Sri Lanka : Interview de Siritunga Jayasuriya

Par Geert Cool

De par la présence d’une population tamoule dans notre pays, l’actualité au Sri Lanka y a suscité un plus grand intérêt pour les militants de gauche et les défenseurs des idées du socialisme. Presque 10 ans après le tsunami dévastateur qui a provoqué des milliers de morts et presque cinq ans après la fin meurtrière de la guerre civile longue de plusieurs décennies qui a fait rage dans le pays, le régime du président Rajapakse commence à montrer ses premières fissures. Nous en avons parlé avec Siritunga Jayasuriya, secrétaire général d’United Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Sri Lanka et parti-frère du PSL.

Dix ans après le tsunami et cinq ans après la fin officielle de la guerre, le gouvernement de Rajapakse parle d’une forte croissance économique et de prospérité. La situation est-elle vraiment meilleure pour le commun de la population ?

Siritunga: “Une partie importante de la population qui a, à l’époque, été touchée par le tsunami en supporte encore les conséquences aujourd’hui. Presque 10 à 15 % des victimes de l’époque éprouvent toujours des problèmes consécutifs au tsunami. C’est particulièrement le cas dans l’est du pays, dans et autour de Pottuvil et dans d’autres villes de l’est. Beaucoup n’ont toujours pas de maison et vivent dans des centres d’accueil temporaires. Après le tsnunami, il y a eu beaucoup de soutien de l’ouest mais il n’y a pas eu de plan pour aider les victimes. Lors de la reconstruction, beaucoup d’argent a disparu et il y a eu de la discrimination surtout vis-à-vis de la population de l’est.

“Le gouvernement dit que maintenant, tout va bien et qu’il y a une croissance économique. Mais ce soi-disant développement économique ne bénéficie pas à la plus grande partie de la population. Il y a des travaux d’infrastructure, mais quelles sont les priorités ? Les grands prêts de la Chine sont utilisés pour servir le planning du président et de sa famille pas pour la population.

“Prenez Hambantota, le district dont Rajapakse est originaire. On y a construit un nouveau port maritime, un nouvel aéroport, un nouveau stade,… qui ont d’ailleurs tous été appelés comme Rajapakse. Mais dans le port, il n’y a pas de bateaux, au stade, pas la moindre équipe de cricket. On dépense beaucoup d’argent et le rêve de Rajapakse était de concurrencer Singapour. Mais pourquoi construire un nouveau port à une distance relativement courte des ports existants de Galle et de Colombo ? Les facilités ne sont pas adaptées et la réexpédition de navires depuis Colombo coûte plus cher au pays et à la communauté. La population n’en tire aucun avantage, seul compte le prestige du président et de sa famille.

“Alors que le gouvernement augmente les taxes sur les biens de base comme les oignons et les pommes de terre, ce qui crée des problèmes à la population, la taxe sur les voitures de sport de luxe a été supprimée. Le fait que le fils du président se ballade volontiers en Lamborghini n’y est pas étranger. Cela résume bien le projet du gouvernement et pourquoi le mécontentement augmente.

“Lors des élections provinciales, ce mécontentement croissant a été vérifié. Le gouvernement a perdu et cela l’inquiète. Il y a un peu de confusion sur ce qui va se passer maintenant. Nous en saurons certainement plus le 1er mai. Alors, tous les partis organiseront des activités et des marches dans le pays. Même le gouvernement le fait et profite de l’occasion pour faire des déclarations.”

Malgré le mécontentement croissant, l’opposition officielle ne semble pas bien s’en tirer. L’UNP (United National Party) de droite a à peine progressé. Comme cela se fait-il ?

Siritunga: “L’UNP est un parti capitaliste pro-occidental qui n’a aucun progrès à offrir à la population. En fait, le programme de l’UNP est aujourd’hui exécuté par ce gouvernement, c’est un programme de réformes néolibérales. Le manque d’alternative proposée par l’UNP met le parti en crise et le fait stagner. Lors de ces élections, le dépérissement a stoppé mais il n’y a pas eu de progression.

