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Category: Economie
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Keynes, la crise du néolibéralisme et pourquoi le capitalisme ne peut être réformé

Le Covid-19 a bouleversé le monde, faisant paraître possible tout ce qui était considéré comme impossible. Dans le contexte d’une nouvelle crise du capitalisme et de l’affaiblissement de l’ordre néolibéral au niveau mondial, les idées de l’économiste libéral John Maynard Keynes vont de plus en plus s’imposer dans les politiques des gouvernements capitalistes, écrit Cillian Gillespie, membre du parti-frère irlandais du PSL, le Socialist Party.
La crise du Covid-19 fait des ravages dévastateurs dans la vie des travailleurs et des pauvres de toute la planète. Non seulement avec le virus lui-même, mais également avec la crise économique qui l’accompagne, considérée par beaucoup comme la pire depuis la Grande Dépression des années 1930. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que 50 % des travailleurs du monde entier verront leur niveau de vie être décimé en conséquence(1).
Cette forte récession économique survient un peu plus de dix ans après la Grande Récession de 2008. La reprise qui a suivi fut faible et massivement déséquilibrée ; elle a aggravé les inégalités en intensifiant les tendances néo-libérales existantes : disparité croissante des richesses, précarité croissante du travail, stagnation des salaires, logements inabordables et érosion des services publics.
Dans le contexte de la crise du coronavirus, cependant, les États capitalistes ont été contraints de prendre des mesures qui rompent avec l’orthodoxie néo-libérale à laquelle ils étaient attachés depuis plusieurs décennies. Les décisions de l’actuel gouvernement intérimaire irlandais du Fine Gael de créer – bien que temporairement – un système de santé à un seul niveau, avec l’intégration de tous les hôpitaux dans le système public, d’interdire les expulsions, de geler les loyers et d’augmenter les dépenses publiques grâce, notamment, à l’allocation de 350 euros du “Covid-19 Unemployment Payment”, en sont un exemple. Partout dans le monde, les gouvernements ont rapidement mis en œuvre des mesures de relance d’une ampleur supérieure à celles de la période 2008-2009. Ainsi, le programme récemment mis en œuvre par Trump représente 10 % du PIB des États-Unis. En 2009, ce chiffre, qui représentait une application mise en œuvre au fil des mois, était de 5 %.
L’instauration de ces politiques est en fait une reconnaissance des limites – et même des échecs – du marché privé et de la nécessité d’une intervention de l’État et d’investissements publics pour faire face à l’urgence sanitaire de cette ampleur. Il en va ben entendu de même pour les urgences préexistantes en matière de logement, de santé mentale, de changement climatique, etc. Le service de santé à deux niveaux du Sud de l’Irlande était manifestement incapable de faire face à une augmentation du nombre de personnes devant accéder aux unités de soins intensifs.
Le néolibéralisme exposé
Les représentants du capitalisme au niveau mondial craignent clairement que la crise actuelle n’ait pour conséquence d’exposer leur système et de provoquer une plus grande instabilité politique et sociale. Même avant le déclenchement de la crise du Covid-19, il était évident que la base sociale du néo-libéralisme avait considérablement été ébranlée. Cela a été constaté l’année dernière encore lors des bouleversements révolutionnaires dans des pays aussi divers que le Soudan, le Liban, la Chine (Hong Kong) et le Chili.
Plus près de nous, l’élection dans le Sud de l’Irlande, début février, était également révélatrice de ce processus. Lors de ces élections, les suffrages obtenus par les deux principaux partis du capitalisme irlandais sont tombés à un niveau inédit et historiquement bas de 45 % ensemble. Pourtant, l’économie était en pleine croissance. Mais les crises du logement et de la santé, alimentées par des politiques reposant sur le profit du marché privé, avaient engendré une énorme colère. Cela illustre que la base de soutien des partis du soi-disant “centre politique” (c’est-à-dire l’establishment capitaliste traditionnel) a été corrodée par une décennie de crises et d’inégalités.
Compte tenu de ce panorama de bouleversements pour le capitalisme mondial, l’hégémonie du néolibéralisme est remise en question, tant sur le plan idéologique que sur celui des politiques des gouvernements capitalistes. L’intervention de l’État, y compris l’augmentation des dépenses publiques et même la nationalisation (des entreprises en faillite), sera de plus en plus souvent de mise. Il est donc probable que les idées, ou les variantes des idées, de l’économiste John Maynard Keynes soient reprises dans la pensée des stratèges du capitalisme.
Cela vaut également pour les personnalités et les organisations qui défendent des approches réformistes de gauche au sein de la gauche et du mouvement ouvrier, à l’instar de Bernie Sanders et d’Alexandria Ocasia Cortez (AOC) aux États-Unis. Cela vaut aussi pour l’expression réformiste de gauche et reposant sur la collaboration de classe comme celle que l’on trouve à la tête du Congrès irlandais des syndicats (ICTU). Le biographe de Keynes, Lord Robert Skidelsky, a d’ailleurs été invité aux conférences de l’ICTU pour y discuter des alternatives au néolibéralisme. (3) Ses idées servent à défendre que le capitalisme peut finalement surmonter les crises qui lui sont inhérentes, et peut être rendu plus rationnel et plus humain.
Qui est Keynes ? Qu’est-ce que le keynésianisme ?
Keynes n’était pas un marxiste, ni un membre du mouvement ouvrier, bien qu’il soit aujourd’hui une figure défendue par de nombreux membres de la gauche réformiste. C’était un économiste libéral né dans le privilège de la classe dirigeante britannique. Sa célèbre citation “La guerre des classes me trouvera du côté de la bourgeoisie éduquée” illustre bien les intérêts de classe qui le préoccupaient fondamentalement. Ce fut le point de départ de l’élaboration de ses perspectives économiques et de ses solutions, ce que les défenseurs de ses idées dans le mouvement ouvrier qui soutenaient que le capitalisme pouvait d’une certaine manière être réformé ont préféré ignorer.
En illustration de cette approche, Brendan Ogle, éminent responsable du syndicat Unite, a écrit dans son livre From Bended Knee to New Republic : « En substance, Keynes soutenait que le plein emploi et la stabilité des prix ne pouvaient être assurés au mieux par un libéralisme complet, mais par l’intervention du gouvernement au moyen de politiques qui considéraient la production de la nation comme la dynamique clé à prendre en compte plutôt que celle de l’individu. Keynes, voyez-vous, croyait en la “société”. » (4)
Keynes et ses idées ont pris de l’importance et ont gagné en popularité dans l’entre-deux-guerres, où les crises économiques se sont développées au lendemain du chaos de la Première Guerre mondiale. La révolution russe et les nouveaux bouleversements révolutionnaires qui ont suivi avaient constitué une réelle menace existentielle pour le capitalisme. Cela s’est révélé particulièrement vrai au début de la Grande Dépression de 1929 avec l’émergence d’un chômage de masse et l’impact dévastateur que cela a eu sur les conditions de vie de la classe ouvrière dans le monde entier.
Au début de la Grande Dépression, les économistes capitalistes traditionnels s’en tenaient obstinément au concept de la “main invisible du marché” ; ils insistaient sur le fait que l’offre et la demande, la concurrence et le libre-échange – sans intervention de l’État – surmonteraient naturellement le marasme économique. La dynamique d’un système basé sur l’entreprise privée, selon eux, était à la fois autocorrectrice et autorégulatrice et conduirait bientôt à une période de croissance et à un redressement du système.
Cependant, alors que l’ampleur de la crise devenait plus évidente, Keynes et les gouvernements capitalistes qu’il a influencés en ont conclu que l’attitude de “laissez-faire” de l’école néoclassique des économistes bourgeois n’était tout simplement pas adaptée à la situation. Non seulement le capitalisme était confronté au défi de la révolte et de la révolution de la classe ouvrière dans beaucoup de ses centres vitaux, mais il y avait aussi l’existence de l’Union soviétique, qui faisait des progrès économiques importants dans les années 1930, alors que les économies capitalistes étaient en perte de vitesse. L’économie soviétique, en dépit du régime dictatorial et brutal de la caste bureaucratique qui détenait le pouvoir politique et qui était dirigée et personnifiée par Staline, était basée sur la propriété de l’État et la planification de ses secteurs clés. Elle démontrait qu’une alternative au capitalisme était viable.
Dans une lettre adressée au président américain nouvellement élu, Franklin D. Roosevelt, Keynes a exposé avec force le choix auquel leur système était confronté et les raisons pour lesquelles un changement de cap était nécessaire : « Vous vous êtes fait l’administrateur de ceux qui, dans chaque pays, cherchent à réparer les maux de notre condition par une expérience raisonnée dans le cadre du système social existant. Si vous échouez, le changement rationnel sera gravement compromis dans le monde entier, laissant à l’orthodoxie et à la révolution le soin de le combattre. »
La Grande Dépression et le New Deal
Pour Keynes, une telle orientation signifiait une plus grande intervention du gouvernement dans l’économie afin de réguler les forces aveugles du marché. Dans ses œuvres, comme son ouvrage majeur de 1936 « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », Keynes a souligné la nécessité d’une intervention et de dépenses publiques agressives et inflationnistes dans, par exemple, les programmes de travaux publics, comme la construction d’aéroports, de gares et de routes, pour créer des emplois. Ce faisant, elles stimuleraient la “demande effective” de la part des travailleurs et créeraient à leur tour un marché pour les biens et services produits par les sociétés capitalistes privées.
Grâce à la mise en place de programmes d’infrastructure qui stimulent l’économie et créent des emplois directs, la demande de biens et de services serait accrue, ce qui inciterait les capitalistes à investir leurs bénéfices accumulés dans la production et les entreprises et à jeter les bases du plein emploi. Les partisans d’un capitalisme de marché libre et non réglementé croyaient au concept d’”économie de l’offre”, c’est-à-dire que l’offre de biens via l’investissement capitaliste répondrait invariablement à une demande (principalement des travailleurs) sur le marché, un argument avancé par l’économiste français du XVIIIe siècle, Jean Baptiste Say. Il s’agissait donc simplement d’encourager l’investissement privé dans l’économie par des mesures telles qu’un faible impôt sur les sociétés et la déréglementation.
Le premier gouvernement capitaliste notable à expérimenter les idées de Keynes dans la période des années 1930 a été la présidence de Franklin Delano Roosevelt par le biais de son fameux “New Deal”. Roosevelt est arrivé au pouvoir dans un contexte de chômage de masse et de résurgence des luttes syndicales. Au premiers rangs de ces dernières se trouvaient les socialistes, parmi lesquels la base du Parti communiste (qui a rapidement atteint 100.000 membres) et les modestes forces du trotskysme américain. Dans ce contexte, sa présidence a introduit une série de programmes visant à créer des emplois et de réformes telles que la loi sur la sécurité sociale en 1936. Si ces mesures ont contribué à améliorer partiellement les conditions de vie et à créer temporairement des emplois, elles n’ont pas été le facteur décisif pour sortir les États-Unis de la crise. Il faut également noter que le capitalisme américain disposait de réserves économiques plus importantes, en tant que puissance capitaliste émergente mondiale, pour mettre en œuvre les réformes du New Deal, contrairement à celles des puissances capitalistes européennes en déclin.
Entre 1934 et 1937, quelque cinq à sept millions d’emplois ont été créés aux États-Unis. Cependant, cette période de reprise économique relative a été rapidement suivie d’un ralentissement économique en 1937-1939 et le nombre de chômeurs à la fin de la décennie s’élevait à 10 millions. La guerre imminente en Europe et en Asie, dans laquelle le capitalisme américain a finalement été entraîné en décembre 1941, a forcé la création d’une nouvelle économie de guerre, qui s’est traduite par le plein emploi et un nouvel essor économique. Ce sont ces mesures, et non celles du New Deal, qui se sont avérées essentielles pour permettre au capitalisme américain de surmonter la Grande Dépression qui a produit une décennie de lutte de masse de la classe ouvrière et de turbulences générales.
Aucune solution aux contradictions et aux crises capitalistes
L’une des principales failles de l’analyse de Keynes est qu’elle ne reconnaît pas la contradiction fondamentale de la production capitaliste. De plus, il n’a pas répondu à la question de savoir d’où viendraient les ressources pour financer les mesures de relance qu’il préconisait. Proviendraient-elles des profits des grandes entreprises et des super-riches, ou de nouveaux impôts (directs ou indirects) sur les travailleurs ?
La classe capitaliste n’investit pas dans le but de répondre à la “demande”, ou aux besoins sociaux en général. Elle n’est motivée que par la recherche de l’accumulation de profits à court terme. L’augmentation des salaires et des impôts sur ces profits aura un effet négatif sur les marges bénéficiaires et rendra les entreprises capitalistes moins compétitives par rapport à leurs rivales. En pratique, elles résisteront toujours aux politiques qui ont un impact sur leurs bénéfices.
Les capitalistes peuvent fournir des financements sous forme de prêts pour financer des mesures de relance, mais là encore, les banques et les détenteurs d’obligations sur les marchés financiers sont là pour faire de l’argent, et non pour fournir des crédits pour le plaisir de le faire, et ils veilleront à ce que ces prêts soient payés à des taux exorbitants – ce qui augmentera la dette publique, qui doit être remboursée avec intérêts. Par conséquent, si la classe capitaliste n’est pas disposée à payer pour ces mesures, ce sont invariablement les travailleurs qui seront contraints de le faire, ce qui sape ainsi une fois de plus le marché des biens et créée une nouvelle spirale déflationniste.
C’est également une erreur de supposer que les investissements capitalistes, en raison d’une demande accrue de leurs biens, entraîneront des taux d’emploi élevés. La logique de la concurrence capitaliste signifie que les patrons investiront à un rythme beaucoup plus élevé dans les technologies permettant d’économiser du travail (comme nous le voyons aujourd’hui avec l’automatisation dans de nombreux domaines) que dans la taille de leur main-d’œuvre respective. Cependant, la nouvelle valeur en cours de production, dont tous les profits dérivent en fin de compte, est produite par le travail vivant de ces mêmes travailleurs : et non par le “travail mort” des machines ou d’autres formes de ce que Marx appelait le “capital constant” – matières premières, outils, etc. Avec le temps, ce processus de remplacement du travail vivant par le travail mort entraîne une baisse du taux de profit, qui, pour être restauré, nécessite de nouvelles attaques sur les conditions des travailleurs – réduction des salaires ou allongement de la journée de travail.
Keynes, et ceux qui ont défendu ses idées au sein de l’establishment capitaliste, ainsi que de la gauche et du mouvement ouvrier, ont cherché à nier qu’il existait un conflit d’intérêts fondamental entre la classe ouvrière et la classe capitaliste. Selon leur raisonnement, si l’État se contentait de créer une demande de biens et de services parmi les travailleurs, la classe capitaliste investirait ses ressources dans le système, dans l’intérêt des deux classes.
En fait, l’exploitation inhérente sur laquelle le capitalisme est construit signifie qu’il est fondamentalement incapable de soutenir la demande globale et de surmonter le problème de la “sous-consommation”. Les travailleurs ne reçoivent jamais dans leurs salaires la somme totale de la valeur qu’ils créent. La plus-value revient aux patrons, ce qui signifie que les travailleurs, qui constituent également une grande partie des consommateurs, ne peuvent pas racheter toutes les choses qu’ils produisent, ce qui entraîne des crises périodiques de surproduction. De telles crises ne sont pas automatiques, car de nombreux biens produits par les travailleurs sont en effet destinés à la consommation des capitalistes ou des super-riches, eux-mêmes tels que les produits de luxe, par exemple les yachts, et les biens d’équipement, tels que les machines de production et de fabrication. Ces biens diffèrent de ceux qui sont consommés en permanence par les travailleurs, comme les denrées alimentaires, les vêtements, les voitures, etc.
Il existe d’autres moyens de contourner cette contradiction, temporairement, pour éviter (ou retarder) une descente en crise immédiate du système. Aux États-Unis, par exemple, où les salaires réels stagnent depuis les années 70 et où les dépenses de consommation représentent 70 % de la croissance économique, les dépenses des travailleurs ont été alimentées par l’octroi de crédits bon marché – ce qui a conduit à des niveaux records d’endettement privé. Mais à un certain moment, ces bulles de crédit doivent éclater, et la crise prend son envol.
L’exception du boom de l’après-guerre
La période où les idées keynésiennes régnaient en maître en termes de politique gouvernementale a coïncidé avec le soi-disant “âge d’or” du capitalisme. Il s’agit de l’énorme expansion économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.
La destruction massive des villes, des infrastructures et de l’industrie pendant la guerre et la reconstruction des économies capitalistes de l’Europe occidentale ont permis de restaurer les taux de profit de la classe capitaliste. Ce boom, combiné à la puissance du mouvement ouvrier organisé (et dans l’ombre du monde stalinien en expansion dont la puissance et le prestige avaient été massivement renforcés), a eu pour conséquence que le système a fait des concessions importantes à la classe ouvrière pour couper court au potentiel de bouleversement social.
L’impérialisme américain, qui est sorti indemne de la guerre, régnait désormais en maître sur le capitalisme mondial. Les institutions qu’il a contribué à établir en 1944 à la conférence de Bretton Woods (à laquelle Keynes lui-même a assisté), à savoir la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ont joué un rôle clé dans la promotion des politiques interventionnistes de l’État et des politiques keynésiennes. Il en est résulté une augmentation significative du niveau de vie des travailleurs, en particulier dans les pays capitalistes avancés, sous la forme d’une hausse des salaires et d’une augmentation des dépenses de l’État pour financer la gratuité de la santé, de l’éducation et du logement public dans de nombreux États. Parallèlement, la part de la propriété publique dans l’économie, souvent appelée “économie mixte”, a augmenté.
La mesure dans laquelle les idées keynésiennes sont devenues l’orthodoxie du capitalisme mondial a peut-être été la mieux résumée par le président américain Richard Nixon dans sa célèbre déclaration de 1971 : “nous sommes tous keynésiens maintenant”. Sous la pression d’un mouvement ouvrier militant aux États-Unis, et avec en toile de fond la guerre du Vietnam et une explosion de la lutte pour la libération des Noirs, des femmes et des LGBTQI, son régime a mis en œuvre des réformes qui allaient totalement à l’encontre de ses instincts politiques. En plus d’être un faucon de la guerre froide, il avait construit sa carrière en s’attaquant aux dépenses des “grands gouvernements” dans le New Deal. Mais ses politiques ont compris l’introduction de contrôles fédéraux sur les prix du pétrole et du gaz, la législation sur la santé et la sécurité sur le lieu de travail et la création de l’Agence de protection de l’environnement (EPA).
Les disciples de Keynes (de différentes teintes) se penchent sur la période de l’après-guerre pour prouver la validité de ses idées, mais ils ne parviennent pas à expliquer pourquoi cette période de croissance sans précédent a fait place à la crise capitaliste au milieu des années 1970. À la fin des années 1960, la concurrence capitaliste croissante entre les États-Unis d’une part et les économies capitalistes reconstruites de l’Allemagne et du Japon d’autre part, ainsi que l’existence d’un puissant mouvement ouvrier qui a joué un rôle dans la défense des salaires et des conditions de travail des travailleurs, ont entraîné une baisse des taux de profit et une compression des bénéfices pour le système. Les investissements capitalistes se sont taris, ce qui a entraîné une période de “stagflation” – combinant l’inflation, qui a vu les salaires minés par la montée en flèche des prix, et la stagnation de la croissance – pendant une grande partie des années 70 et au début des années 80.
La rentabilité et les taux de profit du système ne pouvaient être rétablis qu’en attaquant la part de la richesse de la société allant au travail, en faveur du capital. Cela impliquait de réduire les salaires et les investissements publics qui finançaient le “salaire social” de la classe ouvrière, ce qui nécessitait une attaque frontale contre le pouvoir de la classe ouvrière organisée.
Grandeur et décadence du néolibéralisme
Tout comme les idées de Keynes ont gagné du terrain dans l’establishment capitaliste en réponse à la crise des années 1930, la crise des années 1970 – qui a marqué la fin du boom de l’après-guerre – a persuadé les capitalistes d’abandonner le keynésianisme au profit de politiques connues sous le nom de “monétarisme” ou “néolibéralisme”.
Parmi les principaux défenseurs de ces idées figuraient Milton Friedman et ses disciples de l’École de Chicago. Le Chili a été le premier laboratoire à tester leurs idées, après le renversement du gouvernement de gauche de Salvador Allende, soutenu par la CIA, et l’instauration de la dictature sous Augusto Pinochet. Les figures de proue et les croisés les plus importants du néolibéralisme dans les pays capitalistes avancés étaient Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Au centre de leur projet se trouvait la guerre contre la classe ouvrière organisée, notamment lors de la grève des contrôleurs aériens aux États-Unis (1981) et de la grève des mineurs en Grande-Bretagne (1984-1985).
Les politiques du néolibéralisme impliquaient la privatisation des services publics, la réduction des dépenses sociales, la déréglementation des marchés financiers, l’abolition des contrôles des capitaux et l’attaque des salaires et des conditions de travail. En substance, cela signifiait que les contraintes durement gagnées sur la capacité des patrons à exploiter impitoyablement la classe ouvrière étaient mises de côté. En lieu et place du déficit keynésien, une camisole de force devait être maintenue sur les budgets des États capitalistes (bien que dans le cas des États-Unis, cela n’ait jamais été respecté). L’Union européenne, qui a été l’un des principaux moteurs du néolibéralisme, a fait en sorte que tous les États de l’UE aient un régime d’austérité inscrit dans la loi, en introduisant des règles strictes concernant les déficits budgétaires et la dette nationale, les empêchant de dépasser respectivement 3 % et 60 % du PIB. Ces politiques ont été appliquées avec rigueur dans le contexte de la crise de la zone euro de la dernière décennie, dont la Grèce a été le théâtre le plus dramatique.
