Category: Asie

  • Taïwan : Fin de l’occupation du parlement

    Après 23 jours d’occupation, quelles sont les leçons du “mouvement des tournesols” ?

    Taïwan a connu un mouvement de masse sans précédent, qui a commencé le 18 mars avec l’occupation de la principale chambre du parlement par 200 étudiants, dont le but était d’empêcher la ratification de l’Accord de libre-échange sino-taïwanais (Alest) entre la Chine et Taïwan. Certains analystes ont décrit ce mouvement en employant des termes tels que “printemps asiatique”. Mais la façon dont ce mouvement a pris fin du jour au lendemain pose de nombreuses questions, notamment sur ce que ce mouvement a réellement gagné et sur la possibilité de construire une réelle opposition à la politique économique néolibérale et aux accords de libre-échange : quelles forces sociales, quelle stratégie, quelles structures ? Nous avons interviewé notre camarade Sally Tang Mei-ching, qui était responsable de la participation des camarades de la section taïwanaise du CIO dans ce mouvement.

    Interview de Sally Tang Mei-ching, membre du CIO qui a participé aux manifestations à Taipei

    Les dirigeants du “mouvement tournesol” taïwanais ont annoncé la fin de leur occupation du parlement ; qu’est-ce que cela veut dire ?

    Les dirigeants étudiants ont en effet annoncé qu’ils allaient quitté le parlement ce mardi 10 avril. Cela est survenu après que le président du parlement , M. Wang Jin-pyng (membre du Guomindang, Parti nationaliste chinois, au pouvoir – GMD), ait promis qu’une nouvelle loi sera adoptée afin de mieux suivre l’application des accords d’échange avec la Chine. La section taïwanaise du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a beaucoup de critiques à formuler par rapport à cette décision de mettre un terme à l’occupation et par rapport à la manière dont cette décision a été prise, qui n’était pas très démocratique.

    Les manifestations antigouvernementales qui ont duré depuis le 18 mars représentent un mouvement historique : un demi-million de Taïwanais ont été mobilisés dans les rues et ont menacé d’employer la grève contre le président Ma Ying-jeou et contre le pacte de libre-échange – l’idée de la grève générale était en train d’être discutée parmi la population et avait d’ailleurs déjà commencé dans certaines universités. On aurait pu obtenir beaucoup plus si seulement les dirigeants du mouvement n’avaient pas tout d’un coup décidé d’y mettre un terme.

    L’occupation était perçue comme le noyau du mouvement, donc forcément, même si les manifestations vont continuer puisque le gouvernement n’a fait aucune véritable concession, il sera difficile de regagner le même niveau de combativité. Il y a énormément de confusion à présent sur quelles doivent être les prochaines étapes de la lutte.

    S’agit-il d’une victoire pour le gouvernement ?

    Non, on ne peut pas parler ici d’une victoire du gouvernement. Des concessions ont été faites, même si elles sont petites et très floues. On a vu ces dernières trois semaines un mouvement de masse d’une ampleur incroyable, auquel ont participé environ 500.000 manifestants le 30 mars – la plus grande manifestation de l’histoire de Taïwan. Les étudiants de 80 universités ont exprimé leur soutien à la grève étudiante nationale, beaucoup ont quitté les cours, même si ce mouvement de grève n’était pas coordonné ni organisé – il s’agissait plutôt de boycotts individuels.

    Notre camarade Sally interviewée

    Toujours est-il que c’est une énorme avancée en termes de conscience de masse. Le fait est que les grèves sont maintenant discutées et largement comprises comme étant une tactique envisageable. Le plus important est que les syndicats ouvriers ont commencé à discuter de l’idée de la grève, malgré les nombreux probèmes découlant du fait que de nombreux syndicats sont liés au parti GMD au pouvoir, ou qu’ils soutiennent l’accord de libre-échange avec la Chine. Le syndicat de la Cosmos Bank a voté la grève la semaine passée, mais on n’est pas encore sûr que ça va réellement se passer, maintenant que l’occupation du parlement a cessé.

    Du coup, on voit qu’en fait c’est une occasion de faire beaucoup plus, d’aller bien plus loin, qui a été mise de côté. Le mouvement de masse aurait pu obtenir une véritable victoire en forçant le gouvernement à abandonner cet accord, ou même en forçant la démission de hauts cadres du gouvernement, y compris le président Ma lui-même. Celui-ci est le président élu historiquement le moins apprécié par la population taïwanaise – les sondages lui donnent un taux de soutien d’à peine 9 % ! Si on prend en considération ce qu’il aurait été possible de faire, la décision des dirigeants étudiants laisse donc une porte de sortie au gouvernement. Ce qu’il faut faire à présent est reprendre l’activité, l’organiser, et tirer les bonnes leçons.

    Peux-tu expliquer plus en détails la manière dont l’occupation s’est terminée ?

    Les dirigeants étudiants ont pris au mot M. Wang, un des dirigeants du parti au pouvoir, qui mène une lutte de faction contre Ma et sa faction. Peut-être que Ma est aussi d’accord avec les concessions qui ont été proposées pour mettre un terme à l’occupation, mais il n’a rien promis en public, et donc cela lui a permis de garder la face. Son projet d’accord de libre-échange est toujours là. Nous avons beaucoup de critiques à formuler par rapport aux dirigeants étudiants qui ont annoncé la fin de l’occupation sur base de ces “concessions”, lorsque même les promesses fort limitées de M. Wang peuvent encore être reniées par les autres factions du parti dirigeant. Nous pensons aussi que les dirigeants étudiants ont beaucoup trop compté sur le principal parti d’opposition, le MJD (Minjindang, Parti démocrate progressiste), qui a donné son soutien au mouvement mais qui, contrairement à la plupart des participants au mouvement, n’est pas pour annuler l’Alest.

    Le principal argument utilisé pour justifier la fin de l’occupation est que les étudiants doivent aller passer leurs examens, et que l’occupation ne peut de toute façon pas durer pour toujours. Nous sommes d’accord avec cela, mais alors, avant d’abandonner nos positions, il aurait fallu annoncer une nouvelle forme d’action de masse, une nouvelle stratégie, et débattre démocratiquement de ce que nous pouvons faire pour mettre le gouvernement sous pression.

    Nous, membres du CIO, n’avons jamais dit que l’occupation est la seule méthode – en réalité nous avons toujours dit qu’il ne fallait pas se limiter à une simple occupation. Il est vrai que les occupations sont maintenant devenues une méthode de lutte courant un peu partout dans le monde – elles sont nécessaires en tant que point de ralliement pour les mouvements de masse, comme à Taïwan. Mais une occupation seule ne suffit pas. L’occupation doit être un tremplin à partir duquel on peut lancer une action encore plus puissante, comme une grève générale. Mais dans ce cas-ci, les dirigeants étudiants n’ont rien proposé de concret, ils ne font que parler de « Rendre le pouvoir au peuple », de continuer la lutte « Sous une autre forme » – Ok, alors on fait quoi ? Jusqu’ici ça n’est resté que paroles creuses.

    Beaucoup de gens sont très critiques. La semaine passée, on a vu une conférence de presse organisée par une coalition de 16 groupes ; certains de ces groupes faisaient au départ partie de la direction du mouvement, mais ont quitté parce qu’ils trouvaient que les méthodes employées pour la prise de décision n’étaient pas démocratiques, en particulier pour ce qui concerne la décision très importante d’interrompre le mouvement. Pour ces groupes, il aurait fallu discuter avec les masses. Malheureusement, aucun de ces groupes ne s’est senti en mesure de proposer une alternative. D’autres sont mécontents, mais acceptent la fin de l’occupation comme étant quelque chose d’inévitable.

    Dans ce cas, quelle est l’alternative proposée par le CIO ?

    Nous avons appelé à organiser la grève dans toutes les écoles et universités du pays, et d’appeler les travailleurs à une grève nationale de 24 heures. Si au lieu d’abandonner l’occupation, les dirigeants étudiants avaient lancé le mot d’ordre de grève, alors l’occupation serait passée au second plan et on aurait pu l’interrompre sans aucun problème. Mais c’est le fait de laisser tomber l’ensemble du mouvement, sans annoncer quelle sera la prochaine étape, qui est le gros problème. Cela a causé énormément de confusion, et a permis au gouvernement de reprendre la main. Au même moment, les médias attaquent durement les manifestants, et les policiers arrêtent les jeunes qui ont participé au mouvement.

    Nous sommes convaincus que le gouvernement était tombé dans une grave crise, qu’il ne tenait plus qu’à un fil, et qu’il suffisait de le pousser un petit peu. Il fallait intensifier le mouvement – la question principale était celle de la grève. Dans une telle situation, dès que tu n’avances pas, tu recules. Voilà ce qu’il faut retenir de toute cette histoire.

    Si M. Ma et son parti avaient été forcés d’abandonner le pacte de libre-échange, cela aurait été un rude coup pour leur prestige. C’était possible d’y parvenir, parce que le gouvernement et la classe dirigeante étaient vraiment inquiets devant la taille du mouvement et du fait de ses conséquences politiques. Tout comme d’autres groupes, nous sommes très critiques de la décision d’abandonner l’occupation, parce qu’aucune véritable promesse ne nous a été faite. Wang a promis une concession, mais ce n’est pas clair du tout s’il va la tenir, ni si le reste du GMD va l’accepter. En plus, comme le GMD a une grande majorité au parlement, ils sont toujours libres de voter l’accord comme il veut, même s’ils vont sans doute y intégrer deux-trois amendements de la part du MJD. Mais ces amendements ne seront que secondaires : ils ne changeront pas la nature du pacte, qui est un plan néolibéral et antisocial.

    Quels sont les groupes impliqués dans le mouvement ?

    La principale organisation estudiantine est le Front de la jeunesse de la nation de l’ile Noire. Elle est influencée par les nationalistes du camp “vert” (le bloc politique dirigé par le MJD), qui sont pour l’indépendance de Taïwan par rapport à la Chine, et qui sont de plus en plus populaires parmi la jeunesse. Sur cette question, le CIO est pour le droit à l’auto-détermination de Taïwan. Nous sommes contre la propagande de “Grande Chine” employée par la dictature chinoise pour justifier une éventuelle annexion de Taïwan, mais nous sommes aussi contre le racisme – on a vu se développer récemment une vague de racisme anti-chinois. On ne peut en effet vaincre les accords de libre-échange capitaliste sans une lutte unie de tous les travailleurs ; le racisme est quelque chose qui est encouragé par les capitalistes, parce que ça les aide.

    Il y eu des divisions et des scissions parmi les étudiants, y compris au sein de la Jeunesse de l’ile Noire dans le cadre de l’occupation du parlement. Les dirigeants de cette organisation n’ont pas respecté la démocratie, ils ont agi de manière bureaucratique en donnant des ordres de haut en bas ; et c’est d’ailleurs de cette manière qu’ils ont pris la décision d’abandonner le mouvement. Au cours des manifestations, certains étudiants confisquaient les tracts distribués par d’autres groupes critiques de la direction. Seules quelques personnes bien choisies avaient le droit de rejoindre l’occupation – ils disaient que c’était pour éviter l’infiltration par des agents du gouvernement, mais nous pensons qu’il y a d’autres manières d’empêcher cela.

    Ce mouvement à Taïwan n’a pas été fort différent des nombreux autres mouvements d’occupation que nous avons vus se développer un peu partout dans le monde. Même lorsqu’ils se disent anti-dirigeants ou contre les partis politiques, les petits groupes qui se retrouvent au sommet de tels mouvements spontanés peuvent très rapidement se bureaucratiser, surtout s’ils proviennent des classes moyennes. Il n’y a pas de parti de la classe des travailleurs à Taïwan, aucun parti n’a de tradition de structures démocratiques et de débats en son sein.

    C’est un peu ce qui s’est passé avec le mouvement d’occupation de masse à Hong Kong il y a deux ans, contre le plan d’éducation nationaliste proposé par le gouvernement. Un groupe d’étudiants a émergé spontanément, surtout via les réseaux sociaux, et il est devenu le porte-parole de ce mouvement de masse en partie par hasard, en partie à cause des médias. On a vu un manque de démocratie dans le mouvement, et ses “dirigeants” ont tout fait pour empêcher la lutte de devenir trop radicale ou d’adopter des revendications politiques explicites telles que la chute du gouvernement.

    À Taïwan, la Jeunesse de l’ile Noire semble être devenue une force de masse sur Facebook, avec plus de 300 000 fans, mais en réalité il ne s’agit que d’une petite organisation, dont les dirigeants décident de tout sans qu’il n’y ait de vote ni de discussion. Ce n’est pas seulement notre point de vue, mais aussi celui des ex-membres de cette organisation qui ont quitté la tête de l’occupation à cause des désaccords survenus ces dernières semaines.

    N’y avait-il pas un risque que le gouvernement emploie la force pour briser l’occupation ?

