Category: Amérique Latine

  • Venezuela : Lancement du “Conseil populaire révolutionnaire” à Caracas

    La situation au Venezuela

    Le “Consejo Popular Revolucionario” (CPR, Conseil populaire révolutionnaire) est une nouvelle coalition autonome révolutionnaire regroupant environ 30 organisations révolutionnaires, des mouvements sociaux, des collectifs et des groupes militants, qui a été fondé en réaction à la situation critique qui est en train de se développer aujourd’hui au Venezuela. Jamais n’a été aussi claire jusqu’à présent la nécessité de construire une organisation révolutionnaire non seulement pour triompher de la nouvelle offensive de droite, mais également pour défendre les acquis du “Processus bolivarien” (mouvement d’émancipation nationale lancé par feu le président Chávez dans les années ‘2000) et pour les faire progresser vers le socialisme révolutionnaire. Lors du congrès de lancement de cette organisation, à laquelle plus de 100 personnes étaient présentes, de nombreux militants ont parlé du caractère critique de la situation, qui nous force à prendre des mesures décisives et courageuses dans le cadre de cette crise.

    Jusqu’à présent, 28 personnes ont été officiellement tuées au cours des manifestations qui se sont répandues dans le pays depuis le mois dernier. Dans certaines régions comme Táchira, Zulia et Merida, on voit l’infiltration de groupes paramilitaires de droite envoyés par le gouvernement colombien de M. Uribe ainsi que de rebelles pro-impérialistes, avec la militarisation partielle de ces régions par les FANB, Forces armées nationales bolivariennes ; cela confère donc à la situation un air de début de guerre civile.

    Les militants qui ont pris la parole lors de l’assemblée nous ont décrit la situation dans les villes de la région de Táchira qui sont maintenant tombées entre les mains des rebelles. Les rebelles exigent de leur payer des prix exorbitants pour avoir accès au gaz, à l’eau ou à la nourriture, tous ces produits de base étant devenus extrêmement rares. Dans de nombreuses zones, les rebelles ont élevés des barrages ; les transports ne passent plus, c’est la vie de tous les jours qui est paralysée. Selon nos camarades, les rues sont vides à partir de 5 heures du soir car les habitants ont peur de sortir de chez eux.

    C’est la même situation dans le Merida, où la peur règne depuis la mort d’une étudiante chilienne, Giselle Rubilar. Elle faisait partie d’un groupe d’habitants qui ont tenté de dégager un barrage tenu par des étudiants de droite, et c’est là qu’elle a été tuée, abattue par balles. Dans la région de Carabobo, trois personnes ont été abattues le 12 mars lors de manifestations d’étudiants de droite, qui voulaient ainsi “commémorer” un mois depuis le début de leur mouvement anti-chaviste. À Caracas, deux personnes ont été abattues par un sniper lors d’une bagarre entre le syndicat des taxi-motos et des manifestants de droite dans un quartier riche. Tout cela rappelle ce qui s’est passé avant le coup d’État de 2002. À ce moment-là, on voyait des rebelles exécuter des gens au hasard dans les rues, dans le but de créer un climat de terreur et d’instabilité partout dans le pays.

    Les risques d’un accroissement des violences est bien réel ; la droite exerce une réelle pression, soutenue par l’impérialisme américain, qui vise à renverser le gouvernement Maduro et le “chavisme”. Tous les révolutionnaires du Venezuela en sont bien conscients. Ce renversement pourrait adopter diverses formes – nous n’allons sans doute pas connaitre la même situation qu’en 2002, qui était un coup d’État avec le soutien d’une partie de l’armée. Face à la spirale de la violence, la crise économique qui continue, où on voit un plan conscient de la part d’une partie de l’extrême-droite de saboter le pays, et où la droite modérée s’avère capable d’attirer à elle une partie de la classe ouvrière et des pauvres, on pourrait voir un accord de “transition” et la convocation de nouvelles élections.

    Le gouvernement n’a jusqu’ici pas fait grand-chose pour éviter cela. Le gouvernement s’est contenté d’appeler à la paix, à la réconciliation et à la négociation, tout en appellent les travailleurs et les pauvres à se mobiliser pour contrer la droite. Lors des dernières semaines, tout en critiquant et en rejetant les offres de “médiation” de la part de l’impérialisme – ce qui est correct –, et en réagissant vertement aux attaques scandaleuses et hypocrites de la part du gouvernement Obama, le gouvernement Maduro a en même temps continué à inviter les dirigeants de la droite à venir au palais présidentiel discuter avec lui ; il a même dit que si les dirigeants étudiants de droite venaient, il les embrasserait ! Il dit également qu’il ne les laissera pas vaincre sa “révolution chrétienne-humaniste”.

    Une telle “transition” ne peut signifier que la défaite de la gauche révolutionnaire et des travailleurs et des pauvres, sur le plan national comme international. Notre coalition, le CPR, défend les acquis des 15 dernières années et l’héritage de Chávez, mais nous disons qu’il faudra bien plus que des discussions et des négociations pour vaincre la droite – notre tâche urgente est en réalité de construire une organisation et d’aller vers le socialisme révolutionnaire.

    Les organisations et les individus qui participent au CPR ne sont pas les seuls dans le pays qui ressentent le besoin d’action ; il faut prendre des mesures pour unifier ces forces. Nous, Socialismo Revolucionario, section vénézuélienne du CIO, appelons l’ensemble des organisations de gauche et révolutionnaires, ainsi que tous les représentants élus de gauche et les syndicats du monde entier, à envoyer des messages de solidarité afin d’exprimer votre soutien au CPR et à la lutte contre la nouvelle offensive de droite.

    Vous pouvez écrire en anglais ou espagnol à l’adresse socialismo.rev.venezuela@gmail.com.

    Les partisans de notre initiative au niveau international doivent aussi être avertis du fait que l’administration Obama parle de “sanctions” contre notre pays, et qu’il faudra sans doute organiser des actions devant les ambassades pour protester contre les attaques de l’impérialisme, afin de défendre les acquis du Processus bolivarien et de soutenir les mouvements révolutionnaires dans ce pays qui luttent pour le socialisme.

    La première assemblée du CPR a voté la déclaration suivante :

    1) Nous considérons que les récents évènements dans notre pays ont pour but de créer les conditions d’un conflit au Venezuela et mettent ainsi en danger l’État vénézuélien ainsi que les forces armées et l’intégrité de notre nation.

    2) Le point de départ de ce conflit a été l’invasion de forces paramillitaires venues de Colombie, soutenues par le gouvernement Obama et par l’ex-président de Colombie M. Uribe, alliés à l’aile droite réactionnaire au sein de l’alliance vénézuélienne “Mesa de Unidad” (Table de l’unité), c’est-à-dire les partis Primera Justicia et Voluntad Popular – toutes ces forces contrôlant à présent la région de Táchira. Ces forces tentent à présent d’envahir les régions de Merida et de Zulia puis de poursuivre vers l’Est en direction de Caracas afin d’y semer le chaos sous la forme de barrages et de pénuries de nourriture et de biens de nécessité. Leur action a pour but de créer un climat favorisant le renversement (sous la forme d’un coup ou d’une “transition”) du gouvernement Maduro et du chavisme, ce qui, dans le contexte actuel, pourrait nous mener à la guerre civile.

    3) Vu cette menace, nous devons unir l’ensemble des forces populaires, progressistes, patriotiques et révolutionnaires avec pour objectif la restauration de notre intégrité territoriale nationale, via des Comités intégrés de défense populaire dans chaque région, dans chaque ville, dans chaque quartier, dans chaque zone industrielle, sur chaque usine, entreprise, marché, école ou université.

    4) Nous appelons l’ensemble des forces progressistes et révolutionnaires à se réunir et à s’organiser en conseils populaires afin d’organiser des Comités de défense dont les deux objectifs doivent être : le contrôle de la production et de la distribution de nourriture par les citoyens eux-mêmes, ainsi que le contrôle par les citoyens des services publics (santé, transport, gaz, eau, électricité, enseignement).

    5) Nous voulons un dialogue avec l’ensemble de la population, y compris parmi les classes moyennes, qui est opposée à abandonner la souveraineté du Venezuela aux forces impérialistes sous la houlette de Uribe ou par un éventuel gouvernement de droite qui serait soutenu par ces éléments.

    6) Nous appelons à une action révolutionnaire nationale de masse afin de libérer les régions de Merida, Zulia, Táchira du contrôle des rebelles de droite par la mise en place de Comités de défense. Ce mouvement doit être entamé par des manifestations et actions dans chaque ville, grande ou petite, à compter du dimanche 13 avril et qui culmineront avec une assemblée populaire de masse à San Cristobal, chef-lieu de la région de Táchira, le samedi 19 avril.

  • Paul Murphy. Venezuela: no pasaran!

    Au Parlement européen, Paul Murphy, élu du Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en République irlandaise et parti-frère du PSL) a dénoncé l’hypocrisie des protestations de la droite au Venezuela.

  • Venezuela : Analyse des évènements du 12 février

    Par Gabriela Sanchez, Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)

    Ce 12 février, trois personnes ont été tuées à Caracas (deux partisans de droite et un partisan du gouvernement), tandis que des douzaines d’autres ont été blessées et arrêtées au cours de manifestations qui ont pris place dans tout le Venezuela afin de célébrer la ‘‘Journée de la Jeunesse’’, qui se déroule tous les ans.

    Beaucoup d’images ont émergé ces derniers jours semblant démontrer la responsabilité des agents de la SEBIN (les Services Secrets Bolivariens) dans la mort de ces 3 manifestants. Les rumeurs abondent concernant l’infiltration d’agents provocateurs. Après le 12 février, les manifestations ont été quotidiennes, tant de la part de la droite que de la part du gouvernement. S’il est normal qu’il y ait des défilés séparés des partisans du gouvernement et de l’opposition de droite, la violence générée, essentiellement par l’aile droite réactionnaire, marque pourtant une nouvelle phase cruciale dans le processus bolivarien.

    Maduro a qualifié ces manifestations de coup d’Etat rampant et nombreux sont ceux qui, à gauche, ont comparé ces événements à ceux du coup d’Etat intenté contre Chavez en 2002. Un mandat d’arrêt a été délivré contre Leopoldo Lopez (un dirigeant de la droite réactionnaire impliqué dans le coup d’Etat de 2002). D’un autre côté, l’aile droite a essayé de présenter cette lutte comme un combat pour la ‘‘libération’’ d’une ‘‘dictature’’ responsable de tous les maux du monde dont l’inflation, le crime et la corruption.

    Certains dirigeants de droite ont déclaré que les manifestations étaient des mobilisations ‘‘populaires’’ représentant la majorité des Vénézuéliens. Quelques groupes de gauche ont même dit que ces manifestations sont représentatives du ‘‘mécontentement’’ général et légitime qui existe parmi toutes les couches de la société. L’un de ces groupes a même été jusqu’à appeler à la constitution d’un front uni des diverses couches concernées dans un combat pour un gouvernement des travailleurs, sans prendre en compte le fait que les raisons pour lesquelles se mobilisent chacune des classes sont complètement différentes.

    Ces dernières années, il y a eu des centaines de manifestations, sur les questions du logement, du crime, ou pour l’obtention de contrats de travail collectifs par exemple. Nous avons également connu des occupations d’usine ainsi que des appels lancés par des travailleurs au gouvernement pour nationaliser les usines et en donner le contrôle et la gestion aux travailleurs eux-mêmes. Beaucoup de ces actions ont été rapportées sur notre site et sur ceux du Comité pour une Internationale Ouvrière. Mais ces manifestations et les objectifs visés par les participants de ces mobilisations diffèrent nettement de ceux des évènements du 12 février.

    Parmi la gauche, tant au Venezuela que dans le reste du monde, les avis divergent quant à la position que doivent adopter les révolutionnaires et de la marche à suivre concernant la menace de la droite.

    Un autre coup d’Etat?

    Le 16 février, dans un discours à la nation, Maduro a affirmé que la droite comprend actuellement deux camps, l’un cachant son soutien aux récentes manifestations et essayant de se présenter comme démocratique alors que l’autre soutient ouvertement l’idée d’un coup d’Etat appuyé par les USA contre le gouvernement. Même si aucune illusion ne doit être entretenue concernant le rôle de l’impérialisme américain, d’importantes différences existent entre ce qui se déroule actuellement et ce qu’il s’est produit en 2002, en particulier au sujet de la droite et de ses partisans ainsi que des militaires.

    La droite a mis des années à se regrouper après des années de défaites et l’échec du coup d’Etat et du sabotage économique. Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a été capable de ‘‘s’unir’’ pour présenter un candidat commun aux élections présidentielles, Capriles Radonski, contre Chavez. Les dirigeants de droite ont changé de tactique et ont commencé à instrumentaliser les thèmes qui touchent la classe des travailleurs et les pauvres auxquels le gouvernement ne répond pas, comme le logement, le crime et l’aggravation de la situation économique.