Un facteur qui a renforcé l’idéologie néolibérale fut l’effondrement des régimes staliniens en Union soviétique et en Europe de l’Est au cours de la période 1989-1991, à la suite de la mauvaise gestion criminelle des bureaucraties non élues et irresponsables qui dirigeaient ces sociétés. La propriété et la planification de l’économie par l’État ont été présentées comme étant intrinsèquement inefficaces et conduisant inévitablement à une réduction des conditions de vie. Cela n’a pas seulement été utilisé pour saper l’idée du socialisme en général, mais aussi pour pousser à la privatisation des services publics et à une déréglementation accrue des marchés financiers. Cette ligne d’argumentation a été adoptée par les dirigeants des organisations de masse de la classe ouvrière. En Grande-Bretagne, le “New Labour”, sous la direction de Tony Blair, a abandonné la “clause quatre” de la constitution du parti travailliste qui l’engageait à nationaliser les secteurs clés de l’économie.
La mise en œuvre des politiques néolibérales dans les pays capitalistes n’a évidemment pas été uniforme et l’État joue toujours un rôle crucial dans le développement capitaliste, contrairement au mantra de “la main invisible du marché”. Même sous la présidence de Ronald Reagan, les États-Unis ont connu une forme de “keynésianisme militarisé” avec une augmentation massive des dépenses de l’État en matière d’armement.
Dans les années 1990 et 2000, après l’effondrement de la bulle immobilière et la récession qui s’en est suivie, les gouvernements successifs du Japon, alors deuxième économie mondiale, ont mis en œuvre une série de grands programmes de relance impliquant des investissements massifs dans les infrastructures publiques. Des mesures de relance ont été mises en œuvre en Europe et aux États-Unis après le krach de 2008-2009, et les États, par l’intermédiaire de leur banque centrale, ont joué un rôle essentiel dans le maintien à flot de l’économie capitaliste grâce à l’assouplissement quantitatif (EQ), c’est-à-dire en imprimant de la monnaie et en réduisant les taux d’intérêt pour promouvoir les investissements capitalistes. Aucune de ces politiques, que ce soit au Japon ou celles mises en œuvre aux États-Unis ou en Europe, n’a permis de surmonter les faiblesses structurelles du capitalisme actuel.
Les demi-mesures réformistes ne suffiront pas
La peur de la classe ouvrière en cette période d’instabilité économique, sociale et politique signifie que les mesures keynésiennes sous la forme d’une intervention accrue de l’État dans l’économie seront payantes. La crise du coronavirus a déjà accéléré cette tendance. De telles politiques ne constituent cependant pas du socialisme, comme le soutient Bernie Sanders. Il s’agit plutôt de réformes mises en œuvre dans le cadre de la propriété privée de l’industrie et de la finance et du règne du profit privé. Néanmoins, leur mise en œuvre perturbera le dogme de Thatcher selon lequel “il n’y a pas d’alternative” à l’ordre économique existant.
Les idées de Keynes continueront sans aucun doute à être utilisées par les tendances réformistes qui émergeront dans les nouveaux mouvements de gauche et de classe ouvrière. Ils se sentiront encouragés à le faire étant donné l’ampleur de l’affaiblissement idéologique du capitalisme néolibéral, même si la classe dirigeante entend poursuivre l’application de ces politiques à la demande du grand capital et des banquiers. Cependant, leurs programmes se heurteront à la réalité d’un réel conflit d’intérêts au cœur de ce système, ce qui signifie que les besoins de la classe capitaliste et de la majorité ouvrière ne peuvent coexister pacifiquement, quelle que soit la “mixité” de l’économie.
Les socialistes révolutionnaires lutteront bien sûr pour des réformes telles que l’investissement de l’État pour créer des emplois, l’augmentation des salaires des travailleurs, etc. prônées par les réformistes et les keynésiens, mais ils mettront en avant la nécessité d’un changement radical plus large. Le capitalisme repose sur des crises, qui deviennent de plus en plus graves au XXIe siècle, et l’accumulation de capital et de richesses par la classe des milliardaires ne peut se faire qu’au détriment de nos conditions de vie, de notre santé et de notre environnement.
Il existe cependant une véritable alternative, une alternative qui ne bricole pas tel ou tel aspect du système de marché rapace motivé par la recherche du profit à court terme, mais qui vise à remplacer la recherche du profit par la recherche de la satisfaction des besoins des gens. Une alternative qui remplace l’anarchie du marché par une planification rationnelle et démocratique de l’économie. Une alternative qui remplace le règne d’une petite élite par celui de l’immense majorité. Cela ne peut être réalisé qu’en “expropriant les expropriateurs”, selon les termes de Karl Marx. C’est-à-dire en saisissant les richesses et les ressources que les travailleurs ont créées pour les faire entrer dans le domaine public sous leur gestion et leur contrôle. Ce faisant, nous poserons les bases d’une société socialiste internationale où notre planète sera sauvegardée et où les êtres humains pourront se développer au maximum de leurs capacités et de leurs talents.
Notes :
- “Half of world’s workers ‘at immediate risk of losing livelihood due to coronavirus”, Guardian, 29 April 2020,
- https://www.ictu.ie/press/diary/2010/10/12/building-an-alternative-vision-skidelsky-lecture/
- Brendan Ogle, From Bended Knee to a New Republic: How the Fight for Water is Changing Ireland, Liffey Press (2016), p.32
- “Open Letter to President Roosevelt”, New York Times, 31 December 1933
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Une réponse socialiste à la nouvelle “Grande Dépression” – Le capitalisme menace notre santé et nos conditions de vie

“Le cliché le plus trompeur sur le coronavirus est qu’il nous affecte tous de la même manière. Ce n’est pas le cas, ni médicalement, ni économiquement, ni socialement, ni psychologiquement. Le Covid-19 renforce partout les inégalités préexistantes. Cela provoquera bientôt des troubles sociaux, allant jusqu’à des soulèvements et des révolutions”.
Non, cette citation ne provient pas de la rédaction de Lutte Socialiste et de socialisme.be. Elle provient d’un article rédigé par un rédacteur du site d’information financière Bloomberg. Son auteur, Andreas Kluth, affirme que l’effet immédiat de la crise sanitaire est que la plupart des formes de troubles sociaux disparaissent sous la surface, mais que la colère demeure bel et bien et qu’elle va éclater, prévient-il à destination des capitalistes.
La crise sanitaire s’accompagne d’un effondrement économique. La Banque nationale et le Bureau du Plan estiment que le PIB belge diminuera de 8% en 2020. La banque KBC avait précédemment prédit une baisse de 9,8 % et dans un scénario plus pessimiste, où le virus n’est pas sous contrôle, il était même question d’une baisse de 13,2 %. En comparaison, la récession mondiale de 2008 n’avait entraîné qu’une baisse de 2 % du PIB en 2009.
Un recul de 8% ne peut être comparé qu’à la Grande Dépression. En Belgique, l’activité économique a chuté de 9,5 % entre 1931 et 1934. Les conséquences ont été immenses : chômage, faim, mais aussi révolte des travailleurs, notamment des mineurs, pour ne pas subir les conséquences de la crise. Si les conséquences sociales ne sont pas pour l’instant pires en Belgique, c’est uniquement grâce à la sécurité sociale. Le mouvement ouvrier s’est battu avec acharnement pour l’obtenir, notamment suite à l’expérience de la Grande Dépression. De là sont nées les allocations de chômage, l’assurance maladie et les mesures de sécurité sur le lieu de travail.
Avec une protection sociale plus limitée, les conséquences sont carrément dramatiques. Au cours des trois premières semaines de la crise, 17 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées au chômage aux États-Unis. Ce nombre pourrait atteindre 50 millions. Aux États-Unis, perdre son emploi signifie aussi de perdre son assurance maladie. L’inaccessibilité des soins et les problèmes financiers menacent de provoquer non seulement une catastrophe médicale, mais aussi une catastrophe sociale. Dans le monde néocolonial, la situation est encore pire. La “distanciation sociale” est généralement le privilège des plus riches. Les masses ne sont pas seulement à la merci du virus, mais se retrouvent aussi dans une misère encore plus profonde. A travers le monde, 2,7 milliards de travailleurs ont été touchés par les mesures de confinement.
Les économistes osent parler d’une nouvelle croissance rapide après une forte récession. La Banque nationale et le Bureau du plan espèrent une croissance de 8,6% en 2021. Les économistes avertissent toutefois qu’il s’agit d’un scénario optimiste et que le problème de la dette publique va s’aggraver. De plus, la banque JP Morgan part du principe que même avec une reprise de la croissance, les chiffres du chômage à la fin de 2021 seront beaucoup plus élevés qu’avant le début de la récession. L’Organisation internationale du travail a averti que jusqu’à 195 millions d’emplois pourraient disparaître dans le monde et que le revenu de 1,25 milliard de personnes pourrait chuter de manière dramatique en raison de cette crise.
Le capitalisme mène non seulement à la crise sanitaire, mais aussi à une crise économique douloureuse. Et les patrons voudront nous en faire payer le prix. Nous n’aurons pas d’autre choix que de nous organiser et de lutter pour une alternative socialiste au capitalisme.
‘‘La crise du coronavirus renforce toutes les contradictions et les faiblesses du capitalisme.’’
Le 12 avril, Alternative Socialiste Internationale (ASI) a organisé une réunion en ligne intitulée : ‘‘Une nouvelle grande dépression ? A cette occasion, Eric Byl, Per-Ake Westerlund et Claire Laker-Mansfield ont répondu à diverses questions sur la crise. Voici un résumé de ce débat.
Le ralentissement économique est lié au fait que de nombreuses personnes ne peuvent pas travailler en raison du confinement, mais leur emploi est maintenu. Cela signifie-t-il qu’une fois le virus sous contrôle, l’économie se redressera ?
Eric : ‘‘Le lourd tribut de cette crise sur de nombreuses vies signifie que la question de la reprise économique n’est malheureusement plus pertinente pour beaucoup. La crise du coronavirus est causée par le capitalisme, qui est incapable d’organiser la société d’une manière socialement et écologiquement harmonieuse. Sous le capitalisme, les préoccupations relatives aux exigences sociales, à l’environnement ou à la protection au travail sont balayées au bénéfice de la cupidité. Les conséquences de la crise du coronavirus n’auraient pas été aussi dévastatrices si le budget du secteur des soins n’avait pas été réduit, si des stocks avaient été prévus et si les avertissements n’avaient pas été ignorés.
‘‘Le rapide ralentissement économique que nous connaissons aujourd’hui portera à jamais le nom du Covid-19. Pour la classe dirigeante, le virus sera le méchant : l’imprévisible catastrophe naturelle. En réalité, tous les éléments d’une nouvelle récession étaient en place depuis la précédente récession de 2008. Le tournant décisif avait alors été la faillite de Lehman Brothers, provoquée par les subprimes. Le coronavirus d’aujourd’hui représente ce qu’était Lehman Brothers pour la précédente récession.
‘‘Après 2008, la croissance a été systématiquement plus faible qu’auparavant. La croissance de la productivité a continué de diminuer. Des bulles spéculatives ont remplacé les bulles qui avaient éclaté. Malgré les faibles taux d’intérêt et l’injection massive de capitaux ans l’économie, il n’y a pas eu de véritable croissance des investissements productifs. Les salaires sont restés bas, les prix des logements élevés et ce que payent les travailleurs pour l’enseignement ou la santé a continué d’augmenter. Les bénéfices de la reprise limitée sont massivement allés dans les poches de l’élite capitaliste. L’injection massive de capitaux dans l’économie est allée en grande partie vers la spéculation plutôt que vers l’investissement productif.
‘‘En fait, la politique des pays capitalistes développés a été de retarder la crise en injectant de plus en plus d’argent dans l’économie. Cela a conduit à un niveau record de dette publique. Cela aurait pu en soi déclencher une nouvelle récession, plus importante. La lutte pour les profits a accru les tensions au sein des blocs commerciaux et entre ceux-ci. Cela a entraîné des mesures protectionnistes, un nationalisme politique croissant et un renversement partiel de la mondialisation. Tout cela constitue la base de la crise actuelle. Le coronavirus et le confinement ont joué un rôle important en tant que déclencheur, mais même sans cette pandémie, d’autres causes auraient conduit à la crise.’’
Claire : ‘‘Le coronavirus a exposé et renforcé toutes les contradictions et les faiblesses existantes du capitalisme. C’est important de garder en tête dans le débat sur la nature de la récession. Certains économistes espèrent qu’après un effondrement brutal et rapide, il y aura une croissance solide une fois levées les mesures de confinement. Cependant, la plupart des économistes capitalistes sérieux commencent à remettre en question ce scénario optimiste d’une crise en forme de ‘‘V’’. Ils se rendent compte qu’il s’agit de la crise bien la plus grave de leur système. Des processus économiques déjà à l’œuvre, comme la démondialisation, sont accélérés par cette crise.
‘‘Peu à peu, les optimistes parmi les économistes se dirigent vers un modèle en ‘‘U’’ : une crise qui exigera un certain temps pour que les effets de la récession soient conjurés. L’économiste Nouriel Roubini, en revanche, qui avait prédit la récession de 2008, parle d’une crise en forme de ‘‘I’’ : un déclin sans fin, une ligne verticale qui représente l’effondrement abyssal des marchés financiers et de l’économie réelle. De plus en plus, la seule comparaison historique possible est celle de la Grande Dépression au début des années 1930.’’
Per-Ake : ‘‘Bien entendu, nous ne savons pas combien de temps durera le confinement. Les tentatives désespérées pour relancer l’économie portent le risque d’une nouvelle vague rapide d’infections. Même avec une relance rapide de l’activité, tout commencera à un niveau inférieur. Les exportations chinoises ont chuté de 20 % en janvier et février et elles continuent à baisser. La diminution des importations est encore plus importante. Il n’est pas surprenant que le magazine The Economist écrive que la sortie du confinement sera très difficile avec des consommateurs incertains, de nouvelles réglementations sanitaires et peut-être une vague de fusions et d’acquisitions après les faillites.
‘‘Même avant la pandémie, le nationalisme connaissait un essor. Trump, Bolsonaro, Orban,… Cette tendance s’est maintenant intensifiée : en Europe, presque tous les États membres disent que leur pays passe en premier et qu’il n’est pas question de solidarité entre eux. Des frontières ouvertes depuis des décennies se ferment. Une des grandes contradictions du capitalisme est que les capitalistes eux-mêmes sont attachés à leurs pays, alors que la production est devenue de plus en plus internationale. Cependant, les mesures protectionnistes et nationalistes n’offriront pas d’issue : lors de la grande dépression des années 1930, elles n’ont fait qu’aggraver la crise.
‘‘Les tensions géopolitiques mondiales, en particulier entre la Chine et les États-Unis, représentent un facteur de complication pour l’économie mondiale et rendent le cours de la crise imprévisible. Une nouvelle croissance rapide est très peu probable en raison de tous ces éléments.’’
Cette crise peut-elle être comparée à celle de 2008 ? La crise est-elle due à une demande insuffisante?
Claire : ‘‘Il y a autant des problèmes d’offre, en raison de la fermeture d’usines et d’ateliers, que des problèmes de demande, en raison du confinement et des conséquences directes de l’augmentation du chômage ou des réductions de salaires. Toutefois, les facteurs sous-jacents sont les mêmes qu’en 2008. Les contradictions qui ont conduit à la récession de 2008 n’ont jamais été résolues et n’en ressortent aujourd’hui que plus fortes. La reprise économique après 2008 reposait sur des taux d’intérêt historiquement bas et l’accès à l’argent bon marché. Cependant, les investissements productifs ne se sont pas matérialisés et la croissance de la productivité a continué à stagner. Cela a conduit à de nouvelles bulles spéculatives, y compris sur la dette. La nouvelle récession frappe une économie déjà affaiblie. En outre, une réponse plus globalement coordonnée, comme ce fut le cas après 2008, est beaucoup plus difficile.
‘‘Aujourd’hui, les familles des travailleurs subissent déjà la crise avec des salaires plus bas, des pertes d’emplois et une vie confinée dans cette crise sanitaire. Après 2008, nous avons connu une vague d’austérité. Mais les capitalistes vont maintenant réfléchir à deux fois avant de faire la même chose. En 2019, une vague de soulèvements de masse a déjà eu lieu. De nouvelles économies, en particulier sur les soins et la protection sociale, pourraient conduire à des troubles sociaux et même à une insurrection.’’
Per-Ake : ‘‘Une des causes de la crise capitaliste est la surproduction : les capitalistes ne peuvent pas vendre tout ce qui est produit. Les travailleurs et les pauvres n’ont souvent pas les moyens de s’offrir les biens les plus élémentaires, même dans les pays capitalistes développés. Dans sa brochure de 1939 intitulée ‘‘Le marxisme et notre époque’’, Trotsky fait référence à Marx: ‘‘Accumulation de la richesse à un pôle, signifie donc en même temps accumulation de misère, de souffrance, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité, de dégradation mentale au pôle opposé, c’est-à-dire du côté de la classe dont le produit prend la forme de capital.’’ Pour les capitalistes, peu importe ce qu’ils produisent : ils veulent de la valeur ajoutée, ils veulent du profit.
‘‘Les salaires n’ont pas vraiment augmenté ces dernières années, ils ont plutôt stagné. La part des salaires dans l’économie a diminué. Cette situation a été compensée par le crédit et la dette. La consommation joue un rôle important dans le PIB. Aux États-Unis, elle représente 68 % du PIB. Actuellement, 1,25 milliard de travailleurs dans le monde perdent leur salaire ou une partie importante de celui-ci, et nous ne savons pas pour combien de temps cela va durer. Ils auront un accès plus difficile au crédit. Même si les gouvernements adoptent l’argent dit ‘‘hélicoptère’’ (de l’argent donné directement aux consommateurs), cela ne compensera pas les pertes. La demande va diminuer et, par conséquent, les investissements aussi. The Economist prédit qu’il y aura jusqu’à 50 % de demande en moins dans certains secteurs, le seul moteur pour stimuler la demande dans les deux prochaines années étant le gouvernement.
‘‘En ce qui concerne l’approvisionnement, il y a aussi un problème. Par exemple, la production de voitures est en grande partie paralysée. De nombreuses entreprises voient des problèmes dans la chaîne d’approvisionnement et n’ont pas de plan B. Les prix des denrées alimentaires peuvent augmenter fortement. Le cynisme du capitalisme est que des entreprises qui fabriquent des armes et des produits de luxe qui ne sont pas fermées alors qu’en même temps il y a une grande pénurie de matériel médical. Le capitalisme montre ainsi sa véritable nature et cela aura un effet sur la conscience des masses.
‘‘Les socialistes y répondent par leur programme pour axer l’économie sur les besoins de la majorité de la population, y compris le respect de l’environnement. Au lieu de simplement rouvrir des usines polluantes, il faut un contrôle démocratique pour réorganiser la production de façon planifiée au niveau national et international.’’
Éric : ‘‘Les marxistes ne se sont jamais fait d’illusions sur un ‘‘capitalisme malin’’ qui trouve un moyen de surmonter les crises récurrentes. Après tout, le capitalisme comporte des contradictions : la production est socialisée, mais l’appropriation des profits reste individuelle. Les travailleurs font partie d’une chaîne de production collective avec une division du travail, mais sans avoir leur mot à dire sur ce qui est produit et comment on le produit, et encore moins sur ce qu’il advient des bénéfices. De plus, la division du travail est internationale, alors que les capitalistes sont dépendants des États nationaux. Cela crée des tensions non seulement avec la classe ouvrière, mais aussi avec les classes capitalistes des pays concurrents.
‘‘Les capitalistes tirent profit du travail non rémunéré des travailleurs. Cela conduit à une lutte des classes pour les salaires contre les profits et crée une tendance à la surproduction. Le plus grand problème du capitalisme aujourd’hui est le développement de la science et de la technologie. Une concurrence féroce exige que la recherche et le développement donnent des résultats de plus en plus rapides. Cela nuit à la productivité et limite l’accès aux connaissances sous forme de brevets. Aujourd’hui, les entreprises versent en moyenne 70% de leurs bénéfices en dividendes au lieu de les investir dans la production. Heureusement, les progrès scientifiques et technologiques existent, mais ils ne contribuent guère à l’augmentation de la productivité, car ils sont entravés par la propriété privée des moyens de production. Marx a déclaré un jour que tout système de production peut continuer à exister tant qu’il est capable de développer les forces productives, mais que sinon le moteur de l’histoire, en particulier la lutte des classes, fera son travail.’’
Divers gouvernements interviennent dans cette crise avec des mesures qui étaient auparavant impensables. Par exemple, on envisage d’augmenter les allocations de maladie, d’augmenter les allocations de chômage et même de nationaliser un certain nombre d’entreprises. Cette crise signifie-t-elle la fin du néolibéralisme, qui signifie la course aux privatisations et à l’abolition des mesures de protection collective ?
Claire : ‘‘Bien que pendant des années, on nous a dit que seul la libre concurrence fonctionnait et que les services publics devaient répondre la logique du marché pour être efficaces, même les grands partisans de la loi du marché doivent maintenant reconnaître que le secteur privé n’est pas capable de répondre aux besoins de la population. Partout, on se tourne vers les gouvernements pour qu’ils interviennent activement. L’objectif est d’éviter un effondrement économique et des troubles sociaux plus graves. Ces mesures ne sont pas prises dans l’intérêt des travailleurs et de leur famille, mais pour sauver les meubles capitalistes. Si la priorité devait vraiment être les besoins de la population, les entreprises pharmaceutiques, par exemple, seraient nationalisées. Cela permettrait une coopération dans le développement et la production de vaccins. Toutefois, ces entreprises ne seront pas nationalisées, car elles réalisent d’importants bénéfices avec cette crise.’’
Per-Ake : ‘‘Un certain nombre de mesures ou de discussions rappellent la façon dont Roosevelt a réagi à la Grande Dépression aux États-Unis avec son New Deal d’investissements dans les infrastructures et l’emploi. Ce programme a été rejeté comme ‘‘socialiste’’ à l’époque, mais Roosevelt lui-même a fait remarquer qu’il proposait ces mesures pour sauver le capitalisme. Le New Deal a provoqué une forte augmentation de la dette publique américaine et n’a pas mis fin aux contradictions qui avaient conduit à la Grande Dépression.
