[DOSSIER] Épreuve de force en Grèce

Varoufakis_euroLa victoire électorale de Syriza a ouvert une nouvelle période dans la lutte contre l’austérité en Grèce et dans toute l’Europe. Et les enjeux pour le mouvement ouvrier ne pourraient être plus élevés. Niall Mulholland a interviewé Nicos Anastasiades de Xekimina (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière), juste après que les dirigeants de Syriza se soient mis d’accord avec l’UE pour une extension de 4 mois du plan de sauvetage.

Article publié dans l’édition de mars de Socialism Today (magazine du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et au Pays-de-Galles)

Quel a été l’effet initial de la victoire électorale de Syriza ?

La victoire de Syriza a été un événement historique pour la Grèce et toute l’Europe. Après 4 ans d’austérité dure et de grandes luttes ouvrières qui ont échoué à faire barrage aux coupes budgétaires, surtout à cause du rôle des dirigeants syndicaux et des partis de gauche, l’élection a marqué la première victoire claire sur les représentants politiques de l’austérité. C’était un gain important pour un parti qui a été considéré comme résistant clairement à l’austérité, la Troika (le FMI, la BCE et l’UE) et les principaux partis politiques grecs. Cela a déclenché une explosion d’optimisme et de joie chez les Grecs. Ils ont vu la première possibilité d’inverser l’assaut de coupes budgétaires lâchée sur eux par le mémorandum d’entente – les mesures d’austérité qui font partie de l’accord de prêt avec la Troïka.

Ensemble avec les autres partis de gauche, comme le KKE (le Parti Communiste Grec), le vote de gauche représente une grande partie des électeurs grecs. Ils avaient une grande majorité dans les circonscriptions ouvrières de toute la Grèce, alors que la Nouvelle Démocratie, le parti traditionnel de la bourgeoisie grecque, fait un meilleur score dans les zones plus riches. Il y a eu un sentiment de soulagement très largement éprouvé lorsque le dernier gouvernement Nouvelle Démocratie / Pasok a été évincé dans les sondages. Les Grecs savaient que, s’ils étaient réélus, cela signifierait davantage de mesures d’austérité et de souffrances pour les masses, car l’administration ND/Pasok aurait lâchement accepté une fois de plus le diktat de la Troïka.

Nombreux sont ceux qui, parmi la gauche du monde entier, ont été surpris et consternés que Syriza soit entré au gouvernement avec le parti de droite nationaliste des Grecs Indépendants. Comment les Grecs ont-ils réagi ?

La constitution grecque requiert que, pour former un gouvernement, un parti gagne d’abord un vote de confiance au parlement. Syriza n’avait pas la majorité absolue pour gouverner seule, et a donc cherché une coalition. Sous la constitution, cela signifiait qu’elle devait approcher chaque parti élu jusqu’à ce qu’elle obtienne un accord pour gouverner avec l’un d’eux ou plus. Si le premier parti échoue à former un gouvernement, alors le second parti (Nouvelle Démocratie) aurait essayé d’en former un. Si cela avait échoué, le troisième parti (Aube Dorée) aurait aussi pu essayer.

Syriza et le KKE ont échoué à parvenir à un accord pour se partager le pouvoir (voir notre article à ce sujet). Cela est outrageux du point de vue des intérêts de la classe ouvrière. Chacun blâme l’autre pour ce résultat, mais la vérité est qu’aucun des deux côté n’a jamais eu sérieusement l’intention de former un gouvernement de coalition avec l’autre. La direction de Syriza a clairement indiqué avant le résultat des élections qu’elle était en faveur d’entrer en coalition avec les Grecs Indépendants (GI) et elle n’a fait qu’un appel mitigé au KKE à la rejoindre dans un gouvernement. Cela indique que la direction de Syriza, qui a viré vers la droite sur les quelques dernières années à mesure qu’elle s’approchait du pouvoir, ne voulait pas de la pression d’un autre parti soutenu par la classe ouvrière.

Le KKE, qui adopte une approche sectaire et isolationniste envers le reste de la gauche, a dit qu’elle envisagerait de voter pour les lois progressives mises en avant par le gouvernement Syriza, mais en même temps, les dirigeants du KKE ont déclaré que leurs parlementaires ne donneraient pas leur vote de confiance à Syriza pour former un gouvernement en premier lieu ! Syriza est donc venue au pouvoir sur base du soutien des Grecs Indépendants, avec qui ils ont formé une coalition.

Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL, NDT) argue que c’était une grande erreur de la part de Syriza. Si les dirigeants de Syriza avaient voulu mener une politique en faveur de la classe ouvrière, indépendante des partis capitalistes, ils auraient dû utiliser les jours suivant les résultats de l’élection pour faire un appel de classe direct à la classe ouvrière et aux classes moyennes ruinées pour qu’elles montrent un soutien actif en faveur d’une coalition gouvernementale de gauche. Cela aurait instauré une énorme pression sur les dirigeants du KKE et aurait probablement divisé la base de ce parti. Syriza aurait pu aller au parlement et demander un vote de confiance, appelant le KKE et les partis de gauche à la soutenir. Si cela n’avait pas abouti à une coalition gouvernementale de gauche, Syriza aurait pu alors aller vers de nouvelles élections, présentant un appel de classe et des politiques socialistes, dans lesquelles elle aurait le plus probablement obtenu une augmentation significative de son score – probablement en récupérant des voix du KKE discrédité – pour former un gouvernement majoritaire.

Cependant, beaucoup de Grecs ne considèrent pas la formation d’une coalition par Syriza avec les Grecs Indépendants, qui n’ont que quelques parlementaires, comme un gros problème, mais plutôt comme un mal nécessaire pour que Syeriza prenne le pouvoir. Mais nous devons dire la vérité aux travailleurs à propos des Grecs Indépendants et des dangers de partager le pouvoir avec eux. En formant une coalition avec eux – un parti bourgeois, quand bien même contestataire – les dirigeants de Syriza ont réalisé une forme de collaboration de classe. Les Grecs Indépendants sont issus d’une scission de la Nouvelle Démocratie. Ils représentent une aile de la bourgeoisie grecque qui est contrariée par les diktats de la Troïka et qui voudrait résister pour gagner des conditions plus favorables pour le capitalisme grec. Alors que les Grecs Indépendants adoptent une démagogie anti-troika et « patriotique » et sont souvent plus combatifs que les dirigeants de Syriza en contestant les patrons de la zone euro, ils restent un parti de la classe dominante et, au final, agiront dans les intérêts des patrons.

Les dirigeants de Syriza ont fait une erreur en donnant des positions ministérielles cruciales aux politiciens des Grecs Indépendants ainsi qu’à d’autres politiciens de droite. Le chef des forces armées est maintenant issu des Grecs Indépendants. Le ministre de la police est un ancien membre de la Gauche Démocratique (une scission de droite du Pasok social-démocrate) et un ancien dirigeant du Pasok est à la tête de la police secrète. De plus, le président de la république élu par Syriza est un ex-ministre de la Nouvelle Démocratie! En d’autres termes, les positions clés qui contrôlent l’appareil d’État ont été données à la droite et à des personnalités politiques qui ont la confiance de la classe dirigeante. La droite peut utiliser cela à son avantage si Syriza est considérée comme indigne de confiance par les patrons d’Europe et de Grèce, même si Syriza a fait de gros compromis à la troïka. Et, bien sûr, l’État peut être utilisé contre les militants et les manifestants et la classe ouvrière entière à mesure que la crise s’approfondit. La semaine dernière, les forces de police ont été déployées contre des manifestants au Nord du pays qui voulaient l’arrêt de l’extraction d’or, qui cause des dommages énormes à l’environnement. La police anti-émeutes a aussi attaqué une manifestation en faveur de la fermeture imminente des « camps de concentration » pour migrants à Athènes.

Même si cela ne se présente pas immédiatement, la classe dominante en Grèce a déjà recouru à la force militaire auparavant quand elle faisait face à une montée de la lutte de classe et de la crise économique. Cependant, la classe ouvrière Grecque a un immense pouvoir potentiel et va lutter pour empêcher ce processus de prendre place de nouveau.

Qu’est-ce que Syriza a promis aux travailleurs en prenant le pouvoir ?

Dans ses premiers jours de fonction, le gouvernement Syriza a fait des gestes symboliques importants. Son dirigeant, Alexis Tsipras, a prêté serment en tant que premier ministre sans prêter serment religieux. Il a plus tard été présenter un hommage aux combattants anti-nazis massacrés par l’armée allemande occupante durant la seconde guerre mondiale. Ce sont des événements hautement symboliques pour les Grecs.

Le nouveau gouvernement dirigé par Syriza est aussi apparu comme tenant ses promesses pré-électorales et a annoncé une série de nouvelles mesures populaires. Celles-ci incluent la restauration du salaire minimum au niveau d’avant la crise ; une petite hausse des pensions basses ; l’abolition des frais de visite à l’hôpital et des charges sur les prescriptions ; la fin de la vente forcée des logements de ceux qui ne peuvent pas racheter leurs hypothèques ; l’annulation des privatisations prévues ; la réembauche des professeurs licenciés ; l’abolition du système « d’évaluation » du service civil, qui a été créé pour permettre des licenciements continuels ; la réembauche de plus de 3500 fonctionnaires et travailleurs du secteur public ; le rétablissement de l’ERT comme chaîne d’État et la réembauche de sa main d’œuvre ; et la citoyenneté pour les enfant des immigrants nés et élevés en Grèce.

La promesse de ces politiques, qui doivent encore être votées au parlement, a été accueillie comme un énorme soulagement bienvenu pour les travailleurs grecs, après des années d’austérité. Mais depuis ces annonces, Syriza a eu des positions très compromettantes pendant les négociations avec la Troïka.

Quelle est donc l’approche que Syriza a prise envers la Troïka ?

Syriza a fait beaucoup de pas en arrière rien qu’en entrant dans des négociations avec la Troïka. Toutes les tentatives de courtiser les dirigeants de l’UE par des visites par Tsipras et le ministre des finances Yanis Vroufakis ont échoué. Ils estimaient possible de recevoir le soutien de l’Italie et de la France. Les dirigeants de Syriza regardaient aussi favorablement du côté de l’administration Obama. Certains pays de l’UE paraissaient plus préparés à laisser une marge à la Grèce, non pour des raisons altruistes, mais parce qu’ils comprennent qu’une confrontation directe avec Syriza pourrait conduire à une coupure des négociations, un défaut de paiement de la dette grecque et la sortie forcée du pays hors de la zone euro. Cela aurait des effets désastreux pour les pays de la zone euro, menant à sa dissolution et menaçant même l’existence de l’UE.

Mais, même si les gouvernements de l’UE ont certaines différences d’opinion et d’emphase sur la marche à prendre, ils se réunissent largement en tant « qu’alliés » au sein de l’Eurogroupe dès lors qu’il s’agit des revendications de la Grèce. Aucun gouvernement de l’UE n’a publiquement déclaré son soutien à la Grèce ou n’a offert une assistance pratique réelle à ceux qui souffrent depuis des années des politiques d’austérité. Cela démontre que les seuls vrais alliés de la classe ouvrière grecque sont la classe ouvrière de l’Europe.

Malgré leurs « lignes rouges » antérieures, les dirigeants de Syriza sont entrés dans des pourparlers en acceptant la dette et le besoin de rembourser les emprunts. Ils acceptent également que le processus soit supervisé par les 3 composantes de la Troïka, qui ne seront dorénavant plus appelées « Troïka » mais « institutions ».

Le capitalisme allemand a montré qu’il n’était pas prêt à accepter les revendications de la du gouvernement grec, même modérées. Cela montre le caractère réel de l’euro-zone capitaliste. C’est un outil pour les grandes puissances, comme le capitalisme allemand, pour exploiter les petits pays – c’est à dire, la classe ouvrière de ces pays – de la zone, souvent en collaboration avec la bourgeoisie locale.

Il est clair que le capitalisme allemand veut obtenir une victoire convaincante sur Syriza pour que cela serve d’avertissement à Podemos en Espagne et à tout autre parti anti-austérité sur ce qui se produira dans le cas où la voie de résistance de Syriza serait suivie. Le capital allemand et des alliés de l’UE veulent un accord qui soit au détriment de la Grèce au point que, quelle que soit la façon dont Syriza essaie de le vendre, cela détruise la grande popularité actuelle de Syriza et des nouvelles autorités grecques en Grèce et dans toute l’Europe. De nouveau, le message serait que la résistance, même la plus modérée, est inutile.

Pourquoi Syriza a-t-il signé ?

Le 20 février, les négociateurs grecs ont accepté une extension de 4 mois du programme de renflouement actuel. Il est rapporté que la délégation grecque a été sujette à un outrageux chantage de l’Eurogroupe qui avait pris la décision d’étrangler l’économie grecque en coupant le financement des banques. Il a été dit au gouvernement grec qu’il serait forcé d’instaurer des contrôles de capitaux dans les jours à venir faute de signature.

Les éléments-clé de cet accord sont que la Grèce accepte le cadre du mémorandum pour les 4 prochains mois. Elle n’obtiendra le prochain paiement du programme que si elle est évaluée positivement par la Troïka. La Grèce doit être engagée à rembourser toute la dette à temps, et à utiliser le gros de l’argent collecté par le programme d’austérité pour rembourser la dette. La Grèce ne doit pas prendre de mesures unilatérales. Cet accord est un recul pour le gouvernement grec.

Cela signifie-t-il pour autant une défaite ? Cela dépend de l’atmosphère des masses ouvrières grecques vis-à-vis de la lutte. Les 4 prochains mois ne seront pas une période de trêve, mais bien une période de batailles dans les tranchées. Les mouvements se battront pour étendre leur victoire politique sur l’establishment au niveau du terrain et des lieux de travail. La troïka va lutter pour maintenir Syriza dans le cadre de l’UE. Le gouvernement va se trouver au beau milieu de ces deux pressions. L’issue de cette guerre est une chose qui ne peut être prédite, c’est une bataille entre des forces vivantes.

L’accord de 4 mois a pu empêcher la Grèce de quitter l’euro immédiatement, mais c’est à un prix très élevé. Malgré la tournure positive de Tsipras, Athènes a fait de grandes concessions, y compris en renonçant à demander une dépréciation de sa dette gigantesque. Renommer la Troïka « institutions » et le mémorandum « Accord de Mécanisme de Soutien Financier » n’évite pas la dure vérité que les Grecs vont devoir subir un programme d’austérité.

Syriza proclame qu’il a obtenu le meilleur des accords possibles, sous la pression de la fuite des capitaux hors des banques grecques et de la menace d’un chaos bancaire. « Nous avons gagné du temps », clament les dirigeants de Syriza. Mais du temps pour quoi ? L’accord a vu Athènes devoir proposer des réformes acceptables à ses créditeurs dans l’UE et au FMI. Les propositions de Syriza doivent être approuvées par l’Eurogroupe et la Troïka, avec avril comme échéance pour que la Grèce complète sa liste finale de mesures et qu’elles soient acceptées par la Troïka. Si Syriza n’accepte pas ces diktats, le gouvernement ne pourra pas accéder aux nouveaux prêts dont il a besoin pour arrêter de faire défaut à sa dette de 320 milliards de dollars.

« A une époque de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». Syriza devrait dire la vérité au peuple grec. Si le gouvernement a fait des concessions pour gagner du temps pour implanter un plan stratégique pour vaincre l’austérité, le peuple va le comprendre et se joindre à cette bataille. Mais ne pas le faire illustre tristement la voie que le gouvernement grec paraît prendre, celle de la collaboration de classe avec l’UE et l’élite locale, en acceptant leur agenda.

Un choix autre que celui d’accepter les exigences de la Troïka existait-il ?

Il est vrai qu’un gouvernement socialiste déclaré arrivant au pouvoir contre l’opposition féroce du grand capital aurait bien sûr à faire face à beaucoup de difficultés et peut être forcé de faire quelques concessions tactiques. Mais Syriza ne défend pas de programme socialiste général. Ses dirigeants s’engagent à rester dans l’euro-zone capitaliste quoi qu’il arrive. Cela signifie d’emprisonner les travailleurs grecs dans la camisole de force du capitalisme des patrons de l’UE et d’accepter la logique du « marché unique » et les diktats de la troïka.

Varoufakis a déclaré suite à l’accord avec la troïka que ce dernier autorise la Grèce à modifier ses objectifs budgétaires pour cette année, de sorte d’obtenir un léger excédent, et qu’il existe une «ambiguïté créative» à propos des excédents budgétaires nécessaires à la Grèce au-delà de 2015. Le gouvernement grec dit que cela va permettre de mettre en œuvre certaines « politiques humanitaires ». Il est vrai que quelques milliards d’euros pourraient quelque peu alléger les souffrances des couches de la population les plus touchées. Étant donné que les Grecs ont traversé des années d’appauvrissement terrible avec les anciens gouvernements pro-austérité, tout espoir d’amélioration de leur condition est une lueur dans l’obscurité. Cela peut permettre à Syriza de se préserver du soutien. Pour le moment. Des acquis sociaux limités pour les plus pauvres et les plus touchés par l’austérité peuvent être considérés comme un certain progrès par la classe ouvrière, pour le moment, au moins en comparaison du triste bilan du dernier gouvernement Nouvelle Démocratie/Pasok.

Mais cela ne sera pas suffisant pour concrétiser une série de réformes en faveur d’investissements publics massif dont les travailleurs et leurs familles ont désespérément besoin. Les principales parties du « Programme de Thessalonique » de Syriza, lui-même un recul par rapport aux programmes précédents, vont être reportées, peut-être indéfiniment. Si le gouvernement Syriza accepte les termes et conditions du capitalisme allemand, cela sera vu tôt ou tard par les travailleurs grecs comme un retournement de veste et une capitulation, quelle que soit la manière dont cela soit présenté. Les dirigeants de Syriza oscillent déjà publiquement sur certaines de leurs promesses politiques, comme le rétablissement de l’ERT et celles sur les mines d’or (d’une position de fermeture par les autorités à une simple position d’opposition rhétorique). Alors que Syriza s’était dit opposé à toute nouvelle privatisation, les autorités ont discuté de la possibilité d’impliquer des compagnies privées dans le « développement » des infrastructures.

Quelle est l’alternative défendue par Xekinima ?

Plus de 100 000 personnes se sont rassemblées au centre d’Athènes le 15 février en soutien à la position initiale de Syriza dans les négociations. Le même jour, d’autres grandes manifestations ont eu lieu dans toute la Grèce. Cela a été le plus grand mouvement généralisé depuis février 2012. L’ambiance était combative. Le fascisme et le nationalisme réactionnaire notamment illustré par Aube Dorée ont été mis à l’arrière-plan par le nouveau sentiment de « patriotisme » anti-troika et anti-impérialiste. 60% des électeurs d’Aube Dorée ont dit qu’ils étaient d’accord avec la position de Syriza au gouvernement. Cela montre l’énorme soutien actif potentiel qui pourrait être gagné pour une lutte déterminée contre la troïka sur un programme socialiste clair. Même si Syriza collait fermement à son programme de Thessalonique, les travailleurs et les plus pauvres en Grèce se seraient mobilisés avec enthousiasme en soutien de son application, avec le soutien actif des travailleurs de toute l’Europe, défiant leurs propres gouvernements austéritaires.

Cela aurait demandé que Syriza négocie avec la troïka devant la classe ouvrière, en démasquant le rôle de l’Allemagne et des autres puissances capitalistes Européennes anti-ouvriers. Cela signifie de dire non à tout remboursement supplémentaire des prêts onéreux de la troïka et une répudiation unilatérale de la dette. Si les puissances de l’UE répondaient en menaçant d’exclure la Grèce de l’euro-zone, un gouvernement socialiste préparerait la classe ouvrière à l’action nécessaire dans cette situation. Il introduirait immédiatement un contrôle des capitaux afin de stopper la fuite de capitaux hors de Grèce par les grands investisseurs capitalistes.

L’évasion et la fraude fiscales endémiques des riches et des grandes entreprises, qui coûtent des milliards qui pourraient être dépensés à la création d’emplois et au paiement des services, doit être arrêtée en expropriant ces entreprises pour les placer sous contrôle des travailleurs et en taxant les riches. La bureaucratie grecque connue pour sa corruption, son incompétence et son inutilité peut être surmontée par le contrôle ouvrier et l’instauration d’un salaire des hauts fonctionnaires identique à celui des ouvriers qualifiés.

L’introduction d’une nouvelle drachme offrirait-elle une issue ?

Si cela n’est pas lié à un programme socialiste, cela se révélerait désastreux pour les travailleurs. Cela provoquerait une dévaluation massive, qui anéantirait les économies de millions de personnes. Une nouvelle monnaie nécessiterait donc d’être liée à des mesures plus larges, y-compris l’introduction du monopole d’État sur le commerce extérieur pour élaborer une planification des exportations et des importations qui répondrait aux besoins du peuple grec. Cela exigerait la nationalisation du transport maritime et des principaux secteurs de l’économie – y-compris le système bancaire et les grandes entreprises industrielles, le commerce et les services – sous contrôle et gestion publics et démocratiques, afin de commencer à développer une économie démocratiquement planifiée.

Cela créerait de la richesse pour les masses, pas pour l’élite. Ces mesures recevraient un énorme soutien de la part de la classe ouvrière d’Europe et inspirerait les nouveaux partis de gauche à lutter pour le pouvoir et pour prendre des mesures similaires. Pour les patrons de l’UE, pour l’exploitation capitaliste et pour l’OTAN belliciste, cela serait le début de la fin. La question d’une fédération socialiste d’Europe, sur base libre et égale, serait alors posée.

Quelles sont les perspectives pour la gauche grecque ?

Syriza est, en fait, un « front populaire » de différentes forces et tendances. Il y a de grandes divergences en son sein. Même si les parlementaires de Syriza tendent à être plus à droite, des tensions et divergences parmi le conseil ministériel ont été rapportées. La base a peu ou aucune chance de prendre part aux décisions importantes, comme quand les parlementaires de Syriza ont voté pour le candidat de la Nouvelle Démocratie au poste de président de la république. Même si la prise du pouvoir par Syriza a été entourée d’un climat d’optimisme, de plus en plus de couches de la classe ouvrière, des militants et une partie de la base de Syriza remettent en question les actes de la direction. Ils sont prêts à une résistance de masse continue contre la troïka et les patrons grecs, comme le sont les meilleurs membres de base ouvriers de KKE et d’autres groupes de gauche.

La classe ouvrière sera prête à donner du temps au nouveau gouvernement de façon à voir si ses politiques seront en mesure de la sortir de la misère de l’austérité. Mais elle ne va pas attendre longtemps. Les masses ont l’exemple du Pasok en 2010, qui avait été élu sur une étiquette anti-austérité mais a imposé les politiques exactement inverses. L’amélioration des vies des millions dans le carcan de l’UE va rapidement se révéler une illusion. Et le rôle de la gauche révolutionnaire au cours de ce processus va être crucial. Il y a un besoin urgent d’une puissance politique non-sectaire à gauche de Syriza pour pousser le gouvernement à gauche là où c’est possible, mais pour s’opposer à tout virage à droite qui va finir par arriver.

Xekinima est au centre de « l’Initiative des 1000 », une coalition de forces de gauche à l’intérieur et à l’extérieur de Syriza. Elle appelle à l’unité maximale des militants de gauche sur base d’un programme socialiste, anticapitaliste et anti-austérité de principe. La prise du pouvoir par Syriza a ouvert un nouveau chapitre agité dans la société grecque, qui appelle des luttes de classe majeures. Les syndicats seront eux aussi affectés par ces développements et les débats intenses qui s’ouvrent au sein de la gauche et des travailleurs sur la voie à suivre. Faire campagne pour des syndicats combatifs et démocratiques afin de résolument résister aux coupes budgétaires et aux privatisations, quel que soit le parti au pouvoir, est un objectif-clé. Le facteur le plus décisif de la prochaine période sera la capacité de la classe ouvrière à se mobiliser et à marquer les événements de son empreinte, à la fois politiquement et sur les lieux de travail.

Si la gauche réussit à poser les bases d’une société socialiste, cela va faire tâche d’huile dans toute l’Europe et va changer le cours de l’Histoire. Si la gauche échoue à montrer la voie, les classes moyennes et de grandes parties de la classe ouvrière pourraient être à la merci de la frustration et de la démoralisation. Cela pourrait paver la voie à un retour de la Nouvelle Démocratie et d’autres partis pro-austérité, et même à une nouvelle croissance du parti d’extrême droite Aube Dorée. Les enjeux ne pourraient pas être plus élevés pour la classe ouvrière grecque et européenne.

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