    Même si la droite a perdu les élections, elle a tout de même obtenu plus de 6 millions de voix et elle a déclaré qu’elle continuerait à se battre ‘‘démocratiquement’’ pour tous les Vénézuéliens. Les élections présidentielles suivantes, en avril 2013, ont livré un résultat où la différence entre Capriles et Maduro n’était que de 200.000 votes. Ce suffrage a été contesté par la droite et les tactiques employées ont commencé à diverger en son sein. On trouve d’un côté Capriles le ‘‘démocrate’’ et Leopoldo Lopez et Maria Carolina Machado, plus réactionnaires, de l’autre.

    Cette division est devenue plus claire au cours de ces derniers mois et Lopez et Machado ont appelé à participer à différentes manifestations, le pont culminant ayant été atteint le 12 février au cours de cette manifestation appelée ‘‘la Sortie’’ (c’est-à-dire la sortie du régime). Même des partisans de la droite ont écrit dans les journaux que ces méthodes allaient aboutir à une nouvelle chute du soutien pour la droite et qu’il fallait tirer les leçons du coup d’Etat de 2002 et de ses conséquences.

    La droite plus modérée a cherché à se distancier des manifestations menées par un petit groupe d’étudiants ayant visé les bureaux du gouvernement ainsi que des bâtiments et propriétés publics. De manière très ironique, ces étudiants nantis ont choisi de mener leurs actions dans leur propre quartier, en dérangeant ainsi leur propre classe sociale plus que quiconque. Par la suite, nombreux ont été ceux qui ont déclaré qu’il s’agissait de l’œuvre d’agents infiltrés, mais étant donné que ces manifestations ont eu lieu 5 soirs d’affilée, il serait naïf de croire que les ‘‘infiltrés’’ auraient pu continuer à organiser ainsi leurs actions à un tel niveau.

    Mais même les manifestations quotidiennes de centaines d’étudiants sur la place principale d’Altamira (une banlieue de Caracas habitée par la classe moyenne supérieure) n’ont pas bénéficié du soutien de la majorité des habitants. Quant au défilé du dimanche pour la ‘‘paix’’ et la libération d’étudiants emprisonnés, à l’instigation de la droite, si elle a pu attirer des milliers de personnes, le soutien au secteur le plus réactionnaire était très limité, contrairement aux manifestations massives organisées par la droite à la veille du coup d’Etat de 2002. En ce temps-là, une manifestation organisée Place d’Altamira était systématiquement massive.

    Bien entendu, les événements peuvent rapidement changer une situation et nous devons en être conscients. L’arrestation de Lopez et la répression des petites manifestations étudiantes nocturnes peuvent conduire de plus larges couches de la droite à soutenir des mesures plus réactionnaires. De prochaines actions et manifestations de plus grande ampleur sont de l’ordre du possible, mais elles resteront le plus probablement cantonnées aux mêmes quartiers déjà gouvernés par la droite.

    L’autre différence majeure avec le coup d’Etat de 2002 est le rôle joué par les militaires. En 2002, la droite bénéficiait encore du soutien d’une partie de l’armée mais, depuis lors, le chavisme a consolidé son soutien de diverses manières. En ce moment, l’armée soutient le gouvernement dans sa grande majorité et il est probable qu’aucune défection ne soit tolérée au sein des forces armées.

    Manifestation, mécontentement et classe sociale

    Ce n’est pas un secret, le mécontentement est important au sein de la société vénézuélienne au sujet de bon nombre de questions parmi lesquelles l’économie, le crime et le logement pour ne citer que celles-là. Nous trouvons cette colère on ne peut plus légitime, mais il existe une différence très marquée entre la manière dont ces sujets sont perçus par les différentes classes sociales dans la société ainsi qu’entre leurs revendications. L’impact de la crise économique que vit le pays, par exemple, a un énorme impact sur la classe des travailleurs et les pauvres, bien plus que sur la classe moyenne et la bourgeoisie.

    Comme en tout temps de crise capitaliste, la classe ouvrière et les pauvres sont les plus touchés. Aujourd’hui, la majorité des Vénézuéliens lutte pour être capable de joindre les deux bouts. Le salaire minimum mensuel, même s’il augmente chaque année, n’est toujours pas à hauteur du taux d’inflation (officiellement de 56% en 2013 contre une augmentation du salaire minimum de 45%). Cette inflation affecte tout, du papier toilette aux uniformes scolaires, et est en réalité beaucoup plus élevée concernant les biens de première nécessité et la nourriture, qui ne sont pas régulés par l’Etat, qui régule à peu près tout sauf les produits de base.

    Même si les réformes impulsées par en-bas sous Chavez ont été progressistes et ont conduit à une gigantesque chute de la pauvreté dans le pays, le chavisme a échoué à rompre avec le capitalisme. Les réformes sont donc très vulnérables, en particulier dans un pays reposant presqu’uniquement sur l’exportation de pétrole. Les effets de la crise mondiale se sont durement faits ressentir lorsque le cours du pétrole a plongé de 50%. Nous avons alors assisté à des coupes budgétaires dans le financement de plusieurs réformes qui avaient été acquises de haute lutte. Il est évident que les coupes budgétaires dans les missions sociales et la santé ont plus gravement frappé les plus pauvres. Aujourd’hui, ces derniers font la queue dès l’aurore, jour après jour, pour avoir accès aux soins de santé gratuits alors que, dans les quartiers riches de la capitale, un service vétérinaire itinérant gratuit va soigner les animaux domestiques des riches grâce au financement du gouvernement, ancré à droite.

    Les étudiants pauvres n’ont la plupart du temps pas assez de professeurs pour leur donner cours dans toutes les matières et les places manquent dans les universités publiques. Ce sont les adolescentes des barrios et des régions rurales qui ont le plus de probabilité de tomber enceintes et donc de laisser tomber l’école : le Venezuela a le plus fort taux d’adolescentes enceintes en Amérique Latine. Elles ont aussi le plus de chances de vivre dans des logements insalubres.

    La classe ouvrière et les pauvres constituent la majorité des Vénézuéliens et, malgré un important déclin du soutien au gouvernement, cette majorité sait qu’un retour de la droite ne va pas améliorer leur situation.

    Le processus bolivarien a laissé ses traces, et la classe des travailleurs est bien consciente qu’un retour de la droite ne changera rien à toutes ces questions. Beaucoup de gens sont bien conscients que ce qu’il faut, c’est une réelle révolution. Même si la définition de ce que représentent le socialisme et la révolution reste confuse parmi les masses, ces aspirations restent profondément présentes. Ce qu’il manque, c’est une organisation capable de les développer en revendications.

    Les couches les plus avancées de la classe ouvrière protestent avec raison contre la bureaucratie, la corruption, les éléments contre-révolutionnaires au sein du gouvernement ainsi que contre la répression des grèves et des droits des travailleurs entre autres contradictions inhérentes au chavisme. Même si les revendications spécifiques peuvent varier en fonction du lieu de travail et du degré de combativité, la plupart des travailleurs s’accorderaient avec la revendication du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière, avec la construction d’une réelle représentation de la classe des travailleurs ainsi qu’avec la défense des droits syndicaux, du droit de s’organiser et de faire grève. La minorité qui a manifesté ces dernières semaines ne partage très clairement pas ces revendications, elle ne partage pas les mêmes intérêts, elle ne fait pas face aux même difficultés quotidiennes.

    Les images d’étudiants manifestant et de nombre de leurs actions pourraient facilement être prises pour des images de jeunes en Grèce, en Espagne et dans beaucoup de pays qui luttent contre la féroce austérité capitaliste. Mais les étudiants au Venezuela ne subissent pas un chômage de 60%, ne connaissent pas de gigantesques coupes budgétaires dans l’enseignement et ne sont pas confrontés une vie misérable. Ces étudiants font partie des privilégiés de la société vénézuélienne. Ils étudient dans les meilleures écoles et universités privées, conduisent des voitures ou des motos de luxe et, pas toujours mais très souvent, ont la possibilité de partir en vacances à l’étranger.

    Le Venezuela est l’un des pays les plus violents au monde et la droite a raison de dire qu’il faut s’y attaquer. Les travailleurs le disent eux aussi. Mais aborder la question de la criminalité nécessite de se confronter aux inégalités inhérentes au capitalisme. La criminalité ne sera pas résolue sous un gouvernement de droite qui refusera de s’en prendre aux racines du mal.

    Aucune forme de coup d’État ne sera soutenue par la majorité des Vénézuéliens ni ne sera tolérée par eux. La menace de la droite fera descendre les pauvres et la classe des travailleurs dans la rue pour soutenir le gouvernement s’il n’existe aucune autre alternative. Pour les révolutionnaires, la question-clé est de savoir comment intervenir pour mettre en avant un programme combatif orienté vers le socialisme, sans laisser se laisser emporter par un soutien sans critique au chavisme ou par des revendications de paix entre les classes, une idée vide de sens.

    Les rassemblements pour la paix

    La droite tout comme le gouvernement ont manifesté pour ‘‘la paix’’ après les événements du 12 février. Maduro a publiquement invité Capriles à le rencontrer pour parler des manifestations et pour trouver ensemble une issue à la crise. Cette approche basée sur une réconciliation avec la droite n’est pas une nouveauté pour le chavisme.
    A la suite des tumultueux événements de 2002, Chavez avait appelé la population à rentrer chez elle. Plutôt que d’appeler à la constitution de comités sous l’impulsion des travailleurs et des autres couches de la société pour enquêter sur le coup d’Etat, il a déclaré que tous les Vénézuéliens avaient besoin de travailler ensemble et d’oublier ! Les événements qui ont suivi le coup et la pression de la base ont poussé le chavisme à se radicaliser en différents moments, mais des tentatives de lier alliance avec des couches de la bourgeoisie on systématiquement été faites.
    L’élection de Maduro en avril dernier n’a pas donné lieu à des meetings de masse des travailleurs et des pauvres afin de discuter de la manière d’organiser le changement de société. Maduro a par contre convoqué une réunion avec le chef de la famille Mendoza, une des familles les plus riches et puissantes du pays. En résumé, l’entreprise familiale Polar a reçu l’assurance de pouvoir continuer à s’enrichir sans entraves du gouvernement, sa production et l’importation de nourriture qui s’effectue par son intermédiaire recevant même l’aide du gouvernement. Polar a également reçu la gestion de diverses grandes usines précédemment expropriées.

    Les rassemblements ‘‘pour la paix’’ sont des moyens pour le gouvernement de chercher du soutien parmi toutes les couches de la société et d’éviter d’être poussé à des actions plus radicales. A certains moments, comme nous l’avons déjà vu au cours du processus bolivarien, le gouvernement va réagir à la pression par en-bas. Cette pression n’a cependant pas encore permis la nationalisation de l’économie dans son ensemble, le secteur bancaire par exemple, et encore moins l’implantation d’une économie planifiée.

    Quelles perspectives ?

    Les perspectives sont aujourd’hui très ouvertes. La situation actuelle est en mouvement et la façon dont les choses vont se jouer dépend de nombreux facteurs. La répression d’Etat contre les manifestations pourrait conduire à une augmentation du soutien de l’aile droite et à un sentiment plus favorable pour des actions radicales de sa part. Au lendemain du 12 février, Maduro a déclaré que toute manifestation qui n’avait pas reçu d’autorisation était illégale et que l’Etat s’en occuperait. Nous devons nous opposer à toute mesure du gouvernement pour restreindre le droit à manifester, car ces mesures peuvent être utilisées contre les travailleurs et les pauvres, ce qui a d’ailleurs déjà été le cas.

    Le retour de la droite serait une défaite pour les socialistes du monde entier. Ce dont nous avons besoin pour y faire barrage, c’est d’un mouvement de masse de la classe des travailleurs et des pauvres, unis sous un programme de lutte pour le socialisme. Un tel mouvement peut gagner à sa cause une partie de la classe moyenne, qui joue aussi un rôle historiquement important dans la révolution.

    Un appel à un front uni de la gauche comme première étape en cette direction ne pourrait pas être plus approprié qu’aujourd’hui. Un front de gauche lierait ensemble les revendications des travailleurs et des pauvres et devrait, par la discussion et le débat démocratique au niveau national, développer un programme destiné à aboutir à changement révolutionnaire de société.

    Un tel programme devrait se baser sur la rupture avec le système capitaliste et pour une économie démocratiquement planifiée, avec la nationalisation totale du secteur bancaire et des secteurs-clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Le pouvoir devrait être donné aux conseils locaux et au peuple organisé en leur sein, avec l’élection de dirigeants élus, révocables à tous moments et ne bénéficiant d’aucun privilège, avec notamment un salaire équivalent à celui d’un travailleur qualifié.

  • Cuba : De nouvelles luttes pour de vieux défis

    En décembre dernier s’est tenue une réunion du Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL/LSP constitue la section belge. Un représentant d’un collectif cubain, Obseratorio Critico (Observatoire critique), était également présent. Voici ci-dessous l’intervention qu’il a faite à cette réunion au sujet de la situation cubaine.

