A mesure que la “fête de la démocratie” devient un simulacre vide de sens, toujours plus de gens s’en détournent

La suppression du vote obligatoire en Flandre s’est traduite par une participation beaucoup plus faible que prévu, avec un taux de participation de 63,7 %. Même à Bruxelles, où le vote est obligatoire, il y a de nombreuses communes où plus d’un cinquième de l’électorat ne s’est pas présenté. En Wallonie, malgré le vote obligatoire, les gens qui n’ont pas été voter, les gens qui ont voté blanc et les gens qui ont voté nul représentent 22,7% de l’électorat, le chiffre le plus élevé depuis 1919.

Le suffrage universel a été imposé à la suite d’une lutte acharnée de la part du mouvement ouvrier menée contre celles et ceux qui revendiquent aujourd’hui de représenter la “démocratie”. Une fois arrachée, cette conquête sociale a été pervertie jusqu’à devenir l’occasion de colorier un bulletin toutes les quelques années pour que les partis traditionnels appliquent tout de même la même politique antisociale par la suite. Ce n’est pas une coïncidence si les jeunes et les personnes peu qualifiées sont les premières personnes à tourner le dos à ce système : ce sont précisément les couches qui s’identifient le moins à la manière dont le système fonctionne. Alors qu’un bourgmestre sur huit entretient des liens avec des promoteurs immobiliers, la question des liens avec les personnes précarisées ou la jeunesse n’est même pas soulevée. Si le monde politique ne s’y intéresse pas, comment peut-il espérer gagner leur intérêt politique, alors que ces couches sont justement celles qui ont le plus besoin de sortir du statu quo ?  

Souvent, chez les partis traditionnels, des figures locales populaires permettent de sauver les meubles, mais elles ne peuvent pas complètement cacher la poursuite de l’érosion de soutien. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite arrive au pouvoir au niveau local, à Ninove. Le PTB a globalement progressé, avec de beaux scores à Bruxelles et Anvers notamment, mais un score plus important était attendu.

L’extrême droite au pouvoir à Ninove

Le 9 juin, le Vlaams Belang était le premier parti dans 143 communes flamandes, alors qu’il ne l’est plus aujourd’hui que dans deux d’entre elles : Ninove et Denderleeuw. Dans des villes comme Anvers, Gand et Louvain, l’extrême droite décline. A Anvers, pour se distinguer face au discours droitier de la N-VA, la vieille figure de proue du Vlaams Blok/Belang Filip Dewinter devient encore plus caricatural, tout particulièrement dans le contexte d’une population si diversifiée. Faire une croix sur l’extrême droite est toutefois malheureusement prématuré dans la perspective d’inégalités croissantes et d’augmentation de tous les problèmes sociaux qui y sont liés. 

À Ninove, la liste Forza Ninove a obtenu la majorité absolue. Le 9 juin, un quart des électeur.trices de Ninove avaient accordé un vote préférentiel à Guy D’Haeseleer. Aujourd’hui, il s’agit de près de 40 % des votants. Pourquoi l’extrême droite peut-elle faire un tel score ? Une série de facteurs entrent en jeu : la disparition de l’industrie et des sources locales d’emploi, la réduction de tous les services publics (et privés), une pression accrue sur le marché du logement et les services publics due à l’arrivée rapide de gens fuyant la politique de logement antisociale et inabordable de Bruxelles et, pour couronner le tout, l’accent mis sur le racisme par tous les partis. A cela s’ajoute un réel ancrage de l’extrême droite. Dès la première percée du Vlaams Blok, des noyaux étaient actifs dans la région de la Dendre. Ces dernières années, D’Haeseleer s’est développé un réseau de soutien avec Forza Ninove. Celui-ci aide les gens à remplir leur déclaration d’impôt et D’Haeseleer signe de son nom la notice nécrologique de chaque habitant de Ninove décédé par exemple, choses que les autres partis ne font plus en Flandre. Là où d’autres partis se limitent de plus en plus aux opérations de communication, Forza Ninove est ancré localement.

En 2018, Forza Ninove a échoué de peu à obtenir la majorité absolue et tous les autres partis ont formé une coalition. Il a toutefois fallu faire preuve de persuasion avec la N-VA. Aujourd’hui, Forza Ninove obtient 18 sièges sur 35. D’Haeseleer a annoncé vouloir discuter avec la N-VA (qui a perdu 1 de ses 2 sièges), mais les chances de parvenir à une coalition sont inexistantes. Forza Ninove a besoin que cette discussion prenne place essentiellement à des fins de propagande. Si Bart De Wever ouvre cette porte, la N-VA risque bien de se retrouver aspirée par l’extrême droite au-delà de Ninove. Le fait que la N-VA représente le parti par excellence des attaques antisociales sévères prévues par la coalition fédérale Arizona contre la classe travailleuse ne pose aucun problème au Vlaams Belang. Bien au contraire.

