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Tunisie: trois ans après la chute de Ben Ali, la révolution continue
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Les classes dirigeantes des pays impérialistes -prises par surprise lorsque la vague révolutionnaire en Tunisie fit tomber un de leurs allié-clé- s’accrochent maintenant désespérément à ce pays, leur dernier espoir d’un modèle soi-disant « présentable » d’une prétendue « transition démocratique », et cela dans une région marquée par un chaos sans précédent, touchée par des vagues de violence, par l’instabilité politique chronique, et par une augmentation des divisions sectaires.
Pour les masses tunisiennes cependant, les perspectives enthousiastes d’une victoire révolutionnaire rapide et facile qui conduirait à un changement structurel dans leur vie, ont depuis longtemps été remplacées par un regain des difficultés, et de la colère qui les accompagnent.
Si la plupart des médias internationaux font l’éloge de ce qu’ils appellent souvent le « modèle tunisien » du Printemps arabe, l’idée d’une telle « success story » résiste difficilement à une analyse sérieuse.
Il est vrai que par rapport à des pays comme l’Egypte, la Syrie, le Yémen ou la Libye, la Tunisie apparaît beaucoup plus «stable». Ceci est largement dû à l’existence d’un mouvement syndical fort et structuré, grâce à la puissante et emblématique UGTT, l’Union Générale Tunisienne du Travail.
Dans une certaine mesure , la vigilance et les actions des travailleurs ont agi comme une sorte de «glue» pour unir les classes opprimées, et comme un contrepoids afin d’empêcher la société de valser dans le type de chaos et de violence –qu’elle provienne des forces de l’État ou de groupes religieux sectaires- que nous avons pu voir s’épanouir ailleurs.
Un pays en crise
Toutefois, il ne s’agit ici que d’un côté de la médaille. En dépit d’être relativement plus «stable», la Tunisie traverse en effet une crise sociale et politique sans précédent, et ne correspond pas vraiment à l’image idyllique que certains essaient de dépeindre.
Tant que la classe ouvrière ne prend pas le contrôle effectif du fonctionnement de la société, et que l’économie continue d’être pillée pour les bénéfices de quelques multinationales et de riches familles tunisiennes, tous les ingrédients sont là pour que l’instabilité se perpétue et, selon toute probabilité, qu’elle augmente dans la période à venir.
Le chômage continue d’augmenter, les prix des produits de base ont explosé, les infrastructures dans les régions intérieures manquent toujours désespérément, les pratiques de la police faites de corruption, de torture et de violence arbitraire sont loin d’être éteintes, l’extrémisme religieux et les groupes djihadistes réactionnaires ont pris une dangereuse importance, 24,7% de la population vit officiellement avec moins de 2 dollars par jour (chiffre très probablement sous-estimé ), et une couche croissante de Tunisiens n’arrive même plus répondre à ses besoins alimentaires de base.
Alors que le pays continue de fonctionner pour les intérêts d’une petite élite dirigeante, la grande majorité de la population est confrontée à des conditions socio- économiques qui sont pires, à bien des égards, que sous la dictature précédente. Pas étonnant dans une telle situation que dans un sondage récent, mené par la firme de recherche tunisienne ‘3C Etudes’, 35,2% des Tunisiens regrettent la chute du régime de Ben Ali.
La répression judiciaire et les menaces contre les militants syndicaux et politiques ont aussi subi un coup d’accélérateur dans les derniers mois. L’interview que nous publions également, celle d’Abdelhak Laabidi, militant syndical actif dans le secteur de la santé à Béja, en est un nouvel exemple frappant. En ce jour du 28 janvier a lieu son procès au tribunal de Béja, et un appel a été émis pour manifester massivement devant le tribunal. Le CIO soutient pleinement cet appel, car nous estimons que la mobilisation et la solidarité, y compris au-delà des frontières, reste les meilleures armes dans les mains du mouvement ouvrier et syndical pour faire face à ce type de harcèlement et de répression.
Ennahda : testée, et rejetée
Deux ans d’expérience du règne du parti islamiste de droite Ennahda ont fourni aux masses un baromètre clair afin d’évaluer dans quelle mesure ce parti était disposer à satisfaire leurs exigences. Et le résultat est consternant: sous bien des aspects, la société a fait un bond en arrière, la vie est plus difficile, et la colère populaire transpire par tous les pores.
Le projet de « renaissance islamique » promis par Ennahda a été exposé comme un échec lamentable pour faire face aux revendications les plus élémentaires de la majorité de la population tunisienne.
Il y a trois ans, des millions de jeunes, de chômeurs, de travailleurs étaient descendus dans la rue au péril de leur vie pour en finir avec la dictature de Ben Ali, au coût de plus de 300 morts. Ils exigeaient « emplois, liberté, dignité nationale», « du pain et de l’eau, mais pas Ben Ali », etc. La vérité peu reluisante pour Ennahda est que pendant ces journées, le parti islamiste était absolument invisible dans la rue.
À l’époque, les masses réclamaient du pain, des emplois décents, la fin de la pauvreté et de l’exploitation du travail, la fin de la marginalisation sociale des régions de l’intérieur du pays; elles exigeaient des services publics et des infrastructures dignes de ce nom; elles réclamaient la liberté d’expression et la fin de la violence d’État – toutes des notions qui se sont révélées complètement étrangères à la politique menée par Ennahda, une politique pro-capitaliste dans son contenu, violente et répressive dans sa forme politique.
Agitation sociale
La nouvelle année à peine commencée a déjà fourni une nouvelle série d’exemples pour illustrer ce dernier point. Au début du mois de janvier, le gouvernement dirigé par Ennahda a annoncé de nouveaux prélèvements fiscaux, y compris une nouvelle taxe sur le transport, dans le cadre du budget 2014.
Derrière le gouvernement se cache le FMI et d’autres bailleurs de fonds internationaux, lesquels réclament des mesures d’austérité drastiques, y compris la réduction des subventions d’Etat sur des produits de première nécessité- mesures que le gouvernement, assis sur un chaudron social bouillant, ne s’était pas encore senti suffisamment en force et en confiance que pour mettre en œuvre concrètement.
La propagande officielle a notamment consisté à expliquer les raisons du déficit budgétaire actuel comme étant le résultat de la hausse des salaires des travailleurs du secteur public au cours des dernières années. Le caractère ridicule et scandaleux de ce type d’argument peut être aisément mis en lumière quand on sait qu’une clique de 70 milliardaires tunisiens possède un patrimoine équivalant à 37 fois le budget actuel de l’Etat tunisien.
Néanmoins, pensant qu’il pouvait tromper les masses en surfant sur l’effet l’annonce de l’accord récent formellement conclu à la mi-décembre avec l’opposition sur l’idée d’un cabinet de « technocrates », le gouvernement sortant a décidé de faire passer ces « mesures impopulaires » si chères à la grande bourgeoisie.
La réponse du peuple tunisien ne s’est pas fait attendre: immédiatement après les hausses de taxes annoncées, des manifestations quotidiennes ont balayé le pays du Nord au Sud. Les manifestants, révoltés par la nouvelle augmentation d’impôts, ont attaqué des bâtiments gouvernementaux, pris d’assaut les postes de police, bloqué les routes, et saccagé les bâtiments locaux du parti au pouvoir.
Les protestations et les grèves ont commencé les 7 et 8 janvier dans les villes du centre et du sud, en particulier Kasserine, Thala et Gafsa, parmi les plus pauvres du pays. A Kasserine, une grève générale prit place le 8, jour qui coïncidait avec le troisième anniversaire de la mort du premier martyr de la ville par la police de Ben Ali. La grève avait réussi à fermer tous les commerces et les institutions publiques de la région. De violents affrontements ont également eu lieu entre la police et des habitants dans les quartiers populaires de la ville.
En outre, le mardi 7, les magistrats tunisiens ont entamé une grève de trois jours, orientée contre les tentatives du gouvernement de domestiquer le système judiciaire. La grève a été suivie dans tous les tribunaux du pays.
Plusieurs bâtiments et postes de police furent pris d’assaut et même incendiés, comme à Feriana et Maknassy, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, tandis que de nombreux barrages routiers ont été érigés à travers le pays. Le jeudi 9, de violentes manifestations ont éclaté dans la ville de Tataouine, dans le Sud du pays. Les manifestants ont brûlé des véhicules de police, attaqué le poste de police, brûlé le siège régional du parti au pouvoir, et même attaqué le bureau régional de l’emploi.
Finalement, les manifestations ont gagné la capitale, Tunis. Le 10 janvier, des manifestations de masse eurent lieu à l’extérieur des bâtiments des finances publiques, et de violents affrontements entre des jeunes et les forces de l’État éclatèrent dans la banlieue pauvre d’Ettadamen.
Le rôle de l’UGTT
Au-delà de la taxe en question, qui a agi comme un déclencheur, un grand nombre de manifestants étaient de jeunes chômeurs, exprimant leur colère contre la situation générale du pays.
Souvent, durant les trois dernières années, la jeunesse a été une étincelle importante dans l’éruption des mouvements sociaux, l’emploi des jeunes ayant été à l’épicentre des motivations initiales ayant alimenté le feu de la révolution tunisienne.
Cependant, comme le CIO l’a souligné à plus d’une reprises, le mouvement ouvrier organisé, surtout considérant le poids lourd représenté par la fédération syndicale l’UGTT, occupe en Tunisie une position stratégique dans l’économie et la société, que de nombreux travailleurs à l’échelle internationale envieraient sans doute. Cette position particulière du mouvement syndical tunisien a le potentiel de donner une portée qualitativement différente, ainsi qu’un caractère plus organisé, et plus massif aussi, aux mouvements sociaux. Forte de son million de membres, et de ses 150 bureaux à travers tout le pays, l’UGTT offre une base organisationnelle puissante pour mettre la classe ouvrière au cœur d’une stratégie visant à s’emparer du pouvoir politique.