    Prise de parole de Rogelio M. Díaz Moreno (Observatorio Critico) lors de la réunion internationale du CIO

    Les conquêtes de la révolution

    Nous savons combien il est difficile de transmettre la complexe et intéressante réalité qui y existe. La fin du soi-disant camp socialiste a coûté à Cuba plus de 80% de ses marchés et de ses subventions soviétiques. En plus de cela, l’agression impérialiste du gouvernement américain s’est accrue, le blocus économique s’est intensifié et le financement des groupes d’opposition de droite a augmenté de plusieurs millions de dollars. En outre, l’activité des groupes promouvant des actes terroristes dans mon pays est toujours tolérée sur le territoire des USA. L’ingérence impérialiste des USA a été et sera un facteur crucial dans le cas de Cuba, car elle alimente les tendances réactionnaires et conservatrices du gouvernement cubain actuel, qui utilise cela comme prétexte pour harceler les forces de gauche, socialistes et indépendantes de sa bureaucratie.

    Rappelons que lors du triomphe de la Révolution, les forces victorieuses fusionnèrent dans un parti unifié sur base des mouvements qui dirigèrent la lutte. Fondamentalement, il s’agissait des mouvements interclassistes du Mouvement du 26 juillet et du Directoire révolutionnaire, ainsi que du Parti communiste de nature stalinienne, cela avec l’appui décisif de la paysannerie.

    Le programme initial de ce parti n’était pas socialiste, bien que progressiste du point de vue nationaliste bourgeois. La réforme agraire était son drapeau principal. Mais la lutte de classe qui a suivi a radicalisé et polarisé la politique du moment. La réforme agraire, la nationalisation des entreprises, la campagne d’alphabétisation, l’intégration de la population dans des organes de défense de la révolution, la transition vers une économie planifiée excluant l’économie de marché, et un fort investissement social, parmi d’autres politiques, ont permis la transformation de l’État, même s’il manquait les éléments de contrôle et de démocratie ouvriers. Ainsi, ce système, assorti des subventions soviétiques, a permis de sortir de la situation de pauvreté atroce antérieure à la révolution, pour arriver à une société d’un bien plus grand développement humain. Mais c’est 30 ans plus tard, quand le Mur de Berlin est tombé, que la plus grande épreuve que le socialisme cubain a eu à traverser commença.

    Après la chute du Mur de Berlin

    Dans les années qui ont suivi, le gouvernement a pu continuer à s’enorgueillir de sa capacité gigantesque à pouvoir mobiliser des manifestations en sa faveur. Cependant, il y a eu recours à des moyens de pression sur les manifestants et la corruption a sévi parmi les organisateurs.

    Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’émigration d’environ un demi-million de Cubains au cours des 20 dernières années. De plus, après des décennies d’une politique qui s’est effectuée sans contrôle et sans mesures démocratiques pour participer aux prises de décisions de la politique nationale, un fossé insurmontable s’est créé entre la direction et les travailleurs. Le discrédit de l’idéologie soviétique a laissé un vide dans les rues cubaines, rapidement occupées par la philosophie symbolisée par la ville de Miami.

    Cette philosophie est basée sur le fait de considérer la prospérité comme synonyme de consommation et le prestige personnel et social comme étant réduit à pouvoir montrer aux autres son haut niveau de vie. Chez beaucoup, cela a naturellement engendré une grande frustration ainsi qu’une tendance à recourir au crime pour satisfaire ces besoins. Cela a également été alimenté par les élites bureaucratiques corrompues, qui adoptent ouvertement ce mode de vie, loin des idéaux de la rigueur socialiste dont le paradigme le plus mémorable est la figure disparue d’Ernesto Che Guevara.

    La politique économique du gouvernement n’a été capable que de stimuler cette mentalité de consommation, dans le cadre de sa tentative désespérée de s’attirer des devises convertibles. Les politiques sociales les plus importantes sont néanmoins restées, comme la sécurité d’emploi, le maintien de services d’enseignement, de santé et de sécurité sociale universelle. Cela a contribué à conserver le régime au pouvoir, même si, dans le même temps, les Cubains ont souffert de graves pénuries de produits alimentaires et industriels, de pannes de courant, etc.

    Le modèle chinois ? 

    Nous pouvons aujourd’hui contempler la dérive lente, mais déterminée, vers une transition qui rappelle le modèle chinois : un système d’économie de marché sous le contrôle strict d’une force politique bureaucratique et autoritaire. Nous n’avons pas encore atteint ce point, mais l’ouverture au petit capitalisme national et au grand capital transnational qui se produit actuellement, en plus des coupes budgétaires dans les politiques sociales et dans les droits des travailleurs, nous incline à nous attendre à un tel développement.

    La première fois qu’a été soulevé à Cuba le licenciement de près d’un million de travailleurs, il n’y a eu aucune résistance de la part de direction de la CTC, la centrale syndicale. Mais au niveau de la base, les travailleurs sont en ébullition. Toutefois, sans organisation consciente, le mécontentement en est resté au niveau individuel, même s’il s’agit d’une multitude d’individus. Cette colère a malgré tout convaincu le gouvernement de temporiser les choses et d’accorder des concessions.

    Un nouveau code du travail

    Les inégalités et le mécontentement s’intensifient, ainsi que les tendances individualistes et aliénantes. La dernière étape de ce processus est caractérisée par l’introduction d’un nouveau projet de Code du travail qui actualise certains principes de l’ancien code devenu ‘’obsolète’’, tel que le droit et le devoir de chaque citoyen d’avoir un travail. C’en sera donc fini de la sécurité d’emploi pour les travailleurs. Ils pourront, en effet, être licenciés plus facilement avec seulement la petite promesse de chercher des alternatives à l’employé congédié. Le syndicat conservera le droit d’émettre une opinion dans certains cas.

    Voilà la situation dans le domaine de l’économie publique. Dans la sphère privée, la nouvelle classe émergente de capitalistes aura d’énormes possibilités pour exploiter ses employés. Nous n’avons trouvé aucun moyen de défense efficace des travailleurs dans ce secteur, concernant les droits minimaux, tels que les heures de travail, le salaire minimum, les vacances, les droits parentaux, les contrats de négociation collective, la défense contre la discrimination sur des critères de race, de genre ou d’orientation sexuelle. (Quelques jours plus tard, le Code a été adopté et il est supposé qu’il donnera des moyens de défense, au moins en théorie. Il reste à voir comment ils seront appliqués dans la pratique, NDT).

    Solidarité internationale

    Il faut saisir toutes les occasions pour dénoncer la bureaucratie qui insiste pour se présenter comme de véritables partisans du socialisme et de la souveraineté nationale, tout en vendant le pays par petits morceaux aux capitalistes locaux et internationaux. Il faut continuer à rappeler à tous que chaque citoyen a le droit d’être protagoniste de ses conditions et de la transformation de sa propre vie. Il faut apprendre à récupérer l’exercice de ce droit qui se trouve aujourd’hui dans les mains d’une élite appartenant au passé.

    C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus à cette réunion du Comité pour une Internationale Ouvrière et que nous renforçons notre courage et notre espoir. Ici, nous avons testé la force de la solidarité qui peut s’établir entre les socialistes du monde entier.

    Nous exprimons notre gratitude pour l’adhésion à notre cause de l’émancipation sur tous les terrains sociaux, contre la domination qui opprime ceux qui travaillent, ceux qui ont la peau noire ou une orientation sexuelle non majoritaire, etc., pour le soutien démontré contre toutes les causes de l’injustice qui existent dans notre pays et contre lesquelles nous ne nous lasserons jamais de combattre.

    Au nom de l’Observatoire critique de Cuba et de moi-même, encore une fois, je vous remercie beaucoup.

  • Amérique latine : de retour dans l'épicentre de la lutte mondiale

    Rapport de la discussion sur l’Amérique latine au Comité Exécutif International du CIO

    La réunion de décembre du Comité Exécutif International (CEI) du CIO a marqué le début d’une nouvelle phase tumultueuse de la situation en Amérique latine. Le débat en séance plénière fut présenté et conclu par André Ferrari, de Libertade Socialismo e Revolução (LSR, la section brésilienne du CIO). Après une période durant laquelle l’Amérique latine fut quelque peu en marge de l’épicentre des évènements qui ont secoué le monde au cours des premières années de la crise, les évènements actuels sur le continent acquièrent à présent une importance grandissante pour les perspectives et la situation mondiale.

    Par Dany Byrne

    Cette nouvelle phase met fin à une conjoncture assez prolongée de stabilité économique relative, et de continuité politique. Dans la dernière décennie et demie, les principaux gouvernements du continent jouissaient d’une continuité sans précédent, avec la réélection répétée de ses dirigeants les plus proéminents, et la domination, qui en apparence semblait fort peu menacée, de différents blocs politiques dirigeants passant le pouvoir de chef de file en chef de file, tels que les Kirchner en Argentine, l’aile droite Uribe-Santos en Colombie, etc.

    Fin de la « lune de miel » économique

    Dans de nombreux cas, cette stabilité a été basée sur un soi-disant « miracle économique »: l’idée qu’apparemment l’Amérique latine avait « évité le pire » de la crise capitaliste mondiale, et que ses principales économies continuaient à croître rapidement. Toutefois, les choses, sous la surface, étaient plus compliquées. André a expliqué comment la force des principales économies d’Amérique latine au cours de cette dernière période a été basée en grande partie sur la demande forte et continue de produits de base, en particulier de la part de Chine.

    Cette croissance ne représentait pas une sorte d’émancipation du continent sud-américain, et signifiait encore moins l’entrée de ce continent dans le club du « monde développé ». En fait, une désindustrialisation importante a eu lieu et l’activité économique sur le continent a été limitée à la production et à l’exportation de matières premières. Ce nouveau modèle a également laissé l’économie latino-américaine beaucoup plus vulnérable à l’impact du ralentissement actuel dans les soi-disant «économies émergentes», emmenées par la Chine. En effet, cette année verra le plus faible taux de croissance pour l’Amérique latine depuis plus de 10 ans, entre 2% et 2,5%.

    André et d’autres camarades qui sont intervenus dans la discussion (du Vénézuela, de la Bolivie, du Chili, de Cuba, de Suède, d’Irlande, des Etats-Unis et du Secrétariat international du CIO) ont indiqué comment cette fin de la « lune de miel » économique de l’Amérique latine a déjà été traduite en termes d’une plus grande agitation sociale et politique. On l’a vu dans chacune des quatre plus grandes économies du continent – Brésil, Mexique, Argentine et Colombie – qui, entre elles, représentent plus de 75 % de l’économie latino-américaine.

    Le Mexique et la Colombie dans la tourmente

    Au Mexique , les élections de cette année ont vu le parti PAN, d’obédience néo-libérale, écarté du pouvoir et remplacé par le PRI, qui avait occupé le pouvoir pendant plus de 70 ans. Toutefois, le PRI (traditionnellement plus «protectionniste») a continué fidèlement avec les politiques du PAN, notamment la privatisation rampante des secteurs du pétrole et de l’électricité. Cela a été facilité par le pacte néo-libéral « Pacto por Mexico », qui vise à obtenir l’accord de tous les partis pour une série de «réformes», et qui a été honteusement soutenu à l’origine même par le parti de la gauche traditionnelle, le PRD. André, ainsi que Alan Jones des États-Unis, ont souligné la dégénérescence politique du PRD dans les dernières années, ainsi que la scission qui en est issue pour former « Morena », organisé par Lopez Obrador (candidat de gauche vaincu par la fraude lors des élections de 2006, aussi connu sous le nom de « AMLO »). Cependant, AMLO tient aujourd’hui une position plus «modérée» que précédemment, plus proche de celle de Lula au Brésil que lors de sa campagne de 2006. La politique de sa campagne de 2012 pour les élections présidentielles a été particulièrement faible et démagogique.

    Cependant , malgré l’absence d’une gauche révolutionnaire de masse et combative, le processus d’attaques néo-libérales n’a pas pu avancer sans la résistance héroïque de secteurs importants de la classe ouvrière. Des camarades ont évoqué les grèves des travailleurs de l’électricité contre la privatisation, ainsi que celle des enseignants. Deux luttes qui ont fait face à une brutale répression de l’État, dans une atmosphère de plus en plus militarisée, alors que le gouvernement tente de doper sa puissance militaire dans la «guerre» contre les narco-trafiquants.

    La Colombie, un autre des principaux piliers de la droite traditionnelle pro-américaine sur le continent, a également connu la tourmente. Le gouvernement Santos a été contraint de modérer ses positions, en particulier en ce qui concerne la guerre avec la guérilla des FARC (avec lesquels des négociations sont en cours avec le gouvernement). Cependant, cela a conduit à une scission au sein de l’aile droite, avec Uribe, le prédécesseur de Santos, défendant une position plus intransigeante, et s’engageant dans la compétition électorale contre Santos pour les élections de l’année prochaine, où ce dernier sera également contesté par le « Front Patriotique », une large force de gauche alignée avec certaines sections de la guérilla.

