Category: Amérique Latine

  • Au Chili comme partout en Amérique Latine, Etudiants et travailleurs se radicalisent!

    Un étudiant d’EGA a visité la section soeur du MAS/LSP au chili “Socialismo Revolucionario”. Il vous partage son opinion de la situation là-bas. Il faut savoir que le Chili n’est pas un pays coupé de son continent et les développements qui y ont lieu sont le fruit de ce qu’il se passe plus généralement en Amérique Latine.

    Pablo N.

    Tout d’abord, il y a un réel processus révolutionnaire enclenché dans la majorité des pays d’Amériques Latines : des gouvernements de gauche et de centregauche fleurissent partout, les gens se radicalisent et il y a de plus en plus de mobilisations et de luttes des travailleurs et des paysans extrêmement fortes.

    Les pays les plus avancés dans ce processus et où celui-ci est le plus dynamique sont, évidemment, le Vénézuela, la Bolivie et l’Equateur. Le Vénézuela est d’ailleurs vu, au Chili, comme un exemple de lutte contre l’impérialisme et le capitalisme, et Chavez est considéré comme « un Président pour les pauvres ». En effet, chaque année, il offre des voyages pour les Chiliens des quartiers pauvres afin se faire soigner au Vénézuela.

    Cependant, le Président vénézuelien est non seulement attaqué politiquement par la droite mais aussi par le gouvernement chilien qui voit d’un mauvais oeil que sa population, qui en a assez des inégalités sociales, se radicalise en suivant l’exemple vénézuelien.

    En effet, le Chili est un pays qui se porte très bien (dans les chiffres) au niveau de la croissance, de la production et de l’exportation, mais les richesses ne sont pas redistribuées : plus de 23% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et plus généralement 80% de la population a un très mauvais niveau de vie que cela soit pour les salaires, l’enseignement ou encore la santé. Le salaire moyen au Chili (160.000 pesos) est inférieur au salaire nécessaire pour vivre (180.000 pesos) selon les économistes capitalistes !

    Depuis le retour de la démocratie au Chili (1990), le pays a connu 17 ans de gouvernement de la « Concertacíon » regroupant le Parti Socialiste, la Démocratie Chrétienne, le Parti Radical et le Parti Pour la Démocratie (centre-gauche), mais aucun changement profond n’a eu lieu. Les inégalités sont les mêmes que sous la Dictature de Pinochet (même parfois pires) et la Constitution et beaucoup de lois en application datent de la Dictature. Un Chilien m’a dit une phrase assez cynique représentant bien la situation : « La différence entre la période de dictature et maintenant, c’est que maintenant on peut élire qui va appliquer la politique néolibérale de Pinochet. »

    Il existe donc un réel mécontentement contre la politique de la Concertation. Les écoliers chiliens ont été les premiers à se révolter avec la « Revolucíon Pingüina» (Révolution des pingouins, car ils portent des uniformes) qui revendiquait toute une série de mesures sociales. Cette révolte a été l’élément déclencheur d’une prise de conscience que la jeunesse et plus largement la population chilienne fait partie d’une classe sociale opprimée et qu’elle doit se battre contre le capitalisme. Cet évènement a de plus montré le vrai visage de la Concertation qui est vu actuellement par beaucoup comme un gouvernement incompétent et au service des plus riches. J’ai trouvé très peu de Chiliens près à soutenir le gouvernement actuel.

    Il y a d’ailleurs eu une journée nationale de mobilisation syndicale à l’appel de la CUT, Centrale Unitaire des Travailleurs (qui est la centrale syndicale du Chili), contre les politiques néo-libérales du gouvernement le 29 août.

    Une grande manifestation a été organisée à Santiago (la capitale) à laquelle j’ai participé. Malgré qu’elle ait été interdite par le gouvernement elle a quand même eu lieu. La répression a été très dure de la part de la police (Gaz lacrymogènes, autopompes, charges de la police montée,…), il y a eu plus de 800 arrestations. J’ai été fort impressionné par le nombre d’écoliers et d’étudiants présents et par la combativité et la détermination des manifestants.

    Il ne fait aucun doute que, comme partout en Amérique Latine, des luttes de plus grande ampleur vont avoir lieu, car la population est consciente que ce système n’apporte que la misère et l’exploitation et que « el pueblo unido jamás sera vencido » (le peuple uni ne sera jamais vaincu).

  • Vénézuela. Où est la voie vers le socialisme?

    Au Vénézuela, chaque coin de rue est témoin de discussions enthousiastes sur la manière d’avancer vers le socialisme. Parmi les masses vénézuéliennes, une haine formidable contre le néolibéralisme et à l’impérialisme mène à la recherche d’alternatives. Chavez vient de se dire « trotskiste » et partisan de la théorie de la révolution permanente. Il appelle cependant dans la foulée les capitalistes vénézuéliens à soutenir la révolution…

    Luc Janssens

    Marge pour les concessions

    Lors de sa prestation de serment après sa réélection en décembre dernier, Chavez ne s’est pas seulement déclaré trotskiste. Il a également annoncé la possibilité de nationaliser des secteurs-clés de l’économie, dont la plus grande société d’électricité privée, Electricidad de Caracas, et l’entreprise de télécommunication CANTV. Il a aussi avancé la nécessité de la création d’un « parti socialiste unifié du Vénézuela”, afin de réunir les forces de la révolution.

    Grâce aux prix élevés atteints par le pétrole ces dernières années, Chavez a disposé d’une marge de manoeuvre pour introduire des réformes progressistes comme les programmes d’aide aux plus pauvres, entre autres dans l’enseignement, les soins de santé et l’alimentation. Cependant, 25 % de la population vit toujours avec moins d’un dollar par jour, tandis que les 10 % les plus riches représentent 50 % du revenu national.

    C’est la pression des masses vénézuéliennes qui a forcé Chavez à introduire cette série de mesures. Il parle régulièrement de la nationalisation des secteurs-clés, mais les paroles sont plus radicales que les actes. De même, dans le secteur pétrolier, si 84 % des bénéfices allaient avant au secteur privé, celui-ci en conserve encore toujours actuellement 70%. Les contrats pour les multinationales sont plus sévères, mais elles continuent à empocher la majeure partie des bénéfices au détriment de la collectivité.

