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Schengen: l’establishment européen à nouveau confronté à une crise institutionnelle
Avec les 12 mois de drames et de chaos humanitaire qui ont jalonné l’année 2015, tous les observateurs s’accordent à dire que nous traversons la pire crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Les dirigeants européens semblent plus incapables que jamais à y trouver une issue basée sur la coopération entre États. Les ingrédients qui ont fait de 2015 un chaos seront encore bien présents pour les mois qui viennent…
Par Baptiste (Hainaut)
Il y a encore quelques mois, la Hongrie passait pour un marginal pestiféré au sein de l’Europe, en prenant la décision de fermer ses frontières et d’y établir des murs de barbelés. Mais ces dernières semaines, de nombreux autres gouvernements européens ont également procédé à un durcissement de leurs politiques d’asile, avec des renforcements des contrôles aux frontières en France et en Allemagne (qui s’était jusque-là revendiquée de manière opportuniste être une terre d’accueil, essentiellement pour des raisons économiques), et une fermeture des frontières, à des degrés divers, pour l’Autriche, la République tchèque, la Norvège, le Danemark et la Suède (historiquement « le bon élève » européen en matière d’asile).
Ces fermetures et contrôles aux frontières s’accompagnent d’une criminalisation des demandeurs d’asile et d’un accroissement de la répression à leur égard. En Autriche et en Allemagne, des contrôles accrus sont réalisés pour « refouler et expulser des réfugiés » si ceux-ci ne sont pas en ordre dans leur démarche administrative. Au Danemark et en Suisse, une mesure contraint à présent les réfugiés à monnayer leurs « séjours » en mettant en gage leurs maigres bijoux, peu importe qu’il s’agisse du peu de valeurs qu’ils aient pu sauver au cours de leur exil. Chaque gouvernement a opéré un véritable virage à droite, y compris dans le chef des gouvernements composés de sociaux-démocrates ! Et la dernière vague d’attentat en Europe et en Turquie ainsi que les évènements du Nouvel An à Cologne n’ont fait que renforcer cette tendance. Comme si confrontés à la décrépitude du capitalisme, ses dirigeants n’étaient plus capables que de faire une fuite en avant dans la répression et l’austérité à défaut de pouvoir proposer un avenir à la population.
Bye-bye Schengen ?
Quelques citations en disent long sur l’atmosphère des dernières semaines. Selon Charles Michel : « Nous devons peut-être adapter Schengen ». Si l’on en croit Sarkozy : « Schengen est mort ». Et quand on prend la peine d’écouter le roi des grossiers merles, Bart De Wever, à l’occasion d’une conférence patronale : « La citoyenneté a été gratuite trop longtemps. Seulement un réfugié syrien sur dix a les compétences pour s’introduire sur le marché du travail (…) Arrêtons la naïveté, il faut durcir la politique migratoire ». Il est aussi intéressant de noter le contraste entre la facilité avec laquelle ces politiciens sont prêts à revoir les « sacro-saintes » règles de Schengen, alors que ceux-là mêmes n’admettaient aucune flexibilité lorsqu’il s’agissait des règles du traité d’austérité ! Leur logique est la suivante : tout pour la défense et la protection des intérêts d’une classe sociale précise, le patronat et les nantis. À partir de là, les règles sont soit malléables à souhait, soit à couler dans le béton.
Les accords de Schengen ont été initiés il y a 20 ans entre les États européens souhaitant faciliter la libre circulation des biens et des personnes entre eux. Ces accords sont devenus une pierre angulaire de la construction de l’Europe en tant que bloc commercial armé d’une monnaie unique. Toutes les mesures restrictives mises en place ces dernières semaines sont des entorses formelles à Schengen ! Après les menaces de Grexit d’il y a quelques mois, l’establishment capitaliste européen n’a pas eu beaucoup de répit et fait face un nouveau risque d’effondrement d’une de ses institutions clés. C’est l’inévitable supplice de Sisyphe d’un système de production dont les fondations sont pourries.
De plus en plus, les contradictions d’intérêts entre États membres de l’UE prennent le dessus sur la coopération. Un seul chiffre suffit à l’illustrer : sur les 160.000 réfugiés à répartir au sein de l’UE, un accord de répartition n’a encore été trouvé que pour …184 personnes ! Comme lors de la crise de la zone euro, les capitalistes chercheront à sauvegarder le plus possible pour éviter une défaite de prestige sur le plan politique, qui aurait également des conséquences sur le plan économique. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a d’ailleurs exprimé clairement le danger que représenterait la mort de Schengen : « un démantèlement de Schengen aurait un effet néfaste sur l’emploi et pourrait même remettre en cause l’union monétaire ».
Les dérogations à Schengen autorisées par la législation européenne permettent la mise en place de mesures extraordinaire pour une durée totale de 6 mois cumulés, ce qui implique une échéance en mai 2016 des mesures actuelles. Ceci dit, les capacités de l’establishment à réaliser des bricolages institutionnels à rallonge allant dans le sens de ses propres intérêts ne sont pas à négliger. Ainsi, depuis 2013, le délai autorisé pour des mesures extraordinaires peut atteindre 2ans « en cas de défaillance d’un État ou de manquements graves liés aux contrôles aux frontières extérieures ». Dans le cas où de telles clauses devraient être activées, nul doute que la Grèce et l’Italie seraient tenues responsables de l’arrivée des réfugiés traversant la Méditerranée.
Parallèlement aux astuces institutionnelles, l’establishment européen épuisera également toutes ses cartouches dans ses filons actuels. Il renforce notamment des dispositifs Frontex et accroit la militarisation aux frontières extérieures de Schengen. Il a également signé un accord pour 3 milliards € avec le gouvernement turc d’Erdogan, qui a pour charge « d’endiguer les flux migratoires vers l’Europe ». Reste à savoir avec quelles méthodes macabres Erdogan tentera de remplir ses objectifs…
Bref, autant de recettes qui permettent à l’Europe de gagner du temps, mais qui n’ont jamais rien résolu, que ce soit vis-à-vis des motifs d’émigration ou concernant la qualité de l’asile.
Les impérialistes sont pieds et poings liés au chaos, nous avons besoin d’une alternative !
L’ampleur de la crise humanitaire que subissent les réfugiés est inestimable. De nombreux pays se sont enfoncés dans les guerres sectaires et l’anarchie : Irak, Lybie, Yémen, Afghanistan, Somalie, … poussant chaque jour des dizaines de milliers de pauvres sur les routes de l’exil. Dans le seul cas de la Syrie, après plus de 4 ans de conflits sectaires, on dénombre 11 millions de personnes qui se sont vues contraintes de prendre la voie de la migration, dans le but de trouver un refuge où survivre. Il est illusoire de croire que les mouvements migratoires se soient terminés avec l’année 2015. Tant que le capitalisme et son escadron de misères, de guerres et d’horreurs existeront, des millions de personnes seront contraintes à l’exil au risque de leurs vies. Les politiques impérialistes – depuis la guerre par milices interposées, à l’exploitation économique, en passant par la militarisation des frontières – portent une lourde responsabilité.
L’Europe n’est en soi confrontée qu’à une moindre proportion des migrations. Néanmoins, dans le contexte de pénuries, d’austérité à tous les niveaux, de précarité et de chômage de masse, cette immigration est un sujet sensible pour de nombreux jeunes et travailleurs et des tensions peuvent apparaitre. Il est indispensable que le mouvement ouvrier organisé s’empare de la scène politique pour exiger des meilleures conditions de vie pour tous. C’est la condition indispensable pour empêcher les populistes et l’extrême droite d’occuper l’espace politique laissé libre et d’instrumentaliser les frustrations et la pauvreté contre des boucs émissaires, pour encore plus diviser les travailleurs entre eux sur des critères secondaires comme la nationalité, la religion, l’ethnie…
Les gouvernements prétendent lutter contre le terrorisme en accentuant la répression et en bloquant les frontières. Mais ils ne font que criminaliser les réfugiés, toujours aussi nombreux à fuir le chaos nourri par les impérialistes. Les capitalistes ne sont plus à même de gérer les complications consécutives au fonctionnement de leur système de production, ce qui est symptomatique d’un système épuisé et en déclin. Organisons-nous autour d’un programme qui défende nos intérêts et pour une société socialiste, une société où les richesses sont profitables à tous et non à 1 % de privilégiés.