    Il y a également eu une énorme reprise des luttes sociales avec un mouvement massif des travailleurs ruraux qui a jeté le gouvernement dans la crise, ainsi qu’un mouvement solide dans l’éducation impliquant conjointement des enseignants et des élèves dans des actions de grève. La répression brutale de l’appareil d’État reste une grande caractéristique du pays, les assassinats de militants étant monnaie courante. La réunion du CEI a d’ailleurs adopté une résolution en solidarité avec les ouvriers d’une usine de Nestlé où des militants syndicaux ont récemment été tués.

    L’Argentine entre dans une nouvelle crise, des gains pour la gauche révolutionnaire

    En Argentine, le régime de Kirchner, relativement stable jusqu’à récemment, est également entré dans la crise. Tout en essayant de donner l’impression d’un certain déplacement vers la gauche, avec la nomination d’un nouveau ministre supposément «gauchiste» au ministère des Finances le gouvernement de Christina Kirchner est en réalité engagé dans un virage à droite, comme en témoignent les nouveaux arrangements afin de repayer la dette des créanciers américains, et l’entente visant à dédommager massivement la multinationale espagnole YPF après son expropriation partielle l’année dernière. Elle prépare également un nouvel « ajustement » -entendez austérité- massif d’ici à 2015.

    La reprise des luttes provoquée par cette situation s’est traduite lors des élections législatives, où le FIT (« Front Ouvrier de la Gauche » – une alliance d’organisations trotskystes) a reçu 5 %, avec 1,2 millions de voix, et remporté trois députés (qui auraient été 4 s’il n’y avait pas eu de fraude électorale évidente) et des députés régionaux dans 7 régions. Particulièrement frappant fut le cas de Salta, où le PO (la plus grande composante du FIT) a reçu 27 %, le score le plus élevé pour un parti lors de ces élections. Ce grand pas en avant a été partiellement facilité par le passage à droite du « centre-gauche », ce qui a laissé un certain espace à combler, mais reflète également des années de travail patient parmi les travailleurs et les mouvements sociaux.

    Tony Saunois, du Secrétariat International du CIO, a souligné que la question fondamentale est maintenant une question de perspectives pour le FIT, de savoir quelle va être la façon avec laquelle celui-ci peut se développer en tant que nouvelle force de masse. Cela posera des questions tactiques importantes, entre autres sur comment se positionner face au discrédit/aux scissions de la tradition péroniste, qui continue de dominer le mouvement ouvrier argentin. Bien que l’audience de masse obtenue par le FIT semble avoir servi à atténuer l’approche traditionnellement assez sectaire de certaines de ses composantes, la nécessité de maintenir une orientation vers le mouvement de masse des travailleurs et des jeunes, tout en plaidant pour un programme socialiste révolutionnaire, reste une question-clé.

    Le Brésil, crucial pour l’ensemble du continent

    Le pays le plus crucial pour le CIO en Amérique latine reste le Brésil, en raison de son importance régionale et de la base impressionnante que nous avons construit dans ce pays depuis de nombreuses années. Économiquement, il est passé du statut de LA puissance régionale à la croissance la plus faible de tous les pays du «BRICS» (= Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Le « Lulaisme », précédemment une référence pour le capitalisme dans la région, fut pour la première fois cette année confronté à l’explosion massive de la colère de la rue. Alors que la présidente Dilma Roussef reste relativement forte et est encore susceptible de gagner les prochaines élections présidentielles, la stabilité de son gouvernement, autrefois incontestée, a été mis en doute pour la première fois. André a expliqué comment un nouveau facteur est entré sur la scène politique – « la rue ».

    Luciano, également membre de LSR (CIO au Brésil) a parlé du mouvement massif qui a explosé en juin, en expliquant que si son déclenchement fut la hausse des prix de transport, en réalité, il s ‘agissait d’une révolte généralisée contre tout l’ordre des choses. L’accueil de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques, et les millions gaspillés sur des projets d’infrastructure massifs pour faciliter ce processus, a permis d’exposer les inégalités abyssales, où des millions de personnes croupissant dans les favelas se font dire qu’il n’y a « pas d’argent » pour améliorer leur sort.

    Ce mouvement n’était pas un évènement isolé, mais l’aboutissement d’un processus de remontée des luttes des travailleurs et des luttes sociales en général, déjà évident en 2012 (l’année du plus grand nombre de grèves au Brésil depuis 16 ans). Cette année a vu une nouvelle vague de lutte des travailleurs, y compris une grève de 300.000 travailleurs de l’administration publique qui a duré pendant des mois ainsi que l’immense grève des enseignants dans l’État de Rio de Janeiro, dans lequel les camarades de LSR ont joué un rôle crucial.

    Comme dans d’autres pays, le mouvement a été marqué par une répression brutale, avec l’usage industriel de tirs de balles en caoutchouc et beaucoup d’emprisonnements arbitraires. La répression a été renforcée sous toutes ses formes, mais plus particulièrement par la police militaire dans les favelas. Cependant, il y a eu un changement important dans l’état d’esprit des opprimés, en particulier dans la jeunesse, qui a perdu la peur. Cette nouvelle confiance a également été affichée dans la façon dont le mouvement a répondu à la victoire partielle obtenue lorsque les prix des transports ont été réduits: au lieu de s’arrêter, les protestations se sont multipliées, non seulement par leur taille, mais aussi en terme de revendications et d’exigences plus radicales et plus profondes.

    Si un certain « sentiment anti-parti » existait dans le mouvement, cela doit être en pris en compte afin d’aider à développer la compréhension de la nécessité d’un instrument politique pour la lutte. LSR a réussi à recruter des couches significatives de gens issus du mouvement, malgré cet état d’esprit complexe.

    La nécessité que le « PSOL » (= Parti pour le Socialisme et la Liberté, une formation large de gauche dans laquelle nos camarades sont impliqués) de se développer comme une force de masse, de lutte, et indépendante de la bourgeoisie, afin de donner une voix politique à ces luttes et les doter d’un programme socialiste, est cruciale pour pouvoir surmonter la crise de direction politique qui existe au sein de ce parti. Malheureusement, l’aile droite du parti a réussi à frauduleusement maintenir sa majorité lors du récent congrès du PSOL; toutefois, le bloc de gauche au sein duquel LSR participe a également émergé renforcé dans sa lutte contre les accords de coalition sans scrupules avec les partis bourgeois prônés par l’aile droite, et pour l’adoption d’un programme véritablement socialiste. Paolo Eduardo Gomes, conseiller municipal pour le PSOL à Niteroi, et proche collaborateur de LSR, était invité à la réunion du CEI et a également parlé lors de cette session, soulignant l’urgence et la nécessité pour le PSOL de se développer comme une force socialiste combative.

    Chili

    Cette année, les élections présidentielles au Chili ont aussi reflété l’entrée dans une nouvelle ère. Encore une fois, c’est le reflet avant tout d’une reprise de la lutte de classes, en particulier suite au mouvement de masse mené par les étudiants en faveur d’un enseignement gratuit, soutenu au cours des dernières années. La coalition de la « nouvelle majorité » que Michèle Bachelet a conduit au pouvoir est en fait davantage une « nouvelle minorité », sachant que la majorité des électeurs se sont abstenus au premier et au deuxième tours, ce qui reflète une désillusion de masse et une méfiance profonde dans le système politique.

    Patricio Guzman, de Socialismo Revolucionario (SR, le CIO au Chili), ainsi que d’autres camarades, ont expliqué la situation actuelle dans ce pays. En vue d’assurer sa réélection, Bachelet a eu besoin de la couverture de gauche du Parti Communiste, lequel s’est incorporé récemment dans la coalition de la Concertation et est maintenant susceptible d’entrer dans le gouvernement de Bachelet. Dans ce contexte, la nécessité d’une gauche indépendante, challengeant le pôle Bachelet -lequel a déjà gouverné à l’aide de politiques néo-libérales entre 2005 et 2009 – s’imposait plus que jamais. Le candidat qui de prime abord se profilait pour remplir cet espace fut Marcel Claude, autour duquel un mouvement (« Todos a la Moneda ») s’est développé. SR a été impliqué dans le développement de ce mouvement depuis ses débuts, et présenta des candidats pour le conseil régional et les listes du Sénat, remportant des résultats très respectables (Celso Calfullan a remporté 16.000 votes pour le conseil régional, et Patricio Guzman 13.000 pour le Sénat).

    SR est cependant intervenu dans cette campagne en étant conscient des limites et des contradictions de celle-ci. Marcel Claude a commencé la campagne avec un discours et un programme assez radical, exigeant par exemple la nationalisation du secteur du cuivre et de toutes les ressources naturelles, ainsi qu’une Assemblée constituante pour en finir avec la constitution de Pinochet -laquelle est toujours en vigueur. Cependant, au cours de la campagne, il a commencé à se déplacer vers la droite, édulcorant sensiblement son discours, allant même à un certain point jusqu’à nier qu’il était de gauche! Cela a eu un impact concret sur ​le développement de sa campagne. Bien qu’il avait initialement rassemblé des milliers de supporters à des rassemblements de masse -dont de nombreux jeunes et étudiants-, et était prédit dans les sondages de résultats avoisinant les 7 %, la campagne a perdu son élan au fur et à mesure que les élections approchaient, et Claude n’a finalement obtenu que 2,8 %.

    Patricio a aussi expliqué comment le soutien de SR pour cette campagne a été combinée avec une intervention politique opposant au programme de Marcel Claude un programme clairement socialiste, revendiquant la propriété publique et la gestion démocratique par les travailleurs des grands moyens de production. Nous avons également durant la campagne aidé à organiser les secteurs les plus avancés du mouvement des jeunes et des travailleurs, au travers du «Front des travailleurs pour Marcel Claude » qui implique la fédération, très militante, des employés de banque, et un certain nombre de groupes d’extrême gauche. Grâce à ce front, nos camarades ont pu faire avancer le débat sur la nécessité de poursuivre la construction d’une alternative politique ouvrière de masse après les élections. Pour cette raison, ce front ouvrier a été maintenu, et Socialismo Revolucionario, qui a connu une croissance importante dans les derniers mois, va se battre pour faire en sorte que ce front se développe selon des lignes socialistes, comme une étape vers un nouveau parti de masse servant les intérêts de la classe ouvrière.

    La réunion a débattu de la question de savoir comment est-ce que les marxistes révolutionnaires se positionnent vis-a-vis de premiers pas, dans un sens large, vers la recomposition de la gauche et du mouvement ouvrier, comme on l’a vu lors de la récente campagne chilienne; de telles initiatives en effet, tout en représentant des pas en avant importants, n’ont pas à ce stade un caractère socialiste ou même de classe clairement défini. Le CIO souligne à chaque étape la nécessité de lutter au sein du mouvement pour une politique socialiste révolutionnaire, et pour la construction de forces de masse indépendantes, par et pour la classe ouvrière, en maintenant bien haut la bannière du marxisme révolutionnaire. Cependant, comme Tony Saunois l’a entre autres expliqué, dans cette lutte, nous devons être prêts à nous engager dans des initiatives et des formations qui attirent de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes dans la lutte contre l’austérité, contre le capitalisme et l’oppression, avec la compréhension que ces initiatives représentent des étapes transitoires et vivantes dans le processus de recomposition de la gauche et du mouvement ouvrier organisé. Ce dernier, jamais et nulle part, n’a pris directement une forme « pure », mais s’est au contraire toujours formé dans des batailles avec d’autres courants et confusions politiques existantes. Cette méthode a permis à nos forces d’intervenir avec succès dans des formations plus larges au Chili et au Brésil, mais aussi en Europe.

    Vénézuela et Bolivie

    La nouvelle phase de crise et d’instabilité sur le continent a également secoué les pays-clés du processus révolutionnaire « bolivarien » des 10-15 dernières années. Johan Rivas, de Socialismo Revolucionario (CIO au Vénézuela) a expliqué comment la mort de Chavez a ouvert une nouvelle situation dans laquelle les contradictions du processus bolivarien, longtemps expliqués par le CIO, ont été mises à nu. La base fondamentale de cela est que, malgré les réformes progressistes et les nationalisations mises en œuvre par le « chavisme » au cours des 15 dernières années, le capitalisme n’a à aucun moment été complètement renversé. Cela a conduit à une situation dans laquelle, sous l’impact d’une crise économique profonde – avec des éléments de « stagflation » (stagnation économique + inflation) – la droite, précédemment discréditée et désorientée, a été en mesure de faire des gains importants, et ce y compris parmi la base du chavisme, comme en témoigne les dernières échéances électorales. Entre la réélection de Chavez en novembre dernier et l’élection de son successeur Nicolas Maduro en avril, le chavisme a perdu 2 millions de votes, une tendance qui a été maintenue par la suite dans les élections législatives et locales.

    Alors que l’énorme autorité et le charisme de Chavez avaient contribué à maintenir la stabilité et l’unité du gouvernement dans ces conditions, son remplacement par Maduro ouvre une situation beaucoup plus instable. La «guerre économique» menée par les patrons et la droite, à laquelle Maduro fait référence, est en réalité facilitée par les politiques du gouvernement, qui inclut des éléments de conciliation avec le secteur privé et l’impérialisme, et il existe une aile au sein du chavisme lui-même qui est en train de flirter avec certains secteurs de l’opposition. Il y a aussi une fissure croissante entre les ailes civile et militaire au sein du gouvernement, cette dernière ayant été renforcée depuis la mort de Chavez.

