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Turquie: Guerre, intimidations et répression des droits démocratiques derrière la victoire de l'AKP
La lutte pour l’unité des travailleurs, la paix et la justice sociale est plus importante que jamais.
Le Parti conservateur AKP a remporté une majorité décisive lors des élections générales qui ont eu lieu ce dimanche, en remportant 315 sièges sur les 550 que comprend le Parlement (pour 49,3% des suffrages). L’opposition capitaliste principale, le CHP, n’a que légèrement augmenté son soutien depuis la tenue des élections de juin dernier tandis que le parti d’extrême-droite MHP a chuté de 16% à 12%, une perte essentiellement au profit de l’AKP.
Par Mike Cleverley, Socialist Party (COI-Angleterre et Pays de Galles)
La rhétorique nationaliste menaçante de l’AKP et la campagne militaire brutale menée contre les Kurdes ont sans aucun doute réussi à attirer le vote d’une couche importante de partisans du MHP. Ces élections représentent un coup de pouce pour le président Erdogan, mais cette aide est insuffisante pour lui permettre de modifier la Constitution turque afin de consolider les pouvoirs présidentiels.
Le parti pro-kurde HDP (Parti démocratique du peuple), dont le soutien électoral en juin dernier avait été stimulé par le vote de jeunes Turcs radicaux, a également perdu 21 députés et franchit tout juste le seuil électoral antidémocratique de 10% nécessaire pour obtenir des sièges au parlement. Cette perte de soutien pour le HDP sera une déception pour la gauche, mais nombreux sont ceux qui remettront en question à juste titre l’idée de la tenue «d’élections libres» alors que des villes et villages kurdes étaient militairement assiégés. Beaucoup de partisans du HDP ont été arrêtés au cours de ces derniers mois et les locaux du HDP ont été physiquement pris pour cibles par des foules liées à l’AKP et au MHP.
Ces élections ont pris place dans un contexte d’intimidation massif, de violence généralisée et de répression de l’opposition – y compris avec interférence du président le jour du scrutin, contrairement à ce que précise la Constitution qu’il est censée défendre. Avant les élections, des rumeurs émanant d’un dénonciateur au sein du gouvernement ont accusé l’AKP d’avoir installé ses partisans en position de truquer les résultats du scrutin.
Un nombre croissant de rapports de fraudes électorales et de perturbations du scrutin émergent, en particulier des régions kurdes où le HDP avait obtenu des scores élevés en juin. Différentes tactiques d’intimidation ont visé les électeurs, les journalistes critiques et les observateurs électoraux. Certains observateurs électoraux internationaux ont été embarqués par la police et des bureaux de vote ont été fermés ou privés d’accès par l’armée. Dans un certain nombre de régions, des bulletins de vote ont disparu, tandis qu’à Izmir, par exemple, il y a eu 700.000 voix de plus que le nombre d’électeurs inscrits!
Quelques jours avant les élections, le groupe Koza Ipek Holdings, qui publie des médias liés à des opposants d’Erdogan, a été repris et les rédacteurs en chef ont été remplacés par des partisans de l’AKP. L’Association du Barreau turc a condamné ces mesures comme étant inconstitutionnelles.
Ces actions et le climat général de crise ont sans aucun doute contribué à assurer la victoire de l’AKP. Le HDP a très certainement également été touché par sa décision d’annuler les rassemblements prévus après l’attaque à la bombe à Ankara le 10 octobre.
Tous ces facteurs ont contribué à ce que ces élections soient totalement biaisées. La voix de l’opposition était difficilement audible tandis que celle du parti au pouvoir a été amplifiée.
Mais le résultat de ces élections ne saurait masquer les profondes divisions qui règnent au sein de la classe dirigeante. Cela ne se reflète pas seulement dans l’existence de l’AKP et de son rival plus laïc, le CHP, mais aussi dans le difficile équilibre du pouvoir entre le président Erdogan et le Premier ministre Davutoglu.
Les trois partis de l’opposition se pencheront sur les résultats électoraux pour y détecter les fraudes, dont le fait que 650.000 électeurs ont disparu des listes d’électeurs entre les élections de juin et celles de novembre tandis que 400.000 nouveaux électeurs ont fait leur apparition. Ces anomalies semblent être concentrées dans les districts électoraux où la marge était étroite entre les résultats des deux principaux partis en juin.
Ces élections sont intervenues à un moment où la classe des travailleurs et les syndicats gagnent en confiance. La grève générale de deux jours qui a immédiatement suivi les attentats d’octobre à Ankara (pour lesquels la politique de l’AKP est à blâmer) a illustré la puissance potentielle de la classe des travailleurs. Malheureusement, cette grève n’a pas été suivie d’un appel à intensifier la mobilisation, en laissant ainsi le mouvement sans stratégie claire. L’AKP a continué de dominer le discours public dans la perspective de ces élections.
La grève générale d’octobre est survenue après une période prolongée de la lutte des travailleurs. En mai 2014, après une catastrophe minière, les travailleurs avaient protestés contre l’effroyable manque de sécurité dans les mines turques. En mai 2015, une grève a éclaté à l’usine Renault et a entrainé dans l’action d’autres usines du cœur industriel du pays en dépit des lois anti-syndicales extrêmement dures. En Turquie, les «syndicats autorisés» omettent souvent de protéger les intérêts des travailleurs. En conséquence de cela, la Turquie possède la plus faible proportion de travailleurs syndiqués de l’OCDE (les «pays développés»). Les médecins sont eux aussi entrés en grève en mai 2015 pour protester contre les charges de travail excessives.
Les socialistes en Turquie organisés autour de Socyalist Alternatif (CIO-Turquie) continueront de faire campagne pour l’unité des travailleurs et pour un parti des travailleurs de masse indépendant, vers lequel le HDP pourrait potentiellement constituer un tremplin s’il s’oriente vers les travailleurs de toutes les communautés avec un programme d’action audacieux et s’il démocratise ses structures internes.
Un tel parti doit adopter un programme clairement socialiste reposant sur la propriété et le contrôle publics des grandes industries; sur le droit à l’autodétermination du peuple kurde et sur la fin des attaques contre les droits nationaux kurdes sous couvert d’une prétendue lutte contre le terrorisme.