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[TEXTE de CONGRES] Pas de Thatcher en Belgique!
Un gouvernement résolument de droite est arrivé au pouvoir en Belgique après les élections de 2014. Ce gouvernement à la Thatcher vise à considérablement sabrer dans nos conditions de vie. La résistance contre cette offensive antisociale de grande ampleur a été rapide et massive. Bien plus forte en tout cas que ce qu’avaient prévus tant les autorités que les dirigeants syndicaux. Mais le mouvement a atteint une impasse.
Le texte qui suit est la cinquième partie du texte de perspectives internationales et belges discuté, amendé et voté lors du Congrès national du PSL de novembre 2015. Ce texte est également disponible sous forme de livre. Commandez dès maintenant votre exemplaire en versant 10 euros sur le compte BE48 0013 9075 9627 de ‘Socialist Press’ avec pour mention « texte de Congrès ».
Les élections du 25 juin
Les élections fédérales de 2014 sont devenues une énorme victoire pour la N-VA, mais principalement aux dépens de la droite extrême et populiste. La tripartite a même obtenu une majorité en Flandre alors qu’il lui manquait un siège auparavant. Une tripartite fédérale était donc mathématiquement possible et cela livrait une énorme opportunité à la bourgeoisie. Elle avait déjà compris depuis longtemps que, tôt ou tard, il faudrait solder les comptes avec la N-VA. Une scission de la Belgique au cœur de l’Europe apporterait un coup impardonnable au prestige de la bourgeoisie belge et en Europe. Mais la question était de savoir comment. Un cordon sanitaire autour de la N-VA qui venait juste de remporter brillamment les élections aurait permis à ce parti, à partir de l’opposition, de se rendre incontournable d’ici 5 années. La prendre au gouvernement semblait une meilleure option, à condition qu’elle mette au placard pour au moins 5 ans son programme communautaire. Les esprits murissaient. Cela offrirait la possibilité de brûler la N-VA au pouvoir tout en testant jusqu’où on pouvait aller dans l’attaque contre la classe des travailleurs.
La bourgeoisie a longtemps douté. Lorsque le CDH a résolument rejeté la note de formateur de De Wever, il semblait que nous allions en direction d’une tripartite. La petite bourgeoisie flamande était déjà en panique. Allait-elle encore vivre l’échec de sa coalition de droite rêvée ? Unizo a alors fait quelque chose d’exceptionnel. Elle a organisé une enquête chez 1709 indépendants et PME, dans les faits il s’agissait plutôt d’une menace de boycotter une tripartite et de jeter le pays dans la crise. Finalement, la bourgeoisie a cédé. Pieter Timmermans, de la FEB, a même cité Deng Xiaoping en disant « qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape des souris. » [123]
Faut-il en conclure qu’avec la participation gouvernementale de la N-VA, sous la menace de l’Unizo et avec le soutien du VOKA, la petite-bourgeoisie ou les classes moyennes sont maintenant vraiment au pouvoir ? Allez raconter ça aux innombrables boulangers, bouchers, boutiquiers,… qui sont écrasés sous la concurrence de grands projets de magasins comme U-place à Machelen, Alcopa à Vilvorde et d’innombrables autres. Ce n’est pas parce que le gouvernement, avec son plan PME fédéral, exonère les 3 premières embauches des cotisations sociales et promet d’augmenter la pension minimum des indépendants que ces derniers sont au pouvoir. Ce que ce gouvernement fait surtout, c’est utiliser la pauvreté réelle parmi une couche, une partie des indépendants, pour encore offrir plus de cadeaux aux grandes entreprises. Les couches moyennes sont aussi peu au pouvoir avec ce gouvernement que les travailleurs l’étaient avec le gouvernement Di Rupo.
Avec sa surenchère de propositions néolibérales, le VLD voulait forcer la N-VA à montrer son côté le plus asocial. Le CD&V a abandonné le poste de premier ministre pour ne pas brûler un autre de ses ténors mais au contraire le sauvegarder pour la suite, après la coalition « kamikaze ». Pour Michel et le MR, c’était une occasion unique de pouvoir occuper le siège de premier ministre fédéral et de pouvoir distribuer des portefeuilles ministériels lucratifs. Que De Wever ait préféré rester à Anvers en tant que bourgmestre et belle-mère du Premier Ministre en dit beaucoup sur la confiance qu’il avait lui-même du gouvernement. Mais pour la bourgeoisie, la situation était win-win. Si le gouvernement parvenait à appliquer une partie de son programme de droite, elle l’accueillerait avec plaisir. Que le gouvernement tombe sous les coups de la résistance sociale et il lui était alors possible de changer son fusil d’épaule vers une tripartite classique sans passer par l’obstacle des élections. Mais n’importe quelle constellation politique au pouvoir aurait dû passer à la vitesse supérieure dans l’application de l’austérité. La crise mondiale ne laissait d’ailleurs pas d’autre choix au capitalisme belge que d’essayer de rétablir sa compétitivité aux frais de la classe des travailleurs. Cela ne signifie pas que cela ne fait aucune différence.
Un gouvernement thatchérien – la cavalerie légère
A l’été 2014, il était clair que le prochain gouvernement serait de droite dure. Fin juillet, une version flamande avait déjà été installée, le gouvernement de Geert Bourgeois. Comme pour illustrer que le grand changement commençait immédiatement, il a annoncé un programme d’austérité gigantesque de 8 milliards d’euros. Les fonctionnaires, les communes, les crèches, les allocations familiales,… mais aussi une mesure plutôt symbolique qui devait rapporter 160 millions d’euros : l’augmentation du minerval pour l’enseignement supérieur. Dans le passé, cela s’est toujours heurté à des protestations conséquentes. Il s’agissait d’un test pour estimer la résistance des étudiants et d’une mesure pour voir ce qui pouvait se passer si toute la classe des travailleurs était attaquée. Si l’expérience réussissait, la voie était ouverte pour l’introduction graduelle d’un enseignement élitiste avec des minervals qui, dans le monde anglo-saxon atteignent jusque 8000 euros, écrivions-nous.
En général, les marxistes décrivent la jeunesse comme la cavalerie légère de la classe des travailleurs. Les jeunes portent moins de responsabilités, sont moins marqués par les défaites du passé, entrent plus facilement en action et sont plus flexibles dans le combat. Nous qualifions les ouvriers de l’industrie de bataillons lourds, plus difficiles à mettre en marche, mais une fois qu’ils sont en mouvement, impossible de les arrêter. Mais cela faisait déjà depuis 2003, depuis la guerre en Irak, que la jeunesse s’était massivement mise en mouvement. Cela n’avait pas seulement érodé la force du PSL parmi la jeunesse, mais aussi affaiblit la conscience et l’expérience de lutte de cette dernière. Ici, une opportunité se présentait de commencer à restaurer la situation. En août déjà, nous avons réuni notre comité jeune à ce sujet pour ne pas manquer l’occasion. Nous avions compris que si cela ne dépendait que de la VVS (Vlaamse Vereniging van Studenten, équivalent flamand de la FEF) ou de Comac, le mouvement allait être dépolitisé, les étudiants n’auraient pas leur mot à dire et les actions resteraient symboliques. Nous n’allions pas arriver à tourner cette situation mais être capables de mettre en pratique quelque part l’orientation des Etudiants de Gauche Actifs sur le mouvement des travailleurs, notre méthode et notre programme, pouvait nous permettre de devenir une position minoritaire importante dans le mouvement.
