombreuses zones, les rebelles ont élevés des barrages ; les transports ne passent plus, c’est la vie de tous les jours qui est paralysée. Selon nos camarades, les rues sont vides à partir de 5 heures du soir car les habitants ont peur de sortir de chez eux.
C’est la même situation dans le Merida, où la peur règne depuis la mort d’une étudiante chilienne, Giselle Rubilar. Elle faisait partie d’un groupe d’habitants qui ont tenté de dégager un barrage tenu par des étudiants de droite, et c’est là qu’elle a été tuée, abattue par balles. Dans la région de Carabobo, trois personnes ont été abattues le 12 mars lors de manifestations d’étudiants de droite, qui voulaient ainsi “commémorer” un mois depuis le début de leur mouvement anti-chaviste. À Caracas, deux personnes ont été abattues par un sniper lors d’une bagarre entre le syndicat des taxi-motos et des manifestants de droite dans un quartier riche. Tout cela rappelle ce qui s’est passé avant le coup d’État de 2002. À ce moment-là, on voyait des rebelles exécuter des gens au hasard dans les rues, dans le but de créer un climat de terreur et d’instabilité partout dans le pays.
Les risques d’un accroissement des violences est bien réel ; la droite exerce une réelle pression, soutenue par l’impérialisme américain, qui vise à renverser le gouvernement Maduro et le “chavisme”. Tous les révolutionnaires du Venezuela en sont bien conscients. Ce renversement pourrait adopter diverses formes – nous n’allons sans doute pas connaitre la même situation qu’en 2002, qui était un coup d’État avec le soutien d’une partie de l’armée. Face à la spirale de la violence, la crise économique qui continue, où on voit un plan conscient de la part d’une partie de l’extrême-droite de saboter le pays, et où la droite modérée s’avère capable d’attirer à elle une partie de la classe ouvrière et des pauvres, on pourrait voir un accord de “transition” et la convocation de nouvelles élections.
Le gouvernement n’a jusqu’ici pas fait grand-chose pour éviter cela. Le gouvernement s’est contenté d’appeler à la paix, à la réconciliation et à la négociation, tout en appellent les travailleurs et les pauvres à se mobiliser pour contrer la droite. Lors des dernières semaines, tout en critiquant et en rejetant les offres de “médiation” de la part de l’impérialisme – ce qui est correct –, et en réagissant vertement aux attaques scandaleuses et hypocrites de la part du gouvernement Obama, le gouvernement Maduro a en même temps continué à inviter les dirigeants de la droite à venir au palais présidentiel discuter avec lui ; il a même dit que si les dirigeants étudiants de droite venaient, il les embrasserait ! Il dit également qu’il ne les laissera pas vaincre sa “révolution chrétienne-humaniste”.
Une telle “transition” ne peut signifier que la défaite de la gauche révolutionnaire et des travailleurs et des pauvres, sur le plan national comme international. Notre coalition, le CPR, défend les acquis des 15 dernières années et l’héritage de Chávez, mais nous disons qu’il faudra bien plus que des discussions et des négociations pour vaincre la droite – notre tâche urgente est en réalité de construire une organisation et d’aller vers le socialisme révolutionnaire.
Les organisations et les individus qui participent au CPR ne sont pas les seuls dans le pays qui ressentent le besoin d’action ; il faut prendre des mesures pour unifier ces forces. Nous, Socialismo Revolucionario, section vénézuélienne du CIO, appelons l’ensemble des organisations de gauche et révolutionnaires, ainsi que tous les représentants élus de gauche et les syndicats du monde entier, à envoyer des messages de solidarité afin d’exprimer votre soutien au CPR et à la lutte contre la nouvelle offensive de droite.
Vous pouvez écrire en anglais ou espagnol à l’adresse socialismo.rev.venezuela@gmail.com.
Les partisans de notre initiative au niveau international doivent aussi être avertis du fait que l’administration Obama parle de “sanctions” contre notre pays, et qu’il faudra sans doute organiser des actions devant les ambassades pour protester contre les attaques de l’impérialisme, afin de défendre les acquis du Processus bolivarien et de soutenir les mouvements révolutionnaires dans ce pays qui luttent pour le socialisme.
La première assemblée du CPR a voté la déclaration suivante :
1) Nous considérons que les récents évènements dans notre pays ont pour but de créer les conditions d’un conflit au Venezuela et mettent ainsi en danger l’État vénézuélien ainsi que les forces armées et l’intégrité de notre nation.
2) Le point de départ de ce conflit a été l’invasion de forces paramillitaires venues de Colombie, soutenues par le gouvernement Obama et par l’ex-président de Colombie M. Uribe, alliés à l’aile droite réactionnaire au sein de l’alliance vénézuélienne “Mesa de Unidad” (Table de l’unité), c’est-à-dire les partis Primera Justicia et Voluntad Popular – toutes ces forces contrôlant à présent la région de Táchira. Ces forces tentent à présent d’envahir les régions de Merida et de Zulia puis de poursuivre vers l’Est en direction de Caracas afin d’y semer le chaos sous la forme de barrages et de pénuries de nourriture et de biens de nécessité. Leur action a pour but de créer un climat favorisant le renversement (sous la forme d’un coup ou d’une “transition”) du gouvernement Maduro et du chavisme, ce qui, dans le contexte actuel, pourrait nous mener à la guerre civile.
3) Vu cette menace, nous devons unir l’ensemble des forces populaires, progressistes, patriotiques et révolutionnaires avec pour objectif la restauration de notre intégrité territoriale nationale, via des Comités intégrés de défense populaire dans chaque région, dans chaque ville, dans chaque quartier, dans chaque zone industrielle, sur chaque usine, entreprise, marché, école ou université.
