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  • École d'été du CIO : La crise européenne et la lutte de classe

    Il faut une alternative socialiste pour ce continent en crise

    C’est Hannah Sell, membre dirigeante du Socialist Party d’Angleterre et du pays de Galles et membre du Secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), qui a introduit la discussion en session plénière sur la situation en Europe lors de l’école d’été du CIO qui s’est déroulée en Belgique en juillet et à laquelle ont assisté près de 400 militants, venus de 33 pays différents.

    Rapport par Robin Clapp, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Tout le continent européen est en proie à une austérité brutale qui est la réponse de la classe dirigeante à cinq ans de récession économique. Cela fait six trimestres consécutifs que le PIB de la zone euro chute. Cette récession cause la panique parmi les capitalistes, qui sont maintenant aux prises avec les répercussions du ralentissement économique de plus en plus grand en Chine. Ce ralentissement étouffe les chances d’une reprise économique dans les quelques parties du monde qui sont jusqu’ici parvenues à se maintenir et à passer pour des acteurs de croissance économique.

    L’Allemagne, qui était demeurée la locomotive économique de la zone euro, a maintenant commencé à stagner. Elle a connu sa plus grande contraction du PIB en quatre ans lors du premier trimestre de 2013. Alors que les marchés européens sont ravagés par la crise, les capitalistes allemands s’étaient en partie tournés vers le marché chinois, tirant parti de la demande chinoise qui semblait alors insatiable. Ils étaient ainsi parvenus depuis 2009 à doubler leurs exportations vers la Chine.

    Une crise qui s’ouvre en plein cœur de la zone euro

    Merkel est en train de réaliser qu’une nouvelle phase de la crise est en train de se développer au cœur même de la zone euro. L’Allemagne va sans doute bientôt connaitre sa première fermeture d’une usine automobile depuis 1945, et déjà les prédictions économiques changeantes ont eu pour répercussions un certain nombre de grèves, encore petites, mais extrêmement importantes.

    L’industrie automobile européenne est en crise. L’énorme surproduction conduit à des pertes annuelles de 4 milliards d’euros pour les producteurs.

    Dans toute la zone euro, le niveau général de la demande a chuté de 5 % par rapport au niveau d’avant la crise en 2007, alors qu’en Europe méridionale (Italie, Espagne, etc.) la demande s’est littéralement effondrée, avec une chute de 15 %.

    L’expression sans doute la plus choquante de la crise européenne est la hausse sans précédent du taux de chômage, qui affecte surtout les jeunes. Les conséquences sociales de cette véritable bombe à retardement se feront sentir dans tous les pays. Le chômage des jeunes est de 60 % en Grèce, de 50 % en Espagne, et de 40 % en Italie et au Portugal. Il n’est pas un pays de l’Union européenne qui ne soit affecté. Dans un pays après l’autre, on voit les jeunes quitter leur pays à la recherche de travail. Notre camarade Laura du Socialist Party irlandais a expliqué que, dans son pays, l’émigration a atteint le même niveau que celui lors de la grande famine du milieu du 19ème siècle. Beaucoup de jeunes européens partent “se chercher” dans les anciennes colonies de leur pays. C’est ainsi que des légions de jeunes Portugais se rendent à présent en Angola ou au Mozambique.

    L’inégalité en Suède

    La Suède avait autrefois la réputation d’être un modèle d’“État-providence” social-démocrate sans son pareil après la Seconde Guerre. Pourtant, à partir des années ’80, l’inégalité s’est accrue dans ce pays plus rapidement que dans aucun autre pays européen. Un jeune sur quatre y est maintenant au chômage. Dans les quartiers ouvriers, le nombre de jeunes chômeurs est encore plus grand. Les émeutes de Stockholm qui se sont produites récemment reflètent le fait que là-bas comme ailleurs, ce chômage structurel mène à un dangereux déséquilibre qui ne peut que causer des explosions sociales.

    Notre camarade Elin du Rättvisepartiet Socialisterna (Parti de la résistance socialiste, CIO-Suède) a expliqué comment le CIO a pu faire une importante intervention dans ce mouvement explosif, canalisant les très compréhensibles sentiments de colère, de désespoir et de dégout vis-à-vis des partis politiques en général, en une explication de pourquoi il nous faut absolument développer une alternative socialiste. Plus de 500 personnes ont participé à notre meeting dans le quartier de Husby d’où étaient parties les émeutes, en soutien à nos revendications pour la fin de la brutalité policière, pour des emplois et pour des logements pour les jeunes.

    Les mouvements révolutionnaires sont une conséquence inévitable de la profonde crise qui affecte toute l’Europe, et les plus malins parmi les capitalistes en sont fort conscients. C’est de là que viennent leurs récentes tentatives désespérées, mais absolument inadéquates, de discuter de plans de création d’emploi lors de leur forum européen pour l’emploi.

    Même là où les jeunes ont des emplois, ils tombent souvent dans le “précariat”, c’est-à-dire des contrats à l’heure, sans aucune sécurité d’embauche. Plus de 1,6 million de jeunes Italiens survivent grâce à des emplois temporaires sous-payés ; en Allemagne, 9 millions de travailleurs gagnent moins de 8,5 € de l’heure dans des emplois qu’on appelle des “mini-jobs”.

    Notre camarade Angelica de Sozialistische Alternative (Alternative socialiste, CIO-Allemagne) a fait remarquer que les salaires de beaucoup de travailleurs allemands sont si bas que le pays est de plus en plus considéré comme un pays de pauvres. Les entreprises belges qui se trouvent près de la frontière allemande ne cessent de se plaindre de la concurrence illégale qui leur est faite par les entreprises allemandes et qui les force à fermer.

    Au cours des cinq dernières années, nous avons vu des luttes ouvrières se développer à l’échelle de tout le continent. Mais ces luttes n’ont été que le prélude des puissants mouvements qui vont se développer au cours de la prochaine période.

    La base sociale du capitalisme grec

    En Grèce, où le niveau de vie a été attaqué d’une manière qui n’a été vue nulle part ailleurs en Europe depuis l’époque du fascisme d’avant-guerre, il y a eu d’innombrables grèves générales d’un jour, par lesquelles les travailleurs et la classe moyenne ont tenté de se défendre. La base sociale du capitalisme grec a été complètement désintégrée : les docteurs, les avocats, les enseignants, les employés de banque se retrouvent tous dans les files du chômage ou en train de mendier dans les rues.

    Si la classe ouvrière grecque avait eu un parti révolutionnaire d’une certaine taille, elle aurait pu prendre le pouvoir à plusieurs reprises déjà, mais à cause des capitulations de la part des vieux partis sociaux-démocrates – et même de la part de nouvelles forces de gauche comme Syriza qui refuse de comprendre l’ampleur de cette crise et par conséquent la nécessité d’une révolution sociale afin de renverser le capitalisme – la politique d’austérité est toujours dominante.

    La rapidité et l’énormité de la crise a stupéfait les travailleurs à divers degrés. Cela, en plus des effets rémanents de l’effondrement du stalinisme, de la dégénérescence des anciens partis ouvriers qui se sont rendus à des positions pro-capitalistes et de l’échec des tentatives de construire de nouveaux partis des travailleurs durables, a fait que la classe ouvrière aujourd’hui manque d’une conscience socialiste large.

    Toutes ces complications ont pour effet que le processus révolutionnaire pourrait tirer en longueur, même alors que la situation est de plus en plus mure pour une transformation socialiste de la société.

    De nouvelles luttes sont inévitables dans chaque pays. Même là où le niveau d’organisation des travailleurs s’est dégradé, la lutte va développer la conscience, et notre intervention peut faciliter cela, comme le montre l’exemple de l’Afrique du Sud.

    Dans ce pays, malgré nos modestes forces, nous avons été capables d’intervenir de manière décisive grâce à un programme et une orientation correctes en directions des mineurs. La création du Workers and Socialist Party (WASP) marque un point tournant et constitue un immense pas en avant pour l’ensemble de la classe ouvrière.

    Tensions de classe, ethniques et nationales

    La crise capitaliste va non seulement intensifier les tensions de classe, mais aussi les tensions nationales et ethniques. Les travailleurs connaitront des retraites, des complications et des défaites, mais qui n’auront pas en général le caractère de défaites fondamentales qui auraient pour résultat de briser les travailleurs pour toute une période historique. En Italie par exemple, une situation pré-révolutionnaire s’est prolongée pendant toute une décennie dans les années ’70.

    À l’époque comme maintenant, la principale question est celle de la direction, et notre défi est de construire un parti révolutionnaire et d’intervenir dans la construction de partis des travailleurs de masse qui servent à la fois d’école pour le développement de la lutte de classe et de structures dans lesquelles la méthode et le programme du marxisme peuvent être débattus et adoptés.

    Dans toute une section de la société grecque vit un désespoir largement répandu. La direction du parti de gauche Syriza a commencé à virer à droite. Ses dirigeants ne portent plus de jeans et de t-shirt, mais arborent des costumes-cravate et un programme qui abandonne tranquillement le refus de payer la dette pour remplacer cette revendication par celle de l’annulation des intérêts de paiement de la dette. Tsipras, le dirigeant de Syriza qui avait failli prendre le pouvoir l’année passée, a vu son taux de soutien dans les sondages tomber à 10 % – moins que celui du premier ministre de droite Samaras!

    Malgré cela, un gouvernement Syriza reste la perspective la plus probable après les prochaines élections, et cela pourrait mener à une nouvelle vague de lutte de classes en Grèce. Il y a déjà toute une série d’occupations d’usine, les travailleurs prenant des mesures concrètes pour défendre leurs emplois, et ces actions pourraient s’étendre à une échelle de masse sous un gouvernement Syriza, non pas sous la direction de ce parti, mais sous l’impact de la volonté des masses d’aller plus encore de l’avant.

    Aube dorée au gouvernement ?

    La classe capitaliste grecque est en train de débattre de la possibilité de laisser entrer le parti néo-fasciste Aube dorée au gouvernement dans le cadre d’une coalition dirigée par le parti de droite Nouvelle Démocratie, maintenant ou afin de former un gouvernement après les prochaines élections générales.

    Une telle manœuvre de leur part pourrait créer une explosion à travers toute la société grecque, qui reflèterait la puissante insurrection asturienne, en Espagne en 1934, lorsque Gil Robles, chef du parti d’extrême-droite Confédération espagnole des droits autonomes (CEDA), est devenu ministre du gouvernement.

    Ekaterina, de Xekinima, section grecque du CIO, a insisté sur le fait que bien que le soutien à Aube dorée dans les sondages se soit élevé jusqu’à atteindre entre 10 % et 15 %, cela n’a pas mené à un accroissement de sa puissance de combat de rues. La menace que pose Aube dorée a cependant nécessité la création de comités antifascistes dans lesquels nous jouons un rôle majeur.

    Il ne fait aucun doute qu’une victoire de Syriza provoquerait une nouvelle phase de crise redoublée, pendant laquelle Aube dorée pourrait s’accroitre si aucune opposition ne leur était offerte. Sur le long terme, au fur et à mesure que les vieilles normes sont ébranlées, la classe dirigeante de chaque pays va se préparer pour de grands conflits de classe, y compris pour la guerre civile.

    Toutes les institutions du capitalisme sont en effet de plus en plus démasquées et discréditées, au fur et à mesure que la crise s’approfondit. En Tchéquie et au Luxembourg, les dirigeants ont été forcés de démissionner à la suite de scandales d’espionnage ; le gouvernement bulgare a été chassé du pouvoir par les plus grandes manifestations jamais vues dans ce pays depuis la chute du Mur il y a 20 ans.

    Tout comme ses camarades en Espagne, le gouvernement portugais a été appelé de gouvernement “zombie” (cadavre qui continue à marcher) : les ministres démissionnent l’un après l’autre à la suite d’une grève générale qui a explicitement réclamé la démission de tout le gouvernement. 80 % des travailleurs portugais ont participé à cette grève, y compris une grande partie de la police et des forces armées.

    Le scandale de corruption qui a submergé le premier ministre Rajoy en Espagne a révélé la pourriture au cœur même du gouvernement. Le journal El Mundo parle à juste titre d’un esprit pré-révolutionnaire qui s’est emparé de larges couches parmi les masses. La seule raison pour laquelle ce gouvernement n’est pas encore tombé est que les capitalistes n’ont pas d’autre alternative viable, et ont peur de la hausse du soutien pour le parti Izquierda Unida (Gauche unie), qui se trouve juste derrière le Parti socialiste espagnol dans les sondages.

    La pause espagnole

    Le camarade Rob du groupe Socialismo Revolucionario (CIO-Espagne) a expliqué qu’il y a eu cette année une certaine pause dans la lutte à la suite de la terrible grève des mineurs de 2012 qui contenait en elle-même les germes d’une guerre civile, à la suite de l’occupation des hôpitaux partout dans le pays, et de deux grèves générales qui ont entrainé respectivement 10 et 11 millions de travailleurs. Mais cette année a en réalité été une année de meetings et de débats intenses. Ainsi, on a vu une assemblée de la gauche locale attirer 1000 personnes pour discuter de la prochaine étape dans la lutte.

    Nous avons mis en avant la revendication d’une grève générale de 48 heures liée à l’établissement d’assemblées partout dans le pays afin de lutter pour faire tomber le gouvernement. Il faut un front uni de la gauche avec les mouvements sociaux, autour des mots d’ordre « Non à l’Europe des patrons », « Nationalisation des moyens de production », et « Droit à l’auto-détermination » pour les Catalans et les autres nationalités qui le demanderaient.

    Notre camarade Eric du Parti Socialiste de Lutte (PSL, CIO-Belgique) a souligné la férocité sans précédent des attaques qui sont perpétrées sur leurs travailleurs par les capitalistes belges. La Belgique est restée sans gouvernement officiel pendant 540 jours, parce que la classe dirigeante était perdue en palabres quant à la meilleure façon d’avancer dans un contexte d’antagonismes nationaux croissants. Ni la majorité de la classe dirigeante, ni la classe ouvrière ne désirait la scission de la Belgique, mais dans une période de crise, les divisions peuvent devenir plus aigües entre la Flandre et la Wallonie.

    Mais inévitablement, vu le manque d’une alternative socialiste large à portée des masses, il y a aussi la montée de sentiments nationalistes anti-européens.

    En Europe méridionale, même si la troïka (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne) est absolument détestée, on voit que même en Grèce, les travailleurs sont très prudents et craignent de demander la sortie de l’UE, car ils ont peur de ce que pourrait représenter l’alternative.

    Notre camarade Sacha, de notre section allemande, a fait remarquer que le point de départ devrait être une lutte pan-européenne contre l’austérité. Nous avons vu le 14 novembre 2012 la première occasion d’organiser une grève générale pan-européenne de 24 h dans plusieurs pays à l’occasion d’une journée d’action européenne de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), mais cela n’a pas été saisi.

    Un système en perdition

    Cette crise n’est pas seulement celle de la monnaie européenne, mais du système tout entier. Aucune politique économique alternative de type keynésienne (dépenser l’argent de l’État en grands travaux pour relancer la croissance) ne pourra reboucher complètement les failles fondamentales qui se sont ouvertes de manière si visible au cours des quelques dernières années.

    Nous avons compris dès le départ que le projet de la monnaie euro n’était pas tenable. Ce n’est que grâce à la phase de croissance qui a duré jusqu’en 2007 que son échec a pu être reporté. Mais à présent, nous voyons devant nos yeux se dérouler une réaction en chaine au ralenti qui va à un certain moment faire éclater la zone euro.