Nous avons concentré toute notre énergie sur les étudiants du secondaire à Gand, en construisant des comités d’actions dans les écoles ainsi qu’une coupole gantoise pour organiser des manifs et des grèves et orienter ces étudiants du secondaire vers le plan d’action syndical. Cela faisait longtemps qu’on avait encore d’une façon aussi concentrée mis toute la force sur la pointe de l’attaque. A chaque action, une mobilisation minutieusement préparée précédait avec des tracts discutés en détails qui tenaient compte de l’actualité ; des sensibilités des parents, des profs et des directions ; avec des slogans réfléchis ; des propositions pour après l’action et un court communiqué de presse avec les points cruciaux à défendre. A chaque action, chacun avait sa tâche, de l’animation à la vente du journal jusqu’à la prise de parole. Là où c’était possible, le lien avec le personnel était accentué. Chaque action – comme nous l’avions appris du mouvement antimondialisation – se terminait par une assemblée générale où le prochain pas à suivre était discuté. A un certain moment, parmi les étudiants du secondaire, EGA était devenue l’organisation à la mode. Nous avons été capables de politiser les meilleurs écoliers et de les gagner, de même qu’un certain nombre d’étudiants du supérieur attirés par les actions. C’était extrêmement important, le seul acquis de cette lutte qui pèse peut-être plus lourdement dans la balance, c’est l’expérience faite par le parti et qui ne peut pas se perdre.
Un gouvernement thatchérien – les bataillons lourds
C’était Leemans, de la CSC, qui, à l’été 2014, lorsque les discussions sur la formation du gouvernement de droite étaient pleinement en cours, a fait en premier la comparaison avec Thatcher en Grande-Bretagne dans les années ’80. La différence principale entre ce gouvernement et tous les précédents depuis les années ’80 était qu’il voulait une cassure radicale avec le modèle de concertation belge qu’il considérait comme un obstacle à l’instauration d’une politique d’austérité plus drastique. Ce gouvernement voulait finir ce que les coalitions de droite des années ’80 n’avaient pas réussi à obtenir. La condition étant la cassure des syndicats et le renversement des relations de force entre travail et capital. Une partie de la droite, surtout à la N-VA, est convaincue que les syndicats ne sont que des reliquats du siècle précédent qui s’écrouleront lorsqu’on leur reprend le paiement des allocations de chômage et des primes syndicales. Ils ne connaissent pas les syndicats de l’intérieur. Pour eux, ce sont des « appareils » et rien d’autre. Leur base de petits patrons n’a pas ou peu d’expérience avec des délégations syndicales des grandes entreprises des secteurs forts ou des services publics.
Pour eux, les partis traditionnels ne sont que des faibles et les syndicats doivent apprendre une leçon. Ils pensent pouvoir gagner. C’est aussi la raison pour laquelle la véritable bourgeoisie n’est pas vraiment enthousiaste à propos de cette petite bourgeoisie « je sais tout ». Si le colosse du mouvement des travailleurs se met en branle, la vraie bourgeoisie s’assurera à temps de se placer hors de vue. Le gouvernement de droite veut économiser pas moins de 17 milliards d’euros, plus encore si les chiffres de croissance se révèlent moins favorables, comme c’est déjà le cas. Déjà le 23 septembre 2014, deux semaines avant la constitution du gouvernement Michel, 7000 syndicalistes se chauffaient pour la lutte place de la Monnaie à Bruxelles. Le PSL avertissait déjà que compter sur le CD&V pour arrêter ce gouvernement était une illusion et puis qu’on allait essayer de stimuler des conflits entre syndicalistes de la CSC et FGTB tout comme entre Flamands, Wallons et Bruxellois.
« Pas de Thatcher en Belgique ». Nous avons résumé le sentiment général sur nos tracts et nos affiches tout en appelant à un plan d’action qui, à notre grande surprise, a été quasi littéralement repris par les directions syndicales. Soudainement, ceux-là semblaient donc bien savoir comment mettre en place une mobilisation, avec de l’information convenable et à temps, des réunions interprofessionnelles dans les provinces et des assemblées générales sur les lieux de travail. Avec une manifestation nationale, des réunions d’évaluation, des grèves tournantes aboutissant à une grève générale nationale de 24 heures. Le résultat était étourdissant. Nous l’avions vu venir, notre tract pour la manifestation du 6 novembre commençait ainsi : « Nous répondons aujourd’hui au gouvernement et au patronat. Oui, les syndicats peuvent encore mobiliser des tonnes d’affiliés. Non, le mouvement des travailleurs n’est pas un concept du siècle dernier. Au contraire ! Il est bien en vie et prêt à se battre. Et oui, le mouvement des travailleurs est toujours le moteur du changement social, capable d’entrainer derrière lui toutes les couches de la société. » Nous n’avions pas tort. Pas moins de 150.000 personnes ont marché ce jour-là dans les rues de Bruxelles. Même l’attention démesurée des médias pour les troubles à la fin de la manifestation n’ont pas pu en annuler l’effet. Les dirigeants syndicaux eux-mêmes parlaient de 120.000 manifestants, probablement pour tempérer les attentes quant à la suite des évènements.
En général, les directions syndicales partent de l’idée que le soutien dans la société pour des grèves est limité. Mais l’attaque des gouvernements de droite était tellement générale que des couches entières de la population ont spontanément rejoint le mouvement. C’était ainsi pour les jeunes qui ont pris la tête de la manifestation du 6 novembre avec une délégation remarquable d’étudiants du secondaire de Gand, mais aussi pour des couches moins évidentes qui s’organisaient dans Hart Boven Hard / Tout Autre Chose. « Même les journalistes de l’establishment grassement payés depuis la fin du 19e siècle pour nous qualifier d’énergumènes amateurs de bières doivent bien provisoirement reconnaître que le soutien est vraiment très large pour cette manifestation », écrivions-nous. [124] Ce soutien n’a pas disparu durant les grèves provinciales du 24 novembre, du 1er décembre et du 6 décembre. Nous ne savons pas si la grève générale du 15 décembre est devenue la plus grande grève générale de 24 heures du pays mais, dans un sondage fin décembre, plus de 70% de la population disaient que le saut d’index et l’augmentation de l’âge de la pension à 67 ans étaient de mauvaises mesures. 85% des Flamands se déclaraient favorables à un impôt sur les fortunes de plus de un million d’euros, dont 91% des électeurs CD&V et même 78% de ceux de l’Open VLD et de la N-VA. Toute la société était entrainée par l’enthousiasme du plan d’action syndical, y compris beaucoup d’électeurs des partis de droite gouvernementaux.