4) Nous appelons l’ensemble des forces progressistes et révolutionnaires à se réunir et à s’organiser en conseils populaires afin d’organiser des Comités de défense dont les deux objectifs doivent être : le contrôle de la production et de la distribution de nourriture par les citoyens eux-mêmes, ainsi que le contrôle par les citoyens des services publics (santé, transport, gaz, eau, électricité, enseignement).
5) Nous voulons un dialogue avec l’ensemble de la population, y compris parmi les classes moyennes, qui est opposée à abandonner la souveraineté du Venezuela aux forces impérialistes sous la houlette de Uribe ou par un éventuel gouvernement de droite qui serait soutenu par ces éléments.
6) Nous appelons à une action révolutionnaire nationale de masse afin de libérer les régions de Merida, Zulia, Táchira du contrôle des rebelles de droite par la mise en place de Comités de défense. Ce mouvement doit être entamé par des manifestations et actions dans chaque ville, grande ou petite, à compter du dimanche 13 avril et qui culmineront avec une assemblée populaire de masse à San Cristobal, chef-lieu de la région de Táchira, le samedi 19 avril.
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Venezuela : Analyse des évènements du 12 février
Par Gabriela Sanchez, Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)
Ce 12 février, trois personnes ont été tuées à Caracas (deux partisans de droite et un partisan du gouvernement), tandis que des douzaines d’autres ont été blessées et arrêtées au cours de manifestations qui ont pris place dans tout le Venezuela afin de célébrer la ‘‘Journée de la Jeunesse’’, qui se déroule tous les ans.
Beaucoup d’images ont émergé ces derniers jours semblant démontrer la responsabilité des agents de la SEBIN (les Services Secrets Bolivariens) dans la mort de ces 3 manifestants. Les rumeurs abondent concernant l’infiltration d’agents provocateurs. Après le 12 février, les manifestations ont été quotidiennes, tant de la part de la droite que de la part du gouvernement. S’il est normal qu’il y ait des défilés séparés des partisans du gouvernement et de l’opposition de droite, la violence générée, essentiellement par l’aile droite réactionnaire, marque pourtant une nouvelle phase cruciale dans le processus bolivarien.
Maduro a qualifié ces manifestations de coup d’Etat rampant et nombreux sont ceux qui, à gauche, ont comparé ces événements à ceux du coup d’Etat intenté contre Chavez en 2002. Un mandat d’arrêt a été délivré contre Leopoldo Lopez (un dirigeant de la droite réactionnaire impliqué dans le coup d’Etat de 2002). D’un autre côté, l’aile droite a essayé de présenter cette lutte comme un combat pour la ‘‘libération’’ d’une ‘‘dictature’’ responsable de tous les maux du monde dont l’inflation, le crime et la corruption.
Certains dirigeants de droite ont déclaré que les manifestations étaient des mobilisations ‘‘populaires’’ représentant la majorité des Vénézuéliens. Quelques groupes de gauche ont même dit que ces manifestations sont représentatives du ‘‘mécontentement’’ général et légitime qui existe parmi toutes les couches de la société. L’un de ces groupes a même été jusqu’à appeler à la constitution d’un front uni des diverses couches concernées dans un combat pour un gouvernement des travailleurs, sans prendre en compte le fait que les raisons pour lesquelles se mobilisent chacune des classes sont complètement différentes.
Ces dernières années, il y a eu des centaines de manifestations, sur les questions du logement, du crime, ou pour l’obtention de contrats de travail collectifs par exemple. Nous avons également connu des occupations d’usine ainsi que des appels lancés par des travailleurs au gouvernement pour nationaliser les usines et en donner le contrôle et la gestion aux travailleurs eux-mêmes. Beaucoup de ces actions ont été rapportées sur notre site et sur ceux du Comité pour une Internationale Ouvrière. Mais ces manifestations et les objectifs visés par les participants de ces mobilisations diffèrent nettement de ceux des évènements du 12 février.
Parmi la gauche, tant au Venezuela que dans le reste du monde, les avis divergent quant à la position que doivent adopter les révolutionnaires et de la marche à suivre concernant la menace de la droite.
Un autre coup d’Etat?
Le 16 février, dans un discours à la nation, Maduro a affirmé que la droite comprend actuellement deux camps, l’un cachant son soutien aux récentes manifestations et essayant de se présenter comme démocratique alors que l’autre soutient ouvertement l’idée d’un coup d’Etat appuyé par les USA contre le gouvernement. Même si aucune illusion ne doit être entretenue concernant le rôle de l’impérialisme américain, d’importantes différences existent entre ce qui se déroule actuellement et ce qu’il s’est produit en 2002, en particulier au sujet de la droite et de ses partisans ainsi que des militaires.
La droite a mis des années à se regrouper après des années de défaites et l’échec du coup d’Etat et du sabotage économique. Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a été capable de ‘‘s’unir’’ pour présenter un candidat commun aux élections présidentielles, Capriles Radonski, contre Chavez. Les dirigeants de droite ont changé de tactique et ont commencé à instrumentaliser les thèmes qui touchent la classe des travailleurs et les pauvres auxquels le gouvernement ne répond pas, comme le logement, le crime et l’aggravation de la situation économique.
Même si la droite a perdu les élections, elle a tout de même obtenu plus de 6 millions de voix et elle a déclaré qu’elle continuerait à se battre ‘‘démocratiquement’’ pour tous les Vénézuéliens. Les élections présidentielles suivantes, en avril 2013, ont livré un résultat où la différence entre Capriles et Maduro n’était que de 200.000 votes. Ce suffrage a été contesté par la droite et les tactiques employées ont commencé à diverger en son sein. On trouve d’un côté Capriles le ‘‘démocrate’’ et Leopoldo Lopez et Maria Carolina Machado, plus réactionnaires, de l’autre.