Forza Ninove affirme défendre les services sociaux avec la construction d’un nouvel hôpital et d’une nouvelle maison de repos et de soins. En réalité, Forza Ninove s’est contenté de souhaiter que ces questions soient examinées. Ce qui est par contre très concret, ce sont les restrictions d’accès au logement social et à l’aide sociale (présentées comme trop généreuses et comme un « Win-for-life ») ainsi que le contrôle strict du catalogue de la bibliothèque, du menu des repas scolaires, de la langue des vendeur.euse.s aux étals du marché, du maquillage lors des fêtes de Saint-Nicolas… Les coupes budgétaires dans le secteur social iront de pair avec une augmentation de la répression, le déploiement de services de sécurité privés, l’utilisation accrue de Sanctions administratives communales (SAC) et de travaux d’intérêt général obligatoires pour les personnes qui font appel au CPAS. Forza Ninove souhaite un contrôle approfondi de la vie de la population : « Pour les personnes qui résident déjà légalement ici, il n’y a de place dans notre société que dans la mesure où elles s’intègrent, contribuent à notre prospérité, se conforment à nos lois et à nos normes et respectent nos valeurs, notre culture et nos traditions. » Combien de SAC la police des valeurs va-t-elle bientôt donner ? Forza Ninove veut lancer une chasse ouverte aux personnes sans-papiers. Les subventions pour les associations culturelles ou sportives ne seront accordées que pour autant que l’on n’y parle que le néerlandais exclusivement. Quant au reste, les promesses de campagne concernant la lutte contre la corruption et le népotisme sont généralement les premières à être rompues une fois que l’extrême droite est en mesure d’elle-même attribuer les postes et les contrats. C’est ce qui ressort notamment des municipalités françaises où l’extrême droite est arrivée au pouvoir.

À Denderleeuw, le scénario qui s’y présente est similaire à celui d’il y a six ans à Ninove. Le Vlaams Belang y est devenu le plus grand parti avec un peu moins de 40 %. Cela signifie soit une coalition du VB avec la N-VA, soit une coalition de tous les autres partis contre le VB, l’option la plus probable. Comme le cas de Ninove le démontre, cela ne suffira pas à stopper la progression de l’extrême droite.

Sans réponse collective de la part du mouvement des travailleur.euse.s pour s’en prendre au terreau sur lequel l’extrême droite se développe et sans approche réelle des problèmes sociaux, l’extrême droite peut continuer à croître. Une opposition de gauche forte et combative est nécessaire pour combattre le succès électoral de l’extrême droite. Une liste du PTB à Ninove aurait pu offrir une alternative de gauche à celles et ceux qui souhaitaient exprimer un vote de protestation. Mais il faut bien plus que ça, la lutte sociale est également nécessaire pour s’opposer à la politique d’extrême droite de « diviser pour mieux régner » sur base de la haine de l’autre. Les projets antisociaux du futur gouvernement fédéral Arizona vont donner du vent aux voiles de l’extrême droite.

Une semaine avant les élections, le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken a déclaré triomphalement que le cordon sanitaire « est sur le point d’exploser ». La déclaration semblait surtout destinée à encourager ses troupes. Avec la « défaite victorieuse » du 9 juin, où le Vlaams Belang n’était finalement pas arrivé en tête en Flandre, le tremplin vers une participation à grande échelle aux autorités locales avait déjà disparu. Van Grieken doit maintenant se contenter de Ninove, une victoire qu’il s’est empressé de revendiquer pour ne pas avoir à parler des autres résultats. Il est possible qu’il y ait une autre percée dans les communes avec des listes locales. Il attend avec impatience que se clarifie la situation à Middelkerke, où Jean-Marie Dedecker (député indépendant élu sur une liste N-VA) a perdu sa majorité absolue et n’a pas apprécié que la N-VA présente sa propre liste contre la sienne. La rancune jouera certainement pour embarquer à bord le seul élu VB à Middelkerke, surtout avec un personnage comme Dedecker.