    La base veut aller plus loin

    L’entreprise de télécom CANTV figure en haut de la liste des entreprises à exproprier et à nationaliser. Depuis plusieurs mois, une lutte très énergique se développe dans cette entreprise où les travailleurs exigent la nationalisation sous contrôle ouvrier. Des luttes similaires se déroulent ailleurs.

    L’enthousiasme pour les réformes de Chavez est très grand parmi de larges couches de la société. Mais il existe également une méfiance face à la bureaucratie qui domine le mouvement « chaviste » et qui s’enrichit sur base de la corruption. C’est sur base de ce constat que Chavez avait déclaré qu’il fallait un Parti Socialiste Unifié (PSUV) qui puisse être construit d’en bas avec des structures démocratiques. Mais les discussions semblent plutôt se restreindre à une couche supérieure sans la participation active des masses.

    Parti Socialiste Unifié?

    Chavez a mis sur pied un comité visant à promouvoir ce parti parmi les travailleurs et dans les quartiers les plus pauvres. Mais trois des petits partis pro-Chavez ont refusé de se dissoudre au sein du PSUV, ce qui a été un premier camouflet pour Chavez. Parmi les forces plus importantes, à côté des deux partis plus à droite au sein du camp de Chavez, le parti communiste ( PCV) a, lui aussi, décidé de ne pas se dissoudre au sein du PSUV. La possibilité qu’une participation active de la base et une vie démocratique se développent dans le nouveau parti est encore incertaine.

    Rompre avec le capitalisme

    Les concessions du gouvernement vénézuélien aux plus pauvres sont des mesures importantes qui montrent le chemin à suivre. Mais afin de sauvegarder ces mesures progressistes, il faudra une rupture avec le capitalisme. Sinon, l’espace sera laissé au développement de la contre-révolution.

    Chavez et son régime « bolivarien » soulèvent des espoirs gigantesques, pas seulement au Venezuela d’ailleurs, mais pour l’ensemble du continent sud-américain et à travers le monde. Lors de sa récente tournée en Amérique Latine, Bush s’est partout heurté aux protestations tandis que Chavez a pu jouir d’une adhésion toujours plus importante dans sa tournée, entre autres lors de sa visite en Argentine.

    Les masses connaissent la différence entre Bush, le guerrier impérialiste, et Chavez qui a introduit une série de mesures pour les travailleurs et le peuple. La bourgeoisie, en revanche, a peur de l’exemple vénézuélien et de la radicalisation qui peut pousser le régime encore plus loin. L’élite vénézuélienne, avec le soutien de l’impérialisme américain, essaiera d’annuler les réformes et de rétablir son contrôle total sur la société.

    Plusieurs fois déjà, les masses vénézuéliennes se sont révoltées contre la bourgeoisie, notamment durant le coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis. Mais si une rupture avec le capitalisme ne survient pas, il y aura de nouvelles tentatives pour rétablir la situation antérieure.

    Face à cela, la participation active et massive des travailleurs et des pauvres au débat politique est un élément crucial. Les masses auront besoin de leurs propres organes, mais aussi d’un programme politique qui permette l’accomplissement du processus révolutionnaire avec la destruction du capitalisme et la construction d’une société socialiste. C’est ce que défend Socialismo Revolutionario, notre organisation-soeur au Vénézuela.

  • Vénézuela : « Si il n’y a pas encore eu de révolution, on l’aperçoit cependant à l’horizon ».

    Interview de Johan Alexander Rivas Vasquez, membre de "Socialismo Revolucionario", la section vénézuelienne du Comité pour une Internationale Ouvrière auquel est affilié le MAS/LSP. Il est le porte-parole du syndicat SIRTRASALUD à l’hôpital "El Agodonal", le plus grand hôpital de Caracas (capitale du Vénézuela).

    AS : Quels effets a eu l’élection de Hugo Chavez au poste de président pour la population pauvre ?

    JARV : Les projets du gouvernement, les "missions", ont rendu possible l’accès à l’enseignement et à l’assistance médicale à un tas de personnes pauvres ou de conditions modeste. Un programe d’étude a permi à des millions de personnes d’apprendre à lire et à écrire. Dans ce secteur, il a apporté beaucoup : bien plus de jeunes finissent l’école avec un diplôme et les privatisations dans le secteur educatif ont été stoppées.

    Mais dans d’autre secteurs aussi, son apport peut se sentir. Par exemple, depuis la "grève des entrepreneurs" contre Chavez en 2002 (qui a eu comme conscéquence une augmentation des prix alimentaires et la pénurie de certains aliments), l’Etat subventionne des supermarchés alternatifs qui sont beaucoup moins cher. Mais malgré ces améliorations, la pauvreté persiste encore, comme au "Petare" à Caracas, qui est le deuxième plus grand bidonville d’Amérique Latine.

    AS : Dans son serment, Chavez a parlé de la mise en place du socialisme au Vénézuela et de nationalisations. Comment vois-tu ça?

    JARV : Chavez est très fortement en conflit avec les riches, les capitalistes. Les supermarchés alternatifs que j’ai déjà mentioné sont aussi une réponse au fait que le marché alimentaire est aux mains de trois familles ulrapuissantes.L’opposition de droite est faible pour l’instant, mais elle va à nouveau tenter de faire tomber Chavez.

    En ce qui concerne les nationalisations, nous devons attendre de voir si Chavez va mettre en pratique ses promesses, notamment pour l’entreprise de communication mobile CANDV, qui a été précédemment privatisée.

    Chavez a déjà annoncé plusieurs fois la nationalisation de cette entreprise, mais n’a rien fait jusqu’à présent. Au Vénézuela cependant, l’idée du socialisme est fort présente et on parle d’un "pocessus de développement révolutionnaire". Quelque chose est en mouvement dans la societé. Si pour l’instant une révolution pour accéder à un autre système n’a pas eu lieu, on l’aperçoit cependant à l’horizon.

    AS : Dans ses dernières déclarations, Chavez parle même de la formation d’un "parti de la révolution".

    JARV : En fait, les partis du parlement qui supportent Chavez et qui forment le gouvernement se sont montrés favorables à intégrer ce nouveau parti. L’avenir nous montrera si ce nouveau parti sera seulement un rassemblement des partis gouvernementaux dans un bloc plus homogène et plus structuré ou si des militants du mouvement y entreront.