‘‘Avec cette crise, les citoyens doivent passer à des mesures qui étaient auparavant impossibles ou impensables : payer plus cher les personnes malades ou au chômage, augmenter le budget des soins de santé, nationaliser les entreprises. Lors de la crise de 2008-2009, des mesures similaires avaient déjà été adoptées, entre autres pour sauver les banques. De nouvelles privatisations et une sévère politique d’austérité ont suivi. Si certaines parties du néolibéralisme sont abandonnées, nous devons bien sûr en prendre note. Elle montre clairement que le changement est possible. Les luttes de masse menées à partir de la base peuvent faire hésiter la classe capitaliste à imposer de nouvelles mesures d’austérité.
‘‘Dans ce contexte, des revendications telles que la nationalisation ou l’augmentation des allocations sociales ne sont pas suffisantes. Nous ne voulons pas que les entreprises déficitaires soient nationalisées et pour ensuite en rendre les parties rentables au secteur privé. Le mouvement ouvrier et les jeunes doivent se mobiliser et se battre pour le contrôle démocratique, la planification démocratique et l’abolition de tout le système capitaliste.’’
Éric : ‘‘Les mesures d’incitation sont proposées pour aider les familles et les petites entreprises. Mais seuls 11 % de l’énorme plan de relance américain vont directement aux familles. Dans le même temps, une bombe à retardement fiscale fait tic-tac aux États-Unis : les collectivités locales vont chercher des économies ailleurs en raison de la perte de recettes fiscales et de dépenses résultant du plan de relance, et éventuellement procéder à des licenciements. Il y a encore des bombes à retardement dans la situation actuelle : on estime que le marché du logement aux États-Unis va chuter de 35 % cette année. Il y a un risque d’une série de faillites et d’un effondrement financier.’’
‘‘Les néo-keynésiens prônent aujourd’hui la ‘‘théorie monétaire moderne’’ : encore plus d’argent créé par les banques centrales. Ils pensent qu’ils sont en train de gagner la bataille. L’offre mondiale dépasse actuellement la demande, ce qui maintiendra l’inflation et les taux d’intérêt à un faible niveau pendant un certain temps. Mais le manque de productivité fait que les capitalistes n’investissent pas. Même si cette politique est maintenue pendant un certain temps, l’inflation des capitaux menace de se propager à l’économie réelle avec un risque d’hyperinflation. Les illusions peuvent ouvrir la voie à des régimes plus réactionnaires qui font appel au nationalisme et à la xénophobie. Le réformisme et le néo-keynésianisme ne répondent pas aux défis auxquels est confronté le mouvement syndical.
‘‘Il faut un programme socialiste audacieux en commençant par la nationalisation de secteurs clés de l’économie sous contrôle et appropriation démocratiques, afin que la planification devienne possible.’’
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Coronavirus : marchés boursiers en chute libre et craintes d’une nouvelle récession

Le plus grand effondrement du marché depuis la crise de 2008
Per Olsson, Rättvisepartiet Socialisterna, section suédoise d’Alternative Socialiste Internationale. Article initialement publié le 10 mars.
L’effondrement des bourses qui s’est produit lundi 9 mars a été le plus important depuis le début de la crise du capitalisme mondial en 2008. La chute de la bourse des États-Unis à l’heure d’ouverture a été si sévère qu’elle a entrainé un arrêt technique des échanges après seulement cinq minutes.
Cet effondrement des marchés boursiers mondiaux a été provoqué non seulement par la perte de production et la stagnation de la croissance causées par l’épidémie de coronavirus, mais aussi par une nouvelle menace : un nouveau conflit portant sur le cours du pétrole.
Ce conflit s’est déclaré après que l’Arabie saoudite a baissé le prix de son pétrole en guise de réponse au refus de la Russie de convenir d’une réduction de la production. Lundi, le cours du pétrole a atteint son niveau le plus bas depuis la première guerre du Golfe, en 1991.
Tout semble indiquer que les effets du krach boursier de lundi et de ceux qui se sont produits dans les jours et les semaines qui ont précédé ne sont pas des phénomènes temporaires. Il s’agit de la tempête parfaite, qui présage de nouvelles tempêtes dans le futur proche.
« L’effondrement du cours du pétrole et la réduction de la demande suscitée par l’épidémie de coronavirus créent un cocktail toxique ; si le marché chute de façon si brutale à présent, c’est en raison de la crainte d’une récession mondiale », a déclaré ce lundi Mme Johanna Kull, économiste chez Avanza.
L’économie mondiale est aujourd’hui plus faible qu’au début de la crise de 2007-2009, laquelle a eu pour conséquence la guerre commerciale, une hausse massive des montagnes de dettes, et des déséquilibres.
Même avant la propagation mortelle du virus, la croissance économique en Chine avait déjà ralenti (l’année dernière, l’économie chinoise a connu une croissance de 6,1 %, soit le taux de croissance le plus faible depuis 29 ans) et plusieurs pays étaient au bord de la récession. Le commerce mondial avait également déjà cessé de croitre à la fin de l’année dernière.
Craignant de voir la baisse de l’activité économique (particulièrement prononcée dans l’industrie) se propager aux marchés financiers, les gouvernements et les banques centrales ont ressuscité leurs mesures de « relance ciblée », qui se sont traduites par un retour de la politique monétaire d’« assouplissement quantitatif » : une baisse des taux d’intérêt et d’autres mesures destinées à garantir l’accès des marchés financiers à des prêts bon marché. Cette politique a temporairement joué le rôle de « lubrifiant » pour les cours des actions et pour les profits, même si l’effet sur l’économie réelle en a été extrêmement limité.
Mais lorsque le coronavirus a commencé à se propager et que l’économie chinoise, la deuxième au monde (et bientôt la première), a été mise à l’arrêt, toutes les tendances à la crise déjà présentes se sont renforcées. Depuis le début de l’année, l’économie chinoise est au point mort. Pris de panique, le régime chinois et les capitalistes de ce pays ont maintenant commencé à prendre des mesures visant à lever l’état d’urgence pour forcer les travailleurs à retourner sur leur lieu de travail, malgré le risque de contagion persistant. Ce retour au travail forcé pourrait rapidement engendrer une catastrophe humaine et une crise économique encore plus graves.
Dans son pronostic du 2 mars, l’OCDE écrivait : « La contraction de la production en Chine se ressent dans le monde entier, mettant en évidence le rôle de plus en plus crucial que joue la Chine dans les chaines d’approvisionnement, les voyages et les marchés de denrées de base mondiaux ». L’institution met également en garde contre ce phénomène : « Une épidémie de coronavirus plus durable et plus intense, qui se propagerait à une grande échelle dans la région Asie-Pacifique, en Europe et en Amérique du Nord, affaiblirait considérablement les perspectives économiques. Dans ce cas, la croissance mondiale pourrait tomber à 1,5 % en 2020, soit la moitié du taux prévu avant l’apparition de ce virus ».
Les exportations de la Chine ont chuté de façon spectaculaire au cours des deux premiers mois de l’année, ce qui, au vu de son important déficit commercial, envoie au régime le signal que « la situation va s’aggraver », comme l’a écrit le South China Morning Post le 9 mars.
Le fait que la bourse de Wall Street n’ait pas connu la moindre hausse la semaine dernière malgré la réduction de 50 points de son taux directeur par la Réserve fédérale américaine reflète à la fois le pessimisme et les inquiétudes de l’élite capitaliste qui estime que même le « marché » ne fait pas très confiance à la diminution des taux d’intérêt.
Comme l’écrivait M. Andreas C?ervenka dans Dagens Industri le 3 mars, « L’inquiétude des marchés concernant le coronavirus rappelle les semaines qui ont suivi le crash de la banque Lehman : la seule chose qui est certaine, c’est que rien ne l’est. Partout règnent les suppositions et les rumeurs. La différence par rapport à 2008 est que l’économie mondiale affronte aujourd’hui cette nouvelle crise en partant déjà d’une position de faiblesse. Et les mesures de relance ne semblent guère gêner le virus ».
Cependant, les autres banques centrales vont suivre la tendance ; tandis qu’au même moment, les gouvernements sont prêts à dépenser des sommes vertigineuses pour mettre le capitalisme et les capitalistes à l’abri du danger. Cela pourrait éventuellement ralentir le cours de la crise, surtout si ces mesures de relance sont accompagnées d’autres plus globales, sous la forme d’investissements dans les infrastructures, de programmes pour l’emploi et autres. Mais même ces efforts ne pourront éviter la persistance de la stagnation ou donner au capitalisme la stabilité nécessaire pour éviter de nouvelles crises économiques et politiques.
Sur un large front, tous les pronostics économiques sont maintenant revus à la baisse. D’après Bloomberg Economics, l’économie chinoise ne devrait croitre que de 1,2 % au premier trimestre 2020 par rapport à l’année précédente, soit la plus faible croissance jamais enregistrée. Mais sans reprise rapide en mars, même cette prévision pourrait s’avérer optimiste.
Le capitalisme chinois est le principal moteur de croissance du capitalisme mondial depuis la crise de 2008-2009 et personne ne peut le remplacer, surtout maintenant que le capitalisme états-unien se développe également plus faiblement que prévu, que le Japon et la Corée du Sud sont déjà en récession, et que la croissance dans la zone euro risque d’être négative pour le premier semestre de cette année.
Pour les travailleurs et les jeunes, il est nécessaire de se préparer politiquement et rapidement aux périodes de turbulences qui nous attendent. D’abord et avant tout, en reprenant la lutte contre le mélange toxique formé par le capitalisme, la politique droitière et l’épidémie. Nous devons exiger une protection et des mesures préventives contre le coronavirus, une indemnisation complète pour tous ceux qui ne peuvent se rendre au travail totalement ou partiellement, des soins médicaux gratuits, une assurance maladie générale et une expansion rapide des soins de santé publique, des fonds pour le développement de vaccins ainsi que l’amélioration des conditions des travailleurs de la santé, le droit de travailler à domicile et la fermeture immédiate de tous les environnements à risque.
Une nouvelle récession mondiale, venant s’ajouter à une décennie perdue d’austérité et de stagnation, soulignera encore davantage, aux yeux de millions de personnes, la faillite du système capitaliste et la nécessité d’une alternative socialiste permettant d’assurer la solidarité internationale et la planification démocratique de l’économie pour répondre aux besoins de la population et de la planète.
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Le capitalisme en crise : un monde en proie à l’instabilité

A la mi-août, une importante réunion s’est tenue en Belgique avec des représentants de partis-frères du PSL issus de 25 pays. Cela a annoncé une nouvelle ère à plus d’un égard. Le lecteur trouvera sur la page suivante des explications sur les développements importants qui ont eu lieu ces derniers mois au sein de l’Internationale socialiste révolutionnaire, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section belge. Mais ce sont surtout les développements internationaux dans les domaines économique, politique, social et écologique qui vont marquer cette nouvelle ère.
Par Eric Byl
L’économie menace d’entrer en récession
Toutes ces évolutions s’expliquent par le ralentissement rapide de l’économie mondiale et la forte possibilité d’un nouveau krach financier similaire à celui de 2008-09 aux conséquences sociales incalculables. À l’époque, après une période initiale de paralysie de la lutte des classes, le krach a conduit à des événements révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et à des mouvements de masse, dont des grèves générales, en particulier en Europe du Sud et aux États-Unis, mais également en Asie. La crise a finalement été surmontée par des injections massives d’argent par des gouvernements et des banques centrales, par des investissements massifs de la part des autorités nationales et locales chinoises et des institutions publiques et par une intervention mondiale coordonnée de la part du G20.
C’est impossible aujourd’hui. Entre-temps, le niveau de la dette mondiale a fortement augmenté. À l’époque, les taux d’intérêt ont été abaissés pour encourager les gouvernements, les ménages et les entreprises à contracter des emprunts. Certains taux d’intérêt sont même devenus négatifs afin d’encourager les banques à faire circuler leurs réserves. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas et, dans certains cas, négatifs. On a fait massivement appel à ‘‘l’assouplissement quantitatif’’: le phénomène par lequel les banques centrales injectent chaque mois de l’argent supplémentaire dans l’économie afin de la lubrifier. En conséquence, les actifs inscrits au bilan de la Réserve fédérale des Etats-Unis ont atteint 22% du Produit intérieur brut du pays, alors qu’ils se situaient entre 4 et 6% entre la Seconde Guerre mondiale et 2008. Il s’agit même de 40% pour la Banque centrale européenne et de 90% pour la Banque du Japon !
Le déclencheur immédiat de la crise de 2008-2009 fut l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis. Aujourd’hui, la principale menace est le ralentissement du commerce mondial, les guerres commerciale et monétaire. Mais les faiblesses sous-jacentes de l’économie capitaliste puisent leurs racines dans la fin de la période de croissance d’après-guerre, dans les années 1970. La principale contradiction interne du capitalisme est la suraccumulation du capital, la tendance croissante à produire plus de valeur ajoutée que ce qui peut être investi de manière rentable. Cela a conduit à de nouveaux domaines d’investissement grâce à la privatisation des services publics, des systèmes de retraite, des soins de santé et de l’enseignement. La crise des rendements s’est également traduite par une ‘‘financiarisation’’ accrue, avec un rôle encore plus important pour les banques et une expansion considérable du crédit. La dette mondiale est aujourd’hui trois fois plus élevée que le PIB mondial. Malgré toutes les intentions de freiner les marchés financiers, le casino financier est aujourd’hui plus grand qu’en 2009 : 1.200.000 milliards de dollars ont été investis en produits dérivés.
La lutte pour l’hégémonie
Pour la première fois depuis 1973, la géopolitique est à nouveau la principale cause de la récession à venir. La lutte pour l’hégémonie mondiale prend de l’ampleur, particulièrement entre la Chine et les Etats-Unis. Depuis 2017, la croissance du commerce mondial s’est ralentie pour atteindre 2,1% cette année, selon l’OCDE. Entre 1987 et 2007, le commerce mondial a augmenté à un taux annuel moyen de 7%. Un facteur important est l’utilisation des tarifs douaniers par Trump comme arme au secours de sa politique étrangère. Les exportations des États-Unis vers la Chine ont donc chuté de 31,4% l’an dernier et celles de la Chine vers les États-Unis de 7,8%. Le gouvernement chinois a laissé sa devise, le renminbi, plonger pour la première fois sous le seuil symbolique des 7 yuans pour 1 dollar, en réaction à l’annonce de Trump d’imposer à partir du 1er septembre une surtaxe de 10% sur 350 milliards de dollars d’importations chinoises qui avaient été jusqu’ici épargnées. Le même jour, le Trésor américain a qualifié la Chine de ‘‘manipulateur monétaire’’. La guerre douanière peut devenir une guerre des monnaies.
Les différends commerciaux ne se limitent pas à cela. L’Union européenne (UE) veut des concessions américaines en matière de politique agricole alors que les États-Unis menacent d’imposer une surtaxe de 25% sur les automobiles européennes. Le Japon a imposé des contrôles à l’exportation à la Corée du Sud. La Chine et l’Europe sont divisées au sujet de la nouvelle Route de la Soie, de l’ouverture des marchés et des conditions d’investissement pour les entreprises. En Afrique, une bataille d’influence fait rage entre l’Europe, la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Une nouvelle course aux armements est en cours et le nombre de foyers de conflits militaires ne cesse d’augmenter : Rojava, le Cachemire indien, la mer de Chine du Sud, le détroit d’Ormuz,… En fait, nous sommes confrontés à bien plus qu’une guerre commerciale et nous traversons une période de dé-mondialisation, de guerre technologique et de contestation de l’hégémonie des États-Unis. Martin Wolf (du Financial Times) parle du ‘‘début d’une guerre de 100 ans’’. Le journal britannique The Guardian fait référence à une atmosphère qui rappelle l’été européen de 1914.
Certains parlent d’une nouvelle guerre froide. L’Union soviétique et l’impérialisme américain étaient deux systèmes sociaux antagonistes qui se maintenaient l’un l’autre en équilibre, malgré les menaces nucléaires. Avec le recul, la guerre froide est restée ‘‘relativement’’ froide. Cette fois, il y a deux variantes du capitalisme, la première davantage ‘‘capitalisme d’État’’, la seconde néolibérale. La logique des tensions entre les États-Unis et la Chine est la guerre, une lutte à mort, mais deux facteurs font barrage : l’arsenal nucléaire qui ne peut conduire qu’à des perdants et la réaction que cela peut provoquer sur le front intérieur, y compris en Chine, surtout après le déclenchement du mouvement de masse à Hong Kong.
Instabilité politique et soulèvements sociaux
La bourgeoisie doit gérer toutes ces tensions avec des instruments créés pour une autre époque et inadaptés à la nouvelle ère. Les institutions d’après-guerre de Bretton Woods et divers traités s’effondrent. Les partis politiques qui, pendant des décennies, ont fourni des ‘‘dirigeants de la nation’’ incontestés sont en train de crouler. Tant à gauche qu’à droite, ils sont confrontés à de nouvelles formations plus radicales. La formation de gouvernements stables devient extrêmement difficile. Des gouvernements minoritaires et des coalitions atypiques émergent. La crise économique a érodé l’autorité des institutions bourgeoises traditionnelles, nécessitant des recompositions dangereuses.
Pour l’instant, ce sont surtout les populistes de droite qui en profitent en raison de l’incapacité de la gauche traditionnelle et des nouvelles formations de gauche à imposer le changement. L’échec de Lula et de Dilma au Brésil a ouvert la voie à Bolsonaro, le blocage de Sanders par les Démocrates américains a débouché sur Trump, la trahison de Syriza en Grèce a déblayé le terrain pour la Nouvelle Démocratie, l’échec de Rifundazione (PRC) et du Mouvement 5 étoiles en Italie ont servi de rampe de lancement à Salvini,…. Cependant, les victoires électorales des populistes de droite ne doivent pas être confondues avec un soutien solide pour leur programme. Ils génèrent souvent des contre-mouvements gigantesques.
Le mouvement ouvrier est encore sous l’effet des défaites du passé et de l’héritage de la chute du stalinisme. Cela s’exprime de manière concentrée sur les dirigeants syndicaux et ceux des anciennes et nouvelles formations politiques de gauche. Cela contribue à faire en sorte que le mouvement ouvrier n’ait pas encore laissé sa marque sur les événements. La grève générale de juin au Brésil a été déclenchée par le mouvement des femmes. En Algérie, l’appel aux grèves générales a été lancé dans les réseaux sociaux, en dehors des structures traditionnelles. A Hong Kong, tout le mouvement est coordonné par les réseaux sociaux, mais cela peut rapidement changer. En Algérie comme au Soudan, la base commence à revendiquer ses syndicats, généralement par la mise en place de structures contrôlées par la base. A Hong Kong a eu lieu la première grève générale depuis des décennies et, aux États-Unis, le mouvement commence à se traduire par une vague de syndicalisation. Nous pensons que nous nous trouvons à un point tournant et que la meilleure préparation pour cela est de nous engager dans les mouvements existants en défendant un programme socialiste en soulignant la nécessité d’une orientation vers le mouvement des travailleurs.
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Réunion du Comité exécutif international du CIO : Résolution sur la crise économique mondiale

Nous approchons rapidement d’un tournant décisif dans les relations mondiales, avec un ralentissement de l’économie mondiale qui laisse de plus en plus présager une récession plus profonde, y compris la possibilité d’un krach financier de type 2008-09. Un tel développement trouverait le capitalisme beaucoup moins prêt à réagir qu’il ne l’était il y a dix ans. Elle pourrait temporairement couper court aux luttes de la classe ouvrière dans certains pays tout en conduisant à des crises aiguës et même à des situations pré-révolutionnaires dans d’autres.
Dans la plupart des pays, la classe ouvrière n’était pas préparée à la crise de 2008. C’est moins vrai cette fois-ci, bien que la classe ouvrière reste globalement faible et que les effets de l’effondrement du stalinisme persistent sur la conscience. Cette brève déclaration décrira le développement de la crise économique et les effets probables qu’elle aura sur la conscience de la classe ouvrière.
La principale cause immédiate du ralentissement actuel est probablement l’effet du conflit commercial croissant sur une économie mondiale déjà fragile, avec une accumulation massive de dettes. Le commerce mondial ralentit rapidement. La croissance annuelle du commerce mondial est tombée de 5,5% en 2017 à 2,1% cette année selon l’OCDE. Ceci peut être comparé à une croissance moyenne du commerce mondial de 7% entre 1987 et 2007. Un facteur important de cette décélération est l’incertitude créée par Trump, qui utilise la menace des tarifs douaniers comme une arme et en fait un outil clé de sa politique étrangère nationaliste. Le conflit entre Trump et la Chine a déjà de graves répercussions, les dernières données montrant que les exportations américaines vers la Chine ont chuté de 31,4 % par rapport à l’année précédente, tandis que les exportations chinoises vers les États-Unis ont diminué de 7,8 %.
Il est également frappant de constater que les Investissements Directs Etrangers (IDE) ont chuté de 3% au niveau mondial l’année dernière, à leur plus bas niveau depuis la crise financière. Le déclin de l’IDE, marque de fabrique de la mondialisation, est en soi une indication du renversement partiel de la mondialisation que nous avons décrit, et que the Economist a qualifié de “slowbalization”.
Dans de précédents documents, nous avons énuméré certains des indicateurs montrant un ralentissement de l’économie mondiale et nous avons également expliqué comment les conflits commerciaux en cours, en particulier entre les États-Unis et la Chine, contribuent directement à accélérer ce processus. En avril, le Fonds Monétaire International prévoyait un ralentissement de la croissance pour 70 % de l’économie mondiale en 2019. De nombreux commentateurs parlent maintenant d’une récession mondiale qui commencera avant la fin de cette année. Cela se caractérise par une croissance mondiale inférieure à 2,5 % par an, la “vitesse de décrochage” de l’économie mondiale. En juin, la Banque Mondiale a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2019, la faisant passer de 2,9 % à 2,6 %.
