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Halte au génocide à Gaza et à la spirale sanglante au Moyen-Orient
Depuis plus d’un an, le monde assiste avec horreur et en temps réel à l’une des campagnes de bombardement les plus destructrices et les plus impitoyables de l’histoire – un assaut incessant aux proportions génocidaires – sur la bande de Gaza. La machine de mort et de destruction maniée par l’État israélien tourne et elle plonge dans de nouvelles profondeurs indicibles, tout en élargissant son champ d’action régional. Le Moyen-Orient est aujourd’hui au bord de ce qui pourrait être la plus grande conflagration régionale depuis des décennies.
Par Serge Jordan
Une horreur sans fin
Selon le bilan officiel publié par le ministère de la santé de Gaza, le génocide israélien à Gaza a tué plus de 43.000 Palestiniens en 12 mois. Ce chiffre représente toutefois plus que probablement une importante sous-estimation. Plusieurs milliers de personnes sont toujours portées disparues et ne sont pas prises en compte dans les statistiques officielles. L’anéantissement des établissements de santé, des réseaux de communication et des infrastructures routières a gravement entravé la tenue de registres précis. Ce chiffre ne tient pas non plus compte du nombre important – et croissant – de victimes dues à des causes indirectes telles que la maladie, la malnutrition et la famine. Plusieurs organisations, dont l’Organisation mondiale de la santé, des groupes de défense des droits humains et des professionnel.le.s de la santé qui ont travaillé à Gaza, affirment que le nombre réel de victimes est beaucoup plus élevé que ce qui est indiqué. Une étude récente du “Costs of War Project” de l’université Brown (Etats-Unis) estime ce nombre à environ 114.000, ce qui représente environ 5 % de la population de Gaza, et le qualifie de “nombre minimum ferme et prudent de morts”, tandis que les estimations de la revue scientifique britannique “The Lancet” faisait déjà état de plus de 180.000 personnes décédées de causes indirectes il y a plusieurs mois.
Entre-temps, la Cisjordanie occupée a également connu une recrudescence des attaques meurtrières de l’armée israélienne et des colons au cours de l’année écoulée, ce qui a entraîné la détention de près de 12.000 Palestinien.ne.s et la mort de centaines de personnes, dont 36 enfants tués lors de frappes aériennes et en raison de tirs à balles réelles 129, la plupart touchés à la tête ou à la partie supérieure du corps.
Aussi horrible que cela puisse paraître, le nombre de mort.e.s ne représente qu’une partie de la barbarie dont est victime le peuple palestinien. Un nouveau rapport de l’Agence des Nations unies pour le développement sur l’impact socio-économique de la guerre révèle que les indicateurs de développement humain dans la bande de Gaza se sont effondrés à des niveaux jamais atteints depuis les années 1950, et qu’il faudrait 350 ans (!) pour que l’économie de Gaza retrouve les niveaux d’avant le 7 octobre 2023. La quasi-totalité de la population de Gaza souffre d’une forte insécurité alimentaire, un demi-million de personnes sont menacées de famine. Des dizaines de milliers de personnes ont subi des blessures qui ont changé leur vie ; Gaza abrite désormais le plus grand nombre d’enfants amputés de l’histoire moderne, avec 10 enfants en moyenne qui perdent une jambe ou les deux chaque jour.
Dans ce qui a marqué un nouveau degré d’horreur et d’intensification de cette guerre brutale d’extermination – que l’envoyé palestinien auprès des Nations unies a qualifié de « génocide dans le génocide » -, le nord de Gaza a été soumis à un siège d’une cruauté stupéfiante au cours des trois dernières semaines (alors que les zones dites « sûres » ou « humanitaires » dans les parties méridionales de la bande continuent d’être régulièrement bombardées elles aussi). Depuis le 1er octobre, les forces israéliennes ont empêché l’entrée de nourriture ou d’aide de quelque nature que ce soit dans le nord de Gaza et ont soumis la région à des frappes aériennes et à des tirs d’artillerie incessants. L’armée israélienne a intensifié son offensive terrestre – la troisième en douze mois – encerclant le camp de réfugiés de Jabalia, tuant des centaines de civils et forçant des dizaines de milliers de personnes à fuir. Les familles déplacées qui s’abritaient dans des bâtiments publics sont chassées sous la menace des armes, avant que ces bâtiments ne soient rasés ou brûlés par les soldat.e.s israélien.ne.s. Les Palestinien.ne.s qui ont fui ont fait des récits effrayants de cette campagne permanente de meurtres, de famine planifiée et de déplacements forcés : des dizaines de corps éparpillés dans les rues, des preuves d’exécutions sommaires, des blessés laissés sur place alors que les ambulances et les secours sont délibérément bloqués, voire directement attaqués. L’armée israélienne prend également pour cible ce qui reste des réserves et des canalisations d’eau, poussant la population restante plus près du bord de la famine et de la soif. Joyce Msuya, responsable des affaires humanitaires de l’ONU, a averti samedi que « l’ensemble de la population du nord de Gaza risque de mourir sous le siège israélien », au lendemain d’un raid israélien de grande envergure sur Kamal Adwan, le dernier hôpital opérationnel de la région.