Les membres du PSL ont utilisé cette période, soit pour restaurer la tradition perdue des assemblées du personnel et de renforcer le fonctionnement syndical sur les lieux de travail ; soit pour construire un comité de grève sur leur zone industrielle et pour créer des contacts durables entre délégués ; soit pour renforcer une position déjà acquise ou en restaurer une menacée, soit pour s’imposer comme facteur dans la région ou la centrale ; soit pour faire les premiers pas vers un fonctionnement syndical, mettre en action un collègue pour la première fois, gagner au parti un premier collègue au boulot ou simplement l’abonner à notre journal. Tous pris ensemble, ces nombreux pas en avant signifient un énorme renforcement de notre travail syndical. Qui aurait pu s’imaginer que les directions syndicales nous laisseraient une telle occasion avec ce plan d’action ? Dorénavant, la revendication d’un plan d’action n’est plus une idée abstraite que seule la gauche radicale peut imaginer, c’est une revendication qui correspond à une expérience concrète et enthousiasmante.
Le mouvement qui a connu un démarrage extrêmement fort avec la plus grande mobilisation syndicale depuis 1986 le 6 novembre avait le potentiel de faire tomber Michel I. Tant la grève générale contre le plan global en 1993 que celles contre le Pacte des Génération en 2005 et de nouveau celle du 30 janvier 2012 avaient été arrêtées par les directions syndicales avec l’argument que tout gouvernement alternatif serait plus à droite que celui en place. Cet argument n’était plus valable cette fois-ci. On pouvait donc renouer avec les traditions de la grève générale politique. Cela signifierait que le monopole politique des institutions bourgeoises, des chambres de représentants et des élections téléguidées par les médias de masses et les agences de communication étaient de nouveau défiées par un autre organisme beaucoup plus démocratique et en plein développement. N’importe quel gouvernement suivant devrait tenir compte avec un mouvement des travailleurs qui avait gagné une première épreuve de force et fortement regagné en confiance.
Nous pensons que les directions syndicales considéraient initialement de faire tomber le gouvernement de droite pour remettre en selle la tripartite. Nous doutons que cela aurait suffi pour revenir sur le saut d’index, sur les économies opérées dans les services publics et sur l’augmentation de l’âge de la pension. Durant tout le plan d’action, nous avons averti pour cela. A la manifestation du 6 novembre, le titre de nos journaux, de nos tracts et de nos pancartes était : « grève pour faire tomber Michel 1er et toute l’austérité. » Notre programme de revendications tenait compte des besoins immédiats, mais nous n’avons pas laissé passer cette conjoncture exceptionnelle de la lutte des classes sans fournir une série de mesures absolument nécessaires qui clarifient la nécessité d’une transformation socialiste de la société. Nous avons mis en avant l’idée d’un gouvernement des travailleurs, liée à la nécessité d’un large parti de lutte de gauche, en disant que le PTB-GO aurait pu être un premier pas en cette direction, mais avons aussi avancés l’idée d’assemblées du personnel en tant qu’embryon pour l’élaboration d’une alternative du mouvement des travailleurs. Nous avons donc fait ce que des marxistes sont attendus de faire dans de telles situations.
Le test ultime
C’est dans des périodes comme l’automne 2014, lorsque les contradictions à une explosion qualitative et que la lutte des classes s’accélère de manière indiscutable que l’Histoire s’écrit. [125] Alors, ce qui est souvent considéré comme du « coupage de cheveux » en quatre sur la stratégie, la tactique et le programme devient soudainement pertinent aux yeux des sceptiques. Cela ne signifie pas que des partis révolutionnaires, en attendant une telle période, peuvent tout simplement se reposer. Leur puissance de réaction est également déterminée par leur capacité à continuer à se construire et sauvegarder leurs acquis dans des périodes plus calmes. Ceci exige un énorme investissement avec un rendement à peine visible. L’automne 2014 a clarifié qu’à cette époque il y avait trois organisations de la gauche radicale en Belgique qui avaient construit une capacité de réagir de manière collective : le PTB, le PSL et la LCR. D’autres groupes se trouvent ou bien encore en phase « d’accumulation primitive » ou se contentent déjà de faire des commentaires révolutionnaires en spectateur des évènements. Cela ne signifie pas que certains de leurs membres ne jouent pas un rôle, mais ils le font principalement sur base de leurs mérites propres et non pas en résultat d’une intervention collective.
Déjà durant l’été 2014, nous avions compris que ce qui s’annonçait serait probablement d’une qualité différente que la période précédente et que la possibilité existait que les dirigeants syndicaux allaient mettre quelque chose en route. Evidemment, nous devions mettre en garde de nombre de dangers. Nous les avons déjà énumérés : le sectarisme syndical, la division communautaire, les illusions dans le CD&V et une réédition de la tripartite. A partir du 6 novembre se sont ajoutées des illusions envers une fiscalité plus équitable au travers du fameux virage fiscal (Tax Shift). Nous avons tout de suite compris que son objectif était de dévier le mouvement de l’objectif de la chute du gouvernement. Mais il fallait surtout prendre les dirigeants syndicaux au mot, les pousser dans le dos en lançant systématiquement des propositions positives pour faire avancer la lutte tout en saisissant ces ouvertures pour restaurer le mieux possible la démocratie syndicale et renforcer les militants combattifs. Et puis utiliser la conscience élargie durant ces actions afin de coupler aux revendications directes du mouvement la nécessité d’une transformation socialiste de la société. Sous le titre « Pas un programme de passivité, mais un programme de révolution », Trotsky formulait ainsi les choses en 1934 : « Les sceptiques qui pensent que tout est perdu doivent être impitoyablement chassés des rangs ouvriers. » [126]
La LCR, par contre, constatait en septembre 2014 que les dirigeants syndicaux appelaient bien à l’action, « nous disent qu’il faut préparer les munitions », mais que parallèlement « les fusils continuent de rouiller dans les tranchées ». La LCR n’a pas stimulé le mouvement, elle l’a démoralisé. Dans les meetings syndicaux régionaux, ses militants ne sont pas intervenus pour motiver d’autres militants avec des propositions positives mais simplement pour vider leur sac de frustrations quant au manque de combativité de la part de la direction. Au lieu de mettre la direction syndicale en difficulté en l’obligeant à balayer une proposition comprise comme positive, elle lui a offert l’occasion d’isoler des militants combatifs et de les démoraliser. Ce sectarisme rhétorique, la LCR l’a combiné à un opportunisme dans les slogans et le programme. A la manif du 6 novembre, elle lançait « Basta ! Michel dégage ! » En soit, cela aura eu un certain eu un certain écho, mais cela ne donnait pas d’avertissement quant à la stratégie de la direction syndicale pourtant clairement orientée vers une remise en selle de la tripartite. Sur le socialisme, pas un mot, mais à sa place « une Europe vraiment démocratique, sociale et accueillante ». Si le socialisme ne valait même pas d’être mentionné le 6 novembre, quand donc le faire ? Nombre de revendications de tracts de la LCR avaient un contenu ressemblant à celui du PSL, mais leur effet était miné par la manière exagérément conflictuelle dont elles étaient amenées.