    AS : Et sur les lieux de travail ?

    JARV : A l’hôpital où je travaille, nous sommes actifs dans le SIRTRASALUD, qui s’est uni à la nouvelle fédération syndicale UNT. Dans beaucoup d’entreprises, les ouvriers s’activent, créent des groupes syndicaux et se battent pour leurs droits.

    Souvent, ils doivent lutter contre l’appareil de la bureaucratie. Un exemple : dans l’entreprise pharmaceutique Russel, quelques collègues ont fondé un syndicat et ont été licenciés. Peu après, Rusel fut fermée. Ce sont surtout de jeunes travailleurs qui s’organisent : dans la plupart des groupes syndicaux, les membres du conseil dirigeant ont entre 20 et 40 ans.

  • Mexique. Le peuple d’Oaxaca lutte toujours

    Oaxaca: un des Etats du sud du Mexique, se trouvant juste à l’ouest d’un autre Etat devenu célèbre: le Chiapas, coeur du soulèvement zapatiste. Coïncidence? Sûrement pas. Tout comme au Chiapas, une population à majorité indigène, une population spoliée de tous ses droits, une population en révolte!

    Stéphane Ramquet

    En mai, les enseignants de la ville d’Oaxaca se sont mis en grève pour exiger des augmentations de salaire, occupant pacifiquement le centre de la ville. Le 14 juin, la police mexicaine a tenté de déloger les grévistes. Résultat: 8 morts et 15 disparus.

    Depuis lors, le mouvement n’a fait que se renforcer, se radicaliser et s’organiser. Les enseignants ont été rejoints par les étudiants, les fonctionnaires, des syndicats ouvriers, des organisations paysannes et indiennes, des associations de quartier,… qui, tous ensemble, réclament la démission du gouverneur de l’Etat (membre de l’ancien parti unique PRI) ainsi que la tenue de nouvelles élections. C’est ainsi qu’est née l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), sorte de pouvoir alternatif soutenu par 340 organisations et organisant non seulement la lutte des grévistes mais aussi la vie quotidienne à Oaxaca.

    Plusieurs manifestations ont été organisées, dont une qui a réuni 500.000 personnes ! Pourtant, comme à leur habitude, le gouvernement mexicain, ainsi que la majorité des gouvernements et médias occidentaux, ont boycotté l’évènement, comme s’il n’avait jamais existé, dans la peur que cet exemple ne donne des idées à d’autres. L’APPO a été obligée de créer ses propres médias en s’emparant de la maison de la radio.

    Pour la défense de la ville face à la répression, le peuple d’Oaxaca a érigé des centaines de barricades, se rappelant des vieilles traditions révolutionnaires. Plus encore que la police, ce sont des bandes paramilitaires à la botte du gouverneur qui tentent de faire régner la terreur dans la ville. Depuis le début du mouvement, police et paramilitaires ont déjà tué 32 personnes.

    Le 27 octobre, la police spéciale renforcée par des hélicoptères a repris le contrôle de la ville malgré la résistance de la population, démontant les barricades et arrachant les pancartes des grévistes. Les grèves ont été suspendues mais le mouvement de lutte continue. A la mi-novembre, l’APPO a repris le contrôle de certains bâtiments et a même réussi à tenir un « Congrès constitutif » fort d’un millier de délégués. Des Assemblées Populaires se sont aussi crées au Chiapas et même à Mexico.

    Après la rébellion des indigènes zapatistes du Chiapas, c’est donc une nouvelle vague qui vient secouer le pouvoir central et renforcer le vaste mouvement de mobilisation populaire en soutien à Lopez Obrador, le candidat de gauche qui a été privé de la victoire aux récentes élections présidentielles par une fraude électorale d’ampleur.

  • Pinochet sera mort sans jugement

    Augusto Pinochet est mort ce 10 décembre à Santiago du Chili, celui qui dirigea d’une main de fer le Chili de 1973 à 1990 est mort sans jugement, en tout impunité.

    Stéphane Ramquet

    Le 4 septembre 1970, Salvador Allende avait été élu président du Chili, avec un programme clairement orienté vers les travailleurs et les paysans pauvres du pays face aux candidats de droite.

    Dès son élection il réalisa une série de réformes allant dans le sens du socialisme, notamment la nationalisation de la gigantesque industrie du cuivre, l’augmentation des salaires de 40 à 60%, le blocage des prix et l’amélioration du système de santé.

    Il ne s’engagea pas sur la voie révolutionnaire, mais ces réformes défiaient tout de même de plein front le capitalisme et firent trembler la bourgeoisie chilienne. Celle-ci s’allia à l’impérialisme américain pour éviter que les masses chiliennes ne finissent par sortir réellement du cadre du capitalisme.

    De la même manière que la « démocratie » est défendue par la bourgeoisie lorsque celle-ci ne menace pas son pouvoir absolu, la bourgeoisie n’hésite pas à utiliser la force lorsque la « démocratie » ne penche pas en sa faveur; c’est ainsi qu’un coup d’Etat fût organisé pour éliminer ce début de socialisme.

    Salvador Allende refusa d’armer les ouvriers et les paysans qui le soutenaient, organisés en milices, et appela au calme. Ce geste menna à son suicide pour échapper à la réaction, le 11 septembre 1973.

    Le général Pinochet fut choisi par la bourgeoisie afin de diriger le pays et la répression contre les opposants: utilisant le stade national comme prison à ciel ouvert contenant 40.000 personnes, sa répression fera 27 500 torturés, ainsi qu’au moins 2279 assassinées ou disparus.

    Pinochet menera une politique économique libérale apauvrissant le petit peuple auquel Allende avait donné l’espoir d’une vie meilleure en utilisant les Chigaco Boys (économistes américains) comme conseillers.

    Des années plus tard, une fois le pays remis au pas du capitalisme, une transition « démocratique » fut opérée pour rendre le pouvoir aux partis bourgeois civils qui n’organisèrent aucune forme de condamnation à l’encontre de leur sauveur le général Pinochet protégé par son immunité de sénateur.

    Le dictateur sera mort sans jugement, mais le juge le plus sévère reste l’histoire et les travailleurs chiliens sauront à terme rendre justice en achevant ce qu’il avait brisé dans l’oeuf: le Socialisme au Chili!

  • "Des soulèvements sociaux enflamment le Mexique"

    "Des soulèvements sociaux enflamment le Mexique". Ceci était le titre de la Une du Wall Street Journal pour le week-end du 1-3 septembre. Le vendredi 6 octobre 2006, El País, le quotidien espagnol, comportait un article d’Ignacio Sotelo sous le titre, "Mexique : une situation pré-révolutionnaire". Ces articles révèlent la véritable étendue des batailles et luttes qui se déroulent en ce moment au Mexique, suite à un trucage des élections présidentielles de juin, qui a mené au pouvoir Felipe Calderón, le candidat de l’aile droite conservatrice, le PAN (Partido Acción Nacional – Parti Action Nationale).

    Tony Saunois

    Depuis lors, le centre-ville de Mexico City reste bloqué par un campement de dizaines de milliers de partisans de López Obrador, le candidat radical et populiste du PRD (Partido Revolucionario Democratico – Parti Révolutionnaire Démocratique).

    Bien qu’il soit prématuré de décrire le Mexique, sur une échelle nationale, comme étant arrivé à un stade pré-révolutionnaire classique tel qu’il est compris par les marxistes, des éléments pouvant mener à cette phase commencent à se développer, et un soulèvement social massif se déroule.

    Le dernier rassemblement de masse a été l’assemblée populaire à laquelle on estime qu’un demi-million de personnes étaient présentes, le 16 septembre 2006, jour de la Fête d’Indépendance. Cette assemblée élut Obrador "président" d’un gouvernement parallèle dont le but est d’organiser une campagne de masse de "protestation citoyenne" qui devra empêcher Calderón d’être intronisé à la présidence du pays le 1er décembre, et combattre les tentatives du gouvernement de mettre en oeuvre son agenda néolibéral.

    Cette campagne a été accompagnée par des batailles massives de la classe salariée, des paysans et d’autres, durant toute cette année. Ces événements historiques ouvrent un nouveau chapitre dans l’histoire des luttes des masses mexicaines. Avec la grande tradition révolutionnaire mexicaine, qui prend sa source dans la période de 1910-20, la classe dirigeante du Mexique et la junte autour de Bush ont de quoi être terrifiés de la manière dont va se dérouler la suite des événements. En tant que seul pays "néocolonial" à partager une frontière avec une grande puissance impérialiste, il ne fait aucun doute que ces soulèvements auront des répercussions massives, pas seulement au Mexique et en Amérique Latine, mais aussi aux USA, avec leur forte population hispanique et mexicaine. Depuis la révolution de 1910-20, le Mexique s’est transformé et a maintenant une classe salariée puissante et bien éduquée, avec 55% de la main d’oeuvre employée dans le secteur des services. La population mexicaine a explosé de 15 millions en 1910, aux 100 millions actuels. En 1910, 29% des gens vivaient dans les villes, alors que ce chiffre s’élève maintenant à 75%. Cependant, l’histoire de la révolution mexicaine est bien implantée dans la conscience des masses.

    Comme le disait le Wall Street Journal (01/09/06): "L’âpre bataille qui se déroule juste après les élections a révélé une facette du Mexique, que beaucoup assumaient ne plus se trouver que dans les livres d’histoire." Le même article comparait la situation actuelle, avec la période qui s’est ouverte en 1913 après l’assassinat du président Francisco Madero, "la période que les Mexicains appellent maintenant leur ‘révolution’". Enrique Krauze, un historien mexicain proéminent, et adversaire d’Obrador, avertit que "Il ne doit faire aucun doute que M. López Obrador représente une menace révolutionnaire. Ceci n’est pas une blague. J’espère qu’il n’y parviendra pas, et que la démocratie aura le dessus. Mais néanmoins, il est important que tout le monde réalise bien ce qui est en jeu." (WSJ, 01/09/06)

    Toutefois, plutôt que López Obrador, la menace réelle vient de la puissance de la masse des salariés, paysans, étudiants, et autres exploités du capitalisme qui le soutiennent. Car, tout en dénonçant la corruption, la pauvreté et l’inefficacité, son programme radical est limité à une application au sein du système capitaliste, avec pour objectif de "faire le nettoyage" et de construire une forme plus "humaine" de capitalisme.

    Ce que craint la classe dirigeante, et à juste titre, en ce qui concerne la montée au pouvroir d’Obrador, est qu’une telle victoire ouvre grand la porte à des mouvements massif de grèves et d’occupations d’usines, afin d’exiger du gouvernement qu’il dirigera, d’aller bien plus loin que ce que lui-même avait l’intention de faire au début. Il est clair que le nouveau gouvernement de Calderón, s’il est capable de s’asseoir sur sa chaise de président, n’aura ni crédibilité, ni autorité. Des luttes massives sont imminentes, et beaucoup ont déjà lieu.

    Même avant les élections présidentielles, des milliers de mineurs à Lázaro Cárdenas, dans l’état du Michoacán, ont été impliqués dans une rude grève qui a vu des conflits avec la police, et au cours de laquelle deux mineurs ont perdu la vie.

    Les métallurgistes ont aussi connu un mouvement de grève de 141 jours, qui a fermé le port, qui a impliqué des batailles rangées entre policiers et grévistes, et l’incendie de deux des bureaux de leur entreprise. Les métallos n’ont pas seulement gagné chacune de leurs revendications, mais ils sont aussi parvenus à forcer l’enterprise à les dédommager de leur salaire pour chaque jour de grève.

    Le Mexique a une classe salariée puissante et fortement syndiquée, avec 10 millions de syndicalistes. La plupart sont dans les syndicats officiels liés à l’ancien régime du PRI (Partido Revolucionario Instituciónal – Parti Révolutionnaire Institutionnel) qui a dirigé le Mexique pendant plus de 70 ans sous un système de plus en plus corrompu et répressif, et qui incluait dans son économie un très fort secteur de corporation d’Etat.

    Arrivé au pouvoir en 2000, le PAN néolibéral agit en faveur du capitalisme et de l’impérialisme. Il est maintenant impatient de pouvoir mettre la main sur le pétrole, l’électricité, l’eau et les autres services publics – qui appartiennent tous à l’Etat – pour pouvoir les revendre. Même les dirigeants corrompus des syndicats officiels sont maintenant obligés d’agir, sous pression de leurs membres, mais aussi pour défendre leurs propres intérêts.

