[INTERVIEW] Les politiques migratoires européennes et la situation en Italie

Interview de Marco Verruggio, porte-parole de ControCorrente, section italienne du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

Cette interview a été réalisée par Pietro (Bruxelles) dans le cadre de l'édition 2015 de l'école d'été du CIO.

Marco, quelle est la situation sur les côtes en Italie?

CC_cio_2015Tous le monde se rappelle du naufrage d’un bateau de migrants en mer Méditerranée. La mort de 800 à 900 migrants dans un seul naufrage a braqué les projecteurs du monde entier sur la tragédie humanitaire de dimension incalculable qui se déroule à quelques kilomètres des côtes européennes. C’était il y a quelques mois en mer Méditerranée. Pourtant, malgré son caractère apocalyptique, ce massacre n’a rien d’extraordinaire. Il n’était que le dernier d’une longue série de tragédies annoncées auxquelles sont confrontés des milliers de personnes tous les jours. Pour la plupart, il s’agit de jeunes d’Afrique sub-saharienne et du Moyen-Orient qui tentent de fuir la guerre et la dévastation créée par le capitalisme.

Le caractère «ordinaire» de ces tragédies est démontré par ces données: en 2014, il y avait déjà plus de 3.000 noyés. La mer Méditerranée est, selon une étude de l’Organisation des Nations Unies, la «route» la plus meurtrière au monde.

Ces numéros sans humanité qui cachent tant de vies perdues, des vies de jeunes issus de pays ravagés par la pauvreté et la guerre, démontrent la brutalité du système capitaliste.

Le massacre du 18 avril restera dans l’histoire comme un massacre prédit. Un massacre planifié et prévisible.

Et en Libye?

La destruction du régime de Kadhafi suite à l’intervention militaire de la France et de l’Angleterre, soutenue par Napolitano, le président de la république italienne de l’époque, a détruit l’intégrité territoriale de l’Etat libyen.

L’appareil d’Etat libyen n’existe plus. A sa place, il existe des entités politiques qui se ne reconnaissent pas, dans un contexte caractérisé par l’existence d’une mosaïque complexe de clans et de tribus où sont également actifs des groupes de djihadistes.

La côte libyenne est remplie d’immenses camps de prisonniers qui recueillent des dizaines de milliers de Nigérians, d’Ethiopiens, d’Erythréens, de Somaliens, de Ghanéens et de Soudanais qui vivent dans la pauvreté absolue et en semi-esclavage. Ils sont traités comme une monnaie d’échange pour les profits lucratifs de passeurs.

Ces êtres humaines sont contraints de payer des milliers d’euros pour un voyage vers l’Europe et, dans les mains de ces trafiquants, ils sont utilisés pour le profit des oligarchies locales. Voilà pourquoi les départs à partir de la Libye ont augmenté et vont augmenter dans les prochains mois.

Selon les estimations faites par les ONG actives dans le territoire libyen, dans le pays, il y aurait plus de 1 million de réfugiés prêts à tout faire pour atteindre le continent européen à travers l’Italie.

Quelle est la réaction du monde politique et de l’opinion publique en Italie ?

Ces tragédies ont ébranlé la conscience de millions de personnes à travers le monde et surtout de millions de citoyens italiens vivant tout juste de l’autre côté de la mer Méditerranée. Mais, d’autre part, il y existe un espace pour les idées réactionnaires de la Ligue du Nord qui instrumentalise ces tragédies vers une rhétorique anti-immigrés.

Comme prévu, tous les dirigeants politiques de Salvini jusqu’à Vendola ont profité de l’occasion «gourmande» pour faire parler d’eux en proposant des lectures et des solutions les plus improbables. Considérez les mots du secrétaire de la Ligue du Nord, qui a suggéré de laisser couler les bateaux en mer! Une idée révoltante qui exprime uniquement la misère humaine de ceux qui les prononcent.

Mais au même temps, il ne faut pas tomber dans une rhétorique moraliste sans cacher les vrais responsables de ces tragédies. Les partis au gouvernement et la plupart de l’opposition soutiennent depuis des années la politique internationale de l’UE, y compris le bombardement de la Libye en 2011 qui a contribué à cette situation.

Le vide laissé à gauche laisse croître les idées racistes au sein de la société italienne, déjà affaiblie par des années des crise économique.

