Category: Amérique Latine

  • Chili. Le cabinet de Michelle Bachelet: "Dis-moi qui sont tes amis et je te dirai qui tu es"

    Nous n’avons eu qu’un mois du nouveau gouvernement de Michelle Bachelet et nous pouvons déjà nous faire une idée claire de ce que seront les quatre prochaines années de ce gouvernement de « Concertación » (coalition). Ce sera une réplique des politiques des gouvernements de ces vingt dernières années – du néolibéralisme.

    Celso Calfullan, Socialismo Revolucionario (CIO Chili)

    Les travailleurs disent souvent, « Dis-moi qui sont tes amis et je te dirai qui tu es ». Ceci s’applique clairement au nouveau gouvernement de coalition de la présidente « socialiste », Michelle Bachelet. Son équipe sera dominée par trois figures principales. D’abord, le ministre de l’emploi, Andrés Velasco. C’est un ardent défenseur des politiques néolibérales appliquées durant les 16 dernières années. En fait, il est l’un des principaux partisans idéologiques de ces idées. Deuxièmement, il y a la pernicieuse figure d’Andrés Zaldivar, qui durant toute sa vie politique (et non juste les 16 dernières années), a défendu des politiques douloureuses pour la classe ouvrière. Il suffit de se rappeler que sous le gouvernement d’Unité Populaire d’Allende, au début des années ’70, Zaldivar était l’un des premiers, à l’intérieur de la Démocratie Chrétienne (DC), à défendre le coup d’état militaire de Pinochet. Ensemble avec Patricio Alywin, il représentait une des ailes les plus réactionnaires de la Démocratie Chrétienne.

    La troisième figure est celle d’Alejandro Foxley, qui a été précédemment Ministre de l’emploi et également responsable de politiques douloureuses pour la classe ouvrière. Aujourd’hui, il vient d’être proposé comme ministre des affaires étrangères. Foxley est très pro-impérialiste et est un fervent défenseur de l’Accord de Libre Echange des Amériques (ALENA) avec les Etats-Unis. Sa nomination a clairement été proposée pour essayer de satisfaire l’administration américaine, les compagnies nationales et multi-nationales, qui veulent exporter les matières premières du pays pour une bouchée de pain.

    Ces trois personnes conduisent et dirigent le rythme du gouvernement Bachelet. Si quelqu’un à gauche croit encore, qu’avec ces gens « un tournant à gauche » voire même des politiques plus radicales vont prendre place, il ne comprend pas ou ne veut pas comprendre ce qui est en train de se passer.

    Continuer à placer des espoirs dans le gouvernement Bachelet est une grosse erreur et commettre cette erreur n’aide pas à construire une réelle alternative de gauche.

    Entretenir les attentes des pauvres et des travailleurs envers ce gouvernement (leur dire que ce gouvernement serait différent du précédent), c’est mentir aux gens. L’intégration par les membres de la Concertatión dans le capitalisme est bien trop grande pour espérer que les nouveaux ministres du gouvernement rompent avec le système. Des politiciens comme Velasco et Foxley vont appliquer des politiques néo-libérales qui ont d’abord été appliquées par la dictature de Pinochet et ensuite par les anciens gouvernements de Concertación, tout comme Michelle Bachelet.

    Le temps écoulé est-il trop court pour émettre un jugement?

    Il est suffisant de regarder la constitution du cabinet pour voir que rien ne peut être attendu du gouvernement Bachelet par les masses. Tous les ministres sont pro-business et la Concertación l’a démontré durant les seize dernières années. En temps que Sénateur et actionnaire des compagnies de pêche, Andrés Zaldivar en est un exemple clair. Il a défendu les intérêts de sa classe. Pourquoi devrait-il changer maintenant qu’il est ministre?

    Sous le gouvernement Bachelet, nous voyons une alliance d’intérêts accrue entre la Concertación et les larges groupes économiques nationaux et multi-nationaux. Espérer quelque chose de différent c’est déjà étendre l’espoir bien trop loin, en dépit des déclarations de certains leaders du sommet du parti dirigeant qui se disent à « gauche », ou se définissent comme de « gauche extra-parlementaire ».

    Quels ont été les premiers signaux donnés par ce gouvernement?

    Les sans-abris de Peñalolen ont organisé une occupation de terres pour exiger une solution à leur problème de logement et la réponse ne se fit pas attendre : ils ont été réprimés violemment, accusés et traités comme des délinquants. Ensuite quand il se sont mobilisés à la Moneda (le palais présidentiel) pour être écoutés par la présidente « flambant neuve », elle a refusé de les entendre. D’un autre côté, dans ces mêmes jours, les dirigeant de l’UDI ont été reçus par Michelle Bachelet, le parti le plus réactionnaire de la droite et des patrons, fervent défenseur de la dictature et de Pinochet, a les portes grandes ouvertes de la Moneda, alors que les travailleurs ou les couches les plus précarisées qui désirent être écoutées par les nouvelles autorités, ne les ont pas.

    Ceci serait les changements dont parlait la nouvelle présidente quand elle était candidate – ajoutant qu’on ne pouvait avoir de confiance dans la droite- ou serait-ce la Concertación du moindre mal, comme nous disait une partie de la gauche?

    Il est évident que nous aurons quatre années de plus de la politique que nous avons eu à subir jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement, la classe ouvrière ne peut compter sur un parti qui la représente et qui lutte résolument pour nos droits. Il est clair que les travailleurs ne sont pas représentés dans ce gouvernement qui suivra une ligne pro-patronale comme l’ont fait les précédents gouvernements de Concertación. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons avoir aucune confiance en celui-ci, ni dans les partis qui le soutiennent.

    La tâche fondamentale des travailleurs et des couches pauvres dans la prochaine période, en même temps que nous luttons pour nos revendications concrètes, est de travailler à la construction d’un parti des travailleurs qui ne crée pas de faux espoirs dans une soi-disant « aile progressiste » gouvernementale qui pourrait améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière ; espérer cela sous le capitalisme est une véritable utopie. Nous, travailleurs, devons lutter résolument pour en finir avec ce système et pour construire une société démocratique et socialiste.

  • Bolivie. Un nouveau cauchemar pour Bush?

    Avec près de 54% des votes, Evo Morales, dirigeant syndical des cultivateurs de coca et porte-parole du Mouvement vers le Socialisme (MAS), a gagné haut la main les élections présidentielles du 18 décembre en Bolivie. Cette victoire a une double signification. Elle marque tout d’abord une nouvelle défaite électorale pour les partisans des politiques néo-libérales qui ont été menées partout sur le continent sous la pression du Fonds Monétaire International et des Etats-Unis pendant les années ’90.

    Jean Peltier

    Celles-ci ont permis l’énorme enrichissement d’une petite minorité de possédants mais se sont traduites par une grande montée de la misère et de la précarité pour la majorité de la population. En Bolivie plus encore qu’ailleurs, cela a produit une montée de la colère populaire et de grosses mobilisations qui ont notamment chassé les deux derniers présidents! D’autre part, Morales sera le premier président indien qu’ait jamais connu la Bolivie. Dans ce pays, un des plus pauvres d’Amérique Latine, 85% de la population est d’origine indienne. Celle-ci vit très majoritairement dans une grande pauvreté et a toujours été marginalisée et tenue à l’écart du pouvoir par la minorité blanche et métisse héritière de la colonisation. Au cours des dernières années, les indiens ont commencé à réclamer ses droits et à remettre en cause les discriminations de toutes sortes qu’elle subit.

    L’arrivée de Morales au pouvoir était sérieusement crainte à Washington. Si Morales aime à se présenter lui-même comme «un cauchemar pour les Etats-Unis», des journaux américains n’ont pas hésité à le présenter comme «l’Oussama Ben Laden des Andes» et le gouvernement américain le traitait de «narco-terroriste»! Morales a obtenu un large soutien en promettant la nationalisation des réserves de gaz (qui ont été privatisées il y a quelques années au plus grand profit de multinationales étrangères), la légalisation de la culture de la coca (qui sert de base à quantité de produits nutritifs et médicaux populaires et pas seulement à fabriquer la cocaïne) et la démocratisation du pays. Mais, au cours de la campagne, ses déclarations se sont faites moins précises, montrant qu’il souhaitait trouver des compromis avec les multinationales et les capitalistes locaux. Morales va-t-il devenir un nouveau Chavez ?

    Il y a certainement de nombreux points communs entre les dirigeants de la Bolivie et du Venezuela. Mais les situations nationales présentent néanmoins deux grandes différences. Chavez peut utiliser les énormes revenus pétroliers de son pays pour mener des politiques sociales progressistes coûteuses (alphabétisation, amélioration de la santé publique, construction de logements, …) sans devoir pour cela s’en prendre directement aux intérêts et à la propriété des capitalistes vénézuéliens et étrangers. Morales ne dispose pas de telles ressources, sauf s’il nationalise rapidement les réserves et les installations gazières – ce qui signifie entrer en guerre ouverte avec les multinationales et leurs alliés locaux. D’autre part, le mouvement syndical et populaire est beaucoup plus organisé et militant en Bolivie qu’au Vénézuela et ses dirigeants ont déjà mis la pression sur Morales pour qu’il tienne rapidement ses promesses électorales. Un mineur interviewé par le magazine britannique «Observer» résumait bien cet esprit militant : « Le 18 décembre, nous écraserons les traîtres qui ont bradé nos ressources naturelles et menti au peuple. Morales est notre frère et nous lui faisons confiance, mais il a intérêt à ne pas oublier ses promesses…».

    Le nouveau président sera donc certainement amené à devoir choisir rapidement entre une radicalisation à gauche de sa politique et une capitulation devant les multinationales et les USA, en risquant alors d’être confronté à des explosions populaires et de connaître le même sort que les précédents présidents…

  • L’Amérique Latine et la discussion sur le socialisme du 21ème siècle

    Un sondage au Venezuela a récemment indiqué que 47,8% de la population préfère un gouvernement ‘socialiste’, alors que seulement 22,7% préfère un gouvernement capitaliste. Il y a un intérêt croissant envers les idées socialistes, popularisées par Chavez qui déclare depuis janvier que la révolution Bolivarienne est socialiste.

    Els Deschoemacker

    Mais Chavez reste assez vague. Il parle d’un “socialisme du 21e siècle” comme d’une “nouvelle sorte de socialisme”. Il appelle à abandonner les “vieilles idées” sur le socialisme. Cela peut être compris comme une critique du stalinisme, et c’en est d’ailleurs partiellement une. Mais de l’autre côté Chavez ne semble pas être convaincu de la nécessité de rompre complètement avec le capitalisme. Il se dit être en faveur d’une économie mixte, un mélange d’économie ‘sociale’ et d’économie capitaliste.

    Sous la pression des masses, le régime est déjà allé plus loin que prévu. Des usines qui étaient (presque) faillite ont été nationalisées, des réformes agraires, limitées, ont été initiées, et une sorte d’économie ‘parallèle’ existe, dans laquelle l’Etat possède sa propre compagnie aérienne, une chaîne de télévision, des supermarchés,… Dans ces derniers, les produits sont 30% moins chers que dans des supermarchés commerciaux. Des éléments de pouvoir ouvrier sont soutenus par le gouvernement; les entreprises qui acceptent d’avoir des représentants ouvriers dans la direction reçoivent par exemple des subsides.

    “Tout cela, c’est du socialisme”, déclare Chavez. Les capitalistes – et surtout l’impérialisme des Etats-Unis – ont peur des développements au Venezuela, bien que le pouvoir économique capitaliste n’est pas encore battu. Ils ont peur d’une radicalisation des masses qui pousserait le gouvernement à faire plus de nationalisations.

    Ces récents développements sont une nouvelle phase. Les idées socialistes sont déjà très populaires en Bolivie et au Venezuela, où ces idées sont vues comme une alternative au capitalisme. Pour les révolutionnaires, l’essentiel est d’expliquer le rôle du mouvement ouvrier et ce qu’est vraiment le socialisme démocratique.

    Il y a donc beaucoup d’éléments à débattre. Dans ce cadre, nous organisons une série de discussions sur la situation en Amérique Latine.

    Venez participer aux discussions sur la révolte contre les privatisations et le néolibéralisme!

    Du 10 au 14 octobre se dérouleront les débats sur l’Amérique Latine avec Karl Debbaut, présent au Venezuela durant plusieurs semaines cet été. Il y a participé au Festival des jeunes pour la paix et la solidarité, contre l’impérialisme.