On aurait difficilement pu s’imaginer un meilleur positionnement pour entrer dans le plan d’action que celui du PTB. Il venait juste gagner deux sièges à la Chambre, deux au Parlement wallon et quatre au Parlement bruxellois sous le nom PTB – Gauche d’Ouverture. En Flandre, où il n’y avait pas de place pour l’ouverture dans le nom de la liste, aucun élu n’a été obtenu. Mais il s’en est fallu d’un cheveu que Peter Mertens atteigne le seuil électoral à Anvers. Cela démontre qu’un espace existe bel et bien à gauche de la social-démocratie et des verts. C’est pourquoi le PSL, après toutes les tentatives d’y répondre avec le Comité pour une Autre Politique (CAP) et Rood, a proposé un an avant les élections, le 25 mai 2013, à toute la gauche radicale de déposer en commun des listes unitaires (sous le sigle de PTB-Unité ou quelque chose de semblable). [127] Pour cette même raison, nous étions, après que cela ait été rejeté et échangé pour Gauche d’Ouverture, toujours prêts à présenter des candidats sur des listes PVDA+ / PTB-GO. Cela aussi a été rejeté. A Bruxelles, même la proposition de liaison des listes a été rejetée. Nous avons finalement décidé de ne pas déposer de listes à Anvers et Liège et de lancer un appel à voter pour les listes PTB + / PTB-GO afin de renforcer la possibilité d’obtenir un élu de gauche, de même qu’à Charleroi pour ne pas y saper l’appel de la régionale FGTB.
Le PTB aurait pu utiliser sa nouvelle position acquise pendant le plan d’action. En première page de l’édition de juin 2014 de Lutte Socialiste nous écrivions : « Quelles que soient les compositions exactes des futurs gouvernements régionaux et fédéral, il est d’ores et déjà certain que nous allons subir une avalanche de mesures antisociales de la part de tous les niveaux de pouvoir ; fédéral, régional et communal. L’heure est à la résistance et pour cela, ainsi que pour être aptes à inverser la tendance, nous avons besoin d’un large front de résistance qui regroupe les mouvements sociaux, les syndicalistes de gauche, la gauche radicale, les militants associatifs ou de quartier, etc. Un tel appel lancé uniquement de la part du PSL ne peut compter que sur un écho limité, mais si le PTB posait cette question sur la table avec ses huit parlementaires ainsi que ses 50 élus communaux et si, surtout, certaines fédérations ou régionales syndicales suivaient, le potentiel serait gigantesque pour construire un véritable mouvement de résistance de la base. » [128]
Mais un large front de résistance n’était pas l’orientation prise par le PTB, au contraire, Gauche d’Ouverture a été mis en veille pour la durée du plan d’action. « PTB-GO, stop ou encore ? », titrait déjà le numéro de septembre octobre de La Gauche. Dans celui de novembre-décembre, Daniel Piron, à l’époque encore secrétaire régional de la régionale FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut, pouvait venir expliquer « le PTB-GO qui devient PTB, ça ne va pas ». Comme s’il fallait s’attendre à autre chose. Gauche d’Ouverture était finalement le résultat d’une manœuvre de la LCR. Avec un plaisir non dissimulé, celle-ci, en concluant un accord séparé avec le PTB, avait fait couler le front des formations de gauche radicale autour de l’initiative de Charleroi pour arriver à une liste commune avec tous les groupes autour de la table. Du moment que cela a été clair, le Parti Communiste a également choisi d’entrer dans des pourparlers séparés. Grâce à cela, le PTB a pu choisir ses partenaires à la carte sans devoir abandonner le semblant d’élargissement. Le pronostic que le PTB plaquerait le GO une fois effectuée la percée électorale a été formalisée en janvier 2015, officiellement parce que la Gauche d’Ouverture n’était pas encore assez ouverte.
Même sans front de résistance, le PTB aurait pu peser sur le plan d’action. Ses nombreux militants dans les entreprises auraient pu prendre l’appel des syndicats à cœur et stimuler partout la tenue d’assemblées du personnel sur les lieux de travail. A l’instar des membres du PSL qui travaillent dans la zone industrielle de Gand-Sud, ils auraient pu aider à construire des comités de grève à une échelle beaucoup plus large que ce qui était possible pour nous. Ils auraient pu renforcer les revendications syndicales avec un argumentaire non seulement élaboré par leur service d’étude, mais également sur base des discussions sur les lieux de travail. Ils auraient pu populariser un certain nombre de revendications objectivement nécessaires qui, généralement, se heurtent à plus de résistance, comme les 32 heures. En réponse aux illusions des sommets syndicaux envers la réédition de la tripartite, ils auraient pu amener l’idée d’un gouvernement des travailleurs. Après le 15 décembre, ils auraient pu propager la nécessité d’un nouveau plan d’action plus grand et plus dur en préparation d’une grève générale de 48 heures et rendre la trahison des dirigeants syndicaux plus difficile.
Mais cela, ce n’était clairement pas l’intention du PTB. Même lorsque le syndicat laissait encore sous-entendre que le gouvernement de droite devait tomber, le PTB se limitait déjà à revendiquer que le gouvernement retire ses mesures asociales. Lorsque, en avril 2015, De Standaard a cherché à savoir quelles étaient les critiques possibles du PTB contre les directions syndicales, Peter Mertens a répondu : « nous vivons dans une société totalement faite de communication et, donc, les syndicats doivent beaucoup plus s’occuper de la façon dont ils traduisent leur message vers un grand public. Ce n’est pas vrai qu’ils ne s’occupent que des droits acquis. On y trouve beaucoup de gens progressistes, avec des idées progressistes. Ils ont énormément d’antennes à l’écoute de la société mais malgré cela, ils ne parviennent pas à peser sur le débat (…) Je suis un grand fan de tous ces nouveaux mouvements citoyens comme Straten-Generaal ou Ademloos mais ils ne pourront jamais remplacer les syndicats. Ils n’ont par exemple pas une arme puissante comme le droit de grève. C’est pourquoi les syndicats, tout comme le PTB, doivent entrer dans une nouvelle époque. En 2008, nous aussi, nous avons décidé de commencer à collaborer avec un bureau de communication. » [129]
Difficile de nier que la communication externe des syndicats n’est pas idéale. Mais nous doutons qu’un bureau de communication puisse y remédier. Le problème de cette communication n’est pas sa forme, mais surtout son fond. C’est parce que les syndicats ne veulent pas gêner les partis amis de la social-démocratie et de la démocratie-chrétienne. Mertens ne dit rien non plus sur le manque criant de communication interne, de démocratie, par exemple au moment où le premier plan d’action s’est terminé sans plus de suite. Nous comprenons que Mertens préfère tenir nombre de ses critiques en interne, surtout dans une interview avec De Standaard. Mais dans cette même interview, Mertens déclare aussi ne pas avoir envie de faire la concurrence au SP.a ou à Groen et qu’il espère pouvoir entrer d’ici dix à quinze ans dans un gouvernement qui pourra appliquer la taxe des millionnaires. Bref, l’absence de critiques en contenu sur les dirigeants syndicaux peut aussi être liée au fait que Mertens est lui-même favorable à un gouvernement avec les « partis amis », à condition toutefois de pouvoir y participer.
Lors du plan d’action, le PTB s’est concentré sur une autre niche. Il avait bien senti le soutien large du mouvement et pensait pouvoir en faire quelque chose. C’est sans doute le PTB qui était le moteur derrière Hart boven Hard, initiative que nous saluons nous aussi. Mais pour le PTB, cela devait surtout rester large, pas trop politique, accessible à toutes sortes de progressistes, y compris des figures de la social-démocratie et des verts. Faudrait-il y voir une sorte de coalition de la rue dans la perspective d’une future coalition gouvernementale ? Qu’importe, le PTB voulait à tout prix éviter que cette base bigarrée soit attirée par un rabat-joie plus radical, d’où des parades à la place de manifestations, d’où une mise en scène stricte, d’où une phobie pour tout ce qui est considéré comme trop à gauche, jusqu’à l’interdiction de tracts, de drapeaux et de pancartes si ce n’est derrière un peloton de membres du service d’ordre.
Pour le moment, le PTB occupe l’espace qui se trouve à la gauche de la social-démocratie et des verts. C’est aussi ainsi que le considèrent de nombreux syndicalistes combatifs et jeunes radicalisés. Cela n’a pas facilité notre construction ces dernières années. Cet espace pourrait encore être décuplé s’il existait un parti de combat large et inclusif de travailleurs. Mais les expériences précédentes ont clairement montré que le PTB ne veut être large qu’à condition d’avoir le contrôle total, mais aussi qu’il veut changer la société très graduellement, en commençant par une coalition gouvernementale d’ici dix à quinze ans et pas à travers la lutte sociale qui ne sert, au mieux, qu’à son positionnement électoral. Cela signifie que cet espace existera encore quelques temps. Le PTB y sera un obstacle difficile à contourner, ce qui fait que la question d’un vrai parti de combat est postposée. Mais si la société continue à s’agiter, ces processus pourront se développer beaucoup plus vite que ce que nous sommes aujourd’hui capables d’estimer. Nous remarquons déjà que les différences en méthodes et en programmes se clarifient et que, parallèlement, les opportunités de construire le PSL se font plus nombreuses. Il est frappant de voir avec quelle aisance un nombre de travailleurs et de jeunes ont déjà laissé derrière eux leur courte expérience avec le PTB et cherchent à adhérer au PSL.
Comment la situation a-t-elle pu tourner avec le changement d’année ?
Ce n’est sûrement pas dû au plan d’action de cet automne mais, depuis 2015, dans les pays voisins aussi, la température sociale a augmenté. En Allemagne, le nombre de jours de travail perdus pour cause de grève est passé de 156.000 en 2014 à plus d’un million pour cette année-ci. A Dundee, en Écosse, des brancardiers ont fait grève durant 13 semaines et ont arraché une augmentation salariale de 20%. A Glasgow, les travailleurs sociaux ont fait grève durant 14 semaines. En mai, à Bursa, au Nord-Est de la Turquie, les travailleurs d’Automotive, autour de l’usine Renault, ont fait grève pour une augmentation salariale de 60%. Le personnel des aéroports en Espagne et les dockers en France ont fait grève. Aux Pays-Bas, le syndicat FNV a lancé un ultimatum au gouvernement pour une augmentation des salaires dans les services publics. Pour certains syndicats, ce sont les premières grèves depuis des années. The Economist se demande si les syndicats veulent saisir la reprise économique pour essayer de justifier leur existence « après des années d’inactivité et de pertes de membres ». [130] Nous suivons attentivement ces développements puisque cela pourrait être un facteur apte à stimuler la reprise de la lutte.
Les dirigeants syndicaux belges avaient annoncé une évaluation le lendemain de la grève générale du 15 décembre où une suite allait être proposée si nécessaire. Pendant les semaines qui ont suivi, les négociations ont dû être nombreuses. C’est à ce moment-là que le Groupe des Dix est soudainement sorti avec des accords partiels. Des promesses ont-elles été faites quant à ARCO, le patronat a-t-il décidé de ne pas mettre de l’huile sur le feu ? Est-ce ce pour quoi la tonalité des discussions sur la limitation du droit de grève a baissé d’un cran ? Probablement les directions syndicales se sont-elles réalisées à ce moment-là que faire tomber ce gouvernement exigerait un effort qu’ils n’étaient pas préparés à livrer. « They looked over the cliff » dirait-on en anglais : ils ont eu le vertige. L’évaluation a été reportée, reportée et encore reportée. Il y a eu une époque où des délégations d’entreprises étaient capables de pousser le mouvement de l’avant contre la volonté des dirigeants syndicaux. Mais au grand soulagement des directions syndicales nationales, ce ne fut pas le cas cette fois-ci.
La FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut n’avait-elle pas rédigé un programme anticapitaliste en 10 points ? [131] C’était pourtant un excellent document. [132] C’était indicatif de la frustration d’une partie de l’appareil syndical qui en avait marre de courir après les partis traditionnels. Le Comité Permanent de la régionale de Charleroi – CP, Comité regroupant les secrétaires généraux des différentes centrales de la régionale, ainsi que le secrétaire régional – s’était sérieusement avancé, il remettait en question depuis 2010 les relations privilégiées avec la social-démocratie et, au printemps 2013, avait rassemblé 6 formations de la gauche radicale dans l’espoir de faciliter la création d’un parti considérablement plus à gauche. Mais le CP a aussi commis des erreurs qui deviendront fatales par la suite. Son intention de discuter ses brochures « 8 Questions » et « 10 objectifs » et de les diffuser ne s’est jamais réellement réalisée. L’initiative est donc restée trop dépendante du sommet, correspondant bien à état d’esprit parmi les militants mais trop peu vue comme un projet qui leur soit propre et à activement promouvoir.
Le CP s’est aussi heurté à une forte résistance. Des tentatives de désolidariser certaines centrales régionales de l’initiative sont venues du sommet et du PS. Cela a réussi avec la centrale des employés (Setca) et plus tard aussi avec celle des services publics (CGSP). Le CP ne savait pas comment traiter cela. Autour de la fin 2013 début 2014, la régionale a été confrontée à la fermeture de deux entreprises verrières, AGC et Saint Gobain et deux restructurations, Caterpillar et Ikea. Les dossiers coïncidaient quasiment avec la sortie du programme anticapitaliste des « 10 objectifs ». Le PSL proposait de saisir cela pour organiser une manifestation régionale tirée par les travailleurs touchés, mais avec l’objectif de monter que tous les travailleurs de Charleroi les soutenaient et dans le but de mettre la région wallonne face à ses responsabilités. La mobilisation de la classe aurait certainement augmenté la pression sur la centrale des employés et celle des services publics pour souder les rangs avec la centrale du métal, la centrale générale et d’autres. Le CP ne l’avait-il pas compris ? Ils ne l’ont en tout cas jamais fait. Publier un programme anticapitaliste et devoir subir des restructurations et des fermetures d’entreprise avec impuissance dans son propre bastion, cela ne colle pas.
A l’approche des élections, le PS est passé à la vitesse supérieure au niveau de la pression exercée sur la direction de la régionale, la centrale des employés et celle des services publics ont donc également augmenté la pression. Un évènement dramatique survenu dans la vie privée de Daniel Piron a certainement joué dans le fait qu’il fasse un pas de côté et abandonne son poste en claquant la porte pendant la période entourant le 1 mai 2014 et les élections. Le 1er mai 2014, Carlo Briscolini a dénoncé les manœuvres du PS (sans le nommer) à la tribune, et sans faire d’appel de vote, a rappelé ce que la régionale avait dit quelques mois plus tôt, que le PTB-GO était un premier pas intéressant. Mais c’est le discours du représentant des jeunes FGTB et les critiques qu’il a émise vis-à-vis des politiques mises en place par le PS qui vont mettre en colère les pontes du PS. Ceux-ci ont ostensiblement quitté les lieux, suivis par les représentants du Setca et de la CGSP en entrainant seulement une petite minorité des participants. Cela ne faisait qu’illustrer de quel côté se trouvait la majorité des militants. Après un bref retour après les élections, Daniel Piron abandonnera complètement son poste de secrétaire régional et sera remplacé par un proche du PTB. Tout en restant secrétaire général de la Centrale générale et présent au CP, Carlo Briscolini remettra quant à lui son mandat de président de la régionale au profit du responsable de la centrale des métallos, proche également du PTB. Nous ne savons pas ce qu’il serait advenu sans l’abandon de Piron ou le recul de Briscolini. Le résultat des élections a confirmé leur position. A l’automne, le plan d’action syndical leur aurait offert la possibilité de discuter de leur programme à une échelle plus large que jamais auparavant. Mais le fait est qu’après le 15 décembre 2014, à Charleroi également, les actions ont été stoppées.
Avec le changement de direction dans la régionale de la FGTB Charleroi, sous couvert de continuité, le contenu a changé. Au lieu de vouloir faciliter la création d’une nouvelle formation à la gauche de la social-démocratie et des verts, on vise maintenant clairement une ouverture vis-à-vis du PS et d’Ecolo. Cela répond à la volonté du PS de remettre la main sur la régionale, mais également à la stratégie du PTB d’un “front des progressistes” avec le PS et Ecolo. De tout cela, nous ne pouvons tirer qu’une conclusion : des pans de l’appareil peuvent être poussés vers une politique syndicale plus combative. Ils peuvent même, comme le CP de Charleroi & Sud-Hainaut, aller très loin. Mais sans mouvement fort à la base, sans capacité de mobilisation pour soutenir ses positions y compris en pratique, ils se heurteront à chaque fois à leurs limites. Il nous faut un réseau de syndicalistes de combat qui partage son expérience de construction de délégation, qui fait de la démocratie syndicale un élément clé sur le lieu de travail et dans leur centrale, qui défend une rupture avec les partis traditionnels et qui œuvre en faveur d’un parti de combat large et inclusif, capable de politiquement traduire nos revendications.
L’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, le dénouement de la prise d’otage à Paris le 9 janvier et, finalement, les tirs à Verviers le 15 janvier où deux terroristes ont été tués ont éclipsé la lutte sociale. Avec les concessions minimales sur les salaires et l’enveloppe « bien-être » utilisée comme monnaie d’échange pour faire revenir les syndicats sur leurs déclarations concernant la poursuite des actions, cela a permis au gouvernement de restaurer sa position en appelant à la réconciliation et à l’unité nationale face à un ennemi commun. Attention, ces djihadistes défendent un régime ultraréactionnaire basé sur l’exploitation capitaliste et féodale, sur l’oppression, la censure et des interdictions. Mais les guerres impérialistes, la stigmatisation des musulmans, la politique d’austérité et les discriminations intolérables ne peuvent pas simplement être balayées d’un revers de la main. Il y a eu une tentative de passer tout cela sous le silence au nom de la « solidarité » avec les victimes des attentats.
A la manifestation du 12 janvier à Bruxelles, le PSL était le seul parti à avoir résisté à cette pression, non pas en laissant le terrain à la droite en étant absent, mais en allant au contraire à la confrontation avec ses idées. Ici et là, il y a eu des remarques, mais la grande majorité des manifestants pouvait comprendre nos critiques quant au fait que jamais aussi peu d’opinions n’ont été exprimées à une manifestation appelant pourtant explicitement à la défense de la libre expression. Pour le gouvernement, c’était l’opportunité de montrer qu’il était une force agissante. Il a annoncé 12 mesures antiterroristes, dont le déploiement de l’armée dans la rue. Même l’ordre flamand des avocats – qui n’est pourtant pas à l’avant-garde de la résistance contre l’establishment – a averti que ces mesures représentaient une menace pour la vie privée. Le PSL a accentué que ce n’est pas Big Brother qui allait arrêter le terrorisme mais que, pour cela : « Pour mettre un terme à la menace terroriste et à la violence croissante, nous avons besoin d’un changement fondamental. Ce système dans lequel les très riches continuent à s’enrichir inexorablement aux dépens du reste la population conduit forcément à plus de violence. Il ne s’agit pas d’un problème individuel. Cela fait partie d’un tout, de la manière dont fonctionne ce système. » [133]
Les dirigeants syndicaux jouent avec le feu
Le 10 février, le moment était venu. C’est alors que le conseil général de la CSC a voté le « projet d’accord social » du groupe des dix à la plus courte majorité de son histoire : 49% pour, 45% contre, 6% d’abstention (147 votes pour, 135 votes contre, 17 abstentions). La direction de la CSC a, de plus, dû promettre de continuer à mener action en front commun syndical. La FGTB avait déjà auparavant rejeté le projet d’accord. Le 5 février, le journal patronal FDMagazine écrivait : « La FEB est exaltée par ce projet d’accord (…) avec dedans le saut d’index, des enveloppes réelles extrêmement limitées pour les négociations salariales pour 2016 et une réduction des charges. (…) En plus, pour 2015, le blocage salarial (la norme 0%) continue. Ce n’est qu’à partir de 2016 que des enveloppes très limitées sont prévues pour les négociations salariales (0,8% tous ensemble). Il s’agit en plus de maximas, ce qui signifie que le secteur et les entreprises peuvent donner moins ou rien du tout. » Le saut d’index au sens strict ne fait pas partie du projet d’accord. Le texte le stipule d’ailleurs explicitement. Mais le patronat, ses politiciens et ses médias savaient déjà à ce moment qu’en signant l’accord social, la CSC allait automatiquement avaler le saut d’index.
Ainsi, la CSC a également ouvert la porte à toutes sortes de mini-accords. A la FGTB, Jorissen (ABVV-Metaal) et Dedeyn (Setca) ont commencé à dire qu’ils trouvaient que le saut d’index ne méritait pas de faire grève. Il y a encore bien eu des concentrations syndicales le 13 mars et celle des services publics le 19 mars, suivis par la Grande Parade de Tout Autre Chose / Hart Boven Hard avec 20.000 participants dans la pluie battante et, finalement, la grève générale des services publics du 22 avril. Mais la volonté d’y aller vraiment de la part de la direction s’était totalement évaporée. Les manifestations thématiques contre l’effet de la politique gouvernementale sur les jeunes (12 mai), les femmes (4 juin) et les pensionnés (15 juin) ainsi que contre le dumping social (24 juin) n’ont pas pu le cacher. A la FGTB aussi, c’était dorénavant chacun pour soi, sans effort sérieux de rassembler la volonté de lutter clairement présente à la base dans un plan d’action en commun pour essayer d’entraîner à sa suite la CSC en travaillant sa base.
Dans un article titré « La volonté de faire grève est-elle éteinte ou les directions syndicales jouent-elles avec le feu ? » nous sommes revenus sur le Congrès de la CSC de la fin avril 2015. Ce congrès était apparemment un congrès de frustration accumulée et de colère. Leemans y avait entre autres plaidé pour échanger l’arme de la grève pour des formes d’action plus modernes, mais il a finalement dû reconfirmer que la CSC utilisera toujours l’arme de la grève si nécessaire. Il a de plus été obligé de concéder que la CSC « n’était pas encore mûre » pour la cogestion. Nous avons écrit que Leemans ferait mieux de faire attention. En janvier, il avait encore réussi à obtenir de justesse une majorité sur l’accord salarial parce que les représentants des centrales professionnelles ne voulaient pas publiquement le désavouer. Mais s’il continue à les dénigrer ainsi, à l’avenir, cela pourrait changer et, cette fois-ci, pas uniquement dans les centrales des employés.
Nous sommes aussi revenus sur le Comité fédéral de la FGTB de la fin avril. La presse s’est vantée du fait que « seulement » 35% de ses membres s’étaient prononcés pour une grève générale le 12 mai. Nous avons interprété les choses différemment : après la semaine d’actions mal organisée d’avril et la grève des services publics le même mois, nous, comme beaucoup d’autres, craignions qu’une grève générale aussi proche de l’été ne signifie qu’un doigt d’honneur illustrant plus la faiblesse que la force du mouvement. Le fait qu’il y ait eu encore autant de représentants pour voter en faveur de la grève était une expression de la protestation face au manque de stratégie claire du sommet de la FGTB, une protestation qui est aussi partagée par beaucoup des 65% qui avaient voté contre la grève mais dont le vote n’était pas un soutien au sommet mais plutôt l’expression de la crainte de la défaite et de l’échec d’une grève générale le 12 mai.
Celui qui pense que la résistance sociale est morte et enterrée se trompe, disions-nous. Cela nous avait frappé que, lors de la manifestation jeunes du 12 mai 2015, Marc Goblet avait annoncé un plan d’action « de l’ampleur et de la taille de l’automne 2014. » A l’action contre le dumping social du 24 juin, en tant que dernier orateur, il a appelé au moins 5 fois à mobiliser massivement vers une manifestation nationale du front commun syndical ce 7 octobre. C’était surtout remarquable que tous les autres orateurs y compris Leemans, Ska, mais surtout De Leeuw n’avaient pas même mentionné cette manif. Ce ne sera pas facile, après la trahison de ce printemps, de rallumer les braises de la protestation sociale.
Les dirigeants syndicaux abuseront de la présence moindre pour surtout ne pas laisser passer un plan d’action digne de ce nom. Apparemment, au sein de la FGTB, en tant que compromis, un faible semblant de plan a été élaboré avec des actions provinciales tournantes. Il n’est pas encore clair si la CS va participer, probablement non. Si les actions à tour de rôle sont faibles, c’est le risque de renforcer la démoralisation et d’augmenter les tensions entre syndicats y compris à la base. Mais dans le contexte politique actuel, beaucoup peut se produire, tout est possible. Si les mobilisations prennent un caractère massif à cause de l’un ou l’autre événement, il est possible qu’une ou plusieurs centrales de la CSC soient forcées par leur base de rompre les rangs bureaucratiques et de rejoindre la FGTB.
Il est entretemps clair que la majorité des dirigeants syndicaux tendent à vouloir attendre jusqu’à la fin de cette législature dans le vain espoir que la N-VA soit punie aux prochaines élections. C’est un pari dangereux qui, même si cela demande un peu de temps, ne sera pas apprécié à la base. La direction syndicale n’a-t-elle donc rien appris de l’expérience du TUC (Trade Union Congress) britannique ? Celui-ci partait de l’idée que les travaillistes ne pouvaient pas perdre et ont choisi d’attendre les élections générales du 8 mai 2015. Le parti travailliste s’y est positionné tellement à droite que beaucoup d’électeurs ont tout simplement décroché ou voté SNP. En aspirant les votes de son partenaire de coalition, les Libéraux-Démocrates, les Conservateurs (Tories) sont parvenus à arracher une courte majorité des sièges. En plus d’une austérité à hauteur de 80 milliards de livres sterling du gouvernement sortant, le nouveau gouvernement veut encore économiser 12 milliards de livres sterling et encore plus éroder le droit de grève. Heureusement, ceci est éclipsé par une révolte à la base, tant dans la rue que dans les élections pour la présidence du parti travailliste. Et la direction du TUC ? Elle regarde faire.
