Le contre-feu du patronat et du gouvernement

ABVVOn l’a dépeint comme étant Monsieur patate. C’était se tromper sur la nature de ce gouvernement. Le gouvernement de Charles Michel a mis en branle une lame de fond contre l’ensemble du mouvement des travailleurs avec comme point de mire ses conquêtes sociales et ses organisations. Aidé en cela par la presse privée (aux mains du patronat) et publique, nous faisons face aujourd’hui à une campagne soigneusement élaborée contre l’action sociale. Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est que l’étape 1 d’un plan d’ensemble qui vise à nous faire retourner au 19ieme siècle ou, formulé autrement, à nous faire travailler dans les mêmes conditions que les pays avec lesquels on nous met en concurrence : Chine, Inde, Pologne,…

Par Pierre et Alain (Namur)

LES JOURS DE GRÈVES SONT LES SEULS JOURS OÙ L’ENSEMBLE DES PROBLÈMES SOCIÉTAUX ONT UNE CAUSE ET UNE SOLUTION

Alors que l’on peine à trouver les causes des maux qui a rongent notre planète ou notre vie personnelle : faim, pauvreté, réchauffement climatique, maladie, échec scolaire, divorces… Il y a des jours dans l’année où tout cela trouve une explication rationnelle. Les médias quasi tous en cœur disent que la cause mère de tous ces maux sont les actions sociales menées par des « voyoux en vareuses rouge ». Les problèmes de la SNCB ? C’est la faute des syndicats et des grèves. Les problèmes de circulation et toutes ses conséquences ? C’est encore une fois les syndicats et les grèves. Idem pour le chômage, la soi-disant fuite des investisseurs, etc. Bientôt on nous dira que les jours de grève sont néfastes pour la planète à cause des barbecues et des feux de palettes. Sur ce dernier point, on oublie la fraude de VW sur les moteurs, mais aussi la privatisation du transport marchandise de la SNCB, alors qu’on aurait pu s’en servir comme d’un outil alternatif à tous ces camions sur nos routes.

Pour les grands médias il s’agit d’agglomérer tous les malheurs, toutes les frustrations sociales et de les jeter sur un même objet : le mouvement social qui devient ainsi le réceptacle de la colère sociale. On a pas envie d’en rire quand on voit avec quoi jouent ces apprentis sorciers de journalistes. Les liens de causalité qu’établit la presse contre le mouvement social vise à saper le crédit du mouvement syndical afin de pouvoir déployer plus durement la machine de répression de l’état contre celui-ci. Cette stratégie entraîne des conséquences collatérales, dont la violence physique et verbale grandissante contre les acteurs du mouvement social, dans la rue ou sur les médias sociaux. On a ainsi vu durant les derniers mouvements de grève des militants agressés à la barre métallique ou à la batte de base-ball, avec des conséquences graves pour leur santé.

CRIMINALISER LE MOUVEMENT SOCIAL

Lors des mouvements sociaux de ces derniers jours, médias et gouvernement parlaient des actions sociales et des militants comme s’ils couvraient la vie et les actions de hors-la-loi. Ils poursuivent leurs propres objectifs, et l’un d’entre eux est d’instaurer la personnalité juridique des syndicats. Mais leur principal objectif est d’affaiblir par tous les moyens l’impact et la force du mouvement ouvrier. En effet, sans organisation le mouvement ouvrier ne pourra plus faire face aux régressions sociales imposées par le patronat. Depuis le plan d’action 2014, et durant les grèves et manifestations de 2015, l’approche médiatique s’est principalement centrée sur la violence des manifestants, les ennuis causés par l’action sociale, et les dégâts qui résultent de ces actions. En focalisant le débat sur ces questions ils poussent le mouvement dans ses retranchements. Chaque écart, chaque faiblesse, chaque division est utilisée pour saper le mouvement. Le manque de résolution de la direction du mouvement est utilisé pour convaincre ceux qui ne l’ont pas encore rejoint de rester à l’écart. Lorsque la direction de la CSC déclare laisser la chance à la concertation, c’est une occasion en or pour le gouvernement de concentrer ses attaques sur un seul ennemi : la FGTB. Et celle-ci, plutôt que de réaliser le front commun à la base via des assemblées générales sur les lieux de travail, plutôt que de lancer une grande campagne d’information avec tous les acteurs de la société civile, préfère s’allier au pilier traditionnel – prêtant le flan aux critiques qui disent que le seul but de ses mouvements est de faire revenir le PS au pouvoir.

Lorsque l’on se lance dans une bataille, on ne doit pas le faire en préservant ses atouts. On a besoin de mots d’ordre et d’alternatives clairs. Faire chuter ce gouvernement et faire reculer toute l’austérité a été jugé comme un mot d’ordre trop radical par la direction du mouvement. Elle en a donc appelé à la concertation sociale. Plutôt que de convaincre le patronat de lâcher du lest, elle a ouvert la voie au gouvernement pour des attaques inédites contre le droit de grève. Plus grave encore, cela nous a empêché d’activer dans la lutte la masse large de soutien passif dont dispose le mouvement.

LES « HATERS », CES NOUVEAUX FAISEURS D’OPINIONS

Les institutions du mouvement ouvrier sont globalement en retard dans l’utilisation et la compréhension des outils que sont les réseaux sociaux. Ceux-ci sont très majoritairement la propriété d’une minorité de la population, les ultra-riches, qui a intérêt à ce que passent les attaques contre nos acquis. Mais ils ont aussi leur propre dynamique. Les médias traditionnels présentent ce qui se dit sur les réseaux sociaux comme l’expression de l’opinion publique et, bien sûr, aller contre l’opinion publique c’est être contre la démocratie. Il y a ici plusieurs manipulations auxquelles se livrent les médias.