    > Louvain-La-Neuve. 11 oct. 12h. UCL – Rue des Wallons 35 2e étage – salle “La Ratatouille”

    > Bruxelles. 12 oct. 19h ULB (campus du Solbosch, Av. Franklin Roosevelt 50) Bâtiment H, niveau 1, Local H 1302

    > Liège. 13 oct. 19h ULG, Grand Physique Place du XXAoût

    > Hasselt. 10 oct., 20h, Vrijzinnig Centrum (A Rodenbachstraat 18)

    > Gand. 11 oct, 19h30, Blandijn

    > Louvain. 12 oct, 14h, MTC 0059, Hogeschoolplein

    > Anvers. 14 oct, 19h30, Multatuli (Lange Vlierstr)

  • Venezuela, un an après le référendum. Quels dangers menacent la révolution maintenant?

    Il y a un peu plus d’un an, le 15 août, le référendum visant l’éjection du président vénézuélien Chavez fut un échec retentissent grâce à la mobilisation des masses vénézuéliennes, particulièrement dans les villes-ghetto, à travers les « unités de combat » électorales et d’autres organisations de la révolution « Bolivarienne ». Cette défaite a ouvert une nouvelle phase dans le processus révolutionnaire. Mais comme Christine Thomas l’explique : même si les forces de l’opposition ont été sévèrement affaiblies, la menace de la contre-révolution subsiste.

    Christine Thomas

    L’élection de Chavez en temps que président en 1998 a représenté un rejet massif de la part des pauvres, des travailleurs et de certaines parties de la classe moyenne de la politique néo-libérale vicieuse orchestrée par l’establishment corrompu de la « quatrième république ». Son populisme anti-impérialiste/anti-néolibéral a radicalisé les couches les plus pauvres de la société vénézuélienne. Ils ont vu en Chavez un leader politique qui les représentait et qui parlait pour eux, plutôt que ces riches oligarques qui dilapidaient les richesses pétrolières : les laissant sombrer plus profondément dans la pauvreté. Sa victoire a créé l’espoir que leurs besoins désespérés d’emplois décents, de soins de santé, d’enseignement et de logements trouveraient enfin une solution. La classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain, de l’autre côté, craignent que les masses déchaînées et radicalisées puissent exiger des mesures plus radicales, se mettent en mouvement dans une direction qui menacerait leurs intérêts. L’impérialisme américain, en particulier, craint l’instabilité dans un pays qui lui fournit 15% de ses besoins en pétrole. Le référendum de l’an dernier était la troisième tentative majeure par la classe dirigeante vénézuélienne, soutenue par l’impérialisme américain, pour éjecter Chavez et écraser toute menace potentielle que le mouvement pourrait poser au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine. Mais toutes les tentatives contre-révolutionnaires (le putsch du 11 avril 2002, le lock-out patronal de deux mois, la tentative de sabotage économique à la fin de la même année et enfin le référendum) ont été bloquées par l’action de masse des pauvres et des travailleurs qui se sont d’avantage radicalisés et dont les espoirs se sont largement développés.

    Dans la période post-référendum, le rapport de force a temporairement glissé en faveur des masses. Les forces de l’opposition (l’élite financière, les partis politiques et leader syndicaux corrompus, l’église catholique, etc.) sont sorties de ces défaites divisées et démoralisées. Chavez, lui-même, a cherché initialement un arrangement avec l’opposition en leur demandant de travailler avec lui à la reconstruction du pays. Mais sous la pression des travailleurs et des pauvres, il s’est d’avantage radicalisé décrivant la révolution bolivarienne pour la première fois comme « socialiste », amorçant une réforme agraire et parachevant les premières nationalisations du régime. Au même moment, il a durci sa rhétorique anti-impérialiste, anti-US et ses actions dans la région.

    Ce tournant à gauche a alarmé la classe capitaliste vénézuélienne et l’impérialisme américain. Ils craignent que les masses, voyant leurs espoirs croître, puissent pousser Chavez dans une direction encore plus radicale, minant leur contrôle économique. Puisque jusqu’à présent, les timides tentatives du régime Chavez avaient laissé ce contrôle largement intact. L’administration américaine a récemment attaqué Chavez au vitriol en l’accusant de soutenir le terrorisme en Colombie et de fomenter des révoltes en Bolivie, en Equateur et partout en Amérique Latine. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice a décrit Chavez comme « une menace majeure pour la région entière ». Les relations économiques croissantes avec Cuba de Chavez, dans lesquelles le Venezuela fournit de l’essence à bas prix en retour de médecins cubains etc, ont effectivement brisé l’embargo américain de l’île, lançant une bouée de sauvetage économique tellement nécessaire depuis la chute de l’Union Soviétique qui était son principal appui économique. Chavez est également vu comme un obstacle dans la stratégie américaine qui vise à faire de la Colombie une base de défense des intérêts US en Amérique Latine. Plus important : Chavez a cherché des marchés internationaux alternatifs pour l’essence vénézuélienne, signant des contrats avec la Russie, la Chine, l’Iran autant que d’autres pays latino-américain. Il a menacé d’exercer des représailles contre n’importe quelle agression US en coupant l’approvisionnement en pétrole et au cours de la conférence internationale de la jeunesse à Caracas au mois d’août, il a déclaré que le marché nord américain n’était pas vital pour le Venezuela. Bien qu’une bonne partie de cette rhétorique soit anti-impérialiste, confrontée à une situation déjà instable en Irak et au Moyen-Orient, l’impérialisme américain veut s’assurer que son approvisionnement en pétrole du Venezuela n’est pas menacé. Mais la marge de manœuvre de l’impérialisme US est actuellement limitée. Une combinaison de la faiblesse de l’opposition et des revenus énormes du pétrole à la disposition de Chavez pour financer les réformes sociales profitables aux pauvres (sa principale base sociale) signifie que la situation entre les forces en présence est dans une impasse et que cette situation pourrait être maintenue pour un moment.

    Une invasion directe du Venezuela, comme en Irak, est hors de propos pour le moment. L’Irak a montré les limites de l’hégémonie américaine. Même si la capacité militaire américaine n’était pas déjà dépassée, une invasion du Venezuela serait extrêmement risquée, déclenchant une vague de résistance qui pourrait embraser l’ensemble des Amériques. L’impérialisme américain a donc été forcé à poursuivre dans une approche moins directe, reposant sur un travail dans l’opposition vénézuélienne et dans les forces réactionnaires en Colombie. En décembre de l’an dernier, les forces colombiennes en conjonction avec des sections des forces de sécurité vénézuéliennes sont intervenues directement au Venezuela pour kidnapper un leader de la guérilla FARC, donnant une indication claire de la manière dont ils pouvaient être utilisés pour créer la peur et l’instabilité à l’intérieur du pays. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines parties de l’administration américaine soutiennent l’appel du chrétien fondamentaliste de droite Pat Robertson à l’assassinat ou au kidnapping de Chavez pour amener un « changement de régime » au Venezuela (de telles actions ne peuvent être totalement écartées). Mais chaque mouvement réactionnaire a jusqu’ici donné une impulsion de gauche au processus révolutionnaire et chaque action prématurée pourrait pousser les masses dans une direction encore plus radicale.

    Les parties les plus sérieuses et réfléchies de l’opposition ont donc tiré la conclusion que, après avoir été vaincus à chaque étape par le soutien à Chavez dans la masse de pauvres radicalisés, pour le moment ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à « coexister » avec lui. Avec l’équilibre actuel des forces, chaque étape ouvertement contre-révolutionnaire dans le court terme, après celles qui ont été déjà tentées, risque d’accroître la radicalisation du mouvement et de provoquer des mesures qui pourraient menacer d’avantage leur contrôle de l’économie et l’appareil d’état. « Nous devons mordre la poussière de la défaite », a dit le gouverneur de l’état de Zulia quelques jours après le référendum. « Les deux Venezuela doivent se réconcilier, le Venezuela ne peut continuer dans le conflit », a déclaré le patron de Fedecamaras (principale organisation patronale).

    En dépit de l’adoption d’un ton anti-Chavez moins strident, l’administration US semble poursuivre une stratégie à long terme d’épuisement du processus révolutionnaire et préparer un rapport de force qui leur serait plus favorable, avant de lancer des actions de plus grande ampleur contre Chavez.

    Mais malgré cela, sans un mouvement décisif de la classe ouvrière et des pauvres vers une cassure avec le capitalisme et d’établissement d’un état ouvrier démocratique, la contre-révolution réussira par un moyen ou un autre à se ré-affermir. Cela pourrait venir sous une forme extra-parlementaire, un futur putsch victorieux, comme c’est arrivé au Chili en 1973, ou une contre-révolution électorale « démocratique » comme au Nicaragua en 1990. Cette victoire sous n’importe quelle forme signifierait un désastre pour les masses vénézuéliennes. La classe ouvrière vénézuélienne et les pauvres sont confrontés à une tâche urgente, utiliser ce « temps de respiration » pour construire un parti révolutionnaire qui peut fournir un programme qui pousserait le gouvernement en avant et complèterait la révolution socialiste.

    Electoralement, les forces de l’opposition au Venezuela ont été complètement divisées entre une partie qui défendait l’abstention et l’autre qui contestait les élections. Où ils sont restés, ils ont subit défaites sur défaites. Après les élections d’octobre de l’an dernier, ils ne contrôlent plus que deux des 23 états que compte le pays et ont de plus perdu le contrôle de Caracas, la capitale. Aux élections locales et municipales, qui se sont tenues le 7 août de cette année, ils ont obtenu moins de 20% des sièges.

    Le principal quotidien vénézuélien, détenu par des opposants de droite qui ont soutenu unanimement les forces de la réaction à chaque étape, a publié des articles commémorant l’anniversaire du référendum. Ils se sont concentrés sur ce qu’ils considèrent comme le besoin désespéré pour l’opposition « démoralisée, désorientée, manquant de direction » (El Nacional) de s’unir pour fournir une alternative électorale crédible aux « chavistas ». Avec les élections parlementaires attendues pour la fin de l’année et les élections présidentielles en décembre 2006, l’opposition se prépare à de futures défaites électorales.

    Chavez lui-même caracole à 70% d’approbation dans les sondages (l’un des taux les plus hauts de sa présidence). Durant le festival international de la jeunesse, il a parlé confidentiellement de rester en politique jusqu’en 2030 ! Sa confiance a été boostée par les victoires électorales et par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial. Le pétrole représente 85% des exportations vénézuéliennes, un quart du PIB et plus de la moitié des revenus du gouvernement. En 2004, les exportations de pétrole ont généré un revenu de 29$ milliards, pour 22$ milliards en 2001 et la somme semble fortement augmenter cette année. Cette énorme aubaine réalisée par le pétrole a permis à Chavez de maintenir et d’accroître les dépenses des « misiones », les programmes de réformes sociales de bien-être qui ont été démarrées en 2003 et largement orientées vers les plus pauvres. Les avantages de ces réformes sont clairement visibles dans les rues des zones les plus pauvres de Caracas. Une superbe nouvelle clinique ou un supermarché d’état Mercal (Mercado de Alimentacion) qui vend de la nourriture de base subsidiée qui se distinguent facilement des immeubles et des infrastructures en ruine des « barrios », les bidonvilles vérolés de pauvreté situés à deux pas de zones d’opulence comme Altamira où vit l’élite.

    Selon les chiffres du gouvernement, 300.000 Vénézuéliens ont surmonté l’analphabétisme (9% des plus de dix ans), deux millions vont à l’école primaire, secondaire et supérieure, et 17 millions ont maintenant accès aux soins de santé de première nécessité grâce aux « misiones ».

    Malgré ces améliorations sociales visibles, une pauvreté noire pourrit encore la vie de millions de Vénézuéliens. 60% des ménages étaient pauvres en 2004, pour 54% en 1999. Même si l’état contrôle les prix de la nourriture de base, l’inflation grimpe à 15-20% et qu’un Vénézuélien sur deux ne dispose pas d’un logement adéquat. Selon un sondage d’opinion récent, le chômage est le problème principal dans la société. Il y a eu des améliorations dans les boulots, à travers des initiatives comme « Vuelvan Caras » , le plan d’état de création d’emplois, principalement dans les coopératives et dans les petites entreprises. Mais 14% de la population reste toujours sans emploi et des millions de personnes sont toujours confrontées à l’insécurité et à l’exploitation dans le secteur informel (comme les vendeurs de rue, les chauffeurs de taxi, etc.).

    Si cela est la situation de la majorité des travailleurs et des pauvres au Venezuela alors que le prix du pétrole est à un niveau si élevé, il est clair que les espoirs des masses ne pourront se concrétiser dans le cadre du capitalisme. Le magazine britannique de droite The Economist résume clairement la situation lorsqu’il écrit : « quand les revenus du pétrole chuteront, tombera dans un enfer de récession et d’inflation »(25 août 2005).

    C’est ce qui est arrivé au Nicaragua. Après la révolution de 1979 qui avait éjecté le dictateur détesté Somoza, les Sandinistes avaient le contrôle de l’appareil d’état. Ils ont nationalisé jusqu’à 40% de l’économie, mais le reste est resté dans les mains de la classe capitaliste qui a utilisé son contrôle économique pour saboter l’économie. Combiné avec la guerre des contras, subventionnée par l’impérialisme US, l’économie plongea dans une crise avec une inflation qui explosa jusqu’à 3600% et un niveau de vie qui périclita de 90% !