Pourtant, à d’innombrables reprises, les travailleurs ont été bloqués dans leur route par les manœuvres de sa direction nationale, dont la réticence à mener une lutte soutenue contre les gouvernements pro-capitalistes qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali a été une caractéristique constante de la situation des trois dernières années.
Depuis l’été dernier, le secrétaire général de l’UGTT Houcine Abassi et son équipe ont offert la médiation du syndicat pour résoudre la crise politique que traverse le pays ; cela non pas en poussant les revendications révolutionnaires dans la rue et en encourageant les travailleurs et les pauvres à construire leur lutte pour s’emparer du pouvoir, mais bien plutôt en essayant d’asseoir à la même table les différentes ailes politiques de la classe capitaliste, et de négocier un accord qui leur convienne à tous.
Comme Abdelhak Laabidi le déclare dans son interview : « L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs. Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation ; malheureusement, la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc. Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? »
Malgré la présence, dans certaines régions et localités, de dirigeants syndicaux combatifs, et malgré un nombre infini de mouvements de grève, souvent solides, prenant place régulièrement au niveau local, régional et sectoriel, la bureaucratie nationale de l’UGTT a fait littéralement tout en son pouvoir pour empêcher la lutte de s’engager sur la voie d’un affrontement généralisé avec le régime au pouvoir, ainsi qu’avec les intérêts de l’élite capitaliste. Le contraire est le cas: la bureaucratie syndicale a en réalité systématiquement fourni ses services afin de sauver le système à chaque fois que celui-ci était sur le point d’être menacé par les masses.
Les couches urbaines paupérisées, et la question des émeutes
Ceci a conduit à l’approfondissement de la frustration chez les travailleurs et les militants syndicalistes de base, mais aussi parmi toute une couche de jeunes et des couches urbaines paupérisées -dont beaucoup tentent désespérément de survivre au quotidien via toutes sortes d’activités informelles.
Désespérées et de plus en plus souvent aliénées par un syndicat qui ne semble pas donner la moindre perspective pour faire avancer la lutte révolutionnaire, certains de ces couches ont pu être plus aisément tentées d’emprunter la voie des émeutes afin d’exprimer leur rage, une rage bien légitime, mais bien souvent sans direction. Parfois, de petits criminels locaux ont également profité de l’état de confusion pour commencer à piller des magasins ou des propriétés, qu’elles soient publiques ou privées.
Ce phénomène a été encore observé dans le cycle des récentes mobilisations de janvier. Les raisons en sont d’abord le rôle traître jouée par la direction de l’UGTT, qui a échoué à plusieurs reprises à offrir une perspective de construire un mouvement de masse soutenu et ambitieux: un mouvement qui prenne sérieusement en considération les griefs des jeunes chômeurs et des plus démunis, et qui mobilise pleinement et efficacement la « cavalerie lourde », à savoir la classe ouvrière en tant que telle, lorsque la situation l’exige de la manière la plus pressante.
D’autre part, bien que nous comprenons parfaitement les raisons de ces émeutes, ces dernières contribuent malheureusement souvent à pousser les larges masses hors de la rue, à fournir des munitions à la propagande de l’État pour « rentrer dans le tas » et diviser le mouvement, et en plus, à dégrader encore plus les quartiers pauvres qui souffrent déjà cruellement du manque d’investissements publics.
Le gouvernement recule
Néanmoins, en dépit de ces complications, l’explosion de masse de la fureur populaire en janvier fut suffisante pour que le gouvernement tremble sur ses bases. Pressé par le risque de perdre le contrôle de la situation, le jeudi 9, à la suite d’une réunion d’urgence du cabinet ministériel, le Premier ministre sortant Ali Laarayedh annonça lors d’une conférence de presse que tous les nouvelles taxes imposées par le nouveau budget 2014 seraient suspendues jusqu’à nouvel ordre.
Ce recul du gouvernement montre que la pression du FMI et Cie pour mener l’austérité d’une part, et la colère de masse dans la société d’autre part, n’offriront que très peu de marge de manœuvre à n’importe quel gouvernement capitaliste pour « naviguer calmement » dans les mois qui viennent. De nouvelles confrontations sociales et de nouveaux troubles politiques sont aussi inévitables que la nuit succède au jour.
Dans le même temps, le mouvement de protestation de janvier a forcé la démission du gouvernement. Bien que cette démission faisait officiellement partie d’un accord déjà conclu à la fin de l’année dernière, il n’y avait pas de calendrier précis ni de garantie claire que cela se fasse pour de bon ; dans ce sens, il n’y a pas de doute que la démission concrète et immédiate d’Ennahda a été précipitée par la pression du mouvement populaire.
« A la surprise des sceptiques laïcs, Ennahda a tenu parole », commentait récemment le magazine ‘The Economist’ sur le fait que le parti a finalement décidé de démissionner. Pourtant, ce « départ volontaire » » n’a rien à voir avec le fait que les islamistes d’Ennahda aient « tenu leur parole », mais tout à voir avec le rejet massif de ce parti dans la rue, et avec la peur des classes dirigeantes quant à de nouvelles flambées révolutionnaires si Ennahda reste au pouvoir trop longtemps.
Ce dernier point, les dirigeants et les stratèges les plus intelligents d’Ennahda avaient sérieusement commencé à le comprendre. C’est la principale raison pour laquelle le CIO avait déjà affirmé depuis des mois que, depuis l’assassinat de Mohamed Brahim en août dernier (voir notre article), la fin du règne d’Ennahda n’était plus une question de «si» mais plutôt de «quand».
Un gouvernement « indépendant » ?
La démission du gouvernement de Laarayedh a consisté dans le passage du pouvoir à un nouveau gouvernement de soi-disant « technocrates indépendants». Ce changement est pompeusement présenté comme clôturant le chapitre de la crise politique ouverte par l’assassinat de Mohamed Brahmi.
Pourtant, si la fin du règne d’Ennahda pourrait apporter temporairement une certaine accalmie dans la lutte de classes, et un effet de soulagement parmi certaines couches de la population, cette accalmie, selon toute vraisemblance, sera de très courte durée.
Le nouveau Premier ministre en charge n’est rien d’autre que l’ancien ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa. L’idée qu’un gouvernement dirigé par un membre de la coalition sortante -et dont l’essentiel de la carrière fut passée dans une position dirigeante et lucrative au service de la multinationale française Total- peut être étiqueté comme «indépendant» est tout à fait risible.
L’essence de ce gouvernement est de répondre aux exigences de la classe dirigeante, qui cherche à reconstruire un gouvernement soi-disant plus «consensuel», nettoyé des figures les plus controversées et les plus embarrassantes, afin de faire avaler plus facilement aux masses la pilule de l’austérité à venir.
Le rôle des masses dans la révolution, et la nouvelle Constitution
Peu de gens, parmi les commentateurs et les politiciens pro-capitalistes, sont prêts à admettre le rôle crucial joué par les masses tunisiennes dans le cours des évènements des trois dernières années.
En effet, les grèves et protestations de masse de la part des travailleurs, de la jeunesse et des masses populaires ont non seulement évincé Ben Ali du pouvoir en Janvier 2011, mais ont également été le facteur déterminant dans le cours de tous les événements politiques d’importance depuis lors. Toute analyse qui omettrait de tenir compte, en particulier, de la force et de l’influence unique du mouvement syndical tunisien peut difficilement expliquer quoi que ce soit de ce qui se passe dans le pays.
Par exemple, dimanche dernier, la nouvelle Constitution a été adoptée par une écrasante majorité des membres de l’Assemblée Constituante. Cette constitution est présentée comme très «avancée», du moins comparativement au reste du monde arabe (adoptant en théorie l’égalité des sexes, ne mentionnant pas la charia comme principale source du droit, etc.)
Un grand nombre de commentateurs et de journalistes expliquent cela par le fait qu’Ennahda a soi-disant une politique plus « conciliante », mois « jusqu’au-boutiste » que ses homologues des Frères Musulmans dans d’autres pays tels que l’Egypte. Mais peu se réfèrent aux traditions séculaires et féministes encore importantes qui existent en Tunisie, en raison du rôle historique joué par l’UGTT sur ces questions, et à la résistance prévisible qu’Ennahda rencontrerait sur son chemin si elle visait à s’attaquer pour de bon à ces acquis (comme l’interdiction de la polygamie, l’égalité d’accès au divorce, etc). Ces éléments sont pourtant essentiels afin d’expliquer la raison pour laquelle les islamistes ont été contraints à plus de «pragmatisme» dans leur projet d’islamisation de la société.
Ceci dit, il n’y a pas de quoi se réjouir de cette nouvelle constitution pour autant. Sur la question des droits des femmes, dire qu’il y a encore un long chemin à parcourir vers l’égalité des sexes est un euphémisme. Par exemple, alors que 70 % des hommes en Tunisie sont classés comme faisant partie de la population active, le chiffre n’est que de 27 % pour les femmes. Un article publié l’an dernier sur notre site (voir ici) évoquait toutes les menaces et les défis que rencontrent les femmes en Tunisie, que tout article formel dans une Constitution ne sera pas en mesure d’adresser sans qu’une lutte sérieuse ne soit menée sur le terrain pour transformer fondamentalement la manière dont la société fonctionne.
De nombreux commentateurs insistent sur le fait qu’avoir une nouvelle constitution est, en soi, la satisfaction d’une revendication importante de la révolution. Mais la constitution elle-même n’a jamais représenté qu’une parmi de nombreuses revendications révolutionnaires, dont les revendications économiques et sociales constituaient clairement le cœur.