    Bien sûr, et cela a d’ailleurs été le cas dans la nuit du 23-24 mars, lorsque la police anti-émeutes a brutalement attaqué les milliers de jeunes et d’étudiants qui tentaient d’envahir le siège de l’exécutif gouvernemental. Les dirigeants de l’occupation au sein du parlement n’ont pas véritablement soutenu la nouvelle occupation. Cette tentative d’occuper le siège de l’exécutif découlait de la frustration de nombreux jeunes qui avaient le sentiment que la première occupation avait un commandement trop autoritaire et en même temps trop en faveur du compromis.

    Après cette contre-attaque par la police, les dirigeants étudiants auraient dû plus insister sur la condamnation de la répression et utiliser cela pour montrer au peuple jusqu’où le gouvernement était prêt à aller pour empêcher la contestation. Les médias ont tenter de faire croire que ce sont les étudiants qui sont violents parce qu’ils sont contre la loi. Après le conflit avec la police, le gouvernement a préféré recourir à des “mercenaires” – des groupes criminels liés au GMD, qui ont organisé des contre-manifestations.

    Pour le CIO, cela montre bien qu’il est nécessaire de chercher à impliquer les travailleurs directement dans la lutte, en appelant les syndicats à venir organiser la protection et l’auto-défense du mouvement. Nous avons montré l’exemple de la Turquie, où les syndicats du public sont partis en grève pour protester contre la violence employée par la police contre le mouvement d’occupation de l’an passé dans ce pays.

    Que va-t-il se passer à présent, et quelles seront les conséquences à plus long terme de ce “mouvement des tournesols” ?

    Notre tâche à présent est de nous organiser et de tirer les leçons de tout ceci. Le gouvernement se sans certainement beaucoup plus à l’aise maintenant que l’occupation est terminée ; pour les masses, c’est une occasion manquée. Mais cela ne veut pas dire que nous revenons à la situation d’avant le 17 mars ! Comme Lénine le disait : « Vingt grammes de pratique valent une tonne de théorie » ; ces trois dernières semaines ont constitué une expérience formidable. Et de nouveaux mouvements ont déjà commencé, c’est dire si les effets vont continuer à se faire sentir pour le gouvernement !

    Cette lutte a donné à beaucoup de gens la confiance de se dresser contre le système. Et le plus important est sans doute que ce mouvement a démarré une discussion au niveau national sur la possibilité d’une grève générale. Cette grève n’est pas encore arrivée, mais elle fait partie de nombreux débats à présent, ce qui a fait monter le niveau de discussion politique dans la société à un niveau jamais vu auparavant.

    Cela prouve ce que nous disons toujours, que les étudiants ont un rôle à jouer dans le démarrage de la lutte, mais qu’ils ne peuvent pas remporter lutte, surtout s’ils se cantonnent uniquement au mouvement étudiant, ce que voulaient les dirigeants de l’occupation. Toute cela nous aide maintenant, socialistes véritables, à expliquer le fait que la classe des travailleurs est la force la plus importante dans la lutte, et qu’il nous faut construire un parti des travailleurs pour aller contre nos deux blocs nationalistes capitalistes.

  • Népal : La roue de l’Histoire tourne à l’envers

    Les événements actuels au Népal nous livrent d’importantes leçons en ce qui concerne la tâche cruciale de trouver la voie pour libérer les travailleurs et les pauvres des chaînes de l’exploitation. Ces expériences ont particulièrement illustré la faiblesse des idées maoïstes face aux développements révolutionnaires, ce qui est pertinent pour les militants du monde entier, mais tout spécialement pour ceux de pays tels que l’Inde, où ces idées sont encore soutenues sous une forme ou l’autre.

    Par Senan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    En 2006, les maoïstes bénéficiaient d’un large soutien populaire au Népal, conséquence non seulement de la haine généralisée contre le roi, mais aussi des horribles conditions dans lesquelles vivaient les masses. Si les maoïstes avaient appelé à mettre en place des comités ou des structures dans lesquelles les masses auraient pu démocratiquement exercer leur pouvoir, celles-ci auraient pu prendre le pouvoir. Mais ils ne l’ont pas fait.

    Dans le vide créé par l’absence de telles structures démocratiques, le mouvement de masse a été détourné vers le terrain parlementaire. Le mouvement a maintenant reculé. L’incapacité théorique des dirigeants maoïstes à rompre avec les propriétaires terriens et avec le capitalisme a été la principale raison de ce recul.

    Le parti communiste du Népal (maoïste, plus tard connu sous le nom de Parti Communiste Unifié du Népal (Maoïste) PCUN (M)) a obtenu plus de voix que tout autre parti lors des élections pour la première assemblée constituante en 2008. Cependant, ayant échoué de peu à obtenir la majorité, ce parti est entré dans une coalition avec les partis pro-capitalistes pour former un gouvernement intérimaire. Les deux autres partis de la coalition – le parti Congrès Népalais (NC) et le Parti Communiste du Népal (Marxiste-Léniniste Unifié, PCN (MLU)), qui se dit de gauche mais représente en réalité les propriétaires terriens et les capitalistes, – ont agi contre les maoïstes.

    La première assemblée constituante a subi des prolongations, des reports d’échéances, des démissions et des désaccords pour finir par échouer à établir tout assentiment à former une constitution. Les négociations sans fin avec le NC et le PCN (ULM) de centre-gauche n’ont abouti à aucun acquis pour les travailleurs et les pauvres. Dans les règlements de compte qui ont suivi, les maoïstes se sont montrés prisonniers de leurs limites politiques. La première assemblée constituante a été dissoute en mai 2012 et les élections de la seconde assemblée constituante ont été reportées plusieurs fois jusque novembre 2013.

    La lutte politique acharnée est devenue une caractéristique commune au Népal – aucune force actuelle n’est capable de montrer la voie à suivre de façon décisive. Aucune décision ne peut être prise sans bagarre entre les partis politiques. La première réunion de la deuxième assemblée constituante nouvellement élue a été tenue le 22 janvier 2014 après avoir été reportée à cause d’une nouvelle dispute pour savoir qui pouvait convoquer la réunion. Le Congrès Népalais (NC) avait obtenu la majorité aux élections constituantes de novembre 2013- ce qui indique un net virage à droite, dû surtout aux opportunités manquées par le passé. Venant juste après les 29,8% du NC (105 sièges), le PCN (ULM) a obtenu 27,5% et 91 sièges. Le PCUN (M) a été repoussé à la troisième place, avec seulement 17,8% des voix (26 sièges), une forte chute par rapport à son précédent score de 30,5%.

    Cette situation représente un revers important pour les travailleurs et les pauvres au Népal. Il n’est pas surprenant que le premier à avoir célébré les résultats ait été Binod Chaudhary, le premier milliardaire népalais enregistré par Forbes. C’est aussi un ancien parlementaire du PCN (MLU). Ce « roi de la nouille », qui a fait fortune dans les nouilles instantanées, était membre de la première assemblée constituante et défendait les privatisations et d’autres politiques capitalistes. L’élite riche et pro-capitaliste avait beaucoup de raisons de célébrer la victoire du NC/MLU – ils prédisaient que la constitution dirigée par le Congrès serait indubitablement en leur faveur.

    En effet, le parti pro-business Congrès Népalais, qui a la majorité dans l’assemblée constituante, va probablement appliquer un programme de droite. Comme la plupart des partis politiques du Népal, le NC se dit pour le ‘‘socialisme démocratique’’. Mais il ne fait pas aucun secret de son engagement en faveur « de l’investissement privé et de la libéralisation économique ». La position de droite bornée du NC a été un facteur-clé dans le chaos continu de la première assemblée constituante et a joué le rôle principal dans son échec. Il travaille en étroite collaboration avec le gouvernement indien et partage les politiques néolibérales de son homologue indien, le Congrès National Indien (INC). Les énormes scandales de corruption de l’INC et de ses alliés (et la mise en œuvre de politiques néolibérales) font de l’INC un parti haï par les travailleurs en Inde. Cela a donné la possibilité au parti encore plus brutal BJP et à son leader Narenda Modi, qui sont accusés de massacre, de gagner les élections.

    Le NC népalais n’est pas très différent de l’INC et la constitution du NC va sans aucun doute viser à enterrer toutes les revendications du mouvement révolutionnaire. Les masses ont montré un désir sans équivoque de mettre fin à la pauvreté et aux inégalités – ce qu’elles ont déjà démontré en deux occasions en 2006 et 2010. Cependant, tout cela restera un rêve sous la constitution capitaliste du NC.

    Limites de la théorie des deux stades

    Lorsque le mouvement de masse s’est développé en 2006, la majorité des masses ne soutenait pas le NC. Promettant un changement révolutionnaire, c’est le Parti Communiste du Népal (Maoïste) qui a émergé en tant que force significative. Cependant, ce parti a échoué à délivrer ce que les masses revendiquaient, surtout à cause de sa théorie erronée des « deux stades ». Cette théorie défend que le « premier stade » de développement industriel, de réforme agraire, de mise en œuvre d’autres droits démocratiques et de lutte anti-impérialiste, doit être rempli avant que le « second stade » de changement socialiste soit envisagé. Cette approche force ce parti à s’associer avec les forces réactionnaires bourgeoises et les empêche de faire avancer la révolution.

    La théorie des deux stades avait d’abord été avancée par les Mencheviques, qui constituaient l’aile réformiste minoritaire du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie jusque 1912, quand les Mencheviques et les Bolcheviques sont devenus des partis distincts. Les Mencheviques se sont opposés à la Révolution d’Octobre 1917. Ils ont défendu que les capitalistes devaient mener à bien les tâches de la révolution démocratique – telles que la réforme agraire, la résolution de la question nationale, etc,- pour construire seulement par après un État ouvrier.

    Cette théorie découpe le processus historique de la révolution ouvrière en étapes. Quand les masses se montrent prêtes à pousser l’Histoire en avant et montrent leur volonté de décider de leur propre destin, les partisans de « l’étapisme » les retiennent en arrière, donnant le temps aux forces bourgeoises de se remettre en ordre de marche pour faire tourner la roue de l’Histoire dans le mauvais sens. Cela résulte souvent en la destruction du mouvement de masse et des organisations ouvrières dans leur ensemble. Partout où cette théorie a été essayée, elle a complètement échoué et le mouvement ouvrier a été noyé dans le sang.

    A l’époque moderne, les bourgeoisies des pays néocoloniaux ont été incapables de mener leurs propres révolutions. A l’âge des multinationales et de l’impérialisme, le capitalisme est une barrière réactionnaire au développement de la société. Un bloc avec la bourgeoisie soi-disant « progressiste » est donc une formule totalement en faillite.

    Alors que le PCUN (M) du Népal avait le pouvoir dans la pratique, il a constitué un bloc avec l’ombre de la bourgeoisie, croyant que ce « stade » particulier était nécessaire. Sa participation au gouvernement intérimaire signifiait que les maoïstes tentaient de s’accommoder avec la vieille « machine d’État réactionnaire », comme ils l’appellent eux-mêmes. Les maoïstes coincés sur cette voie, les forces contre-révolutionnaires ont saisi l’opportunité de se regrouper et visent maintenant à couper court au processus révolutionnaire. Cela a aussi causé une cassure parmi les maoïstes qui a encore contribué à leur défaite électorale, puisque le groupe ayant scissionné a appelé au boycott des élections.

    La position du PCUN(M) sur la question des terres, en particulier le retour des terres réquisitionnées au roi et aux grands propriétaires, a provoqué la colère de beaucoup de sections du parti. La Fédération des Fermiers Révolutionnaires de Tout le Népal, une ancienne composante du PCUN (M), fait maintenant partie d’une nouvelle scission du parti et a commencé à réoccuper les terres.
    Les dirigeants maoïstes comme Baburam Bhattarai et Pushpa Kamal Dahal (Prachanda) sont de plus en plus discrédités parmi les membres du parti car ils se sont montrés incapables de porter la révolution en avant. Sous la direction de Mohan Vaidya, connu sous le nom de Kiran, beaucoup se sont séparés du parti en juin 2012 et ont formé un nouveau parti, le Parti Communiste du Népal (Maoïstes). Ce PCN (M) est un nouveau parti et ne doit pas être confondu avec son prédécesseur le PCUN (M) du même nom.

    Cependant, tout en critiquant le PCUN (M), les dirigeants du PCN (M) ne mettent rien de plus en avant qu’un retour au « maoïsme réel ». Nos vieux dirigeants sont devenus « réformistes », résume leur analyse. Ils accusent Prachanda d’avoir cessé de parler de « république démocratique du Népal », parlant maintenant plutôt de « République fédérale du peuple ». De leur point de vue, le programme « réformiste » du PCUN (M) est le principal obstacle à la révolution.