    Déjà, ce processus est très visible à Chypre où, à la suite de la crise bancaire, l’imposition du contrôle des capitaux par les capitalistes est contraire aux règlements de l’UE, mais est justifiée par la gravité exceptionnelle de la situation. L’économie chypriote est une catastrophe, et on s’attend à ce qu’elle se contracte d’un chiffre record – -25 % l’an prochain.

    Le Portugal est au bord d’une deuxième demande de renflouement, tandis que les bureaucrates européens à Bruxelles ne parviennent pas à dormir à cause de leurs cauchemars de la faillite de l’Espagne ou de l’Italie, dont les dettes collectives s’élèvent à plus de 3000 milliards d’euros – soit six fois plus que l’argent disponible dans le fonds de secours européen.

    Tout est en train d’être fait pour éviter une autre crise avant les élections générales en Allemagne du 22 septembre. Mais les problèmes s’accumulent et deviennent de plus en plus graves. Les dettes souveraines italiennes sont de plus en plus considérées comme n’ayant aucune valeur ; une autre très grande source d’inquiétude est l’état de zombie de nombreuses banques, qui sont sur perfusion dans tous les pays, même en Allemagne et en Autriche.

    La classe ouvrière n’accepte pas l’austérité de manière passive

    Une véritable union bancaire européenne ne peut être obtenue sous le capitalisme, et bien que nous ne puissions prédire les délais exacts, et que le processus de décomposition de l’Union européenne pourrait tirer en longueur, il est clair que de nouvelles crises peuvent faire irruption à tout moment, jusqu’à devenir si grandes dans le futur qu’elles seront impossibles à contenir.

    Ce qui est clair, est que la classe ouvrière ne va pas accepter passivement la misère qui est en train de lui être imposée.

    Dans chaque pays, les dirigeants syndicaux freinent la lutte. Il refusent encore, à cette étape, malgré l’énorme pression, d’appeler à des grèves générales de 24 heures en Espagne et au Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, le Rassemblement syndical (TUC) “discute” de cette question depuis déjà onze mois, alors qu’en France les syndicats ont finalement cédé et annoncé une journée d’actions début septembre.

    Notre camarade Faustine, de la Gauche Révolutionnaire (CIO-France), a souligné l’impressionnante impopularité de Hollande. Alors qu’il avait été élu dans l’enthousiasme après les années brutales de Sarkozy, il est à présent le président le moins populaire de toute l’histoire de la cinquième république, moins populaire même que Sarkozy ! Leila, également de France, a ajouté que chaque jour, 6 grèves sont déclarées dans ce pays, en réaction au fait que le pouvoir d’achat des travailleurs a été repoussé à son niveau de 1984.

    Ce n’est que par le développement des mouvements à partir de la base et avec une pression croissance de la part de la classe ouvrière que les syndicats seront forcés à organiser des actions. Nous jouons à ce titre un rôle très important au Royaume-Uni via le NSSN, Réseau national des délégués syndicaux (National Shop Steward Network).

    Même certains dirigeants syndicaux de gauche affichent leurs hésitations vis-à-vis de telle ou telle question. Le capitalisme exerce une incroyable pression sur eux afin de les contraindre à agir de manière “responsable” ; mais au bout du compte, ils peuvent être – et le seront – contraints par la pression de la classe ouvrière à appeler à des actions.

    Des conflits généralisés

    En outre, dans une telle période de remous sociaux, chaque lutte syndicale a le potentiel de déborder en un conflit plus généralisé, contre le système lui-même.

    En Grèce, dix-sept des syndicats les plus combatifs se sont unis pour forger un programme de lutte. En particulier le syndicat de l’électricité a articulé toute une série de revendications que nous soutenons pleinement. Mais en cette période, ce qui est décisif n’est pas un programme bien rédigé, mais l’action.

    Ce blocage ne peut être contenu pour toujours. La lutte magnifique des travailleurs afin de contrer la fermeture de la radio-télévision nationale grecque, ERT, montre comment des mouvements peuvent et vont se développer à partir de la base, malgré le fait que les travailleurs semblent de prime abord pieds et poings liés.

    En Irlande, la campagne contre la taxe des ménages (la Houshold Tax) est devenue un phare au milieu de toute la frustration accumulée contre l’austérité. L’imposition de la brutale taxe sur le nombre de chambres au Royaume-Uni (la Bedroom Tax) peut être perçu comme un catalyseur similaire pour une lutte industrielle et sociale plus large.

    Le mouvement contre les expulsions de domicile en Espagne a jusqu’à présent obtenu plus de 1000 victoires. Lorsque ce mouvement a débuté, on a vu une réponse hystérique dans les médias qui qualifiaient les manifestants de “nazis” ou de “terroristes”. Pourtant, 89 % de la population soutiennent le mouvement, plus que la cote de popularité de tous les politiciens pris ensemble!

    La haine envers les partis politiques est une expression de la conscience anticapitaliste grandissante parmi les travailleurs, bien que cela ne se traduise pas encore en un soutien conscient au socialisme. Cette tendance est sans doute la plus grande en Espagne, mais elle est en réalité un phénomène qui se produit à l’échelle continentale.

    Le cynisme vis-à-vis des politiciens corrompus et ne prêchant que l’austérité est une phase inévitable du développement de la conscience – on peut comparer ça à la coquille d’œuf qui abrite le poussin de la conscience révolutionnaire future. Nous devons comprendre ce processus et intervenir de manière adéquate et délicate en luttant pour une représentation politique indépendante de la classe ouvrière.

    Les forces populistes

    Au même moment, le vide politique peut être en partie rempli par toutes sortes de forces populistes particulières, de gauche comme de droite. En Italie, le très instable Mouvement 5 étoiles a paru surgir de nulle part, mais malgré une légère baisse de soutien depuis les dernières élections, lors desquelles son succès a complètement abasourdi la classe dirigeante, il bénéficie toujours de 18-20 % dans les sondages.

    En Belgique, le Parti du Travail de Belgique (PTB), ex-maoïste, a lui aussi tiré profit de ce processus. Au Royaume-Uni, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), populiste de droite et nationaliste, a obtenu un score impressionnant lors des dernières élections municipales, sur base d’une campagne anti-UE, anti-immigrés.

    Il est tout à fait possible que le UKIP devienne le plus grand parti du pays (en termes de vote) au Royaume-Uni lors des élections européennes de l’année prochaine, et même qu’il se consolide en même temps que des partis tels que le Front national français ou le de la Liberté autrichien (FPÖ). Cette perspective est loin d’être certaine cependant, et dans tous ces pays, l’établissement d’un véritable parti des travailleurs peut mettre un terme à ce processus de développement de la droite populiste ou radicale.

    On voit un exemple de cela au Portugal, où le Parti communiste et le Bloc de gauche bénéficient ensemble d’un soutien de plus de 20 % dans les sondages. S’ils avaient bien voulu former un “Front uni”, comme les militant du CIO le réclament depuis longtemps, ils auraient pu proposer une véritable alternative, ensemble avec les mouvements sociaux. Ils auraient pu attirer des millions de personnes en plus avec une bannière qui aurait proclamé la prise du pouvoir et non pas simplement plus de manifestations.

    Leur échec a cependant mené à une légère reprise électorale pour le Parti socialiste, qui est maintenant de plus en plus perçu comme une alternative viable au gouvernement de droite (alors que ce parti avait été chassé du pouvoir après sa déculottée électorale magistrale d’il y a deux ans à peine, pour avoir appliqué la même politique que celle qui est en ce moment appliquée par la droite officielle).

    Le virage à droite de Syriza

    En Grèce, la question de ce que la gauche doit faire s’est posée de manière très vivante. L’appel initial de Syriza à former un gouvernement de gauche a vu son soutien croitre de manière exponentielle. Mais l’abandon de la promesse de nationalisations à grande échelle, et le refus de Syriza de soutenir le préavis de grève des enseignants (alors que 90 % avaient voté pour l’action), ont désorienté ses anciens sympathisants, et en ont même dégouté plus d’un.

    À présent une nouvelle constitution a été imposée à Syriza, créant un parti “unifié” qui interdit la double appartenance politique (alors que Syriza était au départ une coalition de différentes forces politiques) et qui rend le parti plus “sûr” pour le capitalisme. Bien que le scepticisme soit largement répandu par rapport à Syriza, notre camarade Andros, de Grèce, a expliqué comment nous utilisons notre position en tant que force indépendante pour intervenir dans diverses luttes sociales et industrielles, y compris avec la construction des comités antifascistes. Au même moment, nous cherchons à construire l’“Initiative des 1000” – lancée par les forces de gauche hors et dans Syriza – et à travailler de manière de plus en plus étroite avec ceux qui, à gauche, gravitent autour de la nécessité d’un programme de transition qui appelle à un “front uni” des partis des travailleurs, à un gouvernement de la gauche et à une politique socialiste.

    Un grand pas en avant en Espagne, et un indice du fait que les travailleurs sont prêts à soutenir des formations de gauche qui mettent en avant ne serait-ce qu’une embauche de programme de lutte, est la résurgence de Gauche unie (Izquierda Unida, IU) qui reçoit maintenant 16-17 % de soutien dans les sondages. IU appelle à la démission du gouvernement et a maintenant changé sa position par rapport à la Catalogne – alors qu’elle était opposée à l’auto-détermination, elle soutient à présent le droit des Catalans à décider eux-mêmes de leur situation nationale.

    Mais le processus ne se déroule pas de manière linéaire : certaines sections de la direction d’IU ont leurs yeux sur une éventuelle coalition avec le Parti socialiste, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans la région d’Andalousie. Cependant, du fait que IU est un parti fluide qui est toujours susceptible de subir une pression de sa base, il n’est pas prédéterminé à suivre un virage à droite qui aura un succès immédiat.

    Les marxistes doivent chercher à organiser les forces les plus larges possibles à gauche, y compris les mouvements sociaux et ceux qui se trouvent au sein de IU et qui opposent le “coalitionnisme” avec les forces pro-austérité telles que le Parti socialiste.

    En même temps, ici comme partout ailleurs, nous devons développer un noyau marxiste qui puisse servir de colonne vertébrale pour la gauche.

    Les attaques du Labour britannique sur le syndicat Unite

    De nouvelles possibilités s’ouvrent au Royaume-Uni dans la lutte pour la construction d’un nouveau parti des travailleurs. L’attaque sur le syndicat Unite par la direction du Labour (parti travailliste) menée par Ed Miliband – après que Unite ait demandé au parti de rendre plus de compte au syndicat en cherchant à ce que des membres du syndicat soient sélectionnés en tant que candidats pour les élections nationales – illustre pleinement la futilité de toute tentative de “réformer” le Labour.

    Miliband a appelé la police pour qu’elle mène une enquête sur le comportement de Unite (la police a répondu qu’il n’y avait pas la moindre raison d’entamer pareille enquête), et a commencé à mener campagne pour supprimer tout lien entre son parti et les syndicats. Cela a fait scandale parmi les syndicalistes. Certains dirigeants syndicaux de droite vont maintenant jusqu’à soulever la question de savoir comment leurs membres pourront encore accepter de cotiser pour leur carte de parti au Labour.

    La section Unite de la région Nord-Ouest a maintenant, à la suite d’une initiative de la part de nos camarades, appelé le syndicat à se désaffilier du Labour – un pas en apparence petit mais potentiellement historique en vue de la formation d’un nouveau parti des travailleurs, travail déjà débuté par nos membres en collaboration avec le syndicat du rail RMT, qui a mené à la création de la Coalition syndicale et socialiste (TUSC).

    Une crise prolongée

    C’est Tony Saunois, dirigeant du Secrétariat international du CIO, qui a conclu la discussion. Cette crise est d’une nature prolongée, et cela est essentiellement le résultat de la capitulation des anciens partis ouvriers face au marché, ce qui a laissé la classe ouvrière dépourvue d’organisations politiques combatives.

    À ce stade, le rythme des évènements est différent dans le nord ou dans le sud de l’Europe. Bien que la classe dirigeante fera tout pour surmonter la crise, et pourrait même bénéficier de périodes de pause temporaire dans la lutte de classe, ces pauses ne seront que de brève durée et ne seront pas basées sur la moindre reprise réelle, ni sur aucune fondation solide.

    Des millions de vies ont été brisées partout en Europe au cours des cinq dernières années. Étant donné la gravité de la crise, les travailleurs ont été frustrés du fait que les évènements ne se soient pas développés plus rapidement. Cela vient avant tout des trahisons historiques des soi-disant dirigeants officiels du mouvement ouvrier, dans tous les pays. Aucun nouveau parti de masse de la classe ouvrière n’est né depuis, ou n’a paru capable de s’opposer à l’austérité néolibérale tout en articulant un programme socialiste qui montre la voie hors de cette crise étouffante.

    Mais la capacité de la classe ouvrière à lutter, à tirer derrière elle la classe moyenne et les légions de jeunes désœuvrés et d’autres, a été démontrée sans que ne subsiste le moindre doute à cet égard – et particulièrement en Grèce, où on a cherché à repousser les forces du néolibéralisme avec une grève générale après l’autre.

    La montée de l’extrême-droite, et même l’émergence d’organisations ouvertement néo-fascistes en tant que menaces réelles dans des pays comme la Hongrie ou la Grèce, devrait nous rappeler que dans les périodes de crise massive, les graines de la contre-révolution peuvent germer dès le moment où le mouvement ouvrier ne parvient pas à offrir une alternative.

    Aube dorée est l’expression du désespoir. Bien que son noyau soit bel et bien néofasciste, de nombreuses autres personnes peuvent être tirées hors de ses rangs ou dissuadées d’y entrer pour peu que nous parvenions à offrir une alternative socialiste à la Grèce.

    Des leçons sont tirées

    Des leçons profondes sont en train d’être emmagasinées par les travailleurs et les jeunes, au fur et à mesure que sous la surface, la conscience change. D’importants nombres de travailleurs commencent à comprendre le fait que le capitalisme ne peut mener qu’à l’austérité, et que par conséquent un changement fondamental est nécessaire dans la manière dont la société elle-même est organisée – une transformation socialiste.

    Nous devons nous préparer pour ces développements explosifs qui aujourd’hui semblent être encore loin de la surface, mais qui demain feront irruption partout à la fois. Nous devons nous apprêter pour de nouvelles vagues de lutte de masse, y compris des grèves et sans doute des occupations d’usines et d’entreprises.

    Nous pouvons contribuer à pousser l’histoire pour qu’elle aille plus vite. Notre tâche est d’accélérer ce développement moléculaire grâce à nos interventions dans tous les pays. Nous devons habilement développer notre programme, nos tactiques et nos revendications, afin d’atteindre la classe ouvrière qui a démontré à de nombreuses reprises déjà sa volonté de lutte.

  • École d'été du CIO : La crise capitaliste mondiale et la lutte de classe

    ‘‘Nous nous tenons au seuil de grandes convulsions, les plus grandes de l’histoire mondiale, les puissants mouvements auxquels nous assistons ne sont que les précurseurs.’’ Voilà comment Peter Taaffe (membre du Secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO) a décrit la situation internationale actuelle lors de l’édition 2013 de l’école d’été du CIO au cours de la session plénière intitulée “Le monde capitaliste dans la tourmente – la crise et la lutte de classe aujourd’hui”. Les “puissants mouvements” dont il parlait sont les énormes mouvements de masse en Turquie, au Brésil, en Égypte et en Afrique du Sud qui se sont produits au cours de l’année écoulée et qui ont démontré la puissance colossale des masses une fois qu’elles partent en action. Ces mouvements ont pris le relais des manifestations contre l’austérité qui ont enflammé l’Europe ces dernières années.