    A cause de la démoralisation des masses due à la crise économique, la droite vainquit les Sandinistes aux élections présidentielles de 1990 et poursuivit depuis lors une politique néo-libérale vicieuse à l’encontre des travailleurs et des pauvres nicaraguayens. Si la classe ouvrière au Venezuela n’exproprie pas les monopoles restés dans les mains des capitaliste vénézuéliens et étrangers, si elle n’applique pas une planification de la production sous contrôle démocratique, la crise économique et l’incapacité à satisfaire les besoins des masses mèneront à la démoralisation et à la démobilisation du mouvement, balisant la route pour une victoire de la réaction. Cela serait alors utilisé pour ouvrir une nouvelle ère de répression brutale, en vue de recouvrir un contrôle total de l’économie et de l’état, avec bien sûr une atomisation des organisations et des droits de la classe ouvrière.

    Le haut taux d’abstention (70%) dans les élections locales et régionales du mois d’août représente un avertissement pour le futur. Il est vrai qu’historiquement le taux de participation aux élections locales vues comme en dehors des préoccupations de la plupart des Vénézuéliens a toujours été bas. Une partie de l’opposition appelait également les gens à ne pas voter. Malgré cela, le niveau d’abstention dans les zones pro-Chavez était très élevé alors qu’il avait lui-même souligné l’importance, pour ses partisans, de se mobiliser en masse. Bien que le taux de participation soit susceptible d’être beaucoup plus haut dans des élections parlementaires et présidentielles, des signes de mécontentement commencent à arriver à l’encontre des troupes du mouvement bolivarien. Des activistes étaient mécontents du remplacement bureaucratique de candidats de base par des candidats inconnus des gens des communautés locales. Lors des élections d’octobre de l’an dernier pour le mayorat et le gouvernement d’état, des candidats dissidents se sont présentés contre les candidats officiellement chavistes. Dans les élections locales, des partis pro-Chavez perçus comme plus « radicaux » comme le Parti Communiste Vénézuélien et le mouvement Tupamaros ont augmenté leur nombre de votes dans certaines régions. Le mécontentement, où il existe, ne vise pas principalement Chavez, qui bénéficie encore d’une autorité et d’un soutient immense dans les masses, mais plutôt la bureaucratie qui l’entoure, perçue comme une cassure avec les réformes radicales que ce soit à travers l’inefficacité, la corruption ou le sabotage conscient. Une femme qui protestait contre les actions d’un leader dans l’état de Anzoategui a résumé le sentiment d’une couche d’activistes lorsqu’elle a dit : « Président, ouvrez les yeux… beaucoup de ceux à vos côtés sont en train de vous décevoir. Ecoutez la voix du peuple »(El Nacional).

    La direction du mouvement bolivarien est extrêmement hétérogène. Pour parler franchement, une aile est plus en contact avec les masses et reflète l’atmosphère qui y règne, il y a donc une pression pour qu’elle continue les réformes radicales. L’autre aile, réformiste et pro-capitaliste, dont certains membres ont des contacts avec les forces de l’opposition, essaye à chaque étape de retenir le mouvement et de l’empêcher d’aller dans une direction plus radicale. Ces divisions se sont aiguisées depuis la défaite du référendum. Chavez lui-même a balancé entre ces différentes forces de la société. Sa prise de position la plus récente à « gauche » a été une réponse à la demande d’actions plus radicales de la part des masses. Il a signé un décret nationalisant VENEPAL (l’entreprise de papier en faillite), par exemple, après que les travailleurs aient lancé une lutte déterminée en conjonction avec la communauté locale en occupant l’usine et en demandant sa nationalisation. Depuis janvier, Chavez a qualifié la révolution bolivarienne de socialiste, ceci représentant un développement significatif. La question du socialisme commence à s’ancrer dans la conscience d’une partie des étudiants, des travailleurs et des pauvres. Dans un récent sondage organisé par l’ « Instituto Venezolano de Analisis de Datos », 47,8 % des personnes interrogées déclaraient qu’elles préfèreraient un gouvernement socialiste alors que seulement 22,7% opteraient pour un gouvernement capitaliste.

    Mais Chavez n’a pas une idée claire sur ce qu’ il veut dire par socialisme ni sur la manière d’y arriver. Il parle vaguement de « socialisme au 21ème siècle » qui serait un ‘nouveau type’ de socialisme et il a aussi appelé à son peuple à se débarrasser des vieux préjugés concernant la signification du socialisme. On pourrait interpréter cela comme un rejet du stalinisme. Mais en même temps, Chavez est en train de renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec Fidel Castro à Cuba. Il complimente le merveilleux service de santé cubain, dont beaucoup de vénézuéliens sont en train de profiter grâce aux docteurs cubains travaillant au Venezuela, grâce à la formation de docteurs vénézuéliens et aux patients qui sont envoyés à Cuba pour des opérations. Mais en fait Chavez n’est pas critique du tout sur la nature bureaucratique du régime cubain et sur l’absence de véritable démocratie ouvrière.

    Chavez pourrait-il devenir un « second Castro » comme le craingnent une partie de la classe dirigeante vénézuélienne et l’impérialisme américain ? Théoriquement une telle perspective ne pourrait pas être complètement exclue. Arrivé au pouvoir en 1959, Castro n’a pas décidé consciemment de nationaliser l’économie cubaine mais il a pris cette direction en réaction au blocus US et à la pression des masses cubaines. Mais vu que la classe ouvrière n’était pas consciemment à la tête de la révolution, le résultat fut la création d’un état ouvrier déformé, où le capitalisme et le féodalisme ont été éliminés mais où la société était toujours contrôlée du sommet vers le bas par une caste bureaucratique. Le contexte international actuel, après la chute de l’ Union Soviétique, est très différent du temps de la révolution cubaine quand Cuba était soutenu matériellement par la bureaucratie soviétique et ce pour des raisons stratégiques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas inconcevable que les masses du Venezuela puissent spontanément prendre possession des usines et de la terre, forçant ainsi Chavez à nationaliser de larges pans de l’économie. Mais un tel régime serait extrêmement instable.

    La révolution serait très certainement vaincue à un certain moment par les forces de la réaction sauf si la classe ouvrière est consciente du rôle qu’elle a à jouer, non seulement en expropriant la classe capitaliste, mais aussi en formant des comités élus démocratiquement qui pourraient faire tourner l’industrie, mettre en place un plan démocratique de production et créer les bases pour un Etat ouvrier dont le programme serait capable d’élargir la révolution à l’Amérique latine et internationalement. C’est pourquoi la lutte pour une véritable ‘politique étrangère’ internationale de la classe ouvrière est si importante aujourd’hui ; soutenant, par exemple, des liens économiques avec Cuba mais utilisant cela pour encourager une réelle démocratie ouvrière au sein du pays et pour étendre la révolution internationalement comme le seul réel moyen de défendre ces acquis qui ont déjà été obtenus.

    La réaction de Chavez à de futurs évènements aura bien sûr un gros impact sur la façon dont les développements se déroulent, particulièrement dans une situation de ralentissement économique. Pour le moment il est en train de répondre d’une façon limitée à la radicalisation des masses et il pourrait aller plus loin dans cette direction. Malheureusement, il y a de nombreux exemples de dirigeants honnêtes qui malgré leur bonnes intentions, une fois confrontés avec la ‘logique’ du marché capitaliste qui se sont mis à réprimer les ‘demandes excessives’ des travailleurs.

    Dans une situation où d’autres options sont trop risquées, une partie de la classe capitaliste du Venezuela s’appuie sur le mouvement de l’aile pro-capitaliste pour freiner les réformes radicales et pour être potentiellement capable de reprendre les acquis de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ils préparent ainsi la voie pour une défaite du processus révolutionnaire et pour la victoire de la contre-révolution.

    Il est vrai qu’ils n’ont pas la même autorité au sein de la classe ouvrière et des masses pauvres qu’avaient les sandinistes au Nicaragua après la révolution de 1979 ou qu’avaient les partis socialistes et communistes au Portugal en ’75. Quoiqu’il en soit, si la classe ouvrière n’achève pas complètement la révolution au Venezuela et que la démoralisation s’installe, cette aile pourrait jouer un rôle important en freinant le mouvement et posant les bases pour le triomphe de la réaction capitaliste. Leur façon de définir le socialisme est relativement claire – une économie « mixte » où quelques compagnies d’états et coopératives existent mais dans laquelle les leviers économiques principaux restent dans les mains de la classe capitaliste du Venezuela et étrangère. Chavez parlait récemment d’enquêter sur l’éventuelle expropriation de 136 à1149 entreprises. Mais en réalité toutes ses compagnies étaient en faillite, fermées ou en passe de le devenir. Le ministre de l’industrie a éclairci cette position en déclarant que la nationalisation ne prendrait place que dans des « cas extrêmes », qu’il n’y aurait pas de « vagues d’expropriations » et que les firmes capitalistes ainsi que la « production sociale » pouvaient coexister. De même, la redistribution de 13 000 hectares de terres appartenant au Lord Vesty marquait un pas en avant dans la réforme agraire alors qu’auparavant, seule la terre appartenant à l’Etat avait été redistribuée aux pauvres des campagnes. Mais à ce stade, le gouvernement n’envisage de distribuer que de la « terre non fertile ».

    Quoiqu’il en soit, 158 paysans ont été tués depuis 2000 quand la loi sur la terre a été votée, démontrant que même face à des réformes limitées, les grands propriétaires terriens résisteront brutalement, aidés dans certains cas par les paramilitaires de droite Colombiens.

    Utilisant un langage révolutionnaire, les coopératives sont présentées comme l’embryon de la société socialiste. 79000 coopératives ont été créées les 6 dernières années, majoritairement dans le secteur des services et de l’agriculture. Elles ont eu un certain effet dans la réduction du chômage, qui ne pourra être que temporaire. Ces coopératives sont toujours complètement dans le marché capitaliste avec des compagnies privées et seront dévastées par la crise économique. Beaucoup de ces coopératives en réalité fonctionnent comme des compagnies privées, exploitant la force de travail et dénigrant les droits des travailleurs. Il y a de nombreux exemples d’employeurs privés qui « déguisent » leur entreprise en coopérative afin de recevoir des subsides de l’Etat. En même temps, Chavez encourage « le co-management » des industries d’Etat ainsi que des industries privées. « Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », voilà ce qu’il déclara récemment quand il fit crédit à des taux d’intérêt bas à des patrons de petites entreprises privées qui acceptaient d’introduire des représentant des travailleurs dans les conseils d’administration de leur compagnie.

    Une fois de plus, le ministre de l’industrie utilise clairement cette cogestion, ou participation ouvrière, comme une collaboration de classes pour tromper les travailleurs, augmenter l’exploitation et booster les profits de la classe capitaliste, comme cela a été fait dans des pays comme l’Allemagne. Il déclara : « Il y a une interprétation faussée de ce que signifie la cogestion ». « L’idée est de faire participer les travailleurs à la gestion de l’entreprise, non pas de leur en laisser le contrôle, mais plutôt d’aider à éviter des tensions et des contradictions inutiles. » (El Nacional).

    Chavez, ne voulant pas se confronter à l’économie capitaliste et au pouvoir d’Etat, met en application des contrôles partiels et essaie d’éviter les structures économiques existantes et l’appareil d’Etat. Donc par exemple, en plus des coopératives, il a créé une compagnie aérienne d’Etat, une compagnie de téléphone d’Etat, une station télé d’Etat, et des supermarchés d’Etat vendant des produits basiques jusqu’à 30 % moins chers que dans le secteur privé. Tout ça avec l’intention de rivaliser avec les monopoles privés.

    Ces mesures partielles comme les contrôles des prix sur les aliments de base et les contrôles sur les échanges, servent à rendre la bourgeoisie furieuse, et à augmenter leur détermination à éviter les futurs empiètements sur leur pouvoir économique et sur l’état.

    En même temps, en laissant les grandes entreprises monopolistiques, les banques et les institutions financières, les journaux, etc… dans les mains du privé, il est impossible de planifier démocratiquement l’économie afin d’assouvir les besoins des masses. De plus, la classe dirigeante reste capable de saboter l’économie et de miner le mouvement. Il y a eu une certaine réorganisation du personnel au sommet de l’armée, de la justice, du collège électoral et d’autres institutions d’Etat, mais , sans des élections et le droit de révocation de tous ceux qui ont une position dans l’appareil d’Etat, ainsi que l’existence d’un parti socialiste de masse contrôlant constamment l’Etat, de nouveaux points de soutien à la réaction capitaliste peuvent être générés, même au sein de ceux qui soutiennent Chavez aujourd’hui.