    400 000 travailleurs de la sécurité sociale menacent de partir en grève dès la mi-novembre. Le dirigeant du syndicat est un partisan d’Obrador. Maintenant, la direction des travailleurs de l’électricité à Mexico City menace aussi de partir en grève contre les investissements privés, et soutient Obrador. Lors d’un rassemblement de masse, Fernado Amezcua, un haut dirigeant syndical, a déclaré que "Nous ne permettrons pas le pillage de nos ressources nationales". Sous l’ancien régime du PRI, la direction syndicale collaborait à la politique en tenant leur base à carreau, en échange de concessions de la part du secteur d’Etat. Mais maintenant, avec ces menaces, des luttes majeures de la classe salariées sont en cours d’éruption.

    D’énormes concessions (pour le monde néocolonial) ont été remportées par la classe salariée mexicaine, et que la classe dirigeante aimerait remettre en cause. Les investisseurs impérialistes veulent réformer le Code du Travail, introduit dans les années 30 (sous le régime radical-populiste de Cardenas – qui avait nationalisé l’industrie pétrolière, et accordé l’asile politique à Léon Trotsky). Ce Code assure que le plus haut salaire qui aurait été accordé par une entreprise à ses travailleurs, devient automatiquement le salaire de tous les travailleurs du même secteur ! Et cela, même, dans les entreprises où il n’y avait pas de représentation syndicale. Même Calderón n’ose pas encore attaquer cette partie du Code du Travail, de peur de provoquer une nouvelle explosion encore plus large.

    Pourtant, tous les analystes craignent que ce que seront les batailles à venir au Mexique, est ce que l’on peut déjà voir dans l’état d’Oaxaca, dans lequel une insurrection populaire est maintenant en cours. Ce qui a commencé par une grève militante des professeurs pour leurs salaires, s’est maintenant développé en une insurrection de masse, qui demande la démission du gouverneur de l’état, Ulises Ruis, membre du PRI.

    70 000 enseignants sont maintenant en grève dans cet état, depuis début mai, bloquant l’accès aux cours pour 1,3 millions d’étudiants. Pour toute cette période, l’état a été contraint de leur payer leur salaire plein. Ces professeurs ont une très forte tradition militante. Chaque année depuis les années 80, ils sont partis en grève en demandant une hausse de salaire supérieure à celle accordée par les négociations entre le gouvernement et la direction syndicale nationale. En général, après une manifestation à Mexico City, ils gagnaient quelques centaines de dollars de plus. Mais cette année, lorsque les négociations sont arrivées à leur terme, ils ont simplement demandé 100 millions de dollars, et ont entamé une grève. Le chef des enseignants d’Oaxaca, Enrique Rueda, a résumé l’attitude des professeurs en ces termes : "Nous avons appris à nous battre pour chaque chose que nous obtenons, parce que sinon, personne ne nous accorde aucune attention."

    Depuis trois mois, la capitale de l’état est assiégée. Les touristes ne vont plus visiter la petite cille coloniale. Le gouverneur se cache, et le congrès de l’état ne peut plus se rassembler qu’en secret dans un hôtel. L’Assemblée Populaire d’Oaxaca (APPO), formée pour soutenir les professeurs, est un organisme de coordination pour des centaines d’organisations sociales, syndicales, indigènes et politiques, qui a virtuellement pris à sa charge la gestion de la ville, y compris la sécurité. La police a disparu, et n’apparaît qu’en secret, pour tirer au hasard sur tous les activistes qu’ils croisent. Des groupes de jeunes, avec des bandanas pour recouvrir leur figure, parcourent la ville, et il y a des groupes de professeurs au coin des rues, dont bon nombre sont armés de machettes, et qui arrêtent tous ceux qu’ils jugent suspects.

    L’APPO a implémanté un couvre-feu dès 22h, et a interdit la prise de photos, à cause de la surveillance de la police. Les insurgents ont pris le contrôle de huit stations de radio privées pour diffuser leurs revendications et leurs appels à l’action, afin de coordiner le mouvement. Le gouverneur d’état a peur d’apparaître en public, les juges d’état se cachent dans leurs maisons : toute la ville est en pause. On voit donc ici des éléments de double pouvoir et de situation pré-révolutionnaire. Ceci signifie que la vieille machine d’Etat capitaliste n’est plus totalement contrôlée, et qu’une partie de ses fonctions ont été reprises par la classe salariée et ses partisans, mais que les travailleurs n’ont pas un contrôle total, et que la vieille machine d’Etat existe toujours, bien qu’affaiblie.

    Une telle situation ne peut continuer indéfiniment – et surtout pas si elle est isolée à un seule état. Le mouvement peut toujours s’essoufler, ou même être écrasé. Le gouvernement s’est abstenu d’intervenir brutalement jusqu’ici, de peur de provoquer une crise encore plus profonde. Toutefois, de telles mesures pourraient être tentées à un certain stade, de sorte à essayer d’intimider les masses sur le plan national, et de leur ôter toute envie de tenter ailleurs une telle rébellion. Alors que la revendication centrale du mouvement s’est centrée sur la démission du gouverneur, il est urgent que le mouvement à Oaxaca se répande et entreprenne toutes les démarches possibles afin de gagner le soutien des masses nationalement, ce qui inclut des manifestations et des grèves nationales, en solidarité avec les gens d’Oaxaca. Obrador a gardé ces distances vis-à-vis de ce mouvement, et a insisté pour que la lutte nationale se limite à "une protestation citoyenne et pacifique", ce qui est très révélateur. Pourtant, cette rébellion à Oaxaca n’est qu’un avant-goût des mouvements à venir au Mexique, au cours des prochains mois ou années.

    Tandis que se développe cette lutte au Mexique, la nécessité pour la classe salariée de développer ses propres organisations, parti et programme indépendants afin de renverser le capitalisme, devient de plus en plus pressante. Une tâche urgente, consiste à se battre pour la démocratisation des syndicats, qui sont toujours dirigés par une puissante bureaucratie antidémocratique sur des lignes corporatistes. Des élections démocratiques et libres pour la direction syndicale, et le contrôle démocratique des syndicats par la base, sont une étape urgente et cruciale.