Un autre indicateur clé est l’Indice des Directeurs d’Achat (Purchasing Manager Index, PMI) qui mesure l’activité du secteur manufacturier et des services. Toute mesure PMI inférieure à 50 indique une contraction. L’industrie manufacturière mondiale se rapproche déjà de la cinquantaine, mais les services, qui représentent les deux tiers de l’activité économique mondiale, redescendent également vers les niveaux observés pour la dernière fois lors de la mini récession en 2015-6.
Comment la crise se développe-t-elle ?
Pour avoir une vision plus claire de la situation, il vaut la peine d’examiner comment ce processus se déroule dans les régions et les pays clés.
L’économie chinoise a connu un ralentissement rapide en 2018, sa plus faible croissance en 28 ans. La production industrielle est en baisse et le chômage augmente, y compris dans le secteur de la technologie. Selon la Banque Mondiale, la croissance du PIB pour 2019 devrait être de 6,2 %, contre 6,6 % en 2018, mais le niveau réel est probablement inférieur ou égal à 3-4 %. Les entreprises internationales se retirent de l’investissement en Chine à cause de l’incertitude liée à la guerre commerciale avec les États-Unis, mais les entreprises manufacturières ont également transféré leurs activités en Asie du Sud-Est au cours de la dernière période en raison de la hausse des coûts de main-d’œuvre en Chine.
La reprise de l’économie étasunienne sera bientôt la plus longue jamais enregistrée, bien que les avantages de la reprise aient profité en très grande majorité aux riches. Les États-Unis sont donc déjà plus que murs pour une récession, et il y a en effet de plus en plus de signes de ralentissement. L’indice PMI manufacturier américain est tombé à 50,6 en mai, son plus bas niveau depuis août 2009. Après une croissance globale de 3,1 % au premier trimestre de 2019, due à des facteurs temporaires, un modèle prévisionnel (GDPNow de Atlanta Fed) estime la croissance au deuxième trimestre à 1,3 %. En réalité, il y a des faiblesses dans de nombreux secteurs clés de l’économie, y compris le secteur manufacturier, le marché de l’habitation et les dépenses de consommation.
En un sens, la capacité de Trump à utiliser le commerce comme une arme – en menaçant les chaînes d’approvisionnement mondiales – montre l’influence que l’impérialisme américain a toujours. La guerre commerciale avec la Chine a clairement créé de sérieuses difficultés pour le régime de Xi Jingping, de même que le ralentissement général de l’économie et les développements à Hong Kong. Les États-Unis ont également profité de la force relative du dollar comme “monnaie de réserve” mondiale pour menacer les entreprises et les banques – par exemple celles qui font affaire avec l’Iran – d’être exclues du système de paiement en dollars. Il s’agit là d’une menace sérieuse étant donné que, comme le souligne the Economist, “environ 88 % des échanges de devises utilisent des billets verts”. Nous voyons aussi des tentatives pour contrer cette domination du dollar avec, par exemple, la Russie qui fait de plus en plus de commerce en euros ou même en roubles et – à une échelle beaucoup plus faible et aussi avec un fort élément spéculatif – l’augmentation des cryptomonnaies et des projets comme Libra, cryptomonnaie initiée par Facebook, qui peuvent contourner les restrictions des Etats.
Mais si les États-Unis sont capables de faire mal, ils se heurtent aussi à une résistance plus forte qu’auparavant de la part de leurs concurrents. Par exemple, en réponse à la menace qui pèse sur les banques européennes faisant affaire avec l’Iran, l’UE a conçu un système de troc pour le commerce avec Téhéran. Et il est clair que les guerres commerciales auront des répercussions économiques aux États-Unis et qu’elles entraîneront une baisse des profits de nombreuses entreprises qui dépendent des importations chinoises, une hausse des coûts de consommation, et peut-être un nombre important de suppressions d’emplois.
Reflétant la détérioration de la situation aux États-Unis, la Réserve Fédérale indique qu’elle est susceptible de baisser les taux d’intérêt cette année après les avoir lentement augmentés pendant plusieurs années et avoir d’abord résisté aux demandes de Trump de les réduire. Trump avait jeté de l’essence sur une l’économie en surchauffe avec ses réductions d’impôt de 2017, mais les effets de stimulation de la croissance sont maintenant presque disparus. Il a été affirmé que les réductions d’impôt donneraient aux entreprises plus d’argent pour investir dans l’expansion de leurs activités, mais il n’est pas surprenant que la majeure partie de cet argent ait été utilisée pour le rachat d’actions.
Pendant ce temps, la zone euro a évité de justesse d’entrer en récession pour la troisième fois en dix ans, mais il est clair que des chocs externes aussi bien qu’internes pourraient la faire basculer. La Banque mondiale a abaissé sa projection de croissance de la zone euro pour 2019 de 1,4 % à 1,2 %. Dans son récent rapport semestriel, la Banque a déclaré que ” la situation économique dans la zone euro s’est rapidement détériorée depuis la mi-2018, en particulier dans le secteur manufacturier “. Le secteur manufacturier dans l’ensemble de la zone euro s’est contracté pour le quatrième mois consécutif en mai de cette année. Le PMI manufacturier en mai était à 47,7. Les investissements sont faibles et les commentateurs bourgeois soulignent que le “vieux continent” est à la traîne en matière d’innovations et de nouvelles technologies. Une crise imminente menace à la fois l’euro et l’UE sous sa forme actuelle alors que les intérêts nationaux entrent de plus en plus en conflit et que les politiciens nationalistes désignent l’UE comme une cause de la crise.
L’Allemagne, première économie industrielle et premier exportateur de la zone euro, a connu une contraction de 1,9% de la production industrielle en avril. Les perspectives de croissance sont inférieures à 1% pour 2019. Les commandes de produits manufacturés ont diminué de 2,2 % en mai sur une base mensuelle et de 8,6 % sur une base annuelle. Cette baisse a été beaucoup plus importante que celle de 0,3 % prévue par des économistes qui ont participé à une enquête du Wall Street Journal. Le secteur crucial de l’automobile a été particulièrement touché. Les ventes de Volkswagon en Chine ont baissé de 7 % de janvier à mai. Un rapport du Center for Automotive Research d’Allemagne prévoit une baisse des ventes mondiales d’automobiles de quatre millions en 2019. Le rapport de l’auteur, Ferdinand Dudenhoffer, souligne que “Globalement, c’est deux fois plus qu’en pleine crise financière mondiale”. (Forbes, 12/6/19) Son analyse ne tient pas compte des effets possibles du Brexit ou des tarifs américains sur l’industrie automobile européenne.
Draghi, le président sortant de la BCE, envisage déjà de prendre des mesures sérieuses dans les mois à venir. Par exemple, la banque pourrait augmenter le taux d’intérêt dit négatif sur les dépôts des banques commerciales à la banque centrale. Il s’agit en fait d’une “pénalité sur les dépôts et d’un moyen de pousser les banques à mettre l’argent au service de l’économie” (New York Times, 19/6/19). La BCE se prépare également à développer à nouveau l’assouplissement quantitatif, imprimant de fait de la monnaie à très grande échelle, pour stimuler l’économie. Cette politique d’argent facile devrait être poursuivie par la prochaine directrice de la BCE, Christine Lagarde, et augmentera encore l’encours déjà important des dettes en Europe.
Même si on en discute moins, le Japon reste la troisième plus grande économie nationale au monde. Malgré des mesures de relance agressives, dont des déficits publics massifs (le ratio dette/PIB est le plus élevé du monde), l’économie “se détériore” selon le gouvernement, pour la première fois en six ans. En fait, la Banque Mondiale prévoyant une croissance de 0,8 %, la position du Japon est encore plus faible qu’en UE.
Même l’Australie, avec un record de 28 ans d’expansion économique, est maintenant confrontée à la possibilité réelle d’une récession.
La situation dans les économies “en développement” est encore plus grave. Les derniers chiffres indiquent que la Russie est en récession depuis deux trimestres. Les revenus réels sont en baisse depuis six ans. La Turquie, l’Argentine et le Pakistan sont déjà en récession, tandis que le Brésil et l’Afrique du Sud sont sur le point de le devenir. Dans le cas du Brésil, cela fait suite à une courte reprise après la récession la plus dévastatrice de l’histoire du pays. L’Inde fait exception, la Banque mondiale prévoyant une accélération de la croissance à 7,5 % en 2019/20.
La situation en Turquie est un exemple de la manière dont une crise très aiguë peut se développer rapidement. La croissance alimentée par l’endettement s’est effondrée lorsque les investisseurs internationaux ont commencé à se retirer. Cela a conduit à la dévaluation rapide de la lire, en baisse de plus de 40% par rapport au dollar depuis le début de 2018. L’inflation est maintenant de 19%, les salaires réels chutent rapidement et le chômage est de 14%. Le gouvernement turc et les entreprises privées ont accumulé 328 milliards de dollars de dettes à moyen et long terme, la plupart en dollars. Avec la dépréciation rapide de la lire, la situation pourrait devenir très instable et même explosive. Moody’s a déjà déclassé un certain nombre de banques turques clés. Les effets politiques de la crise, illustrés par l’énorme défaite d’Erdogan et de l’AKP aux élections municipales d’Istanbul, vont se poursuivre.
Ces données des pays capitalistes avancés et des économies en développement donnent une image claire d’un ralentissement simultané dans une grande partie de l’économie mondiale, certains pays étant déjà entrés dans une crise aiguë.
Les causes du ralentissement économique
Nous devons faire la distinction entre les déclencheurs immédiats de la récession à venir et les causes à long terme de la crise structurelle du capitalisme. La cause immédiate de la Grande Récession de 2008-9 a été l’éclatement de la bulle sur le marché des produits dérivés à cause des emprunts “subprime” encouragés par les grandes banques sur le marché immobilier américain. Cela a conduit à l’éclatement d’autres bulles d’actifs.
La principale cause immédiate de la récession actuelle, comme nous l’avons déjà dit, est très probablement l’effet du ralentissement du commerce mondial et du conflit commercial grandissant, qui n’a pas commencé avec Trump mais qui s’est accéléré sous sa direction.
Les problèmes structurels plus profonds auxquels l’économie capitaliste est confrontée remontent à la fin du boom de l’après-guerre, dans les années 70. La principale contradiction de l’économie capitaliste à notre époque peut être caractérisée comme une suraccumulation de capital, une tendance croissante à produire plus de plus-values qu’il n’est rentable d’investir. Cette crise de rentabilité a conduit à la recherche de nouveaux domaines d’investissement, notamment par le biais de la privatisation d’une grande partie du secteur public dans de nombreux pays, y compris les systèmes de retraite, de santé et d’éducation. La crise de la rentabilité a également conduit à une “financiarisation” croissante du système à partir des années 80, avec notamment un rôle toujours plus important des banques et une expansion massive du crédit. Cette situation a entraîné le phénomène d’une croissance alimentée par l’endettement, la dette mondiale représentant désormais trois fois le niveau du PIB mondial.
Et bien sûr, la financiarisation a créé un casino mondial de plus en plus grand. Il y a dix ans, on parlait beaucoup du rôle des “bulles” pleines de capitaux fictifs sur les marchés financiers, dont l’implosion a eu un effet dévastateur sur l’économie réelle. Mais le capitalisme n’a montré aucune capacité à changer son comportement. Littéralement, la solution à la crise financière de 2008-2009 a été de “commencer à gonfler de nouvelles bulles”. Le casino financier mondial est maintenant encore plus grand qu’en 2009. 1,2 quadrillion de dollars sont investis sur les marchés des produits dérivés tandis que la spéculation sur les devises représente 5,3 billions de dollars chaque jour !
Le Capital est toujours à la recherche de nouveaux domaines d’investissement. Actuellement, l’un d’entre eux est le secteur de la technologie, qui semble être une exception à l’échec général des capitalistes à développer les forces de production dans la période passée. Cependant, l’afflux de capitaux dans la technologie n’est pas seulement une tentative de gagner la course internationale à la concurrence, mais a aussi, dans un environnement où tant de capitaux sont à la recherche de débouchés rentables, un caractère spéculatif. Cela peut entraîner la formation de bulles. Le secteur de la technologie sera également affecté par le conflit commercial avec la Chine. D’autres bulles se développent dans de nombreux pays, le capital financier investissant dans le logement (avec des effets sociaux désastreux). Mais dans une période de baisse de la rentabilité, divers secteurs peuvent devenir de nouveaux domaines d’investissement et même des bulles, comme les cryptomonnaies ou encore “l’économie verte”.
Perspectives
Nous ne pouvons pas dire à l’avance quelle sera l’ampleur de la récession à venir et si elle sera comparable à celle de la crise de 2008-09. Si un accord commercial partiel était conclu entre Trump et Xi Jinping, cela pourrait donner un stimulant très temporaire à l’économie mondiale, mais cela ne changerait pas l’orientation générale. Cependant, the Economist avertit explicitement et correctement que “le risque qu’une erreur maladroite [dans le conflit commercial] déclenche une crise financière est élevé”. Il s’agit d’une référence aux mesures de répression prises par les États-Unis contre des entreprises chinoises d’une valeur d’un billion de dollars sur les marchés financiers américains et à d’autres mesures de rétorsion menacées par les deux parties.
Plusieurs facteurs indiquent le danger d’une crise encore plus grave qu’il y a dix ans. Comme nous l’avons souligné, la “boîte à outils” du capitalisme est épuisée, ce qui ne veut pas dire qu’elle est vide. Les mesures drastiques utilisées pour répondre à la crise de 2008-9, dont l’assouplissement quantitatif et les taux d’intérêt négatifs, ont aidé à sauver le système d’une crise encore plus profonde, mais ont créé de nouvelles contradictions. Néanmoins, il semble y avoir peu ou pas de perspective de réponse coordonnée, comme celle qu’Obama a organisée avec l’UE et la Chine pour empêcher un effondrement mondial encore plus profond. Un élément clé de cette réponse a été le programme de relance massif en Chine, qui a entraîné une énorme demande de matières premières en provenance du monde entier. Le programme de relance a à son tour créé une bombe à retardement en Chine, ce qui entrave maintenant la mise en œuvre d’un autre programme de relance de cette envergure.
Cela indique aussi un point plus large : après le krach de 2008-2009, les économies du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), en particulier la Chine, ont agi comme un moteur qui a sorti l’économie capitaliste du trou. Cela n’arrivera certainement pas cette fois-ci.
Encore une fois, il convient de souligner qu’il n’est pas possible de dire de manière concluante quelle sera l’ampleur de la récession à venir, mais la situation générale indique une crise très profonde et non une “mini-récession” comme en 2015-16.
Les effets sur la conscience
L’impact énorme sur la conscience de la crise de 2008-09 se poursuit encore aujourd’hui, avec des politiques d’austérité vicieuses toujours en place dans de nombreux pays capitalistes avancés. Dans la plupart des pays, la “reprise” des dernières années n’a pas entraîné d’augmentation du niveau de vie et les nouveaux emplois sont souvent précaires. Les travailleurs et les jeunes qui ont perdu confiance dans le système et ses institutions ne seront pas surpris par la nouvelle phase de la crise du capitalisme.
Il est certain que dans de nombreux pays, il peut y avoir un “effet d’étourdissement” partiel sur la lutte de classe. Par exemple, si l’économie américaine entre en récession au cours de la prochaine année, elle mettra probablement fin à la vague de grèves autour de la révolte des enseignants aux États-Unis. Mais aux Etats-Unis, nous voyons aussi un soutien massif aux réformes radicales proposées par les “socialistes démocratiques” comme Ocasio Cortez et Bernie Sanders. Il s’agit d’un facteur qui n’existait pas en 2008-2009 et qui résulte de la radicalisation de millions de travailleurs et de jeunes depuis le mouvement Occupy. Ce facteur indique clairement que l’effet étourdissant sera d’une durée plus courte et plus limitée que pendant la Grande Récession et que la colère des masses contre le système se transformera plus rapidement en lutte de masse, y compris de nouvelles étapes vers la reconstruction d’un mouvement ouvrier de lutte. Alors qu’une montée générale de la lutte industrielle pourrait être interrompue pendant un certain temps, la lutte pourrait être canalisée sur le plan politique en termes d’élections, d’organisation politique et de lutte de masse sur les questions politiques et sociales. Tôt ou tard, il y aura une reprise de nouvelles étapes vers la reconstruction d’un mouvement ouvrier de lutte et une croissance de l’action syndicale.
Dans une telle situation, des revendications beaucoup plus audacieuses, y compris en matière d’appropriation publique des secteurs clés de l’économie, peuvent commencer à se faire entendre beaucoup plus largement. Cela se voit déjà dans les discussions autour du Green New Deal aux Etats-Unis. Malgré les limites des propositions, nous pouvons pointer l’objectif de la transition de l’économie vers les énergies renouvelables pour gagner en audience sur la question de faire passer l’ensemble du secteur énergétique dans le domaine public. Au fur et à mesure que la crise climatique s’aggrave, des revendications socialistes plus audacieuses pourraient bénéficier d’un soutien massif dans de nombreux pays. Un autre exemple est celui de Berlin, où la crise désespérée du logement a provoqué un mouvement en faveur d’un référendum pour exproprier les propriétaires d’entreprises qui possèdent maintenant une grande partie du parc immobilier de la ville. Cette lutte pourrait avoir des implications internationales.
Il est également très frappant de constater que la crise économique en Turquie et au Brésil joue déjà un rôle important dans l’affaiblissement de la position des personnalités autoritaires et populistes de droite qui se trouvent au pouvoir lorsque la tempête éclate. En Turquie, la dégradation rapide de la situation économique décrite ci-dessus a joué un rôle direct dans la plus grande défaite politique d’Erdogan et de l’AKP en 16 ans au pouvoir. Lors de la répétition des élections municipales d’Istanbul, fin juin, Erdogan a subi une défaite beaucoup plus grave que lors du premier tour à la fin mars.
Au Brésil, Bolsonaro a chuté drastiquement dans les sondages, et la récente grève générale contre sa réforme des retraites néo-libérale l’a mis fermement sur la défensive. N’oublions pas que la profonde crise économique qui a secoué l’Argentine au début de ce siècle a rapidement conduit ce pays vers une situation pré-révolutionnaire. Cela pourrait certainement se produire dans un certain nombre de pays au cours de la prochaine période en raison de crises économiques catastrophiques.
Si la récession frappe les États-Unis l’année prochaine, elle pourrait avoir un effet important sur l’élection présidentielle. Si les sections de la classe ouvrière qui ont soutenu Trump commencent à conclure qu’il n’a pas tenu sa promesse de ramener des emplois décents dans les zones industrielles durement touchées, les chances de réélection de Trump pourraient s’envoler. Il y a des indications que cela commence dans certains États clés du Midwest.
Mais ces tendances ne doivent pas nous faire oublier les dangers de la situation. Toutes les faiblesses de la “nouvelle gauche” seront pleinement mises en évidence dans la crise à venir. Si la gauche et le mouvement ouvrier échouent à nouveau à donner une véritable piste aux travailleurs qui veulent lutter contre les patrons et la classe politique corrompue, la voie sera encore plus ouverte aux populistes de droite et de l’extrême droite. Comme la guerre commerciale l’a montré, les politiques de plus en plus nationalistes et protectionnistes aggraveront la récession. Une caractéristique importante de cette crise, qui diffère de celle de 2008-2009, est la façon dont le populisme de droite et le ralentissement économique peuvent s’alimenter mutuellement. La dangereuse croissance du sentiment anti-immigrés dans de nombreux pays, encouragée et stimulée par les gouvernements et les partis de l’establishment au cours de la période passée, est un avertissement de ce qui peut se développer dans la période suivante, si la gauche et la classe ouvrière ne mènent pas une lutte pour une alternative socialiste.
Un autre exemple de l’effet de la récession à venir peut être de raviver celle de la zone euro si la gauche et la classe ouvrière n’offrent pas de réponses et de solutions aux questions liées aux crises économiques et à la crise de la dette migratoire. La situation en Italie est déjà très grave, le gouvernement envisageant de prendre des mesures en vue d’une monnaie parallèle à l’euro. La partie de la classe dirigeante italienne qui prône une rupture avec l’euro, ou veut la préparer, craint le coût extrême des dettes libellées en euros, à l’image de la crise dans les pays “émergents” avec des dettes énormes en devises. Pendant ce temps, la crise Brexit gronde. Les classes dirigeantes allemande et française ont à peine réussi à maintenir la zone euro après 2008. Ils ont dû recourir à toutes sortes de mesures extrêmes. Cet exercice d’équilibrisme pourrait ne pas être viable avec un autre ralentissement marqué. L’éclatement de la zone euro, avec le départ d’un certain nombre de pays et la réduction de l’euro à un noyau de pays, est une possibilité que nous devons garder à l’esprit dans la prochaine phase. Une telle évolution s’accompagnerait presque inévitablement d’une lutte politique et sociale explosive, avec de larges couches de la population tirant des conclusions radicales de gauche, en particulier les jeunes, mais aussi avec le renforcement des forces nationalistes et d’extrême droite.
Alors que les économistes keynésiens affirment que les gouvernements peuvent accroître leur dette tant qu’elle est libellée dans leur propre monnaie, la situation dans la zone euro indique la limite de cet argument. Une autre crise de la dette s’ouvre déjà, les pays du programme chinois Belt and Road devant faire face à des remboursements onéreux à la Chine pour des investissements dans les infrastructures. Cela pourrait être un facteur important au cours de la prochaine période.
Une nouvelle crise économique mondiale combinée à l’escalade de la catastrophe climatique ouvre la perspective d’une période encore plus explosive que la précédente. Dans la période qui a suivi la Grande Récession de 2008-9, la classe ouvrière n’a pas été capable d’avoir un effet décisif sur les événements, en repoussant l’assaut de la classe dirigeante et en poursuivant la contre-offensive. La raison principale en est le rôle joué par les dirigeants des syndicats, des partis et des formations de gauche, anciens et nouveaux. Malgré cela, cependant, la conscience de grandes couches a progressé. Ce climat de lutte et de défiance s’est également reflété dans la montée de puissants mouvements sociaux contre l’oppression, en particulier des femmes dans de nombreux pays et des jeunes pour la défense de l’environnement au cours des dernières années. Il s’est aussi dirigé vers les mouvements de défense de l’éducation ou des retraites contre les attaques néolibérales, ou contre l’oppression nationale, comme en Catalogne. Nous pouvons nous attendre à ce que des processus similaires se poursuivent et s’approfondissent.