    Dans cette situation, la seule force capable d’empêcher durablement un retour au pouvoir de la droite, et de mettre un terme à la situation économique difficile des masses, est la classe ouvrière qui doit lutter pour sa propre expression politique indépendante, afin de lutter pour une rupture révolutionnaire avec le capitalisme. SR se bat pour le développement d’une gauche alternative pour les travailleurs et es pauvres, s’appuyant sur la base militante du chavisme et sur les secteurs-clés des travailleurs en lutte, lesquels ont mené des mouvements de grève importants dans les derniers mois, y compris des occupations et la mise en œuvre du contrôle ouvrier au niveau local.

    En Bolivie, le gouvernement de Morales s’est tourné contre sa propre base, les travailleurs et les paysans, de manière plus décisive, avec un certain nombre de nouvelles mesures anti-ouvrières, en particulier la nouvelle loi sur les pensions implémentée cette année. Cela, à son tour, a provoqué une nouvelle vague de lutte contre ces mesures, dont le point culminant fut la grève générale illimitée de la confédération syndicale COB, qui a duré une semaine. Plus important encore, l’idée de construire un parti des travailleurs – dont l’absence fut une des principales faiblesses du mouvement révolutionnaire qui a mené Morales et son parti, le MAS, au pouvoir – a été reprise par des secteurs avancés du mouvement ouvrier. Cela a conduit à l’importante initiative lancée par la COB en février, pour la construction d’un nouveau parti des travailleurs (PT). Cependant, le développement futur de cette initiative n’est pas clair à ce stade. Franco d’ASR (Alternativa Socialista Revolucionaria, la section du CIO en Bolivie) a souligné combien il est nécessaire de lutter pour l’indépendance continue du PT vis-à-vis du gouvernement, et pour son renforcement en tant que force politique de masse dotée d’un programme révolutionnaire, plutôt que de le voir transformer en un simple outil de négociation pour la bureaucratie syndicale du COB.

    Cuba

    La discussion a été profondément enrichie par la présence importante, pour la première fois, d’un représentant d’Observatorio Critico, un réseau cubain de militants de gauche. Rogelio a expliqué les contradictions croissantes qui ont émergé dans la société cubaine sur la base des nouvelles réformes pro-marché limitées mises en œuvre par le gouvernement de Raul Castro. Alors que pour beaucoup au sein de la bureaucratie cubaine, ces réformes signifient le début d’un processus en vue du rétablissement de l’économie de marché, Tony Saunois a expliqué qu’il serait erroné de croire qu’un tel processus à Cuba sera une simple répétition de l’effondrement de l’URSS ou du processus d’ouverture au marché capitaliste tel qu’il s’est effectué en Chine. Les racines profondes des gains de la révolution cubaine dans la conscience de millions de Cubains signifie que dans les faits, un tel processus peut être ralenti ou même inversé sous la pression des événements et des masses. Cette discussion a mis au jour la nécessité pour les marxistes révolutionnaires d’approfondir la compréhension de la révolution cubaine et surtout de sa situation actuelle, afin d’approfondir et d’élaborer le programme nécessaire pour la défense de la révolution contre l’impérialisme, et son approfondissement sur la base de la démocratie ouvrière et du socialisme international.

    André Ferrari a conclu la discussion, en soulignant les possibilités importantes de croissance pour le CIO, en taille et en influence, dans la période à venir, y compris la possibilité de pénétrer de nouveaux pays comme la Colombie ou le Pérou. La nouvelle conjoncture passionnante qui s’ouvre en Amérique Latine verra ce continent propulsé une fois encore vers l’épicentre de la situation, et de la révolution, mondiale. Les pas importants qui ont été faits par le CIO au Brésil, au Chili, au Vénézuela et ailleurs serviront à améliorer considérablement la possibilité pour que les idées du socialisme révolutionnaire soient situées dans la ligne de front des batailles et des victoires de la classe ouvrière en Amérique Latine dans la période à venir, dans la lutte pour une confédération socialiste de la région.

  • Second tour des élections présidentielles chiliennes, encore une fois l’abstention est victorieuse.

    L’instabilité sociale et politique persistera durant la prochaine période

    Le Chili est entré dans un nouveau cycle politique, un pourcentage élevé de la population ne croit plus dans les institutions démocratiques de la bourgeoisie. En effet, la droite de ”l’Alianza” ou le centre gauche de la ”Concertación”, l’actuelle Nouvelle Majorité, sont les grands perdants du deuxième tour de l’élection présidentielle. Seul 5,6 millions des 13 millions d’électeurs se sont déplacés pour aller voter, cela représente une abstention de 57% !

    Celso Calfullan, Socialismo Revolucionario (CIO -Chili)

    Le jour des élections, le dimanche 15 décembre, tous les journalistes ont montré des bureaux de votes vides ou les responsables de certains bureaux qui dormaient car personne ne venait voter.

    Dire que l’abstention démontre clairement une position politique serait absurde, mais le fait que la majorité de la population ne va pas voter indique l’absence d’une vraie démocratie au Chili. Les gens ont arrêté de croire qu’en participant, sous les conditions actuelles, ils pouvaient changer quoi que ce soit avec leur vote. Cet élément doit être mis en rapport avec l’énorme mal-être qui existe parmi la population chilienne, illustré par les grandes mobilisations des années 2011 et 2012, où plusieurs millions de jeunes et de travailleurs sont sortis manifester dans les rues de toutes les villes du pays.

    Un autre élément important à prendre en compte est que ceux qui ont effectivement été voter sont fondamentalement les personnes issues des vieilles générations, pratiquement personne de moins de 40 ans n’a participé à ces élections. Ainsi, ceux qui n’ont pas été voté sont précisément ceux qui étaient dans les rues durant les grandes mobilisations sociales de ces dernières années et n’ont aucune confiance dans le fait que les nouvelles autorités puissent faire quelque chose de concret pour résoudre leurs problèmes.

    Un ras-le-bol est clairement perceptible parmi la population, spécialement parmi la jeunesse qui n’a pas vécu sous la dictature et qui ne vit plus avec la crainte de la répression ou d’un retour à la dictature si elle va ”trop loin”. Les étudiants et les jeunes travailleurs n’ont connu que les gouvernements de la Concertation et de la droite et se sentent floués.

    Nous devons aussi ajouter que le soutien réel à Bachelet est très faible. En effet, il est théoriquement de 62%, mais avec une participation à 43% le soutien réel ne s’élève qu’à 25%, ce qui est beaucoup moins que ce qu’elle n’a obtenue lors des élections présidentielles de 2005, quand elle a été élue présidente pour la première fois.

    Le mouvement étudiant n’a aucune confiance en Michelle Bachelet, d’autant plus avec les antécédents répressifs de son ancien gouvernement. Le mouvement a déjà menacé de recevoir le futur gouvernement avec des mobilisations et des manifestations. Les jeunes veulent voir des mesures concrètes qui mettent fin à l’enseignement privé et au profit dans l’éducation.

    Tout semble démontrer que la ”Lune de Miel” du futur gouvernement sera très courte et quant aux grandes espérances que certains ont pour Bachelet, la déception aussi sera grande. Ce sera comme verser de l’essence sur le feu social que nous avons vu au cours des années précédentes.

  • Elections chiliennes : Victoire de l’abstention

    Avec un niveau de 51,4%, l’abstention a largement gagné le premier tour des élections chiliennes du 17 novembre dernier. Cela est révélateur du désintérêt des électeurs pour le système politique actuel et nuance grandement la ‘‘victoire’’ de Michelle Bachelet, la candidate social-démocrate. En effet, non seulement elle n’a pas été élue dès le premier tour comme initialement espéré mais, en plus, ses 3.070.012 voix (46.67%) ne correspondent qu’à 22.7% des électeurs.

    Par Pablo N (Bruxelles)

    Quant à la candidate de la droite et de l’extrême-droite, Evelyn Matthei, elle n’a obtenu que 1.645.271 voix (25.01%), soit à peine 12.1% du corps électoral. Ce score correspond à la base traditionnelle de la droite putschiste et montre clairement qu’elle n’a pu remporter les élections de 2010 que grâce au dégoût profond de la population envers la Concertación (coalition de centre-gauche qui était au pouvoir depuis le début des années nonante). Le gouvernement de la Concertación (maintenant Nouvelle Majorité) dirigé par Bachelet fut marqué par de grandes mobilisations, particulièrement des jeunes écoliers, et par la répression des grévistes ou du peuple Mapuche (littéralement ‘‘Peuple de la terre’’, communauté originaire du centre-sud du Chili et de l’Argentine représentant environ 4% de la population chilienne), qui laissa plusieurs morts. Contre ces derniers, ce même gouvernement appliqua d’ailleurs une loi ultra-répressive “anti-terroriste” datant de la dictature de Pinochet. La décomposition de cette coalition paraissait inéluctable, mais elle fut stoppée par le prestige de la présidente et par l’arrivée du Parti Communiste Chilien en son sein.

    Le potentiel pour la gauche radicale

    Au niveau de la gauche, le candidat Marcel Claude qui avait suscité l’espoir d’un bon résultat électoral n’a pas réussi à massivement attirer les jeunes qui se sont mobilisés ces dernières années ainsi que la majeure partie de l’électorat traditionnel de gauche. Il n’a pu récolter que 184.906 voix (2.81%).

    Pourtant, avec la participation de centaines de bénévoles, le mouvement de Marcel Claude Todos A La Moneda (auquel participaient le Parti Humaniste chilien, le Mouvement Rodriguiste et Socialismo Revolucionario, l’organisation-sœur du PSL au Chili) avait un potentiel incroyable. Ainsi, il proposait le programme politique de gauche le plus radical depuis la fin de la dictature avec entre autres la convocation d’une assemblée constituante, la renationalisation du secteur du cuivre et des ressources naturelles en général, la fin du système des pensions privées (AFP), l’accès gratuit à l’éducation et à la santé ou encore la construction d’un Etat à caractère plurinational tenant compte des communautés originaires comme nations à part entière. Il a pu, jusqu’à un certain point, bénéficier de l’appui de la jeunesse qui d’habitude ne participe pas aux élections. Il a également réussi à avoir l’appui de dizaines d’organisations et des comités du mouvement se sont autoconvoqués dans tout le pays.

    Nous analysons que cette défaite est en partie due à l’impossibilité de certaines organisations ou de certains individus de la gauche chilienne de dépasser leur intérêts mesquins ou de réprimer leur arrogance. Ainsi, la fragmentation des forces anticapitalistes fut un grand obstacle pour la formation d’une force électorale crédible, capable de toucher et d’organiser une bonne partie de la population. De plus, la campagne électorale a été menée de manière très présidentielle, sans considération pour les candidats parlementaires et les candidats conseillers régionaux du mouvement. Mais les difficultés électorales de la gauche ne sont pas attribuables uniquement à ces points faibles. Le retard dans la conscience des masses et le monopole des partis capitalistes dans les médias dominants sont aussi des facteurs importants à prendre en compte.

    Ceci étant, les Comités de Campagne de Todos A La Moneda ont été une opportunité pour que les militants de plusieurs horizons et tranches d’âge puissent se rencontrer, surpassant quand même une certaine division. Une proposition de constituer un Front des Travailleurs dans tout le pays est née dans le mouvement et est en train de prendre forme. Si ce Front des Travailleurs se constitue réellement, en tant que premier pas pour l’unification et la conscientisation de la classe ouvrière et la jeunesse chilienne, ce sera finalement le plus grand apport de cette campagne. De plus, un secteur du mouvement étudiant regroupé autour de la Izquierda Autónoma Universitaria (la Gauche Autonome Universitaire) a réussi à faire élire un candidat au parlement chilien.

    En conclusion, l’abstention des secteurs les plus jeunes et les plus dynamiques, le dégoût pour l’establishment, les inégalités sociales brutales, l’endettement privé général et l’accentuation de la baisse de croissance chilienne promettent un gouvernement avec très peu de légitimité et de fortes mobilisations sociales. Cela donne également un terrain propice pour les idées vraiment démocratiques et socialistes dans les prochaines années.


    Nos candidats

    Celso Calfullan de Socialismo Revolucionario était candidat pour le conseil de Santiago. Il a reçu 16.500 voix dans le deuxième district électoral, un des meilleurs résultats du mouvement ‘Todos a la Moneda’. Patricio Guzmán, également membre de Socialismo Revolucionario, a recueilli 13.000 voix pour le Sénat à Santiago Oriente.

  • Venezuela: la crise s’intensifie

    L’économie du Venezuela fait face à une inflation et une spéculation hors de contrôle ainsi qu’à d’importantes pénuries de nourriture. En même temps, les forces capitalistes gagnent en audace à cause des divisions croissantes au sein du gouvernement. Le vide à la tête du gouvernement vénézuélien depuis la mort d’Hugo Chávez, associé à l’intensification de la crise économique globale et aux limites des réformes gouvernementales, a contribué à exposer les faiblesses et les contradictions de la fameuse ”révolution bolivarienne”. Cela marque une nouvelle étape dans le développement de la lutte des classes.