    En même temps, une campagne pour une grève de 24h, nationale et générale, doit être lancée, en tant que premier pas pour empêcher l’intronisation de Calderón. Une campagne de désobéissance civile, comme celle qui est proposée par Obrador, n’est pas suffisante pour infliger une défaite aux gangsters corrompus qui ont volé les élections au peuple mexicain.

    Des comités de lutte démocratiquement élus doivent être établis dans tous les lieux de travail, universités et quartiers ouvriers, ouverts aux paysans et aux autres personnes opposées au système existant. De tels comités, dont les délégués doivent être élus, révocables et pleinement responsables devant des assemblées de masse, doivent être structurés à l’échelle des villes, des districts, des états, et du pays tout entier. De tels organes peuvent devenir une expression et une organisation réellement démocratique du mouvement, et former la base qui permettra de mener encore plus loin les luttes, d’une manière coordonnée.

    A partir de ce mouvement, une autre nécessité urgente se pose à la classe salariée, celle de construire son propre parti, un parti qui combattra pour ses intérêts, et qui développera un programme révolutionnaire et socialiste. Obrador a déclaré que le Mexique "a besoin d’une révolution". Toutefois, il s’imagine cette révolution se déroulant dans le cadre du capitalisme. Ce dont nous avons besoin, est une révolution qui brisera le corset étroit que voudrait lui imposer le capitalisme et le féodalisme au Mexique. Si ceci n’est pas réalisé, il ne sera pas possible de remplir les attentes des masses qui se sont ralliées à la campagne d’Obrador.

    Les luttes afin de prévenir Calderón d’être intronisé, et contre son gouvernement s’il devait quand même être formé, doivent faire partie de la lutte pour un gouvernement des salariés et des paysans avec un programme socialiste révolutionnaire. En liant ce mouvement à ceux qui se déroulent en Bolivie et au Venezuela, et à l’achèvement de la révolution socialiste dans ces pays et la mise en place d’une véritable démocratie ouvrière à Cuba, il sera possible d’établir une fédération socialiste démocratique de ces pays avec le Mexique. Le capitalisme et le féodalisme pourraient commencer à être défiés à travers toute l’Amérique Latine, et la porte vers le soutien des travailleurs et des pauvres aux USA, à s’ouvrir. C’est ce défi, qui se dresse maintenant devant les socialistes et les travailleurs au Mexique, tandis que la lutte deviendra de plus en plus aigüe dans les mois et années à venir.

  • Mexique. "S'il n'y a pas de solution, il y aura une révolution"

    Il aura fallu plus de deux mois de délibérations au Tribunal électoral suprême du Mexique pour décider que les élections présidentielles du 2 juillet avaient été remportées par Felipe Calderon, le candidat du Parti d’Action Nationale (PAN, droite libérale et pro-américaine).

    Jean Peltier

    Ce délai étonnant a été provoqué par l’énorme mouvement de protestation qui s’est amplifié tout au long de l’été en soutien au candidat de l’opposition et ancien maire de la capitale Mexico, Andrés Manuel Lopez Obrador. AMLO, comme l’ont surnommé ses partisans, dénonçait une fraude électorale massive et exigeait un recomptage complet des votes. Le Tribunal a limité cette opération à 9% des votes, sous prétexte qu’"il n’y a pas d’élections parfaites"! Il est pourtant clair que la fraude a eu lieu sur une grande échelle, les réclamations portant sur des milliers de bureaux de vote où des irrégularités ont été dénoncées.

    Le mouvement de protestation contre la fraude électorale a été le plus important qu’ait jamais connu le pays. Des manifestations monstres ont réuni jusqu’à un million de personnes. Une ville de tentes s’étendant sur près de dix kilomètres a été construite au centre de Mexico par les partisans d’AMLO, perturbant fortement la circulation. Les protestataires se sont inspirés de la "révolution orange" en Ukraine qui avait contesté des élections frauduleuses et fait tomber le président pro-russe en décembre 2004. Mais, à la différence de l’Ukraine, le mouvement de protestation au Mexique a été quasiment ignoré par la grande presse internationale. La plupart des agences de presse ont dit et redit que l’élection avait respecté les procédures légales. Cela n’est guère étonnant quand on sait que le président "élu" Calderon, tout comme son prédécesseur Fox, sont des alliés fidèles des Etats-Unis et qu’ils ont le soutien affirmé de Bush (un autre spécialiste des victoires électorales "aidées").

    Au cours de la campagne, Lopez Obrador, à la tête du Parti de la Révolution Démocratique, avait multiplié les attaques verbales contre les riches, la corruption et l’impérialisme US… tout en affirmant qu’il voulait travailler avec les patrons mexicains et qu’il ne s’en prendrait qu’aux corrompus. Son discours a eu un énorme écho parmi les travailleurs et la population pauvre à travers tout le pays. C’est que le Mexique, même s’il connaît une certaine croissance économique, reste marqué par de gigantesques différences sociales. Un Mexicain sur cinq ne mange pas à sa faim. Depuis 2000, six millions de Mexicains ont quitté leur pays pour entrer aux Etats-Unis à la recherche d’une vie meilleure. Un rapport des Nations-Unies affirme que l’argent envoyé par les immigrés mexicains vivant aux USA représente la principale source de revenus du pays après le pétrole.

    Dans ces conditions, les protestations de masse contre la fraude électorale peuvent prendre rapidement une toute autre dimension. Ces dernières semaines, un des slogans les plus entendus parmi les manifestants est "S’il n’y a pas de solution, il y aura une révolution". La bourgeoisie mexicaine craint Lopez Obrador, pas parce qu’il serait un anticapitaliste ou un révolutionnaire, mais parce qu’il pourrait devenir un point de ralliement pour des actions plus radicales et de nouvelles vagues de luttes.

    Ils ont peur que se généralise la situation que connaît depuis juillet l’Etat d’Oaxaca (le Mexique est un Etat fédéral et l’Oaxaca est une des régions les plus pauvres) où un mouvement de grève lancé par les enseignants, rapidement rejoints par les travailleurs de la santé, s’est transformé en soulèvement de masse exigeant la démission du gouverneur de l’Etat. Des manifestations ont réuni des centaines de milliers de personnes, les routes sont bloquées par des barrages, des bâtiments officiels occupés et une Assemblée Populaire du Peuple d’Oahaxa a été formée pour coordonner le mouvement.