L’opinion publique n’est pas la démocratie. Cette notion a émergé au siècle passé lorsqu’on a commencé à étudier la communication de manière générale et la communication de masse en particulier. Bien souvent le but de ces études était de voir comment influencer cette opinion dans un sens ou un autre. La gauche en est arrivée à la conclusion que « l’opinion publique n’existe pas » et surtout « qu’elle se travaille » (Bourdieu et Halimi). Il n’y a donc pas une opinion publique qui serait une fois pour toute contre le mouvement social. La bourgeoisie, elle, excelle dans ce travail de l’opinion publique : elle détecte les « faiseurs d’opinions », « les game-changer », les « lanceurs de tendances » et arrive à les acheter pour faire passer ses idées. Il ne faut pas croire que seul l’argent suffit, c’est un travail méticuleux et qui requiert du temps. Le nombre de lobbyste à la Commission Européenne en est un des meilleurs exemples. Face à cela, nous avons urgemment besoin de diffuser nos idées mais aussi d’en débattre. Pour cela, avoir nos propres médias, avoir la possibilité de porter des opinions contradictoires dans une manifestation ou dans des débats publics, organiser de réels débats publics contradictoires, pouvoir visibiliser la diversité d’opinions via des drapeaux ou des tracts est une absolue nécessité. À ce titre la tendance actuelle dans beaucoup de mobilisations à ne pas vouloir que s’exprime la contradiction devient un handicap pour les mouvements sociaux.

LES MÉDIAS SOCIAUX : BONS OU MAUVAIS ?

Ce débat revient souvent parmi nous, surtout au vu de l’actualité de ces derniers jours. Une chose est claire : les réseaux sociaux sont parfois utilisés comme catalyseurs et canaux de diverses frustrations. Surtout lorsque l’on désigne un objet facilement identifiable comme, dans notre cas, une grève. Mais les frustrations ne sont pas éternelles et parfois un phénomène de groupe poussé à son maximum entraîne son exact opposé. Prenons en pour exemple ces personnes qui sont victimes de bizutage ou de violence. Cette situation entraîne un tel dégoût que ces mêmes « réseaux sociaux » se solidarisent parfois avec la victime et qu’il arrive qu’ils lui viennent en aide matériellement, parfois plus que nécessaire. Ceux qui critiquent avec le plus de virulence les grèves peuvent aussi être ceux qui mettent la main à la pâte pour des opérations de charité comme Viva for Life ou CAP 48.

La RTBF, alors qu’elle venait de clôturer son opération annuelle de charité avec les personnes handicapées, a été très virulente contre ceux qui défendaient nos mécanismes de solidarité collectifs. Ces derniers sont pourtant de bien meilleures solutions pour mieux inclure les personnes en situation de handicap dans notre société. Cela prouve que nous devons encore convaincre et que les militants de terrain dans tous les secteurs doivent, dans leur communication, parler de la défense du travailleur et faire le lien avec la société dans son ensemble. Les médias sociaux peuvent être un outil dans cette démarche qui consiste à sortir le mouvement social de la case dans laquelle l’histoire médiatique voudrait nous faire rentrer.

Nous devons décloisonner notre action. Ne pas se contenter de réfléchir dans le seul cadre de nos lieux de travail. Nous devons démontrer qu’avec notre travail dans la production – l’action sociale, les soins de santé, les ONG, le non-marchand, l’éducation, le commerce, l’horeca et les services publics – ce sont tous ces secteurs qui font société. Défendre les travailleurs c’est aussi défendre ceux que les médias mainstream désignent comme « citoyens ». Le « consommateur » est bien souvent travailleur, tout comme le professeur a été élève, et le personnel soignant sera un jour patient. C’est bien le mouvement social qui défend les intérêts collectifs de la société, même s’il peine parfois à l’expliquer.

L’UNITÉ À LA BASE COMME RÉPONSE À LEUR DIVISION

L’unité du sommet des organisations progressistes est bienvenue mais ne sera pas le facteur déterminant qui nous fera gagner nos luttes. Ce dont nous avons avant tout besoin, c’est l’unité à la base de ceux qui veulent lutter contre les conséquences de l’austérité. Cela ne peut se faire qu’à travers des mots d’ordre clairs et une alternative qui doit être largement discutée. Marc Goblet a récemment déclaré qu’il allait proposer au Groupe des 10 la réduction du temps de travail. Pourquoi n’a-t-il pas d’abord essayé de mener cette discussion dans les différentes centrales et régionales, lors d’assemblées interprofessionnelles ou de débats publics ouverts à tous ? Pourquoi n’a-t-il pas invité ceux qui défendent cette revendication depuis longtemps ? Cela aurait pu stimuler un enthousiasme très fort dans la société qui aurait pu dépasser les seules frontières du syndicat socialiste. C’est avec ce genre de méthodes que nous pouvons faire face à l’attaque du patronat ! Ce n’est pas en lui demandant s’il juge bon que nous travaillions moins !

Nous subissons actuellement le meilleur de ce que la bourgeoisie et son gouvernement peuvent réaliser en termes de stratégie par des moyens « normaux » : un gouvernement de droite, une presse aux ordres, le ban et l’arrière-ban des faiseurs d’opinions mobilisés pour convaincre du bienfait de l’austérité. Malgré ça, les sondages d’opinions ne sont pas géniaux pour ce gouvernement. Mais nos réponses ne sont pas encore à la hauteur des attaques. En utilisant mieux nos outils et nos atouts, nous pouvons construire des victoires. Le mouvement social a encore bien des cartouches en bandoulière : notre rôle est de les insérer dans le chargeur.

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