De surcroit, la revendication d’une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle Constitution telle qu’elle avait été soulevée initialement, avait, dans l’esprit de beaucoup de travailleurs et de jeunes révolutionnaires, un caractère complètement différent de celle qui a été érigée. En effet, l’élite politique, dans l’Assemblée et au gouvernement, et le texte constitutionnel qu’elle a produit, n’ont pas même commencé à effleurer la question de la transformation sociale et économique à laquelle la majorité de la population aspirait. Au contraire, les politiques continuellement menées jusqu’à présent n’ont fait qu’empirer les choses pour les ‘99 %’ de la population tunisienne. Ce n’est certainement pas la nouvelle Constitution qui va, par magie, y changer quelque chose.
Pour finir, d’un point de vue politique , comment peut-on parler de «démocratie» quand des accords gouvernementaux sont ficelés derrière les rideaux, sans que les masses aient leur mot à dire et un contrôle sur quoi que ce soit ; quand les ministres et les membres de l’Assemblée Constituante vivent de salaires et de privilèges scandaleusement élevés alors que de larges pans de la population rencontrent au quotidien des difficultés financières croissantes ; et quand les instruments de répression, y compris de vieilles lois dictatoriales utilisées sous Ben Ali, sont resservies aux quatre coins du pays pour museler ceux et celles qui résistent ?
Pour une politique socialiste, au service des pauvres et des travailleurs
Pour résumer, malgré la propagande en cours, les exigences et revendications de la révolution tunisienne n’ont absolument pas abouties, que du contraire. Cela ne peut d’ailleurs pas se faire dans le carcan d’une économie capitaliste, où la richesse produite est siphonnée pour les profits de quelques-uns.
Un autre modèle de société, une société démocratique et socialiste, portée et construite par les travailleurs, mettrait fin à la spoliation et au gaspillage capitaliste, et utiliserait les ressources disponibles afin d’élever considérablement les capacités de la société à pouvoir répondre aux besoins de la population.
Un gouvernement véritablement révolutionnaire, contrairement à ceux qui ont été au pouvoir depuis la chute de Ben Ali, mettrait en œuvre des moyens radicaux pour s’attaquer aux problèmes de la pauvreté, de la corruption et de la faim dans le pays. Il mobiliserait en masse les travailleurs, les jeunes, les pauvres des villes et des zones rurales, afin de construire le soutien le plus large possible pour une politique se confrontant directement au système capitaliste, aux intérêts des grands patrons et des propriétaires terriens, et à leur État.
Pour commencer, il ferait peu de cas de la dette à payer aux créanciers internationaux, en refusant tout simplement de l’honorer. Il imposerait un contrôle de l’Etat sur le commerce extérieur, et nationaliserait les grands conglomérats privés sous le contrôle démocratique des travailleurs.<p<
Construire la riposte, dès à présent
Une lutte de masse, indépendante des partis de la bourgeoisie, sera nécessaire pour imposer un tel gouvernement. Une lutte qui devra être bien organisée et structurée à tous les niveaux pour être pleinement efficace.
Dans l’immédiat, des comités d’action anti-austérité pourraient par exemple être mis en place dans les quartiers populaires, sur les lieux de travail, sur les campus universitaires et dans les lycées, pour se préparer à la nouvelle vague d’austérité qui s’annonce.
Des discussions larges devraient être organisées sans plus tarder dans les cellules locales de l’UGTT et de l’UGET (le syndicat étudiant) à travers le pays, pour essayer de coordonner la riposte des masses. Une grève générale préventive de 24H à travers le pays serait un bon début pour ramener la balle dans le camp du mouvement ouvrier, et afin de donner un avertissement fort au nouveau gouvernement que la moindre mesure d’austérité sera répondue par une résistance farouche et sans concession.
Bien sûr, comme l’expérience de l’an dernier l’a amplement démontrée, une telle grève, laissée sans lendemain, serait un coup dans l’eau. Elle ne prendrait du sens que si elle s’inscrit dans un agenda ambitieux visant à l’escalade des mobilisations : à savoir renforcer chaque action de grève et de désobéissance civile par de nouvelles actions plus ambitieuses, plus organisées et plus massives encore, avec des revendications non seulement défensives mais aussi offensives, s’attaquant directement au diktat de la classes capitaliste.
Afin d’éviter de voir la lutte être une fois de plus détournée par la bureaucratie syndicale et politique, construire des structures de lutte révolutionnaire contrôlées par les masses elles-mêmes, et englobant le nombre le plus large possible de gens qui veulent s’impliquer dans le mouvement, est une tâche absolument vitale. Des comités populaires et d’action, comités révolutionnaires, comités de quartier ou quelqu’en soit le nom, ce type de structures collectives doivent aider à organiser le mouvement par la base et pour la base.
De telles structures, connectées via un système de délégation à l’échelle locale, régionale, et nationale, poserait la base pour préparer les travailleurs, les masses populaires et les jeunes à se substituer pour de bon au pouvoir des capitalistes et de leur Etat, et à construire une société qui réponde à leurs aspirations.
La gauche tunisienne et le mouvement présent
Malheureusement , les dirigeants des principaux partis qui se disent «socialiste», «marxiste» ou «communiste» en Tunisie ont, pour leur plus grande part, abandonné la défense d’un tel programme socialiste, ayant décidé plutôt de courir après des accords sans scrupules et sans principes avec des partis politiques qui défendent un agenda néo-libéral.
Les dirigeants de la coalition du « Front populaire », en particulier, en concluant honteusement l’an dernier un accord politique avec les forces liées à l’ancien régime, au travers du « Front de Salut National », portent une lourde responsabilité quant à la crise que traverse à présent la gauche organisée.
En décembre dernier, de nouveau, la direction du Front populaire, après avoir rencontré l’ambassadeur américain, a réaffirmé son soutien à la mise en place d’un gouvernement « technocratique ». Au cours des derniers jours, les dirigeants du Front se sont contentés de contester le choix du ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement Jomaa, sans pour autant rejeter en principe ce qui n’est pourtant rien d’autre que la nouvelle formule gouvernementale imposée par la classe dirigeante afin d’appliquer ses politiques viscéralement anti-ouvrières.
Les partisans du CIO en Tunisie essaient d’encourager les discussions avec d’autres militants de gauche sur la nécessité de la construction d’une nouvelle alternative politique de masse, qui puisse véritablement représenter la classe ouvrière et les pauvres, et rester fidèles à leurs aspirations au changement révolutionnaire.
Beaucoup, dans les rangs de la gauche, parmi les membres de base du Front populaire, dans les mouvements sociaux et ailleurs, s’interrogent sérieusement sur l’orientation et le programme appliqués par les dirigeants de la gauche politique ces dernières années: en essence, servir de couverture de gauche aux plans de la classe dirigeante visant à mettre fin au processus révolutionnaire. De la même manière, beaucoup au niveau de la base de l’UGTT, et à certains niveaux intermédiaires du syndicat dans une certaine mesure, sont très critiques vis-à-vis des politiques menées par la direction centrale du syndicat.
En conséquence, de nombreux réalignements politiques ont lieu dans les partis de gauche tunisiens, à la suite de l’expérience révolutionnaire récente. Le FOVP (« Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple », mentionné dans l’interview), résultat d’une scission au sein de la LGO (« Ligue de la Gauche Ouvrière », aujourd’hui section tunisienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) est l’une parmi plusieurs expressions politiques de ce processus.
La mise en place d’une plate-forme large, ouverte à tous les militants et les groupes qui refusent des accords politiques avec les partis pro-capitalistes, et qui veulent construire la lutte selon des lignes de classe claires, serait un pas en avant bienvenu, afin de reconstruire l’instrument politique révolutionnaire dont les travailleurs et les masses pauvres en Tunisie ont désespérément besoin pour la réussite de leur révolution inachevée.
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[INTERVIEW] Abdelhak Laabidi, syndicaliste et militant politique tunisien
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. En accompagnement de l’interview ci-dessous, nous vous invitons à lire l’article suivant : “Tunisie: trois ans apres la chute de Ben Ali, la revolution continue”.
Abdelhak Laabidi, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Abdelhak Laabidi , marié et père de 3 enfants , militant politique et fervent défenseur des droit de l’homme ; syndicaliste et actuellement secrétaire général de l’UGTT à Béja (secteur de la santé), et militant dans le parti FOVP (Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple).
Comment et quand as-tu commencé à militer?
Depuis le début, j’étais présent dans chaque manifestation, mais tout cela sans une appartenance claire à un parti politique. Cela a commencé au sein du mouvement lycéen ; d’ailleurs, ma première arrestation fut en 1976, à l’âge de 16 ans, suite à la manifestation contre la visite de Anouar Essadet en Israël.
La première action que j’ai organisée personnellement fut sous la casquette syndicaliste à Béja, en 2006: une action devant le siège local de l’UGTT. Il y a eu une marche depuis l’hôpital jusqu’au siège de l’UGTT, habillés en blouse blanche. L’itinéraire de cette marche passait devant le tribunal, la commune, la mairie, plusieurs lycées ; c’était une première dans cette ville. Mais suite à cette action, j’ai été trahi par le secrétaire général de l’époque : on m’a délesté de la couverture syndicale et pour punition de m’être insurgé, j’ai été chassé de chez moi.
Tout comme plusieurs habitants de Béja, ma maison appartenait anciennement aux colons français ; après que ces derniers aient quitté la Tunisie, les Tunisiens ont pu gagner leurs maisons. Cependant il n’y a que moi qui fut viré de chez moi de la sorte, et cela d’une manière des plus barbare: cela s’est passé en plein hiver (et l’hiver de Beja est très rude), mes enfants étaient en pleine semaine d’examen et comble de l’histoire, ma maison a été transformée en un local du RCD ! Vous voyez la symbolique des choses … Suite à cela, ma mère est morte après 4 mois, et j’étais totalement délaissé par sa famille et par tous les partis de gauche de Béja. C’était une période difficile pour moi.
On sait que dernièrement tu as été agressé. Peux-tu nous parler de cela?