    Sous la pression du mouvement, Lopez Obrador a annoncé la création d’un "gouvernement du peuple" qu’il pose en "rival de celui de la mafia politique et des criminels en col blanc". Il est difficile de savoir jusqu’où AMLO est prêt à aller: va-t-il se contenter de faire de ce "gouvernement parallèle" un outil de contestation dans le cadre du parlement ou va-t-il développer la mobilisation jusqu’à empêcher l’entrée en fonction de Calderon le 1er décembre ?

    Les protestations de masse de ces dernières semaines ont déjà montré la force du mouvement populaire.

    Mais, pour chasser Calderon et en finir avec le système d’exploitation, ce mouvement devra aller plus loin, en se liant avec les syndicats, en s’organisant en comités démocratiquement élus, sur les lieux de travail, dans les quartiers et les universités, et en mobilisant pour des journées de grève générale. Et l’ampleur de ce mouvement montre la nécessité criante d’un parti luttant au quotidien pour défendre les intérêts des travailleurs et des paysans (ce que n’est absolument pas le PRD) et mettant en avant des revendications socialistes pour en finir avec la pauvreté, le chômage et les inégalités.

  • La liste du gauche du P-SOL à 10% dans les sondages

    Elections présidentielles au Brésil

    Lorsque Lula, le candidat du Parti des Travailleurs (PT) a été élu Président du Brésil à la fin 2002, les travailleurs de ce pays ont été gagnés par l’espoir que, pour la première fois, il y aurait une politique en faveur des travailleurs et des pauvres. Mais Lula a estimé plus important de satisfaire les exigences du monde des entreprises et de la finance que de répondre aux attentes des travailleurs et des paysans pauvres.

    Els Deschoemacker

    Une première épreuve de force a eu lieu avec la lutte contre la réforme des pensions, qui a mené à des appels à la formation d’un nouveau parti des travailleurs. A peine un an plus tard, le Parti pour le Socialisme et la Liberté (P-SOL) voyait le jour. Quatre parlementaires exclus du PT en raison de leur opposition à la réforme des pensions ont été à la base du P-SOL. En comparaison avec d’autres pays d’Amérique latine, la situation est restée relativement calme au Brésil. Cette relative stabilité a été assurée en grande partie par une croissance économique reposant sur les exportations et par le soutien apporté au gouvernement par la CUT, la principale fédération syndicale. Mais, malgré cette croissance limitée, les annonces de licenciements de masse se sont succédées. De grandes entreprises comme Volkswagen préparent des licenciements. La compagnie aérienne Varig a déjà supprimé 9.000 de ses 11.000 emplois.

    Mais, s’il n’y a pas eu de mouvements de masse comme dans d’autres pays, le deuxième mandat de Lula ne sera pas aussi calme. Son parti a été impliqué dans divers scandales et la politique néo-libérale du gouvernement a gravement porté préjudice au parti.

    Lula reste nettement en tête des sondages mais le potentiel pour un mouvement de protestation de grande ampleur est très grand. Ce potentiel s’exprime en partie par les scores que les sondages d’opinion promettent au P-SOL pour les élections présidentielles. La candidate du P-SOL, Helena Heloïsa, obtiendrait entre 9% et 12% au niveau national. A Rio de Janeiro, elle talonnerait Lula (19% pour lui contre 18% pour Helena).

    Des dangers guettent pourtant aussi le P-SOL. La pression s’y fait sentir pour affaiblir le programme et l’adapter à ce qui est possible dans le système actuel. Le patronat ne sera pourtant pas disposé à faire beaucoup de concessions. Socialismo Revolucionario, notre organisation soeur au Brésil, est active au sein du P-SOL et y milite pour faire du P-SOL un parti de lutte doté d’un programme socialiste conséquent.

  • Chili. L’histoire se fait dans la rue

    Le lundi 5 juin a vu une journée nationale de protestation au Chili, à l’appel de la direction des centaines de milliers de lycéens engagés dans une lutte qui durait déjà depuis quatre semaines. Ce magnifique mouvement de jeunes remettait en question l’entièreté du programme néo-libéral du gouvernement. Une des revendications centrales du mouvement est la fin d’une loi instaurée sous la dictature de Pinochet visant à faciliter la privatisation des écoles.

    Tony Saunois

    Ces jeunes combatifs ont gagné le soutien d’une majorité écrasante de la population chilienne. Selon les derniers sondages, ils ont 84% d’opinions favorables, contre 14% pour le gouvernement !

    Les rapports font état d’un million d’étudiants, de profs et de travailleurs du secteur des soins qui auraient rejoint la lutte malgré le rôle de la majorité de l’Union des Fédération Syndicales qui s’est opposée à la grève lycéenne. A l’extérieur de la capitale, dans des villes et villages où l’influence de la bureaucratie syndicale est moins forte, les grèves en soutien de la jeunesse étaient plus nombreuses.

    Malheureusement, l’Assemblée Générale des étudiants n’a pas appelé à une manifestation centrale capable d’unifier tous les opposants au gouvernement, mais a décidé d’organiser une journée de « réflexion » dans les écoles occupées. Ils n’ont cependant pas critiqué les organisations qui ont appelé à une manifestation à Santiago.

    Des milliers de jeunes et de militants sont donc descendus dans les rues le 5 juin, confrontés à la brutalité de la police anti-émeute qui n’a rien négligé pour intimider les manifestants. La veille, des policiers paradaient dans les rues avec des casques de l’armée, la matinée précédent la manifestation, bus, blindés, auto-pompes et groupes lourdement équipés se sont fait remarquer partout en ville. Durant la manifestation, des heurts violents ont eu lieu et la police a généreusement utilisé les gaz à sa disposition et ses auto-pompes dont l’eau contenait des produits chimiques iritants.

    Les manifestants avaient aussi gardé en tête la manière dont la police avait tabassé les lycéens qui avaient pacifiquement défilé la semaine précédente. Les flics ont quelque peu reçu la monnaie de leur pièce à cette manifestation où les pierres ont fusé de toutes parts contre les forces de l’ordre, accompagnées de slogans tels que « El pueblo unido jamas sera vincido » (le peuple uni ne sera jamais vaincu). Comme les membres de Socialismo Revolucionario (la section-soeur du MAS/LSP au Chili) ont pu s’en rendre compte par eux-mêmes durant la manifestation, les gaz utilisés par la police sont extrêmement forts et s’apparentent à ceux utilisés par l’armée : les boules brûlent en éclatant au sol et les gaz peuvent rendre temporairement aveugle.