    Kevin Parslow, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Les occupations massives des places en Turquie ont été suivies par une action de masse de la part de la classe ouvrière. Des millions de personnes se sont mobilisées en Égypte pour le renversement du président Morsi, bien plus qu’au cours du déclenchement de la révolution il y a deux ans, bien que l’absence d’une direction indépendante de la classe des travailleurs ait aidé les chefs de l’armée à se saisir de cette occasion pour se réinstaller au pouvoir. La lutte entre les forces de la révolution et de la contre-révolution n’est toutefois pas terminée. Au Brésil, les manifestations de masse qui ont débuté en tant que protestation contre la hausse du prix des transports publics ont fait descendre la population de 120 villes dans la rue. À un moment, plus d’un million de personnes étaient dans les rues. Ils ont forcé le gouvernement à reconnaitre les immenses problèmes sociaux qui ravagent le pays.

    Dans le passé, de tels mouvements en Amérique latine auraient pu conduire à des idées de “guérilla”, mais l’Amérique du Sud est aujourd’hui le continent qui a la plus grande urbanisation : 84 % de sa population vit en ville. La classe ouvrière et les pauvres des villes constituent l’écrasante majorité de la population et guident les mouvements de masse, bien que ces mouvements aient également leurs répercussions dans les zones rurales. Ce sont ces énormes changements qui sont en train de préparer les forces de la révolution partout dans le monde.

    Ces évènements – avidement suivis via les médias de masse et les médias sociaux par les travailleurs du monde entier – démontrent aussi la manière dont chaque pays du monde est actuellement connecté aux autres comme par des câbles d’acier. Les évènements se produisant dans un pays, sur un continent ou dans une région exercent un effet hypnotique sur la manière dont les masses laborieuses conçoivent le monde. De la sorte, ils renforcent la nécessité de l’internationalisme, principe sur lequel est basé le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et sur lequel il va croître.

    L’essence du marxisme est de généraliser les expériences de la classe ouvrière et d’en tirer les leçons pour le mouvement des travailleurs, et dans notre cas surtout pour l’intervention du CIO, afin de servir de guide pour nos actions aujourd’hui comme à l’avenir. Sans une large compréhension des perspectives, nous serions comme un capitaine de navire sans boussole au milieu d’un océan déchainé.

    Nous ne pouvons pas analyser les évènements de manière pragmatique et empirique. Les marxistes doivent approcher la “réalité” d’une manière qui englobe tous les points de vue, qui considèrent une chose sous l’ensemble de ses facettes et nous pas sous un seul angle de vue. Sans cela, nous ne pouvons pas nous préparer pour le moment où les évènements prendront soudainement un tout autre tour et revêtiront leur forme la plus importante : celle de la révolution.

    Peter Taaffe a expliqué le fait que c’est notre méthode qui a permis au CIO de prévoir cette situation où le gouvernement de l’African Nntional Congress (ANC) en Afrique du Sud allait inévitablement ouvrir le feu sur les travailleurs. Le massacre de Marikana l’an dernier et les protestations et grèves de masse qui ont suivi ont totalement changé la situation dans le pays. De même que nous avions annoncé l’arrivée de mobilisations de masse et le renversement de Moubarak en Égypte, nous avions également anticipé le développement d’une nouvelle phase de la révolution, car nous avons une compréhension des lois de la révolution. Ce sont les masses qui font la révolution ; leur mécontentement envers les Frères musulmans les a fait redescendre dans les rues pour se débarrasser d’eux.

    Le caractère de la période actuelle

    Nos conclusions sont basées non pas sur nos sentiments, mais sur la compréhension du caractère de la période actuelle, qui est marquée par la crise économique la plus dévastatrice jamais rencontrée, qui entre à présent dans sa cinquième ou sixième année. Nous vivons dans une société capitaliste où un quart de la jeunesse mondiale est sans travail, sans formation, sans expérience.

    C’est cette situation économique désespérée qui a donné l’impulsion initiale à la révolution en Égypte. Plus de 1.500 usines ont fermé depuis le début de la révolution en 2011. La moitié des 80 millions d’Égyptiens vivent sous le seuil de pauvreté ou en sont proches. Un journal, le jour où Morsi a été dégagé, titrait : ‘‘C’était une révolution de la faim.’’

    Cependant, Peter Taaffe a prévenu du fait que le renversement de Morsi par l’armée – même si cela peut apparaitre au départ comme se faisant au nom de larges sections du mouvement de masse, en particulier des libéraux – représente un danger potentiel pour la classe ouvrière. Les travailleurs égyptiens ont révélé leur appétit phénoménal pour la lutte et pour l’organisation. Notre camarade David Johnson a ainsi expliqué dans la discussion que les syndicats indépendants sont passés en deux ans de 50.000 membres à 2,5 millions. Toutefois, un des dirigeants de ces syndicats a rejoint le cabinet dirigé par l’armée après le renversement de Morsi ! Le mouvement qui a renversé Morsi et les Frères musulmans avait derrière lui des figures de l’ombre des institutions d’Etat et du régime de l’ancien dictateur Moubarak.

    La déchéance de Morsi et des Frères musulmans a forcé les puissances régionales du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à se repositionner. Leur attitude est guidée par la nécessité de trouver la première proposition semblant être la meilleure à même de servir la contre-révolution contre le mouvement révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Les intérêts de ces puissances sont à présent en train de se polariser et de menacer les masses de la région, comme on le voit avec la sanglante guerre civile en Syrie.

    L’armée égyptienne n’est pas en train de jouer le rôle de l’armée portugaise dans la révolution de 1974 au Portugal, la révolution des Œillets. Les soldats qui composaient cette armée avaient été radicalisés par les guerres d’indépendance néocoloniales. L’armée égyptienne, comme toutes les armées capitalistes, est là pour, en dernier recours, protéger la propriété privée et elle possède elle-même des parts très importantes de l’économie nationale, à l’instar de l’armée pakistanaise.

    Le résultat le plus probable des évènements qui se déroulent en ce moment en Égypte est que les Frères musulmans et leurs collègues dans le reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient vont être très affaiblis. Cela aura des conséquences en Tunisie, où le gouvernement Ennahda a lui-même beaucoup de problèmes à se maintenir au pouvoir. Après l’assassinat de Chokri Belaïd, un mouvement de grève générale a éclaté et près d’un million et demi de personnes sont descendues dans les rues du pays (qui comprend 11 millions d’habitants). [Depuis lors, un autre dirigeant de l’opposition de gauche, Mohamed Brahmi, a été assassiné et de nouvelles mobilisations de masse ont éclaté, NDLR]

    Nous devons toujours insister sur la nécessité de l’indépendance de la classe ouvrière et de ses organisations par rapport à toutes les forces pro-capitalistes, et lutter pour la création de formes de lutte ouvrière indépendantes.

    Des explosions sociales

    Ce n’est pas toujours une crise économique qui provoque le mouvement de masse. Le Brésil comme la Turquie ont connu une croissance économique ces dernières années. Mais les fruits de la croissance n’ont pas été équitablement distribués.

    C’est ce facteur qui a été à la base des explosions sociales qui se sont produites dans ces deux pays. On y a vu non seulement des manifestations, mais également des occupations de places, des assemblées, etc. Nos camarades brésiliens se sont fortement investis dans cette lutte tout au long de cette déferlante politique et sociale. Contrairement à l’Europe, ce n’est pas une austérité étouffante qui a provoqué ces évènements révolutionnaires. L’importante croissance économique a renforcé le pouvoir de la classe ouvrière et des masses, qui ont révélé leur pleine puissance au cours de ces mouvements.

    Avec l’intensification mondiale de la lutte de classe, l’État capitaliste a dû recourir à des mesures de guerre civile contre les droits et les conditions de vie de la classe ouvrière et des pauvres.

    C’est de cela qu’a voulu nous avertir Edward Snowden grâce à ses révélations ; une surveillance massive est en train d’être mise en place contre la population et ses organisations, et des espions de la police sont implantés dans les mouvements et organisations ouvrières et anticapitalistes.

    Bien que ces mesures sont antidémocratiques, les capitalistes ne peuvent pas établir aujourd’hui un État policier, à cause de l’opposition qu’une telle tentative de leur part susciterait. Mais la croissance des néofascistes d’Aube Dorée en Grèce illustre le danger qui fait face à la classe ouvrière à moyen et long termes. Les travailleurs doivent tout faire pour se battre contre les tentatives qui sont faites de grignoter ou d’attaquer leurs droits démocratiques et civiques, notamment contre les lois antisyndicales.

    Tous ces développements ont suscité une large désillusion vis-à-vis du président Obama, qui a révélé qu’il est tout aussi antidémocratique et répressif que l’était George W Bush. Son impopularité est accrue par l’absence de la moindre amélioration des conditions de vie des travailleurs aux États-Unis. La récente faillite de la ville de Detroit illustre bien la profondeur de la crise.

    Au niveau international, l’“assouplissement quantitatif” (le fait d’imprimer de l’argent) a eu l’effet de stabiliser la situation économique, jusqu’à un certain niveau. Mais, comme notre camarade Robin d’Angleterre l’a expliqué, cela a conduit à plus de spéculations, et de nouvelles “bulles” financières sont en train de gonfler à nouveau, qui pourraient éclater dans un futur proche.

    Peter Taaffe a expliqué que la faible reprise de la position économique dans certains pays, la petite pause dans la lutte de classe et la réussite de la classe capitaliste à imposer ses mesures d’austérité malgré tout ont soulevé les questions : ‘‘Avons-nous trouvé la sortie ?’’ et ‘‘Le capitalisme serait-il parvenu à trouver un nouvel équilibre économique ?’’ Ce sont là les espoirs des capitalistes du monde entier.

    Les marxistes ont toujours répété qu’il n’y a pas de “crise finale du capitalisme” : le capitalisme ne disparaitra que lorsque la classe ouvrière prendra le pouvoir. Mais si la classe ouvrière, à cause de la faiblesse ou de l’absence de sa direction, ne parvenait pas à prendre le pouvoir, on ne pourrait alors exclure une nouvelle phase de croissance pour le capitalisme dans le futur. Mais cela n’est clairement pas notre perspective à court terme.

    Cela, les théoriciens du capitalisme sont forcés de l’admettre. Ils n’ont en réalité absolument aucune idée de la manière dont ils parviendront à se sortir de l’impasse dans laquelle est entrée leur système.

    Dans toutes les grandes économies du monde, il y a peu ou pas de croissance. Et maintenant que l’économie chinoise commence à ralentir, cela aura un effet très profond en Chine – où la révolution sera à l’ordre du jour – comme dans le reste du monde, dans tous les pays qui soit fournissent des capitaux à la Chine (comme l’Allemagne), soit lui fournissent des matières premières, comme l’ont bien répété les camarades d’Australie et du Canada dont les pays ont récemment profité de la croissance chinoise, mais pour combien de temps encore ? Le camarade Raheem du Nigeria a quant à lui montré que les bénéfices tirés de la vente de matières premières, comme le pétrole nigérian, sont extrêmement mal redistribués : à peine 1 % de la population possède 80 % de la richesse de l’ensemble du pays, où70 % de la population vit dans la pauvreté !

    Une économie “Frankenstein”

    Le camarade Zhang de Chine a décrit la montagne de dettes qui accable la Chine et son économie comme étant similaire au monstre de “Frankenstein” – énorme, monstrueuse et hors de contrôle ! Peter a montré que les travailleurs chinois commencent à bouger, avec des grèves, des manifestations, et même l’emprisonnement d’un patron qui voulait fermer son usine sans payer d’indemnités de licenciements à ses travailleurs !

    La révolution ne survient pas de manière automatique à un moment du ralentissement ou de la croissance, mais au passe d’une période à une autre. Le consensus parmi les économistes capitalistes est que nous sommes maintenant dans une “dépression”. Vu l’ampleur de l’austérité et les tentatives de convaincre la classe ouvrière de inéluctabilité d’une période sans croissance, de nouvelles attaques pourraient décourager la lutte.

    Mais il y a une réelle perspective d’un approfondissement de la crise. La “reprise” aux États-Unis est la plus faible depuis la Seconde Guerre mondiale. Et les dettes colossales des banques du monde entier sont toujours là. Tant que nous sommes sous le capitalisme, il y aura un chômage de masse permanent ou semi-permanent.

    Le Japon a tenté une “opération croissance” récemment, mais qui s’essouffle déjà. La dévaluation de sa monnaie par le Japon pose le problème d’une guerre des devises ; le protectionnisme, dont la dernière illustration est le conflit entre l’Europe et la Chine sur la question de l’importation de panneaux solaires, a lui aussi le vent en poupe.

    Une question centrale du point de vue du capitalisme est qu’il n’y a pas de “marché”. C’est la conséquence du contrecoup massif de la dette, et de l’arrivée de la déflation.

    Le magazine The Economist commentait : ‘‘D’ici 2020, il y aura 900.000 milliards de dollars d’actifs financiers dans le monde, comparé à 90.000 milliards de dollars de PIB mondial. Le résultat de tout ceci sera une économie mondiale inondée de manière structurelle par des capitaux et du même coup, un manque d’autant plus grand de créneaux dans lesquels investir.’’

    C’est là l’explication de la vague de privatisations mondiale : les capitalistes cherchent à faire des profits sur le dos d’anciens services ou industries étatiques. Cela va produire une catastrophe sociale. Mais les capitalistes espèrent ainsi trouver un débouché à tous les capitaux qu’ils ont accumulés, ce qui inclut près de 2000 milliards de dollars détenus par des banques américaines qui ne paient aucune taxe.

    Peter a conclu en disant que nous sommes dans une période de longue crise prolongée. Cette crise va à son tour mener à une intensification des conflits entre puissances capitalistes pour la domination du globe, surtout au Moyen-Orient, en Asie-Pacifique, et en Afrique.

    Des vagues de mouvements révolutionnaires radicalisés

    Au cours de cette nouvelle période, nous allons voir vague après vague de mouvements révolutionnaires radicalisés. Des dizaines de milliers de travailleurs avancés et des millions de gens issus des masses sont en train de méditer et d’apprendre les leçons du Brésil, de la Turquie, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    Cependant, leur compréhension politique est toujours à un point historiquement bas, en raison de toute une série de facteurs, y compris les effets rémanents de l’effondrement du stalinisme et la rapide plongée dans la crise qui a stupéfait la classe ouvrière. La camarade Didi du Brésil a expliqué la manière dont les dirigeants ouvriers ont aidé à semer la confusion : en 1992, ils avaient dirigé des mouvements contre le gouvernement, ce qui avait mené à sa chute, mais cette année, ils n’ont fait que semer la confusion à cause du manque de direction. Mais les capitalistes eux-mêmes comprennent le caractère de cette crise, et certains d’entre eux sont très clairs sur le fait qu’ils craignent une révolution, et en particulier une révolution socialiste.

