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Kurdistan : Les dirigeants du PYD appellent à un partenariat avec le régime de Bachar al-Assad.
N’accordons aucune confiance aux dictateurs et aux puissances occidentales!
La campagne aérienne massive menée par le régime turc d’Erdogan contre les bases du PKK kurde et les réactions subséquentes du PYD (le parti de l’union démocratique), organisation-soeur du PKK au nord de la Syrie, a entrainé d’importantes questions en relation avec la stratégie révolutionnaire, d’une manière plus précise que jamais.
Par Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)
Depuis l’été 2012, le PYD contrôle plusieurs régions à majorité kurde du nord de la Syrie, suite au retrait des troupes syriennes de ces endroits. Le régime de Bachar al-Assad avait ainsi procédé afin de concentrer ses forces armées sur l’avance des groupes armées sunnites dans d’autres parties du pays, permettant ainsi au PYD de remplir le vide.
Ce changement de pouvoir au bénéfice du PYD, une force politique réceptive au sort des masses kurdes, et le contrôle du parti sur ce qui est à présent connu comme le territoire des cantons Rojava, a initié une vague d’enthousiasme au sein de la population kurde, tant en Syrie qu’internationalement. Il s’agissait d’un développement bienvenu pour la majorité des Kurdes qui ont souffert sous le joug de la dictature d’Assad des années durant et qui se sont vus refuser des droits parmi les plus basiques, comme de ne pas pouvoir utiliser leur propre langue en public, par exemple.
Depuis lors, les unités armées du PYD (le YPG et le YPJ) ont suscité l’admiration de millions de de personnes grâce à leur bravoure incontestée au combat contre les actions réactionnaires de Daesh, l’Etat Islamique, et grâce à leurs bataillons de femmes combattantes. Leur tentative déclarée de construire un système alternatif de gouvernance, basé sur l’harmonie entre diverses religions et communautés ethniques, en plein milieu d’une zone de guerre sectaire a également eu un impact galvanisant sur beaucoup de jeunes et d’activistes kurdes et de gauche à travers le monde entier.
Cependant, depuis le début, une zone grise existant concernant l’attitude que prendrait le PYD face au régime d’Assad. Il faut souligner que, durant environ deux décennies à partir de sa création en 1978, l’équivalent du PYD en Turquie, le PKK, a profité d’une coopération avec le régime d’Assad et recevait même des fonds de sa part avant que ce régime ne se retourne finalement contre le PKK. La nature exacte de la relation entre le PYD et le régime d’Assad est restée nébuleuse ces dernières années, mais il est clair que le PYD a préféré éviter toute confrontation avec l’armée syrienne.
Dans certaines partie de Rojava, comme par exemple à Qamishli et Hassakah (deux des villes les plus importantes de la zone), alors que le régime d’Assad a retiré la plus importante partie de son personnel de sécurité, ce dernier a continué de payer les services gouvernementaux, en assurant les salaires des employés d’Etat, en procurant des fonds à l’administration locale et en faisant fonctionner les bureaux administratifs locaux. Le programme scolaire est resté le même que sous le régime d’Assad, les étudiants suivant le cursus approuvé par le parti Baas anciennement au pouvoir.
Au même moment, au fur et à mesure de la croissance de l’Etat Islamique, une collaboration militaire a été établie l’an dernier entre le PYD et l’impérialisme américain. Sans faire de de l’aide militaire en soi une question de principe, particulièrement dans le contexte des tueries perpétrées par les fanatiques de l’Etat Islamique, le CIO (Comité pour une Internationale Ouvrière) a averti des dangers politiques qui se cachent derrière une telle collaboration. Parmi eux se trouve tout spécialement la perception que cela peut entrainer parmi les millions de personnes au Moyen Orient qui ont souffert, et souffrent toujours, des interventions sanglantes de l’impérialisme américain.
« Aucune illusion ne devrait être créée dans le rôle de l’impérialisme occidental, dont les actions ne vont faire qu’empirer les divisions religieuses sectaires (…) L’Histoire du peuple kurde a démontré que les puissances impérialistes et les élites capitalistes ne sont pas amies de la lutte du peuple kurde pour une libération nationale. » (socialistworld.net, ‘Kurdistan : the battle for Kobanê – 02/10/2014).
De manière plus générale, nous avons averti des dangers d’une stratégie basée sur la recherche de la « bienveillance » des puissances capitalistes au lieu de rechercher le soutien de la classe des travailleurs par-delà les frontières, sur base d’un appel clair pour un programme socialiste, basé sur une mobilisation d’indépendance de classe contre ces puissances.
Il n’est pas possible de simultanément essayer de concrétiser la solidarité multi-ethnique et l’émancipation sociale et de coopérer avec des forces qui exacerbent la guerre sectaire dans la région et qui, au travers de leurs actes, conduisent les Arabes sunnites aux mains de l’Etat Islamique.
