Your cart is currently empty!
[FILM] Howard Zinn, une histoire populaire américaine
« Tant que les lapins n’avaient pas d’historiens, l’histoire était racontée par les chasseurs. »
C’est sur cette phrase que commence le documentaire réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet sur les travaux de l’historien américain Howard Zinn et plus particulièrement son livre « Une histoire populaire des Etats-Unis » (1980). Dans ce dernier, ce fameux historien militant se revendiquait très clairement d’une autre approche de l’Histoire, « Une histoire qui penche clairement dans une certaine direction ce qui ne me dérange guère tant les montagnes de livres d’histoire sous lesquelles nous croulons penchent clairement dans l’autre sens. Ces ouvrages font preuve d’un si grand respect envers les chefs d’Etat et sont si peu attentifs (…) aux mouvements populaires qu’il nous faut faire contrepoids pour éviter de sombrer dans la soumission. »
Il poursuivait en expliquant : « Un pour cent de la population américaine détient un tiers de la richesse nationale. Le reste est réparti de telle manière que les 99% de la population restante sont montés les uns contre les autres : les petits propriétaires contre les plus démunis, les Noirs contre les Blancs, les « natifs » américains contre les citoyens d’origine étrangère, les intellectuels et les professions libérales contre les travailleurs non-qualifiés et non diplômés. Ces groupes se sont opposés et ont oublié qu’ils étaient tous réduits à se partager les maigres restes de la richesse nationale. (…) L’histoire que j’ai écrite tente de rendre compte de leur intérêt commun, même lorsque ce dernier a été détourné, voire dissimulé. » C’est à cet esprit que voulait rendre hommage ce documentaire.
Bread and Roses
Le grand mérite de ce film – le premier d’une trilogie dont la suite dépend du succès du premier opus – est d’oeuvrer à populariser le travail d’Howard Zinn et, par ce biais, de donner un bref aperçu d’une autre manière de voir l’Histoire et ceux qui la font. Pari tenu jusque là. De la guerre d’indépendance à la Révolution russe (1776-1917), différentes grandes étapes de l’Histoire des Etats-Unis sont passés en revue, concentrés autour de la nature de classe de la société, de l’émergence de la force organisée de la classe ouvrière et de la réaction du patronat, admirablement synthétisée par cette phrase de John Rockfeller : « Il ne faut pas leur laisser croire que la révolte peut marcher. »
A l’époque, les « barons voleurs » tels que Rockefeller possèdent alors 40% des richesses du pays. L’un d’entre eux, Henry Clay Frick, n’hésitait pas à dire : « J’ai les moyens d’acheter la moitié de la classe ouvrière et lui demander de massacrer l’autre moitié », et il n’en est pas resté à la parole… Lors d’une grève, il n’a pas hésité a recourir à 300 employés de l’agence Pinkerton pour tirer à la mitrailleuse sur les grévistes!
Le titre de ce premier volet « Bread and Roses » (Du pain et des roses) fait référence à la très emblématique lutte des ouvrières textiles de Lauwrence, en 1912, dont le slogan était ce titre d’un poème de James Oppenheim dédié aux « femmes de l’Ouest » qui déclarait entre autres : « Nos vies ne seront pas passées à suer de la naissance à la mort – Le coeur a faim tout comme le corps, Donnez-nous du pain, mais aussi des roses. » Le second volet devrait être concentré sur la crise de 1929, la Grande Dépression et de la guerre civile d’Espagne, le troisième volet abordant quant à lui le Maccarthysme et la chasse aux militants progressistes et communistes qui a suivi la Seconde Guerre ainsi que la révolte des Noirs et la lutte pour les droits civiques. Nous espérons bien entendu que les deux autres volets pourront être produits.
Mais, à l’instar des réalisateurs, nous espérons surtout que ce travail suscitera l’envie de lire « Une histoire populaire des Etats-Unis », un ouvrage militant qui appelle à prendre sa place dans le combat social – un aspect crucial qui manquait hélas à ce premier volet documentaire – et à tirer les leçons des luttes du passé. Dans un dernier chapitre ajouté après le 11 septembre 2001, Howard Zinn expliquait ainsi dans son livre que dans « les années ’20 [la] désaffection (…) des classes moyennes vis-à-vis du politique (…) aurait pu s’exprimer de différentes manières – rappelons que le Klu Klux Klan comptait à l’époque des millions de membres – mais, dans les années ’30, le travail d’une gauche dynamique dirigea ce sentiment de désarroi vers les syndicats et vers les mouvements socialistes. »
Howard Zinn est hélas décédé en 2010, il n’a pas pu voir de ses yeux le mouvement Occupy qui a déferlé aux Etats-Unis à la suite du processus de révolution et de contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il n’a pas non plus pu voir l’essor du mouvement pour l’augmentation du salaire minimum ou encore le mouvement #Black Lives Matter. De ces luttes peuvent sortir considérablement grandies des forces qui, tels qu’il le souhaitait, peuvent retirer les leviers du pouvoir des mains des grandes entreprises.