    Ils vont tout faire pour détourner les mouvements ou les empêcher de prendre un tour révolutionnaire. Le camarade Robert Bechert du Secrétariat international, dans sa conclusion de la discussion, a commenté le fait que certains “experts” comparent ces mouvements aux mouvements révolutionnaires de 1848 ou de 1968, mais font tous les efforts possibles pour éviter toute comparaison avec 1917 et avec la période révolutionnaire qui a suivi la Première Guerre mondiale ! Les mouvements de masse de l’année passée étaient il est vrai impressionnants, mais les marxistes ne doivent pas se laisser “intoxiquer” par les premiers succès, mais juger sobrement quel programme et quelle stratégie sont nécessaires afin de garantir le fait que la classe ouvrière et les pauvres pourront atteindre leurs objectifs.

    Peter a dit que les capitalistes n’ont pas tenu compte des marxistes, mais qu’une petite poignée de marxistes dans un pays comme l’Afrique du Sud est parfois tout ce qu’il faut pour déclencher une transformation de masse.

    Il y a du scepticisme et de l’opposition de la part de la nouvelle génération à l’idée de “partis” en général, qui sont identifiés aux partis pro-capitalistes, à leur politique et à leur énorme corruption. Les camarades Andros de Grèce, et Kevin d’Irlande ont expliqué à quel point les travailleurs veulent se battre contre l’austérité, mais en même temps sont toujours ahuris par la période précédente et par leur faible niveau de compréhension, ce qui agit partiellement comme un frein à l’idée de la lutte.

    Andros en particulier, a montré qu’il y a eu des explosions sociales très importantes en Grèce, mais que le manque de direction ne nous a jusqu’ici infligé que des défaites dans la bataille contre l’austérité. La direction de Syriza (la coalition de gauche radicale qui a failli remporter les élections l’année passée) est en train de virer très à droite. Mais il est possible que de nouveaux dirigeants, y compris des marxistes, se voient propulsés à l’avant de la scène par le mouvement au cours de la période à venir.

    Les dernières remarques de Peter ont fait état de la volatilité de la situation politique, qui a suscité de nouvelles campagnes et organisations, comme le mouvement Occupy, les Indignados en Espagne, le mouvement Cinq Étoiles en Italie,… Dès que les masses voient un instrument pour se battre pour leurs propres intérêts – surtout à une échelle de masse – et qui est incorruptible, elles accourent se ranger sous sa bannière. Dans quelques années, en regardant en arrière, il aura été clair que l’impasse actuelle n’aura été qu’une phase transitoire.

    De nouvelles formations de masses vont inévitablement apparaitre, étant donné le chemin qui reste à parcourir à la classe ouvrière. Ces formations mèneront à la création de partis révolutionnaires de masse.

    Nos tâches à présent sont de construire le Comité pour une Internationale Ouvrière et de nous préparer tous ensemble, avec la classe ouvrière, à jeter les fondations de nouveaux partis révolutionnaires de masse et d’une Internationale de masse.

  • Turquie : Retour sur le soulèvement massif contre le régime autoritaire

    Tout a commencé avec le tantième projet destiné à ruiner l’espace public au profit de projets immobiliers. Le mouvement s’est rapidement développé pour impliquer plusieurs centaines de milliers de personnes scandant : ‘‘Tayyip Istifa !’ ’ (Tayyip, dédage !) Ces dernières années, l’impérialisme occidental a tenté de présenter la Turquie comme l’exemple à suivre pour la Tunisie et l’Egypte. Mais, en dépit des différences qui existent entre les différents mouvements de masse, le transfert s’est effectué en sens inverse ! Un dossier du député européen Paul Murphy (élu de notre parti-frère irlandais) et de Tanja Niemeier publié dans l’édition d’été de Lutte Socialiste.

    Istanbul : Témoignage d’une ville en révolte

    La Place Taksim est devenu un lieu renommé depuis l’énorme soulèvement contre le gouvernement de Tayyip Erdogan commencé le 31 mai. Nous nous y sommes rendus début juin et avons discuté avec beaucoup de jeunes militants et membres d’organisations et de gauche. Parmi eux, le Secrétaire International du syndicat DISK, Kivanc Eliacik, un membre du Parlement de l’aile gauche kurde, Sebahat Tuncel (BDP), ainsi que le co-président du parti ODP, Bilge Seckin Centinkaya. Nous avons également assisté à l’énorme violence policière exercée contre les manifestations à l’aide d’autopompes, de gaz lacrymogènes et de grenades incapacitantes.

    La confiance en soi, l’optimisme, la détermination et le dynamisme de ceux qui occupaient le parc Gezi, principalement des jeunes, ont été contagieux. Malgré la violence policière, ils ont temporairement réussi à faire reculer la police lors de la deuxième journée de manifestation. Quand nous y étions, ils savouraient avec raison cette victoire. De jeunes manifestants nous ont fièrement conduits aux environs du parc Gezi et de la place Taksim, nous montrant les nombreuses barricades faites de voitures de police et de matériaux de construction destinées à protéger la place d’une potentielle nouvelle attaque. En très peu de temps, ils ont appris comment minimiser les effets des gaz lacrymogènes. Des masques à gaz se sont répandus en même temps que des brochures expliquant comment mélanger des liquides de base pour neutraliser les gaz lacrymogènes.

    Le degré d’auto-organisation dans le camp était frappant. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur les lieux et plus d’un millier de personnes y campaient jour et nuit. Prendre le contrôle d’un large espace public pose inévitablement de nombreux problèmes avant tout organisationnel – distribution de nourriture, d’eau, de matériel de premiers soins, établissement des règles du camp – mais qui ont de profondes implications politiques. La gamme de services offerts aux manifestants était impressionnante. En plus de la distribution gratuite de nourriture et d’eau et de l’organisation du nettoyage régulier, il y avait une section de premiers soins et même une crèche. Un principe établi dans le parc Gezi était que rien ne devait être acheté ou vendu. Les bénévoles acceptent seulement qu’on leur donne ce qu’ils allaient ensuite à leur tour donner aux manifestants.

    Des syndicalistes de gauche du KESK (secteur publique) et du DISK (secteur privé) et des militants de partis et d’organisation de gauche ont accompagné les jeunes manifestants souvent inexpérimentés (une enquête a indiqué que 57% des manifestants l’étaient pour la première fois de leur vie). L’expérience de ces militants est vaste compte tenu de l’oppression structurelle et systématique de la démocratie et des droits des travailleurs en Turquie, qui a encore récemment augmenté sous le gouvernement néolibéral et anti-travailleurs d’Erdogan. Avec les attaques du régime d’Erdogan, tout ceci est désormais menacé. Erdogan est confronté à une résistance extrêmement déterminée. Ayant senti leur pouvoir, la classe ouvrière turque et les jeunes n’abandonneront pas leur contrôle des espaces publics sans se battre. Quand nous étions sur place, beaucoup étudiaient activement les leçons des révolutions égyptienne et tunisienne, cherchant à éviter les échecs connus là-bas.

    Ce n’est qu’un début

    Le régime Erdogan se bat pour sa survie contre un soulèvement de larges sections de la population et a opté pour une répression plutôt que pour des concessions pour tenter de l’écraser. Les espoirs antérieurs d’une victoire facile et l’euphorie au parc Gezi ont été écrasés par les matraques, les autopompes et les gaz lacrymogènes. Le discours d’Erdogan est de son côté de plus en plus agressif.

    Le mouvement doit avoir une grande discussion sur les revendications et la stratégie à mettre en place pour tenter de renverser Erdogan. Une défaite serait synonyme de représailles et d’une répression massive contre les manifestants.

    Il est désormais évident que les cinq revendications de Taksim Solidarité – (1) non au projet de construction dans le parc Gezi ; (2) le retrait des chefs de police et du Ministre de l’Intérieur impliqués dans la brutale répression policière; (3) l’interdiction de l’utilisation des gaz lacrymogènes; (4) aucune restriction sur la possibilité de manifester dans les espaces publics; (5) la libération de tous ceux qui ont été arrêtés durant les manifestations – ne sont plus suffisantes pour faire face à la situation. Même si ces revendications se sont révélées être une base sur laquelle un mouvement très large a pu se développer, elles ne répondent pas aux questions posées par les développements actuels : comment défendre les manifestants contre les violentes attaques ? Comment renverser le gouvernement Erdogan ? Par quoi le remplacer ?

    Le mouvement doit tenter de saper le soutien qu’Erdogan a encore parmi des secteurs importants de la population, en expliquant le principe du ‘‘diviser pour régner’’ caché derrière ses appels aux valeurs islamiques conservatrices. Il faut expliquer que ses politiques économiques ne conduisent qu’à l’augmentation de la pauvreté (déjà massive), à la répression des droits syndicaux et au développement des inégalités.

    Il est vital de développer davantage l’organisation du mouvement. Une lacune criante, contrairement aux occupations de places en Grèce et en Espagne en 2011, est l’absence d’assemblées décisionnelles populaires de masses. Des rassemblements prennent régulièrement place, mais ceux-ci sont principalement organisés par des groupes limités et n’ont pas de pouvoir décisionnel. Les personnes qui n’appartiennent à aucune des organisations politiques – la majorité des manifestants – sont donc un peu exclus du processus de prise de décision. La création d’assemblées populaires dans les différentes villes et leur coordination démocratique au niveau du pays grâce à une conférence nationale du mouvement est désormais une question cruciale. L’auto-organisation n’est pas seulement un moyen d’organiser la résistance, cela pose également les premiers jalons vers la façon dont un gouvernement alternatif des travailleurs et des pauvres pourrait être organisé.

    Les partis et les syndicats de gauche ont un rôle primordial à jouer dans ce mouvement. Ils ont déjà subi cette répression massive et les leçons qu’ils en ont tirées doivent servir à développer des propositions concrètes et une orientation claire. Les syndicats de gauche devraient discuter de la façon de mobiliser les travailleurs et les jeunes. Les dirigeants des fédérations syndicales ont montré une grande réticence dans le soutien aux manifestations. Leurs membres sont toutefois eux aussi affectés par les politiques néolibérales et antisociales du gouvernement. Ce ne sera pas une tâche facile au vu de la nature des directions syndicales, mais c’est une question vitale pour développer la lutte et ne pas céder face à Erdogan et à l’AKP.

    Les expériences du mouvement ouvrier doivent être rassemblées au travers de la création d’un nouveau parti des travailleurs qui regroupe les différentes tendances existantes, y compris les forces impliquées dans le HDK (‘‘Congrès démocratique du peuple’’, coalition électorale de gauche). Dans un tel parti, les différents groupes pourraient défendre leurs propres points de vue, mais nous pensons que seul un programme de rupture avec la dictature des marchés – un programme socialiste – peut conduire à une réelle alternative au gouvernement actuel. Le régime a tenté de stopper le mouvement avec une proposition de référendum sur l’avenir du parc Gezi. Le mouvement a cependant depuis longtemps cessé d’être limité à cette seule question pour aborder le fait que la croissance économique ne profite qu’à une minorité, pour s’opposer au programme de privatisation, à la répression contre les travailleurs et la population kurde,…

    La police a pu reprendre la place Taksim le 11 juin. Selon Amnesty International, il y a eu un millier de blessé uniquement autour de cette date. Il y a également eu 5 morts et il est impossible de contacter 70 des centaines de manifestants arrêtés. Des avocats désireux d’offrir une assistance juridique aux manifestants ont été eux aussi arrêtés, des médecins ont été empêchés de soigner des blessés et Hayat TV, l’une des rares chaînes à avoir parlé des mobilisations anti-gouvernementales, a quasiment été fermée.

    La violence a conduit à une grève générale. Le mouvement a ensuite semblé être quelque peu en recul. Mais la Turquie n’est plus la même après ces intenses semaines de lutte. La lutte pour un meilleur avenir se poursuivra. Les syndicalistes et militants de gauche doivent continuer à suivre l’évolution de la situation en Turquie, même lorsque les médias dominants en parleront moins. Le danger de représailles de la part des autorités est énorme, en particulier contre les syndicalistes et les militants de gauche.

  • Luxembourg : les sévices secrets font chuter le gouvernement

    Depuis longtemps, la vie politique luxembourgeoise ressemblait à un long fleuve tranquille. Mais ça c’était avant. Avant que les services secrets luxembourgeois ne se prennent les pieds dans leurs fichiers et que la presse, sortant de sa torpeur habituelle, n’étale les pratiques douteuses des barbouzes et leurs relations troubles avec une partie de la classe politique.

    Par Jean L. (Luxembourg)

    Tout est parti d’une conversation entre Jean-Claude Juncker et le chef des services de renseignement, enregistrée sur un CD… Puis ce fut une cascade de révélation sur le fonctionnement étrange d’un service que personne ne contrôlait vraiment mais qui avait constitué des fiches sur des (dizaines de ?) milliers de citoyens luxembourgeois. Une commission d’enquête parlementaire fut chargée de faire la lumière sur le SREL (Service de Renseignement luxembourgeois) afin d’identifier les responsables des dysfonctionnements.

    En même temps, le procès du « Bommeleeër » démarrait. Il s’agissait de faire la lumière sur une série d’attentats à la bombe qui avait secoué le pays dans les années ’80. C’était la fin de la « Guerre froide » et des réseaux « Stay Behind » avaient été constitués dans plusieurs pays afin de « se préparer à l’éventualité d’une invasion soviétique ». Des exercices paramilitaires secrets étaient organisés. L’hypothèse selon laquelle « Stay Behind » était derrière l’affaire « Bommeleeër » a refait surface, alors que la piste avait été évoquée naguère au sein du SREL lui-même, sans déboucher sur une enquête sérieuse. Me Vogel, ténor du barreau et avocat des accusés dans l’affaire « Bommeleeër » s’en est offusqué publiquement, réclamant qu’une nouvelle enquête soit menée, pour savoir finalement si l’Etat « avait mené lui-même des actions terroristes ».

    Au fil des conjectures, les 2 affaires (SREL et Bommeleeër) se sont finalement téléscopées dans une avalanche de révélations rocambolesques. En outre, il apparaissait que Luc Frieden, ex-ministre de la Justice, avait à l’époque fait pression sur la Justice à propos de l’affaire Bommëleer.

    La situation devenait intenable pour le gouvernement et c’est le partenaire socialiste de la coalition qui a débranché la prise. Fidèle à ses habitudes, Jean-Claude Juncker a plaidé « responsable mais pas coupable », jurant… qu’il avait bien l’intention de briguer à nouveau le poste de 1er ministre. Le tout sur fond de crise institutionnelle à propos de la chute du gouvernement, Juncker refusant dans un premier temps de remettre sa démission au Grand-Duc.

    Un boulevard pour la droite…

    A l’heure où nous écrivons ces lignes, une certaine confusion régnait encore sur la suite des événements. Mais des élections anticipées apparaissent inévitables, sans doute déjà en octobre. Et malgré une sanction très probable, le CSV (parti de Jean-Claude Juncker, social-chrétien) est toujours crédité d’une avance confortable sur les autres partis. Il est également probable que la droite récolte les dividendes de sa cure d’opposition, ce qui ouvrirait la voie d’un gouvernement de centre droit après les élections, d’autant plus que le CSV sera enclin à sanctionner les socialistes pour leur « trahison ». Ces derniers pourraient également tenter une coalition avec la droite et les verts. Mais dans les deux cas, il ne faut pas s’attendre à un virage à gauche.

    Les travailleurs feraient-ils alors les frais de ce « Lux-leaks » ? Ce serait un comble. Et ce serait sans compter sans le potentiel de la gauche radicale pour capitaliser à la fois sur les turpitudes des partis bourgeois et sur la grogne sociale qui commence à se faire entendre. Il faut rappeler que pendant que les scandales éclataient, le chômage battait chaque mois de nouveaux records. Et les dossiers sociaux tendus, s’accumulaient : enseignement, retraites, conventions collectives…

    Déi Lenk (La Gauche, petit parti à gauche du PS) a su se profiler durant cette période troublée en dénonçant les menaces graves que le SREL faisait peser sur la démocratie, et notamment sur les droits syndicaux (la surveillance rapprochée de militants politiques, associatifs et de certaines délégations syndicales s’était révélée). Alors que tous les partis débattaient de la meilleure ( ?) façon de réformer le SREL, Déi Lenk demandait purement et simplement sa suppression. Les services secrets sont incompatibles avec la démocratie. Point.

    … et une ouverture à gauche

    Déi Lenk a su également ramener le débat sur le terrain social, afin de rappeler que la population aimerait peut-être savoir qui a posé des bombes il y a 25 ans, mais voudrait davantage savoir qui détruit les emplois depuis quelques années et surtout qui pourra les reconstruire.

    Déi Lenk dispose actuellement d’un député à la Chambre. Cela lui a permis de faire entendre régulièrement une voix différente sur les scandales en cours et de mener des campagnes en phase avec les préoccupations des travailleurs. Le principal syndicat (OGBL, socialiste) voit plutôt d’un bon œil l’émergence de ce petit parti de gauche. La possibilité d’avoir 2 ou 3 élus à l’issue des élections n’est pas hors d’atteinte. Cela constituerait un énorme pas en avant au Luxembourg, où le niveau des luttes sociales est relativement faible ces dernières décennies. Le patronat avait acheté la paix sociale grâce à l’abondance des ressources venant de la place financière. Mais avec la crise qui a éclaté en 2008, la situation s’est nettement détériorée. Et la fin du secret bancaire en 2015 ne va rien arranger. Le « modèle luxembourgeois » est mort. Et personne n’a de plan B.

    L’actualité internationale nous a clairement montré que les services secrets sont incompatibles avec la démocratie. Mais le capitalisme a un besoin vital de ses services d’espionnage et de renseignement. Il faut en tirer toutes les conclusions, au Luxembourg aussi. Seul un mouvement social puissant pourra faire avancer une alternative en rupture avec le capitalisme. La progression de la gauche radicale serait un premier pas très positif dans ce sens, à condition d’en faire un levier pour construire les luttes sociales indispensables. Le CIO (Comité pour une Internationale ouvrière), présent au Luxembourg, soutient Déi Lenk dans cette perspective.

    « Et gëtt héich Zaït ! » (Il est grand temps !) : c’était le slogan de la campagne électorale de Déi Lenk en 2009. Il est toujours d’actualité.

  • France : L’interdiction des groupuscules néo-nazis est insuffisante pour les stopper

    A la suite de l’assassinat du jeune militant antifasciste Clément Méric le 25 juin dernier à Paris, le conseil des ministres a officiellement dissous les groupes d’extrême droite ‘‘Troisième Voie’’ et ‘‘Jeunesses Nationalistes révolutionnaires’’ ainsi que l’association ‘‘Envie de rêver’’ ce mercredi 10 juillet. Leur chef de file, Serge Ayoub, avait cependant déjà annoncé leur autodissolution. S’il sera dorénavant plus difficile de s’organiser pour Serge Ayoub & Co, le terreau sur lequel peut se développer la violence fasciste reste bel et bien présent.

    Le meurtre de ce jeune militant antifasciste n’était pas le premier cas de violence fasciste en France. Ces derniers temps, les néonazis se sont sentis encouragés par les grandes manifestations réactionnaires contre le mariage homosexuel et par la nouvelle croissance du Front National dans les sondages. Cela a conduit à une série d’incidents violents, l’assassinat de Clément Méric en constituant le point d’orgue.

    La réponse des partis de l’establishment face à cette violence s’est limitée à lancer une procédure de dissolution des ‘‘Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires’’ (JNR), dont était membre le meurtrier présumé de Clément Méric. Les JNR constituaient le service d’ordre du mouvement ‘‘Troisième Voie’’, contre lequel avait également été lancé une procédure d’interdiction. Enfin, l’association ‘‘Envie de rêver’’, l’association exploitant le local du mouvement ‘‘Troisième Voie’’ a subi le même sort. Ces interdictions sont basées sur une loi datant de 1936 interdisant les milices privées, une mesure qui avait été prise à l’époque contre les milices fascistes. Ce n’est pas la première fois que des groupes d’extrême-droite sont interdits en France. Au cours de ces 77 dernières années, pas moins de 49 milices d’extrême-droite ont été interdites. Cette loi a par ailleurs également été utilisée contre des mouvements de la gauche radicale ou régionalistes.

    Qui est Serge Ayoub ?

    Le leader de ‘‘Troisième Voie’’, Serge Ayoub, n’est en aucun cas une figure irréprochable. Ayoub, alias ‘‘Batskin’’ (en raison de sa préférence pour les battes de baseball dans les confrontations avec ses opposants), est actif depuis le début des années ’80, notamment sur la scène rock néonazie. C’est à cette même période qu’a commencé à se développer le Front National, sous la direction de Jean-Marie Le Pen, et Serge Ayoub s’est impliqué dans les campagnes du FN. Parallèlement, on l’a retrouvé auprès de hooligans, et c’est sur cette base qu’il a constitué son propre groupe, les ‘‘Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires’’ (JNR), à la fin des années ’80. Ce groupuscule a travaillé un moment au sein du mouvement ‘‘Troisième Voie’’ (qui sera dissout en 1992 et relancé en 2010 sous l’impulsion de Serge Ayoub) et même avec le GUD (Groupe Union Défense, organisation étudiante d’extrême-droite). Ce dernier groupe, qui avait lancé ‘‘Unité Radicale’’ en 1998, a été dissous en 2002 après qu’un de ses membres ait tenté d’assassiner Jacques Chirac, à l’époque président français. Ce groupe a toutefois poursuivit ses activités et a fait son retour sur la scène publique en 2009.

    Au début des années ‘90, le Front National ne rechignait pas à faire appel aux forces plus ouvertement néonazies comme les JNR, le GUD et autres. Tout en refusant d’endosser toute la responsabilité des actions de ces groupuscules, le FN leur a offert un espace pour développer leurs activités. En 1995, l’ancien dirigeant du FN Carl Lang (qui a depuis lors fondé le Parti de la France, PDF) avait même offert un emploi à Ayoub en tant que permanent du parti, ce que ce dernier a finalement refusé parce que le service d’ordre du FN aurait livré à la police les noms et adresses des skinheads néonazis suspectés d’avoir assassiné un immigré lors du défilé du 1er mai 1995 du FN.

    Dans la seconde moitié des années ’90, Serge Ayoub a connu beaucoup de problèmes qui avaient bien moins à faire avec la politique. Il a ainsi été arrêté en mars 1997 pour possession et trafic de stupéfiants. Après quelques temps en prison, il a disparu à l’étranger pour rentrer en France au milieu des années 2000. Il a alors ouvert un bar et a tenté de récupérer ses anciens contacts. Des rumeurs disent que son séjour à l’étranger avait été décidé dans le cadre d’un accord avec la police.

    C’est autour de son café parisien qu’il a finalement redonné une nouvelle vie aux JNR et à ‘‘Troisième Voie’’ en 2010. Afin de sortir du pur cadre parisien, il a cherché à nouer contacts avec des nationalistes régionalistes, avec un succès cependant modéré. Au début de cette année, une manifestation nationaliste ‘‘contre l’impérialisme’’ à l’initiative de Serge Ayoub avait réuni quelques centaines de manifestants, avec parmi eux une délégation belge du groupuscule francophone Nation et du groupuscule néerlandophone des Autonome Nationalisten (nationalistes autonomes). Serge Ayoub est quant à lui venu à Bruxelles pour participer au défilé du 1er mai de Nation.

    Interdiction des JNR et de ‘‘Troisième Voie’’

    L’interdiction des JNR et de ‘‘Troisième Voie’’ survenue cette semaine est la conséquence directe de l’assassinat de Clément Méric. Serge Ayoub avait lui-même décidé d’annoncer fin juin l’autodissolution de ces deux organisations. Maintenant que l’interdiction a été officiellement prononcée, il a décidé de se pourvoir en appel. La fermeture du local de ces néonazis à Paris entraînera sans aucun doute quelques problèmes pratiques pour l’organisation groupée autour d’Ayoub.

    S’il y a bien quelque chose que démontre l’actualité récente des groupuscules néonazis français, c’est que des mesures d’interdiction sont insuffisantes pour briser leur activité. De nombreux groupes ont déjà été interdits sans que la violence néofasciste ne disparaisse pour autant. Pour peu que l’extrême-droite ‘‘officielle’’ passe à l’offensive – dans le cas des succès électoraux du FN ou des mobilisations réactionnaires contre le mariage homosexuel – les franches les plus radicales en profitent aussi pour se renforcer et pousser de l’avant leur violence.

    Interdire ces groupes peut rendre plus difficile aux néonazis de s’organiser, mais cela ne change rien au terreau sur lequel ils peuvent se développer. Une société caractérisée par la crise et la dégradation sociale qui y est associée offre un espace d’intervention pour les groupes néonazis violents, qui essayent d’instrumenter la colère et le mécontentement en l’orientant non pas vers les véritables responsables de la crise et de l’austérité, mais vers des boucs-émissaires. En cas de poursuite de la casse sociale, ils peuvent même disposer d’un certain soutien dans la population (il suffit de penser à Aube Dorée en Grèce). S’en prendre aux raisons qui expliquent ce soutien signifie de construire une force capable de lutter efficacement contre le système de crise qu’est le capitalisme et pour une alternative.

    Le premier test concernant ces mesures d’interdiction ne sera pas long à venir : une manifestation est annoncée à Paris le 14 septembre prochain contre ‘‘la répression socialiste’’. Cet événement est officiellement destiné à soutenir Esteban Morillo, le militant des JNR suspecté d’avoir tué Clément Méric et est à l’initiative d’un ‘‘collectif pour la défense des libertés publiques’’. Il s’agit très clairement d’une tentative visant à continuer à organiser les troupes néonazies de Serge Ayoub. Cette manifestation pourra-t-elle avoir lieu sans entraîner une forte mobilisation pour une contre-manifestation ?

    Il faut aussi se demander ce qui va se produire avec les alliés d’Ayoub & Co dans notre pays. Le groupuscule Nation collabore très explicitement avec le mouvement construit autour de la figure d’Ayoub et était notamment particulièrement fier de pouvoir dire que le ‘‘leader’’ français avait participé au défilé marginal organisé par le mouvement le 1er mai. Nation, et d’autres, continuent d’ailleurs de défendre Ayoub et son groupe et essayent de parler de cette violence meurtrière de manière positive, ou au moins de la minimiser.

    Contre des groupuscules comme Nation, la vigilance est nécessaire. Leurs alliés français ont clairement démontré qu’ils n’hésitaient pas à recourir à la violence contre leurs opposants. Leurs alliés grecs illustrent qu’une crise profonde peut leur fournir un certain soutien social. A nous d’éviter que des gens puissent se tromper de colère en menant une lutte résolue contre le capitalisme et en construisant une résistance collective de toutes les victimes du système – jeunes, aînés, hommes, femmes, travailleurs de toutes origines et de toutes langues,… – contre les responsables de la crise. Le problème, c’est le banquier, pas l’immigré !

    • Dossier sur Serge Ayoub
  • Grèce : Organisation de comités antifascistes contre le danger de la bête immonde

    Saluts romains, drapeaux rouges à croix noire, propagande raciste, troupes de choc dans les rues, agressions contre les immigrés, saccages de locaux des partis de gauche, attaques contre des piquets de grèves,… La crise du capitalisme, que la Grèce affronte de plein fouet, fait ressurgir un mal que certains considéraient comme condamné à la marginalité depuis 1945.

    Par Pablo (Bruxelles)

    Mais le terreau sur lequel cette bête immonde peut se développer est bien présent, et il est fertile. Les plans d’austérité sauvages imposés par la troïka (BCE, FMI et Commission européenne) et le gouvernement grec, en plus d’être inefficaces, sont dévastateurs pour la population. Les données concernant le chômage (qui frappe 60% des jeunes), les suicides, les homicides et la prostitution atteignent des sommets tandis que l’espérance de vie diminue. On trouve même de nombreux cas de sous-nutrition dans les écoles. Fait extraordinaire, l’exode rural s’inverse, un phénomène de retour à la campagne est en pleine croissance. La société grecque est littéralement rejetée en arrière dans le temps.

    C’est sur base de cette misère sociale et de la colère que le parti néonazi Aube Dorée parvient à se construire, en instrumentalisant le mécontentement pour qu’il devienne haine. Pêle-mêle, ces néofascistes dénoncent les immigrés, la gauche et l’austérité. Dans le cas des deux premiers, les passages à tabac et les agressions sont une réalité quotidienne. Mais pour ce qui est de l’austérité, par contre, jamais un politicien capitaliste ou un financier n’a été inquiété. Dans les faits, Aube Dorée soutient et protège les capitalistes grecs tout en masquant cet aspect par des actions de charité destinées aux pauvres… grecs, évidemment. Cela leur permet de gagner une certaine sympathie parmi les couches paupérisées sans cesse plus nombreuses.

    Mais la résistance s’organise, notamment autour de comités antifascistes implantés dans les quartiers populaires. Les antifascistes y développent un programme et une méthode contre les néofascistes et l’austérité. Il ne s’agit pas d’aller casser les vitrines des locaux d’Aube Dorée, qui seront remplacé de toute manière le lendemain, mais d’organiser les habitants des quartiers – grecs et immigrés – pour se défendre face aux violences néofascistes. Des bourses aux vêtements et aux médicaments, des collectes alimentaires, etc. sont aussi organisée avec la population pour répondre à la misère sociale et impliquer activement les quartiers dans la solidarité (une approche opposée à la charité d’Aube Dorée qui vise avant tout à construire une dépendance).

    Quant au programme, il est axé autour de la lutte contre l’austérité, ses conséquences et ses origines capitalistes, ces mêmes racines qui poussent à l’émigration – en Grèce et ailleurs – pour fuir la misère. Tous les travailleurs, qu’ils soient grecs ou immigrés, ont des intérêts communs à défendre et un combat commun à mener. La lutte contre l’austérité et la menace du fascisme nécessite obligatoirement de renverser ce système pourri et de le remplacer par une société socialiste démocratique.

    Contribuez à ce combat antifasciste en effectuant une donation sur le compte n° 001-2282409-75 de notre campagne antifasciste Résistance Internationale avec pour mention : ‘‘Grèce’’.

  • Portugal : Le gouvernement s’effondre sous nos yeux – Pour un front unique de la gauche vers la constitution d’un gouvernement des travailleurs !

    Le gouvernement portugais est sur le point de s’effondrer. A la suite de la colossale grève générale du 27 juin dernier (la 5ème grève générale en 3 ans), deux ministres de premier plan ont démissionné (Vitor Gaspar, le ministre des Finances responsable des budgets d’austérité de la coalition et Paolo Portas, ministre des Affaires étrangères et chef du petit parti de la coalition, le parti chrétien-démocrate Centre démocratique et social – Parti populaire CDS – PP). Le gouvernement est au bord de l’implosion. Tous les ministres du CDS-PP ont annoncé leur démission et des pourparlers d’urgence ont été entamés pour assurer la survie de cette fragile coalition. Les partis pro-capitalistes sont sous une énorme pression, la Bourse portugaise a plongé et les taux d’intérêt des obligations d’Etat sont à nouveau au-delà des 10%.