Michel I ne compte encore qu’une année derrière lui. Ce gouvernement ne va pas se mettre au repos. Le patronat en voudra encore plus après les premiers succès. Le Tax Shift que l’on nous a vendu pendant le plan d’action comme un pas vers un équilibrage des efforts est arrivé comme un cadeau unilatéralement pro-patronal. Le seul « trophée » que le CD&V a arraché, c’est la « concession » de ne pas neutraliser l’effet de l’augmentation de la TVA sur l’électricité par rapport à l’index. En échange, le VLD a reçu l’abolition de la tranche d’imposition de 30% et la N-VA l’augmentation du nombre de militaires en rue jusque 200. Nous sommes curieux de voir quelle sera la carotte que le sommet de la CSC nous mettra devant les yeux à partir de maintenant et la crédibilité que ça aura encore.
Finalement, toute une série de dossiers sont encore en attente, entre autres celui sur la limitation du droit de grève par l’instauration d’un service minimum à la SNCB. Cela devrait être fait avant la fin de l’année. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à s’accorder, le gouvernement menace de l’imposer unilatéralement. En novembre, à la SNCB, il y aurait déjà une semaine de grèves tournantes suivie d’une grève nationale de 48 heures planifiée sur ce dossier, la dissolution de HRrail et le rétrécissement systématique du cadre du personnel. Cela se décrète hélas d’en haut, sans consultation de qui que ce soit à la base. Il semble qu’au lieu de préparer la lutte de façon sérieuse la direction de la CGSP cheminot veut tout simplement ouvrir encore une fois tous les dossiers pour que par après personne ne puisse lui reprocher de manque de combativité. Il nous semble aussi s’agir d’une politique de kamikazes qui sera saisie par la CSC transcom pour ne pas participer et qui pourrait aboutir à une lourde défaite.
Il est inévitable qu’il y aura au moins des confrontations sectorielles. A part à la SNCB, dans l’enseignement francophone où un gel salarial a été annoncé et dans le social-profit, il faut s’attendre à des mouvements. De plus, certains patrons se sentiront renforcés après le printemps pour adopter une attitude plus agressive et provoquer des confrontations qui pourront être dures au niveau des entreprises. Seulement cela, déjà, signifie que l’automne ne sera pas dénué de luttes sociales. Les directions syndicales pourront-elles arrêter une confrontation généralisée ? Probablement, oui. Mais à un peu plus long terme, cela ne va qu’accroître les tensions internes aux syndicats. Et cette fois-ci pas seulement entre des parties de l’appareil mais aussi à la base.
Nous devons assurer que ceci ne mène pas à une sortie massive hors des syndicats mais qu’ensemble nous puissions lutter pour retransformer le syndicat en instrument avec lesquels pouvoir défendre nos intérêts. L’automne posera des défis importants pour notre travail syndical, de même que les élections sociales de 2016. La procédure pour les prochaines élections sociales débutera normalement en décembre 2015 avec comme point final les élections en mai 2016. Nous devrons alors essayer de faire élire le plus de syndicalistes combatifs possibles. Nous savons maintenant comment un plan d’action peut créer une relation de force et quelles sont les faiblesses de la direction. Après un tournant prometteur, les travailleurs ont finalement encore perdu la première bataille. Mais le patronat et ce gouvernement de droite ne veulent pas d’une bataille, ils veulent une véritable guerre de classe où tout doit être mis en question. Le plan d’action nous a montré qui sont les militants combatifs dans les entreprises, les convaincre de se présenter sur les listes et en faire élire le plus grand nombre possible est une des nombreuses batailles dans cette guerre de classe.
Au sein du gouvernement, on est apparemment plus conscients du défi que les dirigeants syndicaux. Pendant que Kris Peeters joue le bon flic et essaye de convaincre les dirigeants syndicaux des bonnes intentions du gouvernement, son collègue fédéral Reynders, ce 15 janvier 2015, avait été l’hôte du Ministre-président flamand Bourgeois pour le Cercle de Lorraine, club de discussion patronal. Bourgeois y expliquait : « je me rends compte que je parle ici à une élite. Mais je crois dans la force positive d’une élite. Vous avez tous de grandes responsabilités. Je voudrais vous demander de continuer à prendre ces responsabilités. » Il est aussi revenu sur les grèves de l’automne qu’il a qualifiées de « catastrophes » avec « des conséquences importantes ». Sous les applaudissements, il a plaidé pour casser les grèves par la voie juridique. Selon De Tijd, Bourgeois, en tant que nationaliste flamand, se sentait remarquablement à l’aise. Cela aurait moins été le cas à une réunion de militants syndicaux flamands. Petit détail : l’entrée pour assister au discours de Bourgeois était de 50 euros pour les membres et de 145 euros pour les non-membres.
123 Ondernemers zullen tripartite boycotten, De Standaard 30 juni 2015
124 Tract du 6 novembre ‘Grève pour faire tomber Michel 1er mais aussi toute l’austérité!’
125 ‘L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes’, Marx dans le Manifeste Communiste
126 Wither France – Où va la France https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ouvalafrance/ovlf.htm
127 http://www.socialisme.be/fr/7024/lettreouverte-2 Lettre ouverte du PSL/LSP pour une union électorale de nos forces en 2014, la lettre a été adressée à la FGTB Charleroi, CNE, PVDA/PTB, ROOD!, LCR/SAP, Mouvement de Gauche, Parti Communiste, Parti Humaniste, Gauches Communes Bruxelles, Front de Gauche Charleroi, Véga, Socialisme 21, LEEF!, LCT, LO, GCT, Vonk et tous ceux qui veulent lutter contre la politique d’austérité. Seul le Parti Humaniste nous a répondu.
128 Percée de la gauche radicale : une excellente occasion d’organiser la lutte contre l’austérité http://www.socialisme.be/fr/9867/percee-de-la-gauche-radicale-une-excellente-occasion-dorganiser-la-lutte-contre-lausterite – juin 2014
129 ‘Over 10 jaar kunnen wij in de regering zitten’, De Standaard 4 april 2015.
130 Trade unions are trying to find their post-austerity voice,Economist, September 5th 2015
131 http://www.socialisme.be/fr/7897/brochure-10-objectifs-dun-programme-anticapitaliste-durgence
132 http://www.socialisme.be/fr/8393/10-objectifs-dun-programme-anticapitaliste-durgence
133 http://www.socialisme.be/fr/12415/big-brother-ne-va-pas-empecher-le-terrorisme