Quelle que soit la forme et l’intensité des luttes de classe et des luttes sociales, ce qui ne peut être prédit à l’avance, la conscience de millions de personnes va sans aucun doute se développer dans une direction anticapitaliste et socialiste. Cela fournira un terrain fertile sur lequel les forces de la révolution socialiste devront intervenir et s’appuyer. Le principal obstacle dans cette direction sera à nouveau la direction des syndicats et des partis de ” gauche “, et en particulier des nouvelles formations de gauche. Leur incapacité à diriger crée un espace pour le populisme de droite et d’extrême droite, ce qui sera un facteur de complication, bien qu’il ne puisse arrêter le processus de radicalisation de gauche dans de grandes sections de la classe ouvrière, en particulier chez les jeunes. Cette radicalisation peut conduire à de nouvelles initiatives politiques et à des défis pour les dirigeants syndicaux existants, y compris dans certains cas la formation de nouveaux syndicats et de nouvelles organisations et partis de gauche, socialistes et ouvriers… Il est donc d’une importance cruciale que toutes les occasions soient utilisées pour intervenir dans le processus de radicalisation afin de gagner les meilleurs militants et de les transformer en cadres pour s’assurer qu’une alternative révolutionnaire claire se présente à mesure que le processus se déroule.
Bien sûr, il n’y a pas de “crise finale” pour le capitalisme. Même un effondrement économique complet finira par créer les conditions d’une reprise de l’accumulation de capital. Les capitalistes peuvent être contraints par l’ampleur de la crise et la menace de bouleversements sociaux de prendre des mesures plus drastiques. Il peut s’agir de prendre des mesures en vue d’une intervention accrue de l’État, avec une “politique industrielle” nationale ou régionale plus agressive de l’investissement public dans des secteurs clés. Cela représenterait une rupture plus décisive avec le néolibéralisme mondialisé et pourrait renforcer les illusions réformistes dans certains secteurs de la classe ouvrière pendant un certain temps. Mais cela ne mettra pas fin à l’anarchie du capitalisme mondial et à son incapacité à offrir une issue à la crise que traverse l’humanité.
Le CIO, ses partis, ses membres et ses sympathisants prendront part aux luttes à venir, les initieront si possible et lutteront au sein des mouvements, des syndicats et des partis pour un programme socialiste qui lie la voie nécessaire pour gagner les différentes luttes avec la stratégie nécessaire pour supprimer les racines des problèmes – le capitalisme. Cela demande un processus révolutionnaire mondial, seule issue possible, et la classe ouvrière mondiale, objectivement plus forte qu’elle ne l’a jamais été, est la seule force qui peut la conduire à gagner un monde libéré de l’exploitation et de l’oppression, fondé sur les besoins de l’humanité, et qui commencerait la véritable Histoire de celle-ci.
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Économie mondiale : la crainte d’une nouvelle récession

2018 a marqué les dix ans de l’effondrement de la banque Lehman Brothers qui a plongé l’économie mondiale dans la récession la plus profonde depuis les années 1930. Le virus financier s’est ensuite très rapidement propagé, paralysant la production et le commerce. Seule la prompte action coordonnée de la part des capitalistes et politiciens du monde entier a permis d’éviter une dépression similaire à celle des années 1930.
Par Robin Clapp, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)
Les éléments déclencheurs de cette crise étaient l’endettement excessif des États, des entreprises et des ménages, la spéculation déraissonnée sur le marché des hypothèques immobilières ‘‘subprimes’’ aux États-Unis et l’effondrement du marché international des dérivés, largement dérégulé, décrit par les économistes comme une ‘‘arme financière de destruction massive’’.
La panique s’est répandue à travers les frontières, à mesure que les banques européennes se trouvaient tout à coup à cours de dollars pour rembourser leurs emprunts souscrits en dollars, ce qui a forcé la Banque fédérale des États-Unis à injecter 11.000 milliards de dollars de liquidités pour maintenir le système à flot. Toutefois, même cette somme était minuscule en comparaison du plan de relance mis en place par la Chine.
Le retour de la crise
La rencontre annuelle des milliardaires du monde entier s’est tenue à Davos en janvier dernier. Il y avait là très peu d’optimisme, tant s’accumulent les problèmes géopolitiques, économiques et sociaux, qui s’élèvent comme des spectres qui viennent les hanter.
Les failles grandissantes du monde capitaliste étaient on ne peut mieux illustrées par l’absence flagrante de Donald Trump, d’Emmanuel Macron et de Theresa May, tous bloqués chez eux du fait de la situation explosive dans leurs pays respectifs (paralysie de l’administration, mouvement des Gilets jaunes, négociation du Brexit).
Davos a révélé les inquiétudes des dirigeants du monde. Ils sont à présent forcés de reconnaitre les signes évidents d’un ralentissement de la croissance économique mondiale. Le danger que représente la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, la baisse de la croissance chinoise (qui a atteint son point le plus bas en 30 ans), le bouillonnement d’une nouvelle crise de la dette, la récession en Italie et la possibilité d’un Brexit sans accord auront tous des conséquences extrêmement graves et incertaines pour le système au niveau mondial.
En Occident, le coût total de la recapitalisation des banques en faillite et de l’effacement des dettes a dépassé les 14.000 milliards de dollars. En ramenant les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas et en appliquant un ‘‘assouplissement quantitatif’’ qui a permis aux banques centrales d’acheter des titres sur le marché afin d’accroitre la quantité d’argent en circulation. C’est ainsi qu’ils ont évité, de justesse, l’effondrement complet du système économique.
Ces mesures d’urgence n’ont cependant pas permis une reprise durable. Au lieu de ça, elles ont contribué à un gonflement des prix des actifs ; dans de nombreux pays, la dette des consommateurs a de nouveau très vite atteint son niveau d’avant 2008. Les causes réelles du dernier crash ont été ignorées. La valeur totale de la dette mondiale (tant pour le public que pour le privé) a maintenant atteint le record historique de 182.000 milliards de dollars.
En 2018, on a vu à deux reprises des mouvements de panique à Wall Street (la bourse de New York), suscités par l’instabilité de la croissance et l’impact qu’aura le durcissement de la politique monétaire des États-Unis. En février 2018, 4.000 millions de dollars ont été effacés des marchés boursiers mondiaux en à peine deux jours. La reprise boursière qui s’est ensuivie aux États-Unis a été spectaculaire ; mais entre octobre 2018 et janvier 2019, on a assisté à une nouvelle série de baisses qui ont fait s’évaporer 20 % de la ‘‘valeur’’ du marché des actions.
Malgré les messages réconfortants de la part des grandes banques, qui affirment avoir nettoyé leurs comptes, de troublants parallèles refont surface. Les plus grandes banques du monde sont devenues encore plus grandes : le pourcentage d’actifs détenus par les cinq plus grandes banques n’a fait qu’augmenter, ce qui suscite des craintes du fait que ces banques restent trop importantes pour pouvoir tomber en cas de nouvelle crise.
En février de l’an passé, Chris Cole, directeur d’un fonds spéculatif états-unien, a décidé de quitter son travail qui consiste à brasser des millions issus de couvertures financières, en faisant ce commentaire cynique : « Le système tout entier est comme un serpent qui mange sa propre queue. Nous sommes sur le point de connaitre une crise financière à grande échelle, de même ampleur que la dernière, si pas pire. »
Un autre signe de l’épuisement de la qualité du crédit sur les marchés internationaux est la détérioration des émissions obligataires médianes. Depuis 1980, celles-ci sont passées de ‘‘A’’ à ‘‘BBB’’, soit un cran au-dessus du statut ‘‘à risque’’.
Le déclenchement de guerres commerciales
La présidence Trump a ajouté un nouvel élément d’imprévisibilité dans une situation par ailleurs déjà explosive. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine restent non résolues, et pourraient encore empirer en mars. Trump vitupère contre la Chine en l’accusant de cyber-espionnage et de vol de propriétés intellectuelles états-uniennes.
Bien que les divergences entre les États-Unis, le Mexique et le Canada quant à l’Accord de libre-échange nord-américain se soient un peu calmées, l’Union européenne a été frappée en mars dernier par une hausse de 25 % des taxes douanières sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium. Elle a répliqué en juin par une hausse de ses propres taxes sur les produits états-uniens.
Ces mesures ouvertement protectionnistes compliquent une situation déjà très tendue du point de vue des relations inter-impérialistes. Ces taxes augmentent le coût des importations, et donc les frais pour les entreprises, ce qui nuit aux profits. De plus, la réduction de la croissance mondiale a un effet contraire sur les exportations des États-Unis.
Trump tonne contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’il soupçonne d’être hostile aux intérêts des États-Unis. Cette organisation a été créée il y a 20 ans par les capitalistes qui, alors, croyaient étaient convaincus que le processus de mondialisation était irréversible. Dans un entretien avec Bloomberg en septembre, il menaçait : ‘‘S’ils ne se ravisent pas, je me retire de leur organisation’’.
Les tensions commerciales internationales actuelles soulignent un revirement de politique qui a commencé en 2008, entretenu par les politiciens de droite populiste qui s’en prennent, de façon démagogique, à la ‘‘mondialisation’’ et ses institutions, comme l’Union européenne, en exigeant un retour à la protection de leurs ‘‘intérêts nationaux’’.
Dans son édition du 24 janvier, la revue The Economist décrit cette période de repli partiel vers le protectionnisme comme celle de la ‘‘mondialisation ralentie’’, faisant remarquer que la valeur mondiale des investissements transfrontaliers par les entreprises multinationales est tombée de 20 % rien qu’en 2018.
Le commerce mondial connait un ralentissement qui, avec la remise en cause des accords internationaux par les États-Unis, réduit d’autant les chances d’une réaction coordonnée à la future crise économique.
L’économie des États-Unis
La hausse des incertitudes est également illustrée par la rupture à peine camouflée entre Trump et la Banque centrale des États-Unis sur la question des taux d’intérêt et de la durabilité de la reprise.
L’économie états-unienne semble robuste, avec une croissance de 4,1 % au dernier trimestre de 2018. Pourtant, le taux de croissance moyen dans la phase actuelle de ‘reprise’’ n’a été que de 2,2 %. On est très loin des 4,9 % par an en moyenne pendant les années 1960, ou même des 3,6 % par an pendant les années 1990. Cette ‘‘reprise’’ est le premier cycle de croissance depuis 1945 pendant lequel il n’y a pas eu au moins une année à plus de 3 %.
Depuis 2014, le dollar a connu une hausse de sa valeur de près de 25 %, du fait de la bonne performance de l’économie états-unienne et de la hausse des taux d’intérêt. Cette revalorisation du dollar a fortement endommagé les économies des pays en développement, qui ont vu les dollars abandonner leur territoire pour partir profiter des taux d’intérêt supérieurs aux États-Unis. La Turquie et l’Argentine ont particulièrement souffert de ce processus.
Trump a diminué les taxes sur les grandes entreprises de 35 % à 21 %. Mais de nombreuses entreprises états-uniennes ont utilisé cette hausse de leurs profits non pour investir, mais pour racheter leurs propres actions et mettre à l’abri d’immenses piles d’argent. Ceci indique un manque de confiance dans la profitabilité sur le long terme des investissements dans l’industrie.
Maintenant que la Banque fédérale des États-Unis revient sur sa politique d’assouplissement quantitatif par le rachat des bons d’État, le pays est maintenant confronté à une politique de resserrement quantitatif. L’assouplissement quantitatif avait pour but de soutenir la croissance des valeurs des actifs, des actions et de l’immobilier. Le resserrement quantitatif a l’objectif contraire.
Certains indicateurs financiers des États-Unis commencent à clignoter en rouge. De nombreux économistes sont à présent convaincus qu’une correction du marché en profondeur pointe à l’horizon. Cette correction pourrait provenir du secteur financier, déclenchée peut-être cette fois par le désarroi sur le marché des fonds négociés en bourse, des produits financiers qui offrent une diversification des risques.
Dans les maisons de commerce dirigées par des algorithmes capables de faire monter de 10 % la valeur des bons du Trésor états-unien en quelques minutes, ces instruments demeurent non testés et susceptibles aux effets des vagues de ventes à grande échelle causées par les vents de panique.
Trump pense pouvoir remporter un second mandat du fait de la vigueur de l’économie. Mais si la récession devait à nouveau frapper, il aura certainement à lutter pour pouvoir être réélu.
Le mois passé, le géant Apple a connu des pertes – ce pourrait être là aussi un signe avant-coureur de la crise à venir. Et lorsque le secrétaire au Trésor des États-Unis, Steve Mnuchin, a déclaré sans prévenir en décembre que ‘‘Les banques sont suffisamment pourvues en liquidités’’, cela a causé une nouvelle panique sur les marchés.
Le syndrome chinois
Le ralentissement de la Chine aussi suscite de nouvelles tensions. La Chine produit 16 % du PIB mondial aujourd’hui, contre 6 % en 2018. Mais dans la même période, elle a vu son taux d’endettement passer de 150 % de son PIB à 300 %.
La hausse des taxes douanières aux États-Unis ont infligé un rude coup à l’économie chinoise. Et les États-Unis menacent de nouvelles hausses de taxe pour un montant total de 300 milliards de dollars ce mois-ci au cas où Beijing refuserait de signer certains accords. La Chine est extrêmement vulnérable à une guerre commerciale ouverte.
Les tensions sociales augmentent aussi : l’année 2018 a connu plus de 1700 mouvements de grèves dans le pays, dont la majorité était liés aux vagues de licenciements dans les entreprises poussées à la faillite par la dette.
Bien qu’il soit impossible de pointer du doigt la cause immédiate ou le moment précis de la prochaine récession, tout comme il est impossible de définir à l’avance sa gravité, il semble bien que cette fois-ci, il sera bien plus difficile cette fois pour les gouvernements capitalistes du monde de parvenir à un plan coordonné et rapide pour y faire face, vu la division croissante entre eux.
Perspectives
On pourrait voir un effondrement boursier, une crise de la dette déclenchée par la hausse des taux d’intérêt (surtout dans les pays en développement), des faillites de banques qui entraineraient une crise financière, ou un choc pétrolier découlant des ingérences des États-Unis dans la politique iranienne.
Après 2008, les ministères des Finances et les banques centrales avaient réduit leurs taux directeurs à des niveaux historiquement bas et surchargé l’économie mondiale par l’assouplissement quantitatif. Mais de ce fait, aujourd’hui, leur capacité d’intervention financière est complètement épuisée. Cela signifie que la prochaine récession ou le prochain crash sera bien plus lourd de conséquences que ce que l’on a connu.
À toutes ces failles structurelles du capitalisme, s’ajoute le rapport bouleversant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui avertit que le monde n’a plus que 12 ans pour prendre les mesures nécessaires afin d’éviter une catastrophe à l’échelle planétaire.
Lorsque la crise a frappé en 2008, la classe prolétaire était trop abasourdie et mal préparée pour pouvoir riposter. Elle a été dupée, trahie et abandonnée par les partis sociaux-démocrates qui adhéraient à l’idée de l’infaillibilité du marché. Les trahisons comme en Grèce et ailleurs ont eu pour conséquence que le capitalisme a fini par être renfloué, à nos dépens.
La prochaine crise sera différente. Partout dans le monde, les prolétaires, les travailleurs et les jeunes sont en train de se radicaliser. Ils seront plus à même de riposter et de construire de nouveaux partis prolétariens de masse capables de mettre un terme au règne du capital, plutôt que de s’y soumettre.
Le programme du marxisme sera repris à l’échelle internationale afin d’armer la nouvelle génération des armes politiques dont elle a besoin pour anéantir la dictature du marché et la reléguer à jamais aux poubelles de l’histoire.
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[TEXTE de CONGRES] Un capitalisme qui a vécu
Le texte de perspectives qui a été discuté et voté lors du Congrès national du PSL de novembre 2015 a, comme c’est traditionnellement le cas, commencé par un aperçu de la situation économique. L’instabilité croissante de la Chine a ses implications, notamment pour les pays émergeant émergents. Cette situation économique a des conséquences politique, dont un accroissement de l’instabilité et des tensions inter-impérialistes. Ces questions sont abordées dans la deuxième partie qui paraîtra demain sur ce site.Ce texte est également disponible sous forme de livre et arrivera de chez l’imprimeur début de semaine prochaine. Commandez dès maintenant votre exemplaire en versant 10 euros sur le compte BE48 0013 9075 9627 de ‘Socialist Press’ avec pour mention “texte de Congrès”. Les commandes seront envoyées à partir du lundi 1er février.
Perspectives internationales et belges pour un capitalisme qui a vécu
On rigole de temps à autre avec la longueur des titres des documents de perspectives du PSL. Celui de 2012 en avait un particulièrement long : « A la veille de nouveaux conflits encore plus durs, les contradictions de classe commencent à s’exprimer également sur le terrain politique. La crise structurelle du capitalisme exige un programme socialiste. » Après coup, cela parait être une description assez précise des développements et défis qui nous attendaient alors. Le dernier Congrès national du PSL date de décembre 2012. L’an dernier, le Comité national avait décidé de différer la tenue du Congrès d’une année, une décision nécessaire afin de concentrer le parti dans sa totalité ainsi que toute sa périphérie sur le plan d’action syndical contre le gouvernement Michel.Ces trois dernières années n’ont pas été des moindres. Le capitalisme mondial n’a toujours pas surmonté sa crise de 2008-2009. Les chiffres de croissance économique restent historiquement bas et les autorités, banques centrales et institutions internationales doivent toujours maintenir l’économie à flot avec de l’argent bon marché et régulièrement aller éteindre les incendies qui se déclarent. [1]
« Si le moteur du bien-être n’est pas relancé maintenant, alors ce sera quand ? » s’est demandé Sturtewagen dans le quotidien flamand De Standaard. [2] Depuis la moitié de 2014, le marché du pétrole s’est écroulé. En une année de temps, le pétrole est devenu moitié meilleur marché. Tous les prix de l’énergie et des matières premières suivent cette tendance baissière. L’index des prix pour les matières premières du Comodities Research Bureau a atteint son niveau le plus bas en 16 ans, et c’était encore avant le ralentissement inquiétant de l’économie chinoise. [3] Parallèlement, emprunter de l’argent est très bon marché. Les taux d’intérêt, le «prix» de l’argent, sont proches de 0. De plus, depuis le début de la crise, l’augmentation des coûts salariaux nominaux diminue d’année en année. [4] Ce sont des conditions idéales pour investir, mais ce n’est pas ce qui se passe. Selon les termes de Sturtewagen « l’argent et le pétrole coulent à flot, mais l’économie continue de hoqueter ».
Sturtewagen se demande si nous avons perdu de vue quelque chose qui, dans quelques années, semblera évident. Des analystes plus sérieux ne peuvent pas se permettre d’attendre Godot. [5] Dans son rapport de la fin de l’année passée – «Démarrer le moteur et passer à une vitesse supérieure» [6] – l’OCDE vante les mérites de la politique monétaire souple des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Ce rapport conseille parallèlement à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Commission européenne de quitter la voie de la politique d’austérité dure. Sinon, affirme l’OCDE, une dangereuse combinaison de chute de la demande, de croissance nulle et de déflation pourrait être créée, sans que la politique ne puisse la contrôler puisque ce processus acquerrerait un caractère auto-nourrissant, développant sa propre dynamique.
Cela semble écarté pour l’instant. Mais que ce serait-il passé si la BCE n’avait pas réduit son taux d’intérêt à 0,05% en décembre 2014 et, surtout, si elle n’avait pas parallèlement annoncé un programme d’achats d’obligations à la hauteur de 1000 milliards d’euros pour stimuler le crédit ? Le spectre du Japon n’était plus très loin. Sept ans après la crise bancaire de 1987, le Japon s’est retrouvé embourbé dans la déflation. A l’instar de l’Europe, le pays est toujours aujourd’hui confronté à une dette publique immense, à des taux d’intérêts extrêmement bas et à un vieillissement de sa population. Depuis 25 ans, tous les quelques mois, le Japon glisse en récession. [7] « A problème japonais, solutions japonaises », doit s’être dit Mario Draghi, le président de la BCE. Sa politique visant à inonder d’argent l’économie est déjà qualifiée de Draghenomics, en référence aux Abenomics du premier ministre japonais.
Une « expérience proche de la mort » pour la zone euro
Entretemps, la BCE et la Commission européenne ont réussi à éviter un autre cauchemar, un « Griexit » qui aurait probablement signifié le début du processus de décomposition de la zone euro. Le gouvernement grec de Tsipras a cédé face aux menaces et au sabotage. N’avait-il pas d’autre choix ? Au cours du référendum du 5 juillet, la très grande majorité de la population (61%) avait pourtant clairement laissé savoir qu’elle rejetait les conditions usurières et asphyxiantes des « Institutions » pour de nouveaux prêts. Le mouvement des travailleurs et surtout la jeunesse s’étaient massivement mobilisés dans la campagne en faveur du non. Ils ne s’étaient pas laissés tromper par les médias et étaient prêts à aller en confrontation avec Juncker et compagnie. Ils étaient conscients des centaines de manifestations de solidarité qui se déroulaient ailleurs en Europe et aussi que probablement jamais auparavant autant de gens à l’étranger n’avaient su comment dire « non » en grec (Oxi). Beaucoup regardaient déjà aussi avec espoir vers les élections espagnoles de l’automne.
