« Horizon Belgique 2030 » La vision d’avenir du patronat ? Un catalogue des horreurs

Image tirée du film “Le Carnaval des âmes”, 1962.

Et si on laissait le clown tueur du film « Ça » s’occuper d’une garderie ? La comparaison saute à l’esprit en lisant la « vision pour un avenir meilleur pour la Belgique » développée par la Fédération des entreprises belges (FEB), la puissante organisation de défense des intérêts patronaux. Ce projet, lui, n’est par contre pas destiné à rester une fiction tant « le Gouvernement danse comme la FEB siffle », comme le rappelait encore ce début d’année la FGTB.

La « SA Belgique »

Le plan de la FEB s’arcboute autour de quatre défis majeurs nécessitant autant de « révolutions » : le ralentissement de la croissance et de la productivité, le changement climatique, le vieillissement de la population et les dépenses publiques et enfin la tendance à la démondialisation et ses conséquences sur l’économie belge. On y trouve du blabla sur l’économie circulaire et pas mal de belles tournures de phrases, mais le concret glace le sang.

La FEB considère la Belgique comme une « société anonyme », la forme de société favorite des grandes entreprises toutes entières dévolues aux désirs des actionnaires. Elle entend soumettre le pays à la rentabilité à tout prix. Le déclin de la biodiversité n’y est abordé que parce que celle-ci est « combien importante pour notre économie ». Et l’enseignement ? La FEB loue le statut d’étudiant-entrepreneur, les écoles primaires et secondaires qui « mènent des projets sur l’entrepreneuriat » (!) et propose que des plateformes de concertation entre écoles et entreprises soient mises en place au niveau local, et même d’envoyer les enseignants en « stage de découverte » en entreprise ! « Les cloisons entre l’enseignement initial et le marché du travail doivent être éliminées », dit la FEB, et tout le reste de son projet est du même acabit : faire de la dictature du marché l’alpha et l’oméga de l’existence de tout un chacun.

Une des pierres angulaires est de s’attaquer à la « forteresse » du marché du travail autour d’un système de sécurité sociale « activateur » par la limitation des allocations de chômage dans le temps, la suppression des systèmes de retraite anticipée et l’instauration d’un malus sur la pension de celles et ceux qui arrêtent de travailler avant 67 ans, le retour de la pension à points, la révision du droit du licenciement et la fin de la « protection rigide des travailleurs conduisant à une cage dorée », la fin de la loi de 1971 réglementant les horaires de travail pour assurer une flexibilité maximale, une « vision différente de la maladie » qui repose sur la remise forcée au boulot des malades de longue durée, etc.

Du côté patronal, il est question, entre autres, de la diminution des cotisations versées par les patrons à la sécurité sociale de 25% à 20% (elle était encore de 33% avant le gouvernement Michel) et d’une multitude d’avantages fiscaux sur fond de révision les modes de sanction « souvent disproportionnés » pour fraude fiscale.

Des investissements publics au détriment des services publics et de la Sécu

La crise de 2020 a imposé la nécessité de divers plans de relance et il a de nouveau été permis de parler d’investissements publics, mais pas n’importe lesquels. Le gouvernement fédéral Vivaldi s’est donné l’objectif de rehausser l’investissement public à hauteur de 3,5% du PIB pour la fin de la législature et d’atteindre les 4% en 2030. La FEB défend de monter cet objectif à 5%, en privilégiant les partenariats publics-privés, principalement des investissements stratégiques dans la digitalisation et l’indépendance énergétique au bénéfice des grandes entreprises belges. Le refrain est connu : à la collectivité de payer les investissements d’infrastructure dont a besoin le secteur privé pour empocher plus de profits. À cet effet, la FEB plaide de revoir les traités européens, aujourd’hui suspendus, pour sortir ce type d’investissement des règles de rigueur budgétaire.

Mais il faut bien compenser ces investissements et la FEB préconise de sabrer dans les budgets des dépenses publiques courantes telles que l’enseignement, les soins de santé, la fonction publique et la sécurité sociale. Son objectif est de drastiquement diminuer les dépenses publiques de 8% d’ici 2030 pour limiter le ratio à 45% du Produit intérieur brut (PIB). La FEB dénonce les salaires dans l’enseignement et des agents de la fonction publique, plus élevés que dans les pays voisins, et appelle à la destruction des avantages du statut de la fonction publique.

La FEB prend ce qui l’arrange dans les données économiques, elle passe ainsi sous silence un domaine où l’on dépense énormément en Belgique : celui des subventions aux entreprises, dont la moitié s’effectue sous la forme de subsides salariaux (8 milliards d’euros par an). On dépense également bien moins que dans les pays voisins dans la protection sociale, les allocations de chômage, le logement et surtout dans les pensions, particulièrement basses en Belgique.

La FEB se prépare à la confrontation

Une des pointes de l’attaque est le mécanisme d’indexation des salaires, dont la suppression est souhaitée pour le 1er janvier 2030. En Belgique, les salaires et les allocations sont indexés au coût de la vie. Il s’agit d’un indice calculé sur base d’un « panier » représentatif des biens et services consommés régulièrement par les ménages. Même avec un index représentatif et fidèle à la réalité, les moins nantis sont toujours défavorisés par des hausses de prix plus fortes sur les biens de première nécessité (produits alimentaires, énergie…) qui pèsent plus lourd dans leur budget que dans celui des revenus moyens ou plus élevés. Mais l’indice des prix à la consommation qui sert de référence exclut précisément un certain nombre d’éléments qui pèsent relativement lourd dans notre budget. En effet, depuis 1994, l’essence et le diesel, comme le tabac et l’alcool, ont été retirés de l’index, en dépit de l’opposition syndicale.

En attendant la suppression du mécanisme, la FEB revendique une application stricte de la loi de 1996 et de son durcissement de 2017 qui emprisonnent littéralement nos salaires. La revendication de la nouvelle diminution des cotisations patronales à la Sécu de 25 à 20% est peut-être envisagée comme monnaie d’échange pour imposer une application stricte de la loi de 1996 et refuser la moindre marge salariale lors du prochain Accord interprofessionnel.

Car le patronat a une stratégie. Il tente d’avoir plusieurs coups d’avance et cherche à instrumentaliser par tous les moyens l’impasse dans laquelle se trouve le syndicalisme de concertation. Il veut d’ailleurs pousser encore plus loin les organisations syndicales dans ses derniers retranchements. Le nouveau modèle de parodie de « concertation sociale » défendu par la FEB ne se limite pas à abolir l’indexation des salaires et à opérer une contre-révolution sur la flexibilisation du marché de l’emploi.

L’avenir rêvé par la FEB repose sur une remise en cause totale des libertés syndicales : en donnant la possibilité de conclure des accords entre le travailleur et le patron, en permettant de conclure des Conventions collectives de travail avec une seule organisation syndicale et non l’ensemble de celles-ci jusqu’au niveau d’une seule entreprise, mais aussi en introduisant la personnalité juridique des syndicats et en dégradant la protection des candidats délégués aux élections sociales. Le règne absolu de l’arbitraire patronal.

« Où voulons-nous être en 2030 »

Ce document de 84 pages donne envie de vomir quasiment à chaque paragraphe mais il faut lui reconnaître une qualité : il repose sur des revendications claires, une vision d’avenir et une planification de la manière d’y parvenir. C’est un document de perspective carré, tout entier reposant sur les intérêts de la classe sociale qu’il défend, celle des capitalistes. Notre classe sociale, celle des travailleuses et travailleurs qui produisent les richesses, mérite d’en avoir un aussi complet. Cela renforcerait grandement nos actions si celles-ci ne se limitaient pas à la dénonciation et à des phrases parfois creuses comme « il nous faut plus de services publics ». Où voulons-nous être en 2030, nous, la classe travailleuse ? Comment y parvenir ? Avec quelles étapes concrètes ? Et quel plan d’action ? Cela doit faire l’objet de débats démocratiques et décisions claires dans les rangs syndicaux.

Un exemple parmi d’autres : la FEB parle des dangers de la démondialisation de l’économie, tout particulièrement pour une économie comme celle de la Belgique dont 80% du PIB dépend des exportations. Nous n’avons pas d’autre arme à notre disposition en tant que travailleuses et travailleurs que l’expropriation et la nationalisation sous contrôle démocratique des entreprises qui menacent de délocaliser ou dont l’activité est menacée.

Les crises multiples qui font actuellement vaciller la société capitaliste ne sont pas destinées à disparaître, elles se renforcent même mutuellement. La gauche syndicale et politique ne doit pas s’enfuir la tête dans le sable et espérant des jours meilleurs, nous devons partir à l’offensive en partant des inquiétudes concrètes actuelles et en les articulant dans l’objectif du renversement du capitalisme et de l’instauration d’une société où les prodigieuses capacités techniques et intellectuelles existantes seront libérées de la soif de profit. Cela n’est possible qu’avec une société démocratiquement planifiée, une société socialiste.

Author

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop