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  • Inégalités et mouvements de lutte dans le pays le plus riche du monde

    SocAlteUSALa vague de grèves organisées par les travailleurs de la restauration rapide et l’élection de Kshama Sawant au conseil de la ville de Seattle sont des indicateurs des changements qui s’opèrent actuellement dans la société américaine. Kshama est une membre-clé de la branche américaine du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), Socialist Alternative, qui connaît une expansion très rapide. Peter Taaffe, Secrétaire général du CIO, nous dresse un rapport de sa dernière visite aux États-Unis.

    Peter Taaffe, Secrétaire général, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galle)

    « Comment diable la ville de Seattle a-t-elle pu élire une socialiste ? Nous étions pourtant si sympathiques auparavant. » Il s’agit du commentaire que le journal Seattle Weekly a rédigé sous le gros titre : « Le chemin de la révolution ». L’incroyable victoire électorale de Kshama Sawant, la première conseillère ouvertement socialiste de Seattle depuis 100 ans, a suscité toute une série de commentaires tout aussi surpris de la part de commentateurs capitalistes américains et dans le reste du monde.

    Pourtant, il ne faut pas être un génie pour comprendre cette victoire qui a abouti sur la campagne retentissante « 15 now » et sur la promulgation du salaire minimum le plus élevé des États-Unis.

    L’enthousiasme contagieux que cette élection a suscité chez les travailleurs, et particulièrement les jeunes, était palpable lors de la dernière Convention nationale de Socialist Alternative à laquelle ont participé un nombre record de délégués, d’observateurs et de contacts venus des quatre coins des États-Unis. Ils ont pu assister à des débats intenses sur les perspectives mondiales, sur les défis auxquels la gauche fait face lorsqu’elle se présente aux élections contre les deux partis traditionnels américains, ainsi que sur le climat propice au développement de notre organisation, Socialist Alternative, et de manière générale, des idées socialistes dans la société américaine. Le succès de cette convention s’est également reflété au niveau de l’énorme collecte de fonds de 43.000$ que les camarades sont parvenus à rassembler.

    La convention a également abordé la question du nombre de membres, qui a doublé en une année à peine et de la possibilité que cette augmentation spectaculaire continue de plus belle dans les années à venir.

    Le capitalisme « à visage humain » n’existe plus

    Le capitaliste américain n’a plus de « visage humain » – en a-t-il seulement jamais eu ? – aux yeux des millions de victimes de la classe ouvrière plongées dans la pauvreté suite à l’échec de ce système. Même à Seattle qui, à de nombreux égards est une ville magnifique, des sans-abris campent devant l’Hôtel de Ville, illustrant cette triste réalité.

    Le Seattle Weekly a admis, bien qu’à demi-mot, que c’est la dégradation des conditions de travail de la classe ouvrière qui a offert une plateforme à Kshama et lui a permis de remporter la victoire : « […] à peu près 102 000 travailleurs gagnent moins de 15$ de l’heure à Seattle. Notre niveau de vie est classé parmi les sept les plus élevés du pays. Dans le centre-ville, la location d’un appartement d’une chambre coûte environ 1 300$ par mois. Une augmentation du salaire minimum ne représentera qu’un soulagement temporaire. … La classe ouvrière blanche est composée de travailleurs de plus en plus jeunes, libéraux et ouverts aux programmes progressifs. Environ 20% de la population de Seattle est âgée de 20 à 29 ans. » [19 août 2014]

    Les multinationales et leurs porte-paroles (dont le parti démocrate) sont terrifiés par « l’effet contagieux » de la campagne de Kshama et sont déterminés à mettre un terme à cette « expérience socialiste ». Déjà, le Seattle Weekly et d’autres journaux traditionnels ont mis en avant un candidat démocrate qui jouit d’une certaine popularité car il s’est prononcé en faveur de la législation sur le cannabis à Washington comme un opposant à Khsama lors des prochaines élections qui se tiendront à la fin de l’année prochaine et qui lui permettraient d’être réélue. Dès lors, il faut redoubler d’efforts pour atteindre cet objectif. Kshama est une voix extrêmement puissante, pas seulement pour la classe ouvrière américaine, mais pour les travailleurs du monde entier.

    Sans ce mécontentement grandissant des travailleurs américains quant à la dégradation de leur condition de vie dans un contexte d’inégalités criantes dans le pays le plus riche du monde, la victoire de Kshama et du Socialist Alternative n’aurait pas été possible. Plusieurs sondages d’opinion ont également révélé que partout aux États-Unis, un nombre non négligeable de jeunes Américains sont en faveur du socialisme.

    Pourtant les mots à eux seuls et les mains levées au ciel à cause des conditions « inacceptables » de la classe ouvrière, le refrain habituel de la majorité des organisations de « gauche » et des délégués syndicaux inactifs ne servent absolument à rien. C’est l’action, l’audace de défier les patrons et leurs représentants politiques – la « propagande de l’action » -, combinée à la revendication de 15$ de l’heure pour les travailleurs de la restauration rapide qu’il fallait absolument mettre en œuvre. Socialist Alternative a été la seule organisation à comprendre que l’action permettrait de créer une cohésion puissante au sein de l’armée de travailleurs mal payés à Seattle et partout aux États-Unis.

    Revendications pour un salaire minimum

    Cette campagne a été hautement bénéfique pour les travailleurs sous-payés qui sont toujours affectés par la plaie qu’est le capitalisme, mais qui se réveillent désormais pour exiger un salaire minimum et dénoncer un « vol massif des salaires » par les patrons. La campagne des 15$ Now traverse l’ensemble du continent et pourrait se propager encore davantage, avec des victoires similaires remportées dans d’autres villes. Sans l’exemple de Seattle, cet élan ne se serait probablement pas en train de se produire, du moins pas pour le moment.

    Seattle a dynamisé la classe ouvrière américaine, et en particulier les travailleurs sous-payés. Il suffit de voir la grève des travailleurs de la restauration rapide le 4 septembre, dans plus d’une centaine de villes américaines, dont Chicago, New York et Detroit, ainsi que les manifestations et les sit-in dans les restaurants et les bureaux administratifs, y compris au McDonald, à Burger King et KFC. La police a procédé à l’arrestation de plus de 400 personnes.

    Un travailleur de la restauration rapide à Chicago s’est exprimé au nom de tous lorsqu’il a déclaré : « Nous connaissons clairement une ascension fulgurante car nous avons l’impression que la justice est de notre côté … Nous sommes impatients de voir les résultats. » McDonald, dont les quartiers généraux sont situés à Chicago et qui enregistre des profits extrêmement juteux a déclaré : « Toute augmentation du salaire minimum doit être appliquée dans le temps afin que son incidence (…) soit gérable. »

    Cet exemple de patrons au cœur lourd qui se lamentent de ne pas pouvoir se permettre de verser des salaires plus élevés que le salaire minimum fédéral de 7,25$ de l’heure est contrecarré par un journal qui n’est autre que le porte-parole capitaliste, le New York Times. Il écrivait donc : « En 2013, la part des profits après impôt des entreprises dans l’économie a dépassé le plus haut niveau enregistré (en 1965) alors que la part des salaires dans l’économie a atteint son niveau le plus bas depuis 1948. La croissance des salaires depuis 1979 n’a pas évolué au même rythme (…) provoquant une baisse ou une stagnation des salaires pour la plupart des travailleurs et des bénéfices juteux dans les portefeuilles des entreprises, des actionnaires, des dirigeants d’entreprise, et autres individus situés tout en haut de l’échelle des revenus. » (31 août 2014)

    De nouvelles études conduites par l’Institut des politiques économiques ont également révélé qu’entre les six premiers mois de 2013 et les six premiers mois de 2014, les salaires de l’heure, ajustés à l’inflation, ont chuté pour tout le monde, sauf pour les 10% les plus riches.

    Cette diminution, en déprimant encore davantage la demande, a une incidence non négligeable sur les perspectives économiques du capitalisme. Même si la mesure totalement inadéquate d’Obama visant à augmenter le salaire minimum fédéral à 10,10$ de l’heure était introduite, elle «mettrait environ 35 milliards de dollars supplémentaires dans les poches des travailleurs touchés sur un période progressive de trois ans. » Les travailleurs de la restauration rapide et d’autres travailleurs sous-payés affirment que ce n’est pas suffisant : les 15$ de l’heure sont nécessaires.

    Si la proposition d’Obama est mise en œuvre, alors cela générera de la « demande ». C’est pour cela que, pris au piège dans un « triangle des Bermudes » de crises sans fin, certains membres de la classe dirigeante internationale insistent sur la nécessité de faire des concessions aux syndicats et aux travailleurs afin de générer cette « demande », qui, ils l’espèrent, permettrait de sortir de la situation actuelle.

    Même la Bundersbank en Allemagne, qui il y a peu était une fervente partisane de l’austérité, particulièrement pour les pays du sud de l’Europe, a totalement changé de cap. Elle a encouragé les délégués syndicaux de la droite allemande en leur promettant qu’elle les soutiendrait s’ils se mettaient à lutter pour une augmentation salariale supérieure à l’inflation de 3% pour leurs membres. Des concessions pour les travailleurs allemands, mais rien pour les masses opprimées en Espagne, au Portugal ou en Grèce !

    Il est évident que certains capitalistes résisteront à ce type d’appels à cause de l’incidence qu’il pourrait avoir sur eux et sur leurs entreprises, mais les stratèges du capitalisme essayent de trouver un moyen de sauver leurs intérêts globaux.

    La classe ouvrière doit rassembler ses forces tant sur le plan politique qu’industriel

    Néanmoins, les républicains au Congrès se sont farouchement opposé la proposition d’Obama pour une faible augmentation du salaire minimum. Cette réaction montre bien que la classe ouvrière américaine ne recevra que très peu d’acquis dans la situation actuelle à moins qu’elle ne soit capable de rassembler ses forces tant sur le plan politique qu’industriel. Cela signifie qu’il faudra sérieusement défier les démocrates, en particulier lors des prochaines élections, car ils ne représentent pas la classe ouvrière, comme nous avons pu le voir sous l’administration Obama mais aussi avec la gouvernance des démocrates au niveau de l’État et des villes.

    Le renouvellement des syndicats est également absolument nécessaire. Trop de délégués syndicaux évitent de faire des vagues, manquent de conviction pour l’emporter face aux patrons. Un éminent délégué syndical à Seattle a demandé, sceptique : « Vous ne pensez tout de même pas que vous pouvez l’emporter face aux grandes entreprises ? » Face à l’action de la classe ouvrière, ils préfèrent mobiliser des « employés », payés par les organisateurs syndicaux, plutôt que de coordonner un mouvement massif des travailleurs.

    La campagne de Kshama a marqué un nouveau tournant dans l’implication des masses dans la lutte pour une amélioration de leur condition de vie. Jess Spear a également fait un score remarquable avec près de 20% des voix, alors qu’elle se présentait contre le démocrate Frank Chopp lors des élections primaires pour l’Assemblée nationale en août dernier. L’establishment capitaliste prend très au sérieux l’accession de Socialist Alternative au rang de deuxième parti de Seattle (les républicains sont virtuellement inexistants dans cette ville). Les résultats de Chopp sont considérés, tant par Socialist Alternative que par les capitalistes, comme la première manche d’une bataille pour la réélection de Kshama en 2015.

    Et ce n’est pas seulement la classe ouvrière, mais également les couches intermédiaires de la société – ceux qui jouissaient des conditions de vie de la classe moyenne – qui sont touchées : le New York Times a reconnu qu’il y avait des faits « de collusion entre les plus grandes entreprises de la Silicon Valley qui ont confisqué environ 3 milliards de dollars de salaire aux programmeurs de logiciels. » En outre, les services publics étaient auparavant le pilier de la vie des travailleurs de la classe moyenne mais désormais « l’on peut voir que la sous-traitance ne permet pas d’économiser de l’argent, ni d’améliorer les services offerts. »

    En d’autres termes, toutes les conditions qui ont provoqué la colère des travailleurs américains et les appels retentissants à agir touchent aussi de larges couches de la classe moyenne. Les banlieues américaines, autrefois synonymes d’émancipation économique, sont désormais l’endroit où l’on trouve le plus de pauvreté, comme l’indique le livre « The Unwinding ».

    Une inextricable crise prolongée du capitalisme américain 

    De plus, cette pauvreté sera probablement amenée à s’intensifier au fur et à mesure que le caractère inextricable de la crise prolongée du capitalisme américain et mondial perdure comme ses représentants le reconnaissent. Une foule d’économistes capitalistes ainsi que les PDG des plus grandes entreprises américaines s’arrachent les cheveux afin de trouver une porte de sortie pour échapper à l’impasse économique actuelle.

    Outre les avertissements désespérés de l’OCDE, Stanley Fischer, le vice-président de la Réserve fédérale américaine, se lamente des « reprises économiques décevantes ». Il affirme que « ces échecs indiquent peut-être une tendance à la baisse permanente du potentiel des puissances économiques telles que les USA, l’Europe et la Chine. » Ce commentaire fait suite à l’avertissement de Larry Summers, le Secrétaire du trésor sous l’administration Clinton, quant à une stagnation du capitalisme sans précédent. En réalité, la reprise de l’économie américaine que l’on attend depuis l’explosion de la crise en 2007-2008 n’a toujours pas eu lieu, excepté dans les poches des patrons.

    Fischer continue de se lamenter quant aux perspectives « incertaines » avec « une productivité moindre et une diminution du taux de participation au marché du travail (…) des tendances qui caractérisent désormais de manière permanente l’économie américaine. » Ce qui sous-entend que le chômage de masse perdurera : « Sur les six dernières années, plus de 3% de la population active s’est mise à vivre en marge de l’économie, d’après le Bureau des statistiques du travail. » (Guardian, 12 août 2014)

    Cette tendance renforce ce que nous martelons depuis le début de la crise, qu’il ne sera pas aisé pour le capitalisme américain et mondial d’atteindre « la vitesse de croisière » qui lui permettrait d’échapper à cette crise, car pour atteindre à nouveau les taux de croissance d’avant-crise il faudra nécessairement passer par une baisse du niveau de vie. Bien entendu, l’économie américaine est une économie à l’échelle continentale et, si certaines régions peuvent être en stagnation ou en recul, d’autres secteurs ou régions peuvent dans le même temps renouer avec la croissance. Toutefois, nous assistons à une crise structurelle globale du capitalisme qui se traduit par une stagnation prolongée des conditions de vie.

    Cette stagnation est évidente lorsque l’on regarde les perspectives actuelles et à venir de l’industrie manufacturière américaine qui était autrefois le moteur de la croissance dans ce secteur. Récemment, Obama s’est montré enthousiaste quant aux perspectives du capitalisme américain. Néanmoins, les chiffres actuels concernant l’emploi ne lui donnent pas raison. Même si 168 000 emplois ont été créés dans ce secteur en un mois, ils ne font que dissimuler le déclin à long terme et l’effondrement du secteur industriel.

    Le secteur privé américain a créé environ 10 millions d’emplois depuis le début de l’année 2010 et pourtant à peine 705 000 de ces emplois sont dans l’industrie manufacturière. Pour chaque emploi créé dans ce secteur, deux autres étaient créés dans le secteur de l’Horéca, et deux dans le secteur des soins de santé et de l’assistance sociale. Dès lors, les USA illustrent bien la situation des pays capitalistes dits « développés » qui se trouvent actuellement dans un déclin industriel prolongé. Il s’agit toujours du pays industriel le plus avancé économiquement en termes de rendements, etc. Pourtant les USA, à l’instar de la Grande-Bretagne autrefois l’atelier du monde et la force dominante du monde capitaliste, ont démontré qu’au lendemain d’un déclin économique s’élèvent une tension sociale et une lutte des classes.

    Des affrontements de la même ampleur que dans les années 1960

    Les USA n’y échapperont pas non plus, comme le démontrent les évènements de Seattle et d’ailleurs. Des affrontements de la même ampleur que ceux des années 1960, dont la révolte des Afro-américains, sont à prévoir. Le meurtre de Michael Brown, un jeune Afro-américain dans la ville de Ferguson, dans le Missouri, indique que les évènements de cette période pourraient tout à fait se répéter. La militarisation de la police est totalement disproportionnée, les départements de la police achetant l’équipement militaire en surplus de l’armée. Un congressiste démocrate comparait l’intervention de l’État dans la ville de Ferguson à l’occupation américaine de Fallujah en Irak !

    Certaines techniques, comme les contrôles et les fouilles employées par la police britannique contre des jeunes d’origine africaine ou asiatique, sont également appliquées à Ferguson avec les mêmes résultats. La ville est composée à 67% d’Afro-Américains et pourtant 94% des policiers sont blancs ! La police opère presque comme une force d’occupation dans des villes comme Ferguson. Le FBI estime que plus de 400 personnes sont tuées chaque année dans des fusillades impliquant la police locale américaine. Ce chiffre est bien moins élevé dans d’autres pays.

    Par conséquent, nous assistons à un début de politisation de la population afro-africaine, comme dans les années 1960 et 1970. Socialist Alternative, notamment des membres des Afro-Américains, est intervenu avec succès à Ferguson pour accélérer ce processus. Une autre politique tout aussi honteuse mise en œuvre par l’administration Obama, consiste à persécuter les immigrants. Sous son mandat, Obama a expulsé plus d’immigrants que tous les présidents précédents pris ensemble.

    Dans une telle situation, il est absolument nécessaire de trouver une voix pour défendre les opprimés et la classe ouvrière. Kshama a montré ce qu’il était possible de faire dans une ville seulement, comme Jess Spear l’a également fait avec sa campagne. Lors de la convention de Socialist Alternative, il y a eu un débat très intéressant et complet sur la nécessité d’étendre l’exemple de Seattle à l’échelle nationale.

    Kshama a été invitée à s’exprimer dans un panel (aux côtés de Naomi Klein et d’autres) dans le cadre de la Marche pour le climat à New York le 21 septembre 2014, un évènement qui a attiré plus de 200 000 personnes – la plus grande manifestation pour l’environnement de l’histoire. Il s’agit d’un évènement-clé pour Socialist Alternative, qui attirera certainement un grand nombre de jeunes intéressés par le socialisme et qui le considèrent comme l’alternative évidente et nécessaire de toute urgence pour mettre fin au capitalisme, mais ils verront également, et c’est peut-être encore plus important, que Socialist Alternative est la seule force à gauche qui articule une stratégie politique pour en finir avec le capitalisme, soulignant la nécessité de couper tout lien avec le parti démocrate.

    D’importantes perspectives s’ouvrent permettant à la gauche de défier sérieusement ses adversaires capitalistes au pouvoir. Bernie Sanders, le sénateur de l’État du Vermont qui se considère comme un socialiste, est encouragé par Socialist Alternative et d’autres membres de la gauche à défier les démocrates lors des prochaines élections présidentielles. En outre, Karen Lewis, une Afro-américaine et déléguée du syndicat des enseignants à Chicago, qui avec ses membres s’est opposé au maire actuel de la ville, un farouche opposant aux syndicats, Rahm Emanuel, a montré qu’elle était prête à se présenter contre lui en tant que candidate « non partisane » pour représenter le mouvement ouvrier, lors des élections de l’année prochaine. La nature de sa campagne et les revendications qu’elle présentera dans son programme ne sont pas encore claires. Tout dépendra de l’attitude de l’ensemble des travailleurs et des syndiqués vis-à-vis de sa campagne.

    La situation évolue très rapidement aux États-Unis. Mais l’empreinte de la période précédente sur la conscience des travailleurs, marquée par un affaiblissement prononcé de la lutte des classes, est toujours présente. Toutefois, cette empreinte ne représente pas l’ensemble de la réalité, comme le montrent les évènements à Seattle et ailleurs. La situation mondiale, en particulier si un attentat terroriste était perpétré contre les États-Unis, pourrait connaître un retour en arrière en termes de niveau de conscience. Mais même une situation aussi terrible n’arriverait pas à arrêter la résurgence de la classe ouvrière américaine. Seattle nous montre comment la situation à venir pourrait évoluer, avec l’apparition d’une force puissante pour un changement socialiste aux États-Unis.

  • [INTERVIEW] Bart Vandersteene, de retour des USA

    USA : La lutte pour un meilleur salaire minimum atteint un point critique

    Le 15 mars dernier, 750 habitants de Seattle manifestaient pour revendiquer du Conseil municipal l’instauration d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure. Bart Vandersteene, porte-parole du PSL, a séjourné deux mois durant à Seattle au début de cette année afin de soutenir le fonctionnement de nos camarades de Socialist Alternative. Nous avons discuté avec lui des USA et de la lutte pour le socialisme, deux thèmes qui, selon certains, sont diamétralement opposés.

    Kshama Sawant (membre de Socialist Alternative) vient d’accomplir ses premiers mois de conseillère à Seattle. Comment se sont-ils passés ?

    “Un mot : impressionnant ! Lorsque Kshama a prêté serment le 6 janvier, 800 personnes étaient présentes ainsi que les médias nationaux et même internationaux. Et au cours des deux premiers mois de son mandat, elle a su faire parler d’elle plus d’une fois… C’en est fini de la politique à laquelle était habitué l’establishment à Seattle.

    “Les médias locaux publient parfois plusieurs fois par semaine des reportages consacrés à Kshama. C’est à tel point que certains journalistes ont laissé entendre qu’ils reprennent goût à leur travail, qu’il y avait de nouveau des informations à couvrir. Plus prosaïquement, un autre journaliste a fait savoir que l’arrivée de Kshama était est une bonne chose pour les ventes de son journal.

    “Ces anecdotes illustrent ce qui se vit plus généralement au sein de la société. Pour la première fois depuis longtemps, une partie importante de la population active se sent à nouveau représentée au conseil.”

    En deux mois, on ne peut évidemment pas réaliser grand-chose…

    “Vous seriez bien étonnés. La présence d’une véritable socialiste parmi les neuf conseillers qui gèrent la ville renforce la confiance en soi de la population. Lors d’un discours en face de militants syndicaux Kshama a exprimé la manière dont elle voit son rôle comme suit : ‘‘Chez moi, pas besoin de faire du lobby. Il suffit de me dire comment je peux vous aider.’’

    “Certains prennent ça au pied de la lettre, c’est d’ailleurs ce qu’elle espérait. Ainsi, elle a reçu un jour la visite d’une quarantaine de travailleurs d’un hôpital. Ils lui ont expliqué qu’en tant qu’immigrés, ils étaient discriminés en permanence par leurs supérieurs et qu’ils n’avaient pas obtenu de prime entre autres à cause d’un examen linguistique proprement raciste. Kshama a pris le dossier à coeur, a écrit une déclaration, a appelé la direction de l’hôpital et a rapporté cette affaire au conseil municipal. Deux semaines plus tard, les travailleurs ont reçu leur prime avec effet rétroactif, la direction a présenté ses excuses et a promis une enquête interne sur la discrimination. Outre ces choses concrètes, Sawant pèse dans le débat politique de la ville.”

    La question du salaire minimum est-elle au centre de ce débat politique ?

    “Oui. La gigantesque inégalité de revenus et de richesses aux USA entraine une indignation profonde. La lutte pour un meilleur salaire minimum est le thème central autour duquel le mécontentement se manifeste. Comme Tom Morello, l’ancien guitariste de Rage Against The Machine, l’a récemment écrit : ‘‘All eyes are on Seattle’’, tous les yeux sont sur Seattle. La chance est réelle que le salaire minimum augmente drastiquement à Seattle. Ce serait un exemple inspirant pour tous les travailleurs à bas salaire du pays.

    “Le salaire minimum fédéral de 7,25 dollars (5,5 euros ou 880 euros bruts par mois) est un vrai salaire de misère. Dans l’Etat de Washington, le salaire minimum est de 9,32 dollars. Avec un coût moyen du logement de 1200 dollars par mois à Seattle, impossible de vivre d’un tel salaire. Cette revendication des 15 dollars de l’heure était le thème central de la campagne électorale de Kshama. Les 95.000 voix qu’elle a récoltées comme socialiste ouvertement déclarée ont placé le thème du salaire minimum en haut de l’agenda politique.”

    Où en est cette discussion aujourd’hui ?

    “Le maire déclare systématiquement dans les médias qu’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure arrive, mais l’affaire est loin d’être gagnée. En coulisses, des grandes et moyennes entreprises font du lobby pour enterrer la question. Le maire Murray a récemment déclaré que les 15 dollars ne seraient complètement instaurés qu’à la fin de son mandat en 2017, mais avec probablement toutes sortes d’exceptions. Le secteur Horeca veut par exemple intégrer les pourboires dans le salaire et certaines entreprises veulent faire compter l’assurance-santé de leurs travailleurs. D’autres disent que les “petites” entreprises ne doivent pas y être forcées.

    “C’est une véritable guerre de propagande qui a éclaté. Les grandes entreprises aux bénéfices mirobolants peuvent évidemment difficilement défendre être incapables de payer un tel salaire minimum, elles se retranchent donc derrière les petites et moyennes entreprises. Kshama Sawant a quant à elle toujours plaidé pour une beaucoup plus grande imposition des grandes entreprises. Cet argent pourrait être utilisé pour accorder certaines réductions d’impôts aux petites entreprises
    qui prouvent qu’elles ont de réelles difficultés financières.”

    Les entreprises essaient-elles de créer un climat de peur ?

    “Absolument. Des emplois disparaîtraient, l’économie locale serait anéantie, etc. Toutes les études prouvent au contraire que dans les villes où le salaire minimum a été augmenté, des emplois ont été créés grâce à l’augmentation de la consommation. Si une grande partie de la population active voit ses revenus fortement augmenter, cela retourne intégralement dans l’économie. Mais c’est un fait que, dans l’économie capitaliste, les plus grandes entreprises bénéficient d’un énorme avantage concurrentiel du fait de l’échelle à laquelle elles opèrent, des matières premières qu’elles peuvent acheter, des frais qu’elles peuvent étaler,… Et elles paient aussi moins d’impôts, tout comme en Europe.

    “Mais quand une économie ne peut fonctionner qu’en condamnant les travailleurs à des salaires de misère, quelque chose cloche fondamentalement. Voilà ce que dit Socialist Alternative, en partant du principe que chaque travailleur a droit à la richesse qu’il produit et que si la structure économique actuelle ne le permet pas, il faut discuter d’une alternative. Cette prise de conscience se développe lentement aux USA.”

    Kshama Sawant a parlé, début de cette année, de la possibilité d’un référendum. Aura-t-il lieu ?

    “Fin avril, une campagne sera lancée pour récolter plus de 20.000 signatures. Entre-temps, nous laissons encore quelques semaines aux négociations.

    “Socialist Alternative et Kshama Sawant ont lancé, début de cette année, la campagne “15now” pour organiser les activistes au sein d’un mouvement de masse capable de faire pression sur le maire et les négociateurs. Si nécessaire, cela peut devenir une campagne de masse pour un référendum le 4 novembre 2014.

    “Un référendum est naturellement un instrument difficile. L’an dernier, une proposition a été faite d’indiquer clairement les produits comprenant des OGM. Le soutien à cette mesure bénéficiait d’un soutien de 90 % dans les sondages. Mais l’industrie agro-alimentaire, notamment Monsanto, a lancé une méga-campagne de 22 millions de dollars avec des spots télé, tracts,… en annonçant la fin économique de Seattle. Au final, les activistes ont perdu le référendum.

    “Il existe de meilleurs instruments. Si seulement les syndicats pouvaient renouer avec la fructueuse tradition de lutte du passé, avec une organisation solide sur les lieux de travail, des manifestations et des grèves. Hélas, une partie considérable de la direction syndicale est aujourd’hui intégrée à la structure sociale. Socialist Alternative a toutefois de bonnes relations avec plusieurs dirigeants syndicaux conscients que le soutien est énorme pour une forte augmentation du salaire minimum. Ils aident à faire de “15now” une campagne qui, espérons-le, arrachera une victoire cette année.

    “Cette année, le 8 mars, Journée Internationale des Femmes, qui tout comme le 1er mai trouve ses origines aux USA, une attention particulière concernant l’inégalité salariale a été soulignée. Deux tiers de tous les travailleurs qui travaillent au salaire minimum sont des travailleuses. Un salaire minimum plus élevé aurait un impact énorme sur le fossé salarial entre hommes et femmes. Dans un classement de l’égalité salariale entre hommes et femmes, les USA se trouvent à la 67ème place sur 133 pays, juste derrière le Yémen. L’augmentation du salaire minimum est donc aussi une question d’égalité hommes- femmes.”

    Quel impact a eu l’élection de Kshama dans le reste du pays ?

    “Cette élection a signifié un regain d’énergie pour beaucoup d’activistes dont certains étaient désillusionnés. Sawant est le symbole du renouveau de la gauche aux USA. Elle a donné une réponse socialiste au State of the Union d’Obama qui a été vue presque 90.000 fois sur YouTube. Socialist Alternative est toujours une petite organisation mais elle a attiré l’attention de beaucoup de personnes à la recherche d’une organisation socialiste efficace. Nous sommes dans le processus de création de nouvelles sections dans tout le pays. La victoire électorale a été une énorme prouesse. Mais avoir un impact réel sur la lutte à Seattle et obtenir des résultats, entre autres autour du salaire minimum, aurait encore plus d’écho et pourrait servir d’exemple pour le reste du pays.

    “Tout ceci est vraiment très encourageant pour les socialistes du monde entier. Kshama a reçu des félicitations du monde entier mais surtout d’Amérique du Sud et centrale, d’Afrique, d’Asie parce que les organisations de gauches y sont bien conscientes à quel point il est fondamental de voir une force socialiste solide se développer aux USA qui, à terme, puisse enchaîner le monstre impérialiste. C’est pourquoi le PSL a décidé de soutenir ce développement et d’aider dans cette tâche importante pour construire un mouvement socialiste fort aux USA.”

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