    La classe capitaliste fera clairement tout ce qu’elle peut pour abattre toutes les mesures qui ont été introduites à la demande des masses. Ils utilisent les médias et font pression sur l’aile pro-capitaliste du gouvernement de Chavez pour poursuivre des politiques sociales et économiques plus « réalistes », afin de conquérir les 4 millions de personnes qui ont voté contre Chavez lors du référendum pour sa révocation et afin de ne pas effrayer les investisseurs étrangers. Chavez a lui même encouragé des joint ventures entre du capital étranger et la compagnie pétrolière d’Etat PDVSA. En fait, les multinationales comptent déjà pour plus ou moins 50 % de la production pétrolière au Venezuela, pendant que la production de la PDVSA a, elle, diminué de moitié depuis l’ élection de Chavez, en ’98. Il est vrai que même un Etat ouvrier sain pourrait être forcé de signer des accords économiques et de commerce avec des pays capitalistes ou des compagnies étrangères si la propagation de la révolution internationale était temporairement retardée. Mais cela serait fait sur base d’un plan démocratique de production, d’un monopole d’Etat des exportations et d’une politique consciente d’élargissement de la révolution en appelant la classe ouvrière internationalement.

    Maintenant, en partant d’une politique de préservation du capitalisme, des accords sur des investissements étrangers et sur les commerces seront utilisés pour miner et faire dérailler la révolution. Il y eut un nouvel avertissement quand Chavez a récemment accepté un accord commercial de vente d’armes avec le gouvernement espagnol, le ministre des affaires étrangères de celui-ci, défendant l’accord en réponse aux critiques US en expliquant « le rôle que l’Espagne pourrait jouer au Venezuela pour la satisfaction de Washington, en mettant un frein aux rêves de Chavez d’étendre sa révolution bolivarienne à d’autres pays dans la région » (El Pais, 9 Mai).

    La classe ouvrière, du fait de son rôle dans le processus de production et de son pouvoir collectif potentiel, est la clef capable de mener à bien la révolution socialiste au Venezuela et de vaincre les forces de la réaction. Mais, bien que la classe ouvrière ait été impliquée dans le mouvement de masse dans les moments les plus cruciaux, elle n’a été qu’un élément parmi d’autres. La classe ouvrière n’a pas été consciente de son propre pouvoir ou de la responsabilité qu’elle a de diriger les masses pour transformer la société. A différents moments, Chavez a encouragé la participation des masses mais cela avec des limites strictes. Et sans un programme clair pour faire avancer le processus révolutionnaire, le mouvement risque de stagner et de se démobiliser. Chavez n’a pas encouragé, en particulier, l’indépendance d’action des travailleurs. Pendant, par exemple, une récente grève des travailleurs du métro de Caracas, un conseiller de Chavez a demandé que les grèves soient interdites dans le secteur public et Chavez lui même a menacé d’envoyer la garde nationale contre les grévistes. La tâche principale d’un parti révolutionnaire au Venezuela n’est pas de conseiller Chavez sur la façon de diriger la révolution mais de renforcer et d’étendre les organisations de la classe ouvrière ainsi que de mettre en avant des revendications qui augmenteront la confiance des travailleurs dans leur capacité à changer la société ainsi qu’en augmentant leur compréhension de ce qui est nécessaire à chaque étape d’un processus révolutionnaire. Cela devrait inclure une explication sur la façon dont la classe dirigeante utilisera la cogestion pour défendre ses propres intérêts et sur la nécessité de construire et de renforcer les comités de travailleurs qui seuls pourraient être capables de mettre en application un contrôle réel et une gestion ouvrière des lieux de travail comme un pas en avant vers une planification démocratique de toute l’économie. Des éléments de contrôle ouvrier existent déjà sur certains lieux de travail. Dans la compagnie d’Etat de production d’aluminium ALCASA, par exemple, les travailleurs élisent ceux qui gèrent l’entreprise, ceux-ci ne reçoivent que l’équivalent de leur salaire précédent (comme ouvrier) et peuvent être révoqués. Un récent meeting national des travailleurs, convoqué pour discuter de la cogestion et du contrôle ouvrier a accepté : « d’inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire que la compagnie doit être la propriété de l’Etat, sans distribution des actions aux travailleurs, et que chaque profit doit être réparti selon les besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme les organes qui mettent en application les décisions des citoyens réunis en assemblée ». Un véritable programme socialiste révolutionnaire devrait appeler à une démocratisation des organisations de la révolution bolivarienne, à la formation et à l’extension de comités d’entreprises démocratiques et de lier ceux-ci aux comités élus dans les quartiers, dans les forces armées, et ce au niveau local et national.

    En plus de tout ça, des forces de défense ouvrière doivent être formées pour défendre le mouvement contre la réaction. Chavez a reconnu la nécessité de défendre la révolution contre l’agression impérialiste et il a doublé les réserves de l’armée, mis sur pied « des unités de défense populaire » sur les lieux de travail et dans les campagnes. Mais tout cela sera sous son propre commandement et non sous le contrôle démocratique des organisations de la classe ouvrière et des masses pauvres. La solidarité des travailleurs dans le reste de l’Amérique latine et internationalement est aussi un moyen vital de défense. De son point de vue, Chavez est un internationaliste. En imitant son héros, Simon Bolivar, il se voit lui même comme le dirigeant de l’alliance anti-impérialiste en Amérique latine et il utilise le pétrole et les revenus du pétrole pour promouvoir ses objectifs. On voit de récentes initiatives comme par exemple le lancement de Télésur, une compagnie de télé continentale, ainsi que Pétrosur et Pétrocaribe, qui sont des accords avec différents pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autour de l’exportation, de l’exploitation et du raffinage du pétrole. Il a aussi utilisé l’argent du pétrole pour racheter la dette de l’Argentine et de l’Equateur en « solidarité » contre les marchés financiers internationaux. Mais Chavez s’est orienté principalement en direction de dirigeants qui appliquent une politique néo-libérale, plutôt que d’en appeler à la classe ouvrières et aux masses pauvres. Le président brésilien Lula, par exemple, a appliqué des politiques d’attaques contre la classe ouvrière et son parti est mêlé à un sérieux scandale de corruption.

    De plus, durant une récente visite, Chavez a félicité Lula et a interprété ce scandale de corruption comme une « conspiration de droite ».

    Chavez est accusé par l’impérialisme d’exporter la révolution à d’autres pays d’Amérique Latine. Mais quand des travailleurs du secteur pétrolier sont partis en grève dans deux Etats d’Amazonie en Equateur en août dernier, demandant que plus de ressources soient investies dans les communautés locales et qu’une compagnie pétrolière US soit virée du pays, Chavez a effectivement joué le rôle de casser la grève, prêtant du pétrole au gouvernement équatorien pour compenser la « perturbation » que les grévistes ont entraînés sur les réserves. En opposition à tout cela, après le passage de l’ouragan Katrina, on a perçu comment une véritable politique internationale de solidarité parmi la classe ouvrière pourrait être menée. Comme Chavez, un gouvernement ouvrier démocratique aurait immédiatement offert de l’aide tout en exposant comment le capitalisme place les profits avant les vies des plus pauvres dans la société, et comment l’impérialisme US est totalement incapable de répondre aux besoins des travailleurs américains en temps de crise ainsi que dans des temps « d’accalmie ». En même temps, il aurait créé des liens avec la classe ouvrière et les organisations des communautés aux Etats Unis pour promouvoir le contrôle démocratique de la distribution de l’aide dans les régions affectées, renforçant ainsi la confiance et la conscience de la classe ouvrière américaine.

    L’Amérique Latine est un continent en révolte. La victoire d’une révolution socialiste démocratique au Venezuela aurait un impact électrique sur la classe ouvrière et sur les masses pauvres de la région et cela aux Etats-Unis même. La classe ouvrière vénézuélienne est maintenant face au défi de construire et de renforcer leurs organisations, ceci incluant la création d’un parti révolutionnaire de masse avec un programme qui sera capable d’assurer la victoire de la révolution dans sa lutte contre la contre-révolution.

  • Venezuela: Rapport du Festival Mondial de la Jeunesse

    Un groupe de membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (notre organisation internationale) venus du Chili, d’Autriche, d’Angleterre et du Pays de Galles a fait une intervention très réussie au Festival mondial de la Jeunesse qui s’est tenu à Caracas au Venezuela. Beaucoup de jeunes se présentent comme socialistes et ont envie de discuter si et comment la « révolution bolivarienne » peut conduire au socialisme et faire progresser substantiellement le niveau de vie des masses vénézuéliennes. L’article qui suit reprend des extraits du « Journal de bord vénézuélien » écrit par Sonja Grusch, qui est la porte-parole du Parti Socialiste de Gauche (SLP), notre organisation sœur en Autriche, et membre du Comité Exécutif International du CIO.

    Sonja Grusch

    De grands espoirs (4 août)

    Des milliers de jeunes du monde entier vont se rassembler sur le thème de cette année “Pour la paix et la solidarité – Nous combattrons contre l’impérialisme et la guerre ».

    Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le Venezuela est pour le moment une destination intéressante. Depuis l’élection d’Hugo Chavez comme président en 1998, le pays se trouve de plus en plus sous les feux de la rampe. La ‘Révolution Bolivarienne’ ne laisse personne indifférent. A côté de fermes partisans, il a aussi des opposants déterminés. Le pays a connu ses premières nationalisations d’entreprises et de terres. Les opposants se trouvent pour l’essentiel dans la classe dominante et dans certains secteurs de la classe moyenne au Venezuela mais également aux Etats-Unis.

    Le Venezuela est un des plus importants producteurs de pétrole pour les USA et un modèle populiste radical comme celui fourni par le gouvernement de Chavez, qui bénéficie d’une sympathie très étendue parmi les masses populaires de tout l’Amérique Latine, est un coin enfoncé dans l’impérialisme US.

    Sur le chemin menant à l’aéroport, j’ai vu une suite sans fin de graffitis et de peintures murales. Les opposants prétendent qu’une invasion cubaine est à l’ordre du jour. Il y a aussi beaucoup de graffitis contre Fidel et contre le communisme. Mais la seule « invasion » cubaine qu’on peut voir, ce sont les 10.000 médecins qui permettent à des milliers de gens d’avoir accès aux soins de santé.

    Mais la majorité des graffitis soutient Chavez et sa politique. Au cours des dernières années, des écoles et des universités ont ouvert, des programmes d’alphabétisation ont été mis en œuvre et d’énormes pas en avant ont été faits dans le secteur de la santé. Mais, malgré toutes ces améliorations, j’ai vu beaucoup de sans-abri dans le centre-ville de Caracas. Les bidonvilles et la misère sont encore largement répandus. Un élément qui illustre le niveau de la misère, ce sont les mesures de sécurité prises par les commerçants et les autres indépendants. Les fenêtres sont grillagées ou barricadées et, dans de nombreux magasins et hôtels, on ne peut entrer qu’une fois les portes déverrouillées et ouvertes de l’intérieur.

    Les attentes sont très grandes dans le pays où 80 % de la population est encore officiellement considérée comme pauvre. Les prochains jours, je veux essayer de comprendre qu’elles sont les attentes et les espoirs des gens et ce qu’ils pensent des changements en cours.

    Au cours des derniers mois, un débat sur le « socialisme » a démarré dans le pays. De plus en plus de gens se demandent s’il est possible de trouver dans le cadre du capitalisme une solution aux nombreux problèmes qui se posent aujourd’hui. Chavez a parlé d’un « socialisme du 21e siècle ». Mais ce que cela signifie pour lui n’est pas clair. Cette question – quel type de socialisme et, plus encore, comment y parvenir et comment le développer – sera la question centrale de ma visite.

    Sous le signe des élections (5 août)

    Dimanche il y aura des élections locales au Venezuela. C’est perceptible à chaque coin de rue, mais la manière de le voir dépend du quartier on se trouve. La différence est frappante entre les quartiers les plus pauvres et les plus riches de Caracas. Les quartiers pauvres de Valle et Coche sont presque entièrement pro-Chavez. A première vue, ces quartiers semblent assez pittoresques. Il y a beaucoup de petites maisons, parfois peintes, s’agrippant à flanc de montagnes. Mais quand on y regarde de plus près, cette impression change rapidement. La plupart de ces maisons ont été construites illégalement, sont très petites et presque construites les unes sur les autres. La plupart ne sont pas cimentées et sont partiellement construites en tôle ondulée.

    La pauvreté est omniprésente. Un jeune homme attend à l’extérieur d’un immeuble grillagé à appartements que quelqu’un lui demande de ramener ses courses à la maison. C’est un moyen pour lui de se faire quelque bolivars (la monnaie du pays). Un vieil homme aveugle erre de café en café en faisant tinter une cannette . En regardant les bus et les autos, on se demande comment ils peuvent encore rouler. Les affiches de l’opposition ne durent pas très longtemps ici.

