[INTERVIEW] Paul Murphy, eurodéputé irlandais du CIO

A l’occasion de l’entrée en fonction de Paul Murphy au Parlement Européen, en remplacement de Joe Higgins récemment élu au Parlement irlandais, voici une interview qu’il avait accordée à socialisme.be à la fin de la campagne électorale irlandaise, analysant la situation et le développement économique en Irlande ainsi que les résultats électoraux et les perspectives de lutte. Paul Murphy a également été l’organisateur national de cette campagne couronnée de succès.

Interview réalisée par Navid (Bruxelles)

Socialisme.be : Quelle était la situation économique en Irlande avant le début de la crise ?

Paul Murphy : ‘‘L’économie connaissait une croissance, qui était toutefois construite sur une bulle spéculative insoutenable, sur le crédit et l’immobilier. Le prix de l’immobilier avait augmenté en Irlande plus rapidement que dans tout autre pays européen. Un travailleur sur huit travaillait dans l’industrie de la construction.

‘‘Tout cela n’a été possible que par le fait que le montant d’argent prêté aux gens ordinaires par les banques a augmenté plus rapidement que dans tout autre pays européen. Cette croissance économique était complètement insoutenable, et la faillite était inévitable.

Socialisme.be : Comment l’Irlande est-elle passée du surnom de Tigre Celtique à celui de ‘‘Porc européen’’ (de l’acronyme anglais PIGS) ?

PM : ‘‘Avec la faillite de la bulle immobilière, l’économie est entrée dans une importante spirale de décroissance, qui se poursuit. Le chômage a massivement augmenté, pour frapper aujourd’hui 450.000 personnes dans un pays qui compte 4,5 millions d’habitants. Quant aux politiques d’austérité du gouvernement, qui a appliqué 9 milliards d’euros de coupes budgétaires en deux ans, cela n’a fait qu’approfondir la crise.

‘‘Certains interprètent le fait que les travailleurs payent maintenant le prix de la crise n’est que la garantie des dettes bancaires privées. Les banques ne pouvaient pas récupérer la gigantesque somme d’argent prêtée. Au lieu de laisser les spéculateurs et les Hedge Funds subir ces pertes, l’Etat est intervenu et a garantit toutes ces dettes, ce qui signifie que ce sont les travailleurs qui doivent payer le prix pour le casino des spéculateurs.

‘‘La dette nationale est maintenant massive – si grande que dans quelques années, la taille de la dette sera plus grande que le Produit National Brut et que les intérêts à verser seront de 10 milliards d’euros par an !

Socialisme.be : Pourquoi le gouvernement a-t-il chuté ?

PM : ‘‘Le gouvernement était haït depuis le début de la crise. Pour la population, il était responsable de la politique qui a conduit à la crise. Sa réponse à la crise, les garanties des dettes bancaires et les attaques massives contre les travailleurs (coupes budgétaires, augmentation de taxes pour les travailleurs à bas salaires,…) ont été très correctement considérées par la population comme une sanction contre les travailleurs, alors que les banques ont été sauvées. La pression sur le gouvernement est devenue énorme, avec aussi quelques manifestations importantes de plus de 100.000 personnes. Mais les directions syndicales ont trahit ce mouvement.

‘‘Cette opposition massive a néanmoins créé une pression sérieuse sur le gouvernement, y compris quelques tensions entre les deux partis au gouvernement – le Fianna Faìl (les conservateurs) et le Green Party (les verts), et ont rendu très probable le fait que des élections anticipées allaient avoir lieu. L’intervention de l’Union Européenne et du Fonds Monétaire International a miné le soutien au gouvernement et, à la fin, une goutte d’eau a fait déborder le vase : les révélations concernant les étroits rapports entretenus entre le Teosach (le premier ministre) et de vieux banquiers qui avaient été sauvés. En conséquence, le gouvernement est tombé avec le départ du Green Party.

Socialisme.be : Quel était le sentiment de la population à propos de la ces élections ?

PM : ‘‘Ces élections étaient considérées par quasiment tout le monde comme une opportunité de sanctionner le Fianna Faìl et le Green Party. Au final, cela a été assez dramatique pour eux, les verts ont complètement été éjectés du Parlement et le principal parti du capitalisme Irlandais s’est effondré en passant de 78 sièges à 17 sièges.

Socialisme.be : Quelles sont les différentes possibilités d’alternative et quels sont tes sentiments à leur propos ?

PM : ‘‘La majorité des gens ne ressentent probablement pas qu’il existe une quelconque alternative pour le moment. Un climat de crainte a été crée par les partis de l’establishment et les médias et pour cette raison, la plupart des personnes ont été effrayées à l’idée qu’il n’y avait aucune possibilité de casser les projets de l’UE et du FMI et de ne pas payer la dette. Toutefois, cela va changer avec les attaques de du nouveau gouvernement et les luttes qui vont se développer en opposition. La recherche d’une alternative deviendra encore plus répandue.

‘‘Notre alternative est d’argumenter que les plans de l’UE et du FMI doivent être cassés, que nous devons refuser de payer les dettes des spéculateurs et qu’il faut défendre un programme réellement socialiste, avec un investissement massif de l’Etat dans la créations de centaines de milliers d’emplois dans les services publics et pour en finir avec la crise du chômage.

Socialsime.be : Qu’est-ce que la ULA, et que proposez-vous ?

PM : ‘‘La United Left Alliance est une alliance constituée du Socialist Party (parti-frère du PSL en Irlande), du Socialist Workers Party, du Tipperary Workers & Unemployed Action Group ainsi que d’un certain nombre d’indépendants de gauche et de socialistes. Cette alliance est le résultat concret d’une initiative prise par le Socialist Party afin de relancer les discussions entre ces groupes. Pour le moment, il s’agit d’une alliance électorale, mais nous voulons le développer en un parti de masse des travailleurs, des chômeurs et des jeunes.

Socialisme.be : En quoi la ULA est-elle un élément important, tenant compte du système électoral particulier en Irlande (où l’on vote directement pour des personnalités et pas pour un parti) ?

PM : ‘‘C’est important, car cela représente une réponse de la gauche face à l’énorme crise qui existe en Irlande. Pour cette raison, la ULA a été accueillie par beaucoup de gens comme un développement majeur. Nous avons reçu beaucoup de couverture dans les médias, ce qui a permis de nous présenter comme une véritable alternative au consensus néolibéral de tous les partis de l’establishment. Cela signifie aussi que nous sommes capables d’argumente au porte-à-porte que nos élus ne seront pas isolés, mais feront partie d’un groupe de députés véritablement de gauche.

Socialisme.be : Que penses-tu du nouveau gouvernement ?

PM : ‘‘Le prochain gouvernement sera une coalition du Fine Gael (chrétiens-démocrates, libéraux) et du Labour (travaillistes, sociaux-démocrates). Leur programme pour le gouvernement est la poursuite de la même politique : faire payer la crise aux travailleurs.

‘‘Par exemple, ils ont l’intention de supprimer 25.000 emplois supplémentaires dans les services publics, de privatiser des avoirs de l’Etat pour une valeur de 2 milliards de dollars et d’appliquer une taxe sur l’eau et sur les biens immobiliers. Malgré leur grande majorité (dans les résultats électoraux, ndlt), les gens n’ont d’illusions dans aucun de ces partis, et il est clair qu’avec la continuation de la crise, ces partis seront haïs en peu de temps.

Socialisme.be : Que penses-tu du ‘Sinn Fein’, le parti nationaliste ‘‘de gauche’’ lié à l’IRA ?

PM : ‘‘Le Sinn Fein a réalisé une percée électorale importante cette fois-ci – ils sont passés de 5 élus à 14, sur base de leur rhétorique ‘‘de gauche’’ adoptée ces dernières années. Le Sinn Fein a critiqué les ‘‘garanties de banques’’ et a appellé à ne pas payer, et s’est opposé aux attaques contre les travailleurs.

‘‘Toutefois, le Sinn Fein n’est pas un parti de gauche ou un parti des travailleurs crédible. Dans le Nord (en Irlande du Nord, ndlt), il fait partie de la coalition gouvernementale qui est là-bas en train d’appliquer 4 milliards de Livres d’assainissements pour cette année. Que des luttes se développent au Sud (en République d’Irlande, ndlt) et leur orientation ne sera pas d’organiser de grandes campagnes, mais uniquement de promouvoir leur propre parti. Une des tâches de la ULA doit être d’exposer les contradiction du Sinn Fein et d’aider à organiser ces campagnes.

Socialisme.be : Maintenant que la ULA a 5 élus (dont deux du Socialist Party), quels sont vos projets ?

PM : ‘‘Nous n’allons pas rester assis et nous plaindre au Dail (le Parlement irlandais), nous voulons organiser la population pour combattre les futurs plans d’austérité.

‘‘La ULA (et plus particulièrement le Socialist Party) ont déjà en un impact important au Daìl. Joe Higgins a déjà pu bénéficier d’une importante couverture médiatique pour son premier discours à son arrivée au Daìl, discours dans lequel il attaquait déjà le programme du nouveau gouvernement.

‘‘Cependant, il ne s’agit pas pour nous de réaliser de belles prouesses oratoires au Parlement, notre objectif principal est d’utiliser cette position au Daìl afin d’organiser des campagnes d’opposition massives contre les attaques. Nous sommes particulièrement actifs actuellement dans la préparation de la lutte contre les suppressions d’emploi dans le secteur public et contre l’instauration d’une double taxe sur l’eau et sur la propriété.

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