“Le fait que le gouvernement ait maintenant peu de soutien même à Colombo a constitué un nouveau facteur lors de ces élections provinciales. Le fait que le gouvernement avait peu de soutien dans le nord et l’est n’était pas nouveau. Mais maintenant, les Tamouls et les musulmans dans la capitale ont massivement voté contre le gouvernement. Aucun des candidats tamouls ou musulmans de la coalition gouvernementale n’a obtenu de siège. Cela indique une forte méfiance à l’égard du gouvernement. A Colombo, un parti tamoul, le Democratic People’s Front (DPF) de Mano Ganeshan, a obtenu un bon résultat et deux élus. Ce parti comporte des éléments de gauche, le bon résultat obtenu exprime principalement le fait que les Tamouls de la capitale voulaient voter pour un parti tamoul.

“Cinq ans après la fin de la guerre, ces élections ont clairement démontré que les trois grandes communautés du pays, la majorité cingalaise et les minorités tamoule et musulmane prennent chacune leur voie. Il n’y a pas de plus grande unité nationale comme le prétend le gouvernement tout au contraire. Cela ne s’est pas exprimé par les armes mais via l’isoloir. Le système capitaliste n’est pas à même de construire l’unité.”

Une résolution des Nations Unies à Genève exige une enquête internationale sur les crimes de guerre au Sri Lanka. Le gouvernement de Rajapakse y a réagi très négativement. Est-il question de conciliation ?

Siritunga: “Le gouvernement essaie de créer un nouveau spectre LTTE (Tigres de libération de l’Îlam Tamoul). Pour les élections provinciales, une rhétorique anti-impérialiste d’opposition aux USA a été utilisée. Cela n’a pas fonctionné. Maintenant, on recourt à nouveau à la division nationale en mettant en avant un danger de terrorisme.

“Une majorité de la population ne veut absolument pas de retour à la guerre. Même les Tamouls ou les musulmans ne le veulent pas. Personne ne veut le retour de la guerre. Mais si le problème persiste et que les minorités n’obtiennent pas de droits et de libertés, un retour à la violence n’est pas exclu à l’avenir. La population tamoule au nord et à l’est ne veut pas la guerre, elle veut diriger sa propre province et disposer de la liberté. La présence militaire et la répression menée au nord conduisent à de nouvelles frustrations.”

Quelles réponses l’United Socialist Party met en avant ?

Siritunga: “Sur les 66 ans d’indépendance, tant la coalition gouvernementale autour SLFP que l’UNP ont chacun détenu le pouvoir pendant 33 ans. Ils ont démontré qu’ils n’apportent aucune solution aux problèmes socio-économiques et à la question nationale. Beaucoup d’argent a été consacré à la guerre et il y a de l’argent pour le développement mais pour les besoins sociaux de la majorité de la population, il n’y a rien.

“Il faut un gouvernement de travailleurs et de pauvres. Pour y parvenir, nous devons unifier le mouvement ouvrier et la gauche. Il y a pour l’instant des centaines de syndicats. Rien que pour le rail, il y en a 50. L’USP défend l’idée d’une convention nationale de représentants élus des syndicats pour décider d’actions à mener. Les dirigeants syndicaux actuels sont une entrave à l’aboutissement d’une telle convention démocratique nationale.

“Nous devons, nous les partis de gauche, lutter ensemble contre le capitalisme. Dans la crise à venir, l’USP jouera un rôle actif. Notre participation électorale en était les prémices. Sans publicité, nous avons obtenu 605 voix à Galle et 739 à Kaluthara. Dans la période à venir, nous continuerons à discuter avec la population et à construire une alternative socialiste. Une gauche unie dans la lutte contre le néolibéralisme et pour le socialisme nous renforcerait.”

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