    Dans les quartiers riches de la ville, il en va tout autrement. On se retrouve là comme dans une grande ville européenne : de grosses autos avec des gens bien vêtus. Et ici on trouve des affiches de l’opposition. Ce qui frappe, c’est que les candidats de l’opposition ont pour la plupart un teint beaucoup plus clair que la majorité de la population. Les différences sociales et de classes sont très visibles.

    Même si le soutien à Chavez et sa politique est grand, on se demande si la participation aux élections sera élevée. Il y a des critiques sur la manière dont les candidats sont sélectionnés : ils sont souvent choisis par en haut, beaucoup sont des inconnus dans les circonscriptions où ils se présentent. En fin de compte, il ne sera pas possible de résoudre les problèmes sociaux par la voie des élections.

    Les slogans qui appellent au socialisme se retrouvent partout. Mais le socialisme exige la démocratie et une participation active de la population. Les travailleurs, les paysans, les jeunes et les pauvres ne doivent pas être de simples observateurs, mais doivent prendre la direction du processus.

    Au Venezuela, une grande partie de l’économie, et en particulier l’industrie pétrolière, est nationalisée. En plus, il y a eu d’autres nationalisations au cours des derniers mois. Une discussion sur la « cogestion » est en cours. En fonction des gens avec qui on discute, cela peut signifier une participation des travailleurs, une co-direction de l’entreprise ou une autogestion par les travailleurs. Ce débat et les résultats qui en sortiront seront décisifs pour la période à venir.

    Les élections et le début du festival (7 août)

    14,4 millions de Vénézuéliens peuvent aujourd’hui apporter leur voix pour élire le gouverneur d’Amazonas, deux bourgmestres mais surtout 5.596 représentants locaux.

    Il est impossible de dire combien de partis participent aux élections. Le vote est électronique, ce qui sera probablement utilisé par l’opposition pour accuser Chavez de fraude électorale. Etrangement, cette même opposition ne considère pas que les votes électroniques aux USA soient anti-démocratiques alors qu’il y a eu néanmoins de nombreux « incidents » douteux. Devant les bureaux de votes il y a de longues files, mais il est difficile de préjuger quelle sera la participation.

    Le réceptionniste de mon hôtel me raconte qu’initialement dans ce quartier il y avait presque 100% de voix pour Chavez. Mais un certain nombre d’électeurs sont déçus parce qu’il n’a pas tenu toutes ses promesses et que, de toute évidence, il y a des gens qui se remplissent les poches au passage. Il dit qu’en général la corruption est un problème.

    Il est difficile de contrôler ce genre d’affirmations. Dans les médias qui sont dominés par l’opposition, on trouve beaucoup d’articles négatifs sur Chavez. Il est possible qu’un certain nombre de critiques soient réelles, mais beaucoup sont fausses ou racontées d’une manière complètement déformée.

    Un membre du CIO qui a visité le pays lors du référendum en août 2004 et qui est maintenant du nouveau sur place, raconte comment la situation a évolué depuis lors. A l’époque il y avait des discussions partout, dans la rue, les cafés, les transports publics,… Maintenant, tout cela a presque complètement disparu. Mais, en même temps, le « socialisme » est devenu un thème largement utilisé et un point de référence.

    Un processus révolutionnaire, comme celui qui se développe au Venezuela, porte en lui des éléments contradictoires et ne se développe pas en ligne droite. Mais il y a bien une donnée cruciale : le temps compte. Des possibilités et des opportunités s’ouvrent, mais elles peuvent de nouveau disparaître si elles ne sont pas utilisées à temps. La motivation pour les discussions était plus forte lors du référendum en 2004 quand la menace immédiate de l’opposition était plus palpable. Mais, à ce moment, l’essentiel du soutien à Chavez et à un nouveau Venezuela était orienté vers le terrain électoral.

    Aujourd’hui marque aussi l’ouverture du Festival de la Jeunesse. Mais, aujourd’hui comme hier, il sera cependant difficile de faire la fête parce que la Ley Seca (la « Loi sèche ») interdit la distribution d’alcool la veille et le jour des élections.

    Malgré cela, l’ambiance est bonne parce que le public, très majoritairement jeune, se réjouit de cet événement international et de passer du temps avec des gens qui pensent comme. Ils sont unis dans leur volonté de faire quelque chose contre la faim et l’exploitation, contre l’oppression et la violence et contre la guerre et le capitalisme.

    Les discussions seront intenses et également polémiques. Mais elles seront cruciales pour le Venezuela à cette étape de la lutte. Elles seront l’occasion d’apprendre du passé pour éviter les mêmes erreurs à l’avenir. Les évènements sanglants du 11 septembre 1973 au Chili ont prouvé que les tentatives de trouver un terrai commun et une unité avec la classe capitaliste se termine en défaite pour les travailleurs. Il y a également des leçons importantes à tirer de la révolution cubaine.

    Une opposition enragée et un long début du festival (9 août)

    Des discussions sérieuses se développent à propos du résultat des élections. D’une part, l’opposition se plaint que les bureaux de votes soient restés ouverts plus longtemps que prévu. D’autre part, on discute aussi de l’ampleur de la participation. L’opposition présente des chiffres montrant une abstention entre 77 et 78% des électeurs. Selon la commission électorale, ce chiffre n’atteint que 69,1%. Il faut savoir que ce sont des chiffres normaux pour des élections locales : en 2000, l’abstention était de 76,2%. Une partie de l’opposition avait même appelé au boycott des élections, ce qui rend leurs divagations à propos de la faible participation assez ridicule.

    Le parti de Chavez, le MVR (Mouvement pour une Cinquième République), a récolté 58% des sièges sur le plan national et l’ensemble des partis pro-Chavez en récoltent 80%. Cela semble être la véritable raison de la colère de l’opposition. Certains partis d’opposition ont un lourd passé de fraude électorale. Vu le manque de soutien de la population à leur égard, ils ne semblent pas avoir d’autre solution que de brandir des accusations de fraude.

    Le Festival de la Jeunesse a commencé hier. Les délégations des différents pays se sont rassemblées sur une grande place. Il y avait des jeunes et des moins jeunes. La délégation du CIO, même si elle était petite, a défilé en tant que groupe international. Elle comptait des camarades qui venaient d’au moins cinq pays différents. Notre matériel politique mettait l’accent sur les questions « Qu’est-ce que le socialisme ? », « Comment peut-on construire un mouvement pour le socialisme au Venezuela ? »,… Ces questions ont une énorme importance pour les Vénézuéliens. Nous ne pouvons pas distribuer gratuitement notre matériel. Il coûte assez cher en fonction du niveau de vie au Venezuela – 500 bolivars, l’équivalent d’une grande baguette au festival. Malgré cela, les gens font régulièrement la queue pour en acheter.

    Il y a un énorme intérêt pour les idées politiques. Les gens sont très ouverts et désireux de discuter, mais il y a également beaucoup de confusion sur ce que signifie le socialisme. Il y a un million de réponses à la question de ce qu’est le socialisme qui sont souvent contradictoires. Il n’y a certainement pas de réponse facile mais néanmoins la réponse sera d’une importance cruciale pour l’avenir du Venezuela.

    Le pétrole, source de richesse et de misère (10 août)

    Le Venezuela est un pays riche. Il est le cinquième plus grand producteur de pétrole à travers le monde. Mais l’énorme richesse de ce pays n’est pas redistribuée équitablement, c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis l’augmentation du prix du pétrole au milieu des années ‘70, les revenus de l’Etat ont quadruplé. Une partie de cette somme a servi à améliorer le niveau de vie des travailleurs et des pauvres. Mais cela n’a pas duré longtemps. Avec la baisse du prix du pétrole dans les années suivantes sont venues des mesures néo-libérales drastiques d’austérité qui ont eu des conséquences sociales dramatiques.

    Les revenus réels ont chuté. Le pouvoir d’achat de ceux qui touchaient le salaire minimum a été amputé des deux-tiers entre 1978 et 1994. Des coupes sévères ont eu lieu dans les services sociaux à tel point que les dépenses pour la sécurité sociale ont été réduites de moitié. Les pertes d’emplois ont été énormes et les conditions de travail sont devenues de plus en plus précaires. Le taux de chômage a explosé et beaucoup de gens ont dû se tourner vers le secteur informel pour survivre. En 1999, on estimait que 53 % de la population travaillait dans le secteur informel. Le taux de pauvreté a lui aussi explosé : entre 1984 et 1995, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 36 à 66 %.

    Les partis dominants sont entrés en crise, à cause de leur arrogance et de leur implication croissante dans des scandales de corruption, mais surtout de la polarisation de la situation sociale. Chavez a réussi à offrir une alternative en mettant en avant une politique économique et sociale plus juste. Il s’est adressé « aux gens» et s’est engagé dans une direction de plus en plus anti-capitaliste. Un grand nombre d’améliorations ont eu lieu à l’initiative des ministres ou des « Missions » et de nouveaux emplois ont été créés, particulièrement dans le secteur public.

    Pendant le festival, il était parfois difficile de faire une distinction entre les ceux qui participaient aux activités et les salariés des services publics, comme les balayeurs et les nettoyeurs de rue. Tous portaient des T-shirts rouges avec des slogans pro-Chavez.

    Le programme d’alphabétisation mis en place a permis à plus d’un million de gens d’apprendre à lire et à écrire. Pour la première fois, les universités ont été ouvertes aux enfants de travailleurs et 3.200 nouvelles écoles sont aussi été construites. Des millions de gens ont, pour la première fois de leur vie, eu accès à des soins de santé. A tout moment, les gens parlent avec enthousiasme de ces améliorations et de la différence qu’elles font dans leur vie. Casanova, un dirigeant du MVR, a déclaré que « le pétrole était maintenant géré pour le peuple ».

    Il ne fait aucun doute qu’il y a eu d’énormes changements, même si la misère reste également énorme. La base de ces améliorations réside non seulement dans la volonté politique de changement, mais aussi dans le haut niveau des prix du pétrole. 50 % des dépenses publiques sont financées par les revenus pétroliers. Cela pose la question de savoir ce qui se passera si les prix du pétrole baissent.

    Une partie de la population espère que le processus actuel continuera indéfiniment et qu’elle connaîtra une augmentation continuelle et constante de son niveau de vie. Un enseignant m’explique que ce sera un long processus qui pourrait durer peut-être de 20 à 30 ans. Mais les gens sont-ils prêts à attendre si longtemps ? Peuvent-ils se permettre d’attendre si longtemps ? Et l’opposition bourgeoise et l’impérialisme se contenteront-ils d’observer ce processus en restant silencieux pendant encore 20 ans ? A toutes ces questions, on doit répondre par la négative.

    Le salaire minimum qui n’existe que dans le petit secteur formel est de 405.000 bolivars par mois. La compagnie d’électricité, Cadafe paie un salaire moyen de 600.000 bolivars par mois à ses travailleurs. Un repas bon marché coûte 6.000 bolivars, un petit yogourt 1.000. Un ticket de métro coûte entre 300 et 350 bolivars, une bière entre 1.000 et 1.500. Il n’y a pas d’allocations de chômage et les pensions sont une exception. C’est ce qui fait que la discussion sur le socialisme est si importante.

    Mais, comme je l’ai dit, le terme de socialisme a ici beaucoup de significations. Cela vaut également pour ce qu’on appelle la « co-gestion ». Certains y voient ou veulent y voir le contrôle des travailleurs et même la gestion par les travailleurs. Mais ce n’est pas nécessairement ce que le gouvernement entend par là. Ses représentants disent que cela signifie la propriété par l’Etat et l’implication des travailleurs dans la gestion. On en parle aussi comme d’une distribution d’actions et d’un paiement de dividendes aux travailleurs et aux populations locales.

    Une société socialiste signifie plus que de permettre aux travailleurs de se faire entendre et d’avoir mot à dire. Le socialisme signifie un véritable contrôle ouvrier et une gestion par les travailleurs de la production et des moyens de productions.

    Pour préparer un Venezuela socialiste, un programme clair est indispensable. A notre stand au Teatro Teresa Carreno, toutes nos discussions sont centrées sur le socialisme. Nous ne discutons pas qu’avec les participants du festival, mais aussi avec les nettoyeurs, les balayeurs et les gardiens qui travaillent sur place. Tous veulent discuter et sont intéressés à chercher des réponses à leurs questions sur la manière de procéder. Ils souhaitent entendre notre point de vue. Ces discussions sont vraiment excitantes et il y a beaucoup de gens qui sont d’accord avec notre opinion que la question du socialisme est vitale.