Cette division est devenue plus claire au cours de ces derniers mois et Lopez et Machado ont appelé à participer à différentes manifestations, le pont culminant ayant été atteint le 12 février au cours de cette manifestation appelée ‘‘la Sortie’’ (c’est-à-dire la sortie du régime). Même des partisans de la droite ont écrit dans les journaux que ces méthodes allaient aboutir à une nouvelle chute du soutien pour la droite et qu’il fallait tirer les leçons du coup d’Etat de 2002 et de ses conséquences.
La droite plus modérée a cherché à se distancier des manifestations menées par un petit groupe d’étudiants ayant visé les bureaux du gouvernement ainsi que des bâtiments et propriétés publics. De manière très ironique, ces étudiants nantis ont choisi de mener leurs actions dans leur propre quartier, en dérangeant ainsi leur propre classe sociale plus que quiconque. Par la suite, nombreux ont été ceux qui ont déclaré qu’il s’agissait de l’œuvre d’agents infiltrés, mais étant donné que ces manifestations ont eu lieu 5 soirs d’affilée, il serait naïf de croire que les ‘‘infiltrés’’ auraient pu continuer à organiser ainsi leurs actions à un tel niveau.
Mais même les manifestations quotidiennes de centaines d’étudiants sur la place principale d’Altamira (une banlieue de Caracas habitée par la classe moyenne supérieure) n’ont pas bénéficié du soutien de la majorité des habitants. Quant au défilé du dimanche pour la ‘‘paix’’ et la libération d’étudiants emprisonnés, à l’instigation de la droite, si elle a pu attirer des milliers de personnes, le soutien au secteur le plus réactionnaire était très limité, contrairement aux manifestations massives organisées par la droite à la veille du coup d’Etat de 2002. En ce temps-là, une manifestation organisée Place d’Altamira était systématiquement massive.
Bien entendu, les événements peuvent rapidement changer une situation et nous devons en être conscients. L’arrestation de Lopez et la répression des petites manifestations étudiantes nocturnes peuvent conduire de plus larges couches de la droite à soutenir des mesures plus réactionnaires. De prochaines actions et manifestations de plus grande ampleur sont de l’ordre du possible, mais elles resteront le plus probablement cantonnées aux mêmes quartiers déjà gouvernés par la droite.
L’autre différence majeure avec le coup d’Etat de 2002 est le rôle joué par les militaires. En 2002, la droite bénéficiait encore du soutien d’une partie de l’armée mais, depuis lors, le chavisme a consolidé son soutien de diverses manières. En ce moment, l’armée soutient le gouvernement dans sa grande majorité et il est probable qu’aucune défection ne soit tolérée au sein des forces armées.
Manifestation, mécontentement et classe sociale
Ce n’est pas un secret, le mécontentement est important au sein de la société vénézuélienne au sujet de bon nombre de questions parmi lesquelles l’économie, le crime et le logement pour ne citer que celles-là. Nous trouvons cette colère on ne peut plus légitime, mais il existe une différence très marquée entre la manière dont ces sujets sont perçus par les différentes classes sociales dans la société ainsi qu’entre leurs revendications. L’impact de la crise économique que vit le pays, par exemple, a un énorme impact sur la classe des travailleurs et les pauvres, bien plus que sur la classe moyenne et la bourgeoisie.
Comme en tout temps de crise capitaliste, la classe ouvrière et les pauvres sont les plus touchés. Aujourd’hui, la majorité des Vénézuéliens lutte pour être capable de joindre les deux bouts. Le salaire minimum mensuel, même s’il augmente chaque année, n’est toujours pas à hauteur du taux d’inflation (officiellement de 56% en 2013 contre une augmentation du salaire minimum de 45%). Cette inflation affecte tout, du papier toilette aux uniformes scolaires, et est en réalité beaucoup plus élevée concernant les biens de première nécessité et la nourriture, qui ne sont pas régulés par l’Etat, qui régule à peu près tout sauf les produits de base.
Même si les réformes impulsées par en-bas sous Chavez ont été progressistes et ont conduit à une gigantesque chute de la pauvreté dans le pays, le chavisme a échoué à rompre avec le capitalisme. Les réformes sont donc très vulnérables, en particulier dans un pays reposant presqu’uniquement sur l’exportation de pétrole. Les effets de la crise mondiale se sont durement faits ressentir lorsque le cours du pétrole a plongé de 50%. Nous avons alors assisté à des coupes budgétaires dans le financement de plusieurs réformes qui avaient été acquises de haute lutte. Il est évident que les coupes budgétaires dans les missions sociales et la santé ont plus gravement frappé les plus pauvres. Aujourd’hui, ces derniers font la queue dès l’aurore, jour après jour, pour avoir accès aux soins de santé gratuits alors que, dans les quartiers riches de la capitale, un service vétérinaire itinérant gratuit va soigner les animaux domestiques des riches grâce au financement du gouvernement, ancré à droite.
Les étudiants pauvres n’ont la plupart du temps pas assez de professeurs pour leur donner cours dans toutes les matières et les places manquent dans les universités publiques. Ce sont les adolescentes des barrios et des régions rurales qui ont le plus de probabilité de tomber enceintes et donc de laisser tomber l’école : le Venezuela a le plus fort taux d’adolescentes enceintes en Amérique Latine. Elles ont aussi le plus de chances de vivre dans des logements insalubres.
La classe ouvrière et les pauvres constituent la majorité des Vénézuéliens et, malgré un important déclin du soutien au gouvernement, cette majorité sait qu’un retour de la droite ne va pas améliorer leur situation.
Le processus bolivarien a laissé ses traces, et la classe des travailleurs est bien consciente qu’un retour de la droite ne changera rien à toutes ces questions. Beaucoup de gens sont bien conscients que ce qu’il faut, c’est une réelle révolution. Même si la définition de ce que représentent le socialisme et la révolution reste confuse parmi les masses, ces aspirations restent profondément présentes. Ce qu’il manque, c’est une organisation capable de les développer en revendications.