    Pour le parti de Kiran, un retour au « maoïsme réel » signifie un retour à « la guerre populaire prolongée ». Il s’agit d’une longue guerre de guérilla contre l’État qui se base surtout sur les paysans et les pauvres ruraux et sera, selon eux, menée en trois stades (défense, équilibre et offensive). Leur perspective pour la révolution peut être brièvement résumée ainsi : il y a deux façons de mener une révolution : le modèle russe et le modèle chinois. « Le premier est la prise du pouvoir central par une insurrection armée et l’extension de la révolution dans les pays capitalistes. Le deuxième consiste à encercler les villes pour prendre le pouvoir central par un processus prolongé de guerre populaire en construisant graduellement une armée de libération du peuple et en établissant des bases dans la campagne ». Et le second modèle est « le modèle de la nouvelle révolution démocratique dans les pays féodaux et semi-néocoloniaux ».

    Une fois qu’ils auront « encerclé les villes », ils défendent qu’une « révolution démocratique » pourra être effectué en menant des « insurrections » dans les villes. Selon le parti de Kiran, son prédécesseur le PCUN (M) s’est rendu devant « l’expansionnisme indien », et ils veulent reconstruire les 3 aspects du maoïsme pour mettre en œuvre les tâches de la révolution telles qu’ils les conçoivent : une armée de libération populaire, un front uni avec les forces capitalistes et un parti communiste.

    Cela n’a rien de nouveau. Et cela reste encore la position des dirigeants du PCUN (M), car cet argument forme le cœur des partis maoïstes. Leurs différences théoriques ne portent pas sur la question de comment mener une révolution ; leur controverse est limitée à ce qu’ils appellent le « premier stade » de la révolution.

    Prachanda a déclaré dans une interview que « les tâches restantes de la nouvelle démocratie (dont une partie a déjà été accomplie) et la stratégie de révolution socialiste ont convergé en une seule. Les tâches restantes de la nouvelle démocratie et la tâche d’accomplir la révolution socialiste au moyen d’une insurrection populaire et d’une insurrection armée ont convergé en une seule stratégie qui remplace la première étape d’accomplissement d’une nouvelle révolution démocratique et la deuxième étape de la révolution socialiste ».

    Le PCN (M) de Kiran veut établir un « nouvel État » pour mener « une révolution démocratique » car il rejette l’argument que la révolution démocratique n’est pas terminée – même en partie. Ils ne s’opposent au gouvernement d’intérim que de ce point de vue. Mais le parti de Prachanda continue sa coalition avec l’aile droite de l’élite dans le gouvernement d’intérim, défendant que l’aboutissement de la révolution socialiste a maintenant fusionné avec les tâches restantes de la révolution démocratique. Ils espèrent y parvenir par le gouvernement d’intérim et rejettent donc l’insurrection populaire.

    Mais fondamentalement, les deux camps sont enchaînés à l’approche en deux stades. Étant donné l’expérience de l’impasse de la première assemblée constituante, il est clair qu’il n’y a pas d’issue sans transfert du pouvoir aux travailleurs. Et cela ne peut se faire dans une coalition avec les partis pro-business. Au lieu de cela, les deux partis devraient se positionner pour un gouvernement des travailleurs et des paysans – un gouvernement socialiste – dans la perspective d’établir une économie planifiée, comprenant la nationalisation des industries, une réforme agraire, etc. Aucun autre bloc n’est capable de mettre en place ces changements.

    Les limites de la « voie de Prachanda » ne sont pas nouvelles. L’opportunité de réussir un transfert du pouvoir aux travailleurs, aux paysans pauvres et aux autres exploités par le capitalisme a été manquée en 2006 et 2010. Cela a également été expliqué dans un article publié par les membres du Comité pour une Internationale Ouvrière. Mais à cette époque, ces arguments ont été rejetés et ignorés par les maoïstes au Népal. Les organisations maoïstes en Inde et au Sri Lanka, ainsi que leurs quelques sympathisants dans le reste du monde, défendaient alors loyalement la voie de Prachanda. Ils refont maintenant la même erreur.

    Les processus révolutionnaires ne peuvent être restreints à de simples formules mécaniques ou à des modèles standards. Il y a cependant un certain nombre de leçons à tirer des révolutions russe et chinoise. Le « modèle » russe a été rejeté car il ne serait pas applicable aux pays néocoloniaux – apparemment, ce serait un modèle uniquement pour les pays capitalistes ! Pourtant, les conditions qui existaient en Russie à l’époque de la révolution de 1917 étaient sous beaucoup d’aspects comparables aux conditions qui existent de nos jours au Népal.

    La Révolution russe a été menée à bien en 1917 grâce au rejet de l’idée des deux stades. La révolution a alors établi un authentique système de gouvernement des travailleurs et des pauvres. Ce gouvernement a plus tard dégénéré, en raison surtout de son isolement, de l’échec des révolutions qui ont eu lieu dans la foulée d’Octobre 1917, en particulier en Allemagne, et de l’émergence dans ces conditions d’un régime bureaucratique sous la direction de Staline. Ce régime répressif a joué un rôle dans l’échec de la révolution de 1925-1927 en Chine. Suite à cette défaite, le Parti Communiste Chinois a pris le chemin de la guerre civile.

    Plus tard, en 1949, la Révolution chinoise a été menée à bien, mais sur base d’une guerre paysanne. Suite à la défaite de 1925-1927, le Parti Communiste Chinois s’est effondré et a été repoussé dans les campagnes. Les politiques formelles de Mao Zedong étaient dans l’esprit des Mencheviques – il concevait la révolution en deux stades. Plus tard cependant, quand il est entré dans les villes, il a été dépassé par la dynamique de la révolution. Mais initialement, il craignait les travailleurs, leur interdisant de faire grève en les exhortant à « continuer à travailler ». Les effectifs d’ouvriers du parti ont considérablement décliné.

    Quand il est entré dans les villes, Mao s’est heurté au vide – les forces de la bourgeoisie avaient fui la ville ou étaient en train de fuir. Les bourgeois ont échoué à former un front populaire. Pendant leur absence, un gouvernement national a été formé pour une courte période. Cependant, Mao a alors fait ce que les Maoïstes n’ont jamais plus réussi à faire depuis : il a pris le pouvoir et a été poussé à exproprier les propriétaires terriens et les capitalistes.

    Si Mao avait persisté avec l’idée que les capitalistes devaient être autorisés à jouer le premier rôle pendant que la classe ouvrière exercerait un soutien critique, cela aurait énormément affaibli les travailleurs et les paysans et aurait mené à l’échec. Cependant, l’économie d’Etat est devenue l’affaire d’un parti unique, ayant pris le contrôle et soutenu par l’Etat russe stalinien. Suite à cette révolution, Mao Zedong a importé le « modèle » de la machine d’état stalinienne. Toutefois, un élément de démocratie ouvrière existait bel et bien dans le gouvernement nouvellement formé : une économie d’État planifiée avait été établie. Cet élément était fortement progressiste en comparaison avec le système pourri qu’il remplaçait, basé sur le capitalisme et le règne des propriétaires terriens, mais c’était loin d’être suffisant. De plus, des mesures antidémocratiques et répressives ont été mises en place. Ainsi, si le développement des forces productives a rendu la révolution politique indispensable, celui-ci est entré en collision avec la suppression brutale de la démocratie en Chine. Cela a donné naissance à la bureaucratie qui a été modelée sur le régime bureaucratique stalinien.

    Le rôle de la classe ouvrière

    Malgré ces faits historiques, différents groupes maoïstes sont aujourd’hui unis dans leur fétichisme de « l’étapisme ». Paradoxalement, cela les a rendus incapables de parvenir à faire ce que Mao a fait – ils n’ont même pas pu établir un régime stalinien au Népal. Au lieu de cela, quand ils ont pu détenir des villes, ils ont cherché à trouver la « bourgeoisie nationaliste » et ont conclu un accord avec son fantôme.

    Les leçons importantes à tirer pour les révolutionnaires du monde entier portent sur le rôle de la classe ouvrière, sur les limites de l’approche des deux étapes et sur l’importance d’établir un authentique système des travailleurs et des paysans. Léon Trotsky était un des dirigeants de la Révolution russe de 1905 et l’un des dirigeants de la révolution de 1917 qui a vu les travailleurs parvenir à prendre le pouvoir dans leurs propres mains. Il soutenait que le changement social ne pouvait être divisé artificiellement en étapes séparées. Trotsky posait la question importante : quelle est la classe dirigeante ? Sous la direction de la classe ouvrière, un bloc peut être constitué avec les paysans pauvres et les autres couches exploitées et opprimées de la société, c’est le seul bloc qui est capable de changer la société. Trotsky expliquait, par des exemples historiques, l’importance de la classe ouvrière et comment la paysannerie ne pouvait jouer un rôle indépendant en raison de son hétérogénéité et de son manque de cohésion. Il affirmait que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était la seule façon efficace de commencer le processus de mise en œuvre des tâches démocratiques bourgeoises et que ce processus pourrait alors, mené par une direction correcte, aboutir au changement socialiste, ce processus ne pouvant être artificiellement séparé dans le temps.
    Au contraire, la perspective maoïste exposée précédemment tourne le dos à la classe ouvrière urbaine. Nous avons vu une augmentation significative de la classe ouvrière au Népal. Il y a eu un énorme renforcement de la population urbaine dans le monde entier. Dans ses documents récents, le CIO montrait qu’en 2013, « des occupations massives de places ont eu lieu en Turquie, suivie de l’action de la classe ouvrière en elle-même. Avec le Brésil, l’Égypte et sans oublier l’Afrique du Sud, cela représente probablement les plus grand mouvements de masses de l’Histoire, et certainement les plus grands mouvements de la classe ouvrière ! » Nous remarquions également que « plus de 70% de la population mondiale est maintenant concentrée dans les zone urbaines, ce qui donne à la classe ouvrière un potentiel plus grand et une densité plus forte que jamais pour changer les choses ». Ce facteur ne doit pas être ignoré. (Another year of mass struggles beckons, Peter Taaffe http://www.socialistworld.net/doc/6604 / The world situation and tasks for the CWI’, http://www.socialistworld.net/doc/6586 )

    Parvenir au contrôle des ressources du pays par les travailleurs devrait être au centre des perspectives tracées par les révolutionnaires. Pour construire une société socialiste, il est vital d’aider au développement de la conscience collective de la classe ouvrière dans les lieux de travail et les usines. Cela ne peut être possible en encerclant simplement les villes avec une armée paysanne. Le soutien des paysans et des pauvres des campagnes, dans des pays comme le Népal où ils constituent la majorité de la population, peut apporter une force importante. Mais comme les événements l’ont montré en 2006 et 2010, ce sont les actions des travailleurs, telles que la grève générale, qui ont joué le rôle décisif dans la contestation du pouvoir d’État.

    En mai 2010, le pays était paralysé. Des dizaines de milliers de personnes ont encerclé la capitale. La grève générale qui a suivi a donné au PCUN (M), qui dirigeait le mouvement, le pouvoir de sortir de l’impasse et d’aller au-delà de l’assemblée constituante. La question de qui contrôle réellement les affaires du pays se posait. Les gouvernements d’Inde, de Chine et l’Occident se sont rangés derrière les éléments contre-révolutionnaires du pays, alors que les masses se rassemblaient derrière le PCUN (M). Dans cette épreuve de force, le PCUN (M) s’est volontairement rendu devant la droite.
    Quand ils ont appelé à la fin de la grève générale, les maoïstes avaient brandi la menace d’une autre grève générale à l’avenir. Mais la promesse d’une menace puissante dans le futur est incomparable à une menace existante envers le pouvoir. Le PCUN (M) a fait une grave erreur en échouant à voir que le mouvement des masses ne peut pas être utilisé comme un robinet que l’on peut ouvrir ou fermer à sa guise. Cette défaite a ébranlé la confiance des travailleurs et a augmenté le mécontentement des masses. Cela a aussi sensiblement contribué à la démoralisation au sein du PCUN (M).

    Pour mener la révolution, il est vital de gagner le soutien des travailleurs urbains. Mais le PCUN (M) semble perdre son soutien parmi cette couche de la population. Dans les dernières élections, le PCUN (M) a perdu les 4 sièges qu’il avait dans la ville. Tous les principaux dirigeants maoïstes, y compris Prachanda, ont subi une défaite embarrassante. Le NC comme le PCN (MLU) ont remporté plus de sièges que Prachanda là où il s’est présenté. Cet élément est maintenant utilisé contre les maoïstes en étant présenté comme un rejet de la constitution fédérale par le peuple. De plus, le tournant du parti de Kiran vers les zones rurales va encore plus aliéner les travailleurs urbains.