    Une fête pour Chavez (12 août)

    Le festival dure depuis quelques jours et de plus en plus il se transforme en une fête massive pour fans de Chavez et de Che Guevara. Il y a des posters de tous les formats montrant Chavez posant face à Bolivar. Il y a des t-shirts avec Chavez, des porte-clés et des petites photos à glisser dans le portefeuille. On peut aussi acheter des discours de Chavez sur CD, des fichus et des bikinis… aux couleurs du drapeau vénézuélien.

    Notre stand est unique en son genre parce qu’il est le seul à l’entrée du Teatro Teresa Carenno à proposer du matériel politique.

    L’enthousiasme pour les changements dans le pays est compréhensible. Mais l’admiration et le soutien sans critique pour Chavez en tant que personne sont autre chose. Chavez est une figure-clé qui peut jouer un rôle décisif, mais il n’est pas seul et il n’est pas infaillible.

    Chavez ne peut pas remplacer l’organisation de la classe ouvrière. En contraste avec l’attitude de beaucoup de Vénézueliens (et je ne parle pas de l’opposition), critiquer Chavez est vu presque comme un acte de blasphème par beaucoup de visiteurs internationaux.

    Beaucoup veulent penser que Chavez est infaillible. S’il commet une erreur, ce sera mis sur le compte de mauvais conseillers. Malheureusement, cette attitude acritique n’aide pas à faire avancer le processus révolutionnaire. Celui-ci a besoin de discussions ouvertes qui permettent de prendre en compte différentes idées et propositions, de les confronter les unes aux autres, de développer des perspectives et, plus encore, de tirer les leçons du passé. La participation active des travailleurs, des jeunes et des pauvres dans la prise de décision est une condition élémentaire. Sans leur participation, il ne pourra y avoir de socialisme véritable et démocratique.

    Au meeting du CIO sur le thème « Qu’est-ce que le socialisme et comment le réaliser ? », un jeune Vénézuélien a expliqué que le Festival ressemblait à un événement destiné à promouvoir le gouvernement. Beaucoup sont contents d’avoir la possibilité de discuter avec nous à notre stand.

    Tous les discours sur l’apolitisme des jeunes ont été démentis une fois de plus. Des jeunes venus de partout dans le monde sont ici pour discuter de politique. Le Festival est aussi l’expression de la solidarité et du soutien à la révolution bolivarienne. Une fois de plus, cela montre clairement que le peuple n’est pas trop mauvais ou trop égoïste pour le socialisme, mais que c’est le capitalisme qui est mauvais pour le peuple.

    Pour le socialisme, mais quel socialisme ? (15 août)

    Aujourd’hui, c’est le dernier jour du festival. Les deux jours précédents s’est tenu le tribunal anti-impérialiste qui a mis en évidence les crimes de l’impérialisme – les guerres contre le Vietnam et l’Irak, la misère et la faim, la répression et les attaques contre les droits démocratiques.

    Des milliers de gens dans la salle et des milliers d’autres dehors sont venus écouter le discours de clôture de Chavez. A côté de nombreuses références historiques à Bolivar, Sandino, Miranda et d’autres encore et de suggestions de livres à lire, Chavez a cité les fameuses paroles de Rosa Luxembourg : Socialisme ou Barbarie. L’enthousiasme avec lequel le socialisme est vu comme une alternative est un développement relativement récent. Après l’effondrement des Etats staliniens à fin des années ‘80, le socialisme était devenu très impopulaire.

    La situation a commencé à changer à nouveau la naissance du mouvement anti-mondialisation et a trouvé son expression dans le slogan « Un autre monde est possible ». Cependant, la signification exacte du mot « autre » n’était pas très claire.

    Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. La classe des travailleurs est de retour dans l’arène de la lutte et nous avons assisté à de nombreuses grèves et grèves générales dans de nombreux pays et à de soulèvements et des mouvements insurrectionnels qui ont provoqué la chute de présidents et de gouvernements en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et ailleurs.

    La discussion sur ce que peut être « l’autre monde possible » a continué d’avancer. C’est le message que je veux ramener chez moi de ce Festival.

    En 1997, lors du Festival de la Jeunesse à Cuba, la discussion sur le socialisme comme alternative au capitalisme était moins présente. En 2005, à Caracas, il y a presque un consensus sur le fait que le socialisme était l’alternative au capitalisme.

    Chavez a reçu le plus d’applaudissements quand il a fait référence au socialisme. Friedrich Engels a dit en son temps que le socialisme ne marquerait que le commencement de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, nous nous n’en sommes qu’au début du commencement.

    Mais qu’est ce que c’est exactement le socialisme ? Que veut dire Chavez quand il parle du socialisme du 21e siècle ? Qu’est-ce que les Vénézuéliens et les participants au festival entendent par là ? Il est clair que cela signifie une répartition plus juste des richesses et l’élimination de la misère. Mais, à ce stade, beaucoup n’ont pas une idée plus claire ou plus élaborée de ce que signifie le socialisme.

    Chavez n’est pas plus clair quand il décrit le socialisme du 21e siècle. Il voit comme partenaires tant Fidel Castro (alors qu’à Cuba manque cruellement une démocratie pour les travailleurs) que Lula (dont le parti et le gouvernement sont impliqués actuellement dans un scandale majeur de corruption et qui est confronté à des actions de protestation contre l’application de mesures néo-libérales). Chavez a fait des références positives à Poutine (qui restreint les droits démocratiques et mène une guerre sanglante contre la Tchétchénie) et à l’établissement d’une Zone de Libre Commerce en Amérique Latine.

    Chavez a glissé vers la gauche, mais n’a pas un programme clairement socialiste. Le socialisme ne va pas se réaliser de lui-même. Il faut une progression révolutionnaire consciente vers le socialisme et un renversement actif du capitalisme, sinon le danger existe d’un retour à une politique néo-libérale au Venezuela. Développer un tel programme et travailler au renversement du capitalisme et à la construction d’une véritable société socialiste démocratique est la tâche des socialistes révolutionnaires aujourd’hui.

  • Comment lutter contre le capitalisme? L’Amérique Latine et le débat sur le socialisme

    Vingt années de politique néolibérale ont mené à d’énormes protestations et résistance électorale des couches pauvres d’Amérique latine. Des gouvernements de droite ont été renversés et remplacés par des gouvernements plus à gauche et populistes. Ces gouvernements ne gardent le soutien populaire que dans la mesure où ceux-ci osent casser avec la logique capitaliste pour mettre en avant les intérêts de la classe ouvrière, des paysans et des pauvres.

    Els Deschoemacker

    Des plans de privatisation et même des politiques de répression brutale ont été stoppés dans plusieurs pays. La révolte en Bolivie a ainsi amené la classe capitaliste à envisager l’instauration d’un régime militaire. Mais par peur de la réaction des masses, elle a renoncé à cela et a choisi d’opter pour de nouvelles élections.

    Le développement le plus important en Amérique Latine est la recherche de solutions collectives et la croissance du soutien populaire pour les idées socialistes. En Bolivie, pendant la révolte contre la privatisation du secteur de l’énergie, des comités et des conseils ont été élus, ils ont adoptés des résolutions pour l’installation d’un gouvernement des travailleurs et des paysans. En général, on peut parler d’une recherche d’alternatives au régime capitaliste. Au Vénézuéla, la discussion sur le socialisme est menée dans toutes les couches de la société. On y expérimente des formes de contrôle ouvrier dans les entreprises et il y a un soutien croissant pour l’idée de la nationalisation de l’économie. Dans un sondage récent, 48% déclarent préférer un gouvernement socialiste, contre 25% qui préféreraient un gouvernement capitaliste !

    Chavez émerge nettement au-dessus de tous les autres président actuels soi-disant de gauche. Sa politique d’utiliser la hausse des revenus pétroliers pour améliorer les soins de santé, l’alimentation, l’enseignement,… des pauvres fait de lui un héros aux yeux de beaucoup de personnes se trouvant dans cette situation. Au Forum Social Mondial, début de cette année, ils étaient des milliers à attendre des heures pour entendre Chavez parler de la nécessité d’une révolution contre le néolibéralisme et l’impérialisme.

    Même chose au dernier « festival mondial des jeunes et des étudiants », à Caracas au Vénézuéla. Sur ce festival « pour la paix, la solidarité et contre l’impérialisme » Chavez était l’orateur le plus populaire. Beaucoup de leçons peuvent être tirées de l’expérience vénézuélienne. Bien que Chavez casse clairement avec la politique néo-libérale de ses prédécesseurs et la politique capitaliste dominante à l’échelle mondiale, sa sympathie pour le socialisme reste une sympathie de mots. Les projets sociaux sont très appréciés, mais ne cassent pas avec la structure capitaliste de l’exploitation. Les expropriations ont eu lieu sous la pression de la protestation ouvrière et toutes les entreprises qui ont été expropriées étaient déjà en faillite. 50% des travailleurs vivent encore endessous du seuil de pauvreté et le chômage atteint 12%. Il y a une grande confusion sur ce que l’on veut dire avec le socialisme, car, aucun plan n’existe pour y arriver, comme la prise du pouvoir économique et politique par la classe ouvrière par l’intermédiaire d’organes autonomes démocratiquement composés.

    Cela contient des dangers clairs. La droite est affaiblie, mais encore présente, surtout à la campagne, où la lutte des paysans pour des réformes agraires, se heurte à la répression des grands propriétaires terriens. Plus de 130 paysans ont été tués depuis le début de cette année. Et la popularité de Chavez n’est pas éternelle. Surtout s’il ne transforme pas son soutien pour le socialisme en actes. Ceci ne se fait pas de haut en bas, mais exige l’intervention active de la classe ouvrière, organisée dans un parti révolutionnaire armé d’un programme socialiste.

    En octobre, le MAS/LSP organisera une série de rassemblements dans quelques universités avec Karl Debbaut, un représentant du CIO qui est justement de retour d’une visite au Vénézuéla. Ces meetings vont être annoncés sur le site www.socialisme.be

  • Les masses dans la rue en Bolivie. La question du socialisme à l’ordre du jour

    Les masses dans la rue en Bolivie

    Dix-neuf mois d’agitation dans le pays le plus pauvre d’Amérique latine ont abouti, le vendredi 7 juin, à la démission du président honni Carlos Mesa. Mesa a ainsi subi le même sort que son prédécesseur, l’ultra libéral De Lozada, appelé aussi "le bourreau". De Lozada avait en effet donné l’ordre à l’armée, en octobre 2003, de tirer sur les manifestants.

    Emiel Nachtegael

    Mesa avait hérité d’un pays disloqué où 5,6 millions d’habitants sur 8 millions vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Les indigènes, la population indienne, sont considérés comme des citoyens de second zone. Trois millions d’habitants n’ont pas accès à l’eau potable. La population indienne est partie prenante de la mobilisation de masse (plus de 6.000 blocages de routes ou manifestations) des mineurs et des paysans.

    Revendication offensive de nationalisation

    La principale revendication était la nationalisation du gaz et du pétrole : un secteur qui, jusqu’à présent, est aux mains des multinationales espagnoles, françaises et britanniques. La Bolivie dispose de réserves importantes de gaz et de pétrole. Les réserves de gaz représentent à elles seules 100 milliards de dollars. Selon la multinationale espagnole Repsol-YPF qui a investit des millions en Bolivie, chaque dollar investi permet de faire un profit en rapporte dix. La deuxième revendication de la population indienne est l’élection d’une Assemblée constituante pour élaborer une nouvelle constitution plus démocratique qui donnera des droits à la population indigène. Felipe Quipe, porte-parole des Indiens Aymaras, qui ont paralysé les rues de la capitale La Paz et de la ville voisine d’El Alto (où un million d’Indiens vivent) a dirigé la fureur de la population contre Mesa en déclarant : " Mesa brade nos richesses. Il est du côté des multinationales et ne pense pas à son peuple. Il serait capable de vendre sa mère ! ".

    En juin dernier, le mouvement contre Mesa s’est durci. Une grève générale a paralysé l’ensemble du pays. Pendant plusieurs semaines les travailleurs et les paysans ont bloqué les voies d’accès à la capitale et ont occupé les champs pétroliers et gaziers. A El Alto et à Cochabamba, une ville industrielle à l’Est de La Paz, des assemblées populaires de travailleurs et d’habitants des quartiers ont eu lieu. Des milliers de manifestants ont fait le siège de La Paz aux cris de: "Mesa dehors! Tout le pouvoir au peuple!" Entre-temps, le parlement bourgeois et l’armée ont estimé que Mesa n’était plus en mesure de diriger le pays. Il a lancé à son successeur, le 7 juin dernier, les avertissements suivants: "La Bolivie est au bord de la guerre civile", "de nouvelles élections sont la seule issue pour le pays".

    Au bord de la guerre civile

    Après la démission de Mesa, le président du Sénat, Vaca Diez, a assuré l’intérim. Mais choisir Diez, un riche propriétaire terrien blanc soutenu par l’ambassade des Etats-Unis, c’était pour la bourgeoisie allumer une nouvelle mèche au tonneau de poudre. Afin de s’assurer de sa désignation en tant que président, il a déplacé la réunion du parlement de la capitale vers la ville de Sucre. Le mouvement redoutait que Diez ne rétablisse l’ordre par les armes, ce qui semblait être confirmé par la nouvelle selon laquelle un mineur avait été abattu le jour même. C’est la première victime après le départ de Lozada. La révolution a souvent besoin du fouet de la contre-révolution. Des milliers d’enseignants, de mineurs, de paysans, ont cerné la ville de Sucre. Entre-temps le personnel de l’aéroport s’est mis en grève et les parlementaires ne pouvaient plus accéder à la ville ou la quitter sans l’accord des grévistes. Par crainte d’une insurrection locale et d’une rupture avec l’armée Diez a renoncé à prendre la tête du pays. C’est Eduardo Rodriguez, président de la cour suprême, qui a finalement été choisi.

    Une voie sans issue?

    Eduardo Rodriguez est une personnalité en apparence "neutre". La bourgeoisie espère que la désignation de Rodriguez ainsi que la promesse de tenir des élections anticipées, peut rétablir le calme et lui permettre de gagner du temps pour rassembler ses forces. Rodriguez a reçu le soutien des patrons, de l’ambassade américaine et de l’Eglise catholique. A première vue il semblerait que la tempête se soit apaisée. Les mineurs et les paysans se sont retirés des rues de la capitale, mais ils ont promis de revenir si le nouveau gouvernement ne donnait pas satisfaction à leurs revendications.

    Rodriguez a déclaré de façon crue: "Je ne peux prendre aucune décision politique". Pendant les périodes où la domination de la bourgeoisie est menacée – et où une situation de double pouvoir entre les autorités et les masses auto-organisées persiste – la bourgeoisie essaie toujours de gagner du temps. L’intronisation de Rodriguez ne signifie pas la fin, mais plutôt une pause, de la "guerre du gaz" en Bolivie. La profondeur de la crise et la détermination des masses signifient que ce n’est qu’un répit et que le mouvement va reprendre.

    Le prolétariat ou la bourgeoisie au pouvoir?

    Malgré les mobilisations de masse exemplaires et la combativité de la classe ouvrière et des paysans indiens, il n’y a pas encore de mouvement conscient pour le renversement du capitalisme. Dans une telle situation, un parti révolutionnaire est une nécessité vitale pour traduire les aspirations des masses sur le plan politique; un parti capable d’orienter la lutte vers l’instauration d’un gouvernement ouvrier et paysan. Plus personne ne croit encore dans les partis traditionnels. Il y a un vide immense à gauche. Lors des élections municipales de décembre dernier, la principale organisation politique réformiste de gauche, le MAS (Mouvement vers le Socialisme), dirigé par Evo Morales, a recueilli le plus de suffrages : 18%.

    Le MAS occupe maintenant un cinquième des sièges au congrès. Morales, connu comme dirigeant des paysans planteurs de coca, est dépassé sur sa gauche par les secteurs les mieux organisés de la classe ouvrière et des paysans pauvres qui veulent aller plus loin. Malheureusement le MAS – malgré son nom ! – n’a pas la moindre idée sur la façon d’aller au socialisme. Au début de l’an dernier, Morales déclarait encore que la revendication de nationalisation était irréaliste, alors que les masses sont descendues dans la rue avec cette revendication, et que lors d’un référendum, la population s’est prononcée pour la nationalisation.

    Après le siège de Sucre, Morales a appelé à la fin de la grève et à la levée des barrages sur les routes afin de "donner du temps au nouveau président". Et ceci, au moment où les secteurs les plus combatifs du mouvement, notamment à El Alto, posaient un ultimatum au nouveau gouvernement pour satisfaire immédiatement leurs revendications. Si le MAS continue de faire des concessions à la bourgeoisie, il se produira immanquablement une rupture avec la base.

    Un potentiel révolutionnaire actuel

    Une période de statu quo entre les classes peut éventuellement exister, mais pas de manière durable. Un parti révolutionnaire doit concentrer l’énergie des masses et la canaliser comme un cylindre canalise la vapeur dans une locomotive à vapeur. Dans le passé de telles situations pré-révolutionnaires ont existé. Par exemple en Argentine en 2001. Elles peuvent toutefois être fatales. Fautes de perspectives, le découragement peut s’installer dans les couches intermédiaires de la société et gagner progressivement les secteurs les plus combatifs.

    L’appareil d’état, en Bolivie, (l’armée, le parlement, les tribunaux, les médias, …) ne maîtrisent pas la situation. La bourgeoisie est affolée, mais pas impuissante. Le long entretien de Rodriguez avec le chef de l’armée, Luis Aranda, doit être pris au sérieux. Incontestablement une partie de la caste militaire voudrait rétablir l’ordre de façon plus brutale. La seule chance de neutraliser rapidement la contre-révolution est de préparer la prise du pouvoir par les masses. Cela doit être combiné avec un appel aux soldats et aux sous-officiers de former des comités de soldats, d’élire les officiers et de les placer sous le contrôle de ces comités. Les officiers d’extrême-droite doivent comparaître devant des tribunaux populaires et être démis de leurs fonctions.

    Une assemblée nationale de représentants des organisations de lutte dans les quartiers, des ouvriers agricoles, des paysans, des mineurs doit être convoquée le plus vite possible. Elle devrait mener à la mise sur pied d’une assemblée constituante révolutionnaire appuyée sur des comités démocratiquement élus par les masses dans les entreprises, les quartiers, les écoles. Dans son livre Histoire de la Révolution russe, Léon Trotsky décrit de tels organes tels que les soviets de 1917, comme "des comités de grève à grande échelle".

    Les fonctions de ces organes révolutionnaires s’accroissent au fur et à mesure (contrôle du ravitaillement, remise en route des entreprises, contrôle des moyens de communication) et devraient conduire à la prise du pouvoir dans toute la société par un gouvernement ouvrier et paysan. Les nationalisations ne peuvent élever significativement le niveau de vie des masses que si le gouvernement est entièrement composé de représentants élus par les travailleurs et les paysans pauvres. Les richesses doivent être mises, sous le contrôle d’une économie démocratiquement planifiée, au service des besoins des masses. En outre, un parti révolutionnaire doit lancer un appel à l’extension de la révolution dans toute l’Amérique latine. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut aller à la victoire. Les masses n’ont que leurs chaînes à perdre !

  • Vague de protestations contre Lula

    Forum social mondial de Porto Alegre

    Honoré comme le grand héros de la gauche au Forum de 2003, Lula, après 2 années de politique néo-libérale, fut cette année confronté aux protestations des participants. De grands groupes de jeunes et de travailleurs ont exprimé leur mécontentement lors de la marche d’ouverture du FSM et au stade où Lula faisait son speech.

    Els Deschoemacker

    Lui et ses partisans furent interrompus par un brouhaha bruyant à chaque fois que la politique gouvernementale du PT était évoquée: réforme des pensions des fonctionnaires et de l’enseignement supérieur, libéralisation des services publics et limitation des droits syndicaux. Ces 2 dernières années, des protestations se sont élevées des travailleurs du secteur bancaire, des paysans sans terre et des sans-abri. Tous espéraient que le PT allait arriver à améliorer leur sort, l’indifférence du gouvernement a brisé leurs illusions.

    Lula, alors qu’il devenait un allié des capitalistes et du FMI, s’est heurté à une résistance croissante de sa base. Celle-ci avait élu l’ancien cireur de chaussures et dirigeant syndical comme président, mais elle n’obtint en retour qu’une douche froide : les premiers plans d’austérité arrivèrent 3 mois à peine après les élections. Les discussions sur la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs suivirent rapidement. Elles ne devinrent concrètes qu’avec l’exclusion de 4 parlementaires du PT refusant de voter la réforme des pensions qui mena au rassemblement des « radicaux du PT » – c’est comme ça que les dissidents étaient appelés – avec certaines sections syndicales et partis de gauche radicaux dans une nouvelle formation: le PSol.

    Socialismo Revolucionario, l’organisation sœur du MAS/LSP au Brésil, appelait déjà à un nouveau parti des travailleurs et a joué un rôle important dans la mise sur pied du PSol. Bien que peu puisse déjà être dit sur le développement de ce parti – les forces politique en présence diffèrent beaucoup – il est déjà clair qu’il y a là un potentiel énorme.

    Grâce à son intervention durant les 2 premiers jours du Forum, le Psol a dominé les discussions chez les jeunes et les travailleurs. Plus de 1.800 participants ont fait de la deuxième conférence nationale du PSol un événement très animé. La discussion portait sur la voie à suivre: se concentrer premièrement sur la participation électorale ou surtout sur les mouvements de lutte? La sympathie de la jeunesse radicalisée et des travailleurs n’est pas encore acquise. Leur question est surtout: comment éviter que le PSol ne suive le même chemin que le PT. Le PSol va devoir répondre à cela avant de pouvoir devenir l’instrument de lutte de la jeunesse et des travailleurs combatifs.

    Le point culminant du FSM était le meeting avec Chavez. Plusieurs heures avant le meeting il y avait déjà de longues files sous le soleil brûlant. Chavez est populaire grâce à sa confrontation avec le capitalisme vénézuélien et l’impérialisme et grâce à ses projets sociaux. Il est vu comme une alternative au néolibéralisme de Lula. Pour la première fois, il a parlé, devant les 25.000 participants, du «socialisme» et a cité divers révolutionnaires. Tout indique que Chavez est poussé dans une direction plus radicale par les masses qui le maintiennent en place malgré les tentatives de coups d’état et de lock-outs de l’élite. Heureusement pour Chavez le prix élevé du pétrole lui laisse une certaine marge économique. Il gagne du temps, mais à terme, les mesures prises jusqu’à maintenant ne vont pas suffire. Chavez est devant un choix crucial: ou il suit les masses en démocratisant et en approfondissant la révolution vénézuélienne, en prenant vraiment l’option d’une société socialiste, ou il reste quelque part à mi-chemin entre le capitalisme et le socialisme, jusqu’au moment où la bourgeoisie aura rassemblé assez de forces pour évincer Chavez du pouvoir et réprimer avec encore plus de force les travailleurs et les paysans.

  • Forum Social Mondial 2005. Chavez parle devant 25000 personnes

    Quatre heures durant, des jeunes ont conflué par milliers vers le stade du Gigantinho ( "Petit Géant" ) sous une chaleur estivale étouffante. La file s’étire aussi loin que l’oeil peut voir, son parcours tracé pour tirer avantage du moindre point d’ombre existant sur le côté: sous des arbres, des auvents de magasin, des portes… Et à mesure que l’heure tourne, on sent le suspense monter.

    Kevin Simpson

    Car ces milliers de gens sont venus pour voir Hugo Chavez, Président du Vénézuela, parler de la rébellion contre le néo-libéralisme et l’impérialisme des USA. Au contraire de la conférence donnée par Lula, un peu plus tôt dans la semaine, où les partisans du PT furent amenés, tous frais payés, ceux qui sont venus ici l’ont fait de leur propre chef, et ce sont des jeunes.

    Et parlant à ceux qui sont venus écouter, on devine bien que la majorité voulait entendre parler de la révolution : une alternative radicale ( mais sans réelle clarté sur comment elle sera réalisée ) pour la lutte contre la brutalité que le capitalisme amène en Amérique Latine.

    Nouvelle generation

    Beaucoup de ces jeunes font partie de la nouvelle génération de militants brésiliens ( et sud-américains ) qui est en train de se former. Ils ont rompu avec toute illusion qu’ils auraient pu avoir concernant Lula et le capitalisme ; ils sont anti-capitalistes et anti-guerre, comme le sont beaucoup de leur génération sur d’autres continents… Mais il y a une différence importante : ils sont passés à travers l’expérience de ce qui a été une rébellion continentale dans les dernières années contre le néo-libéralisme. Dans certains pays, ce mouvement a mis un terme aux privatisations en cours, et engrangé des mouvements d’insurrection massifs venant de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre.

    Et c’est ainsi qu’ils sont entrés en lutte, pas seulement avec de la confiance, de l’énergie et de la vitalité, mais pour une importante fraction d’entre eux, avec une soif d’idées révolutionnaires et socialistes, et un niveau politique développé.

    La conférence de Hugo Chávez qui a eu lieu le 30 janvier était peut-être la conférence la plus importante du FSM. Elle était financée par les dirigeants du CUT ( les chefs de la Fédération des Syndicats brésilienne, corrompue et fort à droite ) et par le Movimento dos Trabalhadores Sem Terra ( MST : la plus grande des organisations des paysans sans-terre au Brésil, bien qu’elle soutienne généralement le gouvernement de Lula, tout en critiquant certaines de ses politiques).