Le 14 janvier, je me suis dis que la Tunisie allait vivre une ère nouvelle, pleine de liberté et toutes ces bonnes choses. C’était pour moi, si je peux m’exprimer ainsi, mon « orgasme politique ». Dans la réalité je vois clairement que strictement rien n’a changé, et je vis toujours dans un bain constant de harcèlement, qu’il soit judiciaire ou physique.
Pour mettre l’histoire dans son contexte, il faut savoir que dernièrement je me suis présenté aux élections régionales de l’UGTT, et cela a déplu à certains, qui veulent injecter les pions du parti islamiste Ennahda à ce poste. Pour m’en dissuader, chaque jour ils me provoquent et lancent des sous-entendus. En passant devant un café, des personnes crient « il faut égorger les mécréants et tuer les militants de gauche », et plein de provocations de ce genre. En voyant que je ne cédais pas aux provocations et que je les ignorais, ils se sont dits: s’il ne vient pas à nous, nous viendrons à lui. C’est aussi simple que ca.
Le samedi 21 décembre à 10h 30 du matin, en sortant de chez moi j’ai été agressé par surprise et passé à tabac par deux personnes. J’ai eu pour séquelle une hémorragie interne dans mon œil ; c’est par chance que je n’ai pas été aveuglé. J’ai aussi eu quelques cotes fêlées et des contusions un peu partout sur mon corps. Heureusement qu’au moment de l’attaque mon fils m’a entendu l’appeler, du coup ils se sont enfuis en le voyant. Je pense qu’ils voulaient me battre à mort ; mais je pardonne en quelque sorte à ceux qui m’ont attaqué car je sais que ce n’est pas leur faute, en premier lieu c’est la pauvreté qui est le réel fautif. Pour une poignée de dinars en effet, ces gens sont capables du pire, c’est pourquoi ils sont la cible des « fascistes »: à la place de leurs offrir un travail décent pour subvenir à leurs besoins, ils préfèrent faire d’eux leurs sbires et hommes de main.
Quoiqu’il en soit, cette attaque me rendra plus fort, car c’est ceux qui dérangent qui sont visés. Ce fut le cas pour les martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ; bien sûr, je ne veux pas me comparer à eux, car qu’est ce que vaut mon agression comparé à leur assassinat ? Mais quelque part je sais que je suis sur la bonne voie car je suis entrain de déranger, comme ils l’ont fait en leur temps.
Mis à part cette agression, l’histoire se répète : je suis aussi souvent mis en examen que je l’ai été avant le 14 janvier (via tribunaux, poste de police, etc ).
Après la mort de Mohamed Toujeni, agent des forces de sécurité originaire de Beja, le peuple de Beja, suite à son enterrement le 23 octobre, s’est révolté contre Ennahda et sa politique ; le local d’Ennahdha a été incendié. Le 6 février, j’ai été convoqué par la police, et l’agent qui prenait mes dires était lui-même convaincu de mon innocence (car il y avait des photos, des vidéos de surveillance et je n’étais même pas présent dans cette manif-là !)
Ils ont aussi essayé de m’attaquer dans mon intimité en tentant de s’en prendre à mon « nid familial ». Après le 14 janvier, j’avais repris de force ma maison, et ils ont essayé de me la reprendre avec les mêmes moyens que ceux de Ben Ali et de sa police ; il y a eu un procès dont j’ai retardé le jugement le 17 novembre – motif : « reprise par la force » d’un lieu pour lequel il y a eu jugement, vol, et incendie d’archives. On m’a viré de force, alors j’ai repris ma maison de force en l’occupant ; et l’archive que je suis accusé d’avoir brulé, c’est une archive du RCD et de leur activité ; cela s’est pourtant passé ainsi dans tous les locaux du RCD dans toute la Tunisie.
Mais je ne céderais pas, coûte que coûte je serai toujours présent à défendre la cause des travailleurs par le billet du syndicalisme, et des pauvres et des délaissés par le billet du parti dans lequel je milite, le FOVP, pour ces causes que la Troïka au pouvoir a trahies dès le début en laissant la situation sociale et politique s’engouffrer de plus en plus.
Peux-tu nous présenter le FOVP ?
Le FOVP est un parti de la gauche radicale, issu d’un schisme de la LGO joint par d’autres militants; ce sont des militants qui ont refusé la ligne directive de la direction du Front Populaire, laquelle s’est associée avec Nidaa Tounes et Ennahda pour s’assoir autour d’une table en vue d’une soi-disant « entente nationale ». Je ne comprends pas comment le Front Populaire peut tendre la main à la droite, qu’elle soit barbue ou en costume cravate. Comment pourrais-je m’assoir à la même table que les ex-RCDistes, qui levaient leur bâton bien haut pour me frapper ? Comment, d’autre part, m’assoir à la même table qu’un parti historiquement sanguinaire ? Est-ce cela une « ligne révolutionnaire » ?
C’est ce qui nous a poussé à quitter la LGO et le Front Populaire, pour un nouveau parti qui est le FOVP, lequel a une ligne révolutionnaire claire, avec en priorité le militantisme pour les causes des plus démunis, des travailleurs, de l’égalité des sexes, des droits de l’homme, de la liberté, liberté d’expression, un pouvoir judiciaire réellement indépendant etc. ; et bien sûr, essayer d’améliorer la conscience de classe, car à cause notamment de la baisse du pouvoir d’achat et de la hausse vertigineuse des prix, on entend des personnes dire que si Ben Ali était resté au pouvoir ça serait mieux. Il faut essayer de sauver cette révolution pour qu’on la revoie s’émuler à l’échelle internationale. Ceci est dans les mains du peuple tunisien, il faut que la révolution aboutisse coûte que coûte ; cette marche sera fatigante et pleine d’embuches, mais espérons qu’elle aboutira ! D’ailleurs, la force populaire a le potentiel de défaire n’importe quelle force réactionnaire.
Et que pense du rôle de l’UGTT dans tout cela?
L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs.
Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation, malheureusement la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc.
Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? La bureaucratie syndicale a encore une fois trahi la cause, et devra assumer cela historiquement.
Comme elle devra assumer, elle et la direction du Front Populaire, de ne pas avoir oser prendre le pouvoir quand il s’offrait à eux (cela avait pourtant été le souhait du peuple le jour de l’enterrement de Chokri Belaid), et de le donner réellement aux travailleurs et à la population, en créant des comités régionaux et en instaurant l’autogestion, et en multipliant cela à une large échelle.
Y a-t-il des actions du FOVP qui auront lieu à court terme ?
Le 6 juin, j’ai organisé à Beja la 17éme commémoration de la mort de Cheikh Imam Issa (=chanteur égyptien révolutionnaire) et on a rendu un hommage au poète Ahmed Najm, parolier du Cheikh Imam au centre culturel de Béja; le FOVP donne beaucoup d’importance à la culture. Pour nous, la musique révolutionnaire et les textes peuvent être un outil important pour élever la conscience de classe du peuple tunisien.
Le 28 de ce mois aura lieu mon procès au tribunal de Beja, et le FOVP lance un appel à manifester massivement devant le tribunal.
On a vu que trois syndicalistes ont été malmenés, chacun d’une manière différente en l’espace de deux semaines ; tu as été agressé et passé à tabac, ensuite il y a eu l’arrestation de Abdeslam El Hidouri à Sidi Bouzid, puis des personnes sont entrées de force chez Adnen Hajji en faisant croire à un cambriolage, et on a agressé sa femme en voyant qu’il n’était pas chez lui ; que penses-tu de tout cela ?
Je pense que la guerre contre les syndicalistes a commencé le jour de la commémoration de l’assassinat du martyr Farhat Hached. Ce jour-là, le 4 décembre 2012, plusieurs syndicalistes ont été attaqués par la milice d’Ennahda ; ils ont essayé de nous faire peur par cette action, mais voyant que les syndicalistes de base n’arrêtent pas de militer, de lancer des actions, des grèves, etc., ils essaient de nous faire taire un par un! Il faut s’organiser, frapper ensemble au cœur de leurs faiblesses, avec des grèves régionales et sectorielles, et puis générale. Car contre ce parti fasciste, il faut être solidaire pour se protéger les un les autres, et pour frapper ensemble.
Un mot pour conclure ?
Je veux que les slogans criés spontanément par le peuple tunisien soient exaucés par n’importe quels moyens ; les deux principaux slogans sont: « al chaab yourid isakat al nidham » (=le peuple veut la chute du système) et « al chaab yourid al thawra men jaddid » (le peuple veut une autre révolution).
Je veux cela pour que mes enfants et la génération à venir n’aient pas à vivre ce qu’on a vécu, et puissent vivre des jours meilleurs et que les Hommes redeviennent des Hommes et la terre un jardin.
Merci.
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Tunisie : arrestation d’un dirigeant syndicaliste proéminent à Sidi Bouzid
Solidarité urgente
Suite à leur participation aux manifestations qui a ont eu lieu le jour de l’assassinat de Mohamed Brahmi fin juillet, le syndicaliste Abdeslam Hidouri, militant révolutionnaire et dirigeant syndicaliste connu originaire de la ville de Menzel Bouziane (gouvernorat de Sidi Bouzid), ainsi que Ferid Slimani, un jeune de la région, se sont fait arrêtés hier mercredi 25. Ils sont accusés d’avoir porté atteinte aux établissements publics et d’avoir incendié le commissariat de la Garde nationale, lequel avait fait suite à la dégénérescence d’une manifestation pacifique de par l’intervention brutale des forces de police.
L’unique preuve à l’appui de cette arrestation totalement arbitraire n’est autre qu’une vidéo de quelques secondes montrant les deux militants participer à la manifestation en question.
L’appareil judiciaire tunisien s’en prend une fois de plus aux forgerons et agitateurs de la révolution tunisienne, afin de faire taire la colère qui traverse le pays, en cette période d’hiver traditionnellement propice aux explosions sociales dans le pays. Il y a quelques jours, un autre militant de gauche, Abdelhak Laabidi, s’était fait agresser à Beja par des milices du parti islamiste Ennahda, ce qui semble illustrer une stratégie d’intimidation à l’égard de figures emblématiques de la révolution.
