Nigéria : une lutte héroïque pour le salaire minimum, malgré la trahison des dirigeants syndicaux

Au moment où nous écrivons cet article, la grève des travailleurs de l’état d’Oyo pour la pleine entrée en vigueur du salaire minimum de 18.000 naïras (87 €, 57.000 francs CFA) par mois a été suspendue ce jeudi 5 avril 2012, à la suite de l’annonce par le gouvernement étatique mené par l’ACN (Action Congress of Nigeria, libéral) qu’il était prêt à un nouveau tour de négociations, après qu’une première tentative d’imposer aux travailleurs un accord pourri ait été vaincue. Cette grève, qui a commencé le 19 mars, a duré dix-sept jours et a complètement paralysé les activités du secrétariat d’état et de l’administration publique !

Lundi 24 mai 2012, la grève a pris un tournant plus radical à la suite d’une réunion à l’hôtel de ville entre le gouverneur et l’ensemble du personnel de l’état. La réunion, qui était censée mettre un terme au conflit, a mené à une impasse lorsque l’exécutif du Comité de négociation des services publics (JPSNC, Joint Public Services Negociating Committee) a refusé de signer le nouveau barème salarial qui lui a été proposé par le sénateur Abiola Ajimobi, gouverneur de l’état d’Oyo.

Le JPSNC, réputé être un allié incorrigible du gouvernement, a refusé de signer le barème qui lui était présenté par le gouvernement du fait de la féroce opposition qui y a été exprimée par la masse des travailleurs, qui a insisté sur le fait que le barème ne doive pas être signé avant qu’il n’ait été certifié par une assemblée des travailleurs. Étant donné cela, l’exécutif du JPSNC n’avait pas d’autre choix, surtout vu que sa légitimité en tant qu’organe de négociation était remise en question par les travailleurs qui, quelques semaines auparavant, l’avaient carrément dissous lors d’une assemblée. Immédiatement après la réunion à l’hôtel de ville, les travailleurs se sont rendus par milliers au secrétariat d’Oyo du Congrès du Travail du Nigéria (Nigeria Labour Congress, NLC), où s’est tenue une assemblée d’urgence, modérée par le comité provisoire dirigé par la Fasasi.

Lors de cette assemblée, les travailleurs ont rejeté à l’unanimité le nouveau barème qui leur a été présenté, parce qu’il n’existait aucune différence substantielle entre le nouveau barème et celui qui avait déjà été rejeté plus tôt. Selon le nouveau barème, la grande majorité des travailleurs de catégorie 6 à 17 ne gagnaient que 500 naïras (2,5 €, 1500 fCFA) de plus par rapport à la somme présentée pour les mêmes catégories dans le barème publié le 14 mars 2012. Cela, en plus de l’absence de l’allocation spéciale prévue pour les enseignants par la TSS.

L’assemblée a par conséquent établi un comité technique composé de représentants du cadre du JPSNC et de plusieurs membres des comités mis en place par l’assemblée afin d’établir un barème qui reflète les attentes de la généralité des travailleurs de l’état d’Oyo. L’assemblée a également décidé de réinstaurer le comité exécutif du JPSNC qui avait été dissous, auquel elle a demandé de faire une déclaration publique concernant leur soutien inconditionnel à la poursuite de la grève.

Le contexte de la lutte

Il faut se rappeler que les travailleurs ont déjà organisé toute une série de grèves et d’actions l’an dernier. L’état a d’ailleurs connu les premières manifestations de masse de travailleurs du pays contre le refus de la part des gouverneurs de faire entrer en vigueur le salaire minimum légal de 18 000 naïras par mois. La lutte a atteint son pic le 8 juillet 2011 lorsque les travailleurs ont suspendu les dirigeants syndicaux pour leur connivence avec le gouvernement étatique qui avait offert un salaire de seulement 9400 naïras, au lieu des 18 000 naïras promis. Tout comme c’est le cas à présent, un comité avait été inauguré par les travailleurs afin de mener la lutte pour la pleine application du salaire minimum. Les dirigeants syndicaux ont toutefois été réinstaurés plus tard, le 21 juillet 2011, et mandatés pour donner le mot d’ordre immédiat de grève indéfinie jusqu’à la pleine entrée en vigueur du salaire minimum.

Cette grève indéfinie, qui n’a duré que cinq jours, avait forcé le gouvernement à proposer un salaire minimum de 13 500 naïras qui devait être payé pour les mois de juin et de juillet 2011, tous les arriérés devant être payés pour la fin aout. Malheureusement, depuis juillet 2011, il y avait eu un silence criminel de la part tant du gouvernement que des dirigeants syndicaux, jusqu’au 14 mars 2011, lorsque le gouvernement ACN de l’état d’Oyo, dirigé par Abiola Ajimobi, avait finalement publié le nouveau barème salarial. Selon cette nouvelle grille salariale frauduleuse, le salaire de base des travailleurs les moins bien payés de l’état ne devait s’élever qu’à 10 405 naïras au lieu de 18 000.

Cela va tout à fait à l’encontre des déclarations du gouvernement, qui affirmait avait déjà commencé à payer 19 113 naïras. Le salaire minimum de 19 113 naïras n’était en réalité que le total du salaire de base de 10 405 naïras, auquel s’ajoutait le loyer (4628,25 naïras), les frais de transport (1945,74 naïras), les subsides pour les repas (1040,50 naïras), et autres frais (1040 naïras). De plus, cette hausse ne valait réellement quelque chose qu’en ce qui concerne les salaires des travailleurs de classe 1 à 4, qui ne représentent qu’une toute petite fraction du personnel. La grande majorité des travailleurs, qui sont de classes supérieures, ne recevaient pour seule hausse que la somme ridicule de 1000, 2000 ou 3000 naïras supplémentaires. De même, en ce qui concerne les enseignants, l’allocation spéciale TSS, qu’ils n’avaient gagnée qu’au prix de plusieurs mois de lutte, avait été supprimée du nouveau barème.

Conflit avec la bureaucratie syndicale

C’est donc là l’historique de la reprise de l’action de grève à partir du 19 mars 2012. Lors d’une assemblée générale qui s’est déroulée le 16 mars 2012, les travailleurs ont rejeté à l’unanimité le nouveau barème salarial. Les travailleurs membres des syndicats affiliés au Congrès du Travail du Nigéria et au Congrès syndical (Trade Union Congress, TUC), ont également démis les directions de leurs centrales syndicales de leur mandat de représentation lors des négociations avec le gouvernement. L’exécutif du JPSNC a également été dissous. L’assemblée générale des travailleurs a entrepris cette action à l’encontre des dirigeants syndicaux officiels pour protester contre leur trahison lors des négociations avec le gouvernement.

L’assemblée a par conséquent établi un comité provisoire afin de poursuivre la lutte dans les véritable intérêts des travailleurs qui ont refusé de reprendre le travail et qui se sont rendus tous les jours au secrétariat du NLC à partir du 19 mars. Cette action, menée indépendamment de la direction syndicale officielle, a pu bénéficier d’un soutien de masse.

Lutter pour gagner

Le DSM, dont les membres ont été impliqués de manière active dans l’action des travailleurs, applaudit la détermination et la ténacité des travailleurs. Grâce à une stratégie et à une approche correctes, la grève peut gagner. Tout en annonçant la suspension de la grève pour deux semaines à partir du 5 avril 2012, les travailleurs ont décidé d’organiser une assemblée chaque vendredi afin de suivre l’état d’avancée des négociations. Ceci est un pas important afin de prévenir toute nouvelle trahison. Les travailleurs doivent exiger de la direction de toujours revenir à l’assemblée pour demander son approbation avant de signer le moindre accord salarial avec le gouvernement.

Toutefois, malgré la détermination des travailleurs, l’isolation de la lutte, du fait du manque de solidarité de la part de la direction nationale du mouvement syndical, risque de constituer un frein à l’élan des travailleurs et de limiter l’ampleur de l’accord obtenu avant que le mouvement ne s’épuise. Nous appelons donc la direction nationale du mouvement syndical à accorder un soutien actif aux travailleurs de l’état d’Oyo et à les aider à gagner la lutte, en veillant de même à ce qu’aucun de ces travailleurs ne perde son emploi. Une victoire à Oyo pourrait encourager les travailleurs des autres états, qui se sont également vu refuser le salaire minimum ou qui ont été contraints à des accords pourris, à se dresser pour rejoindre la lutte pour la pleine entrée en vigueur du salaire minimum légal. La direction du mouvement syndical doit lancer une action nationale pour forcer tous les gouvernements à appliquer le nouveau salaire minimum légal.

Il est également très important de mettre en avant l’exemple qu’ont donné les travailleurs de l’état d’Oyo et la manière dont ils sont parvenus à surmonter les obstacles placés par la bureaucratie syndicale en travers de la lutte. L’élection d’un “comité provisoire” par les travailleurs de l’état d’Oyo, tout comme le “comité congressionel” mis en place l’an passé afin de mener la lutte indépendamment des dirigeants syndicaux officiels, montre un bel exemple de la manière dont les travailleurs à la base syndicale peuvent commencer à reprendre le contrôle de leur syndicat.


(1) État d’Oyo dont la capitale Ibadan, à 100 km de Lagos, est la troisième plus grande ville du Nigéria (1 million d’habitants), et siège de la toute première université du Nigéria

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