    Johan Rivas, Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)

    Dans le même temps, l’absence d’une organisation conscientisée de la classe ouvrière et des pauvres, opposée au capitalisme, à la corruption et à la bureaucratisation, a permis aux forces de droite de lancer une nouvelle offensive politique et économique dans le but de reprendre le flambeau.

    Depuis la mort de Chávez au mois de mars, les contradictions du chavisme se sont accentuées, ce qui a conduit à des clivages et à des divisions entre les secteurs civil et militaire pour le contrôle du PSUV (Partido Socialista Unido de Venezuela) au pouvoir et du gouvernement. Cela a conduit à une crise politique du PSUV, qui se reflète dans le choix des candidats pour les élections municipales qui auront lieu le 8 décembre.

    L’imposition de candidats par la direction du parti sans prendre en considération la base et les représentants des communautés a provoqué des fissures. Dans certaines régions, des membres en colère de la base du PSUV, qui se réclament du ”chavisme rebelle”, ont présenté des candidats indépendants sans consulter la direction du parti. Diosdado Cabello, vice-président du PSUV et président du parlement, a qualifié ceux qui ne ”respectent pas” les décisions du parti de traîtres et de contre-révolutionnaires, ajoutant qu’aucun candidat non-membre du PSUV ne pourrait être digne de l’héritage de Chávez.

    Dans un contexte qualifié de ”sabotage” et de ”guerre économique” par le gouvernement, la bourgeoisie est accusée de conspiration, alors qu’en même temps, le gouvernement tente de former des alliances avec des capitalistes qu’il qualifie de ”nationaux” et de ”démocratiques”.

    Le successeur de Chávez, Nicolás Maduro, n’a pas appelé à un rassemblement des travailleurs, des pauvres et des mouvements sociaux afin de développer un plan politique révolutionnaire pour affronter le capitalisme (et la violence des casseurs réactionnaires qu’il encourage) après son élection le 14 avril. Au lieu de cela, il a rencontré de grands patrons et des représentants de la bourgeoisie, dont la famille Mendoza, propriétaire de l’entreprise d’alimentation et de boissons POLAR, le plus gros monopole du pays. Le gouvernement leur a offert de grosses concessions pour qu’ils puissent promouvoir leurs affaires, notamment en les autorisant à ignorer d’importantes obligations concernant les droits des travailleurs et en leur octroyant des conditions de financement plus favorables, avec comme résultat une forte hausse du prix des aliments de base et une dévaluation de la monnaie nationale de 46%.

    Les patrons ne se sont pas montrés satisfaits et font maintenant pression pour plus de flexibilité sur le marché des changes et pour une dévaluation accélérée, ce que le gouvernement envisage. En même temps, ils exigent un affaiblissement du droit du travail, qui représente 20 à 30% du coût de la production. Selon les patrons, les droits des travailleurs sont l’un des facteurs derrière les pénuries dans l’économie.

    Inflation et spéculation

    Malheureusement, les principaux porte-paroles des fédérations syndicales comme la CBST (Central Bolivariana Socialista de Trabajadores) et l’UNETE (Unión Nacional de Trabajadores de Venezuela) ont aussi déclaré que l’absentéisme des employés est un facteur du déclin de la production. Ils ”modèrent” cependant leurs propos en disant que les travailleurs ont besoin de davantage de stimulation pour contribuer davantage au travail de leur entreprise.

    Bien sûr, il y a d’autres raisons à la baisse de la production. Par exemple, dans la région de Cordero dans l’Etat de Lara, l’entreprise de poulet SOUTO a fait banqueroute et a été fermée de manière frauduleuse, un coup orchestré par ses propriétaires. Puis, en août, l’entreprise toute entière et ses nombreuses usines ont fermé, ce qui a contribué à la pénurie d’aujourd’hui. Les travailleurs de SOUTO ont organisé une résistance héroïque pendant plusieurs mois, exigeant la nationalisation des usines sous contrôle des travailleurs et de la communauté. La réaction du gouvernement a été d’augmenter les importations de nourriture, y compris de poulet. Il existe bien d’autres exemples.

    La bureaucratie syndicale semble préférer s’allier de manière opportuniste à l’opposition au gouvernement plutôt que de lutter pour une action unie pour la défense des droits des travailleurs et une alternative révolutionnaire à la droitisation du gouvernement et au sabotage orchestré par la droite.

    Les mesures du gouvernement empirent la situation économique. La rareté des denrées atteint des niveaux historiques, généralement 20%, mais parfois 50% et même 100% pour certains produits comme le lait, le poulet, l’huile,… Les tentatives des bureaucrates de contrôler les prix ont échoué et les patrons continuent à spéculer. L’inflation atteint en moyenne 40%, et s’élève à 70% en ce qui concerne la nourriture. Les prix élevés du pétrole dans le monde, qui ont dépassé les 100$ depuis des années, n’ont pas suffi à permettre au gouvernement de maintenir ses politiques sociales, qui sont de plus en plus sapées au profit des concessions accordées à certains patrons (qui tentent malgré tout de faire tomber le gouvernement).

    Le gouvernement connaît une sérieuse crise de liquidités, principalement causée par des problèmes de production dans l’entreprise pétrolière nationale PDVA et à la CVG (secteur national du métal et des mines), qui représentent 97% du PIB. Phénomène accru par les fuites massives de capitaux causes par les capitalistes et les mafias.

    Malgré des recettes de 900 milliards de dollars ces 14 dernières années, le gouvernement est dans un déficit profond qui ne fait qu’empirer. La Chine est devenue son principal créancier. Mais le régime chinois s’inquiète de l’instabilité du Venezuela et de ses demandes constantes pour plus de crédit. Maduro s’est ainsi rendu en Chine au mois d’octobre pour demander un allongement de crédit. Le régime chinois investit dans la technologie, la construction, les télécommunications et l’automobile, en plus de chercher à s’approprier d’énormes espaces cultivables. Cela peut sembler paradoxal pour un pays qui connaît une énorme pénurie alimentaire.

    Il s’agit d’une politique très risquée. Malgré sa croissance record des dernières années, la Chine n’est pas immunisée à la crise du capitalisme. Le ralentissement de son économie et l’effondrement économique du Venezuela, combinés à une chute généralisée des prix du pétrole, mettraient le pays dans une situation critique. Cela élèverait aussi l’intensité de la lutte des classes.

    Sous prétexte de combattre la corruption et la fuite de capitaux, le gouvernement s’en prend aux gens ordinaires qui, pour une raison ou une autre, souvent pour cause de nécessité absolue, se retrouvent enrôlés dans des réseaux criminels qui achètent de la monnaie étrangère à bas prix et la revendent à des prix bien plus élevés sur le marché noir. Les dirigeants de ces réseaux s’en sortent pour la plupart sans problèmes.

    La domination du marché noir des devises étrangle l’économie, avec une spéculation massive sur les prix. Par exemple, les prix des vols en avion ont augmenté de 400%. Les appareils électroniques et les téléphones qui coûtent généralement entre 100 et 500$ à l’étranger coûtent entre 1000 et 5000$ au Venezuela ! Le gouvernement a pris de nouvelles mesures via l’agence nationale de contrôle des devises, la DADIVI, pour limiter la quantité de devises étrangères auxquelles les Vénézuéliens peuvent avoir accès à l’étranger. Mais cela ne représente que le sommet de l’iceberg, environ 10% des fuites de capitaux seulement.

    Inégalités croissantes

    Rien que l’année dernière, 23 milliards de dollars ont été donnés au secteur privé pour compenser les ”coûts de l’importation”. Cet argent a disparu dans des entreprises fantômes créées pour faciliter la corruption, avec l’implication d’éléments de la bureaucratie d’Etat. Le gouvernement tente d’éviter ce sujet qui a provoqué le mécontentement parmi la base des chavistes, qui s’est mise à se demander si la croisade contre la corruption était vraiment sérieuse. Le gouvernement tente de cacher le fait que la bureaucratie décide de tout sans réelle participation des travailleurs, et que les taux élevés de corruption au sein de l’Etat ont provoqué et encouragé cette crise.

    Ces 14 dernières années, le gouvernement a gardé intactes les principales forteresses économiques des capitalistes, qui continuent à maintenir et à augmenter leurs profits. 70% du PIB reste concentré entre les mains de 1% de la population. L’année dernière, 97% des revenus des banques du pays venaient de la PDVSA. Les 1% les plus riches contribuent donc à moins de 3% ! 60% de cet argent a été dépensé en importations, en majorité de nourriture et de biens manufacturés, en grande partie à destination du secteur privé. La classe parasite bénéficie donc de la plus grande partie de l’argent du pétrole et du PIB.

    L’ALEM (Association Sud-Américaine des Economistes Marxistes) estime qu’au Venezuela, il y a 423 « unités » de production agricole. 2% d’entre elles possèdent 17 millions d’hectares, 55% des terres. Depuis 1999, l’Etat a augmenté les vides juridiques pour les grandes entreprises. Les multinationales basées à l’étranger ne paient aucune taxe sur la production vénézuélienne, juste celles de leur pays « d’origine ». Cette nouvelle législation a été dénoncée par Luis Brito Garcia, membre de gauche bien connu du Conseil Fédéral. Il dit que l’Etat a perdu 17 milliards de $ en taxes depuis 2009 à cause de cette législation. Cette réduction de taxe doit clairement être abolie, tout comme les taxes injustes telles que la TVA.

    Malgré le fait que la radicalisation des masses a poussé Chávez à nationaliser des entreprises et à exproprier de grands propriétaires terriens, faisant ainsi trembler le capitalisme et l’impérialisme, ces mêmes capitalistes ont maintenu et même augmenté leurs bénéfices sous Chávez et Maduro. Par exemple, le secteur banquier et financier privé continue à battre des records de profits, même en période de récession.

    De plus, malgré des conflits diplomatiques et des tentatives de nouvelles alliances avec la Russie et la Chine, l’économie vénézuélienne reste très dépendante des Etats-Unis, qui restent son principal partenaire dans des secteurs-clés. Le Département d’Etat des Etats-Unis a ainsi résumé la situation : ”Les tensions diplomatiques entre le gouvernement du Venezuela et l’administration des Etats-Unis n’affectent pas et n’ont rien à voir avec les relations commerciales fructueuses entre les deux pays.”

    Les victoires du passé menacées

    La classe ouvrière fait face à de nombreux défis majeurs au Venezuela, et pas qu’à celui de remplacer le poids politique de Chávez. Le défi principal est de continuer avec le processus qui a posé la question d’une révolution socialiste pour mettre fin à la pauvreté dans l’esprit de larges couches des travailleurs et des pauvres.

    Cependant, l’absence d’une organisation de la base des travailleurs et des pauvres, prête à jouer un rôle-clé, fait que le processus restera faible et limité à des réformes démocratiques et populistes dans le cadre du capitalisme. C’est le facteur principal qui explique comment un processus qui est devenu une référence si forte pour ceux en lutte contre le capitalisme à travers le monde a été incapable de se défaire définitivement du système.

    La crise politique et économique actuelle menace non seulement d’en finir avec les acquis de la révolution, mais augure aussi une défaite politique. Cela pourrait être utilisé par la classe dominante, comme c’est déjà en partie le cas, pour argumenter que le « socialisme » a échoué, qu’il s’agit d’un modèle obsolète et que l’on ne peut que chercher à réformer le capitalisme et à atteindre la paix sociale entre les classes. Rien ne pourrait être plus faux, au vu de la réalité dans laquelle nous vivons à l’échelle globale.

    Le gouvernement a parlé de sabotage et de guerre économique contre lui durant toute la période actuelle. Il l’a répété à l’occasion de la 40ème commémoration du coup d’Etat militaire contre Salvador Allende au Chili en 1973. Il a tenté de faire une référence historique de manière mécanique pour convaincre le peuple que la situation actuelle n’a rien à voir avec ses échecs politiques mais ne représente qu’une autre tentative du capitalisme et de l’impérialisme d’en finir avec la révolution. Il s’agit clairement de manipulation visant à dissimuler le fait que le gouvernement s’est engagé dans une politique de conciliation de classe, trahissant les aspirations des travailleurs qui ont soutenu Chávez et l’idée d’une révolution socialiste.

    Le rôle de l’armée

    L’échec de la politique économique du gouvernement et ses affaires avec les capitalistes ont fait trembler sa base sociale. Les élections du 14 avril ont montré que le chavisme a perdu 2 millions de votes en moins de 5 mois. Il y a un mécontentement croissant parmi la base du chavisme et les travailleurs qui, malgré la confusion et le manque de direction politique, conserve ses aspirations révolutionnaires et de changement de régime. Cela rend impossible pour l’aile droite et la bureaucratie chaviste de contrôler la situation à 100% ou de prévenir une nouvelle explosion révolutionnaire.