Les couches les plus avancées de la classe ouvrière protestent avec raison contre la bureaucratie, la corruption, les éléments contre-révolutionnaires au sein du gouvernement ainsi que contre la répression des grèves et des droits des travailleurs entre autres contradictions inhérentes au chavisme. Même si les revendications spécifiques peuvent varier en fonction du lieu de travail et du degré de combativité, la plupart des travailleurs s’accorderaient avec la revendication du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière, avec la construction d’une réelle représentation de la classe des travailleurs ainsi qu’avec la défense des droits syndicaux, du droit de s’organiser et de faire grève. La minorité qui a manifesté ces dernières semaines ne partage très clairement pas ces revendications, elle ne partage pas les mêmes intérêts, elle ne fait pas face aux même difficultés quotidiennes.
Les images d’étudiants manifestant et de nombre de leurs actions pourraient facilement être prises pour des images de jeunes en Grèce, en Espagne et dans beaucoup de pays qui luttent contre la féroce austérité capitaliste. Mais les étudiants au Venezuela ne subissent pas un chômage de 60%, ne connaissent pas de gigantesques coupes budgétaires dans l’enseignement et ne sont pas confrontés une vie misérable. Ces étudiants font partie des privilégiés de la société vénézuélienne. Ils étudient dans les meilleures écoles et universités privées, conduisent des voitures ou des motos de luxe et, pas toujours mais très souvent, ont la possibilité de partir en vacances à l’étranger.
Le Venezuela est l’un des pays les plus violents au monde et la droite a raison de dire qu’il faut s’y attaquer. Les travailleurs le disent eux aussi. Mais aborder la question de la criminalité nécessite de se confronter aux inégalités inhérentes au capitalisme. La criminalité ne sera pas résolue sous un gouvernement de droite qui refusera de s’en prendre aux racines du mal.
Aucune forme de coup d’État ne sera soutenue par la majorité des Vénézuéliens ni ne sera tolérée par eux. La menace de la droite fera descendre les pauvres et la classe des travailleurs dans la rue pour soutenir le gouvernement s’il n’existe aucune autre alternative. Pour les révolutionnaires, la question-clé est de savoir comment intervenir pour mettre en avant un programme combatif orienté vers le socialisme, sans laisser se laisser emporter par un soutien sans critique au chavisme ou par des revendications de paix entre les classes, une idée vide de sens.
Les rassemblements pour la paix
La droite tout comme le gouvernement ont manifesté pour ‘‘la paix’’ après les événements du 12 février. Maduro a publiquement invité Capriles à le rencontrer pour parler des manifestations et pour trouver ensemble une issue à la crise. Cette approche basée sur une réconciliation avec la droite n’est pas une nouveauté pour le chavisme.
A la suite des tumultueux événements de 2002, Chavez avait appelé la population à rentrer chez elle. Plutôt que d’appeler à la constitution de comités sous l’impulsion des travailleurs et des autres couches de la société pour enquêter sur le coup d’Etat, il a déclaré que tous les Vénézuéliens avaient besoin de travailler ensemble et d’oublier ! Les événements qui ont suivi le coup et la pression de la base ont poussé le chavisme à se radicaliser en différents moments, mais des tentatives de lier alliance avec des couches de la bourgeoisie on systématiquement été faites.
L’élection de Maduro en avril dernier n’a pas donné lieu à des meetings de masse des travailleurs et des pauvres afin de discuter de la manière d’organiser le changement de société. Maduro a par contre convoqué une réunion avec le chef de la famille Mendoza, une des familles les plus riches et puissantes du pays. En résumé, l’entreprise familiale Polar a reçu l’assurance de pouvoir continuer à s’enrichir sans entraves du gouvernement, sa production et l’importation de nourriture qui s’effectue par son intermédiaire recevant même l’aide du gouvernement. Polar a également reçu la gestion de diverses grandes usines précédemment expropriées.Les rassemblements ‘‘pour la paix’’ sont des moyens pour le gouvernement de chercher du soutien parmi toutes les couches de la société et d’éviter d’être poussé à des actions plus radicales. A certains moments, comme nous l’avons déjà vu au cours du processus bolivarien, le gouvernement va réagir à la pression par en-bas. Cette pression n’a cependant pas encore permis la nationalisation de l’économie dans son ensemble, le secteur bancaire par exemple, et encore moins l’implantation d’une économie planifiée.
Quelles perspectives ?
Les perspectives sont aujourd’hui très ouvertes. La situation actuelle est en mouvement et la façon dont les choses vont se jouer dépend de nombreux facteurs. La répression d’Etat contre les manifestations pourrait conduire à une augmentation du soutien de l’aile droite et à un sentiment plus favorable pour des actions radicales de sa part. Au lendemain du 12 février, Maduro a déclaré que toute manifestation qui n’avait pas reçu d’autorisation était illégale et que l’Etat s’en occuperait. Nous devons nous opposer à toute mesure du gouvernement pour restreindre le droit à manifester, car ces mesures peuvent être utilisées contre les travailleurs et les pauvres, ce qui a d’ailleurs déjà été le cas.
Le retour de la droite serait une défaite pour les socialistes du monde entier. Ce dont nous avons besoin pour y faire barrage, c’est d’un mouvement de masse de la classe des travailleurs et des pauvres, unis sous un programme de lutte pour le socialisme. Un tel mouvement peut gagner à sa cause une partie de la classe moyenne, qui joue aussi un rôle historiquement important dans la révolution.
Un appel à un front uni de la gauche comme première étape en cette direction ne pourrait pas être plus approprié qu’aujourd’hui. Un front de gauche lierait ensemble les revendications des travailleurs et des pauvres et devrait, par la discussion et le débat démocratique au niveau national, développer un programme destiné à aboutir à changement révolutionnaire de société.
Un tel programme devrait se baser sur la rupture avec le système capitaliste et pour une économie démocratiquement planifiée, avec la nationalisation totale du secteur bancaire et des secteurs-clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Le pouvoir devrait être donné aux conseils locaux et au peuple organisé en leur sein, avec l’élection de dirigeants élus, révocables à tous moments et ne bénéficiant d’aucun privilège, avec notamment un salaire équivalent à celui d’un travailleur qualifié.
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Cuba : De nouvelles luttes pour de vieux défis
En décembre dernier s’est tenue une réunion du Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL/LSP constitue la section belge. Un représentant d’un collectif cubain, Obseratorio Critico (Observatoire critique), était également présent. Voici ci-dessous l’intervention qu’il a faite à cette réunion au sujet de la situation cubaine.
Prise de parole de Rogelio M. Díaz Moreno (Observatorio Critico) lors de la réunion internationale du CIO
Les conquêtes de la révolution
Nous savons combien il est difficile de transmettre la complexe et intéressante réalité qui y existe. La fin du soi-disant camp socialiste a coûté à Cuba plus de 80% de ses marchés et de ses subventions soviétiques. En plus de cela, l’agression impérialiste du gouvernement américain s’est accrue, le blocus économique s’est intensifié et le financement des groupes d’opposition de droite a augmenté de plusieurs millions de dollars. En outre, l’activité des groupes promouvant des actes terroristes dans mon pays est toujours tolérée sur le territoire des USA. L’ingérence impérialiste des USA a été et sera un facteur crucial dans le cas de Cuba, car elle alimente les tendances réactionnaires et conservatrices du gouvernement cubain actuel, qui utilise cela comme prétexte pour harceler les forces de gauche, socialistes et indépendantes de sa bureaucratie.
Rappelons que lors du triomphe de la Révolution, les forces victorieuses fusionnèrent dans un parti unifié sur base des mouvements qui dirigèrent la lutte. Fondamentalement, il s’agissait des mouvements interclassistes du Mouvement du 26 juillet et du Directoire révolutionnaire, ainsi que du Parti communiste de nature stalinienne, cela avec l’appui décisif de la paysannerie.
Le programme initial de ce parti n’était pas socialiste, bien que progressiste du point de vue nationaliste bourgeois. La réforme agraire était son drapeau principal. Mais la lutte de classe qui a suivi a radicalisé et polarisé la politique du moment. La réforme agraire, la nationalisation des entreprises, la campagne d’alphabétisation, l’intégration de la population dans des organes de défense de la révolution, la transition vers une économie planifiée excluant l’économie de marché, et un fort investissement social, parmi d’autres politiques, ont permis la transformation de l’État, même s’il manquait les éléments de contrôle et de démocratie ouvriers. Ainsi, ce système, assorti des subventions soviétiques, a permis de sortir de la situation de pauvreté atroce antérieure à la révolution, pour arriver à une société d’un bien plus grand développement humain. Mais c’est 30 ans plus tard, quand le Mur de Berlin est tombé, que la plus grande épreuve que le socialisme cubain a eu à traverser commença.
Après la chute du Mur de Berlin
Dans les années qui ont suivi, le gouvernement a pu continuer à s’enorgueillir de sa capacité gigantesque à pouvoir mobiliser des manifestations en sa faveur. Cependant, il y a eu recours à des moyens de pression sur les manifestants et la corruption a sévi parmi les organisateurs.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’émigration d’environ un demi-million de Cubains au cours des 20 dernières années. De plus, après des décennies d’une politique qui s’est effectuée sans contrôle et sans mesures démocratiques pour participer aux prises de décisions de la politique nationale, un fossé insurmontable s’est créé entre la direction et les travailleurs. Le discrédit de l’idéologie soviétique a laissé un vide dans les rues cubaines, rapidement occupées par la philosophie symbolisée par la ville de Miami.
Cette philosophie est basée sur le fait de considérer la prospérité comme synonyme de consommation et le prestige personnel et social comme étant réduit à pouvoir montrer aux autres son haut niveau de vie. Chez beaucoup, cela a naturellement engendré une grande frustration ainsi qu’une tendance à recourir au crime pour satisfaire ces besoins. Cela a également été alimenté par les élites bureaucratiques corrompues, qui adoptent ouvertement ce mode de vie, loin des idéaux de la rigueur socialiste dont le paradigme le plus mémorable est la figure disparue d’Ernesto Che Guevara.
La politique économique du gouvernement n’a été capable que de stimuler cette mentalité de consommation, dans le cadre de sa tentative désespérée de s’attirer des devises convertibles. Les politiques sociales les plus importantes sont néanmoins restées, comme la sécurité d’emploi, le maintien de services d’enseignement, de santé et de sécurité sociale universelle. Cela a contribué à conserver le régime au pouvoir, même si, dans le même temps, les Cubains ont souffert de graves pénuries de produits alimentaires et industriels, de pannes de courant, etc.
Le modèle chinois ?
Nous pouvons aujourd’hui contempler la dérive lente, mais déterminée, vers une transition qui rappelle le modèle chinois : un système d’économie de marché sous le contrôle strict d’une force politique bureaucratique et autoritaire. Nous n’avons pas encore atteint ce point, mais l’ouverture au petit capitalisme national et au grand capital transnational qui se produit actuellement, en plus des coupes budgétaires dans les politiques sociales et dans les droits des travailleurs, nous incline à nous attendre à un tel développement.
La première fois qu’a été soulevé à Cuba le licenciement de près d’un million de travailleurs, il n’y a eu aucune résistance de la part de direction de la CTC, la centrale syndicale. Mais au niveau de la base, les travailleurs sont en ébullition. Toutefois, sans organisation consciente, le mécontentement en est resté au niveau individuel, même s’il s’agit d’une multitude d’individus. Cette colère a malgré tout convaincu le gouvernement de temporiser les choses et d’accorder des concessions.