    Déclaration de Socialismo Revolucionario (CIO-Portugal)

    Il se pourrait qu’une ‘‘solution de palais’’ soit trouvée, à partir du palais présidentiel, pour tenter de mettre en place un gouvernement d’unité nationale avec le PS (le parti soi-disant socialiste), sans même convoquer de nouvelles élections. Le PS est actuellement en tête des sondages, mais Socialismo Revolucionario (SR, section portugaise du Comité pour une Internationale Ouvrière et organisation-sœur du PSL) avertit que ce prétendu parti "socialiste" représente lui aussi très clairement les intérêts des capitalistes. Il a approuvé le Mémorandum de la Troïka et défend des intérêts de classe identiques à ceux du gouvernement actuel. A l’instar du reste de la social-démocratie internationale, le PS est un parti qui n’a de socialiste que le nom et qui applique docilement une politique pro-capitaliste et néolibérale. Tout en appelant à la tenue de nouvelles élections, le chef du Partido Socialista, Seguro, a d’ailleurs à nouveau rassuré le patronat et la Troïka en déclarant qu’il respectera les accords conclus avec cette dernière.

    Le PCP (Parti Communiste Portugais) a de nouveau organisé un rassemblement le 3 juillet, à Lisbonne, et à la CGTP (la confédération syndicale) appelle à un rassemblement au Palais présidentiel à Belem pour exiger la chute du gouvernement. En intervenant dans les actions de protestation et les manifestations tenues ces derniers jours, Socialismo Revolucionario appelle les syndicats et les mouvements sociaux à organiser immédiatement une nouvelle grève générale pour faire tomber ce gouvernement et ne pas permettre un simple remaniement ministériel entre politiciens pro-capitalistes.

    Socialismo Revolucionario exige donc la tenue de nouvelles élections, tout en soulignant la nécessité d’organiser des assemblées sur tous les lieux de travail et dans les quartiers afin de construire des comités de lutte reliés ensemble à tous les niveaux pour rassembler les militants, les travailleurs, les chômeurs et les jeunes afin de débattre d’un programme de riposte socialiste face à la misère et à l’austérité du capitalisme.

    Cela pourrait constituer la base active d’un front unissant le Parti communiste, le Bloc de Gauche, les syndicats et les mouvements sociaux. Ces assemblées et ces comités élus démocratiquement sont nécessaires pour construire un soutien et une base actifs pour la constitution d’un gouvernement orienté vers la satisfaction des intérêts de la classe des travailleurs et des pauvres. Pour nos camarades de Socialismo Revolucionario, le mouvement social et la gauche – en particulier le PCP et le Bloc de Gauche – doivent défendre des mesures politiques clairement socialistes révolutionnaires, seules mesures capables de gagner le soutien des masses pour mettre fin à la crise capitaliste.

    Nous publions ci-dessous une brève déclaration de Socialismo Revolucionario concernant les tâches de la gauche dans cette conjoncture.


    Le rôle de la gauche alors que le gouvernement s’effondre sous nos yeux

    Pour un front unique de la gauche et la lutte pour une alternative des travailleurs et de la jeunesse !

    Le Parti communiste, le Bloc de Gauche, les syndicats et les mouvements sociaux doivent s’unir sur base d’un programme minimum de mesures socialistes pour mettre un terme à l’austérité et combattre la crise mondiale du capitalisme.

    Vítor Gaspar (ministre des Finances) et Paulo Portas (Ministre des Affaires étrangères et dirigeant du CDS-PP) n’ont pas pu mettre en œuvre les politiques d’austérité exigées à tous prix par le capitalisme national et international sous couvert de la Troïka. La lutte des travailleurs et des masses brutalement frappés par ces politiques, les obstacles constitutionnels et l’instabilité interne à la coalition gouvernementale (due à la perte de soutien électoral) ont conduit à la démission de Vítor Gaspar, immédiatement suivie par celle de Paulo Portas en raison d’un prétendu désaccord concernant la nomination de Maria Luísa Albuquerque (Secrétaire d’Etat impliquée dans le jeu spéculatif autour des entreprises publiques) au Bureau des finances. La réalité est que le coût politique de la poursuite du soutien au gouvernement serait trop lourd pour Portas et le CDS-PP dans la perspective des élections locales d’octobre. Il s’agit d’une nouvelle preuve de la complète désorientation de la classe dirigeante, incapable de trouver des solutions à la crise du capitalisme. Pourtant, en dépit de la démission de ce partenaire de la coalition gouvernementale, la chute de cette dernière n’est pas encore assurée. Il en va de même quant à la construction d’une véritable alternative à la politique d’austérité.

    Quel est le rôle de la gauche en ce moment?

    Nous pensons tout d’abord que la tâche qui attend la gauche (PCP, Bloc de Gauche, syndicats et mouvements sociaux) est de garantir la chute effective du gouvernement par l’action d’une mobilisation de masse.

    Nous ne pouvons pas tolérer que ce gouvernement survive un autre jour! Si le gouvernement ne démissionne pas, ou n’est pas démis par le Président de la République, une nouvelle grève générale doit être immédiatement convoquée, avec des manifestations de masse dans tout le pays autour des revendications de la chute du gouvernement et de l’organisation de nouvelles élections. Nous n’accepterons aucune "solution" de palais! En attendant, nous devons nous mobiliser immédiatement place Marquês de Pombal, à 21 heures (ce jeudi 4 juillet) autour de ces exigences.

    Que le gouvernement dégage! Que la Troïka dégage ! Pour un gouvernement des travailleurs!

    Deuxièmement, nous pensons qu’il est de la responsabilité de la gauche de présenter aux prochaines élections une véritable alternative à la politique de la Troïka qui se batte pour la prise du pouvoir. Le PCP et le Bloc de Gauche ont été systématiquement mis en avant dans les sondages à plus de 20% des intentions de vote, il est urgent de construire un front unique de la gauche, des syndicats et des mouvements sociaux autour d’un programme socialiste en riposte à la crise du capitalisme comprenant, par exemple, l’annulation de toutes les mesures d’austérité imposées par ce gouvernement et le précédent soi-disant ‘‘socialiste’’, le non-paiement de la dette publique, la nationalisation des secteurs clés de l’économie (banques, énergie, transports, industrie de la pêche, agriculture, etc.) sous le contrôle démocratique des travailleurs et de la population, afin de garantir que la production est orientée vers la satisfaction des besoins de la majorité et non au profit d’une minorité.

    Que le gouvernement et la Troïka dégagent ! Pour un front unique de la gauche qui se bat pour une aternative des travailleurs et des jeunes !

  • Après les aveux, changement de cap au FMI ? Hum hum…

    Le FMI admet s’être trompé

    Les ‘aveux’ des responsables du Fonds monétaire international (FMI) ont fait la une des médias du monde entier en juin dernier. Ils admettaient que leurs projections économiques concernant la Grèce avaient été trop optimistes (en termes de croissance et de réduction de la dette) et que le premier ‘plan de sauvetage’ (hum) accordé en 2010 par la Troïka en échange d’économies budgétaires drastiques s’était soldé par des “échecs notables”. Les centaines de milliers de victimes de la crise apprécieront.

    Par Stephane Delcros

    Le FMI en a même profité pour critiquer la Troïka, dans laquelle il serait difficile de négocier et de lire la réelle répartition des rôles entre les 3 organisations la composant : la Commission européenne, la Banque centrale européenne et, donc, le FMI. Les propos de l’institution tiennent visiblement surtout ici à mettre en avant que les institutions européennes n’avaient pas les ‘compétences’ pour mener une telle politique ‘d’aide’, contrairement à elle. Elle leur reproche de n’avoir pas accepté une restructuration de la dette grecque dès 2010. La Commission, bien sûr, a tout rejeté en bloc et défendu la politique de la Troïka. Les chômeurs grecs apprécieront à nouveau.

    Cela faisait plusieurs mois que le FMI, par la voix de certains de ses économistes, tentait de montrer qu’il remettait en cause la politique d’austérité. Dans une étude publiée en début d’année, son économiste en chef Olivier Blanchard reconnaissait que l’austérité était plus destructrice de croissance et d’emploi que prévu.

    La politique du FMI ne change pourtant pas. Dans une conférence de presse donnée le lendemain de la sortie médiatique des ‘aveux’, Gerri Rice, du département Communications du FMI, a rappelé que la Troïka avait bien fonctionné et fonctionnait toujours bien. Et que l’aveu d’échec concernait seulement le plan de 2010, et certainement pas celui de 2012. C’est donc dans ce cadre qu’il faut regarder les récentes visites de la Troïka en Grèce, venant vérifier la situation avant de décider si la Grèce a droit à un nouveau déblocage de plusieurs milliards d’euros d’aide. Vérifier la situation ? Vérifier en fait que la réforme de l’appareil d’Etat (lire: les coupes budgétaires et la diminution du nombre de fonctionnaires) et la libéralisation du secteur de l’énergie se poursuivent bien.

    On s’est trompé, mais pas de raison que ça change

    L’économiste Xavier Timbeau, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), nous avait déjà prévenus : “Il y a deux FMI, la tête et le corps. En Grèce, c’est lui le plus ferme sur l’austérité, encore plus que la Commission et que la BCE. Quoi que disent Blanchard ou Lagarde, sur le terrain, le Fonds applique le plan décidé entre le pays et ses créanciers.” (1)

    La décision du gouvernement grec de fermer la partie télévisuelle du groupe audiovisuel public (ERT) s’inscrivait d’ailleurs parfaitement dans la lignée de l’énorme pression budgétaire exercée par le FMI et les autres institutions défendant la classe capitaliste.

    Deux semaines seulement après avoir avoué s’être trompé concernant le plan d’austérité de 2010 en Grèce, le FMI a imposé à l’Espagne une deuxième réforme du marché du travail, après celle adoptée en février 2012, avec pour objectifs de baisser les salaires et de flexibiliser le marché du travail, soi-disant pour diminuer le chômage de masse (27%). Et l’institution va même plus loin dans l’hypocrisie en préconisant la poursuite de la cure d’austérité “mais à un rythme assoupli”. Cela va de soi. Dans les pays du monde néocolonial, principalement en Afrique et en Amérique latine, les politiques d’ajustement structurel du FMI continuent à ravager les populations à coup de privatisations et de limitations des dépenses budgétaires, notamment dans la santé et l’éducation.

    Alors, changement de cap ? On voit d’ici la scène : arrivant à un carrefour dans leur auto de luxe appelée FMI, le copilote Blanchard lit les injonctions des classes dominantes du monde entier et confirme le chemin à suivre au pilote Lagarde : “Keep it that way”.


    (1) Libération, “Oups, le FMI s’est trompé sur l’austérité”, 8 janvier 2013.

  • [DOSSIER] Turquie : Une ‘‘violence guerrière’’ pour écraser le mouvement – Leçons d’une lutte de masse

    ‘‘Violence guerrière’’, c’est ainsi que le comité ‘‘Solidarité Taksim’’, qui coordonne 127 groupes en opposition au Premier Ministre Erdogan, a décrit les actes de la police qui a pris d’assaut et nettoyé le Parc Gezi, près de la Place Taksim à Istanbul. Mais les nouvelles couches de travailleurs, de jeunes et de pauvres qui sont entrées en scène se sont promises : ‘‘ce n’est qu’un début, continuons le combat’’

    Kai Stein, CIO

    "Sur la place, un concert d’un artiste renommé était donné, avec des centaines de personnes et de familles, dans une ambiance festive. Tout à coup, la police est arrivée de toutes parts avec des canons à eau et du gaz lacrymogène’’, a raconté Martin Powell-Davis, un membre de l’exécutif du syndicat des enseignants britannique (NUT) et également du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles et parti-frère du PSL). Il faisait partie d’une délégation de syndicalistes qui s’était rendue au Parc Gezi en solidarité. Des milliers de personnes s’étaient pacifiquement réunies dans le coeur de la ville après plus de deux semaines de manifestations.

    La police, venue de tout le pays par bus, a violemment mis fin à l’occupation pacifique qui avait commencé le 31 mai dernier. Ils ont fait usage de balles en caoutchouc, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes ; ils ont même mené des attaques dans les hôtels autour de la Place Taksim qui étaient utilisés comme hôpitaux d’urgence et comme refuges. Erdogan s’est vanté plus tard d’avoir donné l’ordre d’attaquer.

    Ce mouvement de protestation de masse avait commencé en s’opposant à un projet immobilier qui nécessitait d’abattre les arbres d’un parc pour faire place à un centre commercial et à des baraquements militaires de style ottoman. La répression qui s’est abattue sur le mouvement avait déclenché un soulèvement de centaines de milliers de personnes à travers toute la Turquie. Des manifestations ont eu lieu tous les jours, avec des occupations de places et des actions locales. Les 4 et 5 juin, le KESK, la fédération syndicale du secteur public, avait appelé à une grève du secteur public contre la violence policière. Le 16 juin, une grève avait encore été lancée contre la brutalité policière pour vider l’occupation principale à Istanbul, cette fois également soutenue par le DSIK (la fédération syndicale de gauche, qui compte plus de 300.000 membres et est l’une des 4 principales fédérations), mais aussi par bon nombre de groupes professionnels représentant les médecins, les ingénieurs et les dentistes.

    Plus de deux semaines durant, la police anti-émeute a essayé de réduire les manifestants au silence. Le 15 juin, l’association des médecins turcs a rapporté que 5 personnes avaient été tuées, 7.478 blessées, dont 4 gravement ; dix personnes avaient perdu un oeil, touchées par les grenades lacrymogènes de la police.

    Le mouvement est sur le déclin

    Cependant, malgré la forte répression et les arrestations, la résistance est toujours présente. Les gens arrivent sur les places en manifestations silencieuses. Cela illustre la forte détermination des militants et le dégoût de la violence d’État.

    Ces nouvelles brutalités peuvent redonner un nouveau souffle aux manifestations. Il est très probable qu’une nouvelle période de l’histoire sociale du pays s’ouvre sur base des conclusions à tirer du mouvement. Sosyalist Alternatif (la section du CIO en Turquie) appelle les partis et les organisations de gauche et les syndicats de gauche à organiser des débats et des discussions au sujet des forces et des faiblesses du mouvement de contestation. Cela pourrait s’effectuer à l’aide d’un congrès national organisé à Istanbul et destiné à rassembler tous les militants pour construire un mouvement socialiste capable d’offrir une alternative basée sur les intérêts des travailleurs et des pauvres au régime autoritaire d’Erdogan.

    Une nouvelle génération entre en scène

    Ces 3 semaines de manifestations ont illustré l’ampleur des modifications qui se sont produites en Turquie au cours de cette dernière décennie. La croissance économique qui a suivi l’effondrement de l’économie turque en 2001 a permis à Erdogan de renforcer son soutien et de rester au pouvoir pendant plus de dix ans ; mais il a aussi créé une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes insatisfaits de leur vie faite d’emplois précaires, de bas salaires et de chômage. D’autre part, une nouvelle couche de la classe moyenne et de la classe des travailleurs comprend son rôle dans la société et n’accepte pas le paternalisme de cet État qui cherche à imposer ses règles jusqu’à la consommation d’alcool ou la tenue vestimentaire. Erdogan voudrait que chaque couple ait 3 enfants, ce qui a été accueilli avec un cynisme total : ‘‘Tu veux vraiment plus d’enfants comme nous ?’’ a ainsi répondu dans la presse un jeune manifestant parmi des centaines de milliers d’autres. Les femmes de la classe des travailleurs et de la classe moyenne ont également gagné en assurance. Elles n’acceptent pas les attaques d’Erdogan et du gouvernement contre le droit à l’avortement, leur interférence dans la politique familiale et les diverses obligations vestimentaires.