    Difficultés

    Tout en montrant les erreurs des maoïstes, il est important de reconnaître les tâches colossales et complexes auxquelles ils ont fait face. D’un côté, les intérêts concurrents indien et chinois tendent à paralyser tout développement du processus révolutionnaire, mais des problèmes difficiles sont aussi apparus au niveau interne. Ces conditions exigeaient des perspectives clairvoyantes. En plus de cela, bien que le Népal soit un pays de petite taille, il présente de grandes complexités culturelles. Plus de 100 langues sont parlées au Népal. La société est divisée en plus de 100 castes différentes et est aussi séparée en différents groupes religieux. Une caste ou un groupe ethnique particulier vivant dans une région particulière peut demander des privilèges qui menacent parfois les intérêts des minorités de cette région.

    Par exemple, les Madeshis vivent dans la région de Terraï (Sud) à la frontière indienne. Dans une émeute en janvier 2007, ils revendiquaient la reconnaissance de leur identité indépendante. Selon des statistiques de 2011, 50,2% des 26,6 millions de Népalais vivent dans les terres du Terraï. Mais ces plaines sont aussi séparées en différentes castes et groupes ethniques. Plus d’un demi-million de Daliths vivent dans les pires conditions dans le Terraï – pires encore que les conditions des Daliths vivant dans les montagnes. Ils ressentiront de l’hostilité et de la peur face à la caste opprimante qui porte la revendication d’auto-détermination. Ils risquent une répression continuelle si des droits et des opportunités spéciales ne leur sont pas donnés. De même, les Newars, qui vivent dans et autour de la capitale Katmandou, sont divisés en différentes castes.

    Comment une constitution peut-elle être créée en répondant à toutes les complexités et en satisfaisant les diverses revendications d’une société aussi divisée ? Les marxistes défendent les droits démocratiques et culturels de tous les groupes et minorités. De son côté, face à ces questions difficiles, le PCUN (M) est entré dans des négociations avec les partis pro-capitalises dans l’espoir de trouver une solution dans « une constitution capitaliste ». Il est pourtant absurde de croire que les partis de droite vont parvenir à un accord pour répondre à ces problèmes.

    Alors que tous les partis sont d’accord sur le besoin d’un arrangement « fédéral » pour le Terraï, cette affirmation reste purement rhétorique pour le NC et le PCN (MLU). Le NC en particulier a une longue histoire d’opposition à cette solution. Le PCUN (M) a proposé une « constitution fédérale » et tenté de résoudre les problèmes des autres minorités en leur donnant l’autonomie dans une région fédérale. Cependant, les Maoïstes restent vagues sur la façon dont « le partage du pouvoir » va réellement se faire au sein de la région fédérale et sur le type de pouvoir que vont avoir les « autonomes ». Ils ne sont d’accord qu’en théorie avec le droit à l’auto-détermination.

    Avant 1997, les maoïstes affirmaient que les nationalités au Népal n’étaient pas « développées » et ils ne soutenaient donc pas la revendication du droit à l’auto-détermination. Maintenant, ils l’acceptent « en théorie ». Selon eux, « l’expansionnisme indien » va utiliser cette opportunité de diviser le Népal et la revendication du droit à l’auto-détermination va aider ce processus. Ils ont peur que les Madeshis vivant à la frontière indienne en particulier soient utilisés par l’Inde. Cet argument est similaire à celui du Parti Communiste (CPI (M)) d’Inde qui affirme que les revendications des Kashmirs pour le droit à l’auto-détermination vont aider l’État pakistanais à transgresser la souveraineté indienne. De même, la proposition des maoïstes d’une « autonomie sur base de caste » ne va pas répondre à l’hostilité de la majorité de la caste opprimante qui représente environ 81% de la population. Cela va au contraire créer des opportunités pour les forces réactionnaires, telles que les forces pro-monarchie et pro-Hindous. D’ailleurs, le Parti Rastriya Prajatantra du Népal (RPP-N), monarchiste, a fait son grand retour aux dernières élections, arrivant quatrième et remportant 24 sièges, contre 4 sièges aux élections précédentes ! La croissance graduelle des forces monarchistes doit être considérée dans le contexte de l’insécurité générale de la majorité de la population.

    Selon les maoïstes, les sentiments ethniques vont se dissoudre dans « une identité nationale plus élevée ». Sur cette base, ils proposent un gouvernement national plus centralisé qui détermine notamment tous les principaux aspects de l’économie, et une organisation fédérale avec des pouvoirs limités. Les forces de droite s’opposent avec véhémence à cela.

    Les marxistes s’opposent à toutes les formes de discriminations. Nous ne pouvons pas défendre un droit en théorie pour ensuite le renier dans la pratique. Les gouvernements indien et chinois vont sans conteste essayer d’exploiter les divisions au sein du Népal pour leurs propres intérêts. Mais renier les droits du peuple sur base de la peur de la division elle-même va jouer en faveur des forces qui essaient d’exploiter celle-ci. Il faut répondre de façon adéquate aux aspirations nationales des habitants du Terraï et ne pas les entraver par peur de « l’expansionnisme indien ». La limitation de leurs droits ne fait le jeu que de l’État capitaliste indien.

    La nouvelle Constitution n’est pas une solution en soi

    Un arrangement constitutionnel dans les limites du capitalisme et du féodalisme ne va pas résoudre à lui seul les problèmes réels des différents groupes sociaux népalais.

    La majorité de ces discriminations proviennent des conditions économiques – en particulier du lien à la terre. Les habitants des zones montagneuses possèdent des surfaces de terres importantes dans le Terraï, par exemple, et faire du Terraï une région fédérale ne va pas résoudre le problème de la propriété de la terre dans cette région. Parmi les 80% de la population qui vit dans les zones rurales, plus de 70% possèdent moins d’un acre de terre (soit moins de 40 ares). 6 millions de personnes ne possèdent aucune terre. Les Daliths représentent la majorité des sans-terres. Le roi Gayanda est toujours l’un des plus grands propriétaires terriens au monde. Il possède un patrimoine colossal de 57 000 miles au carré (soit 14 763 000 hectares de terres) qui comprend même une partie du Mont Everest. Ayant permis au roi de rester propriétaire d’une partie importante des terres du Népal, les maoïstes commencent à rendre toutes les terres qu’ils ont réquisitionnées pendant la période de « Guerre du Peuple » à d’autres propriétaires.

    La liberté ne peut être obtenue sans libérer les masses des liens de la terre. Même en se basant sur une estimation conservatrice, il existe aujourd’hui plus de 300 000 esclaves liés à la terre au Népal. Ils doivent être libérés. Les terres doivent être reprises au roi et aux grands propriétaires terriens et distribuées aux petits paysans et aux sans-terres. Mais la seule distribution des terres n’est pas suffisante. De grands investissements sont nécessaires pour aider les petits paysans à cultiver les terres, comme par exemple des investissements dans les technologies modernes. Bien sûr, ce type de grands investissements ne peut être possible qu’avec un développement rapide de l’industrie. Et cela est étroitement lié à la mise en œuvre de l’économie démocratiquement planifiée. Or, sans aller vers un gouvernement des travailleurs et des paysans, comment mettre en place une économie démocratiquement planifiée? Ce n’est pas possible sur base capitaliste.

    Pour les maoïstes, l’établissement d’une économie planifiée est hors de portée car ils affirment qu’ils ont d’abord besoin de passer par une « étape » d’établissement de la « démocratie bourgeoise ». Pourtant, ni le NC ni le PCN (MLU) ne sont capables de remplir les tâches démocratiques requises de la bourgeoisie (comme la réforme agraire). En laissant cette tâche aux partis capitalistes (ou en s’attendant à ce qu’ils les remplissent), le PCUN (M) se limite lui-même. Le changement social dont les masses ont besoin ne peut être effectué par étapes. Au contraire, il est lié au développement des forces productives. Paradoxalement, les maoïstes n’affirment pas que le NC, le PCN (MLU) et leurs alliés capitalistes vont développer les forces productives du Népal. Les énormes richesses du Népal peuvent être planifiées pour permettre un développement rapide de l’industrie et de l’agriculture. Cependant, cela ne veut pas dire que la planification socialiste peut être accomplie et se maintenir en restant cantonnée au Népal.

    Il est évident que les relations internationales et en particulier les développements révolutionnaires dans les pays frontaliers et dans toute la région sont vitaux pour continuer tout développement de la sorte au Népal. C’est pourquoi il est crucial de construire le soutien et la solidarité parmi les travailleurs du monde entier. Les développements révolutionnaires vont être sous une très forte pression dans de petits pays comme le Népal. Pour que la révolution soit victorieuse au Népal, il est vital d’en appeler à la classe ouvrière, aux paysans et aux pauvres d’Inde, de Chine et des autres pays de la région et du monde entier, dans l’objectif de propager la révolution.

  • La Journée Internationale des Femmes au Pakistan

    Voici ci-dessous quelques photos d’une manifestation de femmes qui s’est tenue à Mirpur Khas, dans la province pakistanaise du Pakistan, à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes. Cette initiative a été prise par le Socialist Movement Pakistan (section pakistanaise du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL) ainsi que par la Fédération des travailleurs progressistes. Les manifestants ont essentiellement dénoncé le fondamentalisme religieux et ont défilé dans tout le centre-ville en scandant des slogans contre les talibans et contre la charia. Pas besoin d’expliquer pourquoi l’extrémisme religieux menace la position des pakistanaises…

    Cliquez sur les photos pour les voir en meilleure résolution.

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  • Hong Kong : Pour une lutte unitaire contre l’oppression et la discrimination des travailleurs immigrés !

    Ce dimanche, des milliers d’employés de maison ont manifesté dans les rues de Hong Kong afin de réclamer justice suite au cas symptomatique d’une employée indonésienne victime de maltraitances de la part de ses employeurs. Voici ci-dessous l’article de nos camarades de Socialist Action, section du Comité pour une Internationale Ouvrière à Hong Kong.

    Par Socialist Action (CIO-Hong Kong)

    Le cas d’une employée de maison indonésienne torturée, Erwiana Sulitiyaningsih, a exposé au grand jour la vie extrêmement dure des immigrés à Hong Kong. Erwiana a non seulement dû subir la violence de la part de ses employeurs, mais elle n’avait pas non plus été payée durant les huit mois où elle les avait servi, sans même recevoir un jour de congé. Cette affaire ne constitue toutefois que le sommet de l’iceberg. Mais après cet exemple, plus de travailleurs osent s’exprimer publiquement sur la façon dont leurs employeurs abusent d’eux. Le système de l’esclavage moderne qui sévit à Hong Kong est devenu un scandale international.

    Une politique injuste

    Les agences de recrutement constituent un exemple brutal de l’exploitation capitaliste. Ces agences obligent les travailleurs domestiques immigré à payer le prix fort pour qu’on leur ”présente” un travail. Les agences ne se soucient que de leur profit, sans aucune considération pour les conditions de travail des travailleurs. La règle des 2 semaines est extrêmement injuste pour les travailleurs immigrés, elle les contraint à rester avec un mauvais employeur plutôt que de risquer d’être expulsés de Hong Kong (le droit hongkongais dispose que les employés de maison étrangers doivent trouver un nouvel emploi et obtenir un visa de travail dans les deux semaines suivant la fin de leur contrat, faute de quoi ils doivent quitter Hong Kong, NDT) ! La loi exigeant que ces travailleurs doivent vivre avec leur employeur les prive de toute vie indépendante. Ce droit humain fondamental ne s’applique pas aux immigrés à Hong Kong. Ils perdent donc leur propre vie privée et certains travailleurs sont obligés de travailler de nuit également. Socialist Action revendique l’abrogation de la règle des 2 semaines et le droit des travailleurs à vivre de façon autonome. Nous exigeons une forte expansion du nombre de logements publics, y avec de logements indépendants bons marchés pour les travailleurs immigrants actuellement exclus du logement public.

    Combattons l’exploitation capitaliste !

    Les immigrés sont victimes de discrimination systémique ainsi que du racisme des autorités, ils doivent subir de longues heures de travail pour des salaires misérables et une faible protection au travail. Le gouvernement a délibérément érigé des murs pour séparer les travailleurs immigrés du reste de la classe ouvrière afin qu’ils puissent être plus facilement exploités dans les intérêts des grandes entreprises, qui s’opposent à ce que plus de moyens soient accordés aux services sociaux tels que la garde d’enfants, les soins aux personnes âgées ou qui refusent encore toute réduction des heures de travail, ce qui permettrait aux travailleurs de passer plus de temps avec leurs familles.

    Seule l’organisation et la création de syndicats combatifs s’opposant résolument à cette ségrégation pourra livrer une solution. L’élite milliardaire craint les luttes des immigrés car leur combat pour de meilleures conditions de travail et de salaire pourrait se joindre à la lutte menée à Hong Kong pour les droits démocratiques, les droits de tous les travailleurs et pour une meilleure protection sociale de base. Dans de plus en plus de pays, les travailleurs ripostent – comme nous l’avons encore tout récemment vu au Cambodge et en Indonésie – avec de nouveaux syndicats de combat et de grands mouvements de grève pour un salaire décent.

    Luttons contre le racisme !