Un nouveau code du travail
Les inégalités et le mécontentement s’intensifient, ainsi que les tendances individualistes et aliénantes. La dernière étape de ce processus est caractérisée par l’introduction d’un nouveau projet de Code du travail qui actualise certains principes de l’ancien code devenu ‘’obsolète’’, tel que le droit et le devoir de chaque citoyen d’avoir un travail. C’en sera donc fini de la sécurité d’emploi pour les travailleurs. Ils pourront, en effet, être licenciés plus facilement avec seulement la petite promesse de chercher des alternatives à l’employé congédié. Le syndicat conservera le droit d’émettre une opinion dans certains cas.
Voilà la situation dans le domaine de l’économie publique. Dans la sphère privée, la nouvelle classe émergente de capitalistes aura d’énormes possibilités pour exploiter ses employés. Nous n’avons trouvé aucun moyen de défense efficace des travailleurs dans ce secteur, concernant les droits minimaux, tels que les heures de travail, le salaire minimum, les vacances, les droits parentaux, les contrats de négociation collective, la défense contre la discrimination sur des critères de race, de genre ou d’orientation sexuelle. (Quelques jours plus tard, le Code a été adopté et il est supposé qu’il donnera des moyens de défense, au moins en théorie. Il reste à voir comment ils seront appliqués dans la pratique, NDT).
Solidarité internationale
Il faut saisir toutes les occasions pour dénoncer la bureaucratie qui insiste pour se présenter comme de véritables partisans du socialisme et de la souveraineté nationale, tout en vendant le pays par petits morceaux aux capitalistes locaux et internationaux. Il faut continuer à rappeler à tous que chaque citoyen a le droit d’être protagoniste de ses conditions et de la transformation de sa propre vie. Il faut apprendre à récupérer l’exercice de ce droit qui se trouve aujourd’hui dans les mains d’une élite appartenant au passé.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus à cette réunion du Comité pour une Internationale Ouvrière et que nous renforçons notre courage et notre espoir. Ici, nous avons testé la force de la solidarité qui peut s’établir entre les socialistes du monde entier.
Nous exprimons notre gratitude pour l’adhésion à notre cause de l’émancipation sur tous les terrains sociaux, contre la domination qui opprime ceux qui travaillent, ceux qui ont la peau noire ou une orientation sexuelle non majoritaire, etc., pour le soutien démontré contre toutes les causes de l’injustice qui existent dans notre pays et contre lesquelles nous ne nous lasserons jamais de combattre.
Au nom de l’Observatoire critique de Cuba et de moi-même, encore une fois, je vous remercie beaucoup.
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École d'été du CIO : Nouvelles révoltes en Amérique latine
La discussion sur l’Amérique latine à l’École d’été du CIO 2013 a été introduite par notre camarade Johan Rivas, militant du CIO au Venezuela dans le groupe Socialismo Revolucionario. Johan a remarqué l’ouverture d’une nouvelle période dans la situation en Amérique latine, au moment où la “Grande Récession” atteint maintenant le continent, surtout vu le début de la crise en Chine. Les répercussions se sont fait sentir sous la forme d’une nouvelle période de lutte de classe et de crise capitaliste à travers toute la région. Une partie de ce processus inclut, selon Johan, une intensification des tensions entre impérialistes et des conflits économiques, avec la lutte d’influence dans la région entre la Chine et les États-Unis. Ce contexte coïncide avec un renouveau de la lutte de classe – comme on l’a vu avec une vague de grèves de masse au Mexique dans le cadre de la lutte contre la privatisation de la compagnie pétrolière d’État, et avec une grève générale en Bolivie.
Rapport de Laura Fitzgerald Socialist Party (CIO-Irlande)
Le Venezuela après Chavez
Johan a expliqué la manière dont le récent décès de Hugo Chavez dans son pays a amené une complication de la situation au Venezuela. D’un côté, l’ère Chavez a vu s’accomplir de nombreuses réformes sociales, l’activation et la politisation des masses. D’un autre côté, les acquis des masses sont aujourd’hui menacés non seulement par l’opposition de droite (malgré toutes les tentatives rusées de cacher son caractère réactionnaire), mais aussi par la bureaucratisation au sein du camp Chavez, par les couches pro-capitalistes de son régime qui se sont enrichies grâce au pouvoir, par la corruption et l’affairisme. Ce processus est maintenant en train de discréditer l’idée de “révolution bolivarienne”.
Après la victoire électorale de Chavez en 2006, après que les masses se soient mobilisées pour faire obstacle à une nouvelle tentative de coup d’État de la droite, Johan a expliqué qu’entre 60 % et 70 % de la population soutenait l’idée de la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, et que 70 % étaient favorables à l’idée de progresser vers le “socialisme”, même si la notion même de ce que signifiait le mot “socialisme” était certainement très floue aux yeux de beaucoup. À présent, en 2013, Johan affirme que la conscience a fortement reculé à cause de la bureaucratisation massive du régime sur lequel s’appuyait Chavez. Cette bureaucratisation s’est produite à la suite de la mise en œuvre de plusieurs contre-réformes, malgré la nature somme toute limitée des réformes qui avaient pu être accomplies grâce à richesse tirée de la nationalisation du pétrole et malgré le fait que ces réformes avaient été mises en œuvre d’une manière qui n’empiétait pas le moins du monde sur les relations économiques capitalistes.
Johan a soulevé la possibilité que les complications issues de toute cette situation pourraient paver la voie à un retour de la droite au pouvoir, qui se produirait très certainement par la voie électorale plutôt que par une nouvelle tentative de coup d’État, bien qu’on ne puisse pas exclure la possibilité d’un tel coup. De tels développements auraient certainement un effet sur les masses du monde néocolonial qui considéraient, jusqu’à un certain point, Chavez et le Venezuela comme une source d’espoir et d’inspiration.