    Alors que les principales places étaient occupées, des batailles plus dures avaient lieu entre la police et des travailleurs – jour après jour – dans les quartiers les plus pauvres d’Istanbul, d’Ankara et de nombreuses autres villes. Bien peu d’attention médiatique y a été accordée.

    Erdogan a tenté d’accuser les manifestations d’être manipulés et téléguidés par des puissances étrangères et leurs médias (le ‘‘grand jeu’’ des ‘‘forces extérieures’’ comme il l’a dit) et des partis d’oppositions, surtout du CHP (le Parti Républicain du Peuple, kémaliste). Le régime cherche des boucs émissaires. Les déclarations d’Erdogan laissent peu de doutes sur son incompréhension totale des changements fondamentaux qui ont lieu dans la société turque.

    Pendant des décennies, la politique turque a semblé n’être que le résultat de l’affrontement de deux ailes de la classe dominante. D’un côté se trouvent les kémalistes, l’aile de la classe dominante d’idéologie laïque, très enracinée en ce moment dans la bureaucratie d’État, la justice et l’armée. Ils portent la responsabilité du coup d’État militaire de 1980 qui a littéralement écrasé la gauche. De l’autre côté se trouvent les forces islamiques soi-disant modérées autour de l’AKP d’Erdogan qui, depuis plus de 10 ans, repousse les kémalistes dans leurs retranchements. Ils ont ainsi réussi à purger la direction militaire autrefois puissante et à construire leurs propres réseaux.

    Une grande partie des manifestants ont utilisé des symboles kémalistes pour montrer leur colère, comme des drapeaux turcs et des portraits de Kemal Atatürk. Cependant, ce n’est pas par hasard si aucun des partis kamélistes n’a osé prendre la direction des manifestations. Le dirigeant du CHP, Kilicdaroglu, a appelé au calme de la même manière que le président islamiste Gül. Le parti fasciste MHP, lui aussi kaméliste, a dénoncé le mouvement de protestation en déclarant qu’il était dominé par la gauche radicale. Certains groupes, comme l’organisation de jeunesse de droite TGB, ont essayé d’intervenir, mais avec très peu de résultats.

    Mais beaucoup de gens, pour la toute première fois, se sont retrouvés à porter le drapeau turc ou la bannière de Kemal Atatürk avec à leurs côtés, à leur grande surprise, des drapeaux et symboles kurdes. Ils se sont battus ensemble, côte-à-côte. Ce sentiment extrêmement fort d’unité contre le régime a aussi été exprimé par le fait que les fans des trois clubs de foot d’Istanbul (Besiktas, Galatasaray et Fenerbahce) avaient enterré la hache de guerre pour soutenir ensemble le mouvement.

    Selon un sondage de l’université de Bilgi, 40% des manifestants avaient entre 19 et 25 ans, près de deux tiers ayant moins de 30 ans. Plus de la moitié des gens manifestaient pour la première fois, et 70% ont déclaré qu’ils ne se sentaient proches d’aucun parti politique. Cette nouvelle génération de jeunes a eu un premier avant-goût de l’État turc et de sa brutalité. Le mouvement a réuni des couches totalement différentes de la population, unies par le sentiment que ‘‘trop, c’est trop’’. Des écologistes ont initié la bataille, ensuite sont arrivés des travailleurs du secteur public menacés de privatisations, de pertes d’emplois et de diminutions de salaires. Les jeunes, aliénés par le paternalisme oppressant du gouvernement, a envahi les places. Les femmes sont descendues en rue contre les effets des multiples attaques contre leurs droits. Les Kurdes revendiquaient de leur côté un changement réel, car malgré les pourparlers officieux entre les gouvernements et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes), 8000 journalistes, politiciens et militants sont toujours emprisonnés. Tous se sont retrouvés sous le slogan ‘‘Tayyip istifa’’ – ‘‘Erdogan, dégage’’ qui a dominé les rues dès le début de la vague de manifestation qui a déferlé sur le pays. On a beau pu trouver des symboles réactionnaires dans les manifestations, les aspirations des gens vont bien plus loin que ce que les politiciens capitalistes kémalistes corrompus du CHP ont à proposer.

    La dynamique du mouvement

    Le vendredi 31 mai, la violence policière a transformé une manifestation écologique en soulèvement. Des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays. Chaque soir, les gens martelaient leurs casseroles et leurs poêles dans les quartiers ouvriers et les banlieues. Pendant le premier weekend, 67 villes ont connu des manifestations. Le dimanche 1er juin, la police s’est retirée de la place Taksim. Un sentiment d’euphorie s’est répandu dans le mouvement ; les gens disaient que le mouvement avait gagné. Une atmosphère festive prévalait dans les grandes places occupées, et pas seulement à Istanbul.

    Alors que la vitesse à laquelle les manifestations se sont répandues dans tout le pays et la volonté de prendre les rues chaque jour malgré la violence policière et les gaz lacrymogènes étaient enthousiasmantes, les manifestations étaient très peu coordonnées. Des comités d’action ont bien été mis sur pied, mais ils se concentraient surtout sur des questions pratiques : comment organiser les premiers secours, les soins aux blessés, la distribution de nourriture, installer les tentes, etc. Ces comités ont été développés par des groupes de gauche, mais n’ont pas donné moyen d’inclure la majorité des occupants des places et des manifestants dans les débats et les prises de décision.

    Malheureusement, nous n’avons pas vu d’assemblées du même type que celles qui ont caractérisé la contestation en Espagne ou en Grèce en 2011. Des critiques peuvent être faites sur certaines faiblesses mais, sur les places occupées par les Indignés grecs ou espagnols, les discussions collectives étaient quotidiennes, en petit groupe ou en assemblées massives, et chacun pouvait exprimer son opinion. Cela permettait le développement d’un véritable débat qui, malgré certaines faiblesses, permettait au mouvement de tirer des conclusions concernant les revendications et la stratégie requise pour la lutte.

    Sosyalist Alternatif (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Turquie) soutenait la nécessité de telles assemblées sur les places, dans les lieux de travail et les quartiers, villes et villages, afin de constituer des comités de représentants démocratiquement élus, révocables à tous niveaux et à tout instant. L’absence de cette direction élue et contrôlée par la base capable de coordonner la lutte dans les différentes villes et entre elles faisait justement défaut en Grèce et en Espagne.

    Sans de telles structures, le mouvement – qui s’était rapidement étendu aux 88 provinces du pays et à toutes les principales villes – a stagné et n’a pas été capable de développer une stratégie pour aller de l’avant. C’est pourquoi la stratégie d’Erdogan – avoir le mouvement à l’usure – a marché. Le mouvement s’est épuisé dans les combat quotidiens avec la police.

    Grève générale

    Les deux jours de grève de la fédération syndicale du secteur public, le KESK, les 4 et 5 juin, ont constitué une étape importante pour amener la lutte à un niveau supérieur. La classe des travailleurs organisée est potentiellement le plus grand pouvoir présent dans la société, en Turquie et ailleurs. Le KESK a appelé les autres syndicats à utiliser ce pouvoir et à rejoindre la grève. Seul le DISK, le syndicat le plus à gauche, a suivi, mais il a aussi limité son appel à quelques heures de participation symbolique à la lutte du KESK le 5 juin.

    Les syndicats ont ensuite fort peu tenté d’organiser, de coordonner et de développer la lutte. Le KESK a seulement appelé à une nouvelle grève générale le 17 juin, quand le mouvement avait déjà subi de graves revers.

    Seuls, le KESK et le DISK n’étaient pas en position d’annoncer une grève générale. Cependant, ils auraient pu offrir plus de direction de coordination au mouvement. Ils auraient pu commencer par lancer une série de grève avec leurs associés pour mettre pression sur les autres syndicats afin qu’ils rejoignent le mouvement et aident à offrir une véritable stratégie pour forcer Erdogan à se retirer. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

    Erdogan dégage!

    Le sixième jour de bataille contre la police, le mercredi 5 juin, ‘‘Solidarité Taksim’’ a annoncé 5 revendications principales. Cette coalition de 127 groupes basée sur la place Taksim est devenue de facto la direction du mouvement. Eyup Muhcu, le président de la chambre des architectes de Turquie, était le porte-parole de cette coupole qui, officiellement, n’avait pas de leader. Leur effort s’est concentré sur la limitation des revendications à l’arrêt de la destruction du Parc Gezi, à la condamnation des responsables de la répression policière, à l’interdiction des gaz lacrymogènes, et à la relaxe des manifestants emprisonnés.

    Pour importantes qu’elles soient, ces revendications n’étaient pas celles qui avaient su unifier le mouvement les jours précédents. ‘‘Tyyip istifa’’ (‘‘Erdogan, dégage’’), était le principal slogan scandé et il était ouvertement dirigé contre le gouvernement AKP, ses politiques et son idéologie.

    En présentant les 5 revendications comme le dénominateur commun des manifestants, la direction de cette coupole déclarait que cela était de nature à unifier le mouvement. Cependant, la direction des manifestations a échoué à montrer une perspective de mobilisation apte à faire tomber le gouvernement AKP. ‘‘Le Parc Gezi et la défense du mouvement contre la police sont des éléments importants – mais valent-ils le coup de se faire tabasser jour après jour ?’’ se sont demandés les travailleurs et les jeunes.

    En réduisant les objectifs du mouvement à ces 5 revendications, ‘‘Solidarité Taksim’’ a politiquement battu en retraite au moment où le mouvement prenait de l’élan, où la grève du KESK était encore en cours et où une recherche désespérée de stratégie avait commencé. Il s’agit d’un un tournant décisif.

    Cela a permis à Erdogan (par exemple dans les négociations avec ‘‘Solidarité Taksim’’ le 13 juin) de tout ramener aux questions environnementales liées au Parc Gezi ou à une partie de la police ayant été trop loin. Il a donc été capable de minimiser les autres questions sociales afin de diviser utilisé le mouvement entre les ‘‘bons écologistes’’ et les ‘‘terroristes’’ qui défendaient des revendications sociales plus offensives.

    Abaisser le niveau des revendications n’a pas non plus apaisé le gouvernement. La retraite du mouvement de contestation n’a fait qu’encourager l’élite dirigeante à réprimer plus encore. L’agence de presse Reuters a cité (le 15 juin) Koray Caliskan, un politologue de l’université de Bosphore, après que la Place Taksim ait déjà été vidée : ‘‘c’est incroyable. Ils avaient déjà enlevé toutes les bannières politiques et en étaient réduits à une présence symbolique sur le parc.’’ C’était le moment propice pour qu’Erdogan parte à l’offensive et nettoie le Parc Gezi de toutes ses forces.

    Le soutien d’Erdogan

    Était-il nécessaire de laisser tomber les revendications orientées vers la chute d’Erdogan étant donné qu’il disposait – et dispose encore – d’un énorme soutien, ce qu’il a illustré en rappelant que 50% des électeurs avaient voté pour lui ?

    Dans le cadre de cette épreuve de force, Erdogan a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour le soutenir lors d’une manifestation à Ankara le dimanche 15 juin. Le 16 juin, les manifestants ont été bloqués sur une autoroute menant à Istanbul, la police a encerclé la Place Taksim et des batailles violentes ont à nouveau opposé des dizaines de milliers de personnes à la police. En même temps, des bus mis à disposition par la municipalité d’Istanbul et l’AKP transportaient des gens à un rassemblement en faveur d’Erdogan. Plus de 200.000 de ses partisans sont venus écouter son discours pendant des heures.

    L’AKP a pu se construire un soutien sur base du rejet des anciens partis et des militaires et face à la menace constante d’un nouveau coup d’État. Les gens en avaient assez de la répression de la vieille élite kémaliste, et se sont tournés à ce moment vers Erdogan, étant donné que lui-même était considéré comme une des victimes de ces cercles réactionnaires. Mais cela n’a été possible qu’à cause de l’absence d’une force organisée et massive de la classe des travailleurs. Erdogan a un soutien et, après 10 ans de croissance économique, peut puiser dans ses réserves sociales relatives, même si la croissance économique a considérablement ralenti cette dernière année. Cependant, son succès électoral repose surtout sur la soumission forcée des médias, sur la répression et sur l’absence de toute opposition crédible et indépendante de l’establishment capitaliste.

    Le seuil électoral de 10% en Turquie – à l’origine destiné à empêcher l’entrée au parlement des partis pro-Kurdes, des partis islamistes et des scissions des anciens partis de droite kémalistes – est maintenant utilisé contre le développement de nouvelles forces. La vieille opposition est considérée comme corrompue et liée au vieux système électoral qui s’est effondré avec l’économie en 2001.

    Quand les manifestations ont commencé, les chaînes de télé turques diffusaient des émissions de cuisine, des documentaires historiques ou (dans le fameux cas de CNN Turquie) des documentaires sur les pingouins. Les quatre chaînes qui ont osé parler du mouvement sont maintenant menacées de lourdes amendes. Les autorités ont même essayé de fermer la chaîne de gauche Hayat TV. La Turquie comprend plus de journalistes emprisonnés que la Chine et l’Iran réunis ! Les droits syndicaux et les droits des travailleurs sont systématiquement violés.

    Étant donné la répression autoritaire et massive de tout mouvement de contestation, il y a toutes les raisons d’appeler à la fin de ce gouvernement et de refuser de reconnaître sa légitimité.

    Quelle alternative à Erdogan?

    Poser la question de la chute d’Erdogan et de son régime pose inévitablement celle de l’alternative à lui opposer. Les manifestants ne voulaient pas d’un retour aux affaires du CHP kémaliste. Quel pouvait donc être le résultat de la revendication de la chute d’Erdogan?

    Des comités locaux, régionaux et nationaux issus du mouvement auraient pu poser les bases d’un développement de la lutte sur ce terrain. De tels corps auraient pu constituer la base sur laquelle se serait organisé et reposé un réel gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. D’un autre côté, il est certain que ces comités ont besoin d’une force politique qui puisse proposer cette stratégie et lutter pour qu’elle conduise à la victoire. La question clé est de construire un parti de masse de la classe des travailleurs armé d’un programme anticapitaliste socialiste.

    Le HDK/HDP (Congrès Démocratique des Peuples / Parti Démocratique des Peuples) est un pas prometteur dans cette direction. Il s’est développé à partir d’une alliance électorale des forces de gauche autour du BDP, le principal parti de gauche pro-kurde. Les organisations et partis de gauche ont besoin de s’unir aux syndicats de gauche et aux syndicalistes combatifs en intégrant de nouveaux militants et travailleurs pour développer un tel parti de classe.

    Contester Erdogan et le système sur lequel il repose

    La tâche du mouvement des travailleurs et de la gauche est aussi d’offrir une alternative politique claire à ceux qui soutiennent encore Erdogan afin de les détacher de lui.

    Le gouvernement a imposé des politiques néolibérales et profondément antisociales même quand l’économie était encore en pleine croissance. Tout en améliorant les conditions de vie du peuple à certains égards, les politiques d’Erdogan ont aussi fortement augmenté les inégalités. Son gouvernement a adopté une politique de privatisations et d’attaques contre les droits des travailleurs, en envoyant notamment systématiquement la police contre les travailleurs en grève. Seules les couches de la classe capitaliste proches de l’AKP ont été vraiment capables de profiter de la situation.