Le directeur de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orien (UNRWA), Philippe Lazzarini, a récemment déclaré : “L’odeur de la mort est omniprésente, les corps gisant sur les routes ou sous les décombres. Les missions de déblaiement des corps ou d’assistance humanitaire sont refusées. Dans le nord de Gaza, les gens attendent simplement de mourir. Ils se sentent abandonnés, désespérés et seuls. Ils vivent d’une heure à l’autre, craignant la mort à chaque seconde.” Malgré ces conditions insupportables et la menace imminente d’anéantissement, de nombreux.ses Palestinien.ne.s ne peuvent tout simplement pas partir – ou refusent de le faire en sachant qu’une fois parti.e.s, il ne sera pas possible de revenir – une expérience gravée dans leur histoire.
Cette stratégie militaire israélienne semble s’inspirer des principes fondamentaux de ce que l’on appelle le « plan des généraux », un projet publié en septembre par une association d’officiers retraités et de réservistes israéliens, que le Premier ministre Netanyahou a qualifié de « logique ». Les principaux objectifs de ce plan sont l’encerclement militaire du nord de Gaza, l’interruption de l’aide humanitaire et l’utilisation de la famine comme moyen de pression pour forcer l’évacuation totale de la zone. Chaque Palestinien.ne qui resterait sur place serait qualifié.e d’agent du Hamas et traité.e comme une cible légitime à abattre. Connu également sous le nom de « plan d’Eiland », il porte le nom de Giora Eiland, général de division à la retraite et ancien chef du Conseil national de sécurité d’Israël, qui en a conçu le cadre et a résumé son raisonnement brutal il y a déjà un an dans une interview, en déclarant : « Gaza doit être complètement détruite : chaos terrible, crise humanitaire grave, cris au ciel… ». Cette déclaration s’accompagne des projets du mouvement des colons et de l’extrême droite israélienne de réinstaller Gaza, ouvertement discutés lors d’une conférence le 21 octobre à laquelle ont participé des membres de la Knesset (le Parlement) et plusieurs membres du Likoud (le parti de Nétanyahou) ainsi que des ministres du gouvernement, et qui ont été protégés par l’armée et la police.
Cependant, la faisabilité pratique d’un plan visant à soumettre environ 400.000 personnes à l’horrible ultimatum « partir ou mourir » est une toute autre question. Outre l’attachement indéfectible des Palestinien.ne.s à leur terre, on peut se demander combien de temps les forces d’occupation israéliennes pourront maintenir leur emprise sur le nord de Gaza sans subir des pertes croissantes de la part du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens qui continuent d’opérer dans la région. L’armée israélienne est également confrontée à des contraintes militaires, logistiques et humaines de plus en plus importantes pour soutenir les opérations dans la bande de Gaza, compte tenu des exigences simultanées de l’intensification de la guerre avec le Liban – qui nécessite d’importants déploiements de troupes – ainsi que de la possibilité d’une escalade de la guerre à l’extérieur.
L’assaut s’étend au Liban
Malgré les affirmations publiques du contraire, plus d’un an après le début de la guerre, le gouvernement de Netanyahou n’a toujours pas atteint les objectifs qu’il s’était fixés à Gaza. Par exemple, moins de 7 % des otages israéliens libérés ont été récupérés par la force militaire. Les célébrations triomphalistes de l’establishment israélien à l’occasion de l’assassinat des dirigeants du Hamas, Ismail Haniyeh et plus récemment Yahya Sinwar, ne peuvent occulter la réalité : le Hamas, bien qu’ayant subi des pertes militaires significatives en hommes et en matériel, est loin d’être « éliminé ». L’affirmation du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, selon laquelle le Hamas est effectivement démantelé en tant que force de combat à Gaza – reprise la semaine dernière par le secrétaire d’État américain Antony Blinken – ne correspond pas aux faits. Outre le fait que ce récit contredit clairement la propagande de l’État israélien, qui continue d’imputer au Hamas la responsabilité de la quasi-totalité pertes civiles palestiniennes massacrées par les bombes de Tsahal, le groupe conserve objectivement une capacité et une volonté de se battre. Dans un contexte pratiquement dépourvu de forces de résistance de gauche, la spirale d’atrocités du régime israélien devrait également aider le Hamas à reconstituer ses rangs au sein d’une nouvelle génération de Palestinien.nes. Sur le plan politique, les résultats du dernier sondage effectué par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages au début du mois de septembre montrent que si le soutien au Hamas a légèrement baissé, il reste le plus élevé par rapport à toutes les autres factions palestiniennes, tant à Gaza qu’en Cisjordanie occupée.
Confronté à une impasse stratégique, Nétanyahou s’est retrouvé sous la pression des factions les plus extrémistes et ultranationalistes de son propre cabinet, qui l’ont incité à poursuivre l’escalade de la guerre. Il cherchait aussi désespérément à détourner l’attention de ses propres vulnérabilités politiques et des critiques intérieures croissantes concernant sa conduite de la guerre. Ces critiques ont culminé, début septembre, avec des manifestations historiques dans tout Israël et une grève générale de courte durée déclenchée par la fédération syndicale Histadrut, qui a cédé à la pression massive de la base – à laquelle ont participé des travailleurs d’origine juive, arabe et autre, exigeant un « accord immédiat ».
Encouragé par les facteurs susmentionnés et sentant une opportunité dans la faiblesse évidente de l’actuelle administration Biden, Nétanyahou a opté pour une fuite en avant imprudente, appuyant sur l’accélérateur de la guerre au Liban. L’explosion meurtrière de bipeurs et d’appareils de communication piégés dans une opération de terrorisme d’Etat à travers le Liban à la mi-septembre a simplement servi de prélude aux « Flèches du Nord », une offensive militaire israélienne aérienne et terrestre brutale de plus grande envergure sur le Liban. Les affirmations du régime israélien selon lesquelles ce nouvel assaut ne vise que le Hezbollah sont manifestement fausses. Il a attaqué sans discrimination des hôpitaux, des zones résidentielles, des postes frontières, des équipes de la Croix-Rouge et de la protection civile, des agriculteurs, des bergers, des journalistes et même des forces de « maintien de la paix » de l’ONU. Les infrastructures essentielles – eau, électricité, communications – ont été délibérément prises pour cible, de même que les bâtiments gouvernementaux, les monuments culturels et les sites historiques. L’offensive a tué plus de 2.600 personnes à ce jour et en a déplacé environ 1,2 million, forçant plus d’un.e habitant.e du Liban sur cinq à quitter son foyer.
L’offensive de l’armée israélienne au Liban semble en partie reposer sur l’idée de terroriser et de saper la base sociale du Hezbollah. Attiser les flammes sectaires au sein de la population libanaise pourrait bien être un élément intentionnel de cette stratégie, alors que les Libanais.es majoritairement chiites sont contraints de fuir le sud vers des régions majoritairement sunnites, druzes et chrétiennes. Ainsi, à la mi-octobre, l’armée israélienne a frappé le petit village septentrional d’Aito, dans le cœur chrétien du pays, loin des principales zones d’influence du Hezbollah dans le sud et l’est du Liban, mais où étaient accueillies les personnes déplacées à l’intérieur du pays en provenance des régions à majorité chiite. Vingt-deux personnes ont été tuées dans l’attentat.
L’assassinat de Hassan Nasrallah, leader historique et très en vue du Hezbollah, à la fin du mois de septembre, ainsi que l’élimination de la plupart des hauts commandants militaires de l’organisation, ont incontestablement porté un coup au Hezbollah. Ces actions, ainsi que les attaques de bipeurs et de talkies-walkies ont également mis en évidence de graves failles de sécurité au sein de la structure du groupe. Sur le plan politique, elles ont permis à Nétanyahou de rehausser temporairement son prestige sur le plan intérieur. Son parti, le Likoud, est remonté d’un niveau historiquement bas pour prendre la tête des sondages d’opinion nationaux.