    Hostilité amère

    Cette conférence suivait le discours de Lula, ce qui a encore plus polarisé politiquement les participants au Forum Social. Il était évident que les dirigeants du CUT, surtout, voulaient utiliser l’apparition de Chávez pour tenter de renverser l’hostilité que la plupart des syndiqués et des jeunes radicaux leurs porte. C’est pour cela que le président du CUT était prévu pour faire un discours aux côtés de Chávez, espérant qu’un peu de l’autorité du Président vénézuélien pourrait lui être transmise. Le Gouverneur de l’état de Paraná, Roberto Requião, un partisan de Lula, était aussi invité à parler.

    Des membres du MST présentaient l’événement, mais il était clair qu’il avaient pris en compte le type de public, et étaient conscients que certains des invités pourraient recevoir un mauvais accueil. Et donc, à partir du moment où les gens commencèrent à remplir les sièges, les présentateurs du MST menèrent le jeu avec des slogans révolutionnaires et socialistes.

    La conférence qui se tint au Gigantinho représentait en microcosme la politique brésilienne d’aujourd’hui : une grande polarisation entre ceux qui gardent encore des illusions sur Lula ( encouragés par les dirigeants syndicaux, la bureaucratie du PT et les ONGs ), et une majorité qui se sent absolument trahie par Lula et s’ est radicalisée avec les événements récents sur le continent.

    Quand tous les gradins étaient remplis, d’énormes drapeaux rouges flottaient un peu partout. Un gros groupe de partisans du PSOL prit le côté gauche du stade et commença à chanter des slogans anti-Lula et anti-impérialistes. Et quand les présentateurs lancèrent "Brésil, Vénézuela, Amérique Centrale, la lutte socialiste est internationale", et suivirent par "A bas l’impérialisme, longue vie au socialisme", l’assemblée entière éclata dans un tonnerre approbatif, alors qu’une forme d’électricité politique remplissait l’air et que de nombreuses "olas" étaient lancées par la foule. Cette réponse montre bien comment dans d’autre parties du monde, l’ombre laissée par la chute du Stalinisme parmi la mase de la population, et l’effet qu’elle a eu sur la conscience populaire, sera complètement évacuée par le résultat des luttes massives qui se développeront contre le néo-libéralisme.

    Cependant, la nature radicale de la plupart de la foule devint vraiment évidente pour tout le monde quand un petit groupe de Jeunesse Socialiste ( la section des jeunes du Parti Communiste du Brésil, PCdoB, qui font partie du gouvernement PT et sont perçus comme la "police de la pensée" de Lula ) commença à chanter des slogans pro-Lula et à agiter les drapeaux de leur parti.

    En quelques secondes, une colère bouillante et une hostilité terrible remplit l’air, en même temps que des milliers de gens criaient qu’on les expulse. Le chant s’élevait "Pelego, pelego, pelego", un pelego étant une couverture épaisse que l’on place sous la selle d’un cheval pour mieux le contrôler. Ce terme est utilisé par les travailleurs brésiliens pour décrire les syndicats "jaunes" dont le rôle est de servir d’instruments de contrôle par le patronat.

    Un mur de son accueille l’arivée de Chávez sur la scène. Mais la colère explose encore une fois parmi le public quand le Président du CUT, Luis Marinho, commença à parler. Le CUT est perçu comme un complice de Lula dans sa politique d’attaques sur les droits des travailleurs et sur l’éducation, à travers la législation de réforme syndicale et la réforme sur l’éducation.

    Quand Marinho critiqua le public, qui selon lui s’ attaquait à ceux qui sont contre les privatisations et qui fraternisent avec le mouvement ouvrier qui se bat contre les patrons, sa voix fut noyée par les huements de la presque totalité des quinze mille spectateurs. Il ne reçut aucun répit, malgré son rappel à ceux qui écoutaient que le CUT ést la seule fédération syndicale qui a protesté contre la tentative de coup d’état contre Chávez en 2002. Pour ceux qui venaient d’en-dehors de l’Amérique Latine, voir un bureaucrate d’une telle fédération syndicale se faire accueillir avec une tele hostilité était quelque chose de jamais-vu.

    Le seul autre moment où le public fut presque entièrement à l’unisson dans les slogans fut quand la délégation du PSOL lança ses slogans contre les réformes de l’éducation et des droits syndicaux proposées par le gouvernement Lula.

    Il sembla que Marinho termina son discours plus tôt que prévu, et retourna à la sécurité relative de son siège à côté de Chávez. L’ex-Gouverneur de l’état du Rio Grande do Sul, et ministre actuel dans le gouvernement Lula, Olivio Dutra, eut droit à un traitement un peu meilleur parce que ses compliments constants envers Chávez le protégeait partiellement de cette animosité que Marinho venait de reçevoir, et aussi parce qu’il est vu comme étant plus à gauche que les autres. Le Gouverneur du Paraná n’essaya même pas de parler au public.

    L’atmosphère changea encore du tout au tout quand Chávez entama son discours, vu que le public attendait impatiamment le message de lutte qu’il allait donner. Sans nul doute, Chávez est une figure charismatique et parle avec l’autorité de quelqu’un qui a un soutien massif de la plupart des organisations de travailleurs, des pauvres des villes et de la petite paysannerie du Vénézuela. Par conséquent quand il dit pendant son discours "Je ne suis pas ici en tant que Président du Vénézuela. Je ne me sens pas Président. Je suis seulement Président à cause d’un concours de circonstances particulières. Je suis Hugo Chávez et je suis un militant et un révolutionnaire. Parce que pour rompre avec l’hégémonie du capitalisme et celle des oligarchies, le seul moyen est la révolution", la foule rugit d’applaudissements. Il parle aussi avec le langage de la classe ouvrière, sans peur d’attaquer l’impérialisme américain devant une telle audience.

    Toutefois, Chávez suit tous les autres politiciens populistes, se pliant au public devant lui en prenant et mélangeant un peu toutes les formes d’idéologies politiques pour se présenter comme un « mélange » devant tout le monde.

    Pendant la première partie de son discours, il mentionna la plupart des rébellions contre le colonialisme et l’impérialisme sur le continent sud-américain, des guérillas des peuples inidgènes du 16ème siècle, jusqu’à Fidel Castro. Il répéta même quelques commentaires sur Jésus-Christ, qui selon lui, fut le plus grand révolutionaire de tous les temps.

    Il insita sur le combat des continents du Sud contre le Nord riche. Malheureusement, il ne posa pas cette question dans un contexte de lutte de classe internationale, et cita le travail du groupe des nations non-alignées dans les années 60 et 70 comme un exemple de ce qui pourrait être organisé au sein des nations d’Amérique du Sud à l’heure actuelle.

    Durant cette partie de ses commentaires, il cita Mao, disant "Il est important dans la lutte de connaître ses amis et ses ennemis". Les membres de Socialismo Revolucionario ( la section brésilienne du CWI ) ont expliqué après la conférence que ceci était une critique implicite du public qui avait attaqué le chef du CUT. Ce qui est important est que même Chávez n’était pas préparé à faire cette critique de manière explicite.

    La dernière partie du discours de Chávez fut peut-être son intervention la plus radicale face à un public de ce type. Mais tout militant qui réfléchit par après à ces commentaires réalisera que parmi tous les points valides de Chávez, les parties radicales de son discours apparaissaient enrober les commentaires beaucoup plus douteux qu’il exprima.

    Ses conclusions sur les effets de la chute du Stalinisme étaient à leur base identique à ceux que les marxistes ont tirées depuis la chute du Mur, et il lança un commentaire passionné sur le réchauffement climatique.

    Il continua jusqu’à citer Trotsky, disant que le coup d’état envers lui illustrait bien le point mentionné par ce chef de la Révolution Russe : "chaque révolution a besoin du fouet de la contre-révolution". Toutefois, ceci n’est pas la fin de la question. Car Hugo Chávez a fait face à au moins trois sérieuses tentatives de le renverser, qui ont été contrées par les masses. Mais tant que la révolution n’est pas amenée jusqu’à sa conclusion par l’adoption d’un régime socialiste et le renversement du capitalisme, la contre-révolution frappera à nouveau, et vaincra si le capitalisme n’est pas mis à bas.

    Mais il parla aussi de sa relation très proche avec le gouvernement chinois et le colonel Kadafi, et félicita Poutine pour sa résistance à l’impérialisme américain. Dans une des parties les plus importantes de son discours, il expliqua qu’il n’y a seulement deux alternatives : capitalisme et socialisme. Le capitalisme peut seulement être transformé par un socialisme véritable: une société juste et équitable, mais cela ne peut être réalisé que par la démocratie. Mais nous devons clarifier ce que pour nous signifie la démocratie, et ce n’est pas celle que pratique Bush".

    Les derniers commentaires de Chávez montrèrent une tentative d’utilisation d’une rhétorique radicale, afin de préparer le terrain à un compliment envers Lula, lorsqu’il déclama "Il y a des gens dans mon pays. De braves gens, mais des gens qui disent que je ne vais pas assez vite, ou que je ne suis pas assez radical. Mais ces camarades doivent réaliser que ceci est un processus, un processus avec des stades et un rythme. Souvenez-vous que nous nous attaquons à un système mondial, ce qui est une grosse tâche. Je sais que je cours un risque de me faire huer, mais lula est un brave type, et un ami."

    Et Chávez fut hué, mais ceci fut partiellement noyé sous les applaudissements qu’il reçut à la fin de son discours.

    Les militants les plus conscients qui quittèrent la conférence ont dû remarquer que le discours de Chávez contenait plus d’éléments radicaux que d’habitude. Malgré cela, ils ont dû aussi remarquer qu’il manquait d’explications réellement révolutionnaires et socialistes quant à comment le capitalisme pourrait être vaincu au Vénézuela et à travers le continent.

    Les membres du CWI au Forum Social savaient que le nombre de personnes à la conférence de Chávez serait énorme : c’est là que se trouveraient tous ceux qui cherchaient des idées radicales au Forum. Par conséquent nos membres arrivèrent à l’entrée quatre heures avant le début de la conférence pour monter des stands, distribuer des tracts et vendre des journaux. Notre but était de discuter avec autant de gens que possible au sujet des tâches par lesquelles la révolution vénézuelienne pourrait arriver à sa conclusion.

    Alors que d’autres partis de gauche avaient leur matériel à proximité, le travail de campagne du CWI avant la conférence était le plus visible de loin. Des équipes du CWI marchaient le long de la file dicutant avec les gens et distribuant le matériel. En tout, 200 livrets de la version espagnole "Les Socialistes et la Révolution Vénézuelienne" par Tony Saunois, c’est-à-dire tous ceux que nous avions imprimés, furent vendus. Dans certains cas, des jeunes en achetaient un, puis revenaient avec leurs amis pour en obtenir d’autres. 6000 tracts furent distribués avant, pendant, et après la conférence.

  • Forum social mondial 2005: Manifestation de plus de 100.000 personnes le premier jour.

    Forum social mondial 2005:

    Plus de 100.000 personnes sont descendues dans la rue pour un après-midi brûlant à Porto Allegre, au Brésil, pour participer à une manifestation qui a marqué l’ ouverture du cinquième Forum Social Mondial.

    Michael O’Brien, Socialist Party, CWI Ireland

    Les organisateurs, conscients de la colère qui se développe contre le gouvernement Lula ont essayé de tourner les revendications de la manifestation vers des sujets innocents qui ne sont pas controversiels comme “la paix dans le monde” et ont même fait appel aux contingents participants à la manif de s’ abstenir de critiquer sévèrement le gouvernement.

    Malgrès cela, n’importe qui participant à la manif pouvait entendre les vigoureux slogans anti Lula. Il y avait une minorité de partisans de Lula, portant des T-shirts « 100% Lula », qui étaient dépassés par l’ humeur dominante de la marche.

    Le cortège vibrant et jeune du PSOL (Parti pour le Socialisme et la Liberte), comprenant peut être 1000 personnes, menait les chants anti Lula. Le PSOL est la force politique qui grandit de la manière la plus importante au Brésil. Né d’ une scission de gauche du PT, voulant s’ éloigner du virage à droite de Lula, ce parti a rapidement gagné des milliers des meilleurs jeunes et activistes sous sa bannière. Et malgrès son jeune âge, le PSOL obtient déjà entre 3 et 5% dans les sondages.

    La vie interne du parti est marquée par une liberté d’ expression politique et Socialismo Revolucionario, la section brésilienne du CIO est engagée pleinement dans les débats et les activités.

    Le contigent du CIO dans la manifestation comptait environ 60 membres et sympathisants, majoritairement du Brésil mais aussi des camarades d’ Angleterre, Suède, Irelande, Belgique, Chili, Allemagne, Etats-Unis et France.

    Dans une athmosphère où la majorité des journaux politiques sont distribués gratuitement, nous en avons vendu presque 800.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop