Ecosse : la perspective d’une lutte de masse pour l’indépendance à la lumière des élections de mai

Plusieurs dizaines de membres du PSL/LSP et de sympathisants sont actuellement en route vers Glasgow afin de participer aux mobilisations autour de la COP26. Le texte suivant, publié en mai dernier par des membres d’Alternative Socialiste Internationale en Écosse, leur a été distribué dans le cadre de leur préparation politique.

En apparence, les résultats des élections locales en Angleterre suggèrent que les Tories ont échappé à un règlement de comptes pour la catastrophe de leur gestion de la crise sanitaire : un bilan de plus de 150.000 décès, la plus grande contraction économique depuis trois siècles et la vie d’innombrables travailleurs bouleversée. Mais en Écosse, la victoire écrasante du SNP (Parti national écossais) et la majorité indépendantiste qui a été reconduite au parlement écossais reflètent la crise qui se prépare et qui sape les fondements mêmes du Royaume-Uni. Il existe un mandat incontestable pour l’indyref2 (le second référendum sur l’indépendance de l’Écosse), qui représente une réelle menace pour Boris Johnson, les Tories (conservateurs) et le capitalisme britannique.

Tout au long de l’année dernière, les sondages ont constamment montré qu’une majorité existait en Ecosse en faveur de la sortie du Royaume-Uni, le taux atteignant même plus de 70% parmi la jeunesse. La gestion criminelle de la pandémie par Boris Johnson et l’impact dévastateur que cela a eu sur la vie des travailleurs et des jeunes n’ont fait qu’accroître le mécontentement qui alimente le désir d’indépendance et de rupture avec le règne des Tories.

Le taux de participation sans précédent de 63 % – en hausse de 10 % par rapport à 2016 – illustre l’importance de ces élections. Pour de nombreux partisans de l’indépendance, la prochaine phase de la lutte était considérée comme dépendant du retour d’une majorité de membres du parlement écossais engagés, sur le papier tout du moins, à obtenir l’indépendance. Bien que le SNP soit passé à un siège de la majorité absolue, le fait que les Verts aient remporté 8 sièges signifie que 72 des 129 députés du parlement écossais sont favorables à l’indépendance. Le récit des commentateurs de l’establishment selon lequel les partis “unionistes” auraient obtenu une courte majorité du vote populaire est démenti par le fait que les sondages montrent régulièrement que 30 à 40 % des électeurs travaillistes (et même une minorité significative de membres du parti travailliste) soutiennent l’indépendance.

Bien que ces résultats constituent un tournant, qui ajoute encore à l’élan en faveur d’un second référendum, le chemin à parcourir est parsemé d’obstacles que seul un mouvement de masse de la classe ouvrière peut surmonter.

Les Tories écossais renforcent l’unionisme

Les Tories écossais resteront le deuxième plus grand parti de Holyrood (surnom du parlement écossais) après une campagne qui les a dépeints comme les combattants les plus capables opposés à l’indépendance. « Arrêtons ensemble le SNP et Indyref2 » était l’un des nombreux slogans qui reflétaient une polarisation renforcée concernant la question nationale. En dehors de leur base traditionnelle, ils ont également ciblé les électeurs travaillistes et libéraux démocrates favorables à l’Union. En dépit de la faible cote de popularité du nouveau leader conservateur écossais Douglas Ross, cette approche semble avoir porté ses fruits. Comme l’a révélé un sondage, la moitié des personnes qui prévoient de voter pour les conservateurs le font pour des raisons “tactiques”, c’est-à-dire pour que l’Écosse reste au sein de l’Union.

Si le Parti conservateur et unioniste a été contraint de prendre ses distances avec ses homologues anglais (Boris Johnson a même annulé une visite préélectorale en Écosse), il ne fait aucun doute qu’ils sont taillés dans la même étoffe réactionnaire. Lors d’un débat télévisé, Ross a été critiqué pour son attitude méprisable envers les gens du voyage. Le fait que cela ait provoqué une telle indignation montre le glissement vers la gauche de nombreux travailleurs et jeunes mais c’est aussi une démonstration de la meilleure compréhension du fait que les Tories représentent un groupe raciste et complètement pourri. Cela illustre encore que le soutien croissant à l’indépendance ne repose pas sur un nationalisme chauvin.

Les travaillistes

L’opposition des Tories à un second référendum a été imitée par le Labour écossais (les travaillistes) qui a poursuivi son virage à droite. Après la démission de Richard Leonard, sympathisant de la gauche molle de Corbyn, Anas Sarwar (un millionnaire dont l’entreprise familiale refuse de reconnaître les syndicats) a été élu dirigeant du parti en Ecosse, ce qui a remis les partisans de la ligne droitière de Tony Blair au poste de commandement du parti. Mais tout espoir que Sarwar puisse redonner vie au parti travailliste écossais a été anéanti. Apparemment en phase terminale, le parti a perdu deux autres députés et a enregistré le pire résultat électoral de son histoire depuis la création du parlement écossais (en 1999).

Dans les derniers jours de la campagne, l’ancien Premier ministre travailliste Gordon Brown s’en est pris au SNP avec des mots qui trahissent l’état d’esprit des travaillistes : « C’est là toute la différence : Nous voulons mettre fin à la pauvreté des enfants, le SNP veut mettre fin au Royaume-Uni. Ils se lèvent le matin en pensant à un référendum, nous nous levons le matin en voulant une reprise économique. Ils se couchent en rêvant de séparation, nous nous couchons en rêvant de justice sociale. »

Bien que le SNP doive effectivement être critiqué pour son bilan lamentable en matière de lutte contre les inégalités, Gordon Brown, qui a lui-même infligé une austérité brutale aux communautés de la classe ouvrière à travers la Grande-Bretagne, est la dernière personne en mesure de pointer ce parti du doigt !

Qui plus est, cette logique ne tient pas compte du fait que le soutien à l’indépendance a augmenté précisément parce que les travailleurs et les jeunes écossais considèrent qu’il est nécessaire de rompre avec la pauvreté et la précarité, ce que les travaillistes n’ont ni le programme ni la volonté de réaliser. Socialist Alternative (ASI en Angleterre, au Pays de Galles et en Ecosse) défend que pour que l’indépendance écossaise transforme réellement la vie des travailleurs et des pauvres, il est nécessaire d’adopter une approche socialiste qui dépasse de loin la direction pro-capitaliste du SNP.

Le SNP et Alba

Malgré la complicité du SNP dans la fabrication de la crise actuelle, ce parti a augmenté son soutien électoral par rapport à 2016 et a gagné un député supplémentaire au parlement écossais. Tout au long de la pandémie, la cheffe du SNP Nicola Sturgeon a bénéficié d’une hausse de son taux d’approbation car ses communiqués plus avisés en matière de relations publiques et son comportement “prudent” la faisaient fortement contraster avec un Boris Johnson pompeux, la personnification même de la poursuite inconsidérée de la recherche de profit à tout prix du capitalisme.
Le triomphe électoral du SNP ne reflète pas la force des illusions envers ce parti qui s’est déplacé encore plus vers la droite et dont la réponse face à la crise sanitaire a subordonné la santé et la vie des membres de la classe ouvrière aux intérêts du capital. En l’absence d’une alternative de masse à gauche, un vote pour le SNP était considéré comme la seule voie viable vers un second référendum.

Sturgeon n’a survécu que de justesse à la crise politique qui a secoué le SNP dans les mois précédant les élections. Bien qu’elle se soit manifestée sous la forme d’un différend personnel entre elle et l’ancien Premier ministre Alex Salmond, la scission survenue au sein du SNP et la formation du parti Alba reflètent les contradictions de classe croissantes au sein du mouvement. Salmond a tenté d’exploiter le mécontentement à l’égard de la direction de Sturgeon, en particulier son approche conciliante pour obtenir un second référendum. Un certain nombre de personnalités du SNP et du mouvement indépendantiste au sens large ont rejoint Alba, notamment l’ancien député socialiste Tommy Sheridan.

Ne se présentant que sur des listes régionales et appelant à un second vote tactique, la campagne d’Alba reposait sur l’utilisation des particularités du système électoral écossais pour obtenir une “supermajorité” de députés écossais pro-indépendance. Ils n’ont néanmoins pas réussi à remporter un seul siège au parlement écossais.

Toute illusion selon laquelle Alba représentait une alternative de gauche au SNP devrait maintenant être complètement détruite. Il est apparu clairement au cours de l’élection que Salmond est entouré d’un ramassis de réactionnaires, y compris de racistes ouvertement déclarés. La candidate du centre de l’Écosse, Margaret Lynch, a prétendu à tort et à travers que les groupes de campagne LGBT préconisaient de réduire l’âge du consentement sexuel à 10 ans. Le comportement prédateur et misogyne de Salmond ne lui a pas non plus fait de cadeau auprès des femmes et des jeunes radicalisés qui rejettent plus que jamais le sexisme sous toutes ses formes.

Les Verts : Une alternative de gauche ?

Le Green Party Scotland a réussi à augmenter le nombre de ses suffrages et à obtenir deux sièges supplémentaires au parlement écossais. Répondant à la pression de la base, leur campagne s’est orientée vers la gauche avec des promesses électorales en faveur d’emplois verts, du financement du logement et des services sociaux ainsi que d’une taxe sur les millionnaires. Le Parti travailliste étant de nouveau sous l’emprise des « Blairistes » et désespérément déconnecté de la question nationale, certains considèrent les Verts comme une force de gauche pro-indépendance.

Pourtant, les Verts restent un parti incapable ou peu désireux de rompre avec le capitalisme. A Holyrood, cela signifie que, dans le meilleur des cas, leur “opposition” se limite à bricoler sur les bords de l’approche de Sturgeon, celle d’appliquer “à contrecœur” l’austérité de Westminster (où siège le parlement du Royaume-Uni). Plus important encore, ils n’ont pas réussi à organiser la moindre riposte sur les lieux de travail ou dans les communautés locales.

Il ne fait aucun doute que de nombreux électeurs verts, ainsi que des membres du parti vert, cherchent véritablement une issue à l’impasse du capitalisme. Beaucoup comprennent que la crise écologique à laquelle la planète est confrontée trouve son origine dans ce système reposant sur la course aux profits. Cela place nécessairement en tête de l’ordre du jour une lutte mondiale pour mettre fin au système capitaliste et planifier une économie verte dans le monde entier, un argument qui attirera une audience croissante en Écosse à l’approche du sommet sur le “réchauffement climatique”, la COP26 de Glasgow cet automne. Mais ce n’est pas ce que propose le parti vert. Ils sont loin de proposer un programme qui défie le système capitaliste et pointe vers une alternative socialiste. Qui plus est, c’est précisément dans le domaine de l’internationalisme que le manifeste des Verts a révélé l’insuffisance de confiner leur stratégie dans les limites du capitalisme.

A l’instar du SNP, ils ont affirmé que : « Les Verts écossais pensent que l’avenir de l’Écosse est mieux servi en tant que membre à part entière de l’Union européenne (…) Nous ferons donc campagne (…) pour réintégrer l’UE en tant que nation indépendante dès que possible. » L’adhésion à l’UE, cependant, enfermerait une Ecosse indépendante dans un bloc commercial capitaliste dédié à la défense des intérêts des monopoles qui détruisent la planète pour le profit. L’UE pourrait être utilisée par la classe capitaliste pour mettre des bâtons dans les roues d’un éventuel gouvernement de gauche en Écosse qui voudrait revenir sur des décennies d’austérité et adopter des mesures de type socialistes.

Sur la question de l’indépendance, ils ne sont pas plus avancés, reprenant la même stratégie légaliste que Sturgeon et consorts. Leur manifeste souligne que tout effort du gouvernement britannique pour bloquer un référendum serait « sujet à un défi juridique ». C’est ignorer le fait que les tribunaux des patrons ont toujours agi comme un barrage sur le chemin des luttes économiques, sociales et démocratiques de notre classe sociale.

La classe dirigeante s’oppose à l’indépendance

Pour toutes ces raisons, il est loin d’être évident que la majorité actuelle en faveur de l’indépendance sera suffisante pour garantir l’indyref2. Alors que les résultats n’étaient pas encore connus, Johnson a été clair dans son rejet d’un second référendum, le qualifiant d’”imprudent” et d’”irresponsable”. De même, le ministre conservateur Michael Gove a déclaré que l’échec du SNP à obtenir une majorité globale, sapait les arguments en faveur de l’Indyref2.

Bien que ces résultats mettent sans aucun doute les Tories sous une pression accrue, les commentaires de Johnson et Gove donnent un aperçu de l’opposition bien ancrée à laquelle le mouvement indépendantiste sera confronté. Tous deux comprennent que la situation est très différente de celle de 2014, lorsqu’une classe dirigeante arrogante a accordé un référendum sans se rendre compte de la révolte de la classe ouvrière qui était sur le point de prendre forme.

En réponse à la victoire du SNP, Johnson a maintenant convoqué un sommet de redressement Covid des nations dévolues du Royaume-Uni sur la façon dont elles peuvent travailler ensemble pour surmonter la crise. Bien que jusqu’à présent, il se soit montré particulièrement dur, voire maladroit, dans son opposition à l’indépendance, nous pourrions assister à un changement d’approche de la part de certaines sections de la classe dirigeante, qui viseraient plutôt un règlement ou une “réinitialisation” constitutionnelle pour sauver le Royaume-Uni de la ruine. Cependant, cela ne différerait que par le style plutôt que par la substance, car il est toujours vrai qu’un mouvement de masse pour l’indépendance de l’Ecosse serait un cauchemar pour la classe dirigeante britannique. Ils feront donc tout ce qu’ils peuvent pour l’empêcher.

Un mouvement de masse de la classe ouvrière est nécessaire

Bien que de tels efforts pour “réinitialiser” le Royaume-Uni soient presque certainement trop peu et trop tard et qu’ils n’arrêteront pas les processus clés qui poussent à l’indépendance, il n’est pas totalement exclu qu’ils puissent être utilisés par Sturgeon et d’autres comme couverture pour une retraite.

Alors que Sturgeon a déclaré avec confiance que le second référendum serait « une question de quand et non de si », le mouvement de la classe ouvrière ne doit pas reculer et laisser la lutte pour les droits démocratiques aux mains de partis pro-capitalistes. Ni le SNP, ni Alba, ni les Verts ne peuvent mener la bataille nécessaire pour vaincre les Tories. Se concentrer sur les manœuvres parlementaires et légalistes ne sert qu’à éloigner le mouvement de la rue et à détourner l’envie de changement vers des canaux plus sûrs.

Nous devons construire une campagne organisée de la classe ouvrière, des jeunes et de tous les opprimés pour les droits démocratiques. Cette campagne doit reposer sur des méthodes militantes de lutte de classe, telles que les grèves, les occupations et les manifestations. Une mobilisation coordonnée sur nos lieux de travail, dans nos écoles et nos communautés est la seule garantie de gagner un second référendum. Les syndicats doivent adopter une position ferme à ce sujet. Bien que le congrès du STUC (le Congrès des syndicats écossais) ait adopté une résolution soutenant l’Indyref2, cela reste largement une politique sur le papier. Peu de syndicats ont pris des mesures décisives pour s’opposer à la trêve du Labour conclue avec les Tories concernant la question nationale.

Socialist Alternative soutient la construction d’une telle campagne, une campagne qui lie la lutte pour l’indépendance à la lutte pour le socialisme en Ecosse et au niveau international.

Une Ecosse capitaliste indépendante ne résoudra aucun des innombrables problèmes sociaux auxquels sont confrontés les travailleurs et les jeunes. Bien que le désir d’échapper à un Brexit conservateur en forme d’accident de voiture ait donné de l’élan aux arguments en faveur de l’indépendance, les travailleurs et les jeunes ne devraient pas se faire d’illusions sur l’UE pro-capitaliste et raciste que le SNP et les Verts sont si impatients de rejoindre.

Seule une transformation socialiste de la société, dans laquelle les sommets de l’économie passent dans le giron de la propriété publique démocratique et où la production est planifiée en fonction des besoins et non du profit, peut poser les bases d’un avenir exempt de pauvreté, de pandémies, de catastrophes climatiques et de toutes les autres horreurs du capitalisme. En fin de compte, un tel mouvement pour une transformation socialiste de la société ne pourrait jamais réussir s’il était confiné à une seule nation. Il est donc essentiel, pour construire une Écosse socialiste, de développer la solidarité au-delà des frontières. Cela signifie d’établir des liens avec les travailleurs et les jeunes qui luttent contre le capitalisme et l’austérité à travers l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande, en construisant la lutte pour une fédération socialiste libre et volontaire de ces pays, dans le cadre d’une confédération socialiste d’Europe et d’un monde socialiste.

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