Grèce : La classe des travailleurs ne va pas arrêter de lutter

Andros Payiatsos: ‘‘Après la capitulation de SYRIZA, il faut faire les premiers pas vers la construction d’une alternative de gauche face à l’austérité et au capitalisme.’’

andros2Pour Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont est membre le PSL), en signant le dernier ‘‘mémorandum’’ avec la Troika, Alexis Tsipras a ‘‘traversé le Rubicon’’. Xekinima a dès lors soutenu l’appel à une ‘‘nouvelle gauche de masse’’ en Grèce, en étant la première organisation de gauche à défendre cette approche. Lucy Redler de Sozialistische Alternative (section allemande du CIO) a réalisé une interview d’Andros Payiatsos, de Xekinima, à ce sujet avant l’annonce de la scission de gauche de SYRIZA. 

L’ancien ministre de l’Énergie démissionnaire du gouvernement Tsipras, Panayótis Lafazánis, de la Plateforme de Gauche de Syriza, est ainsi à l’initiative de la constitution de l’Unité Populaire (LAE) La nouvelle formation dispose de 25 parlementaires et constitue donc déjà la troisième force politique au parlement. Xekinima, l’organisation-soeur du PSL en Grèce, est activement impliquée dans ce processus (à ce sujet, nous vous invitons à lire notre article : Que défend l’Unité Populaire?).

Quelle est l’atmosphère parmi les travailleurs et la jeunesse en Grèce ?

Immédiatement après que Tsipras ait signé le mémorandum, ce que nous avons anticipé suite à sa succession de concessions, nous avons lancé un appel urgent pour l’émergence d’une nouvelle gauche de masse en tant que réponse face à l’immense vide à gauche faisant suite à la trahison du vote massif en faveur du ‘‘non’’ au mémorandum lors du référendum du 5 juillet. 61,5% des gens s’étaient exprimés contre les exigences de la Troïka.

Premièrement, il fallait offrir à la classe des travailleurs une alternative de gauche. Sans cela, la démoralisation serait massive dans la société. Deuxièmement, faute d’un tel développement, l’espace serait ouvert pour qu’Aube Dorée (extrême droite) se présente comme la seule force ‘‘anti-mémorandum’’ et puisse se développer au point de devenir une très dangereuse menace pour la démocratie et les droits des travailleurs.

Sur la question de l’atmosphère, il fallait composer entre l’état d’esprit des masses populaires et celui de la couche d’activistes plus politiquement avancée dans les mouvements sociaux, sur le terrain de la lutte des classes et au sein de la gauche, notamment au sein de SYRIZA. La population n’a pas encore compris les effets de ce nouveau mémorandum parce que ces mesures ne sont pas encore concrétisées. La population n’a pas encore traversé cette expérience. C’est pourquoi il y a une espèce d’attitude attentiste de même que le sentiment que Tsipras a ‘‘fait de son mieux’’ contre la Troïka.

Le soutien à SYRIZA est toutefois en train de chuter dans les sondages. Un sondage réalisé deux semaines après que le mémorandum a été signé a montré une chute de presque 5 pourcents. Les masses comprendront la pleine signification du marché conclu entre SYRIZA et la Troïka en septembre et octobre, quand les nouvelles mesures d’austérité se feront sentir dans la vie de tous les jours.

Au même moment, dans la gauche de SYRIZA et chez les activistes de gauche, le choc est sans précédent. Des milliers de membres du parti qui n’avaient jamais imaginé que SYRIZA puisse approuver le nouveau mémorandum, avaient toujours assuré à leurs collègues de travail, leurs camarades et leurs connaissance que SYRIZA ne signerait jamais quoi que ce soit de similaire avec ce que le Pasok (social-démocratie) et la Nouvelle Démocratie (droite officielle) avaient accepté quand ils étaient au gouvernement. Des milliers d’activistes se sont donc sentis trahis et honteux. Certains n’ont pas osé sortir de leurs maisons plusieurs jours durant ou bien voir leurs amis. Des milliers de sympathisants et d’activistes ont pleuré pendant des jours.

La seule manière d’apprendre de ses erreurs et de ne pas être démoralisé par les événements est de tirer les conclusions de la défaite et d’aller de l’avant pour construire une nouvelle force de gauche dont le programme vise à renverser le système capitaliste et l’élite de la zone euro.

Cet appel pour une ‘‘nouvelle gauche’’ a-t-il trouvé un écho chez les activistes ?

Avec d’autres camarades et divers groupes de gauche, nous avons pris l’initiative d’appeler une assemblée publique à Athènes le 17 juillet. Nous avons eu 2 jours de mobilisation pour cet événement mais, malgré cette courte mobilisation, l’assemblée a réuni de 250 à 300 personnes représentant une douzaine de groupes de gauche environ, y compris des tendances de gauche au sein de SYRIZA. Cette initiative a ensuite été appelée ‘‘l’initiative du 17 juillet’’.

Quel est le programme de cette initiative ?

Au travers de l’expérience de ces cinq dernières années de crise et des politiques de la Troïka, les diverses sections de la gauche radicale grecque sont, en général, parvenues à une conclusion très similaire sur l’urgence d’un ‘‘programme de transition’’ de rupture avec le système capitaliste et l’Union européenne. Les points suivants font consensus:
1. Refus de payer la dette souveraine.
2. Nationalisation des banques.
3. Instauration d’un contrôle public sur le capital et sur le commerce extérieur.
4. Sortie de l’euro et instauration d’une monnaie nationale.
5. Nationalisation de toutes les entreprises qui ont fermé ou qui ont saboté l’économie pour les placer sous le contrôle des travailleurs.
6. Nationalisation des secteurs-clés de l’économie pour les placer sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité, afin de démocratiser le processus de production ainsi que la distribution des biens.

Il est important de lier la lutte des travailleurs grecs à celles des travailleurs de toute l’Europe contre l’austérité et le capitalisme.

Que reste-t-il de l’économie grecque ?

Il est vrai que la Grèce est passée par un processus de désindustrialisation ces dernières années. Mais 30% du PIB du pays dépend toujours des exportations. Il est vrai que le tourisme représente une bonne partie de l’économie, de même que la production agraire et le secteur de l’extraction de minerais. Mais la plus grande partie des exportations provient des usines. Bien sûr, nous n’avons pas les mêmes gigantesques entreprises et les sociétés pharmaceutiques qui existent ailleurs en Europe, mais les exportations industrielles restent, malgré la désindustrialisation et la politique de l’Union européenne, une part significative de l’économie grecque. Le potentiel est immense pour une planification de l’économie.

De quelle manière l’initiative de ‘‘l’initiative du 17 juillet’’ est liée aux développements prenant place parmi la gauche de SYRIZA ?

À travers l’initiative du 17 juillet, nous essayons d’établir un pont entre la gauche de SYRIZA, de grandes sections d’Antarsya [la gauche anticapitaliste] et ceux qui comprennent la nécessité d’une action unitaire et de la construction d’une nouvelle formation de gauche de masse comme nous-même (Xekinima) ou encore ‘‘l’initiative des 1000’’ (dans laquelle sont actifs plusieurs groupes de gauche). Nous tenons des meetings et des débats communs ayant pour but de préparer le terrain.

Un débat fait rage dans SYRIZA concernant le prochain Congrès du parti. La gauche – et particulièrement la plateforme de gauche de SYRIZA – a demandé à la direction du parti la tenue d’un Congrès national. Alexis Tsipras, sous la pression de la base, a appelé la tenue d’un Congrès en septembre.

Que va-t-il se passer au congrès de SYRIZA? Pensez-vous qu’un schisme est possible ?

Nous pensons que SYRIZA se dirige vers une scission. Notre position est que si SYRIZA reste ‘‘uni’’ après la capitulation face à la Troïka au nom de ‘‘l’unité du parti’’, cela représentera une double défaite. La gauche de SYRIZA est en train de se battre pour gagner la majorité du parti à son point de vue. C’est certain. Cependant, les possibilités que cette stratégie soit couronnée de succès sont extrêmement faibles. Nous avons appelé la gauche de SYRIZA à lier leur combat pour une majorité au prochain Congrès à l’exigence d’un changement de direction, ce qu’ils n’ont pas encore fait.

Si la gauche de SYRIZA perd, le résultat le plus probable, nous pensons qu’elle doit quitter le parti et rejoindre les forces externes à SYRIZA pour créer un nouveau parti de gauche. Un tel parti aurait immédiatement suffisamment de forces pour entrer au parlement.

Est-ce que cela signifie que ‘‘l’initiative du 17 juillet’’ doit attendre après ces développements dans SYRIZA ?

Non, des forces de gauche en dehors de SYRIZA ont compris l’urgence de créer une nouvelle formation de gauche et ne vont pas attendre ce qui se passera à l’intérieur de SYRIZA. Si au moins 8 à 10 groupes indépendants en dehors de Syriza appellent à la constitution d’une nouvelle formation de gauche en se basant sur une approche de front unique, cela aurait un effet significatif sur les développements à l’œuvre au sein de SYRIZA.

D’autre part, de nombreux sympathisants, partisans et même membres de SYRIZA tournent déjà le dos au parti et il est urgent de leur offrir une alternative.

À travers l’activité de Xekinima dans la période passée, nous avons déjà pu construire des fronts unitaires dans diverses collectivités locales et villes du pays.

Quelles sont les réactions face à ces alliances locales de gauche ?

Elles sont excellentes. Ces initiatives ont attiré certains des meilleurs éléments des mouvements sociaux et de la lutte de classe ainsi que diverses sections de la gauche, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de SYRIZA. Pour donner un exemple, à Volos, une ville de moins de 150.000 habitants, l’initiative a attiré toutes les couches sociales militantes. Tous les meetings publics ont attiré plus de 100 personnes, ce qui est plutôt grand pour une ville de cette taille. En comparaison, un meeting de SYRIZA (sans présence de Tsipras) attire 150 voire 200 personnes (avant que SYRIZA ne perde son aura anti-austérité).

Nous avons besoin d’une nouvelle gauche. Ces alliances locales unitaires et l’initiative du 17 juillet peuvent servir à faire un effet de levier pour construire quelque chose de plus grand dans un proche avenir.

J’aimerais aussi mentionner que la jeunesse de SYRIZA pourrait jouer un rôle majeur dans le processus de développement d’une nouvelle gauche. Ils ont publié un article contre le mémorandum et étaient présents au meeting de l’initiative du 17 juillet. Leur rôle ne devrait pas être sous-estimé parce que la jeunesse était le bastion de Tsipras auparavant.

Quelle est l’approche du KKE (le Parti Communiste Grec) ?

Malheureusement, le KKE refuse de faire partie de ce processus. Ils n’ont pas eu la force de réorganiser la carte de la gauche en Grèce. Ils se présentent simplement comme la seule véritable force révolutionnaire et refusent de collaborer de quelque manière que ce soit avec une autre organisation de gauche. Mais le KKE dispose toujours d’une base électorale importante. Puisque chaque opinion divergente est sujette à l’exclusion du parti, une nouvelle formation n’aurait pas véritablement d’effet sur les forces organisées du parti. Mais cela aurait définitivement un effet sur l’électorat du KKE.

Quant à Antarsya, cette organisation ne représente pas de solution puisque les principaux développements de la gauche Grecque prendront place autour des forces internes à SYRIZA ou celles qui ont une approche de ‘‘front uni’’ envers la base et la gauche de SYRIZA. Antarsya connait une crise. Une énorme section de celle-ci, autour de 40%, est d’accord avec la proposition de s’organiser autour des ‘‘comités du non’’ mis en place durant la campagne pour le référendum. Il faut le faire mais ce n’est pas suffisant. Ce dont nous avons besoin, urgemment, c’est d’une nouvelle force politique pour occuper le vide politique consécutif au référendum.

La construction de cette initiative de gauche sera-t-elle liée à la tenue d’élections anticipées?

Nous n’avons pas un temps illimité pour développer cette initiative parce que des élections se tiendront très certainement à l’automne. Une nouvelle formation de gauche de masse doit être capable de s’y présenter avec la gauche de SYRIZA. Il est important que la gauche de SYRIZA fasse partie de ce processus. L’idée de Tsipras avec des élections anticipées est de se débarrasser des députés de son aile gauche. Tsipras peut le faire car la Constitution grecque l’y autorise. Si des élections anticipées ont lieu jusqu’à 18 mois après les élections précédentes, les candidats sont déterminés par les dirigeants de partis. Cela signifie que des élections anticipées pourraient probablement accélérer le processus d’une scission à l’intérieur de SYRIZA puisque les députés les plus radicaux savent qu’ils ne seront pas placés en position éligible.

Que représente encore le danger d’Aube Dorée, le parti néofasciste ?

Après la capitulation de Tsipras, la seule force qui semble prendre une posture ‘‘anti-mémorandum’’ est Aube Dorée qui, en dépit du fait que sa direction est en procès, reste le troisième parti au parlement.
C’est le cas car les choses ont empiré suite aux politiques sectaires du KKE et de la majorité d’Antarsya, qui s’isolent eux-mêmes de la conscience générale dans la société et échouent à répondre aux nécessités concrètes dictées par l’urgence de la situation. En raison de cette approche, le KKE et Antarsya ne peuvent pas remplir le vide politique qui existe suite à la capitulation de la direction de SYRIZA.

Nous avons besoin d’une nouvelle initiative unitaire. Cela peut passer par diverses étapes, en unissant différentes forces mais, à la fin, cela doit conduire à la création d’une gauche radicale de masse basée sur un programme socialiste.

Aube Dorée, à notre avis, est déjà en train de gagner du terrain. Ce sera encore plus le cas une fois que les mesures de ce troisième mémorandum d’austérité commenceront à avoir un impact concret sur la vie des travailleurs grecs, à partir de septembre.

Existe-t-il une raison pour être optimiste après cette défaite ?

Il n’y a pas de ‘‘défaite finale’’ de la classe des travailleurs grecs dans la période historique présente. Le potentiel de cette dernière est toujours d’actualité. La classe des travailleurs grecque a montré qu’elle peut retourner au combat encore et encore. Ceci a aussi été démontré par les développements récents autour du référendum. Personne n’avait espéré ce résultat incroyable de 61,5% de ‘‘non’’.

Si nous sommes en mesure, dans la prochaine période, de construire une nouvelle gauche de masse en Grèce, sur base du programme mentionné ci-dessus (et qui a quelques possibilités sérieuses de succès) alors nous pouvons être entièrement certains que la classe ouvrière grecque sera de retour et pourra faire un retour étonnant.

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