Ces derniers semaines, on a assisté à une explosion de rage anti-immigré dans des quartiers populaires de Rome et de Treviso. Les gens étaient en fait instrumentalisés par des groups d’extrême droite comme Casa Pound et Forza Nuova. De plus, les coopératives « rouges » ou contrôlées par la Mafia font d’énormes profits en gérant les appels d’offres des communes pour l’accueil des immigrés.

Quel fut l’impact de l’opération Mare Nostrum et de l’agence Frontex?

Le naufrage d’un navire libyen le 3 octobre 2013, à quelques kilomètres du port de Lampedusa, a conduit à la mort de 366 personnes, ce qui avait provoqué une vague de controverse et de pressions politiques nationales et internationales, ce qui a incité le gouvernement dirigé par Enrico Letta à prendre des mesures pour prévenir la récurrence d’événements similaires.

Sous la pression de l’opinion publique, du Vatican et des secteurs de l’Union européenne, le gouvernement Letta a décidé de lancer l’opération Mare Nostrum le 14 octobre 2013. L’objectif principal était d’ordre humanitaire et le sauvetage en mer de migrants. Au cours d’un an environ, Mare Nostrum a permis 558 interventions et le sauvetage en mer de plus de 100 milliers de migrants.

Malgré son succès, l’opération a été annulée à cause des nombreuses coupes dans les dépenses publiques et a été remplacée par Frontex, qui inclut le contrôle des frontières et une limitation de sauvetage en mer.

Quelle est la position de ControCorrente?

Pour prévenir de nouvelles catastrophes il y un besoin vital de rétablir immédiatement une opération de sauvetage international en mer dans les eaux internationales et, si nécessaire, dans les eaux nationales de Libye.

L’aide doit être garantie à tout être humain. Toute considération de la politique sur l’immigration ne peut pas ignorer cela. La bourgeoisie italienne n’est pas prête à payer la totalité des coûts résultant de la réintroduction d’une opération telle que Mare Nostrum et demande le soutien de l’UE. D’autre part, il est clair que ces coûts ne peuvent pas être compensés par de nouvelles coupes dans les dépenses sociales et via l’augmentation des taxes sur les travailleurs et la classe moyenne italiens. Il faut éviter de semer la division entre les travailleurs et les migrants. Mais il est clair que le caractère de classe de l’Union européenne ne peut persister que si elle exige des sacrifices et plus d’austérité, comme en Grèce.

Toutes les solutions des politiciens italiens et européens – le soutien au gouvernement «légitime» de Tobrouk, l’envoi d’une force de maintien de la paix en Libye, le blocus naval de la Méditerranée, l’ouverture les centres de tri sur le sol libyen, le naufrage des barges avec la couverture de l’ONU – ont une viabilité douteuse, qui prouve l’impossibilité totale pour les politiciens européens à affronter les grands défis de notre temps.

La rhétorique vide de la politique au cours des dernières années se confronte à la solidarité spontanée des résidents désintéressés à Lampedusa, Palerme et Catane. C’est la meilleure réponse à ceux qui, parmi les nombreux membres de la caste politique, exploitent cyniquement ces événements en profitant honteusement des tragédies. Mais la solidarité et la générosité des citoyens italiens ne sont pas suffisantes pour prévenir ces tragédies. Il faut changer de système.

En conclusion: il y a un problème immédiat qui est de ne pas laisser des milliers de personnes mourir, et cela doit être résolu par la mobilisation de tous les moyens disponibles.

Mais dans le cadre de l’économie capitaliste, de la spéculation sur le prix des matières premières, de la misère et de conflits alimentés par l’impérialisme occidental (y compris italien), le phénomène de l’immigration de masse est inévitable et généralisée. Puisque vous ne pouvez pas encercler de barbelés l’Europe, la solution au problème doit être politique.

Seule une société libre de la pauvreté, de l’exploitation du travail et de la guerre sera en mesure de garantir à chaque être humain la liberté de choisir entre vivre avec dignité dans son propre pays et passer à un autre pays sans que personne n’ait à craindre les conséquences de ce choix.

C’est ce que nous appelons une société socialiste. Un premier pas dans la direction de cette société serait une politique claire qui en finirait avec les pratiques qui utilisent notre argent pour financer des transactions louches dans l’ombre des coopératives qui traitent avec les immigrants et avec la «coopération internationale» et le financement d’expéditions militaires à l’étranger en favorisant l’explosion de la migration de masse.

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