Dans « Où va la France », Trotsky décrit comment, dans les années ‘30, des réformes ou des concessions d’un gouvernement ne se produisaient depuis quelques temps qu’en produit collatéral de la lutte révolutionnaire. [8] Des éléments de cela sont aujourd’hui présents. Tsipras et Varoufakis ne l’avaient pas compris. Ils pensaient, de façon erronée, qu’ils pouvaient convaincre la troïka de mettre fin à l’austérité insupportable. Le gouvernement de Tsipras n’avait ni l’analyse ni le programme ni le calibre pour appliquer le mandat du référendum et a donné aux innombrables activistes enthousiastes une douche froide comme la glace. Cela fait partie du difficile processus de maturation à travers lequel doit passer le mouvement ouvrier. Cela mènera probablement à une démoralisation temporaire, peut-être à un renforcement d’Aube Dorée, mais cela créé aussi les bases pour une nouvelle formation de gauche appelée Unité Populaire, en référence à l’Unidad Popular de Salvador Allende.
L’establishment européen n’a pas eu beaucoup de temps pour se remettre de cette « expérience proche de la mort ». A peine Tsipras est-il rentré dans les rangs qu’un nouvel enfant terrible s’avançait déjà. Jeremy Corbyn a remporté les élections pour la présidence du Parti Travailliste en Grande Bretagne. Comme si l’establishment européen n’avait pas déjà suffisamment d’inquiétudes avec la montée du nationalisme écossais et la promesse de Cameron d’un référendum « Brexit ». L’establishment du parti travailliste va saboter Corbyn, voire même organiser une scission. Récupérer le parti travailliste pour le mouvement ouvrier se révèlera extrêmement difficile et signifiera en tout cas un changement fondamental de ce parti. Mais malgré cela, l’élection de Corbyn représente en soi un tournant dans le processus du rassemblement des forces pour un nouveau parti des travailleurs. Par son rôle dans le rassemblement d’activistes et de syndicalistes dans le TUSC (Trade Unions and Socialists Coalition), le Socialist Party (Le PSL en Angleterre et au Pays de Galles) sera un facteur difficile à contourner dans ce processus.
Malgré les obstacles subjectifs, les déceptions, la trahison et les défaites, la crise du capitalisme fait rebondir de plus en plus fort le processus objectif de formation de nouveaux partis des travailleurs. Dans presque tous les pays d’Europe occidentale, de nouvelles formations «de gauche radicale» se sont constituées à la gauche de la social-démocratie et des verts. L’époque où on se plaçait en marge de la société en votant pour la gauche « radicale » commence à tourner. Jusque récemment, cela n’était qu’un vote de protestation sans l’ambition de changer de politique, ce qui restait le terrain exclusif des partis gouvernementaux et d’opposition de l’establishment.
C’est toujours la caractéristique dominante. La participation au pouvoir par certains partis de gauche « radicale » en tant que « partenaire » junior sur le plan national, régional ou local n’a pas changé cela. Mais malgré la trahison, la formation du gouvernement Syriza, la prise par des « listes unitaires de gauche » du conseil municipal d’une dizaine de villes espagnoles dont Barcelone et Madrid et maintenant aussi la présidence de Corbyn ont – un peu – changé les choses. Il n’est plus complètement inimaginable qu’une véritable force de gauche véritablement désireuse de changer de société puisse peut-être suffisamment obtenir de soutien pour cela.
Ce n’est pas « secondaire ». Celui qui ne voit dans ces premières petites victoires que des illusions et de la trahison et n’y voit pas la recherche d’un programme alternatif et d’une organisation ad hoc ne saura jamais construire un parti révolutionnaire de masse. Cela ne se fait pas dans un environnement idéal imaginaire, mais dans le monde réel où il est impossible de faire abstraction des inévitables illusions à travers lesquelles doivent passer les masses.
C’est pourquoi Marx s’attaquait tellement durement au puriste Weitling lors de sa visite en 1846 à Bruxelles. [9] C’est pourquoi l’Internationale Communiste contenait, dans ces 21 conditions d’admission, à côté des conditions contre le réformisme et le centrisme, une condition importante insistant sur la nécessité de travailler au sein des organisations de masse. [10] C’est pourquoi Trotsky, dans les années ’30, exhortait les trotskistes américains à défendre la nécessité d’un parti des travailleurs plus larges à côté de la construction d’un parti révolutionnaire et insistait en Europe pour que les trotskistes adhèrent à la social-démocratie alors que celle-ci était le théâtre de luttes entre des courants de gauche et de droite. C’est aussi pourquoi, contrairement à des sectaires incurables, le Comité pour une Internationale Ouvrière estime que la construction d’un parti révolutionnaire n’est possible qu’en aidant le mouvement des travailleurs à régler ses comptes avec ses propres illusions au lieu de débiter des vérités universelles du haut de sa tour d’ivoire.
6 à 7 années de crise et de stagnation économiques ont fortement secoué l’establishment politique en Europe. A tel point que la Deutsche Bank a consacré une étude aux partis « populistes » en Europe. [11] Par ce terme, elle désigne les partis de la gauche « radicale » et l’extrême droite. Parmi les raisons pour lesquelles on vote pour ces partis, elle cite la situation économique, le chômage, l’immigration et la pression sur le système social. Tous des phénomènes pour lesquels l’establishment ne parvient plus à trouver de solutions. La banque aurait pu ajouter à cette liste les nombreux scandales de corruption ainsi que la question nationale. Il est d’ailleurs frappant que parmi les partis « populistes » n’est cité aucun parti régionaliste ou nationaliste. Probablement cela est-il trop sensible.
L’étude confirme que si la gauche n’offre pas de réponse, la droite populiste ou des partis néofascistes rempliront le vide. En Autriche, le FPÖ se trouve en tête des sondages avec 27%, en France, le FN, en mars, avec 25%, n’a dû s’incliner que devant l’UMP au premier tour. Évidemment, cela crée des complications. La création de formations de gauche se base néanmoins sur des fondements plus solides. Cela répond à un processus objectif : la force du mouvement des travailleurs. Bien que les résultats électoraux de formations de droite populistes ou néofascistes puissent sembler plus impressionnant, elles sont basées sur des fondements plus superficiels, principalement des frustrations subjectives sur base du manque d’une alternative à gauche. Cela peut changer si le mouvement des travailleurs subit toute une série de défaites fondamentales, mais cela n’est pas la perspective la plus probable.
Bien que le CIO avait venu venir depuis le début des années ’90 la formation de nouveau partis travailleurs, le seul courant politique à l’avoir fait, pendant longtemps, nous avons été réduits au rang de spectateurs qui n’avaient que peu voire pas de forces sur le lieu des évènements. Il suffit de penser à Refondation Communiste en Italie ou au Bloc de Gauche au Portugal. Ce n’est qu’avec le nouveau millénaire que nous sommes devenus acteurs à part entière de ces processus. Il semble maintenant que, petit à petit, nous commençons à percer dans le noyau du processus. Le troisième mémorandum signifie le suicide économique pour la Grèce. Pour les travailleurs et leurs familles, cela revient à un drame social encore plus profond. Tsipras voulait des élections au plus vite avant que ce qu’il avait signé ne soit devenu clair. Depuis lors, il les a gagnées avec un pourcentage semblable à celui de janvier 2015. Mais l’énorme démoralisation s’exprime dans une participation historiquement basse : moins de 50% malgré le vote obligatoire. Syriza a perdu 300.000 électeurs.
Contrairement à l’Italie, où la trahison de Refondation Communiste avec sa participation au gouvernement Prodi II (mai 2006-janvier 2008) a politiquement décapité le mouvement des travailleurs et l’a laissé sans aucune représentation politique, de la trahison de Tsipras a émergé une nouvelle formation de gauche, Unité Populaire (LAE). Celle-ci a raté de justesse de franchir le seuil électoral (2,87% au lieu de 3%), principalement suite à la démoralisation générale, mais aussi en raison du temps limité pour s’organiser et, hélas, de par l’attitude pédante et non-démocratique initialement adoptée par sa direction. Tout cela fait que l’avenir de LAE est une question ouverte. Mais si LAE prend vie, alors Xekinima, le PSL en Grèce, y jouera un rôle important. Xekinima a gagné le respect de nombreux activistes par sa réputation d’avocat le plus conséquent de l’unité de la gauche non-sectaire autour d’un programme anticapitaliste, entre autres avec l’Initiative des 1000, puis avec des alliances de gauche locales, puis le mouvement du 17 juillet et finalement en souscrivant à l’appel contre le nouveau mémorandum.
Mais c’est surtout dans la république irlandaise avec l’Anti Austerity Alliance que nous pouvons pour la première fois jouer le rôle clé dans ce processus. Surtout maintenant que plus d’une vingtaine d’activistes, dont le parlementaire Paul Murphy (membre du Socialist Party, le PSL en Irlande), sont trainés en justice pour la «prise d’otage» de la ministre travailliste Joan Burton. Nous sommes curieux de voir l’effet que cela aura lorsque Burton, à quelques mois des élections, sera appelée comme témoin central dans un procès contre les victimes de sa propre politique d’austérité. Ceux-là ont osé protester dans un contexte où 57% des ménages refusent de payer la nouvelle taxe détestée sur l’eau. Que ce soit à la Cour ou au Parlement, notamment avec les trois députés du Socialist Party, ce fait ne manquera pas d’être mentionné.
Partout, les difficultés économiques interminables minent la stabilité sociétale. Les contradictions deviennent plus aigües, les solutions plus radicales et les évènements se suivent à un rythme plus élevé. L’autorité des instruments traditionnels de domination et l’efficacité des mécanismes classiques de concertation et de gestion de conflits font défaut. Cela n’assure pas seulement que l’espace pour le changement diminue petit à petit et que des réformes n’arrivent plus que comme produit collatéral de la lutte révolutionnaire, mais aussi que la situation peut vite changer. Des changements brusques et des tournants abrupts sont caractéristiques de cette époque.
Etats-Unis : le bipartisme menacé
Aux Etats-Unis également, pour les présidentielles, les deux partis du grand capital doivent faire face à des candidats qu’ils détestent. Chez les Républicains, Trump est toujours en tête des primaires, mais ce sont surtout les mauvais sondages concernant Jeb Bush qui inquiètent l’establishment du parti. Chez les Démocrates, Bernie Sanders semble devenir le principal adversaire de Clinton. La résistance annoncée par «The Battle of Seattle» (1999) et qui a de nouveau rejailli avec les mouvements Occupy, 15NOW et Black Lives Matter commence également à se refléter sur le plan politique fédéral. Seul Socialist Alternative (le PSL aux Etats-Unis) avait su reconnaître cette tendance et la saisir de manière réfléchie mais audacieuse au travers de ses participations électorales. L’élection de Kshama Sawant que Socialist Alternative a réussi à faire reconnaitre ce fait, mais aussi à renforcer le processus en transformant la revendication du salaire minimum de 15 dollars de l’heure de propagande en agitation et en le mettant sur le haut de l’agenda politique. Et puis aussi à accélérer le processus en augmentant la pression sur Sanders pour se présenter en candidat aux présidentielles.
La perspective de l’OCDE que l’économie américaine allait « croître fortement » était trop optimiste, mais il y a bien une reprise économique, la plus lente depuis 1945. [12] Pourtant, cela suffit à renforcer la confiance du mouvement des travailleurs et à expliquer la popularité de la revendication pour les 15 dollars de l’heure. Les Etats-Unis profitent des bas prix de l’énergie, de l’arrivée de capitaux à la recherche de sécurité et de la politique d’intérêt nul. Mais cela crée également des nouvelles bulles de dettes. Selon Stephen Roach (une voix déterminante à Wall Street à l’époque), la FED sème ainsi les graines d’une nouvelle crise. [13] Selon l’ancien économiste en chef de la banque pour les payements internationaux, les dettes des entreprises, des ménages et des autorités dans les 20 plus grandes économies sont aujourd’hui à un niveau 30% plus élevé qu’en 2007. [14] Il faut donc d’urgence augmenter les taux d’intérêt mais ceci n’est pas sans danger. Lorsqu’en mai 2013, la FED a annoncé commencer à faire du « Tapering », commencer à réduire l’injection mensuelle de liquidités fraiches dans l’économie, cela a provoqué la panique sur les marchés financiers mondiaux. C’est ce qui explique l’extrême prudence avec laquelle Janeth Yellen, actuelle gouverneure de la FED, a annoncé que la FED considère augmenter son taux d’intérêt le 17 septembre à condition d’un troisième rapport favorable concernant l’emploi.
A cela s’ajoute encore une complication supplémentaire, dans « Faire démarrer le moteur et passer à une vitesse supérieure », l’OCDE était encore convaincue que les pays en développement, surtout, allaient encore croître fortement. Quelques mois plus tard, le Brésil est touché par la récession, l’inflation, une crise fiscale et des protestations massives. Le marché immobilier chinois s’est écroulé, sur les bourses de Shangaï et Shenzen, 4000 milliards d’euros sont partis en fumée, et la production industrielle et l’exportation ont fortement diminué. L’économie russe a connu un rétrécissement de 4,6% de son économie au 2e trimestre de 2015 comparé au même trimestre en 2014 et ceci après un rétrécissement de 2,2% au premier trimestre face au même trimestre de l’année précédente. Les 15 plus grands pays en développement connaissent la plus grande fuite de capitaux depuis le début de la grande récession en 2009 et ce flux part principalement en direction des Etats-Unis. Si Yellen augmente les taux d’intérêt, ce flux s’accélérera encore. Mais entretemps, nous savons que Yellen a postposé cette mesure pourtant jugée urgente. Et les bulles continuent de gonfler.
Leur morale, notre indignation
Les économistes bourgeois ne s’en sortent plus. Ils se contredisent l’un l’autre et eux-mêmes. Cela gêne Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING, que le professeur d’économie Larry Summers aux Etats-Unis, ancien secrétaire d’Etat aux finances sous Clinton, parle de « stagnation séculière ». [15] C’était la terminologie exprimant après la grande dépression des années ’30 que l’on s’attendait encore à des années de faible croissance. Selon Vanden Houte, c’est trop pessimiste : « Il n’est pas impossible que de nouvelles innovations révolutionnaires puissent causer un choc positif de productivité. La prédiction d’une stagnation éternelle après la grande dépression ne s’est pas réalisée non plus. » Mais, ajoute-t-il, « les pessimistes ont raison de dire qu’il a fallu une guerre mondiale avant que l’économie soit relancée. » Quelques mois plus tard, ce Vanden Houte conclut un article où il compare la situation en Chine avec celle du Japon dans les années ’90 : « il n’est pas tout à fait clair ce que nous pouvons encore attendre de l’économie chinoise pour les prochaines années, mais il semble certain que la croissance sera plus volatile et en moyenne plus basse. » [16] Dans cet article, il fait également référence au fameux « piège au revenu moyen », nous l’avons déjà abordé de manière extensive en 2011. [17]
L’époque de la soi-disant rationalité, l’idée des économistes classiques selon laquelle l’intérêt général est le mieux servi lorsque chacun rechercher la satisfaction de son propre intérêt, est remise en question depuis quelques temps. Le converti le plus frappant est l’ancien thatchérien et ancien parlementaire des libéraux flamands (VLD) Paul Degrauwe. Mais aussi Mia Doornaert, du quotidien flamand De Standaard, pointe dans son article « La revanche du capital » [18] que le bien-être en Europe occidentale avant la chute du Mur de Berlin (novembre 1989) « n’était pas le résultat d’un libre-marché rampant, mais de la politique, d’une politique consciente de répartition des richesses. (…) Au cœur de l’Europe, une compétition était à l’œuvre entre le communisme et la liberté [le capitalisme, NDA]. De cette lutte est né l’Etat-Providence. (…) Si quelqu’un a profité de l’existence de l’Union soviétique et de son empire, ce sont les travailleurs en Europe occidentale. » Elle conclut : « Il n’existe pas de système qui génère automatiquement la richesse et le bien-être. Pour cela, il faudra toujours une politique qui sauvegarde l’équilibre délicat entre liberté et solidarité. Et qui fait donc respecter les règles morales du jeu, y compris par les marchés. »
Même Yvan Van de Cloot, du Think Thank de droite Itinera, trouve que cela commence à suffire. [19] Il se plaint que 43% des actifs financiers des environ 8000 banques européennes se trouvent dans les comptes de 15 grandes banques uniquement. Que seulement 10% des produits financiers vendus et achetés concernent l’économie réelle. Que moins de 10% de toutes les dettes concernent des sociétés non-financières. Que seulement 5% des activités d’échange ont à voir avec de l’importation et de l’exportation réelles de biens et de services. « Le secteur financier européen commerce donc essentiellement avec lui-même. Il existe un énorme degré de consanguinité. Le meilleur qui peut nous arriver », conclut Van de Cloot, « c’est la destruction d’un genre spécifique de capitalisme, c’est-à-dire la destruction du capitalisme financier basé sur les transactions. Nous devons revenir au capitalisme basé sur des relations. » Van de Cloot arrive finalement, donc, au même point que Mia Doornaert : « l’économie n’a de sens que si elle est moralement correcte. » [20]
Cette question de la moralité se base évidemment sur quelque chose. Selon Oxfam, mais les chiffres sont contestés, la fortune combinée des 80 personnes les plus riches au monde en 2014 serait équivalente à celle des 3.500.000 les plus pauvres. En 2010, il fallait encore les 388 personnes les plus riches pour parvenir au même résultat. [21] Un rapport d’Oxfam de 2012 affirmait que les 240 milliards de dollars gagnés par les 100 personnes les plus riches de cette année-là suffisaient à éradiquer 4 fois l’extrême pauvreté dans le monde. [22] Dans le Global Risk Report, le rapport annuel du Forum économique mondial rédigé par 700 experts concernant les plus grands dangers pour les 10 années à venir, l’inégalité croissante est considérée comme la plus grande menace. [23] Le salaire des patrons de la Bourse londonienne – salaire de base, boni, stock-options et autres avantages compris, mais évidemment pas les dividendes ou d’autres revenus du capital – était en moyenne, en 2010, l’équivalent de 160 fois le revenu moyen d’un employé à temps plein. En 2014, c’était déjà 183 fois. [24] Il faut donc aux employés à temps plein de ces groupes en moyenne 15 années et 3 mois pour gagner ce que leur patron encaisse en un mois, contre 13 années et 4 mois il y a 4 ans !
La seule excuse que l’on peut encore inventer, c’est que ces super-riches d’aujourd’hui seraient dépassés par quelques figures historiques. Pour cela un modèle de calcul spécial a été élaboré. MeasuringWorth.com ne tient pas seulement compte de la propriété, mais aussi de son impact dans le PIB, des moyens technologiques, etc. Bill Gates ne serait ainsi que le 9e plus riche de l’Histoire, avant Gengis Khan (10e), mais après Rockfeller (7e), Staline (5e) et l’empereur Romain Auguste. [25] Le roi des rois africains de l’empire du Mali, Manse Moussa (fin du 13e, début du 14e siècle) serait le plus riche de tous les temps. Nous doutons que cela rend moins grave qu’il y ait 4700 milliards d’euros en fortunes financières cachés dans les paradis fiscaux et que le fisc perd ainsi chaque année 130 milliards d’euros en manque de revenus. [26] Tout comme l’exonération légale de paiement d’impôts sur son salaire annuel de 380.939 euros innocente moralement Christine Lagarde, directrice générale du FMI, lorsqu’elle pense pouvoir exhorter les Grecs pour qu’ils paient leurs impôts correctement. [27] Mais il ne faut pas que ce soit illégal ou d’un standard moral douteux pour susciter l’indignation. Selon une étude de la société de gestion internationale Henderson Global Investors, en 2014, les 1200 entreprises les plus grandes au monde ont payé en dividendes 1023 milliards d’euros à leurs actionnaires, une augmentation de 10,5% comparé à 2013. [28]
L’absence d’issue fait surgir des questions existentielles
Il y a eu des années où tout ce que les capitalistes touchaient semblait se transformer en or. Cette période est passée. Aujourd’hui, tout semble avoir une face sombre. Les prix bas des matières premières font que les consommateurs dépensent moins pour l’essence, le diésel ou le gasoil, mais cela réduit aussi l’inflation, déjà basse, qui menace de devenir déflation. [29] Cela peut à son tour pousser les consommateurs à repousser leurs dépenses et créé ce que l’on appelle une chute de liquidités qui fait en sorte que la baisse des dépenses d’énergie ne se traduit pas, ou seulement partiellement, dans d’autres consommations. La déflation, ou la baisse des prix de vente, réduit également la marge de profit des entreprises.
Par contre, la baisse des prix de l’énergie et des matières premières représente également une économie pour plein d’entreprises, surtout dans le transport et l’aéronautique. Mais pour le secteur pétrolier et ses sous-traitants, cela n’est pas le cas. Et pas non plus pour les pays producteurs de pétrole tels que le Venezuela, la Russie ou la Norvège. [30] La Norvège dépend du pétrole à hauteur de 50% de ses exportations, depuis la baisse des prix, 20.000 emplois ont été perdus dans le secteur. Au premier trimestre de 2015, l’économie norvégienne a connu une contraction de -0,1%. [31] Des Etats pétroliers tels que le Dakota du Nord et la Louisiane doivent compenser la perte de revenu par des économies sur leurs dépenses publiques. Les entreprises de forage pétrolier postposent leurs investissements. [32] Depuis juillet 2014, déjà 200 milliards de dollars seraient ainsi gelés. C’est d’ailleurs l’objectif, du moins de la part de l’OPEP et surtout de l’Arabie Saoudite, qui tiennent leur production à un niveau élevé dans l’espoir de contrarier le développement de l’extraction de pétrole de sables bitumineux aux Etats-Unis. Cette pratique n’est rentable qu’à partir de 60 à 70 dollars le baril, là où l’exportation de pétrole saoudien l’est déjà à partir de 10 à 30 dollars. [33] Le prix actuel tourne autour de 40 dollars, le niveau le plus bas depuis 2009. [34] Le bas prix du pétrole assure également que l’on investit moins dans des sources d’énergie alternatives. [35]
La politique monétaire souple des Etats-Unis et de la Grande Bretagne vantée par l’OCDE a aussi son côté sombre. Selon l’agence de consultance MCKinsey, la dette totale – particuliers, entreprises et autorités combinés – des économies les plus importantes sur le plan mondial, ont crû de 40% depuis 2007 à 200.000 milliards de dollars, soit 286% du PIB mondial. Les banquiers de l’ombre, des banques non-reconnues, qui échappent à la régulation classique, ont déjà atteint les 75.000 milliards de dollars, autant que le PIB mondial. [36] La Banque des règlements internationaux (BRI) pointe qu’à mesure que les règles pour les banques sont devenues plus contraignantes, le rôle des fonds de capitaux à risque et des agences de gestion de patrimoine sur les marchés financiers a pris en importance. Eux aussi valent maintenant un capital d’investissement de 75000 milliards de dollars. Ce qui est plus grave, une vingtaine de fonds de gestion en détiennent 40%. [37] William White avertit de l’arrivée d’une nouvelle crise financière. [38]
Autant de contradictions doivent inévitablement faire poser des questions existentielles. Que penser d’autre des titres tels que « La force destructive de l’inégalité » [39] ou encore « les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois » [40] et « comment la technologie menace de faire dégringoler notre pouvoir d’achat ». [41] La crise est toujours la conséquence d’une confluence particulière de divers facteurs. Expliquer des crises exclusivement sur base de l’un ou quelques facteurs est spécifique des écoles d’économistes bourgeois, qu’ils soient mercantilistes, libéraux classiques, de l’école autrichienne, de l’école historique, du marginalisme, de l’utilitarisme, du monétarisme, du libertarisme, du keynésianisme, du néo-keynésianisme ou encore d’autres.