Le CIO et ses sympathisants en Tunisie condamnent fermement ces arrestations, ainsi que plus globalement, la politique de harcèlement systématique et de répression à l’égard des militants et des opposants tunisiens. Nous exigeons la libération immédiate et inconditionnelle d’Abdeslam et de Ferid.
Un appel a été lancé pour un rassemblement ce matin jeudi devant le tribunal de première instance de Sidi Bouzid où ces derniers sont appelés à comparaitre devant le procureur de la république.
Envoyez vos lettres de protestation pour exiger la libération de ces militants au Ministère de la Justice tunisien sur cette adresse : mju@ministeres.tn, avec copie à cwi@worldsoc.co.uk.
- Libération immédiate d’Abdeslam Hidouri et de Ferid Slimani, ainsi que de tous les prisonniers d’opinion !
- Non aux arrestations arbitraires et aux procès politiques !
- Défense de tous les droits démocratiques !
- Non à une nouvelle dictature !
- Pour la poursuite de la révolution tunisienne – le pouvoir aux travailleurs et à la jeunesse !
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Crise politique en Tunisie : des manoeuvres contre-révolutionnaires en cours
Interview d’Hidouri Abdessalem, chercheur en philosophie, membre du bureau syndical régional de Sidi Bouzid pour l’enseignement secondaire

A l’heure ou cette interview est publiée, la crise politique en Tunisie traverse son énième épisode. L’ampleur et la profondeur de la colère populaire contre le régime de la ‘Troika’, marquée par l’éruption quasi volcanique de protestations dans tout le pays à la suite de deux assassinats politiques de dirigeants de gauche cette année (l’un, celui de Chokri Belaid, en février, l’autre, de Mohamed Brahmi, fin juillet) constituent la toile de fond et la raison fondamentale de cette crise.
Image ci-contre : “La révolution continue!”
Les pourparlers qui se tenaient entre les partis gouvernementaux et ceux de l’opposition, appelés «l’initiative de dialogue national » viennent d’être suspendus ce lundi. En bref, «l’initiative de dialogue national » n’est rien d’autre qu’une tentative des classes dirigeantes de négocier un arrangement « par le haut » qui puisse apporter une solution à la crise politique tout en évitant que « ceux d’en-bas », à savoir les travailleurs et syndicalistes, la jeunesse révolutionnaire, les chômeurs, les pauvres, ne s’en mêlent un peu trop.
En effet, lorsque les voix provenant de l’establishment, des grandes puissances et des médias traditionnels s’alarment des dangers d’un « vide politique » prolongé en Tunisie, ce n’est pas en premier lieu la montée de la violence djihadiste qu’ils ont en tête; leur principale crainte est que l’exaspération des masses explose à nouveau sur le devant de la scène.
Le « dialogue national » vise à préparer une retraite ordonnée et négociée pour le pouvoir Nahdaoui, et la mise en place d’un gouvernement soi-disant «indépendant» et « apolitique ». Les discussions ont, officiellement du moins, buté sur le choix du nouveau Premier Ministre, discussions qui exposent à elles seules le caractère contre-révolutionnaire des manœuvres en cours. En effet, les différents noms qui ont circulé pour diriger un futur gouvernement sont tous soit des vétérans séniles de l’ancien régime, soit des néolibéraux pur jus.
Bien sûr, tout cela n’a rien ni d’indépendant ni d’apolitique. De nouvelles attaques sur les travailleurs et les pauvres sont en cours de préparation, poussées entre autres par le FMI et les autres créanciers de la Tunisie; pour ce faire, les puissances impérialistes et les grands patrons tunisiens plaident pour un gouvernement suffisamment fort que pour être en mesure de maintenir les masses sous contrôle et leur faire payer la crise. C’est ainsi qu’il y a quelques jours, le gouverneur de la Banque centrale a déclaré que la Tunisie « a besoin d’un gouvernement de commandos pour sortir le pays de la crise».
L’UGTT est de loin la force la plus organisée du pays. Aucun arrangement politique quelque peu durable ne peut être réglé selon les intérêts de la classe capitaliste sans au moins l’accord tacite de sa direction. Pour les travailleurs et les couches populaires cependant, le nœud gordien du problème réside précisément dans le fait que la direction de la centrale syndicale, au lieu de mobiliser cette force pour imposer un gouvernement ouvrier et populaire, pris en charge par un réseau national de comités de base démocratiquement organisés à tous les niveaux, se révèle être un partenaire très coopératif pour la classe dirigeante et les pays impérialistes, dans les tentatives de ces derniers d’imposer un gouvernement non élu au service du grand capital. Tant et si bien qu’elle joue honteusement le rôle moteur dans l’organisation et la médiation de ce « dialogue national ».
Les dirigeants syndicaux, au lieu de mobiliser sérieusement leurs troupes, ont mis tous leurs efforts à tenter de démêler un accord derrière les rideaux entre les principaux agents de la contre-révolution. Tout cela couronné par l’approbation et la participation directe, dans ces pourparlers, des dirigeants du Front Populaire, malgré l’opposition manifeste d’une large couche de ses propres militants et sympathisants.
Cette stratégie, comme l’explique Abdessalem dans l’interview qui suit, est une impasse complète, les dirigeants de la gauche et du syndicat délivrant de fait les intérêts de leurs militants sur l’autel des plans cyniques de leurs pires ennemis. Trotsky disait que dans une période de crise profonde du système capitaliste, les directions réformistes « commencent à ressembler à l’homme qui s’accroche désespérément à la rampe, cependant qu’un escalier roulant l’emporte rapidement vers le bas. »
Cette métaphore résume assez bien le tableau tunisien aujourd’hui. Le pays est au bord d’une crise d’une ampleur sans précédent. Le 30 octobre, deux tentatives d’attentats-suicide ont été évitées dans des zones touristiques. Une semaine avant, dans la région centrale de Sidi Bouzid, au moins 9 membres des forces de sécurité ont été tués dans de violents affrontements avec des salafistes armés.
En réaction, la section locale de l’UGTT appela à une grève générale régionale dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, mot d’ordre rapidement suivi dans la région voisine de Kasserine, afin de protester contre ces tueries. Ce genre de réflexes indiquent où résident les forces sociales qui peuvent offrir une solution viable et autour de laquelle une véritable alternative politique peut et doit être construite à la misère et la violence croissantes du système actuel.
Comme le mentionne Abdesslem, il existe aujourd’hui en Tunisie un paradoxe: « les vraies fabricateurs du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique ». Le CIO partage largement ce constat. C’est pourquoi il y a une urgence à reconstruire, à l’échelle du pays, une force politique de masse au service de ces « fabricateurs », indépendante des partis pro-capitalistes, et armé d’un programme socialiste clair visant à mettre les principales ressources du pays dans les mains des travailleurs et de la population.
Il fut un temps où tel était le but affiché du programme de l’UGTT. Lors de son congrès de 1949, l’UGTT demandait ainsi “le retour à la nation des mines, des transports, du gaz, de l’eau, de l’électricité, des salines, des banques, des recherches pétrolières, de la cimenterie, des grands domaines et leur gestion sous une forme qui assure la participation ouvrière.” La réactualisation d’un tel programme, combiné avec des mots d’ordre d’action précis, pourraient revigorer la lutte de masses et transformer radicalement la situation.
Les militants, au sein du Front Populaire et de l’UGTT, qui veulent poursuivre la révolution et refusent les manœuvres actuelles -et ils sont nombreux- devraient à nos yeux exiger le retrait immédiat et définitif de leurs dirigeants du dialogue national, et demander à ce que ces derniers rendent des comptes auprès de leur base pour la stratégie désastreuse qu’ils ont suivie. Au travers de discussions démocratiques, les leçons des erreurs, présentes et passées, doivent être tirées, menant à un processus de clarification et de ré-organisation à gauche, sur le type de programme, de stratégie et de tactiques nécessaires pour mener à bien la révolution.
Les militants du CIO en Tunisie sont ouvert à discuter et collaborer avec tous ceux et toutes celles qui partagent ces considérations. Car c’est seulement par ce biais que l’ «outil » et le « programme » révolutionnaires nécessaires, qu’Abdesslem évoque à la fin de l’interview, pourront être forgés en vue des futures batailles.
Depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi, une vague de mobilisations sans précédent contre le régime d’Ennahda a secoué la Tunisie. Quel bilan tires-tu de ces mobilisations?
Les mobilisations contre le régime d’Ennahda, provoquées par l’assassinat de Mohamed Brahmi, et de Chokri Belaid avant lui, expriment plus largement une reprise du processus révolutionnaire visant à la chute du gouvernement de la ‘Troïka’ et à la chute du système.
Mais devant l’absence d’un programme clair et d’un groupe révolutionnaire suffisamment influent, ces mobilisations ont été manipulées par la bureaucratie nationale de l’UGTT, par les partis politiques libéraux et par la direction opportuniste des partis de gauche, dans le but de dépasser la crise par l’outil du « dialogue national », sans pousser ces mobilisations vers leurs véritables objectifs: la chute du système.
Au nom de l’unité dans la lutte contre les islamistes, la direction de la coalition de gauche du Front Populaire a rejoint Nidaa Tounes (un parti dans lequel se sont réfugiées beaucoup de forces du vieil appareil d’Etat et de l’ancien régime), ainsi que d’autres forces politiques, dans l’alliance du ‘Front de Salut National’. Que penses-tu de cette alliance et quelles conséquences a-t-elle sur la lutte de masses?
La scène politique actuelle en Tunisie est caractérisée par une sorte de tripolarisation: le pôle des réactionnaires islamistes avec Ennahda et ses alliés, le pôle des libéraux de l’ancien régime (avec à sa tête le parti Nidaa Tounes, regroupées sous la direction de Caid Essebsi), et en contrepartie à ces deux pôles, le Front Populaire et l’UGTT.