    Dans une telle situation, l’armée joue souvent un rôle d’arbitre et intervient pour préserver la stabilité du système. Cependant, il s’agit aussi d’un sujet complexe et il existe de nombreuses contradictions politiques au sein même de l’armée. Au Venezuela, certains éléments de l’armée sont d’origine prolétaire, contrairement à de nombreux autres pays de la région, et Chávez avait introduit l’idée du socialisme parmi les troupes, avec cependant une vision nationaliste.

    Même si ces idées socialistes sont abstraites et confuses, elles ouvrent la possibilité de divisions et de confrontations au sein des forces armées. Malgré tout, la majorité des militaires sont décidés à protéger le système, et ils pourraient jouer un rôle-clé.

    Maduro a aussi exercé plus de pouvoir sur l’armé, bien plus que Chávez. De nombreux départements-clés de l’Etat sont dirigés directement ou non par des personnalités militaires, dans le but de pacifier une partie du mécontentement qui s’élève dans l’armée. Le gouvernement a annoncé des augmentations de salaires pour le personnel militaire, et de nouveaux crédits pour acheter des armes et de l’équipement et financer des réparations. Rien de nouveau ; Chávez avait adopté une approche similaire. La différence, c’est que Chávez avait suffisamment de charisme et d’autorité pour être capable d’équilibrer la balance entre l’armée et les secteurs civils. Il profitait aussi d’une meilleure situation économique.

    Les contradictions croissantes au sein du chavisme, la crise politique et économique, et l’intensification des divisions parmi les partis qui soutiennent le gouvernement, particulièrement le PSUV, ouvrent la voie à une réorganisation de la gauche et de la base qui lutte pour une radicalisation et un approfondissement de la révolution bolivarienne.

    Dans la prochaine période, nous assisterons à une montée des conflits sociaux, comme c’est déjà le cas pour les travailleurs du métal de SIDOR et pour d’autres travailleurs. La nécessité d’une direction bâtie sur les luttes des travailleurs et des pauvres reste un facteur décisif. Cela représente le principal défi pour la gauche révolutionnaire.

    D’un autre côté, vu la balance actuelle des forces, il ne serait pas surprenant que la bourgeoisie reprenne tout le pouvoir, soit via une alliance de droite, MUD (Mesa de Unidad Democratica), ou à travers une contre-révolution au sein du chavisme même. Cependant, ce serait une erreur de tirer des conclusions défaitistes, car les contradictions du capitalisme au Venezuela atteignent leurs limites.

    A l’échelle mondiale, la crise du capitalisme se poursuit. Le changement ne viendra pas tout seul, mais, dans le contexte d’une nouvelle période de la lutte des classes, tout gouvernement qui opère sur une base capitaliste connaîtra la possibilité d’explosions révolutionnaires des travailleurs et des pauvres.

  • Chili 1973 : l’autre 11 septembre

    11 septembre 1973, les Forces Armées chiliennes aidées par les Etats-Unis exécutent un coup d’Etat contre le gouvernement de l’Unité Populaire présidé par le socialiste réformiste Salvador Allende. La population est massivement réprimée, les organisations de gauche sont interdites et plus d’une centaine de milliers de militants politiques s’exilent pour fuir la torture et les assassinats. Une dictature militaire s’établit et implante au Chili une politique néolibérale extrêmement brutale privatisant tout sur son passage.

    Dossier de Pablo N. (Bruxelles)

    De cette manière 2 ans après le putsch militaire, le pouvoir d’achat des salariés est réduit de 40% et le taux de chômage atteint vite 15 à 20% contre 4% en 1973. Après 17 ans de dictature et le retour à la ‘‘démocratie’’ en 1990, la société chilienne est encore fortement marquée par cette sombre période. Même après 20 ans de gouvernement de ‘‘centre-gauche’’, la Constitution en vigueur est toujours celle du régime militaire, la politique néolibérale est toujours présente, la pauvreté aussi et la répression également. En effet, le 6 août dernier, un militant mapuche (une des nations indigènes du Chili) a été assassiné par les Forces Spéciales de la police.

    ‘‘Poder Popular’’ et résistance de l’élite capitaliste

    Pourquoi ce coup d’Etat ? Pourquoi la population chilienne a-t-elle subit une telle dictature sanglante ? Tout commença en novembre 1970 avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition de partis de gauche, l’Unité Populaire. Elle était formée autour des deux grands partis des travailleurs – le Parti Communiste et le Parti Socialiste – auxquels s’ajoutaient de plus petits partis de gauche chrétiens ou radicaux. Le nouveau gouvernement s’engagea dans des réformes importantes au profit des travailleurs, des paysans et des pauvres du pays. Les terres agricoles furent équitablement partagées, les salaires augmentèrent de 30% en moyenne, les prix des matières premières furent bloqués, etc. Cela provoqua un immense enthousiasme parmi la population chilienne, doublé d’un regain de combativité parmi les militants politiques et syndicaux qui voulaient de plus en plus exercer une démocratie directe : le ‘‘poder popular’’ (pouvoir populaire). Mais cela provoqua également l’ire des classes possédantes qui ne reculèrent devant aucun procédé pour attaquer le gouvernement et les classes exploitées.

    Jusqu’à ce qu’une première tentative de putsch ait lieu en octobre 1972, au travers d’un lock-out patronal (grève patronale et fermeture des usines) paralysant toute la société chilienne. Les syndicats de camionneurs, soudoyés par la CIA, déclenchèrent une grève illimitée et tous les syndicats patronaux suivis par les Ordres professionnelles (avocats, médecins, architectes, etc.) les rejoignirent.

    Le gouvernement et les dirigeants nationaux des partis et du syndicat ne surent comment réagir. En effet, la crise les avait pris de cours et même s’ils étaient aux commandes de l’appareil d’Etat, ils ne purent instaurer des mesures efficaces. Cet appareil était encore trop sous l’emprise de la droite et des capitalistes et a saboté toutes les actions légales de Salvador Allende.

    L’initiative des masses

    La réponse vint alors de la population. Dans les campagnes, les paysans et les peuples indigènes occupèrent les terres des grands propriétaires. Dans tous les quartiers, surtout dans les plus pauvres, se formèrent des Comités de Ravitaillement et de Contrôle des Prix (JAP, Juntas de Abastecimiento y Precios) qui réquisitionnèrent les commerces et les supermarchés qui trichaient avec les prix et vendaient des produits au marché noir. A la fin janvier 1972, il en existait 2.200 dans tout le pays, qui redistribuaient quotidiennement et équitablement les marchandises.

    Mais ce fut dans les zones industrielles que la réponse se fit la plus profonde et la plus dangereuse pour le système capitaliste. Ainsi les délégués syndicaux issus d’un même cordon (zoning) industriel se sont organisés en coordinations. Ces coordinations prirent en main l’occupation des usines, désertées par les cadres supérieurs et les patrons. Petit à petit, grâce à leur solidarité, ils commencèrent à autogérer la production. Souvent les cordons ont garanti le transport des travailleurs et des produits ou encore la distribution des aliments, tout en assurant la garde des entreprises contre d’éventuels sabotages. Un nouveau pouvoir issu des travailleurs était en gestation.

    Le pays put ainsi reprendre une activité économique relativement normale mais, pour la première fois, la classe des travailleurs avait pris conscience de sa puissance et de sa capacité à faire marcher la société sans les capitalistes. De cette manière, la grève patronale prit fin, mais la lutte qui opposait les classes sociales devint visible aux yeux de tous. Le Chili entrait dans un processus véritablement révolutionnaire et les cordons industriels furent son expression la plus poussée.

    Le gouvernement cherche la conciliation

    Pourtant le gouvernement d’Allende tenta de calmer la combativité des chiliens. Il entra dans une politique de discussions stériles avec les secteurs dit ‘‘progressistes’’ des capitalistes dans le but de contrer l’impérialisme étranger et la grande bourgeoisie locale. Il tenta de rendre les entreprises occupées et autogérées par les cordons industriels à leurs patrons. De leur côté, les travailleurs, tout en continuant à soutenir l’Unité Populaire, critiquèrent durement ses concessions et ses demi-mesures. Ils exigeaient de celui-ci, la ‘‘mano dura’’ (main ferme) contre les sabotages de la droite et les attaques de groupes d’extrême-droite en même temps que la nationalisation officielle des entreprises occupées.

    Fin juin 1973, le Chili fit face à une nouvelle tentative de coup d’Etat, mais cette fois-ci militaire. Elle fut rapidement avortée. Les travailleurs et les paysans en profitèrent pour étendre les occupations et renforcer le pouvoir populaire en créant de plus large coordination.

    Mais la population chilienne commença à se rendre compte du danger qui venait. Plusieurs manifestations ont eu lieu devant le Palais Présidentiel, dans lesquelles les slogans les plus repris exigeaient l’armement des masses afin qu’elles puissent se défendre. Pourtant, aucun des partis de gauche n’a répondu à ce souhait. Quant aux cordons industriels, même s’ils étaient souvent dirigés par des militants de la base de ces partis politiques, ils ne reçurent aucune aide pour se développer. Au contraire, les partis au pouvoir tentèrent de les maintenir sous le contrôle de la bureaucratie nationale du syndicat.

    Pendant ce temps les capitalistes se réorganisèrent. Ils purgèrent l’armée et la police des éléments de gauche qui y avaient une forte influence et, un peu plus de deux mois plus tard, ils déclenchèrent un ultime coup d’Etat. Les travailleurs, sans armes, sans direction politique ou militaire, furent désemparés et subirent de plein fouet la répression de la dictature de Pinochet.

    Quelles leçons pour aujourd’hui ?

    Revenons maintenant à notre époque. La Tunisie est en proie à une situation, à priori, fort différente du Chili d’Allende. Pourtant, elle a été et est toujours le théâtre de la première révolution du 21ième siècle et, encore une fois, des organes d’auto-organisation de la population sont apparus.

    Durant l’apogée révolutionnaire, des comités de vigilance se sont formés pour protéger les quartiers contre les forces du dictateur Ben Ali. Des travailleurs ont repris à leur compte la gestion d’entreprises dirigées par des proches de l’ancien régime et des comités de ravitaillement se sont développés pour faire face à la désorganisation de la société. Récemment, au début du mois d’août 2013 – bien que peu d’informations nous parviennent et que la situation a l’air de changer – on a appris que dans la ville de Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, la population avait constitué un comité de Salut public contrôlant les affaires de la ville, sous l’autorité du syndicat UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens). Des comités similaires ont été créés dans d’autres villes rejetant le pouvoir central.

    Ainsi la population tunisienne, d’abord dans son rejet du gouvernement de Ben Ali et ensuite de celui des islamistes réactionnaires d’Ennahda a formé de nouveaux instruments de luttes répondant aux nécessités directes de la population. Sur cette base, un parallèle avec le phénomène des cordons peut commencer à être esquissé. C’est à partir de ce genre de pouvoir émergeant qu’une véritable démocratie des travailleurs peut être construite en renversant le capitalisme et instituant le contrôle démocratique des secteurs-clés de l’économie.

  • École d'été du CIO : Nouvelles révoltes en Amérique latine

    La discussion sur l’Amérique latine à l’École d’été du CIO 2013 a été introduite par notre camarade Johan Rivas, militant du CIO au Venezuela dans le groupe Socialismo Revolucionario. Johan a remarqué l’ouverture d’une nouvelle période dans la situation en Amérique latine, au moment où la “Grande Récession” atteint maintenant le continent, surtout vu le début de la crise en Chine. Les répercussions se sont fait sentir sous la forme d’une nouvelle période de lutte de classe et de crise capitaliste à travers toute la région. Une partie de ce processus inclut, selon Johan, une intensification des tensions entre impérialistes et des conflits économiques, avec la lutte d’influence dans la région entre la Chine et les États-Unis. Ce contexte coïncide avec un renouveau de la lutte de classe – comme on l’a vu avec une vague de grèves de masse au Mexique dans le cadre de la lutte contre la privatisation de la compagnie pétrolière d’État, et avec une grève générale en Bolivie.

    Rapport de Laura Fitzgerald Socialist Party (CIO-Irlande)

    Le Venezuela après Chavez

    Johan a expliqué la manière dont le récent décès de Hugo Chavez dans son pays a amené une complication de la situation au Venezuela. D’un côté, l’ère Chavez a vu s’accomplir de nombreuses réformes sociales, l’activation et la politisation des masses. D’un autre côté, les acquis des masses sont aujourd’hui menacés non seulement par l’opposition de droite (malgré toutes les tentatives rusées de cacher son caractère réactionnaire), mais aussi par la bureaucratisation au sein du camp Chavez, par les couches pro-capitalistes de son régime qui se sont enrichies grâce au pouvoir, par la corruption et l’affairisme. Ce processus est maintenant en train de discréditer l’idée de “révolution bolivarienne”.