Cependant, il faut également prendre en compte le fait que la droite elle-même est assez divisée, et que cela pourrait entraver ses chances de succès lors des élections municipales de cette année. D’un autre côté, des fissures sont aussi apparues au sein du parti chaviste, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), avec notamment une cassure grandissante entre l’aile militaire et l’aile civile. On le voit notamment avec un certain virage à gauche dans certaines sections PSUV et dans leurs discours un peu partout dans le pays. Johan a expliqué la manière dont CIO au Venezuela utilise une large de gamme dans ses efforts visant à gagner les couches avancées des travailleurs, des pauvres et des jeunes à un programme socialiste révolutionnaire. De telles tactiques incluent un certain élément de travail parmi la base du PSUV, et aussi un travail afin de construire un front uni de la gauche en-dehors du PSUV, tout comme les camarades du CIO se battent pour l’adoption d’un programme révolutionnaire au sein de ce dernier.
Une nouvelle ouverture pour les idées trotskistes quant au destin de Cuba
Johan a ensuite donné un compte-rendu de ce qu’il sait des processus très intéressants qui sont en train de se dérouler en ce moment à Cuba. Raul Castro a adopté toute une série de contre-réformes qui ont orienté l’économie dans une direction capitaliste, mais ce processus est loin d’être complet.
Johan a remarqué à quelle point la jeunesse est la plus en faveur de réformes politiques, tandis que la vieille génération est extrêmement sceptique et vigilante par rapport à ces réformes, vu qu’elle craint ce qui pourrait arriver aux systèmes de santé et d’enseignement cubain, qui sont parmi les meilleurs du monde, et qui représentent les plus importants acquis de la révolution. Johan a également mentionné les réformes au sein du Parti communiste cubain lui-même – les LGBT peuvent maintenant rejoindre le parti et y participer, avec pour conséquence l’élection d’un maire ouvertement LGBT dans une des provinces, une grande première depuis le début de la révolution.
Johan a illustré l’ouverture qui existe quant à une analyse trotskiste du stalinisme, pour un programme qui mentionne la nécessité d’une révolution politique afin de démocratiser l’État et l’économie planifiée, pour le contrôle et la gestion de l’économie par les travailleurs, et pour un changement qui associerait la perspective mondiale d’une remise en question du capitalisme par la classe ouvrière sur le plan mondial, qui puisse véritablement amener la perspective d’une transformation socialiste et démocratique, et du socialisme.
Des explosions convulsives au Brésil
Notre camarade Ricardo Baross Filho, syndicaliste et membre du groupe Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-Brésil) à Rio de Janeiro, a donné la deuxième partie de l’introduction, qui s’est concentrée sur l’explosion convulsive de lutte de masse antigouvernementale que nous avons vu partout au Brésil ces dernières semaines. Ricardo a entamé son commentaire en replaçant le “lulaïsme” en perspective. Lorsqu’il a été élu il y a dix ans, le gouvernement PT (“Parti des travailleurs”) de Lula a donné aux capitalistes une porte de sortie. Malgré son ancien caractère de parti ouvrier, et les immenses espoirs que toute une couche de travailleurs et de pauvres avaient placés en lui, le PT une fois au gouvernement a appliqué une politique néolibérale, caractérisée par un strict équilibre budgétaire, des privatisations (moins que les gouvernements avant lui, mais tout de même), et la corruption.
Tout le succès de ce modèle reposait sur les exportations, surtout de matières premières pour satisfaire la forte demande chinoise.
Ricardo a expliqué la manière dont les améliorations dans la vie de toute une couche de la classe ouvrière ont été effectuées dans l’esprit du néolibéralisme, via des subsides étatiques à l’industrie privée sous forme de partenariats public-privé, comme dans le secteur du logement, ou avec l’introduction d’universités privées payantes pour les jeunes.
Le populisme de Lula s’est illustré dans son incorporation de la CUT (Central Única dos Trabalhadores), la principale fédération syndicale au gouvernement (le président de la CUT a été nommé ministre du Travail). La classe dirigeante brésilienne voulait poursuivre sur la lancée de Lula, mais l’élection de Dilma en 2010 a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire, a expliqué Ricardo. Des problèmes économiques sont en train de faire surface, et Dilma n’a pas la base sociale dont bénéficiait Lula. La baisse de la popularité de Dilma est à placer dans son contexte de continuation de la politique néolibérale afin de saper les droits des travailleurs. On voit cela avec le projet de loi selon lequel les droits des travailleurs (comme le droit à des congés maternités, aux congés-maladies payés, etc.) pourraient être renégociés dans le cadre de conventions syndicales, permettant ainsi aux patrons d’attaquer les droits des travailleurs entreprise par entreprise.
L’impopularité croissante de Dilma illustre la perte de vitesse du “lulaïsme”, ce qui est très important vu ce que son régime représentait. Cela est aggravé par les problèmes économiques – la croissance du PIB l’an passé n’était que de 0,9 %, et les perspectives pour cette année sont d’à peine 2 %. Le règne de Dilma voit réapparaitre l’inflation, une cherté de la vie croissante en ce qui concerne les prix des denrées de base, ce qui est un problème majeur pour les masses pauvres partout dans le pays. Dilma parle beaucoup de son approche “responsable” en termes de fiscalité – toutes les dettes seront payées, etc. La réalité est que, comme l’a dit Ricardo, le joli vernis appliqué sur le gouvernement et le capitalisme brésilien s’était usé bien avant que l’éclatement de la récente lutte de masse.
Éclatement de la lutte
Ricardo a remarqué que l’année passée a connu le plus grand nombre de grèves au Brésil depuis bien des années. Des grèves larges se sont produites dans le secteur public comme dans le privé, avec par exemple une grève de deux mois dans les universités fédérales. Avant l’important éclatement de la lutte de masse, toute une série de mouvements locaux avaient remporté des victoires contre la hausse du cout des transports publics, ce qui a donné une grande confiance aux travailleurs et à la jeunesse. La colère face à la brutalité qui a été employée contre la première vague de manifestants par la police de São Paulo a contribué à l’extension et à l’intensification du mouvement. Les manifestants contre la hausse du cout des transports publics ont commencé à remettre en question le fait que des millions soient dépensés pour construire des stades pour les JO et pour la Coupe du monde, contrairement au budget de misère octroyé à l’enseignement et à la santé.