Progrès et capitalisme
L’économie critique (ou marxiste) étudie les processus vivants qui s’articulent et s’influencent les uns les autres. Cela ne signifie pas encore qu’il n’y aurait pas à l’œuvre de lois tendancielles – en contradiction avec des « lois d’airain » ou lois absolues – propres au mode de production capitaliste. [42] Par exemple la tendance systématique à la surproduction, puisque le profit provient du travail non-rémunéré des travailleurs. Des néo-keynésiens tels que Paul De Grauwe, Paul Krugman, Joseph Stigliz et pourquoi pas Yanis Varoufakis n’ont pas complètement torts lorsqu’ils accentuent que la demande est à la traine. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les salaires dans les pays développés n’avaient toujours pas atteint l’année passée, après une croissance décevante de 0,1% en 2012 et 0,2% en 2013, le niveau d’avant 2007. L’OIT estime que cela explique la faible reprise et le risque croissant de déflation dans l’eurozone. La demande en berne, due à la répartition inégale des richesses, est certainement un facteur très important dans la crise actuelle.
L’OIT confirme encore une autre « loi tendancielle » du capitalisme. C’est-à-dire qu’elle créée ses propres fossoyeurs. Si les salaires sur le plan mondial ont encore connu une certaine croissance, c’est principalement dû à une augmentation dans les pays en développement, avec 6,7% en 2012 et 5,9% en 2013. Surtout en Chine, le mouvement des travailleurs a saisi la croissance de ces 15 dernières années pour arracher de meilleurs salaires. Sans la Chine, en 2013, la croissance des salaires sur le plan mondial n’était pas de 2%, mais de 1,1% seulement. [43]
Aucune « loi tendancielle » démontrée par Marx n’a été plus critiquée que celle sur l’appauvrissement (relatif) de la classe des travailleurs. Mais maintenant, même l’OCDE avertit qu’une diminution des inégalités est nécessaire. « Ces dernières décennies, 40% de la population de l’OCDE n’ont pas profité de la croissance », ce qui fait qu’une partie des classes moyennes recule. Ces gens reçoivent un enseignement plus mauvais, moins de travail et moins d’opportunités. Cela stoppe la mobilité sociale dans nos Etats-membres. » Selon l’OCDE, la croissance des écarts entre revenus entre 1985 et 2005 aurait freiné la croissance entre 1990 et 2010 à hauteur de 4,7%. « A l’époque, nous pensions que l’égalité était quelque chose de communiste », affirme le dirigeant de l’OCDE Angel Gurria, « mais il n’y a rien d’idéologique à cela. Plus d’égalité de revenus assure plus de croissance économique, plus de cohésion sociale et plus de confiance dans la politique. » [44]
Mais la distribution inégale n’a pas toujours été un frein sur la croissance économique du capitalisme. Jusque tard dans le 19e siècle, avec le développement de la compétition, c’était justement une condition nécessaire pour accumuler suffisamment de capitaux afin de pouvoir démarrer une révolution dans le développement des moyens de production. La peur des artisans, des paysans, des domestiques et des ouvriers manufacturiers de l’époque quant à l’effet de destruction d’emploi de l’introduction des machines n’était pas totalement dénué de fondement. Mais finalement, la révolution industrielle a tout de même créé plus d’emplois que ce qui avait été détruit par les machines. Aujourd’hui, des patrons aiment se référer à cette période historique lors des restructurations et des fermetures. Les travailleurs et les syndicats qui s’y opposent sont accusés de conservatisme. La comparaison avec les luddites anglais qui brisaient les machines au début du 19e siècle n’est jamais très loin. Mais tout comme l’inégalité a changé cet élément d’un facteur progressiste sur le progrès au facteur de frein sur le progrès (est devenu son opposé dialectique, en termes marxiste) l’effet sur l’emploi de nouvelles applications techniques et scientifiques est différent aujourd’hui par rapport à la phase de naissance du capitalisme.
Chômage technologique
Keynes l’avait déjà reconnu en 1930, lorsqu’il mettait en garde concernant le « chômage technologique », le chômage consécutif au progrès technologique et scientifique. Dans un texte où il tentait d’imaginer les choses un siècle plus tard « vers les possibilités qui pourraient jaillir pour nos arrières enfants à condition qu’il n’y ait ni guerre importante ni croissance de la population », Keynes soulevait que le capitalisme pourrait absorber le chômage technologique en diminuant la durée de travail hebdomadaire moyenne à 15 heures par semaine, ou 3 heures par jour. [45] Mais cette redistribution du travail ne se fait pas automatiquement, elle est déterminée par les relations de force entre travail et capital. Après une période de réduction du temps de travail à l’époque de l’Etat-Providence, nous constatons aujourd’hui non seulement un allongement du temps de travail et un accroissement de la pression au travail, mais aussi un chômage massif structurel. Cela créé une armée de chômeurs, que Marx appelle une « armée de réserve » de travailleurs, qui fait diminuer le prix de la force de travail et renforce la position du capital dans la lutte des classes.
Mais l’existence d’une armée de réserve de travailleurs conduit aussi, à un certain point, à plus de désavantages que d’avantages pour les capitalistes. Des prédictions selon lesquelles d’ici une ou deux décennies l’usage de robots de plus en plus intelligents rendra superficiels 47% des emplois américains sont de plus en plus prix au sérieux. [46] Il existe entre temps des entreprises totalement automatisées où des machines tournent 24 heures sur 24 sans intervention humaine, des entreprises appelées light-out. Cela ne menace pas seulement des emplois industriels, mais aussi par exemple des emplois médicaux avec des robots qui assistent des docteurs et des infirmières ou dans l’enseignement avec des cours en ligne. [47] Selon une étude d’ING; 2,2 millions des 4,5 millions d’emplois actuels en Belgique pourraient être automatisés dans les décennies à venir, dont 96% des comptables, 95% des vendeurs, 93% des fonctionnaires fiscaux, 90% des serveurs, 86% des facteurs, 66% des agents d’assurance, 49% des plombiers,… [48] Le correspondant de « Robotica et Intelligences Artificielles » Nico Tangha, rapportait à ce titre dans De Standaard sa visite d’une usine robotisée futuriste au Japon. [49] A plus long terme, cela menace le pouvoir d’achat de la couche basse et moyenne, avertit City-group, et cela peut paralyser l’économie. [50]
La science et la technique se sont développées à un niveau où le capitalisme n’est plus capable de gérer le processus. Des nouveaux produits exigent souvent des années d’investissement dans une recherche très coûteuse. Freiner le progrès est une caractéristique typique des sociétés en déclin. Cela vaut dans une certaine mesure pour les opprimés, dans ce cas-ci des travailleurs qui s’opposent à l’innovation car ils comprennent que sous le capitalisme cela conduit au chômage et à la pauvreté. Mais cela vaut encore beaucoup plus pour la classe dominante capitaliste qui, à l’instar de ses prédécesseurs féodaux, essaye de limiter le développement libre et l’échange nécessaire des sciences et techniques, dans leur cas pour essayer de sauvegarder leur avantage compétitif. Cela signifie un énorme gaspillage. Du moment qu’un produit est à point, il faut en plus le rendre rentable dans le moins de temps possible d’où l’usage abondant d’entreprise qui ne s’arrêtent jamais, au travail mauvais pour la santé et au rythme de travail inhumain. D’où aussi la demande de travail dominical, de crèches fonctionnant 24 heures sur 24, d’une économie 24/24. Chaque année, Apple sort un nouvel IPhone pour ne pas être en retard, des modèles de voitures ne doivent dorénavant plus être renouvelés tous les 6 à 7 ans mais tous les 5 ans avec un lifting intermédiaire après 2 et 3 ans. Cela nécessite de grands investissements mais, pourtant, la durée de vie moyenne des voitures ne cesse de monter. En Belgique, par exemple, de 6 ans et 3 mois en 1993 à 8 ans et un mois en 2013. [51]
Marc Goblet raconte que dans les secteurs pour lesquels il était responsable en tant que président de la Centrale Générale avant d’être devenu Secrétaire Général de la FGTB, les coûts salariaux ne représentaient que de 7 à 20% des coûts totaux. [52] A cause du développement de la science et de la technologie, la part de capital dépensée en énergie et en machines ensemble avec les bâtiments et les matières premières, appelée capital fixe, a crû proportionnellement aux dépens de la partie variable qui est dépensée pour les coûts salariaux. Marx appelle cette proportion la constitution organique du capital. Mais puisque le capital fixe transfère sa valeur dans le produit fini sans y ajouter de la nouvelle valeur et que seul le capital variable ajoute de la valeur ou de la plus-value, le taux de profit (le profit par quantité de capital investit) a tendance à baisser. C’est ce que Marx appelle la baisse tendancielle du taux de profits. C’est ce phénomène qui explique pourquoi, depuis les années ’70, les marchés financiers ont connu une croissance exponentielle. Beaucoup de capitalistes préfèrent la spéculation boursière à l’investissement dans la production réelle parce que les profits qu’ils espèrent y réaliser leur semble insuffisants ou incertains.
Nombre de facteurs contribuent à expliquer la « stagnation séculière » ou plus précisément la longue phase descendante, avec des périodes de faible reprise mais aussi de nouvelles chutes profondes. La baisse tendancielle du taux de profit est sans doute l’explication sous-jacente la plus importante. L’absence de croissance de productivité malgré la révolution digitale en est l’expression. Tout comme le manque d’investissements productifs dans l’économie réelle. [53] Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de forces contradictoires à l’œuvre. Ces dernières années, le taux de profit a même été partiellement restauré par l’augmentation du rythme de travail, en utilisant des contrats de travail ultra-flexibles, en enlevant des moments non-productifs dans le processus de travail, en se concentrant sur le core-business plus productif, etc. Bref, en augmentant le taux d’exploitation. Une des conséquences de cela est l’augmentation du fossé entre le pouvoir d’achat commun de tous les travailleurs et la valeur totale des biens et des services produits par eux. Le crédit et l’usage de l’épargne peut temporairement contrarier ce phénomène. Sans nier l’importance de la baisse tendancielle du taux de profit dans la conjoncture actuelle, c’est surtout la peur de ne pas trouver de marché qui freine les investissements productifs. En terminologie marxiste, c’est ce que l’on appelle la peur du capitaliste de ne pas pouvoir réaliser la plus-value produite par manque d’acheteurs.
Les pays en développement la guerre monétaire mondiale
Entre janvier 2013 et janvier 2014, le réal brésilien a perdu -16,46% de sa valeur face au dollar. Le Peso argentin -37,93%. La lire turque -21,80%. La Roupie -13,80%. La raison principale était le tapering, la réduction de l’injection d’argent par la FED à laquelle nous avons déjà fait référence. Cela a provoqué un renversement du carry-trade. C’est le phénomène ou des spéculateurs empruntent de l’argent aux Etats-Unis à un taux d’intérêt bas pour acheter des obligations dans des pays en développement à un taux plus élevé avec l’objectif d’encaisser la différence. Un des effets secondaires avait été que cela augmentait la valeur des monnaies et des cours boursiers dans ces pays en développement et assurait une injection de crédits bons marchés. Le rapatriement de ces fonds vers les Etats-Unis a provoqué l’effet inverse. Les monnaies de ces pays en développement perdent de leur valeur, les produits importés deviennent donc plus chers, ce qui provoque une inflation et les investissements s’arrêtent. En Inde et en Argentine, les prix ont augmenté de presque 10%. En juillet 2014, deux fonds vautours qui n’avaient pas accepté en 2005 la restructuration des dettes négociée avec 93% des créanciers, ont ramené l’Argentine au seuil de la banqueroute. La même année, un front de trois organisations trotskistes (FIS) a obtenu 1,2 million de votes, trois députés nationaux et plusieurs députés régionaux.
Seule la Chine semblait facilement digérer le revers économique, mais sur base d’une injection d’investissements basée sur le crédit. La dette totale en Chine – autorités, particuliers et entreprises ensemble – était de 160% du PIB en 2008 et déjà de 230% en 2014. Les investissements représentent en 2014 plus de 50% du PIB. [54] Depuis, la dette totale a déjà atteint 300% du PIB. [55] L’économie chinoise est confrontée à la surcapacité, à la déflation, à une crise dans l’immobilier et à une crise de dette des autorités locales. En tout cas, la croissance est beaucoup plus basse que les chiffres officiels, certain économistes avertissent de la perspective d’un atterrissage dur. L’année passée, les dirigeants chinois disaient encore que le ralentissement économique était une intervention contrôlée pour rééquilibrer la croissance économique trop basée sur l’investissement vers une croissance durable basée sur la consommation. Mais maintenant que tant la consommation que les investissements stagnent, comme à peu près tout le reste, le « ralentissement contrôlé » et le « rééquilibrage » semble être un déraillement. [56]
Fin juin début juillet, les bourses de Shangaï et de Shenzen ont connu un crash. Cela a provoqué une réaction de panique de la part du régime chinois. Beaucoup des investisseurs chinois sont des particuliers, la classe moyenne urbaine, une couche sociale importante pour le régime, avait déjà été touchée par le crash de l’immobilier. Le régime avait pensé pouvoir compenser par une croissance forte des bourses pour que cette couche sociale ne soit pas perdante et pour elle-même sortir enrichie. Il a poussé la population à investir dans la bourse pour compenser le ralentissement de la croissance aussi sur base d’emprunts. [57] Ce rêve chinois vient d’éclater en plein vol. La situation réelle de l’économie chinoise fait surface : des prix à la production qui continuent de baisser depuis 40 mois minent les profits des entreprises et rend plus difficile l’amortissement des dettes ; une inflation de seulement 1,6%, en fait une déflation sans tenir compte des prix de la nourriture ; en juillet une baisse des exportations de 8,3% sur base annuelle et une forte augmentation du Yuan face à l’euro et au yen, ce qui explique pourquoi l’exportation vers l’Europe durant les sept premiers mois de 2015 a diminué de 2,5% et celle vers le japon de 10,5%. [58]
Résultat : mobilisation générale. Depuis le 27 juin, les taux d’intérêts ont été abaissés. Plus de capital a été injecté dans les banques, de nouvelles actions ont été bloquées à la Bourse, des fonds de pension et des entreprises publiques ont été obligés d’acheter des actions et un fonds de stabilisation du marché a été créé. Tout le système financier des autorités a été mobilisé dans une opération de sauvetage massive qui a connu son sommet avec l’annonce, le 5 juillet, que la banque centrale allait acheter des actions afin d’arrêter la chute. Cela a été décrit par certains commentateurs comme du « Quantitative Easing » à la chinoise. Ces mesures désespérées indiquent que la situation est probablement encore pire que ce qui est connu en ce moment-ci. Une réaction en chaîne entraînant beaucoup d’entreprises, d’autorités locales et de banques est possible. Le prestige du régime est en jeu. Fin 2012, Xi Jinping avait d’ailleurs lancé sa stratégie de réformes où les marchés ont reçu un rôle déterminant. Le régime peut encore regretter cela.
Cela explique aussi le changement drastique dans la stratégie du régime chinois. Autant pendant la crise monétaire asiatique de la fin des années ’90 que lors de la crise de 2008, le régime chinois s’était tenu à sa politique d’une monnaie forte. Il espère d’ailleurs faire du Yuan une monnaie de réserve et en plus, une perte de valeurs du Yuan provoquerait une fuite des capitaux hors de Chine. Selon Tom Orlik, l’économiste responsable pour le continent asiatique chez Bloomberg, chaque pourcent de perte de valeur du yuan contre le dollar provoquerait le départ d’environ 40 milliards de dollars de Chine. Mais cette politique est maintenant devenue intenable et donc la banque populaire chinoise a décidé le 11 août une dévaluation unique de -1,9%, suivie le 12 août d’une nouvelle de -1,6% et d’une 3e le 13, de -1%. La banque populaire prétend qu’elle rend ainsi le taux d’échange plus orienté sur le marché. Probablement spécule-t-elle sur le fait que par manque de confiance envers l’économie chinoise, les marchés continueront à mettre pression sur le Yan. La Chine a ainsi enclenché la tendance vers la dévaluation et rejoint donc la guerre des monnaies mondiale dans une tentative d’exporter la déflation et de se procurer un avantage commercial face aux autres marchés économiques.
La décision chinoise porte la guerre des monnaies qui était enclenchée depuis quelques temps à un niveau qualitativement plus élevé. Immédiatement après la dévaluation chinoise, le Baht thaï a perdu -0,7% face au Dollar et le Dollar de Singapour a chuté de -1,2%, son plus bas niveau en cinq années. Le Peso philippin se trouve aussi à son niveau le plus bas depuis 5 ans et les monnaies indonésiennes et malaisiennes se trouvent à leur plus bas niveau depuis la crise asiatique de 1998. Depuis, le Vietnam et le Kazakhstan ont également dévalué leurs monnaies. [59] Ces pays ne font qu’appliquer ce qui leur avait déjà été montré par l’Europe. La planche à billets avait largement été utilisée depuis 2014 pour stimuler l’économie, rendre les emprunts meilleurs marchés, stimuler les investissements, contrarier la déflation mais aussi pour affaiblir l’euro pour relancer l’exportation. Dans son rapport annuel de manipulation des échanges, le secrétariat d’Etat américain aux finances pointe du doigt l’eurozone à ce sujet. [60] Mais en fait, l’eurozone ne fait que ce que les Etats-Unis ont eux-mêmes appliqués lorsque leur économie était plus faible. Ce n’est que ces dernières années que les Etats-Unis essayent prudemment de revenir sur cette politique, il n’est pas inimaginable que lorsque la croissance économique aux USA retombera à cause du prix bas du pétrole et du dollar fort que les USA postposent l’augmentation du taux d’intérêt (ce qui s’est fait entretemps) et en reviennent aux mêmes au Quatitative Easing. Dans ce cas, la guerre des monnaies serait complète. [61]
1 https://www.conference-board.org/retrievefile.cfm?filename=The-Conference-Board-2015-Productivity-Brief-Summary-Tables-1999-2015.pdf&type=subsite
2 Pompen of verzuipen, De Standaard 19 juni 2015
3 Le prix des matières premières devrait être durablement bas, Le Soir 28 août 2015
4 Les chiffres d’Eurostat: http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=lc_lci_r2_a&lang=en
5 En attendant Godot est une pièce de théâtre de Samuel Beckett où deux personnages attendent un certain Godot, ici dans le sens d’un sauveur qui ne viendra jamais.
6 ‘Economische motor dringend starten’, De Standaard 26 november 2014 – OCDE – l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques. Commencé comme le club des pays riches, consiste maintenant de 34 pays toujours principalement les plus riches
7 Japan, van spookbeeld tot voorbeeld, De Standaard 6 september 2014
8 Où va la France, Léon Trotsky, le 9 novembre 1934
9 Voir pour cela Hal Draper, Karl Marx’ Theory of Revolution, Volume III
10 Voir le deuxième congrès de la troisième internationale, 1920
11 A profile of Europe’s populist parties, Deutsche Bank 28 April 2015
12 La Chine fait trembler l’économie mondiale, Le Soir 25 août 2015
13 ‘Onze welvaart stoelt op fundament van bubbels’, De Tijd 5 juli 2014
14 Ik maak me nu meer zorgen dan in 2007, De Tijd 17 juni 2014
15 Eeuwige stagnatie, De Standaard 18 april 2015
16 Yang met de pet, De Standaard 5 september 2015
17 Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective, résolution du BE pour les congrès de districts de 2011, BI 39
18 De wraak van het kapitaal, De Standaard 29 juli 2015
19 De degeneratie van de banken – Ivan Van de Cloot De redactie 31 juli 2014
20 ‘Economie is enkel zinvol als ze moreel is’, De Morgen 4 oktober 2014
21 Tachtig rijksten bezitten evenveel als helft wereldbevolking, De Standaard 19 januari 2015
22 World’s 100 richest earned enough in 2012 to end global poverty 4 times over, RT news, 20 January 2013
23 Kloof tussen arm en rijk grootste kopzorg voor wereldeconomie, De Tijd, 17 januari 2014
24 Les patrons gagnent 183 fois le salaire moyen d’un employé, Le soir 18 août 2015
25 De 10 rijksten doorheen de eeuwen, De Morgen 1 augustus 2015
26 Gabriel Zucman: “4.700 milliards d’euros cachés dans les paradis fiscaux”, Le Soir 4 janvier 2014
27 Christine Lagarde non plus ne paie pas d’impôt sur les revenus, Le Monde 28 mai 2012
28 Bedrijven keerden in 2014 dik 1.000 miljard euro uit, De Tijd 16 februari 2015
29 Twijfel over groeibonus van goedkope olie, De Standaard 7 januari 2015
30 Selon la financieel dagblad des Pays-Bas en Russie il faudrait un prix du pétrole de 105 $ pour équilibrer le budget, de 122 $ au Nigéria, de 117 $ au Venezuela et de 130 $ en Iran. Petrostaten schudden van angst, fd 9 januari 2015
31 Noorse economie kampt met lage olieprijs, De Financiële Telegraaf 20 augustus 2015
32 Coup de frein pour l’industrie du brut, Le Soir 28 juillet 2015
33 L’OPEP devrait garder ses robinets grands ouverts, Le Soir 2 juin 2015
34 Olieprijs flirt met laagste peil sinds 2009, De Tijd 21 augustus 2015
35 Lage olieprijs is goed en slecht nieuws, De Morgen 2 december 2014
36 “Subprimes, saison 2”, Le Soir 14 mars 2015
37 BIS ziet grote risico’s bijb fondsen en vermogensbeheerders, De standaard 29 juni 2015
38 ‘De speculatieve excessen van 2007 zijn terug’, De standaard 6 december 2013
39 De kostprijs van de kloof, De Standaard 4 oktober 2014
40 Les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois, Le Soir, 20 juillet 2014
41 Hoe technologie onze koopkracht dreigt weg te vreten, De Standaard 15 april 2015
42 Dans ‘Critique du programme de Gotha’ Marx critique justement les adhérents de Lasalle pour leur conception de ‘lois d’airain’ des salaires, basé sur leur point de vue erronée que le salaire ne peut jamais être plus élevé que le strict minimum de survie.