A l’époque de l’assassinat de Chokri Belaid, la situation a changé : les forces dites « démocratiques » et « modernistes » se sont regroupées contre la violence et le terrorisme (dans un « Congrès de Salut ») : cette étape a marqué le début de l’impasse politique pour le Front Populaire, car la direction de celui-ci a commencé à faire alliance avec les ennemis de la classe ouvrière et des opprimés, associés à l’ancien régime de Ben Ali.
Ces derniers sont en compromis indirect avec les islamistes aux niveaux des choix politiques et économiques du pays.
En conséquence, la lutte de masse a été manipulée et freinée par la direction du Front Populaire et de l’UGTT, suivant le rythme du « dialogue national » et des intérêts de ses différents partis et de leurs agendas politiques.
Fin juillet, il avait été rapporté que dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, des formes de contre-pouvoirs locaux s’étaient mis sur pied, reprenant la gestion des affaires locales des mains des Nahdaouis. Qu’en est-il aujourd’hui?
On peut dire que dans les régions intérieures, il y a une sorte de vide politique au niveau des services, de l’administration et de la sécurité. Dans les moments révolutionnaires, les mobilisations lèvent le slogan de l’autogestion, et à sidi Bouzid, nous avons essayé de construire un contre-pouvoir à travers les communautés régionales et locales.
Mais face à la répression de la police, ainsi que du manque d’appui et de relais de ce genre d’initiatives à l’échelle nationale, on n’a pas pu dégager pour de bon le gouverneur régional de Sidi Bouzid.
Depuis le début, la position de la direction nationale de l’UGTT a été de s’opposer au double-pouvoir, car ce dernier obstrue le «dialogue » et le « compromis » avec le régime, vers lequel cette direction pousse à tout prix.
Peux-tu expliquer ce qui s’est passé le 23 octobre et dans les jours qui ont suivi?
Le 23 octobre, selon la Troïka, est la date de la réussite de la transition démocratique (une fête politique), mais selon les autres partis et pour la majorité de la population tunisienne, c’est la date de l’échec. D’où les protestations massives qui ont repris de plus belle contre Ennahda ainsi que contre les terroristes.
Mais une fois encore, les mobilisations du 23 et du 24 contre la Troïka ont été manipulées par les partis politiques en place pour améliorer leurs positions dans le dialogue national, et non pas pour la chute du système et du gouvernement.
Quelle est selon toi la réalité du danger salafiste/djihadiste dans la situation actuelle? Quels sont les rapports de ces groupes avec le parti au pouvoir? Comment expliques-tu la montée de la violence dans la dernière période, et comment les révolutionnaires peuvent–ils face à cette situation?
Quand on parle politiquement du pole islamiste, on parle d’un réseau d’horizon mondial, articulé avec certaines grandes puissances et avec les intérêts du capitalisme mondial, donc je crois qu’il est difficile de distinguer entre les djihadistes et Ennahda, ou même avec le parti salafiste ‘Ettahrir’.
On peut considérer les salafistes comme les milices du gouvernent actuel, qui pratiquent la violence avec des mots d’ordre venus d’Ennahda, contre les militants, contre les syndicalistes…Leur objectif c’est de rester au pouvoir à l’aide de ces milices.
Devant cette situation, je crois que les forces révolutionnaires doivent s’organiser de nouveau, pour continuer le processus dans les régions internes. Devant l’absence des outils et des moyens, cette tâche sera difficile, mais pas impossible.
Quels sont à tes yeux les forces et les limites du rôle joué par l’UGTT dans la crise actuelle?
D’une part la direction de l’UGTT a joué un rôle de secours pour tous les gouvernements transitoires depuis le 14 janvier 2011 jusqu’au 23 octobre 2013, entre autres à travers l’initiative du dialogue national. Actuellement elle fait le compromis avec les patrons (l’UTICA). D’autre part, les militants syndicalistes de base essaient de continuer le processus révolutionnaire.
Quelles sont à ton avis les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie?
Ce qui se passe en Tunisie et dans le monde arabe est un processus révolutionnaire continu, avec un horizon nationaliste et socialiste contre le capitalisme et le sionisme, mais actuellement on parle dans le processus d’un paradoxe: les « vrais fabricateurs » du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique, et les forces contre-révolutionnaires s’attellent au détournement du processus, donc nous sommes face à une révolution trahie.
Les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie, c’est de continuer le processus avec des garanties concernant l’outil, le programme et le parti révolutionnaire. Sur le plan pratique il faut construire des comités locaux et régionaux pour la lutte.
Quelles leçons/conseils donnerais-tu aux militants socialistes, syndicalistes, révolutionnaires en lutte contre le capitalisme dans d’autres pays?
Les leçons et les conseils qu’on peut tirer du processus révolutionnaire selon mon point de vue c’est:
- De viser le pouvoir dès le début du processus et lutter sur la base de tâches révolutionnaires bien précises. Car beaucoup des forces de gauches et de jeunes révolutionnaires et syndicalistes n’ont pas visé le pouvoir à Tunis, mais ont cru pouvoir pousser vers la réforme du système.
- De s’unifier en tant que forces révolutionnaires contre nos ennemis, et de créer des groupes de lutte avec des moyens qui dépassent la théorie vers la pratique, c’est-à-dire agir sur le terrain jour et nuit.
- De transformer le conflit avec les ennemis dans les mass media, pour créer une opinion publique contre les ennemis
- De trouver un réseau de lutte capable de soutenir les protestations qui dépasse l’horizon national, vers l’international.
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Tunisie: A bas Ennahda, à bas la ‘Troika’ !
L’UGTT et le Front Populaire doivent offrir une stratégie pour en finir avec le capitalisme – Non à des accords avec des forces liées à l’ancien régime!
Vers un gouvernement révolutionnaire et socialiste des travailleurs, de la jeunesse, des chômeurs et des masses pauvres!
Deux ans et demi après la chute de Ben Ali, la situation pour les masses tunisiennes n’a fait qu’aller de mal en pis, et la colère gronde comme jamais aux quatre coins du pays. Le fameux slogan de la révolution « pain, liberté, dignité nationale » n’a sans doute jamais autant été en contraste avec la réalité vécue sur le terrain par des millions de Tunisiens et de Tunisiennes, faite d’une explosion insupportable des prix, de l’absence d’emplois et de perspectives pour les jeunes, d’une augmentation de l’insécurité et de la violence terroriste, d’une paupérisation accélérée des classes moyennes, d’une « colonisation » rampante des rouages de l’appareil de l’Etat par le parti islamiste, d’attaques redoublées sur les maigres acquis démocratiques….
Dans ce contexte, l’assassinat politique du dirigeant d’opposition de gauche Mohamed Brahmi ne pouvait être qu’un nouveau catalyseur de la furie des travailleurs, des jeunes et des masses révolutionnaires, dont la volonté de se débarrasser du régime de la ‘Troïka’ (la coalition au pouvoir dirigée par Ennahda) a atteint un point de non-retour. Depuis cet assassinat, le pays traverse une crise politique sans précédent, et, malgré la chaleur intense et le jeûne du Ramadan, vit au rythme des manifestations quotidiennes, des sit-in et des grèves, et d’un climat proche de l’insurrection dans certaines régions pauvres et militantes de l’intérieur du pays en particulier.
Le pouvoir Nahdaoui au pilori
La survie du régime islamiste en Tunisie est clairement posée. Les masses demandent partout la chute de ce dernier, et la centrale syndicale UGTT a émis un ultimatum d’une semaine au gouvernement pour se rendre avant d’envisager d’autres actions. Dans la capitale Tunis, tous les jours, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent devant le Parlement au Bardo pour exiger la fin du gouvernement, un sit-in ouvert joint aussi par des ‘caravanes’ provenant de l’intérieur du pays.
Même dans les coins les plus reculés de la Tunisie, des manifestations massives, y compris en pleine nuit, expriment clairement le rejet viscéral du pouvoir en place, tandis que le rassemblement pro-Ennahda de samedi dernier, point culminant de la contre-offensive du parti au pouvoir, faisait toujours pâle figure face au « million » de personnes annoncées au préalable par la direction de ce parti, et ce malgré tous les efforts logistiques déployés. Surtout lorsque l’on sait que beaucoup de ces manifestants étaient payés pour manifester leur attachement à la ‘légitimité’ !
Le gouvernement est isolé comme jamais, sa cote de popularité est en chute libre dans les sondages, et son emprise sur la situation, en particulier dans les régions intérieures du pays, est proche de zéro. Dans certaines localités, des structures de pouvoir parallèles ont émergé de la lutte, montrant ce qu’il est possible de faire pour se débarrasser dans les faits de ce pouvoir honni. Le silence quasi complet dans les médias dominants sur ces développements indique l’état de panique qui traverse les classes dirigeantes quant au risque d’ « émulation » de ces expériences ailleurs.
Dans la ville de Sidi Bouzid par exemple, berceau de la révolution tunisienne, les habitants refusent désormais tout lien avec les autorités officielles nahdaouies, et ont érigé un comité de Salut qui a pris en mains les affaires de la ville. La permanence locale du parti Ennahda a été fermée, et les manifestants se rassemblent quotidiennement devant les bâtiments du gouvernorat pour empêcher le retour de l’ancien gouverneur. Les forces vives de ce mouvement sont constituées de militants du ‘Front Populaire’ (coalition de divers partis de gauche et nationalistes) et de syndicalistes de l’UGTT. Des conseils similaires ont été créés dans trois localités dépendant du gouvernorat de Sidi Bouzid: Regueb, Mekessi et Menzel Bouzaine. Mais Sidi Bouzid n’est pas la seule région du pays à ne plus reconnaître le pouvoir central. Au Kef, à Gafsa, à Sousse, à Kairouan, et en bien d’autres endroits, des comités locaux sous diverses formes ont été mis sur pied en vue de gérer les affaires locales.