    L’AKP a tenté de s’attirer un soutien en se présentant comme le défenseur des valeurs islamiques, en s’opposant par exemple à l’alcool ou aux baisers en public et favorisant la construction d’une mosquée Place Taksim. Tout cela était destiné à détourner l’attention des questions économiques et sociales. Erdogan a voulu défendre sa position en s’appuyant sur les couches les plus conservatrices et religieuses de la société. Mais ces dernières sont elles aussi affectées par les attaques antisociales d’Erdogan.

    Le mouvement doit rejeter toute tentative d’ingérence de l’État dans les vies personnelles du peuple. En même temps, il doit mettre fin aux tentatives d’Erdogan de diviser pour régner. La lutte de masse qui s’est développée en Turquie n’est en rien un combat entre forces laïques et religieuses. Des revendications portant sur l’augmentation du salaire minimum, le droit à chacun de disposer d’un logement décent, le respect des droits démocratiques et des droits des travailleurs peuvent permettre de sérieusement éroder le soutien à Erdogan sur une base de classe.

    Quelles perspectives ?

    La croissance économique des ces dernières années a constitué un élément important du soutien à Erdogan et permet de comprendre l’origine de ses réserves sociales. Mais cela a également créé des attentes élevées et une certaine confiance en eux parmi les travailleurs et les jeunes. Cependant, l’économie turque est fragile et dépend beaucoup du capital étranger. Selon le FMI: ‘‘les besoins de financements extérieurs de la Turquie représentent à peu près 25% de son Produit Intérieur Brut.’’ Le rapport poursuit en disant que cela ‘‘va continuer à provoquer une vulnérabilité considérable.’’

    Le déficit du budgétaire actuel a augmenté d’un cinquième sur les 4 premiers mois de cette année. Le ralentissement du taux de croissance (de +8,8% en 2011 à +2,2% en 2012) est significatif et est fortement influencé par la crise européenne, l’Europe étant le principal marché du pays. En comparaison de la situation des pays européens voisins, comme la Grèce et Chypre, ou du Moyen-Orient, le sentiment de progrès économique peut toujours exister. Mais le taux de croissance n’est destiné qu’à atteindre les 3,4% en 2013 selon les prévisions du FMI, en-dessous de l’objectif de 4% du gouvernement. Ces prévisions ont été faites avant la répression des manifestations et leur effet sur la consommation intérieure et le tourisme n’ont ainsi pas été pris en compte.

    Le taux de croissance de l’année passée et les prévisions de cette année ne sont pas suffisants pour absorber la population croissante qui arrive sur le marché du travail, ce qui promet déjà de nouvelles batailles. Étant donné la fragilité du paysage économique, les probables répercutions dues à l’onde de choc de la crise européenne et la réduction de l’investissement étranger, il est certain qu’il y aura des batailles, pour les parts d’un gâteau sans cesse plus petit. Les perspectives économiques n’annoncent aucune stabilité sociale pour les prochains mois ou années, bien au contraire.

    Cadre international

    Le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les mouvements de masse contre l’austérité en Europe et le mouvement Occupy aux USA ont tous eu un effet sur la jeunesse turque. Malgré la différence considérable que constitue le fait qu’Erdogan est encore capable de mobiliser un certain soutien social, les mouvements de masse pour les droits démocratiques et sociaux apprennent les uns des autres. Le mouvement en Turquie sera également une source d’inspiration pour le Moyen-Orient et au-delà.

    Un régime de droite, présenté comme un modèle pour les autres pays sunnites, a été puissamment remis en question par le peuple. Le modèle tant vanté d’un État islamique moderne a été montré tel qu’il est : la surface d’une société en pleine tourmente.

    La Turquie est un allié de l’OTAN qui possède ses ambitions propres d’agir en tant que puissance régionale. Le bellicisme du régime turc envers la Syrie a augmenté la tension dans la région, avec toute une vague de réfugiés qui se sont enfuis en Turquie. Ceux qui ont pris part au mouvement contestataire ont souvent exprimé la peur d’être entraîné dans la guerre civile syrienne, qui est partie d’un soulèvement populaire pour aboutir à un cauchemar de guerre civile ethnique et religieuse.

    Le régime AKP a essayé d’exploiter la fragmentation de l’Irak : ils mènent des négociations avec le Nord kurde pour essayer d’établir une zone d’influence turque dans les régions kurdes. Les perspectives sont incertaines. A moins que la classe ouvrière n’intervienne avec son propre programme contre le sectarisme et le nationalisme, de nouveaux affrontements ethniques et religieux sont inévitables en Irak dans des régions comme Kirkuk. Cela aura des répercussions en Turquie.

    Alors qu’Erdogan essaie d’instrumentaliser la question kurde pour gagner en influence dans la région et se baser sur une alliance avec les dirigeants kurdes pour changer la constitution (qui lui permettrait de devenir président, avec plus de pouvoirs), il maintient des milliers de Kurdes emprisonnés pour avoir défendu les droits des Kurdes. Mais les aspirations des Kurdes d’en finir avec l’oppression vont se heurter aux objectifs d’Erdogan de faire d’eux une partie d’un nouvel empire de style ottoman dirigé par Ankara.

    La montée des tensions dans la région, qui découle de l’implication d’Israël dans la guerre civile syrienne et de la propagation de cette guerre au Liban ou en Turquie, en plus des conflits entre Israël et l’Iran avec une possible implication des USA, peuvent ébranler encore plus la stabilité de la Turquie et du régime d’Erdogan et ainsi déclencher de nouveaux mouvements et des conflits religieux ou ethniques.

    Cependant, le premier effet du soulèvement turc dans la région est d’encourager les travailleurs, les jeunes et les pauvres à retourner aux origines du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient: l’implication active des masses elles-mêmes dans la lutte pour les revendications démocratiques et sociales.

    Toutes les sections de la société en action

    Le mouvement de contestation n’a pas seulement poussé à l’action les couches les plus basses de la classe moyenne et les enfants de la classe des travailleurs, qui ont constitué les couches les plus visibles du mouvement, en particulier dans les médias étrangers. La classe ouvrière de toutes les villes s’est durement battue contre la police. Les nouvelles couches de la classe ouvrière et des jeunes ont tout juste commencé à ressentir leur propre force et les classes moyennes urbaines, comme les architectes, les médecins et autres, ont également été présentes dans le mouvement.

    Dans le même temps, Erdogan a essayé de mobiliser la population plus rurale, ce qui pourrait se retourner contre lui plus tard. La polarisation de la société elle-même est si forte qu’elle va encourager encore la politisation d’une nouvelle génération, y compris dans les campagnes.

    Mais même au sommet de la société, des scissions et conflits sont devenus apparents. Juste au moment où Erdogan pensait être parvenu à son but de se retirer les vieux kémalistes de leurs positions stratégiques dans la bureaucratie d’Etat, de nouvelles scissions sont apparues dans ses propres rangs.

    Les plans d’Erdogan sont non seulement de se présenter à la présidentielle l’année prochaine mais aussi de changer la constitution en un système présidentiel qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir. Mais le président sortant Gül, lui aussi de l’AKP, a proposé une stratégie nettement plus conciliante à l’égard du mouvement. Il pourrait ne pas tout simplement céder la place à Erdogan.

    Pendant les années où il a gagné en influence, le mouvement Gülen (une tendance islamique modérée basée autour du millionnaire Gülen qui vit aux USA) a soutenu Erdogan. Par exemple, ses écoles religieuses ont bénéficié de la privatisation de l’éducation, une politique mise en place par Erdogan. Mais des divergences entre Erdogan et Gülen se sont développées depuis un an et sont devenues de plus en plus visibles pendant les manifestations, ce qui a conduit les politiciens pro-Gülen à critiquer le style autoritaire d’Erdogan.

    Le gouvernement AKP se sent assez en confiance pour utiliser l’armée, ayant purgé les kémalistes. La police était ainsi accompagnée par la police militaire. Le Premier Ministre adjoint a même menacé d’utiliser l’armée pour écraser le mouvement le 17 juin. D’un autre côté, pendant le premier week-end de conflit, des soldats ont donné des masques chirurgicaux aux manifestants contre le gaz lacrymogène. Selon les médias étrangers, la police a montré une certaine hésitation, un mécontentement et de l’indignation face à la manière dont était traité le mouvement.

    Derrière ce mouvement se trouvent les premiers signes d’un processus révolutionnaire : toutes les classes et forces de la société commencent à s’engager activement dans le destin du pays. Même s’il y a une pause avant la prochaine phase de la lutte, le processus qui a commencé est profond.

    Malgré la défaite temporaire, les travailleurs se sentiront encouragés à défendre leurs revendications et à entrer en lutte. Le tout puissant Erdogan peut avoir finalement gagné, mais ses yeux au beurre noir reçus de la part du mouvement montrent qu’il n’est pas invincible.

    Un grand débat a commencé sur la manière dont devrait fonctionner la société. Les gens sont poussés dans le débat politique par une énorme polarisation. Les anciens partis des kémalistes sont incapables de donner une expression à la colère et aux aspirations de la nouvelle génération, et les nouvelles générations le savent. Tant qu’une alternative de masse n’est pas construite, les classes moyennes et les travailleurs peuvent encore voter pour eux. Cependant, il y aura des tentatives de construire de nouveaux partis de lutte. Le HDK pourrait donner la bonne voie à suivre s’il parvient à pénétrer profondément dans la classe ouvrière turque. Les travailleurs et les jeunes ont besoin de forces de gauche. Les idées marxistes sont nécessaires dans ce processus de construction d’un parti de masse, enraciné dans la classe ouvrière, pour montrer comment sortir du cauchemar du capitalisme et de la répression.

    Une nouvelle couche de jeunes est entrée en scène. Elle va y rester et changer la Turquie. Comme le dit un des slogans les plus scandés dans les rues d’Istanbul et d’Ankara : ‘‘Ce n’est qu’un début – continuons le combat.’’

    Revendications de Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie):

    Pleins droits démocratiques

    • Libération immédiate de tous les manifestants emprisonnés
    • Pour une commission indépendante composée de représentants des syndicats et du mouvement pour enquêter sur la violence policière
    • Libération de tous les prisonniers politiques
    • Pleins droits démocratiques dont le droit de manifester, de se rassembler, de former des partis et des syndicats
    • Mobilisation totale des travailleurs contre l’intervention de l’armée ; pleins droits démocratiques dont le droit pour la police et les soldats de former des syndicats
    • Abolition de toutes les lois anti-terroristes et des tribunaux spéciaux et de toutes les lois répressives et réactionnaires introduites par le gouvernement AKP ces dernières années
    • Non à la censure, pour des médias libres – fin de la répression contre les journalistes, les bloggers, les chaînes de télé et sur tweeter, non à la fermeture de Hayat TV
    • Libertés et droits de pratiquer ou non toute religion, fin du paternalisme d’État, et de toutes tentatives de diviser pour mieux régner. Pour les droits démocratiques de tous de vivre leurs vies comme ils l’entendent.
    • Non à la répression des Kurdes, droits égaux pour tous dont la reconnaissance des minorités et des droits des minorités. Droits à l’auto-détermination dont celui de former un État indépendant.
    • Les troupes étrangères hors de Syrie, non à l’intervention militaire de la Turquie et des puissances impérialistes dans la région.
    • Pour une assemblée constituante de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail, dans les quartiers, les villes et les villages afin de garantir les pleins droits démocratiques et la sécurité sociales à l’ensemble de la population

    Emplois, salaires décents, sécurité sociale

    • Finissons-en avec l’enrichissement de l’élite, avec les projets de construction sur la place Taksim et tous les projets basés sur la logique du profit
    • Non aux privatisations, renationalisation des sociétés privatisées
    • Non aux attaques contre les travailleurs du secteur public
    • Pour une augmentation significative du salaire minimum
    • Des logements et conditions de vie décents pour tous
    • Nationalisation des banques et des entreprises qui dominent l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs
    • Pour une planification démocratique et socialiste de l’organisation et du développement de l’économie dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres sans s’attaquer à l’environnement
    • Pour un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres, agissant en fonction des intérêts de ces derniers
    • Pour une riposte internationale contre l’exploitation, l’oppression et le capitalisme. Pour une démocratie socialiste, une confédération socialiste des États du Moyen-Orient et de l’Europe sur base volontaire et égale.
  • Solidarité avec les mobilisations en Turquie ! Non à la répression policière, défendons la liberté d'expression !

    Nous, députés du groupe de la Gauche Unitaire Européenne / Gauche Verte Nordique (GUE-NGL) au Parlement européen, tenons à affirmer notre solidarité à tous ceux qui se sont impliqués dans les manifestations pacifiques à travers la Turquie les derniers jours et les dernières semaines. Les travailleurs et les militants partout à travers l’Europe suivent avec attention les évènements en Turquie et sont choqués par la brutalité utilisée par les autorités turques.

    Déclaration de députés européens de la GUE/NGL

    Nous soutenons l’appel du syndicat du secteur public KESK qui a appelé à la grève suite à l’utilisation brutale de la violence d’État contre les manifestants. Le gouvernement de droite turc, allié de l’OTAN, ayant pour ambition de devenir une puissance régionale, est aujourd’hui remis en cause par l’opposition et la colère qui s’exprime dans cette révolte.

    En tant que députés européens de gauche, nous défendons les droits démocratiques de tous les peuples, en Turquie et à travers le monde, de manifester et de s’exprimer librement. Nous sommes atterrés par les déclarations de Mr Erdogan à la presse affirmant que "les manifestations ne sont pas démocratiques" et que "les médias sociaux sont des menaces sévères contre la société".

    Nous nous insurgeons contre les arrestations massives de plus de 1700 personnes, et nous insurgeons contre le fait que plus de 1500 personnes aient été blessées suite aux violences policières, certaines personnes apparemment très grièvement.

    Nous demandons au gouvernement turc d’arrêter ces violences policières et de soutenir l’appel pour une enquête indépendante sur l’utilisation de la violence d’États, et demandons que les résultats d’une telle enquête puisse être publics et que les coupables soient traduits en justice.

    Nombre d’entre nous sont impliqués dans des mouvements de résistance contre les politiques d’austérité brutales imposées dans nos pays respectifs par la Troïka c’est-à-dire le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne, avec l’accord et le soutien des gouvernements nationaux, qui n’ont apporté que la misère et la pauvreté pour les classes populaires et en particulier les jeunes.

    Nous constatons que le droit démocratique de manifester est de plus en plus menacé à mesure que la colère des peuples contre les politiques néolibérales et antisociales augmente.

    C’est pour cela que nous devons nous unir pour défendre notre droit à manifester et à se mobiliser pour une autre politique qui défende les intérêts et les conditions de vie de la majorité des peuples et non pas les intérêts d’une petite minorité.

    Nous disons "ça suffit!". Le gouvernement turc bafoue depuis trop longtemps les droits démocratiques des travailleurs, des syndicats et des minorités.

    Votre courage et vos luttes sont une inspiration pour nous et nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour porter votre lutte au Parlement européen et avec les syndicats et des mouvements sociaux au sein desquels nous sommes impliqués.

    Bien cordialement,

    • Paul Murphy MEP
    • Nikolaos Chountis MEP
    • Takis Hadjigeorgiou MEP
    • Jacky Hénin MEP
    • Sabine Lösing MEP
    • Marisa Matias MEP
    • Willy Meyer MEP
    • Soren Sondergaard MEP
    • Alda Sousa MEP
    • Sabine Wils MEP
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