    Après la victoire électorale de Chavez en 2006, après que les masses se soient mobilisées pour faire obstacle à une nouvelle tentative de coup d’État de la droite, Johan a expliqué qu’entre 60 % et 70 % de la population soutenait l’idée de la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, et que 70 % étaient favorables à l’idée de progresser vers le “socialisme”, même si la notion même de ce que signifiait le mot “socialisme” était certainement très floue aux yeux de beaucoup. À présent, en 2013, Johan affirme que la conscience a fortement reculé à cause de la bureaucratisation massive du régime sur lequel s’appuyait Chavez. Cette bureaucratisation s’est produite à la suite de la mise en œuvre de plusieurs contre-réformes, malgré la nature somme toute limitée des réformes qui avaient pu être accomplies grâce à richesse tirée de la nationalisation du pétrole et malgré le fait que ces réformes avaient été mises en œuvre d’une manière qui n’empiétait pas le moins du monde sur les relations économiques capitalistes.

    Johan a soulevé la possibilité que les complications issues de toute cette situation pourraient paver la voie à un retour de la droite au pouvoir, qui se produirait très certainement par la voie électorale plutôt que par une nouvelle tentative de coup d’État, bien qu’on ne puisse pas exclure la possibilité d’un tel coup. De tels développements auraient certainement un effet sur les masses du monde néocolonial qui considéraient, jusqu’à un certain point, Chavez et le Venezuela comme une source d’espoir et d’inspiration.

    Cependant, il faut également prendre en compte le fait que la droite elle-même est assez divisée, et que cela pourrait entraver ses chances de succès lors des élections municipales de cette année. D’un autre côté, des fissures sont aussi apparues au sein du parti chaviste, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), avec notamment une cassure grandissante entre l’aile militaire et l’aile civile. On le voit notamment avec un certain virage à gauche dans certaines sections PSUV et dans leurs discours un peu partout dans le pays. Johan a expliqué la manière dont CIO au Venezuela utilise une large de gamme dans ses efforts visant à gagner les couches avancées des travailleurs, des pauvres et des jeunes à un programme socialiste révolutionnaire. De telles tactiques incluent un certain élément de travail parmi la base du PSUV, et aussi un travail afin de construire un front uni de la gauche en-dehors du PSUV, tout comme les camarades du CIO se battent pour l’adoption d’un programme révolutionnaire au sein de ce dernier.

    Une nouvelle ouverture pour les idées trotskistes quant au destin de Cuba

    Johan a ensuite donné un compte-rendu de ce qu’il sait des processus très intéressants qui sont en train de se dérouler en ce moment à Cuba. Raul Castro a adopté toute une série de contre-réformes qui ont orienté l’économie dans une direction capitaliste, mais ce processus est loin d’être complet.

    Johan a remarqué à quelle point la jeunesse est la plus en faveur de réformes politiques, tandis que la vieille génération est extrêmement sceptique et vigilante par rapport à ces réformes, vu qu’elle craint ce qui pourrait arriver aux systèmes de santé et d’enseignement cubain, qui sont parmi les meilleurs du monde, et qui représentent les plus importants acquis de la révolution. Johan a également mentionné les réformes au sein du Parti communiste cubain lui-même – les LGBT peuvent maintenant rejoindre le parti et y participer, avec pour conséquence l’élection d’un maire ouvertement LGBT dans une des provinces, une grande première depuis le début de la révolution.

    Johan a illustré l’ouverture qui existe quant à une analyse trotskiste du stalinisme, pour un programme qui mentionne la nécessité d’une révolution politique afin de démocratiser l’État et l’économie planifiée, pour le contrôle et la gestion de l’économie par les travailleurs, et pour un changement qui associerait la perspective mondiale d’une remise en question du capitalisme par la classe ouvrière sur le plan mondial, qui puisse véritablement amener la perspective d’une transformation socialiste et démocratique, et du socialisme.

    Des explosions convulsives au Brésil

    Notre camarade Ricardo Baross Filho, syndicaliste et membre du groupe Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-Brésil) à Rio de Janeiro, a donné la deuxième partie de l’introduction, qui s’est concentrée sur l’explosion convulsive de lutte de masse antigouvernementale que nous avons vu partout au Brésil ces dernières semaines. Ricardo a entamé son commentaire en replaçant le “lulaïsme” en perspective. Lorsqu’il a été élu il y a dix ans, le gouvernement PT (“Parti des travailleurs”) de Lula a donné aux capitalistes une porte de sortie. Malgré son ancien caractère de parti ouvrier, et les immenses espoirs que toute une couche de travailleurs et de pauvres avaient placés en lui, le PT une fois au gouvernement a appliqué une politique néolibérale, caractérisée par un strict équilibre budgétaire, des privatisations (moins que les gouvernements avant lui, mais tout de même), et la corruption.

    Tout le succès de ce modèle reposait sur les exportations, surtout de matières premières pour satisfaire la forte demande chinoise.

    Ricardo a expliqué la manière dont les améliorations dans la vie de toute une couche de la classe ouvrière ont été effectuées dans l’esprit du néolibéralisme, via des subsides étatiques à l’industrie privée sous forme de partenariats public-privé, comme dans le secteur du logement, ou avec l’introduction d’universités privées payantes pour les jeunes.

    Le populisme de Lula s’est illustré dans son incorporation de la CUT (Central Única dos Trabalhadores), la principale fédération syndicale au gouvernement (le président de la CUT a été nommé ministre du Travail). La classe dirigeante brésilienne voulait poursuivre sur la lancée de Lula, mais l’élection de Dilma en 2010 a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire, a expliqué Ricardo. Des problèmes économiques sont en train de faire surface, et Dilma n’a pas la base sociale dont bénéficiait Lula. La baisse de la popularité de Dilma est à placer dans son contexte de continuation de la politique néolibérale afin de saper les droits des travailleurs. On voit cela avec le projet de loi selon lequel les droits des travailleurs (comme le droit à des congés maternités, aux congés-maladies payés, etc.) pourraient être renégociés dans le cadre de conventions syndicales, permettant ainsi aux patrons d’attaquer les droits des travailleurs entreprise par entreprise.

    L’impopularité croissante de Dilma illustre la perte de vitesse du “lulaïsme”, ce qui est très important vu ce que son régime représentait. Cela est aggravé par les problèmes économiques – la croissance du PIB l’an passé n’était que de 0,9 %, et les perspectives pour cette année sont d’à peine 2 %. Le règne de Dilma voit réapparaitre l’inflation, une cherté de la vie croissante en ce qui concerne les prix des denrées de base, ce qui est un problème majeur pour les masses pauvres partout dans le pays. Dilma parle beaucoup de son approche “responsable” en termes de fiscalité – toutes les dettes seront payées, etc. La réalité est que, comme l’a dit Ricardo, le joli vernis appliqué sur le gouvernement et le capitalisme brésilien s’était usé bien avant que l’éclatement de la récente lutte de masse.

    Éclatement de la lutte

    Ricardo a remarqué que l’année passée a connu le plus grand nombre de grèves au Brésil depuis bien des années. Des grèves larges se sont produites dans le secteur public comme dans le privé, avec par exemple une grève de deux mois dans les universités fédérales. Avant l’important éclatement de la lutte de masse, toute une série de mouvements locaux avaient remporté des victoires contre la hausse du cout des transports publics, ce qui a donné une grande confiance aux travailleurs et à la jeunesse. La colère face à la brutalité qui a été employée contre la première vague de manifestants par la police de São Paulo a contribué à l’extension et à l’intensification du mouvement. Les manifestants contre la hausse du cout des transports publics ont commencé à remettre en question le fait que des millions soient dépensés pour construire des stades pour les JO et pour la Coupe du monde, contrairement au budget de misère octroyé à l’enseignement et à la santé.

    Ricardo a remarqué l’incroyable soutien de masse dont a bénéficié le mouvement – selon un récent sondage, 89 % de la population le soutient. Étant donné l’inexpérience et la nature de masse des mouvements – la plupart des participants en étaient à leur toute première manifestation – des éléments d’extrême-droit ont tenté d’intervenir de manière rusée dans ces mouvements avec pour objectif de les détourner à leur avantage. Les membres de LSR (CIO-Brésil), a expliqué Ricardo, ont aidé à organiser la protection des militants de gauche contre ces éléments d’extrême-droite. Ricardo a également expliqué, cependant, l’énorme ouverture des manifestants, ce qui a eu pour conséquence une très importante croissance de LSR grâce à notre intervention dans ce mouvement. LSR met également en avant le fait que la tâche de la gauche dans ce mouvement est cruciale – son rôle est d’assurer le fait que l’énergie du mouvement ne retombe pas – ce mouvement représente une chance de construire de nouvelles organisations de et pour la classe ouvrière et la jeunesse, qui pourraient devenir plus importantes que le PT ou la CUT ne l’ont jamais été.

    Le PSoL

    Ricardo a donné des éclaircissements quant à notre participation ininterrompue au sein de la coalition de gauche large qu’est le PSoL (Partido Socialismo e Libertade, mais “Sol” veut aussi dire “Soleil”). Ricardo a remarqué que le PSoL associe de très impressionnants militants de gauche et des dirigeants de mouvements sociaux, partout au Brésil. Le fait que le PSoL ait grandi électoralement ces dernières années illustre son potentiel en tant que possible futur pôle de gauche au Brésil. La plus grande menace, selon Ricardo, est qu’une puissante aile droite au sein de l’organisation la pousse vers des coalitions avec des forces pro-austérité.

    Ricardo a aussi défendu la nécessité d’une nouvelle confédération syndicale au Brésil. Il a souligné l’incapacité de la CUT, qui ne parvient pas à véritablement représenter les besoins des travailleurs. Il a parlé du rôle positif de la CSP-Conlutas (Central Sindical e Popular – Coordenação Nacional de Lutas) dans laquelle participent de nombreux militants LSR, qui en termes de programme et d’action, est loin devant la CUT. CSP-Conlutas joue également un rôle important dans l’organisation des travailleurs intérimaires, des jeunes chômeurs, des luttes sociales et des mouvements des pauvres, et dans la coordination entre ces luttes et le mouvement syndical.

    Discussion sur le caractère du mouvement au Brésil

    Au cours du débat, sont intervenus des camarades de France, du Brésil, de Suède, d’Autriche et d’Allemagne. Les sujets abordés incluaient la situation politique au Honduras, plus d’analyses sur les mouvements de masse qui ébranlent toujours le Brésil, et des points concernant le mouvement syndical et le parti PSoL au Brésil. Notre camarade Christina du Brésil a contribué au débat en insistant sur le rôle de la jeunesse dans le mouvement de protestation au Brésil. Elle a fait remarquer qu’un sondage réalisé au début des manifestations à São Paulo révélait que 71 % des participants en étaient à leur toute première action. Christina a replacé la participation des jeunes au mouvement dans son contexte, en parlant des difficultés en ce qui concerne le chômage des jeunes et les contrats précaires dans le secteur privé pour les jeunes, en plus de l’oppression, du racisme, de la violence policière et de la misère dégradante qui touchent beaucoup de jeunes noirs dans les favelas (quartiers pauvres).

    Notre camarade Mariana, de France, a abordé la question du nationalisme au Brésil. Elle a expliqué l’incapacité de la plupart de la gauche à aborder ce problème. La présence de drapeaux brésiliens lors des manifestations représente, à un certain degré, la faiblesse de la conscience qui existe. Certains groupes de gauche ont évité cette question, soit en rejetant les manifestations qualifiées selon eux de “réactionnaires”, soit en disant que ces drapeaux étaient une expression de l’“anti-impérialisme”. La réalité est que le “lulaïsme”, en tant que phénomène purement bourgeois, a rehaussé le nationalisme et un sentiment de “collectivité” qui était conçu afin de gommer les frontières entre classes et faire disparaitre les divisions de classe, afin de défendre les intérêts du capitalisme et de désarmer la classe ouvrière. Il existe toujours des restes de tout ceci, qui sont présents dans le mouvement, mais qui existent cependant aux côtés d’un virage clair vers la gauche dans la conscience des travailleurs. Une intervention appropriée de la gauche dans le mouvement, qui exprime les aspirations des travailleurs et des jeunes, qui donnerait une direction claire au mouvement, et qui mettrait en avant la nécessité de la solidarité et de la lutte à travers toute l’Amérique latine et dans le monde entier, pourrait avoir un énorme impact.

    Au moment de la conclusion du débat, le consensus qui s’était dégagé était de souligner les nouvelles opportunités qui se présentent dans ce qui est une nouvelle étape de la crise du capitalisme en Amérique latine, et potentiellement un nouveau chapitre de l’histoire du mouvement prolétaire dans la région. Les camarades se sont mis d’accord sur le fait qu’il faudrait approfondir la discussion quant aux processus contradictoires qui se déroulent à Cuba et au Venezuela, et finalement, quant aux formidables développements au Brésil. Ce pays extrêmement important, qui a une énorme influence sur l’ensemble du continent, tant sur le plan économique que politique, a été considéré comme un indice du potentiel qu’ont les idées socialistes et les luttes de se redévelopper à l’échelle de tout ce continent, avec son histoire si riche en enseignements pour la lutte et pour la révolution.

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