Pour agrandir leur soutien de masse et assurer leur caractère authentiquement révolutionnaire, ces comités devraient être élus démocratiquement par la base, avec des délégués soumis à révocabilité. Par ailleurs, il est essentiel que ces expériences ne restent pas isolées à l’échelon local, car une telle situation donnerait plus de latitude à l’appareil d’Etat pour les étouffer dans l’œuf. Il est essentiel que tous les efforts soient au contraire entrepris en vue de les élargir à l’ensemble du territoire et, en les liant entre eux au travers de comités démocratiquement élus à chaque niveau, de poser les bases en vue de l’établissement d’un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres. Un simple appel dans ce sens de la part de l’UGTT serait suffisant pour transformer la situation dans le pays en l’espace de quelques heures, de balayer le régime actuel dans les poubelles de l’histoire, et de donner un nouveau souffle à la révolution.
Crise au sommet
Le pouvoir tremble sur ses bases et est maintenant entré dans une phase avancée de désintégration. Les prétentions pathétiques des dirigeants d’Ennahda à parler encore au nom de la révolution ne vont tromper personne. Depuis que ce parti est arrivé au pouvoir, plus de 40.000 grèves, plus de 120.000 sit-ins, et environ 200.000 manifestations ont eu lieu à travers le pays. De quelle révolution parlent-ils donc?
Tout indique que le gouvernement actuel ne survivra pas la présente crise. Déjà le ministre de l’Éducation, Salem Labyedh, a remis sa démission, et d’autres ministres ont menacé de faire de même. Ettakatol et le CPR, partis fantoches qui jouent depuis le début le rôle de cinquième roue du carrosse nahdaoui, continuent leur descente aux enfers, tandis que le porte-parole d’Ettakatol a annoncé que le parti se retirerait de la coalition gouvernementale à moins que le cabinet ne soit dissous et remplacé par un cabinet d’union nationale. La chute du gouvernement de la ‘Troïka’ n’est sans doute plus maintenant qu’une question de temps.
Le grand révolutionnaire russe Lénine définissait comme « crise révolutionnaire » une situation marquée par l’impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée, par l’aggravation plus qu’à l’ordinaire de la détresse et de la misère des classes opprimées, et par une accentuation considérable de l’activité des masses. Sans aucun doute, ces ingrédients évoquent la situation en Tunisie aujourd’hui, et le scénario exprimé par tant d’activistes d’une « nouvelle révolution » n’est pas loin.
Cependant, Lénine rajoutait que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés ci-dessus, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : « la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement, qui ne ‘tombera’ jamais, même à l’époque des crises, si on ne le ‘fait choir’. »
D’où l’importance pour les révolutionnaires de s’armer d’un programme d’action audacieux et répondant aux nécessités du moment. Un parti de masse véritablement marxiste pourrait, dans une telle situation, faire une différence énorme et décisive. Les forces pour construire un tel parti ne manquent pas, parmi les dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes tunisiens qui s’identifient aux idées socialistes et communistes, et dont beaucoup sont dans et autour de la coalition du Front populaire. Un programme pour un tel parti aurait besoin de s’enrichir des expériences passées, et en dégage les leçons nécessaires à chaque étape. Et une de ces leçons essentielles en Tunisie aujourd’hui est la nécessaire indépendance politique des forces révolutionnaires, des travailleurs et de leur syndicat l’UGTT, par rapport aux velléités et tentatives de sabordage de la révolution orchestrées par les classes ennemies.
En effet, les forces néolibérales, celles liées à l’ancien régime ainsi que les puissances impérialistes, traversées par une vague de frayeur quant à la possibilité d’une nouvelle conflagration révolutionnaire, cherchent par tous les moyens à bloquer la dynamique en cours et à reconstruire un pouvoir politique capable de faire barrage aux revendications des masses, de préserver les intérêts de l’élite capitaliste et la continuité de son appareil d’Etat, mis à mal par les développements récents.
Les déclarations de Néjib Chebbi, dirigeant du parti d’opposition libéral ‘Al Joumhouri’, qui évoque le risque d’un mois de septembre socialement « très chaud » et réfère aux conséquences de la crise sociale en termes quasi apocalyptiques, en disent long sur l’état d’esprit qui doit régner dans les villas et les salons de la bourgeoisie tunisienne. « Ce sera Siliana 1, 2, 3 .. à Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, le Kef sans oublier les grandes villes du littoral, avec leurs cortèges de comités autonomes », dit-il.
Ces gens savent maintenant que le régime de la Troïka est sur ses genoux, et tentent d’exploiter le mouvement en cours pour avancer leurs pions sur l’échiquier politique et, en jouant d’une certaine fibre populistes dans leurs discours, essaient par tous les moyens de canaliser la colère populaire dans un sens favorable aux classes dirigeantes. Face à ces pressions, Ennahda tente de sauver la face, et se dit prêt à ouvrir le gouvernement à d’autres partis, tout en refusant de céder le poste de chef du gouvernement.
Cependant, la crise actuelle ne peut se résumer à une question de postes ministériels, à l’incompétence ou à la mauvaise foi de l’un ou de l’autre politicien. La crise actuelle trouve sa source dans l’incapacité de ceux au pouvoir d’offrir autre chose qu’une voie de garage aux revendications révolutionnaires des masses tunisiennes. Et ce pour une raison bien simple : ce pouvoir défend les intérêts de la classe capitaliste, des multinationales et des fonds d’investissements, des hommes d’affaires et des spéculateurs, tous ceux dont le seul but est de continuer par tous les moyens à exploiter le peuple tunisien pour satisfaire leur soif de profits.
Dans cette optique, toutes les forces politiques qui défendent ce même système capitaliste, un système qui nage dans une crise économique profonde à l’échelle internationale, se retrouveront rapidement confrontées aux mêmes problèmes. C’est pour cela que pour accomplir les objectifs originaux de la révolution, derrière Ennahda c’est tout ce système qui doit dégager !
Le Front Populaire face à ses responsabilités
La coalition de gauche du Front Populaire rassemble de nombreux militants révolutionnaires, syndicalistes et de jeunes qui aspirent à poursuivre la révolution jusqu’au bout, jusqu’à un pouvoir au service des travailleurs et des masses populaires, un pouvoir qui en finisse avec le système d’exploitation capitaliste, et son lot de misère, de chômage et de répression.
Cependant, la direction du Front Populaire lorgne de plus en plus ostensiblement vers des compromissions avec des forces hostiles au camp des travailleurs, des pauvres et de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution. Les dirigeants du Front Populaire et de ‘l’Union pour la Tunisie’ ont ainsi tenu samedi une réunion de coordination qui scelle le rapprochement entre la direction du Front et un ensemble de partis dont plusieurs abritent des forces liées directement à l’ancien régime et à la bourgeoise destourienne.
Le Front fait écho à ‘l’Union pour la Tunisie’ dans son appel à la constitution d’un gouvernement de « salut national ». Bien que nous comprenons que dans un contexte marqué par un vomissement du parti islamiste en place, un gouvernement dans lequel ce parti n’occupe plus le siège de conducteur pourrait être accueilli favorablement par une partie de la population, il est du devoir pour tous les révolutionnaires d’appeler un chat un chat. Il n’y a pas de « salut » possible avec des gens qui défendent le camp des patrons licencieurs, des semeurs de misère du FMI, et qui n’hésiteront pas demain à brandir la matraque face aux grèves et aux revendications des travailleurs, de la jeunesse au chômage et des masses pauvres au sens large. Les habitants de Sidi Bouzid l’avaient pourtant compris, eux qui l’an dernier criaient « ni Jebali, ni Sebsi, notre révolution est une révolution des pauvres ».
Le seul objectif de partis comme ‘Nida Tounes’ est d’en finir avec la lutte des masses populaires, des jeunes et de classe ouvrière, au profit de certains clans de l’élite dirigeante et de grandes puissances qui sentent le vent tourner. Nida Tounes, c’est le parti de la restauration, et de la dictature sous une autre forme. Le règne de Sebsi sous son bref mandat provisoire a clairement démontré en quoi sa politique consiste : accords de Deauville avec les puissances du G8 pour poursuivre l’endettement de la Tunisie, ‘autorité de l’Etat’ érigé en dogme justifiant la répression systématique des mouvements sociaux, la torture et le meurtre de manifestants…
Le CIO pense que la force du mouvement syndical tunisien et le poids du Front Populaire, au lieu de servir de ‘flanc gauche’ à des forces contre-révolutionnaires, devraient au contraire être mis au service de la lutte indépendante des masses laborieuses, en vue de constituer un pouvoir à elles, appuyé et contrôlé démocratiquement par des comités d’action à l’échelle de tout le pays. Si les dirigeants du Front refusent de respecter les aspirations de leur base, laquelle rejette en grande majorité des accords politiques avec des forces telles que ‘L’Union pour la Tunisie’, alors il revient aux militants et militantes de base de prendre les choses en main partout où c’est possible, afin de changer le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard.
Mettre sur pied une plate-forme organisée d’opposition de gauche regroupant tous les militants du Front populaire qui sont en désaccord avec la trajectoire politique actuelle menée par la direction pourrait être une étape vers la reconstruction d’une force de gauche de masse sur la base des aspirations initiales des membres et sympathisants du Front Populaire.
L’UGTT
De même, l’abandon par l’UGTT de la demande pour en finir avec l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) a été largement perçue comme une trahison par nombre de militant(e)s. Cet abandon s’inscrit dans une logique de concessions vers un pouvoir pourtant rejeté dans la rue, alors que cette ANC n’a plus aucune légitimité, ni formelle, ni réelle. Aux yeux des masses, elle n’évoque qu’amertume et colère, une Assemblée remplie de politiciens opportunistes en tout genre, dont le train de vie est à mille lieux des préoccupations et des souffrances des travailleurs, des pauvres et de leurs familles. Cette ANC a failli, elle doit dégager. La seule Assemblée Constituante légitime serait une Assemblée composée de représentants sincères des couches qui ont fait la révolution, de syndicalistes, de chômeurs, de militants et de gens ordinaires qui partage le même quotidien que la majorité de la population.
Au lieu de chercher à composer avec l’ANC actuelle, l’UGTT pourrait lancer une vaste campagne visant à encourager, dans toutes les localités du pays, la convocation d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers, visant à élire démocratiquement des représentants directement issus des masses et de leurs luttes, qui auraient la confiance et le contrôle de ceux et celles qui les ont élus, et seraient responsables et révocables à tout instant pour le travail qu’ils font. En partant directement de la base, de telles élections pourraient ainsi permettre l’érection d’une véritable Assemblée Constituante révolutionnaire, caisse de résonance la plus représentative possible du mouvement réel et des aspirations de la masse en lutte.
Il n’y a pas de compromis possible ! L’UGTT et le Front Populaire peuvent et doivent en finir avec le régime pourri actuel et prendre le pouvoir dans leurs mains
La direction du Front Populaire et celle de l’UGTT, au lieu de se tourner vers des forces de droite dont les intérêts divergent à 180 degrés avec ceux de la révolution, feraient bien mieux plutôt de proposer un plan d’action révolutionnaire clair aux masses tunisiennes afin de balayer non seulement le pouvoir actuel, mais aussi tout l’échafaudage économique sur lequel ce dernier repose. Chercher le grand écart avec des forces hostiles au peuple et à sa révolution ne peuvent mener qu’au manque de clarté, à la confusion et en définitive, à la défaite, dont la gauche risque de payer un prix très lourd.
Bien sur, nous ne pouvons qu’appuyer l’appel à poursuivre les moyens de pression et la « désobéissance civile », mais ces mots d’ordre ont le défaut de rester assez flous. Le seul langage que ce gouvernement peut comprendre est le même langage que celui qui a fait tomber Ben Ali : celui du rapport de force dans la rue et dans les entreprises, celui du déploiement massif et coordonnée de la force de frappe de la classe ouvrière et de son puissant syndicat, l’UGTT.
A temps exceptionnel, mesures exceptionnelles ! L’enjeu de la situation exige plus qu’une grève générale de 24H, surtout si celle-ci reste sans lendemain et sans objectifs précis. D’ores et déjà, plusieurs secteurs ont annoncé des actions de grève dans les jours et les semaines qui viennent. D’autant plus que la situation économique et sociale ne fait que se détériorer chaque jour un peu plus : les usines ferment, les patrons licencient, le chômage s’étend, et les mesures d’austérité imposées par le FMI frappent à la porte. Ce contexte sert de toile de fond aux bouleversements actuels.
C’est avec toute cette situation qu’il faut en finir ! La dynamique du mouvement actuel doit être utilisée pour entamer une vaste campagne visant à restituer le pouvoir économique et les richesses à ceux qui travaillent et produisent. Dans ce sens, les exemples tendant vers l’occupation des bâtiments publics et vers l’auto-administration des affaires par la population elle-même doivent être encouragés à l’échelle des entreprises, des usines et des lieux de travail également.
Pour en finir avec la dictature des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et des licenciements, exigeons la nationalisation immédiate des entreprises qui ne garantissent pas l’emploi, et des centaines d’entreprises qui ont été privatisées dans les dernières décennies au profit d’une poignée de riches actionnaires ! Pour en finir avec la corruption des hauts cadres, avec l’augmentation continue des prix et l’évasion fiscale, exigeons l’ouverture immédiate des livres de comptes des grandes entreprises à des représentants élus du personnel ! Pour en finir avec le sous-développement des régions et le manque cruel d’emplois dignes de ce nom, luttons pour un plan massif d’investissement public, géré démocratiquement par la population !
Pour réaliser tout ca, rien ne sera donné, tout devra être arraché par la lutte et la construction d’un rapport de force à la hauteur des enjeux. C’est dans ce sens que les sympathisants du CIO en Tunisie défendent la perspective d’une grève générale ouverte, en encourageant les travailleurs à occuper leurs lieux de travail. Un tel mouvement permettrait non seulement d’apporter le coup de grâce au gouvernement de la Troïka, mais aussi de remettre toutes les questions sociales et économiques au centre du jeu. Il permettrait de couper l’herbe sous le pied des partis pro-capitalistes de l’opposition qui surfent sur le mouvement actuel, et de préparer le terrain en vue d’une véritable révolution, sociale celle-là, donnant le pouvoir aux travailleurs, à la jeunesse révolutionnaire, aux chômeurs et aux pauvres, en vue de réorganiser la société selon leurs propres besoins sociaux.
Au contraire, l’absence de mots d’ordre clair à l’échelle nationale sur comment prolonger et organiser les actions dans les jours prochains risquent de laisser place à la lassitude, la frustration et la démobilisation, et en définitive, pourrait laisser un terrain plus favorable à la contre révolution pour s’engager dans toutes sortes de manœuvres de coulisses pour restituer l’ordre selon le bon vouloir des classes dirigeantes et des grandes puissances impérialistes. <p< Pour éviter un tel scenario, structurer démocratiquement le mouvement par la base est d’une importance cruciale. Les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités révolutionnaire à l’échelle des entreprises, des lieux de travail et d’étude, des quartiers populaires, en vue d’organiser collectivement et démocratiquement le mouvement selon la volonté des masses mobilisées. De tels comités sont essentiels pour assurer le contrôle du mouvement par la base, et, par leur structuration locale, régionale et nationale, pourraient ainsi servir de levier vers l’institution d’un gouvernement révolutionnaire au service des travailleurs, des jeunes et des opprimés, appuyée par la force de l’UGTT, par les milliers de militants du Front Populaire, de l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs) et des divers mouvements sociaux.
Terrorisme
Parallèlement au mouvement actuel, une montée fulgurante des actes de violence terroriste a pris place dans les deux dernières semaines sur plusieurs parties du territoire tunisien. Le gouvernement a multiplié les opérations policières et militaires « anti-terroristes » contre certains groupes ou individus jihadistes armés, tandis que 8 soldats tunisiens ont été sauvagement tués le 29 juillet au mont Chaambi, près de la frontière algérienne.
Bien que les responsabilités derrière ces attaques ne soient pas clairement établies à ce stade, force est de constater que le gouvernement cherche à les instrumentaliser à son avantage, en tentant de recréer un sentiment d’unité derrière lui. C’est ainsi que Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur, s’est empressé de déclarer que « lorsqu’un pays est frappé par le terrorisme, tous ses citoyens serrent les rangs ».
Pourtant, il est significatif que dans un récent sondage, 74% des Tunisiens font endosser à Ennahda la responsabilité de la montée du terrorisme dans le pays. La montée de l’extrémisme religieux a été favorisée tout au long du règne de la Troïka par le parti au pouvoir et ses milices, certains représentants nahdaouis appelant même ouvertement au meurtre d’opposants. C’était Bhi Atik, chef du Bloc Ennahda à l’Assemblée constituante, qui avait promis récemment que « Toute personne qui piétine la légitimité en Tunisie sera piétinée par cette légitimité et (…) la rue tunisienne sera autorisée à en faire ce qu’elle veut y compris de faire couler son sang » Pas étonnant dans ces conditions qu’une majorité de Tunisiens refusent de donner au gouvernement carte blanche sur ce sujet, pas plus que sur tous les autres sujets d’ailleurs.
Face à la montée généralisée de la violence, la multiplication des assassinats politiques, des actions de milices réactionnaires, du terrorisme sanglant, il est essentiel que la population s’organise. L’autodéfense des quartiers, du mouvement révolutionnaire, des bâtiments publics, des syndicats, s’impose plus que jamais.
La répression des mouvements pacifiques par les forces de l’Etat, telles que les tentatives de répression du mouvement populaire à Sidi Bouzid, montre aussi que la violence, bien que loin d’être au même niveau de barbarie, n’est pas l’exclusive de groupes terroristes pour autant. Pour éviter que les armes utilisées dans la lutte anti-terroriste aujourd’hui ne soient utilisées contre les révolutionnaires demain, il est essentiel de forger des liens entre le mouvement révolutionnaire et les forces armées sur lesquelles le pouvoir s’appuie aujourd’hui pour l’exercice de la violence, dont beaucoup sont issues du peuple. De plus, les soldats envoyées dans des opérations difficiles telles que celle au Mont Chambi gagnent bien souvent une misère, et n’ont pas de droits syndicaux.
C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités de défense ouvriers et populaires partout où c’est possible. Et cela y compris au sein des forces armées, afin de faire valoir les intérêts des soldats du rang et leur droit à une rémunération et des conditions de travail décentes, à la hauteur des sacrifices exigés. Des appels à la constitution de comités de soldats démocratiquement élus dans l’armée, des appels à la désobéissance des forces de l’Etat et la défense de leur droit à refuser d’être utilisés pour réprimer la lutte des travailleurs et des jeunes, pourraient servir de base pour opérer la jonction entre les masses révolutionnaires en lutte d’une part, et, d’autre part, ces couches qui servent aujourd’hui de chair à canon pour les calculs abjects de la clique au pouvoir.
- Troïka dégage! Pour une grève générale ouverte, jusqu’à la chute du régime
- Non à des accords gouvernementaux avec des forces politiques qui défendent la continuation du capitalisme. L’ « Union pour la Tunisie » défend les hommes d’affaire, pas la révolution ni les travailleurs !
- Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire, UDC…)
- Pour la répudiation de la dette – pour le rejet des accords avec le FMI – pour la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité, des banques et des secteurs vitaux de l’économie
- Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour une société socialiste mondiale, où l’économie est planifiée démocratiquement selon les intérêts de la majorité.