Nous avons aussi souligné que la « bienveillance » de l’impérialisme occidental et du régime d’Assad envers le PYD était le produit de circonstances plus que de n’importe quoi d’autre : Rojava a bénéficié d’un rapport de forces précaire parce que les élites régionales et occidentales avaient un poisson plus gros à pêcher : l’Etat Islamique.
Cependant, au cours de ces deux dernières semaines, d’importants changements ont pris place, qui peuvent potentiellement altérer cet équilibre précaire. Les États Unis ont décidé de fermer les yeux face à l’escalade des interventions militaires de l’armée turque contre les bases du PKK en Turquie et dans le nord de l’Irak. Ce silence américain a été acheté par Erdogan, qui a offert de permettre aux forces américaines d’utiliser les bases aériennes turques pour bombarder les bases de l’Etat Islamique.
Cette dernière manœuvre démontre, une fois de plus, que l’impérialisme américain utilise le sort et le combat des Kurdes comme des pions et qu’il est prêt à les poignarder dans le dos à la première opportunité. Exhibant son hypocrisie nauséeuse, le gouvernement américain a unilatéralement appelé le PKK à « arrêter la violence » en Turquie, en justifiant comme de « l’autodéfense » les raids intensifs de l’armée de l’air turque contre les cibles du PKK. De nombreux civils sont déjà morts.
C’est dans ce contexte que durant la dernière semaine, plusieurs officiels du PYD basés en Syrie ont affirmé que le gouvernement d’Assad pouvait être considéré comme un collaborateur. Un dirigeant du PYD, Salih Muslim, a même déclaré que « sous de bonnes conditions » le YPG, « peut rejoindre l’armée syrienne ». Idriss Nassa, autre dirigeant expérimenté du PYD à Kobanê, a affirmé que son parti pouvait s’allier avec le régime d’Assad, « s’il se dévoue à un avenir démocratique ».
En prévision du fait que ses relations avec les Américains pourraient être mises à rude épreuve à la suite des récents événements en Turquie, la direction du PYD tente provisoirement de se réorienter vers Assad, désespérée, semble-t-il, de ne pas vouloir parier sur un seul cheval.
La lutte du peuple de Rojava doit sécuriser le soutien populaire dont il a un besoin critique, au-delà des divisions sectaires et des frontières de Rojava. Dans cette optique, l’approche de la direction du PYD est une stratégie vouée à l’échec. Ces appels en direction d’Assad ne passeront pas bien auprès des millions de personnes qui souffrent sous les bombes d’Assad ou qui sont torturés par les milices shabiha (milices en tenue civile aux ordres du parti Baas). Au sein de la communauté kurde elle-même, nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié que le régime d’Assad a, avant la guerre, violemment opprimé les Kurdes et a nié leur identité pendant des décennies en Syrie.
Le socialiste américain John Reed, a déclaré un jour que « quiconque prend les promesses de l’Oncle Sam comme vérité les payera en sang et en larmes». Les Kurdes l’ont appris de la manière forte, à de nombreuses reprises. Ces propos de John Reed au sujet de « l’Oncle Sam » valent également pour les régimes sectaires et autoritaires pro-capitalistes tels que celui d’Assad. Si Assad remporte la victoire, il ne fait aucun doute qu’il retournera sa brutalité contre les Kurdes. Que feront alors les dirigeants du PYD ?
Ce ne serait pas faux en soi d’essayer d’exploiter les divisions entre les différentes forces dirigeantes afin de renforcer la lutte des masses. Mais qu’importe la tactique, elle doit être subordonnée à une stratégie claire, avec l’objectif conscient d’exposer les ennemis pour ce qu’ils sont à chaque étape, sans se nourrir d’illusions quant à leurs intentions. Les socialistes défendent la mobilisation indépendante des travailleurs comme premier facteur de changement. Malheureusement, les dirigeants du PYD ont une approche totalement différente de la politique.
Ils ont une politique à court terme basée sur le fait de balancer entre les différentes puissances capitalistes, qui toutes ont déjà démontré leur dédain pour les masses kurdes. Ceci représente une erreur majeure et un obstacle objectif afin de construire une solidarité non-sectaire entre les populations exploitées en dehors de Rojava, que ce soit de par le régime d’Assad ou bien des forces de l’air Américaines. Ceci risque d’exacerber les tensions sectaires dans la région.
Seule une stratégie qui a comme but un programme consistant pour une unité de la classe des travailleurs et pour des droits démocratiques pour tous les peuples de la région, sans la moindre confiance envers les puissances impérialistes et les dictateurs de la région, représente une issue face à la catastrophe actuelle.