43 Les salaires ont pratiquement stagné dans le monde en 2013, RTBF-info 5 décembre 2014
44 ‘Toenemende ongelijkheid is slecht voor groei’, De Standaard 22 mei 2015
45 Economic Possibilities for our Grandchildren, John Maynard Keynes (1930)
46 Les robots pourraient occuper la moitié de nos emplois, Le Soir 19 juillet 2014
47 Will robots en capitalism, socialistworld.net 14 augustus 2015
48 Alleen topjobs en rotklussen zijn straks nog veilig, De Standaard 9 februari 2015
49 Revolutie op de werkvloer, De Standaard 27 juni 2015
50 Hoe technologie onze koopkracht dreigt weg te vreten, De Standaard 15 april 2015
51 Le cycle de vie des voitures raccourcit, Le Soir 19 novembre 2014
52 Chercher
53 The great productivity slowdown, Michael Roberts, August 8, 2015
54 La crise des pays émergents inquiète la planète, La Soir 29 janvier 2015
55 Crash boursier en Chine: le gouvernement s’en mêle
56 China ervaart nu een harde landing, socialisme.be 7 juni 2015, vertaald vanop chinaworker.info
57 Chinese beurscrash kan tot politieke crisis leiden, socialisme.be 9 juli 2015, interview met Vincent Kolo van chinaworker.info
58 Devaluatie Chinese munt leidt tot onrust op wereldmarkten, socialisme.be 13 augustus 2015, standpunt van Chinaworker.info
59 Les pays émergents inquiètent, Le Soir 20 août 2015
60 Don’t mention de muntoorlog, De Standaard 11 april 2015
61 Breekt wereldoorlog tussen de munten los?, de Morgen 7 februari 2015 -
L'austérité n'est pas un bon carburant pour l'économie et ce n'est pas prêt de changer
L’éternel argument choc des partis austéritaires, c’est que l’austérité ça a beau faire mal, ce serait nécessaire pour faciliter la croissance économique. Il semble pourtant bien qu’après un an d’activité d’un gouvernement particulièrement partisan de l’austérité la plus dure, la croissance de l’économie belge se retrouve sous la moyenne européenne pour la première fois depuis des années. Le taux de chômage ne diminue pas – c’est-à-dire que le nombre de travailleurs sans emploi ne diminue pas, mais le nombre de chômeurs exclus de leur droit aux allocations augmente – et même l’OCDE constate que le moteur économique belge hoquète. Le principal argument qui soutient l’édifice austéritaire semble donc être des plus erronés… Baptiste (Hainaut) se penche sur l’état de l’économie.
L’économie mondiale passe en mode ‘‘nouvelle médiocrité’’
Ce sont les termes de Christine Lagarde lors de la dernière assemblée générale du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Ils font suite à une nouvelle révision à la baisse des perspectives de croissance économique. Non seulement les prévisions de croissance sont revues à la baisse pour 2015 et 2016 (+3,1% et +3,6% contre +3,4% estimés en 2014), mais en plus le climat est délétère, avec les symptômes d’une nouvelle phase de crise maniaco-dépressive dans le secteur financier.
La Chine devait être le nouveau moteur de l’économie mondiale. C’était du moins l’attente des capitalistes, après que leurs espoirs dans la capacité des pays émergents dans leur ensemble à dynamiser la croissance se soient avérés être des illusions. Néanmoins, de la même manière que pour le reste des pays émergents, l’économie chinoise est totalement imbriquée dans l’économie mondiale et, par conséquent, elle est pieds et poings liés aux contradictions gigantesques de la crise économique.
Une espèce de Frankenstein chinois de la finance
Ces dernières années, les plans massifs de stimulation mis en place par les autorités publiques chinoises ont donné lieu à des investissements dans l’infrastructure sur fond de dettes colossales et à de la spéculation, notamment dans le secteur immobilier. Les chiffres de croissance se sont retrouvés gonflés dans un premier temps, donnant l’impression que la Chine pouvait continuer à croître pendant que tout le reste de la planète s’écrasait dans la récession. Mais tout cela ne permet pas de développer ‘‘durablement’’ une économie condamnée à se heurter à la surproduction du capitalisme tant les conditions de vie des travailleurs sont précaires et tant les exportations ne trouvent plus suffisamment de débouchés.
Selon les chiffres officiels, la croissance devrait être de 6,3 % en 2015, soit le plus bas en 25 ans. À côté de ces chiffres officiels peu crédibles, d’autres données économiques sont encore plus négatives : en un an, il y a par exemple une diminution en volume du fret ferroviaire et de la consommation d’électricité. Et quand il y a un ralentissement économique, les inévitables travers financiers ne peuvent plus être relativisés. On estime aujourd’hui le montant total de la dette (publique et privée) à 280 % du PIB (soit 28.000 milliards de dollars) ! Sans oublier que l’importance de l’endettement a donné lieu à un réseau bancaire de l’ombre, totalement hors de contrôle et aux conséquences imprévisibles. Les bulles spéculatives arrivent à la limite de leur expansion, notamment dans le crédit et l’immobilier. Et quand une bulle arrive à son expansion, elle ne peut qu’éclater, comme cela s’est déroulé une première fois durant l’été avec un krach des bourses en Chine l’onde de choc qui s’en est suivi partout dans le monde.
À défaut d’être le nouveau moteur de l’économie mondiale, la Chine tend à présent à être le nouvel épicentre de l’instabilité ! Quant aux pays émergents, dont l’économie a été défigurée ces dernières années en économie d’exports de matières premières vers la Chine (pétrole, métaux, minerais…), la note est salée. Le ralentissement est conjugué à un effondrement des cours des matières premières. Si ce paramètre est positif pour les pays industrialisés, c’est en revanche une catastrophe pour les pays émergents. Au Brésil par exemple, on estime pour cette année que la récession sera deux fois plus forte que prévu (-3 % du PIB) !
En route vers une stagnation séculaire ?
Pour les blocs économiques formés par les États-Unis et la zone Euro, si la situation est à l’accalmie, c’est grâce au maintien des perfusions de liquidités par les banques centrales et à la baisse du prix des matières premières. Mais malgré cela, il n’y a pas de redémarrage réel de l’économie, il n’y a pas de rétablissement de l’emploi. Que du contraire : les politiques d’austérité continuent de saper les conditions de vie et de travail, aggravant la crise de surproduction !
À présent, qu’il n’y a plus même un ersatz de nouveau moteur de l’économie mondiale, le spectre d’une longue récession est de plus en plus partagé. C’est la ‘‘stagnation séculaire’’, mêlant une stagnation sur laquelle les politiques économiques et monétaires semblent sans effet, et un cercle vicieux de la déflation sur fond de guerres monétaires.
Le capitalisme est un système sans avenir
Les classes dirigeantes n’ont cessé de nous vendre une « reprise proche », pour mieux justifier une austérité soi-disant temporaire. Ce prêchi-prêcha de cartomancien véreux n’est qu’un écran de fumée pour masquer une véritable guerre de classe. Et c’est bien la seule chose que ce système nous réserve pour l’avenir. Nous avons besoin d’une alternative de société, une alternative socialiste !
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Economie mondiale : La crise chinoise crée la panique sur les marchés mondiaux
« Lundi noir », s’est exclamée Xinhua, l’agence de presse officielle chinoise lorsque la bourse s’est effondrée de 8,5% le 24 août. Cela a entraîné les plus forts baisses sur les bourses du monde entier depuis la crise financière de 2008 sur fond de crainte de récessions mondiale menée par la Chine.Vincent Kolo, chinaworker.info, article initialement publié le 25 août
Auparavant, Wall Street était l’épicentre du marasme financier mondial, après l’effondrement des banques en 2008, mais cette fois, c’est la crise économique de la Chine et la perte de contrôle visible de ses dirigeants qui est le déclencheur. La « mini-dévaluation » de choc du Yuan chinois le 11 août a tiré la plus grande partie du monde capitaliste hors de son faux sentiment de sécurité, croyant que la Chine « avait un plan » pour gérer le ralentissement croissant du pays. Depuis, plus de 5000 milliards de dollars ont été effacés de la valeur des bourses mondiales. Cette destruction massive de richesse en quelques jours est la preuve accablante que le capitalisme est un système économique insensé et moribond. « Aujourd’hui, plus de 400 milliards d’euros ont disparu des valeurs de 300 plus grandes entreprises européennes », d’après Reuters le jour du Lundi Noir, alors que la déroute s’étendait à l’Europe.
Larry Summers, ancien Secrétaire du Trésor des Etats-Unis, a tweeté « comme en août 1997, 1998, 2007 et 2008, nous pourrions être à la première étape d’une situation très grave ». Même le candidat à la présidence américaine Donald Trump, qui n’a pas inventé l’eau chaude, avertit que le monde pourrait plonger dans la dépression. Damian McBride, qui servait de conseiller économique au Premier Ministre Gordon Brown, prévient que la crise actuelle pourrait être « 20 fois pire » que celle de 2008.
L’Index de Hong Kong, Hang Seng, a subi sa pire baisse depuis 1987, et sa bourse est devenue officiellement un « marché baissier », ayant perdu plus de 20% depuis son pic en avril. Les bourse d’Indonésie et de Taïwan sont aussi à la baisse. Similairement, les bourses des économies développées ont subi un énorme revers ce Lundi, ce qui a aggravé la panique des deux semaines précédentes, la FTSE de Londres ayant perdu 18% de sa valeur depuis avril, et la DAX allemande 20% sur la même période. La bourse australienne a plongé de 8% Lundi, l’une des chutes les plus fortes, et un reflet de son exposition à la Chine.
L’effondrement mondial s’est étendu aux matières premières, le pétrole, le cuivre, l’aluminium et le nickel atteignant leurs niveaux les plus bas depuis le début de la crise en 2008. Les prix du pétrole, qui jouent un grand rôle dans l’économie mondiale, ont chuté de 115$ le baril à l’été 2014 à moins de 43$. Cela augmente la pression sur les producteurs de pétrole, de la Russie au Vénézuéla, qui sont déjà en récession. Le Bloomberg Commodity Index, qui surveille les prix de 22 matières premières est descendu à son niveau le plus bas de ce siècle en tombant de 17% cette année et 40% sur les 3 dernières années.
La Chine a été le principal moteur de la croissance mondiale ces dernières années, en contribuant à environ un tiers de la croissance mondiale, contre 17% pour l’économie US. Elle consume environ la moitié des métaux du monde et domine le marché d’autres matières premières comme les produits agricoles. La forte chute des prix de ces matières premières a ralenti la croissance dans beaucoup de pays exportateurs de matières premières, mais met aussi une forte pression déflationniste dans toute l’économie mondiale. Alors qu’à court terme, la baisse des prix peut donner de l’élan aux économies qui importent des matières premières, si cette déflation se prolonge, cela menace d’handicaper la croissance économique et d’exacerber les problèmes de dettes, qui augmentent par tout et surtout en Chine elle-même. C’est ce qu’il s’est passé au Japon, qui est entré dans une crise déflationniste en 1990 – marquée par la stagnation économique et la montée du niveau de la dette – de laquelle il n’est jamais sorti. Aujourd’hui, la Chine montre beaucoup de caractéristiques similaires à celles du Japon des années 1990 tout comme l’économie mondiale.
Dévaluation-choc
Quand la Chine a dévalué le yuan il y a 2 semaines, ce qu’elle a toujours été réticente à faire et qu’elle considérait comme une « option nucléaire », cela a choqué le système capitaliste mondial. Tout à coup, cela a confirmé les suspicions selon lesquelles le malaise économique Chinois est bien pire que ce que Pékin admettait ou rapportait dans ses statistiques officielles, qui, comme nous l’avons expliqué, étaient falsifiées et trompeuses. La dévaluation, minimale jusqu’ici, agitait le spectre d’autres dévaluations par imitation (ce qu’on appelle « la guerre de monnaie ») qui pourrait en retour, comme le dit Albert Edwards de la banque Société Générale, provoquer « un raz-de-marée » sur l’économie mondiale.
Les commentateurs capitalistes se grattent la tête de sidération devant la manière confuse dont la dévaluation chinoise a été effectuée. Comme Paul Krugman l’a noté dans le New York Times (14 août), « ils semblent avoir été pris complètement par surprise par la réaction prévisible du marché… Les investisseurs ont commencé à quitter la Chine, et les politiciens brusquement pivoté de la défense de la dévaluation de la monnaie à un effort surhumain pour soutenir la valeur du yuan. »
La dépréciation de la monnaie (jusqu’ici, de 3% contre le dollar) est trop faible pour avoir le moindre impact sur les exportations chinoises. De plus, le régime et la banque centrale chinoise, PBoC, ont ajuster leurs interventions monétaires pour soutenir le yuan, ou risquer une fuite des capitaux hors de Chine bien plus grande. Une somme sans précédent de 800 milliards de $ a quitté la Chine au cours des cinq derniers semestres – la monnaie étant convertie en actifs en dollars (outed into dollar assets) ou autres monnaies « sures » par les sociétés et spéculateurs chinois aussi bien que par les étrangers.
La dévaluation, à laquelle le PBoC semble avoir résisté jusqu’au tout dernier moment, semble donc « le pire des mondes possible ». La décision a créé le chaos sur les marchés mondiaux et a lancé une réaction en chaîne de chute des monnaies mais sans apporter la moindre amélioration à l’économie chinoise. En fait, la chute brutale des monnaies asiatiques et d’autres « marchés émergents » des deux dernières semaines a complètement annulé et en fait inversé tout bénéfice de la dévaluation pour la Chine en termes de remontée des exportations. Les monnaies indonésienne et malaisienne sont tombées à leur plus bas niveau depuis la crise asiatique de 1998, au milieu d’une baisse générale des monnaies asiatiques (à l’exception du yen japonais qui est vu comme une monnaie « sure ») ; pendant que le rouble Russe, le rand Sud-Africain et la lira Turque ont touché le plus bas niveau jamais atteint. Un autre effet important de la dévaluation sera, très probablement, de reporter l’augmentation des taux d’intérêts américains longtemps attendue et planifiée pour septembre par Janet Yellen et la Réserve Fédérale. Cela complique la position du gouvernement américain et ajoure aux tensions croissantes entre Washington et Pékin.
Erreurs spectaculaires
Le régime chinois a spectaculairement mal géré l’effondrement de sa bourse, en dépendant plus de 1000 milliards de dollars en mesures des soutien sur les 10 dernières semaines, desquelles il n’a récupéré absolument rien. Le Lundi Noir, la liquidation, la pire depuis 8 ans, a mis les cours des actions en dessous du niveau du 8 juillet quand l’opération de sauvetage a été lancée. En effet, les pertes d’aujourd’hui balayent tous les gains de la bourse – la deuxième plus grande au monde – depuis le début de l’année.
Ces événements ont marqué un tournant dans la perception du régime. Le CIO et sa section chinoise ont depuis longtemps remis en question le mythe de « l’infaillibilité » qui entoure la dictature et ses supposées compétences économiques. Mais jusque très récemment, les dirigeants chinois ont été tenu pour des « technocrates modèles », les représentants du capitalisme mondial se bousculant pour leur rendre hommage.
Ces derniers mois, une succession de mesures bâclées – d’abord gonfler une bulle intenable, puis tenter de la soutenir après qu’elle ait éclaté, culminer avec une dévaluation de la monnaie hésitante et paniquée – ont mis en lambeaux l’autorité des mandarins économiques de Pékin. The latest move, although unannounced, is shown by the regime’s failure to intervene with fresh market support measures as the stock index tanked on Black Monday. Bien entendu, Pékin a réalisé qu’il ne peut pas soutenir à la fois la bourse et la monnaie et a choisi de se focaliser sur cette dernière. Ces mesures représentent un étalage d’incompétence presque sans égal. Elles montrent aussi les limites du pouvoir de Pékin à contrôler les développements économiques, surestimé par les capitalistes du monde entier.
« La vraie perdante de cet été, c’est la crédibilité du gouvernement. Quand vous regardez l’intervention sur la bourse, quand vous regardez le rafistolage du FX [la dévaluation] comme je le disais il y quelques semaines, et quand vous regardez l’explosion de Tianjin, vous voyez un gouvernement qui n’a certainement aucun contrôle. Vous regardez cela et cela vous renvoie une image déplorable de la compétence de la Chine au niveau des dirigeants. Qui d’autre est responsable ici ? [Le président] Xi Jinping paraît invisible. »
Ces commentaires de Fraser Howie, co-auteur du livre Red Capitalism, sont typiques des analystes bourgeois d’aujourd’hui. Beaucoup de ces commentateurs étaient fans des dirigeants chinois jusque récemment et font maintenant la même expérience que les petits enfants lorsqu’ils découvrent que Saint Nicolas n’existe pas.
Le crash de la bourse chinoise était tout à fait prévisible, car la baisse du cours de l’action a perdu toute connexion avec l’économie réelle. Les données économiques récentes ont confirmé la gravité des problèmes de la Chine. La production des usines se contracte depuis 5 mois d’affilée et n’a jamais été si basse depuis 6 ans. D’anciennes industries à croissance comme les smart phones et les voitures – la Chines est le plus grand marché mondial pour les deux – se contactent aussi. Malgré une récente « stabilisation » des prix du logement, les démarrages de chantiers ont baissé de 16,8% au cours des 7 premiers mois de l’année. Ces dernières années, la Chine a compté la moitié des constructions du monde, ce qui, rapporté à une base annuelle, se traduirait pas une baisse de 8% des constructions dans le monde entier. Cela explique pourquoi le marché des matières premières – du pétrole aux pousses de soja – sont sur le déclin ces dernières semaines. De plus, certaines des plus grandes corporations aux USA ont vu des milliards de dollars disparaître des valeurs des actions en raison de leur dépendance du marché chinois. Cela inclut Apple, General Motors, et Yum Brands (KFC et Pizza Hut) qui vendent toutes plus de produits en Chine qu’aux USA. Apple (l’entreprise qui a le plus de valeur au monde) a vu sa capitalisation boursière se réduire de 18% ces 6 derniers mois.
Crise mondiale du capitalisme
Le bouleversement financier actuel souligne l’aveuglement du capitalisme qui titube d’une crise à l’autre. Le CIO et sa section chinoise ont déjà averti que la prochaine phase de la crise capitaliste mondiale serait « Made in China » – une perspective qui devient de plus en plus probable. Mais les problèmes de l’économie chinoise, et le fardeau écrasant de sa dette, qui est à l’origine des zigzags politiques désespérés des derniers mois, sont enracinés dans l’impasse historique du capitalisme mondial.
En 2008, à mesure que la crise mondiale menaçait de glisser dans une dépression comme celle des années 30, le régime chinois a lancé un programme de relance énorme basé sur des crédits d’un montant sans précédent. Cela a d’abord eu un rendement stupéfiant, le PIB de la Chine accélérant et paraissant échapper à la l’attraction universelle de la récession. Stephen King, économiste de la banque HSBC, a qualifié la Chine « d’absorbeur de chocs pour l’économie mondiale » – même si aujourd’hui, son rôle s’est inversé pour devenir celui de source de chocs pour le capitalisme mondial. C’est parce que la croissance tirée par les plans de relance de la période post-2008 était basée sur une accumulation insoutenable de dette, qui a quadruplé de 7000 milliards en 2007 à 28 000 milliards aujourd’hui. Cela a réduit la capacité du régime à continuer de stimuler l’économie pour se sortir de la crise, comme nous le voyons aujourd’hui. Avant 2008, chaque yuan de crédit rapportait environ 0,8 yuan de PIB. Mais à présent, ce chiffre n’est que de 0,2.
Les problèmes de la Chine se reflètent dans l’augmentation de la dette mondiale qui a augmenté de 57 000 milliards de dollars depuis la fin de 2007, à un stupéfiant 199 000 milliards de dollars, selon McKinsey Global Institute. L’économie mondiale va entrer dans sa prochaine récession dans un état bien pire que lors de la dernière récession. Pendant la « reprise » économique bancale des dernières années, des sections entières de l’économie capitaliste ont dépendu du « soutien vital » financier du gouvernement et des banques centrales, surtout via les mesures « d’assouplissement quantitatif » desquelles l’économie n’a pas encore été capable de s’extirper.
Si les taux d’intérêts restent aux niveaux actuels historiquement bas (proches de zéro, ou dans certains cas même négatifs), cela signifie que les capitalistes auront encore moins d’armes à leur disposition pour faire face à la nouvelle récession. En même temps, la classe ouvrière a fait face à une austérité ininterrompue depuis le début de la crise en 2008, subissant une forte diminution des conditions de vie dans beaucoup de pays, ce qui signifie qu’une nouvelle récession déclenchera des mouvements politiques sans précédent et remettra en cause le règne capitaliste. C’est cette peur qui dirige le bouleversement des marchés mondiaux.