    Malheureusement, certains jeunes n’ont pas résisté à la tentation de rafler les CD, ordinateurs ou télévisions des magasins environnants. Cela a été grossi par les chaînes de télévision chiliennes, qui se sont également concentrées sur les scènes de violences. Les combats de rue à Santiago, où l’autorisation de manifester avait été refusée, contrastaient avec la manifestation de masse autorisée qui s’est tenue à Valparaiso, où aucun incident ne s’est produit.

    Les rapports font état de 300 arrestations à Santiago, et de 250 personnes hospitalisée, dont 32 policiers anti-émeute. Les événements de Santiago ont été précédés par des tentatives du gouvernement pour diviser le mouvement. Des pressions immenses ont été exercées sur les dirigeants pour qu’ils n’appellent pas à une manifestation. En protestation contre l’attitude trop concilliante de la direction étudiante, un des membre de celle-ci a démissionné.

    Les lycéens représentent une génération en lutte. Ils sont nés non pas sous la poigne de fer de la dictature de Pinochet, mais durant le « boom »  de l’économie chilienne et sont en révolte contre la société de consommation. L’idée que l’enseignement est un business et qu’il doit fonctionner comme tel engendre une hostilité reflétée sur beaucoup de banderoles où l’on pouvait lire le slogan « Pas de marché dans l’enseignement ». Sur l’une des pancartes figurait ironiquement qu « Si l’enseignement est un marché, alors le client est toujours roi ! ».

    Deux fois déjà le gouvernement a été forcé de se rendre à la table des négociations. Les représentants étudiants ont déclaré aux ministres que s’ils n’étaient pas capables de faire tourner l’enseignement correctement, ils viendraient avec des propositions pour refaire les lois. Sous la pression, la présidente a déjà promis 135 millions de dollars supplémentaires au budget de l’enseignement.

    L’espoir que la présidente Bachelet (élue depuis quatre mois) pourrait être différente de ses prédécesseurs et plus radicale est en train de fondre chez les jeunes.

    Des affiches sont apparues à Santiago et résument la situation: « Bachelet : discours pour les pauvres – gouvernement pour les riches ».

  • Bolivie. Morales va-t-il s’engager sur la voie du socialisme?

    Evo Morales a été élu Président de Bolivie à la fin de l’année passée. Cette victoire électorale a prolongé un mouvement d’ampleur qui a paralysé le pays pendant des semaines et qui a chassé l’ancien président Mesa. Depuis lors, les masses sont déjà entrées en action et Morales a dû procéder à des nationalisations limitées.

    Emiel Nachtegael

    Les mouvements qui ont déjà eu raison de plusieurs présidents boliviens étaient la conséquence de plusieurs années d’ultra-libéralisme. Cette politique n’a profité qu’aux grandes multinationales étrangères qui ont fait des milliards de bénéfices en Bolivie. Le pays a les deuxièmes plus grandes réserves de gaz du continent, mais est en même temps l’un des plus pauvres.

    Morales doit son élection à un espoir de changement. La pression sur lui en est d’autant plus forte. Il a annoncé qu’il relèverait le salaire minimum et les salaires des enseignants et qu’il diminuerait de moitié les salaires (y compris le sien) des hauts dirigeants.

    Le 1er Mai, Morales a annoncé qu’une grosse part des revenus du pétrole et du gaz reviendraient désormais à la Bolivie. Les multinationales pourront rester, mais elles devront céder une grande partie de leurs bénéfices (82%). Les entreprises qui refuseraient de s’y résoudre seraient totalement nationalisées.

    Morales a tenu une partie de ses promesses électorales avec ses mesures, mais la population exige la nationalisation complète des richesses du sous-sol. La COB, la fédération syndicale nationale, menaçait encore la veille du 1er Mai d’une grève générale le 4 mai pour y contraindre le gouvernement.

    La mesure va surtout frapper Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne) et, dans une moindre mesure, aussi Total (France). Le gouvernement table sur quelque 320 millions de dollars supplémentaires par an grâce à cette mesure. On peut faire beaucoup de choses avec cet argent afin de corriger les effets de décennies de régression sociale.

    Une partie de la COB exige à raison la nationalisation totale sous contrôle ouvrier. Ce n’est qu’alors qu’on pourra utiliser effectivement la richesse produite pour satisfaire l’entiereté des besoins des travailleurs et de leurs familles et en finir avec la pauvreté, le chômage, le manque de logements, …

    Cela ouvrirait la voie à un véritable “socialisme du 21e siècle”. La question du socialisme revient à l’ordre du jour en Bolivie comme au Vénézuéla. L’instauration effective d’un système de démocratie ouvrière doublée d’une collaboration entre ces deux pays et Cuba serait un pas important en direction d’une fédération socialiste démocratique sur le continent.

    La direction du MAS au pouvoir s’en tient pourtant à la “théorie des étapes” du Parti communiste bolivien. Le vice-président, Alvaro Garcia Linera, pense que le socialisme est impossible avant 50 à 100 ans et que le pays doit d’abord traverser une phase de “capitalisme des Andes”. C’est la voie toute tracée vers la défaite.

    Le fossé entre riches et pauvres est particulièrement large en Amérique-Latine. Les 10% les plus riches y possèdent 143 fois plus que les 10% les plus pauvres.

    Un nouveau “capitalisme des Andes” permettra sans doute d’acheter une stabilité et une paix sociale temporaires en échange de réformes en faveur de la classe ouvrière et de la paysannerie à un moment où les prix du gaz et du pétrole sont à un niveau élevé.

    Il n’en est pas moins vrai que, tout comme au Vénézuéla, l’absence de contrôle ouvrier ne pourra empêcher que les réformes soient détournées pour enrichir une partie de l’élite locale qui est prête à faire des concessions en échange de la paix sociale. Les tentatives de compromis avec le capitalisme ne mèneront pas le mouvement ouvrier à la victoire. Tant que les élites dirigeantes, au niveau national ou international, disposeront de leurs instruments de domination économique et politique, elles feront tout pour renforcer leurs positions au détriment des travailleurs et des pauvres.

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