Toutefois, les limites de cette tendance sont déjà visibles. Des sondages récents montrent également qu’une majorité de la population israélienne souhaite une élection anticipée et la coalition de Nétanyahou serait incapable de former un gouvernement lors d’élections hypothétiques, l’un des deux partenaires de la coalition d’extrême droite risquant de perdre tous ses sièges au parlement. Sur le champ de bataille, le Hezbollah reste un adversaire redoutable. Par rapport à sa guerre de 2006 contre Israël, l’organisation a considérablement renforcé ses capacités de combat, en grande partie grâce à des années d’expérience aux côtés des forces du régime réactionnaire d’Assad en Syrie. Le Hezbollah dispose d’un vaste arsenal de missiles et de roquettes guidés avec précision ; bien que certaines parties de cet arsenal aient été dégradées lors des récentes frappes aériennes israéliennes, il est toujours capable d’atteindre presque n’importe quelle cible en Israël – comme l’a récemment souligné une frappe de drone visant la luxueuse villa privée de Netanyahou dans la ville côtière de Césarée. En outre, le groupe peut compter sur des dizaines de milliers de combattants aguerris, endurcis par une guerre de longue haleine. Bien que les médias ne s’accordent pas sur le nombre exact de victimes militaires israéliennes au Liban, il est largement admis que les pertes de ces derniers jours ont été les plus lourdes jamais infligées par le Hezbollah, qui mène un combat acharné sur le terrain – tout en faisant pleuvoir des tirs de roquettes de l’autre côté de la frontière, dont certains ont fait des victimes civiles. L’idée initiale et déclarée de l’armée israélienne d’une « opération ciblée et limitée » au Liban pourrait facilement se transformer en son contraire.
Croire qu’Israël a ouvert ce nouveau front – aux dépens du peuple libanais – pour assurer une « sécurité » et une « paix » durables à sa propre population est une illusion cruelle qui s’effondrera bientôt sous le poids de la réalité. Sans parler du fardeau que la guerre et la spirale des dépenses militaires font peser sur l’économie israélienne, ce qui, comme l’a noté « The Hindu », « oblige à faire des choix difficiles entre les programmes sociaux et l’armée ». Cela exacerbera les tensions sociales et approfondira les contradictions au sein de la société israélienne.
L’armée israélienne bombarde l’Iran
Tragiquement, le potentiel destructeur de ce conflit pourrait encore se déployer, car la dynamique engagée risque de l’entraîner dans quelque chose de bien plus grave. Ce que le régime israélien cherchait à obtenir, sans y parvenir, par le biais des accords d’Abraham – à savoir un changement à long terme de l’équilibre régional des forces en sa faveur vis-à-vis de l’Iran et des groupes soutenus par l’Iran, ainsi que la mise à l’écart de la question palestinienne et la normalisation et le renforcement de son régime d’occupation – il tente à présent de l’obtenir par une campagne de mort et de destruction. Cette logique conduit le gouvernement de Nétanyahou sur la voie d’une confrontation avec Téhéran.
Alors que le gouvernement génocidaire de Tel-Aviv multiplie les provocations – il a bombardé, le Yémen, la Syrie, le Liban et Gaza en l’espace de 24 heures en septembre – le régime iranien cherche à maintenir une stratégie d’escalade « contrôlée » et « calculée », marchant sur un fil entre le fait de se poser comme une ligne de front clé dans « l’axe de la résistance » contre le régime israélien tout en évitant consciemment des actions qui pourraient déclencher une guerre à grande échelle. Cette prudence ne découle pas d’une position de force, mais de la crainte des retombées politiques, sociales, économiques et militaires qu’un tel scénario entraînerait, d’autant plus que le pays a été confronté à des éruptions périodiques de mécontentement interne massif au cours des dernières années. Pourtant, le lancement par l’Iran de 200 missiles balistiques en direction d’Israël à la suite de l’assassinat de Nasrallah, qui a tué un civil (un Palestinien dans la ville de Jéricho, en Cisjordanie), a été immédiatement exploité par les responsables israéliens comme prétexte pour menacer de représailles punitives. Dans la foulée, le Pentagone a envoyé en Israël son système de défense antimissile le plus avancé, accompagné d’une centaine de personnes chargées de le faire fonctionner. Il s’agissait du premier déploiement officiel de troupes américaines sur le terrain depuis le début du génocide à Gaza, et d’un « exemple opérationnel du soutien sans faille des États-Unis à la défense d’Israël », selon le secrétaire américain à la défense, Lloyd J. Austin.
Présentée comme une mesure défensive, l’attaque israélienne, orchestrée en tandem avec Washington, est intervenue le 26 octobre et a pratiquement représenté une offensive. Elle visait les sites de fabrication de missiles et de drones iraniens, ainsi que les défenses aériennes. Bien que les installations nucléaires et pétrolières – cibles auxquelles l’administration Biden s’est publiquement opposée – ont été épargnées, il n’est pas certain que d’autres frappes suivront. Même isolée, cette première attaque militaire israélienne ouvertement reconnue contre l’Iran comporte le risque de déclencher une réaction en chaîne plus large.
La danse hypocrite de l’impérialisme
Les timides tentatives de la Maison Blanche de mettre le pied à l’étrier pour éviter un conflit total avec l’Iran en plaidant pour des frappes aériennes relativement “limitées”, combinées à son insistance renouvelée sur la nécessité d’un cessez-le-feu à la suite de l’assassinat de Yahya Sinwar, dissimulent mal le rôle instrumental que l’impérialisme américain a joué tout au long de l’année écoulée dans la préparation de cette situation explosive et dans la facilitation matérielle, politique et diplomatique du génocide à Gaza. De nouvelles données de l’agence de surveillance d’Al Jazeera, Sanad, révèlent l’ampleur stupéfiante de l’implication américaine et britannique dans les opérations militaires d’Israël entre octobre 2023 et octobre 2024. Ces données font état de pas moins de 6.000 vols militaires au-dessus de la région, soit une moyenne de 16 par jour, dont 1 200 vols de fret livrant des armes à Israël, ainsi que des missions de reconnaissance, du ravitaillement en vol et d’autres formes de soutien.
Néanmoins, les prétendues « contraintes » de l’administration Biden concernant l’attaque d’Israël contre l’Iran, sa capitalisation sur la mort de Sinwar pour plaider à nouveau en faveur d’un cessez-le-feu – bien que le Premier ministre israélien ait ostensiblement fait savoir qu’il ne voyait pas les choses de cette manière – ainsi que ses menaces – largement inconséquentes – de geler l’aide militaire si le régime israélien ne levait pas les restrictions sur l’aide humanitaire à Gaza dans les 30 jours, trahissent toutes de réelles inquiétudes dans les cercles dirigeants américains. Ces efforts timides pour freiner les manœuvres de guerre les plus extrêmes de Nétanyahou ne sont pas motivés par des considérations morales, mais par l’indignation publique massive et la réaction brutale contre les actions du régime israélien, par des calculs électoraux cyniques (un récent sondage a montré que les Américains d’origine arabe préfèrent légèrement Trump à Harris) et par le spectre d’une déstabilisation beaucoup plus importante de la région. Washington hésite certainement à s’engager dans une guerre à grande échelle avec l’Iran, sachant que cela pourrait exacerber le sentiment anti-américain et causer des ravages sur les marchés pétroliers et l’économie mondiale dans son ensemble. Préoccupé par l’intensification de sa rivalité stratégique avec la Chine, l’establishment politique américain – démocrates et républicains confondus – préférerait réduire son empreinte au Moyen-Orient plutôt que de l’aggraver. Toutefois, paradoxalement, si un tel conflit devait éclater, l’impérialisme américain passerait probablement en mode réactif, contraint de renforcer son soutien au régime israélien de peur que toute manifestation de faiblesse n’enhardisse ses rivaux régionaux et mondiaux. Dans le contexte de la « nouvelle guerre froide » (c’est-à-dire la bataille pour l’hégémonie mondiale entre les deux principales superpuissances que sont les États-Unis et la Chine), le président qui occupera la Maison Blanche favorisera objectivement l’affaiblissement de l’Iran et des puissances impérialistes qui lui sont associées, à savoir la Chine et la Russie.
Quoi qu’il en soit, les gestes actuels de l’administration américaine ne signalent aucun changement significatif dans la politique des États-Unis. Le soutien de Washington à Israël reste profondément ancré dans des impératifs géostratégiques, qui ne peuvent être modifiés par la seule rhétorique. Seuls des mouvements d’envergure venant d’en bas, y compris des développements majeurs de la lutte des classes, pourraient exercer la pression de masse nécessaire pour perturber cette alliance bien ancrée.
Dans l’état actuel des choses, alors que Biden peut occasionnellement déclarer qu’il y a trop de victimes civiles, il continue d’armer Israël jusqu’aux dents. De même, le Premier ministre britannique Keir Starmer affirme que “le monde ne tolérera plus d’excuses de la part d’Israël » – ce même Starmer qui a déjà justifié le droit d’Israël à couper l’eau et l’électricité à Gaza. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau fustige le régime indien de Narendra Modi pour ses exécutions extrajudiciaires en territoire étranger, mais garde un silence complice lorsqu’Israël commet des actes similaires à Gaza, au Liban ou en Iran. Modi, quant à lui, parle de « diplomatie de la paix » tout en soutenant le gouvernement de Nétanyahou par le biais de contrats d’armement impliquant des entreprises indiennes, en facilitant l’envoi de travailleurs indiens en Israël et en s’abstenant sur les résolutions de l’ONU appelant à un cessez-le-feu ou condamnant l’occupation et les crimes de guerre d’Israël. Le président turc Erdoğan a beau s’insurger contre les bombardements d’Israël, il ordonne la même semaine plus de 40 frappes aériennes sur le nord et l’est de la Syrie, tuant des dizaines de civils. Quant à Macron, un ancien fonctionnaire français cité par Politico décrit son approche hésitante : « Lorsqu’il parle aux pays émergents, il est pro-palestinien ; et lorsqu’il parle à Netanyahou, il ne pense qu’à la sécurité d’Israël. » Son récent revirement vers une rhétorique plus ferme à l’encontre de certaines politiques de Nétanyahou semble coïncider avec l’invasion israélienne du Liban, un pays que l’impérialisme français continue de considérer comme faisant partie de son arrière-cour.
Cette hypocrisie éhontée met à nu la faillite morale des dirigeants capitalistes mondiaux de tous bords. Leur indignation sélective révèle que les condamnations de la violence ne sont rien d’autre que des outils de commodité pendant que le massacre se poursuit. La fin de ce massacre ne viendra pas des hautes sphères du pouvoir, mais d’une résistance généralisée et organisée à l’échelle internationale, forçant une rupture dans le système qui permet et facilite ces crimes.
Arrêter le génocide, arrêter la machine de mort de l’État israélien – Combattre l’ensemble du système par une action de masse
Le peuple palestinien, ainsi que tous les travailleurs et opprimés vivant au Liban et dans la région, ont besoin de notre solidarité inébranlable. Nous devons appeler à l’arrêt immédiat du déchaînement sanglant du régime israélien dans la région et au retrait total de ses forces d’occupation du Liban, de Gaza et de la Cisjordanie occupée. Les États-Unis et la plupart des dirigeants occidentaux plaident en faveur d’un cessez-le-feu centré sur la libération des otages israéliens toujours détenus à Gaza. Pourtant, non seulement ils restent indifférents au sort des milliers de prisonniers palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes, mais ils ont également apporté leur soutien au cabinet de guerre de Nétanyahou, qui a méthodiquement saboté toutes les possibilités de cessez-le-feu, tout en exploitant sans ménagement le sort des otages pour accélérer son agenda sanglant. Le chahut récent de Nétanyahou par les familles endeuillées des otages lors de son discours au cours d’un rassemblement de commémoration des victimes du 7 octobre à Jérusalem est un signe certain de l’indignation croissante de l’opinion publique face à ces manœuvres cyniques.
Il est évident qu’aucun cessez-le-feu véritable et durable ne peut avoir lieu dans des conditions de siège et d’occupation militaire. En l’état actuel des choses, nous défendons le droit inaliénable des masses au Liban et dans les territoires palestiniens occupés de résister à l’agression militaire permanente d’Israël, y compris par les armes. Une résistance armée reposant sur des bases de masse et liée au contrôle démocratique de la population, cherchant à unir les travailleurs et les opprimés à travers les diverses confessions et communautés nationales, et intégrant les revendications de libération nationale avec les revendications de transformation économique et sociale radicale, serait le meilleur moyen d’y parvenir.
La résistance contre ce génocide doit s’attaquer à ses racines fondamentales. Cela signifie mener une lutte politique sans compromis non seulement contre le colonialisme et le racisme de l’État israélien, mais aussi contre le système capitaliste et impérialiste qui les soutient. Cette lutte doit aller de pair avec la construction d’organisations socialistes indépendantes capables d’organiser la classe ouvrière et tous les opprimés autour d’un tel programme. Elle doit s’éloigner des capitulations des partis pro-capitalistes corrompus comme le Fatah, mais aussi des forces islamistes de droite comme le Hamas et le Hezbollah. Même si, dans les conditions actuelles, ces forces bénéficient d’un soutien important, les socialistes révolutionnaires doivent s’attaquer aux causes profondes de l’oppression nationale sans succomber à des méthodes politiques réactionnaires qui, en fin de compte, servent à consolider les relations de pouvoir existantes. Il ne peut y avoir de libération pour certains sans libération pour tous : pour réussir, la lutte doit être anti-sectaire, internationaliste, féministe, anti-impérialiste, anticapitaliste et donner la priorité à la participation démocratique de masse – autant de qualités dont ces organisations sont malheureusement dépourvues. De plus, leurs attaques aveugles contre les civils israéliens et leur collaboration avec le régime despotique iranien – celui-là même qui a brutalement écrasé le mouvement « Femme, Vie, Liberté » – contribuent à renforcer la propagande sanguinaire de Nétanyahou et de la bande de bouchers qui font pleuvoir la terreur sur Gaza et le Liban.
Notre lutte doit viser non seulement l’assaut militaire de l’État israélien, mais aussi tous ceux qui le soutiennent, toutes les puissances impérialistes dont les intérêts particuliers font partie intégrante du bain de sang qui engloutit actuellement le Moyen-Orient, et tous les régimes autoritaires et oppressifs de la région – y compris l’Iran et la Turquie – qui se soucient davantage de leur propre richesse et de leur survie politique que du sort des masses palestiniennes.
Ensemble, la complicité effective des régimes arabes dans l’autorisation des actions barbares d’Israël à Gaza et leur perpétuation de la violence d’État et de la misère chez eux, pourraient alimenter un mélange puissant susceptible de déclencher de nouveaux soulèvements dans toute la région. En octobre, le régime égyptien d’al-Sissi a augmenté les prix des carburants pour la troisième fois cette année dans le cadre de « réformes structurelles » plus larges imposées à la demande du FMI –après avoir réduit les subventions pour le pain en juin. Ces politiques ne font qu’accentuer la colère d’une population qui souffre déjà de graves difficultés économiques, tout en voyant leur gouvernement agir comme un facilitateur de facto de l’étranglement du peuple palestinien. « Le deuxième printemps arabe se prépare, sans aucun doute, mais tous les moteurs sont toujours là : la pauvreté, la corruption, le chômage, le blocage politique et la tyrannie », a déclaré Oraib Al Rantawi, directeur du Centre d’études politiques d’Al-Qods, basé à Amman. Bien que les rues du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord semblent actuellement dominées par des sentiments de démoralisation et d’impuissance, les événements horribles qui se déroulent à Gaza et au Liban continuent d’agir comme un catalyseur pour une accumulation moléculaire mais constante de rage de masse et de radicalisation – qui pourrait éclater de la manière la plus explosive et, si elle est organisée efficacement, devenir un puissant levier pour arrêter la spirale de la machine de mort du régime israélien et de ses soutiens impérialistes.
Pendant ce temps, à travers le monde, bien qu’avec des fluctuations et des degrés d’intensité variables, des millions de personnes se sont levées par défi, en manifestant, en boycottant, en faisant grève, en occupant. Des actions menées par des étudiants et des travailleurs universitaires – parfois soutenus par des syndicats, y compris par des grèves comme celle des United Automobile Workers (UAW) aux États-Unis – ont appelé les universités à rompre tous leurs liens avec l’État d’Israël. Ces actions ont permis de démasquer les mensonges de la classe dirigeante – qui a généralement répondu par une violente répression policière contre les campements – et de populariser la question du contrôle démocratique par les étudiants et les travailleurs de la gestion et de l’utilisation des fonds de leurs universités.
Rien qu’à Londres, 300.000 personnes ont envahi les rues à la suite de l’invasion du Liban. Fin septembre, une grève générale de 24 heures « contre le génocide et l’occupation en Palestine » a été organisée dans l’État espagnol à l’appel de plus de 200 syndicats et ONG, accompagnée de manifestations de masse dans tout le pays. C’est la voie à suivre : pour obtenir les résultats les plus tangibles, nous devons frapper au cœur des profiteurs de guerre et des États impérialistes, en ciblant leurs fonctions et leurs profits, et donner un nouveau souffle à l’appel initial des syndicats palestiniens au mouvement ouvrier mondial, appelant à la solidarité contre le génocide à Gaza – et maintenant l’assaut sur le Liban et la poursuite de l’escalade de la guerre dans la région.
