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Sans grèves politiques, il n’y aurait jamais eu de démocratie politique
Le gouvernement et le patronat font volontiers appel aux ‘‘valeurs occidentales’’ : la séparation de l’Église et de l’État, ‘‘l’indépendance’’ de la justice, la non-ingérence dans les médias, les institutions démocratiques, etc. On pourrait presque penser que ce sont là des choses innées ou des produits naturels de la logique du ‘‘libre’’marché. Si seulement c’était vrai. En réalité, il a fallu le sang, la sueur et les larmes des travailleurs ainsi que d’innombrables martyrs pour imposer le respect de ces valeurs. Dans ce domaine, l’instrument essentiel fut la grève politique qui fait pourtant bouillir le gouvernement et le patronat.
Par Eric Byl
“‘Mes collègues et moi-même avons été élus parle peuple pour réaliser ce que nous avons promis. Nous allons appliquer l’accord gouvernemental’’,a déclaré le ministre flamand Philippe Muyters (N-VA) en septembre 2014 au quotidien De Tijd. ‘‘Lorsque la SNCB bloque tout, je peux comprendre le recours à l’arme de la grève dans des circonstances très exceptionnelles. Mais je ne peux évidemment pas accepter qu’elle soit utilisée pour des motifs politiques. Une grève n’est pas une arme politique’’, a déclaré le Vice Premier ministre Kris Peeters (CD&V) dans De Standaard suite à la grève de 48h des cheminots en janvier. Que cette grève ait été dirigée contre une décision politique – le plan de la ministre Galant (MR) – où tout au plus les modalités d’applications sont sujettes à la discussion entre la direction et les syndicats, ne l’a pas fait sourciller.
Le Premier ministre de l’ombre, Bart De Wever, n’a-t-il pas proclamé la suprématie du politique? Comme si la démocratie se résumait à colorer un cercle dans l’isoloir une fois toutes les quelques années en donnant au parti élu un mandat qu’aucune force ne pourrait contester. De Wever a emprunté cette vision des choses à son idole, Margaret Thatcher. Elle défendait l’idée qu’il ‘‘n’existe pas quelque chose comme la société’’, seulement des hommes et des femmes, individuellement. En bref, des individus flamands ont existé, mais le mouvement flamand ? Les travailleurs existent, mais le mouvement des travailleurs ? Les idées de Thatcher ne sont en fait qu’une traduction contemporaine de l’interdiction du droit à l’association du XIXe siècle.
Marx a fait remarquer que l’idéologie dominante dans la société est habituellement celle de la classe dirigeante qui n’est massivement remise en question que dans des situations révolutionnaires et pré-révolutionnaires. Si l’on avait demandé aux esclaves s’ils étaient favorables à l’abolition de l’esclavage, neuf fois sur dix, ils auraient répondu par la négative, car ils ne pouvaient imaginer ou oser imaginer une autre manière de vivre. Si, des siècles plus tard, selon les souhaits de l’establishment, le mouvement ouvrier avait accepté la primauté du politique, alors la petite minorité de 5.000 manifestants en faveur du suffrage universel serait restée chez elle en 1850 et n’aurait probablement rien fait, tout comme la majorité silencieuse.
Les réels progrès ne sont survenus qu’avec ce que la social-démocratie allemande a qualifié au tournant de ce siècle-là de ‘‘grève belge’’. C’est suite à une décision du Conseil général du Parti Ouvrier Belge (POB) qu’une grève générale politique a éclaté en 1893 et que 250.000 grévistes ont revendiqué le suffrage universel. Mais en 1902,le dirigeant du POB Emile Vandervelde a utilisé cette primauté du politique pour appeler à fin de la grève générale suite à un vote au Parlement le 18 avril. Ce n’est que suite au contexte international qui suivit la Révolution russe de 1917 que la bourgeoisie n’a plus osé refuser le suffrage universel, mais il s’appliquait alors qu’aux hommes. La grève politique nous a par la suite offert les congés payés (1936) et la semaine des cinq jours (1955). Les grèves générales ne furent ensuite qu’essentiellement défensives.
L’opposition de De Wever, Peeters, Rutten et Cie aux grèves politiques n’est que pure hypocrisie. Ils essayent en réalité de créer la confusion en suggérant qu’un complot du PS se cache derrière les actions syndicales. Ils sont également très sélectifs. Nous n’avons entendu aucun d’eux dire que les grèves et les occupations de places ne devaient pas être des armes politiques lorsque les masses à Kiev ou le mouvement à Hong Kong avaient dressé leurs tentes en face de leurs parlements. Tout comme les élections, les pétitions, les manifestations,les occupations d’entreprises et de places ainsi que les grèves sont des armes politiques légitimes et indispensables à tous ceux qui remettent en question l’ordre établi.