Ricardo a remarqué l’incroyable soutien de masse dont a bénéficié le mouvement – selon un récent sondage, 89 % de la population le soutient. Étant donné l’inexpérience et la nature de masse des mouvements – la plupart des participants en étaient à leur toute première manifestation – des éléments d’extrême-droit ont tenté d’intervenir de manière rusée dans ces mouvements avec pour objectif de les détourner à leur avantage. Les membres de LSR (CIO-Brésil), a expliqué Ricardo, ont aidé à organiser la protection des militants de gauche contre ces éléments d’extrême-droite. Ricardo a également expliqué, cependant, l’énorme ouverture des manifestants, ce qui a eu pour conséquence une très importante croissance de LSR grâce à notre intervention dans ce mouvement. LSR met également en avant le fait que la tâche de la gauche dans ce mouvement est cruciale – son rôle est d’assurer le fait que l’énergie du mouvement ne retombe pas – ce mouvement représente une chance de construire de nouvelles organisations de et pour la classe ouvrière et la jeunesse, qui pourraient devenir plus importantes que le PT ou la CUT ne l’ont jamais été.
Le PSoL
Ricardo a donné des éclaircissements quant à notre participation ininterrompue au sein de la coalition de gauche large qu’est le PSoL (Partido Socialismo e Libertade, mais “Sol” veut aussi dire “Soleil”). Ricardo a remarqué que le PSoL associe de très impressionnants militants de gauche et des dirigeants de mouvements sociaux, partout au Brésil. Le fait que le PSoL ait grandi électoralement ces dernières années illustre son potentiel en tant que possible futur pôle de gauche au Brésil. La plus grande menace, selon Ricardo, est qu’une puissante aile droite au sein de l’organisation la pousse vers des coalitions avec des forces pro-austérité.
Ricardo a aussi défendu la nécessité d’une nouvelle confédération syndicale au Brésil. Il a souligné l’incapacité de la CUT, qui ne parvient pas à véritablement représenter les besoins des travailleurs. Il a parlé du rôle positif de la CSP-Conlutas (Central Sindical e Popular – Coordenação Nacional de Lutas) dans laquelle participent de nombreux militants LSR, qui en termes de programme et d’action, est loin devant la CUT. CSP-Conlutas joue également un rôle important dans l’organisation des travailleurs intérimaires, des jeunes chômeurs, des luttes sociales et des mouvements des pauvres, et dans la coordination entre ces luttes et le mouvement syndical.
Discussion sur le caractère du mouvement au Brésil
Au cours du débat, sont intervenus des camarades de France, du Brésil, de Suède, d’Autriche et d’Allemagne. Les sujets abordés incluaient la situation politique au Honduras, plus d’analyses sur les mouvements de masse qui ébranlent toujours le Brésil, et des points concernant le mouvement syndical et le parti PSoL au Brésil. Notre camarade Christina du Brésil a contribué au débat en insistant sur le rôle de la jeunesse dans le mouvement de protestation au Brésil. Elle a fait remarquer qu’un sondage réalisé au début des manifestations à São Paulo révélait que 71 % des participants en étaient à leur toute première action. Christina a replacé la participation des jeunes au mouvement dans son contexte, en parlant des difficultés en ce qui concerne le chômage des jeunes et les contrats précaires dans le secteur privé pour les jeunes, en plus de l’oppression, du racisme, de la violence policière et de la misère dégradante qui touchent beaucoup de jeunes noirs dans les favelas (quartiers pauvres).
Notre camarade Mariana, de France, a abordé la question du nationalisme au Brésil. Elle a expliqué l’incapacité de la plupart de la gauche à aborder ce problème. La présence de drapeaux brésiliens lors des manifestations représente, à un certain degré, la faiblesse de la conscience qui existe. Certains groupes de gauche ont évité cette question, soit en rejetant les manifestations qualifiées selon eux de “réactionnaires”, soit en disant que ces drapeaux étaient une expression de l’“anti-impérialisme”. La réalité est que le “lulaïsme”, en tant que phénomène purement bourgeois, a rehaussé le nationalisme et un sentiment de “collectivité” qui était conçu afin de gommer les frontières entre classes et faire disparaitre les divisions de classe, afin de défendre les intérêts du capitalisme et de désarmer la classe ouvrière. Il existe toujours des restes de tout ceci, qui sont présents dans le mouvement, mais qui existent cependant aux côtés d’un virage clair vers la gauche dans la conscience des travailleurs. Une intervention appropriée de la gauche dans le mouvement, qui exprime les aspirations des travailleurs et des jeunes, qui donnerait une direction claire au mouvement, et qui mettrait en avant la nécessité de la solidarité et de la lutte à travers toute l’Amérique latine et dans le monde entier, pourrait avoir un énorme impact.
Au moment de la conclusion du débat, le consensus qui s’était dégagé était de souligner les nouvelles opportunités qui se présentent dans ce qui est une nouvelle étape de la crise du capitalisme en Amérique latine, et potentiellement un nouveau chapitre de l’histoire du mouvement prolétaire dans la région. Les camarades se sont mis d’accord sur le fait qu’il faudrait approfondir la discussion quant aux processus contradictoires qui se déroulent à Cuba et au Venezuela, et finalement, quant aux formidables développements au Brésil. Ce pays extrêmement important, qui a une énorme influence sur l’ensemble du continent, tant sur le plan économique que politique, a été considéré comme un indice du potentiel qu’ont les idées socialistes et les luttes de se redévelopper à l’échelle de tout ce continent, avec son histoire si riche en enseignements pour la lutte et pour la révolution.