Les dockers grecs ont récemment bloqué les livraisons d’armes à Israël, les travailleurs de Google et de Microsoft se sont révoltés contre le partenariat de leur entreprise avec le gouvernement et l’armée israéliens, les travailleurs des hôpitaux parisiens ont manifesté en solidarité avec leurs homologues soumis à un blocus à Gaza, et la campagne « Arrêtez d’armer Israël » s’est poursuivie, aux militants français de « Stop Arming Israel » qui ont distribué des tracts dans plusieurs usines d’armement françaises qui soutiennent le génocide israélien afin de nouer des liens avec les travailleurs de l’industrie, aux appels publics des syndicats français CGT STMicroelectronics et CGT Thales pour que leurs entreprises respectives cessent de faire des affaires avec Israël… ces innombrables actes de solidarité de la classe ouvrière doivent être amplifiés partout où cela est possible, en particulier dans les secteurs stratégiques qui sont au cœur du fonctionnement de la machine de guerre israélienne. Aussi stimulantes que soient ces actions, les syndicats et les organisations de travailleurs du monde entier pourraient et devraient faire beaucoup plus pour mobiliser activement leurs membres, dénoncer la complicité de leurs gouvernements dans les atrocités en cours et libérer toute la puissance de la classe ouvrière par une action de masse audacieuse et coordonnée.
Cette lutte doit également s’étendre aux travailleurs et aux jeunes de l’État d’Israël, en les exhortant à utiliser leur pouvoir et à tirer parti de leur travail pour bloquer la machine de guerre et affronter ce qui est objectivement – même si ce n’est pas encore consciemment reconnu – un ennemi commun. Nous saluons et sommes pleinement solidaires de tous ceux qui, à l’intérieur de la ligne verte, prennent des mesures audacieuses pour s’opposer au régime de Nétanyahou et à l’ensemble des forces politiques qui soutiennent cette guerre d’extermination contre les Palestiniens.
Incontestablement, des contradictions majeures compliquent ce processus. Par exemple, la courte grève générale du 2 septembre s’est produite non pas à cause mais en dépit de la direction de la Histadrout, dont le président nationaliste de droite Bar-David, en décembre 2023, a signé de manière dégoûtante un obus destiné à être utilisé pour bombarder la bande de Gaza, avec l’inscription suivante : “Le peuple d’Israël vit. Salutations de la Histadrout et des travailleurs d’Israël”. La grève a également été soutenue par une partie de la classe capitaliste israélienne, pour ses propres intérêts. Quant au mouvement « Deal now », il a reflété une conscience profondément conflictuelle et contradictoire, et son soutien a été considérablement affaibli par l’attaque contre le Liban. Malgré ces difficultés, la grève et les manifestations « Deal now » ont laissé entrevoir le rôle que les travailleurs israéliens pourraient jouer à l’intérieur de la ligne verte pour soutenir la lutte contre le génocide à Gaza, la guerre au Liban, la violence des colons et des militaires en Cisjordanie occupée, ainsi que la politique du régime israélien en général. Les socialistes révolutionnaires ont pour tâche essentielle d’encourager activement ce processus et de démasquer la rhétorique trompeuse de la sécurité et de l’autodéfense que la classe dirigeante israélienne exploite pour déguiser un agenda qui ne conduit qu’à plus d’insécurité, d’austérité et d’effusion de sang pour toutes les parties impliquées.
En fin de compte, la lutte pour la libération de la Palestine est inséparable de la lutte globale contre le capitalisme, un système axé sur le profit privé qui engendre des guerres, la dévastation de l’environnement et d’obscures inégalités. Dans ce système, les technologies les plus avancées de l’humanité sont exploitées non pas pour améliorer la vie mais pour l’anéantir à une échelle génocidaire, tandis que les appareils les plus perfectionnés permettent de diffuser en direct les actes de violence les plus primitifs et les plus déshumanisants à des millions de personnes. L’urgence d’une transformation révolutionnaire n’a jamais été aussi claire. Il est essentiel de renverser ce système destructeur pour récupérer les immenses richesses et ressources de la société, y compris celles qui sont actuellement canalisées vers le massacre de masse et la ruine de Gaza. Ce n’est que par le biais d’un programme socialiste visant la propriété et le contrôle collectifs des moyens de production et défendant les droits de toutes les communautés nationales et religieuses à la pleine égalité et à l’autodétermination que nous pourrons jeter les bases d’un avenir où la paix, la sécurité et la prospérité seront garanties à tous les peuples.