    Socialist Action se bat pour l’obtention des droits démocratiques et pour une protection juridique pour les immigrés et tous les travailleurs – le droit d’adhérer à un syndicat, le droit à la négociation collective, le droit de grève, et un droit de séjour identique pour chacun. La seule façon de se débarrasser des agences de recrutement privées qui enfreignent la loi est de les remplacer par une autorité publique gratuite et à but non lucratif afin de gérer l’embauche des immigrés, sous contrôle démocratique. Il faut également reconnaître qu’au vu de l’état famélique des services sociaux à Hong Kong, les travailleurs domestiques étrangers fournissent des services sociaux essentiels qui ont un grand impact économique.

    Le cas d’Erwiana est un signal d’alerte et de réveil qui illustre la nécessité d’une lutte commune pour les droits des femmes, contre le racisme et pour une protection égale à tous les travailleurs. Le racisme est attisé par les médias et les politiciens afin de diviser et d’affaiblir la lutte pour les droits des travailleurs et les droits démocratiques. Socialist Action est d’avis qu’il est crucial de construire un mouvement de masse à Hong Kong contre toutes les discriminations. Tout comme d’autres groupes, nous serons ainsi également présents à la marche de la Journée internationale des femmes le 8 mars prochain. Luttons pour l’égalité des femmes et contre le racisme et toutes les tentatives des capitalistes de nous diviser et nous affaiblir.

    Socialist Action déclare :

    • Il faut poursuivre les employeurs !
    • Abolition du système privé des agences de recrutement. Tout le travail domestique doit être placé sous un nouveau secteur public non-marchand.
    • Pour le droit des travailleurs immigrés de vivre leur vie de façon indépendante. Pour la construction de 50.000 logements publics chaque année afin d’en finir avec les listes d’attentes, et avec un provision pour les immigrés.
    • Pour un salaire minimum de 40 HK$ par heure et un temps de travail de 8 heures par jour, sans exception !
    • Pour la construction de syndicats combatifs et pour des conventions collectives de travail pour tous les travailleurs, travailleurs immigrés inclus.
    • Pour une augmentation massive des fonds publics alloués aux services à la petite enfance et à l’aide aux personnes âgées. Taxons les riches, les banques et les grandes compagnies.
    • Pour que tous les services publics soient placés sous propriété, gestion et contrôle démocratiques – pour la fin des privatisations et de la sous-traitance.
    • Solidarité internationale !
  • Hong Kong : Action de protestation contre l’assassinat de grévistes au Cambodge

    Nos camarades de Socialist Action (CIO-Hong Kong) ont participé à une action tenue devant le consulat du Cambodge organisée par la HKCTU (Hong Kong Confederation of Trade Unions, Confédération syndicale de Hong Kong), des groupes de travailleurs immigrés et d’autres partisans de la grève des travailleurs du textile au Cambodge, qui ont subi une répression sanglante. Au moins quatre travailleurs ont été tués par les forces de l’ordre, plusieurs autres ont été blessées et plus de 10 grévistes sont maintenant hors la loi! Solidarité !

    Socialist Action (CIO-Hong Kong)

  • Inde : Re-criminalisation des droits durement acquis des LGBT

    Ce que l’on appelle la ‘‘plus grande démocratie au monde’’, l’Inde, a décidé fin 2013 de revenir sur les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) en rendant un verdict positif concernant l’article 377 du Code pénal indien par l’intermédiaire de la Cour Suprême. Cette loi victorienne draconienne criminalise l’homosexualité. Le mouvement pour les droits des LGBT est repoussé vers le passé.

    Par Rajesh Srinivas, New Socialist Alternative (CIO-Inde)

    Il a été notamment défendu que la communauté LGBT ne représente qu’une ‘‘minuscule population’’ et ne nécessite pas de protection. L’article 377 va pourtant plus loin en criminalisant mes ‘‘les relations charnelles allant à l’encontre de l’ordre naturel des choses : des relations péno-vaginales.’’ Un grand nombre d’hétérosexuels vont eux aussi à l’encontre de ce soi-disant ‘‘ordre naturel’’. Cet article s’oppose même à la Constitution indienne qui affirme que chaque personne a droit à l’intégrité physique et au droit de vivre dans la dignité et l’égalité.

    Les médias ont réagi sur ce sujet en le limitant à la communauté LGBT, mais c’est inexact. Il convient de souligner que les choses vont beaucoup plus loin que cela.

    L’histoire de l’article 377

    Les premières mentions de la sodomie en tant que crime dans la loi anglaise remontent au Traité de Fleta (1290) et plus tard au Traité de Britton (1300). Ces deux textes prescrivent que les sodomites doivent être brûlés vifs. Les infractions étaient traitées par des tribunaux ecclésiastiques.

    En 1553 est arrivée la Loi sur la Sodomie (le ‘‘Buggery Act’’), la première loi formelle pour réprimer la sodomie, adoptée par le Parlement anglais sous le règne d’Henry VIII. Cette loi définissait la sodomie comme un acte sexuel contre-nature, contre la volonté de Dieu et contre celle de l’homme. La peine capitale était prévue en cas d’infraction.

    L’article 377 du Code pénal indien a été adopté par le Conseil législatif et le gouverneur général de l’Inde britannique en 1860. Cet article précisait que ‘‘Celui qui a volontairement des relations charnelles contre-nature avec un homme, une femme ou un animal sera puni de peine d’emprisonnement à perpétuité, qui peut être réduite jusqu’à dix ans et sera également passible d’une amende.’’

    La bataille juridique contre l’article 377 a commencé en 1994. En 2001, une pétition a été déposée devant la Haute Cour de Delhi, qui a rendu un arrêté historique dépénalisation l’homosexualité le 2 juillet 2009. Ce jugement historique a spécifié que les personnes LGBT font bien partie de la société indienne et que le pouvoir judiciaire doit être une institution dédiée à la protection de ceux qui pourraient être méprisés par une logique majoritaire.

    Mais la Cour Suprême a décidé le 11 décembre 2013 d’annuler la décision de la Haute Cour de Delhi et de réaffirmer que l’homosexualité est une infraction pénale en Inde. C’est tout à fait comme de s’endormir en 2013 pour se réveiller en 1860.

    La lutte pour les droits des LGBT

    La lutte des personnes LGBT ne peut pas être considérée de façon isolée. La voie à suivre est d’organiser la lutte de la communauté LGBT en commun avec d’autres mouvements, comme ceux des paysans sans terre, contre l’injustice du système de caste, contre l’oppression des minorités nationales, pour le droit à l’auto-détermination des peuples du Cachemire et d’Inde du Nord et pour les droits des travailleurs – comme les héroïques travailleurs en lutte de Maruti Suzuki. Une lutte de longue haleine est nécessaire.

    Il ne s’agit pas simplement de l’article 377. Quand bien même cet article serait abrogé, l’Inde ne changerait pas du jour au lendemain. Il y a ainsi de nombreuses lois qui existent contre les atrocités basées sur le système de caste ou contre la violence envers les femmes. En dépit de ces lois, les atrocités se poursuivent. Il ne faut pas seulement changer la loi, il faut changer le système qui en est à la base en luttant contre toutes les oppressions, c’est-à-dire en luttant contre le capitalisme.

    Le mouvement doit puiser sa force et son inspiration dans les luttes des personnes LGBT et de la classe des travailleurs, qui continuent à faire face à une oppression quotidienne sur base de classe, de caste ou de sexe. Il est grand temps d’organiser la riposte contre la mentalité médiévale de l’establishment, qui veut servir les intérêts des fanatiques religieux.

  • Violence meurtrière contre les grévistes du textile au Cambodge

    L’année 2013 a été marquée par de nombreuses protestations des travailleurs du secteur textile du Bangladesh, notamment contre leurs conditions de travail extrêmement dangereuses et contre leurs bas salaires. Dans ce pays, le secteur textile avait connu une croissance principalement suite à la recherche de main d’oeuvre bon marché de la part d’entreprises chinoises. Le Bangladesh ne fut toutefois pas le seul pays a être remarqué, il en alla de même pour le Cambodge. Et là aussi, les travailleurs sont entrés en lutte pour de meilleurs salaires, ce à quoi les autorités ont réagi avec une répression sauvage qui a causé plusieurs morts.

    Des milliers de travailleurs du textile sont partis en grève pour exiger que le salaire minimum passe d’environ 80 $ par mois à 160 $. Les travailleurs de la zone du ”parc industriel canadien”, l’une des zones économiques spéciales de la capitale, Phnom Penh, se sont particulièrement fait remarquer par leur combativité. Ils étaient notamment déjà partis en grève spontanée le 1er mai 2012.

    La grève qui a surgi avant Noël a entrainé une violente répression. Le gouvernement, en essayant de stopper la vague d’actions nationales, a voulu briser les reins du noyau dur de la lutte, au parc industriel canadien. Pour cela, ce ne sont pas des matraques qui ont été utilisées, mais des fusils AK-47, notamment contre un blocage de centaines de travailleurs au sud de Phnom Penh. Plusieurs personnes ont été blessées, d’autres tuées. La police a reconnu trois morts, mais d’autres sources parlent d’au moins cinq.

    La police n’avait précédemment pas réussi à briser les barricades des travailleurs (voir la vidéo du journal Phnom Penh Post). La nervosité de l’establishment n’a fait que croître par la suite. Les patrons ont exigé du gouvernement qu’il exporte vers d’autres pays les marchandises non-terminées afin de pouvoir respecter les délais de production. Le gouvernement a bien tenté d’apaiser les travailleurs en proposant un salaire minimum de 100 $ par mois, tandis que le principal parti d’opposition, a soutenu la revendication de 160 $ ainsi que le mouvement de grève. Le parti d’opposition CNRP (Cambodge National rescue Party) a exigé la démission du Premier ministre Hun Sen et la tenue de nouvelles élections après que des allégations de fraudes aient été dévoilées suite aux dernières élections de l’été dernier.

    Le secteur du textile est très important au Cambodge, il comprend environ 500.000 travailleurs et est le plus important secteur d’exportation. Les salaires y sont très bas, mais le salaire minimum avait déjà augmenté en mai dernier de 66 à 80 dollars par mois, ce qui est encore insuffisant pour répondre à l’inflation. Dans les faits, les salaires sont au même niveau qu’il y a 15 ans. La sécurité sur les lieux de travail est pratiquement inexistante, deux travailleurs sont encore décédés en mai dernier alors qu’une partie de leur usine de chaussures s’effondrait. Officiellement, la surveillance des usines de textile s’effectue à travers un organe mis en place par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), Better Factories Cambodia. Mais cela n’empêche pas les abus, même le taux misérable du salaire minimum actuel n’est souvent pas intégralement payé. Les syndicats sont combattus, notamment par le recours à des contrats temporaires de très courte durée.

    Le secteur textile cambodgien a pour client des grandes marques telles qu’Adidas, Nike et Puma, qui affluent au Cambodge puisque les salaires y sont inférieurs à ceux de Chine, de Thaïlande et du Vietnam. Comme dans le cas du Bangladesh, ces grandes entreprises posent leurs valises là où elles peuvent réaliser des profits encore plus juteux. Ces luttes pour des salaires plus élevés et des conditions de travail sûres méritent notre soutien et notre solidarité.

  • La crise économique débarque en Asie du Sud

    Rapport de l’école d’été du CIO

    Jusqu’à récemment, les économies “émergentes” des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) croissaient encore à un rythme soutenu. La Chine semblait particulièrement défier les lois de la gravité économique ou plutôt, les lois de la crise, typiques de toute économie capitaliste. On a entendu toute une série de gens nous dire que ces pays pourraient maintenir l’économie à flot et sauver le monde de la crise qui continue à ravages l’Europe et les États-Unis. L’effondrement tragique du taux de croissance au Brésil (qui est passé de 7,5 % en 2010 à… 0,9 % en 2012), et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes de ce pays, ont mis un terme à cette illusion.

    Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Le ralentissement actuel en Chine, dont l’économie “surboostée” lui avait permis de ravir au Japon sa place de deuxième PIB mondial (après les États-Unis), est maintenant source de gros ennuis pour la clique dirigeante en Chine et partout dans le monde. La Chine est très fortement impliquée dans de grands projets de capitalisation dans toute une série de pays, pour des raisons économiques aussi bien que stratégiques ; mais la baisse de ses exportations a déjà un effet sur les économies des pays dans lesquels la Chine a délocalisé certaines opérations industrielles de base et à partir desquels elle tire les matières premières qui alimentent son industrie.

    L’Inde – qui est la troisième plus grande économie d’Asie, et qui ne s’est que récemment ouverte au marché mondial – a vu son taux de croissance chuter, de 10,5 % en 2010 à 3,2 % en 2012. La croissance de l’économie de la Malaisie, qui est extrêmement dépendante du commerce avec la Chine, a ralenti pour n’atteindre que 4,1 % cette année. La plupart des pays asiatiques ont au départ bénéficié de la baisse des investissements productifs (càd, profitables) qui s’est produite ailleurs dans le monde. D’énormes quantités de capitaux “dormants”, qui ne généraient que peu ou aucun intérêt dans les banques des pays pratiquant l’assouplissement quantitatif (l’impression d’argent), se sont déversées sur l’Asie en tant qu’“investissements” spéculatifs.

    Le Financial Times commentait ainsi que les marchés obligataires en monnaies locales « ont beaucoup prospéré du fait que l’effondrement financier mondial de 2008 a libéré une masse d’argent facile […] qui a quitté les États-Unis et l’Europe. Que se passe-t-il lorsque les taux d’intérêts commencent à monter, surtout aux États-Unis ? Combien de cet argent va se retourner et prendre ses jambes à son coup ? ». Près de 50 % des bons d’État de l’Indonésie appartiennent à des étrangers ; c’est le cas aussi de 40 % des bons d’État de la Malaisie et des Philippines.

    Allons-nous maintenant assister à une nouvelle “crise asiatique”, aussi grave, voire plus grave encore, que celle de 1997-98 ? Les gouvernements d’Asie du Sud et du Sud-Est (ces deux régions, qui s’étendent de l’Afghanistan à l’Indonésie, représentant ensemble 33 % de la population mondiale) parviendront-ils à éviter la tempête à venir ?

    Un précédent historique

    Au cours de la “crise asiatique” de 1997-99, on a vu plonger les devises de pays comme la Thaïlande, tandis que des centaines de milliers d’emplois passaient à la moulinette. Les soulèvements révolutionnaires contre la politique d’austérité imposée par le FMI ont notamment, en Indonésie, renversé le dictateur honni, Suharto. En Malaisie, un mouvement de masse qui réclamait des réformes démocratiques a menacé le long règne du Front national (BN), dominé par l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO). À la fin 1997, la Corée du Sud a connu de nouvelles grèves générales contre les attaques néolibérales, semblables à celles qui se sont produites encore récemment.

    La fois passée, le FMI avait envoyé des prêts massifs à tous ces pays en proie à la crise afin d’éviter un effondrement social et une révolution. Dans le cas de la Corée du Sud, le montant des prêts s’élevait à 57 milliards de dollars. Aucun de ces mouvements de résistance n’a pu former une voix et une ligne politique capable d’accomplir les processus révolutionnaires qui avaient vu le jour. En Indonésie, certains groupes de gauche ont entretenu des illusions dans le caractère “démocratique de Megawati Sukarnoputri, qui, une fois au pouvoir, a joué son rôle de gérante du grand capital national et international, en alliance avec les généraux de l’ancien régime. En Malaisie, Anwar Ibrahim, le très populaire dirigeant du mouvement “Reformasi”, était un ancien membre du gouvernement UMNO avec Mahathir Mohammed. En tant qu’économiste néolibéral éduqué aux États-Unis, il ne voulait pas (et ne veut toujours pas) d’un mouvement qui pourrait aller jusqu’au bout et organiser la fin du capitalisme.

    Le CIO avait appelé au soutien total à ces mouvements pour les droits démocratiques et pour la liberté, et avait cherché à s’y impliquer autant que possible, mais tout en expliquant – suivant en cela le concept de la “révolution permanente” tel qu’imaginé par Trotsky – la nécessité de débarrasser ces pays néocoloniaux de la domination du capitalisme multinational aussi bien que national. Il fallait y mener une politique socialiste claire, basée sur la compréhension du rôle de la classe des travailleurs qui seule, avec le soutien des pauvres des villes et des campagnes, peut établir une véritable démocratie et transformer les vies de l’écrasante majorité de la population dans cette région.

    Tandis que le vent froid de la récession mondiale a maintenant atteint les pays asiatiques, de pareils mouvements tout aussi tumultueux pourraient voir le jour. Étant donné le fait que les économies des divers pays du monde sont encore plus interconnectées aujourd’hui qu’alors, l’Inde et le Pakistan, qui avaient évité le pire de la crise de 1997-98, pourraient à présent se retrouver complètement submergés. Le FMI ne va certainement pas pouvoir intervenir de manière aussi importante qu’il l’a fait à l’époque pour sauver les gouvernements des soulèvements révolutionnaires. Les premières explosions de colère et de désespoir pourraient s’élargir pour aboutir sur un mouvement généralisé au sein duquel l’ensemble des travailleurs et des jeunes pauvres se mettraient à chercher des solutions révolutionnaires. En ce moment, aucun pays asiatique ne peut prétendre avoir un gouvernement stable, confiant et viable.

    L’Inde

    L’Inde est caractérisée par « l’économie de marché économique avec la moins bonne performance de l’année » (The Guardian, 7 aout), vu le fait que sa croissance s’est arrêtée au second trimestre. « Les investisseurs craignent une répétition de la crise qui avait frappé l’Inde en 1991 ».

    Misère de masse et privations sont deux termes synonymes en Inde : « Quatre-cent millions d’Indiens n’ont pas l’électricité … La moitié des Indiens défèquent à l’air libre … Les taux d’immunité pour la plupart des maladies sont inférieures à ceux d’Afrique subsaharienne … Un enfant indien a deux fois plus de chances de souffrir de la faim qu’un enfant africain (ils sont 43 % à en souffrir en Inde) … Le budget de la santé publique s’élève à à peine 39 $ par personne et par an, alors qu’il est de 203 $ par personne par an en Chine, et de 483 $ au Brésil » (The Economist, 29 juin 2013)

    La majorité des femmes indiennes subissent une souffrance et des difficultés sans nom. Le viol collectif et le meurtre d’une étudiante à New Delhi en décembre dernier a provoqué un large mouvement de protestation en Inde comme à l’échelle internationale. Il est possible que des mesures soient introduites afin de tenter de sévir contre les criminels sexuels, mais il faut se rendre compte que la violence contre les femmes bénéficie du soutien de nombreuses vieilles pratiques et croyances. Les catastrophes naturelles sont aggravées par la destruction irresponsable de l’environnement, comme on l’a vu avec les glissements de terrain meurtriers dans l’Uttarakhand (petit État de l’Himalaya, frontalier du Népal et du Tibet (sous domination chinoise), 10 millions d’habitants) en juin de cette année. L’état des services de secours d’urgence est lamentable, ce qui cause encore plus de morts et de souffrances.

    Le gouffre qui s’étend entre la masse de la population indienne, forte de près de 1,3 milliards de gens, et la minuscule poignée de super-riches, s’élargit de plus en plus. Quelques individus issus de riches dynasties familiales ont amassé de vastes fortunes. Selon le magazine Forbes, Mukesh Ambani, patron de Reliance Industries et le 22ème homme le plus riche du monde, possède une fortune de 20 milliards de dollars (10 000 milliards de francs CFA, voir ici les photos de son yacht qui a couté 10 milliards de francs) ; le magnat de l’acier Lakshmi Mittal pèserait quant à lui 16 milliards de dollars (8000 milliards de francs). Une nouvelle classe moyenne s’est développée dans certaines villes, et fournit un certain marché pour les voitures et les produits de semi-luxe.

    « Pour les riches, le seul problème est leur tour de taille », comment The Economist (06/07/13). « Transportés partout par leurs chauffeurs, dispensés de toute corvée quotidienne par leur armée de serviteurs, ils sont devenus une race à part, corpulente, qui se distingue clairement de leurs compatriotes maigrelets ». (Cela nous rappelle les vieilles caricatures du gras capitaliste, alors qu’au même moment, aujourd’hui aux États-Unis, ce sont les travailleurs qui sont obèses, vu la manière dont on les gave de nourriture bon marché mais d’origine indéterminée).

    L’écrasante majorité de la population indienne continue à mener tant bien que mal une existence sordide avec un revenu de misère constamment érodé par l’inflation galopante. Les couches moyennes, qui ont pu bénéficier d’un certain développement de l’économie, voient déjà leurs espoirs brisés par le ralentissement de l’économie.

    Le gouvernement de Delhi dirigé par le parti du Congrès est ravagé par l’indécision et la corruption. Des régions entières du pays échappent au contrôle du gouvernement, où les forces de guérilla naxalites (maoïstes) se sont rendues populaires en chassant les propriétaires terriens rapaces et les multinationales. Alors que des élections sont prévues en 2014, le premier ministre Manmohan Singh vacille entre la pression de l’extérieur, qui veut le forcer à mettre en place des “réformes” néolibérales, et la pression d’en-bas.

    Il y a maintenant même la possibilité de voir revenir au pouvoir le parti nationaliste de droite largement discrédité, le BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), dirigé par Narendra Modi. Modi est toujours détesté par des millions de gens qui le surnomment le “boucher du Gujarat” (État frontalier du Pakistan, 60 millions d’habitants) pour y avoir été responsable du meurtre de plus de 2000 musulmans en 2002. Dans de nombreux États, son parti se vautre dans la corruption. Mais comme le disait le Financial Times : « Si l’impression d’un vide étatique donnée par le Congrès continue comme ça, de plus en plus de gens seront tentés de prendre des risques avec lui » (10/06/13)

    Et cela, dans un pays qui a connu en février la plus grande grève générale de l’histoire de l’humanité – plus de cent millions de travailleurs étaient partis en grève pendant deux jours. Les grévistes réclamaient entre autres la fin de la cherté de la vie et un salaire décent pour tous. (Le roupie indien a chuté de 15 % rien qu’entre mai et juillet, ce qui a fortement nuit aux revenus déjà faibles).

    Les partis “communistes” de masse, jouissent toujours d’un certain soutien parmi les travailleurs et même parmi les paysans. Cependant, le “Parti communiste indien (marxiste)” a perdu énormément de plumes depuis qu’il a perdu le pouvoir au Bengale occidental (province de Calcutta/Kolkata, à la frontière avec le Bangladesh ; 100 millions d’habitants), où il régnait depuis des décennies. Il a souffert électoralement à cause des attaques brutales menées par lui sur le niveau de vie des travailleurs et des paysans, sacrifiés sur l’autel du capitalisme indien comme étranger. Il sera difficile – bien que pas impossible, en l’absence de tout autre parti des travailleurs de masse – pour le PCI(M) de regagner un soutien là ou ailleurs, tant qu’il adhère à la doctrine stalinienne traitre des “deux stades” – selon laquelle il faut d’abord installer le capitalisme avant de commencer toute lutte pour le socialisme.

    Le Pakistan

    La crise quasi permanente qui constitue la vie quotidienne au Pakistan illustre bien le besoin urgent pour les travailleurs de s’en prendre directement au féodalisme et au capitalisme en même temps. La vie personnelle tout comme la vie politique est oppressée par les coupures de courant, les attentats terroristes, l’effondrement des services publics et la paralysie du gouvernement.

    Le Parti du peuple pakistanais (PPP), autrefois si puissant, est entré dans une période de déclin qui sera peut-être terminale. La seule raison pour laquelle son gouvernement corrompu et inapte, sous la direction de M. Zadari dit “20 %” (une amélioration depuis son titre précédent de “M. 10 %”), est parvenu à arriver jusqu’au bout de son mandat, est l’inertie affichée par toutes les autres forces. L’armée, qui contrôle en coulisses des pans entiers de l’économie et de la société, n’est pas intervenue non plus pour reprendre le pouvoir direct. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le fera pas à nouveau dans le futur, vu le développement de la crise politique et sociale.

    Le PPP, dans lequel tant de travailleurs et de jeunes avaient placés tous leurs espoirs au début des années ’80, a maintenant perdu la plupart de son autorité. Le gouvernement de Nawaz Sharif est confronté à des problèmes impossibles à résoudre : un État en faillite, une économie en crise, le terrorisme islamiste de droite, et de puissantes forces centrifuges qui menacent de faire éclater le pays.

    L’économie pakistanaise est dangereusement instable et fragile. Le nouveau prêt du FMI, d’une valeur de 5,3 milliards de dollars, est lié à l’exigence d’une “discipline financière”, càd, aucun subside pour les pauvres. La priorité est la réforme du secteur du transport de l’électricité, pour remédier aux coupures de courant qui causent maintenant chaque année à l’économie nationale des pertes estimées à 2 % du PIB.

    Il est fort improbable que le nouveau gouvernement puisse y faire quoi que ce soit. Les deux-tiers de l’électorat vivent dans les zones rurales, où des propriétaires féodaux ont encore pour ainsi dire droit de vie ou de mort sur des millions de paysans. Ce sont aussi eux qui décident du résultat des élections. La lutte héroïque de Malala Yousafzai (une adolescente de 16 ans, déjà victime de plusieurs tentatives d’assassinat dont une balle dans la tête pour son blog anti-talibans) contre les talibans qui voulaient empêcher les filles de s’inscrire à l’école, leur a par la même occasion permis de redorer un peu leur blason (Yousafzai est le nom d’une grande famille noble pachtoune, une ethnie qui vit à la fois au Pakistan et en Afghanistan). Mais la lutte contre les féodaux et contre les autorités, qui ne peuvent assurer une éducation complète et gratuite des garçons et des filles à la ville et à la campagne, est loin d’être terminée.

    Néocolonialisme et gouvernements faibles

    Dans la plupart des sociétés asiatiques, beaucoup de droits démocratiques de base n’ont jamais été établis. Les classes capitalistes émergentes n’ont pas été assez fortes pour accomplir une réforme agraire en profondeur ni pour chasser les restes du féodalisme. En Chine, il a fallu l’État prolétarien déformé de Mao Zedong pour accomplir cette tâche. Ce qui avait été accompli au cours des siècles précédents par les classes bourgeoisies lors de leurs révolutions en Angleterre, en France et ailleurs, reste toujours inachevé dans la plupart des pays asiatiques.

    Tout comme sur les autres continents, la plupart des nations asiatiques ont été créées artificiellement par des lignes tracées sur des cartes après (ou avant) des années de pillage et de destructions meurtrières. Des nations entières ont été réduits au statut de “minorité ethnique” en Birmanie, en Thaïlande, au Sri Lanka. Seuls des partis des travailleurs à la tête de gouvernements socialistes seront à même de résoudre les questions des droits des minorités nationales et d’entamer la tâche de bâtir des confédérations mutuellement coopératives de nations, à l’échelle sous-régionale.

    Cela fait des décennies que le règne direct exercé par l’impérialisme a pris fin partout en Asie. Cette domination a été remplacée par des puissances régionales telles que la Chine et l’Inde, qui luttent pour des “concessions” avantageuses sur le plan stratégique ou économique, comme on le voit au Sri Lanka, en Birmanie, et ailleurs.

    Des multinationales géantes fouillent la région à la recherche de marchés, de main d’œuvre bon marché et de maximalisation des profits. Dans la plupart des pays les plus pauvres du monde, le marché des graines, des engrais, des détergents, de la vente, etc. est dominé par des monopoles multinationaux. Unilever effectue ainsi 57 % de ses ventes sur les “marchés émergents”, Colgate 53 % et Procter & Gamble 40 % (Financial Times 29/07/13).

    Une campagne contre l’invasion du marché de la distribution indienne par Walmart organisée par le PCI(M) a obtenu une semi-victoire. Il reste à voir si la mise en échec de Walmart sera définitive. Les “communistes” du PCI(M) ont juré de rester vigilants, mais même des campagnes de masse ne peuvent obtenir que des victoires temporaires tant que les forces du “libre marché” capitaliste déterminent l’économie.

    Les géants du textile et de la chaussure que sont Primark, Gap, Reebok et Adidas tirent d’énormes profits du travail asiatique. Le Bangladesh reçoit 20 milliards de dollars par an de ses exportations de textiles fabriqués par des travailleurs payés 38 $ par mois (20 000 francs CFA). La fureur suscitée par les conditions de travail dans des entreprises telles que le complexe Rana Plaza à Dhaka (la capitalie), qui s’est effondré cette année en tuant 1300 travailleurs, s’est exprimé dans les rues par des manifestations de masse et par des grèves.

    À l’échelle internationale, on verse des larmes de crocodile, puis on parvient à des accords entre les revendeurs, les organisations patronales, les ONG et les fédérations internationales de syndicat comme IndustriALL. Même des organisations modérées comme “War on Want” (Guerre à la pauvreté, une ONG britannique) se plaignent du fait que de tels accords ne mènent jamais à rien et ne permettent jamais de garantir un salaire décent, une réduction des heures de travail ou de meilleures conditions de vie pour les millions de travailleurs de l’industrie textile partout en Asie du Sud et du Sud-Est. Ces accords ne permettent pas non plus l’émergence de véritables organisations de travailleurs combatives.

    Certains des géants les plus connus de l’industrie automobile possèdent aussi des usines en Asie. Ils forcent leurs travailleurs à accepter des salaires et des conditions qui ne seraient pas tolérées dans aucune autre région du monde. Mais en même temps, ils ont créé une nouvelle génération de jeunes combattants de classe qui ont organisé des grèves très importantes, comme celle de Maruti, près de Delhi (Maruti est une société industrielle appartenant à Suzuki ; les travailleurs demandaient le triplement de leur salaire et des logements ; le directeur des ressources humaines est décédé dans un incendie au cours de cette grève ; l’usine a été fermée pendant presque un an ; le conflit est toujours en cours).

    Les magnats “locaux” tels que les Tata, les Mittal, les Ambani, etc. se sont tellement enrichis depuis l’“indépendance” de leur pays, sur le dos de millions de travailleurs frappés par la pauvreté, dans leur pays comme en-dehors que leurs entreprises d’acier, d’automobiles et de mines parcourent à présent le monde entier, dans leur éternelle quête de profits.

    Démocratie ?

    Un simple regard sur n’importe quel pays d’Asie du Sud nous confirmera l’immense, l’infranchissable “déficit démocratique”, comme les commentateurs bourgeois le disent. Au Royaume-Uni, il y a eu tout un débat afin de savoir si la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth pouvait ou non avoir lieu comme prévu au Sri Lanka cette année (ce qui laisserait le Sri Lanka présider l’organisation du Commonwealth pendant les deux prochaines années !). La presse à cette occasion signalait le fait que le seul élément de démocratie présent au Sri Lanka est l’organisation d’élections. Le Sri Lanka serait le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, selon l’ONG “Reporters sans frontières”. L’armée continue à saisir et à “lotir” les terres des Tamouls dans le nord du pays, tandis que son ministre de la Défense, Gotabaya Rajapakse (frère du président Mahinda Rajapakse, du ministre de l’Économie Basil Rajapakse et du président de l’Assemblée nationale Chamal Rajapakse), aime à déclarer que « Les droits de l’homme ne sont pas pour nous ».

    La guerre civile au Sri Lanka a été noyée dans le sang de dizaines de milliers de Tamouls par la dictature népotiste chauviniste cingalaise de Mahinda Rajapakse. Mais aucune des grandes puissances qui luttent pour l’opportunité de faire des investissements très profitables et pour l’influence politique au Sri Lanka – notamment la Chine et l’Inde – n’est embarrassée par le manque de droits démocratiques dans le pays.

    Cette année en juin, nous avons vu la première grève générale dans le pays, bien que partielle, depuis des années ; c’est là un signal d’avertissement au régime apparemment tout puissant. Un gouvernement confiant dans son avenir n’aurait pas besoin de se reposer si fortement sur l’usage de l’armée, sur la censure de la presse ou sur la traque des opposants et des éléments minoritaires.

    Même dans “la plus grande démocratie du monde” – l’Inde – les votes lors des élections sont achetés et vendus. Toutes sortes de “cadeaux électoraux” – télévisions, ordinateurs, téléphones portables, etc. – sont distribués par les partis d’opposition comme du pouvoir lors des élections nationales ou régionales. De véritable fiefs de la taille de pays entiers sont détenus par des Ministres-en-chef et par leurs amis. La promesse d’éliminer l’immonde système des castes, reprises en chœur par tant de dirigeants politiques, reste irréalisée, et les minorités ethniques voient leurs terres les plus précieuses se faire arracher par des gouvernements ou des cartels qui œuvrent main dans la main (sauf là où des mouvements de masse déterminés sont parvenus à bloquer leurs projets).

    Le “second monde”

    La Malaisie, pays d’Asie du Sud-Est, parfois considérée comme faisant partie du “second” plutôt que du “tiers” monde, comprend trois principaux groupes raciaux (Malais, Chinois, Indiens). Le gouvernement du Barisan Nasional (Front national), qui se base sur la majorité malaise, prétend avoir à nouveau gagné les élections en mai, bien qu’il ne détienne maintenant plus la majorité des deux tiers qui lui permettait d’effectuer des modifications constitutionnelles.

    Les électeurs “chinois” (càd, d’ethnie “chinoise”, et non pas de nationalité chinoise), qui constituent un quart du total des Malaisiens, se sont écartés du BN pour protester contre la continuation de sa politique pro-malais. La majorité des électeurs “indiens” malaisiens ont en général voté pour l’opposition de la Pakatan Rakyat (Alliance du peuple).

    Au cours du mois qui a précédé les élections nationales, on a tout d’un coup vu tomber un “déluge” d’allocations sociales pour les familles pauvres, d’un montant total de 2,6 milliards de dollars. D’autres cadeaux ont été faits pour l’ensemble des électeurs. Malgré cela, l’alliance au pouvoir, dirigée par le BN, a sans nul doute été vaincue ; mais elle a affirmé sa victoire, malgré les très nombreux rapports de fraude électorale partout dans le pays. (Même le contrat pour l’encre nécessaire au vote a été donné à une entreprise qui appartient à un membre de l’alliance au pouvoir !)

    Des jeunes radicalisés et en colère sont immédiatement descendus dans les rues pour déclarer le gouvernement illégitime ; certains de leurs dirigeants ont été arrêtés. Le dirigeant de l’opposition – ce même Anwar Ibrahim qui avait dirigé le mouvement “Reformasi” en 1997 – a condamné la fraude électorale et a exigé une enquête par les tribunaux. Mais il n’a à aucun moment demandé à ce que le gouvernement laisse le pouvoir et à manifester pour cela. Petit à petit, le mouvement des jeunes s’est essoufflé puis a disparu.

    Il faut une nouvelle force politique en Malaisie, comme partout ailleurs dans la région, afin de canaliser la colère des jeunes et des travailleurs en une lutte pour une alternative socialiste. Le CIO en Malaisie, dans son journal “Solidarité ouvrière” présente une longue liste de revendications démocratiques liées à d’autres portant sur les salaires, le logement, les emplois pour les jeunes, la nationalisation des banques et des grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs. Ce journal est vendu aux manifestations, sur les marchés de nuit, devant les entreprises – que ce soit des banques ou des usines – et dans les quartiers ouvriers.

    Quel avenir

    Lorsque les économies asiatiques seront soumises à la pleine force de la tempête économique qui approche, tous les partis politiques de la région seront soumis à l’épreuve. Ceux qui prétendent représenter les travailleurs, mais ne sont pas prêts à mener une lutte jusqu’au bout et sans compromis contre la domination du capitalisme et de l’impérialisme, perdront leur soutien. Ces vieux partis seront rejetés au cœur de la lutte de classes. Le développement d’une nouvelle force prolétarienne, basée sur un programme de classe combatif, est la tâche principale des socialistes en Inde, au Pakistan, en Malaisie, au Sri Lanka et dans toute la sous-région.

    Des évènements terribles se préparent pour l’Asie du Sud et du Sud-Est ; c’est en particulier le cas pour les pays plus petits comme la Birmanie, le Népal, le Vietnam ou le Cambodge. Toutes les vieilles “certitudes” seront remises en question, et c’est au CIO que reviendra l’immense responsabilité de développer la capacité de lutte de la classe des travailleurs à travers toute la sous-région.

    Comme Trotsky l’a écrit dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale, rédigé il y a 75 ans : « Bons sont les méthodes et moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l’abnégation dans la lutte » (Programme de transition). Les quelques-uns qui comprennent aujourd’hui la nécessité d’un programme complet afin d’effectuer une transformation socialiste en profondeur de la société ont pris l’habitude de « nager contre le courant ». Mais la vague de soulèvements de masse en Asie et ailleurs dans le monde, contre le capitalisme sous toutes ses formes, les porteront « à la tête du flux révolutionnaire », comme l’écrivait encore Trotsky.

    Que ce soit le régime chancelant de Yudyohono en Indonésie, l’alliance instable au Pakistan, le gouvernement mou de Singh en Inde, le pouvoir illégitime de Najib Raziv en Malaisie ou la dictature de verre au Sri Lanka, aucune de ces cliques corrompues ne donne la moindre apparence de stabilité pour la sous-région. Loin de là. Les tempêtes qui pointent à l’horizon les verront remplacés non par un ni deux, mais par toute une série de gouvernements de crise, jusqu’à ce qu’un parti armé d’un programme socialiste révolutionnaire parvienne à saisir les rênes du pouvoir et à inspirer une vague révolutionnaire à travers toute l’Asie et au reste du monde.

  • Malaisie: reconstruction des traditions combatives du mouvement ouvrier

    Cette année, lors de l’école d’été annuelle du CIO, une membre de notre organisation sœur en Malaisie est intervenue. Sharifah, une jeune femme d’origine musulmane, a parlé, lors de quelques discussions, de la situation de son pays et de la construction de nos forces. La Malaisie est caractérisée par une population fortement mixte, où les contradictions nationales, religieuses et ethniques sont très utilisées par la bourgeoisie. Nous-mêmes, nous y construisons une organisation socialiste unifiée. Avant le début de l’école d’été, Sharifah a passé quelques jours à Anvers, l’occasion de l’interviewer.

    Rapport par Andrej

    Avant son indépendance, la Malaisie était une colonie britannique. Le colonisateur y régnait d’un main de fer. Les matières premières et la force productive de la population étaient totalement consacrées aux intérêts de l’impérialisme britannique. La population locale restait en arrière avec les mains vides, et ceci dans un pays d’une importance stratégique qui comptait beaucoup de richesses naturelles. La population locale était, entre autres, exploitée pour la construction de nouveaux chemins de fers qui ne servaient pas à établir un réseau local de transports publics mais à pouvoir transporter plus facilement les matières premières du pays. L’exploitation et la répression étaient omniprésentes, les droits démocratiques n’existaient pas. Voila le décor posé par les occupations Britannique et Japonaise du pays.

    Comme dans d’autres pays de la région, l’indépendance après la Deuxième Guerre Mondiale ne s’est pas obtenue grâce aux « idées éclairées » des colonisateurs, mais a été permise grâce à la pression d’un mouvement de masse de la base. Un grand facteur politique dans ce processus était le rôle du Parti Communiste qui connaissait une forte croissance dans la région entière. Ainsi, le développement rapide du PC en Indonésie a eu un impact sur la Malaisie. Le PCM (Parti Communiste de Malaisie) était fortement impliqué dans la lutte pour l’indépendance. Le potentiel d’un mouvement révolutionnaire qui pouvait non seulement mettre à la porte le colonisateur mais également le système capitaliste et impérialiste dans son entièreté était présent. Un grand obstacle néanmoins fut la ligne politique de Moscou qui, après la guerre, avait conclu un accord avec l’impérialisme sur la division des sphères d’influence, et qui était prêt à gaspiller des possibilités révolutionnaires pour s’y maintenir. C’est grâce à la pression d’en bas et au rôle des militants du PCM que les Britanniques ont du se résigner à l’indépendance. Dans une tentative de conserver la tactique coloniale de diviser pour mieux régner, Singapour fut déclaré indépendant de l’état malaisien. Ceci a surtout été fait pour éviter que la population chinoise ne devienne majoritaire dans le pays. Si aujourd’hui le parti traditionnel le plus important en Malaisie, le UMNO, revendique l’indépendance du pays, ce n’est qu’une falsification de l’histoire.

    Après l’indépendance de la Malaisie, l’UMNO est arrivé au pouvoir. Sous sa direction, les chemins de fer et les entreprises d’eau et d’électricité ont été privatisés. Pour trouver un soutien politique à cela, la tactique traditionnelle de l’ancien colonisateur de diviser pour mieux régner a été utilisée. Cette division s’est encore renforcée par une islamisation poussée : le régime naturalisait des migrants musulmans des Philippines et du Bangladesh pour élargir sa base populaire. Avec cette politique, Mohamed Mahathir est parvenu à maintenir sa position de premier ministre de la Malaisie durant 22 ans. Mais cette période a pris fin en 2003, et lors des dernières années de son pouvoir, l’instabilité politique du pays a augmenté.

    Dès la fin des années ’90, dans toute la région, nous avons assisté à un retour des mouvements de protestation. Le dictateur indonésien Soeharto, qui est arrivé au pouvoir dans les années ’60 après avoir organisé un massacre au sein de la gauche, fut éjecté du pouvoir en 1998 par un mouvement de masse. La lutte contre la corruption et la dictature en Indonésie a fait écho en Malaisie où là aussi des « reformasi » (réformes) étaient proposées. Un élément central des protestations en Malaisie à la fin des années 1990 fut la loi « ISA » (Internal Security Act), grâce à laquelle le gouvernement pouvait enfermer tous les opposants sans la moindre enquête. Le loi était alors utilisée à l’époque pour réduire le PCM au silence.

    Le mécontentement par rapport à la corruption et à la fraude n’a jamais disparu. En 2007, des grandes actions et manifestations ont été organisées sous le nom « BERSIH » (propre). Des élections « honnêtes » et « sans fraude » ont été proposées. Mais ces élections étaient néanmoins truquées, permettant à certains de voter plusieurs fois. Il y avait plus de voix que d’électeurs…

    De plus, dans le système électoral, il est prévu que les entreprises ont la possibilité de naturaliser leurs ouvriers du Bangladesh ou d’Indonésie contre paiement. Ceci est alors utilisé pour obtenir des ouvriers naturalisés qu’ils votent pour le parti du gouvernement. Chaque voix est personnalisée pour permettre au gouvernement de contrôler, à tout instant, qui a voté pour quel parti et quand. Et on appelle cela la démocratie…

    Le CIO en Malaisie est actif dans le mouvement pour les droits démocratiques. Nous ne nous contentons pas de manifester, mais nous intervenons également avec notre matériel politique pour politiser la résistance. La force de ce mouvement est qu’il a beaucoup pointé la fraude électoral et que ceci est diffusé largement dans la population. Sa faiblesse est que le mouvement se fait seulement entendre lors des élections.

    Notre organisation en Malaisie est assez jeune, mais parvient cependant à avoir déjà un certain impact. Nous unifions des activistes de différents origines ethniques et religieuses, et nous menons des campagnes au sein de la population. Nous militons avec des campagnes dans la rue, dans des entreprises ou lors de marchés nocturnes. Il existe beaucoup de confusion politique, beaucoup de nos discussions parlent de la nécessité des syndicats, et de la lutte pour un système alternatif. Il y a peu de compréhension sur le fait qu’une alternative au capitalisme est possible, et encore moins sur la façon de construire les instruments pour y arriver.

    Le rôle de la direction des syndicats existants n’y est pas pour rien. La direction de droite de la fédération syndicale la plus importante, MTUC, abandonne souvent ses membres lors des conflits avec les employeurs. Mais ceci n’est pas une fatalité. Une position combative du syndicat des employés bancaires a mené à quelques victoires et cela dans un secteur qui n’est pas connu comme le centre de la lutte de classes. Les victoires des employés bancaires en ont inspiré d’autres, notamment dans le secteur des télécoms, afin d’entrer en action, par des grèves, pour arriver à de meilleurs conditions de travail.

    Le gouvernement sent la pression de la lutte d’en bas. Il y a même eu l’élaboration d’un salaire minimum de 900 Ringgit par mois (150 euro). Les employeurs disposent néanmoins de toute une série de détours pour l’éviter, et employer les travailleurs dans des conditions bien pires. Dans la capitale Kuala Lumpur, nous avons été contactés par les travailleurs d’une usine de crème glacée dans laquelle la direction avait fait signer un contrat aux travailleurs qui stipulait que leur salaire, même avec des heures supplémentaires ou des frais, ne pourrait jamais être plus élevé que 900 Ringgit. Nous avons aidé à organiser un syndicat pour ces travailleurs qui ont mené plusieurs actions. Le nouveau syndicat a mis l’affaire devant le ministère du travail, qui a statué que l’accord était illégal. C’est en s’organisant que les travailleurs sont parvenus à cette victoire.

    En construisant de tels exemples et en renforçant, par la même occasion, notre organisation, nous voulons lier les traditions combatives du mouvement ouvrier à une meilleur et plus forte compréhension des taches qui sont devant nous dans la lutte pour une alternative socialiste au capitalisme.

  • Bangladesh : Catastrophe et barbarie du capitalisme

    L’effondrement d’une usine textile au Rana Plaza, à Dhaka, la capitale du Bangladesh, a entraîné, selon les données officielles, 1.127 morts et 2.500 blessés, mais aussi des explosions de protestations ouvrières au Bangladesh et d’indignation en Occident. Cette catastrophe a révélé au grand jour les conditions de travail misérables et dangereuses des travailleurs bangladais.

    Par Geert Cool

    Bas salaires et insécurité

    L’industrie textile constitue le secteur économique le plus important du Bangladesh et représente environ 80% des exportations du pays. Quelque 4 millions de travailleurs sont impliqués dans ce secteur au chiffre d’affaires annuel avoisinant les 20 milliards de dollars et qui est régulièrement cité en exemple sur la scène internationale comme la plupart des usines sont détenues par des investisseurs locaux. Il ne s’agit cependant que de sociétés œuvrant au service de grandes entreprises textiles internationales qui préfèrent sous-traiter leur sale boulot. On trouve notamment parmi elles des entreprises chinoises qui profitent des salaires inférieurs pratiqués au Bangladesh. De fait, les salaires sont extrêmement bas. Recevoir 30 euros pour un mois de travail n’est pas exceptionnel, même si un salaire minimum officiel supérieur a été instauré en 2010 en conséquence d’importantes luttes ouvrières. La pauvreté est un phénomène de masse, même les chiffres officiels disent que plus de la moitié des 150 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Les conditions de travail sont aussi très dangereuses, les accidents de travail sont fréquents et les usines ne sont guères sûres. La catastrophe du Rana Plaza est loin d’être un cas isolé. Le 26 novembre dernier encore, un incendie d’usine avait causé la mort de 112 travailleurs.

    Luttes ouvrières

    Il existe une forte tradition de lutte parmi la classe ouvrière du Bangladesh. Les syndicats ne se laissent pas facilement faire, mais la répression est à cette hauteur. L’an dernier, un syndicaliste a été assassiné en raison de ses activités et convictions syndicales. Ces dernières années ont connu pas mal de manifestations et d’actions des travailleurs du secteur textile. Récemment encore, trois patrons ont réalisé un lock-out (une fermeture provisoire de leur entreprise) pour mettre à la rue les 6.600 travailleurs qui réclamaient le paiement de leurs arriérés de salaires et des augmentations salariales.

    La catastrophe du Plaza Rana a entraîné un nouvel essor des protestations syndicales avec notamment des manifestations massives à Dhaka au cours du mois de mai et des grèves dans des entreprises qui sous-traitent pour la société H&M. Le gouvernement a préféré réprimer le mouvement plutôt que de considérer les revendications légitimes des travailleurs. Sur ce plan comme sur les autres, le nouveau gouvernement a beau se dire ‘‘de gauche’’, il ne se distingue en rien des autorités précédentes.

    Des ‘‘vêtements propres’’ ?

    La production à bas coût réalisée au Bangladesh a permis à une grande entreprise comme H&M de réaliser en 2012 un bénéfice mondial de 1,96 milliards d’euros, soit plus que le salaire annuel des 4 millions d’ouvriers du textile au Bangladesh ! Dire qu’une augmentation salariale au Bangladesh entraîne automatiquement des vêtements plus coûteux est totalement faux, à moins de vouloir maintenir les profits des actionnaires… On essaye trop souvent de culpabiliser la population occidentale pour les crimes causés dans le monde néocolonial par les multinationales.

    La couverture médiatique de la catastrophe de Dhaka a forcé différentes entreprises textiles à affirmer qu’ils n’allaient plus proposer que des ‘‘vêtements propres’’, c’est-à-dire qui ne seraient pas produits dans des conditions de travail inhumaines. Mais ces facteurs sont souvent difficiles à maîtriser tant sont nombreuses les formes de sous-traitance. Au final, la seule manière d’assurer à chacun de disposer de bons emplois avec de bonnes conditions de travail et de salaire est de disposer de syndicats forts, combatifs, et qui collaborent à l’échelle internationale. D’autre part, assurer un contrôle total des conditions de travail dans les diverses usines implique que ces entreprises soient protégées de la rapacité du secteur privé et placées dans les mains du public. Alors seulement le cœur de la production ne serait plus la course aux profits mais la satisfaction des besoins des travailleurs du secteur et de la collectivité en général.

    Il faut une alternative politique

    Ces protestations des travailleurs du textile surviennent à quelques mois d’un affrontement acharné et sanglant entre de jeunes manifestants et les forces fondamentalistes islamistes, qui disposent d’une réelle importance économique. Le nouveau gouvernement de la Ligue Awami (qui se dit d’obédience socialiste) a commencé à poursuivre certaines figures de premier plan du camp des fondamentalistes en raison de leur rôle dans la lutte sanglante pour l’indépendance en 1973. Cela a conduit à des représailles des fondamentalistes qui ont par la suite dû faire face à un mouvement de masse qui, à son apogée, a fait descendre un million de personnes dans les rues. Le propriétaire de la Plaza Rana entretenait des liens étroits à la fois avec l’opposition de droite du BNP (Parti Nationaliste du Bengladesh) et avec la Ligue Awami. Ces deux partis, même s’ils se disputent le pouvoir, sont résolument dans le même camp dès lors qu’il s’agit de défendre une classe sociale. Ainsi, la Ligue Awami ‘‘de gauche’’ a interdit la tenue de manifestations.

    Les travailleurs et les pauvres du Bangladesh doivent prendre en main la construction de leur propre outil politique afin de mieux être capables de se défendre. Dans leur lutte contre le capitalisme et les gros bras qui servent les patrons du textile, ils n’ont rien à attendre des partis établis, il leur faut disposer d’une alternative politique armée d’un programme basé sur la transformation socialiste de la société.

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