L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir à Ninove est un signal d’alarme pour tou.te.s les antifascistes. C’est aussi un danger évident pour toutes les personnes perçues comme étrangères ou d’origine étrangère. Allons-nous laisser l’aliénation causée par des années de politiques antisociales et la colère qu’elles suscitent être exploitées par des partis qui ne font qu’alimenter la haine de l’autre et la discorde ? Ou allons-nous organiser une résistance sérieuse aux mesures antisociales à tous les niveaux de pouvoir, couplée à un effort antifasciste à Ninove et dans la région de la Dendre ? Cela peut se faire en scrutant systématiquement les politiques locales, en rassemblant toutes les victimes des politiques de droite, les jeunes, les personnes opprimées et toutes les personnes exploitées aux côtés de syndicalistes, en renforçant les initiatives locales et en développant des campagnes qui soulignent les intérêts de la classe travailleuse dans toute sa diversité.

Du côté francophone, l’extrême droite dispose d’un élu sur une liste de “Chez Nous”, à Mouscron. En 2018, l’extrême droite francophone était représentée par quatre formations et une centaine de listes dans des dizaines de communes, avec 13 élus dans 10 communes. En 2024, il y a eu 6 listes péniblement constituées et au final des échecs à Liège, Amay et même Fleurus où Nicotra a échoué à se faire réélire. Cela s’explique notamment par la trumpisation du MR, le parti servant notamment de refuge pour diverses figures d’extrême droite, mais aussi par l’activité conséquente des divers réseaux et groupes antifascistes qui ont largement contribué à bloquer l’essor d’initiatives d’extrême droite. La dynamique de la Coordination Antifasciste de Belgique (CAB) renforce très clairement cela. 

Face à la consolidation de l’Arizona, place à la lutte dans la rue

De Wever a triomphé une fois de plus à Anvers. Avec 37%, il a maintenu son challenger Jos D’Haese (PTB) loin derrière à la deuxième place. La N-VA reste aux commandes à Anvers dans une coalition avec Vooruit, qui semble s’y être confortablement habitué. Il est excessivement embarrassant qu’une partie de la direction de de la FGTB d’Anvers se soit lancée à corps perdu dans la campagne de Vooruit et ait même été candidate pour ce parti, tandis que Vooruit a fait le lit de De Wever aux niveaux local, régional et fédéral. Vooruit préfère appliquer des politiques de droite avec la N-VA plutôt que d’envisager une coalition progressiste. Même en ce qui concerne le conseil de district anversois de Borgerhout – où figure le PTB avec Groen et Vooruit, les trois formations ayant obtenu 67% des voix – pour la députée européenne Vooruit Kathleen Van Brempt, il ne saurait être question d’un conseil de district « en opposition avec le conseil communal ». La participation des dirigeant.e.s de la FGTB à la campagne de Vooruit n’est d’aucune aide pour organiser l’opposition au prochain gouvernement Arizona. Quelle explication vont-ils et elles donner aux personnes qui perdront bientôt leurs allocations de chômage ? Aux travailleur.euse.s qui devront faire face à de nouvelles attaques contre leurs pensions et leurs salaires ? Ou aux jeunes qui ne trouvent pas de logement abordable parce que ce sont les désirs des magnats de l’immobilier qui font loi ?

Une fois de plus, De Wever a pu apparaître comme le vainqueur central et s’imaginer tranquillement en empereur romain. Des campagnes locales ont bien eu lieu ces 12 dernières années contre la politique antisociale de l’hôtel de ville, sans toutefois qu’un large mouvement social ne se matérialise. Cela ne joue pas à la faveur de notre camp social, même si le résultat historique du PTB (à la deuxième place avec 20%) donne une fois de plus une indication du potentiel existant pour mener une lutte conséquente. 

De Wever a déclaré, avec une islamophobie répugnante, que le PTB recueillait des voix sur base de Gaza et du port du voile. Comme si le vote des personnes issues de l’immigration comptait moins ! Comme l’opposition active au terrible génocide à Gaza et à son escalade en une guerre régionale était quelque chose de négatif ! De Wever parle bien entendu à partir de son propre point de vue, totalement dénué d’empathie pour le massacre des masses palestiniennes ou libanaises et reposant sur un soutien sans équivoque au gouvernement de droite et d’extrême droite en Israël. Ce soutien, soit dit en passant, est en partie motivé par des raisons électorales. Pour notre part, nous estimons que le fait que les manifestations autour de Gaza se traduisent également sur le plan politique est un atout. La lutte sociale et les élections ne sont jamais séparées, l’implication active de couches plus larges dans ces luttes est la meilleure façon de mobiliser un soutien, y compris lors des élections.

Cette victoire à Anvers renforce la position de De Wever dans les négociations pour former le gouvernement fédéral. Il a déjà annoncé que sa « super-note » reviendrait sous un autre nom sur la table dès le 14 octobre. Le résultat à Anvers éclipse les faiblesses électorales de la N-VA. Les hommes forts du gouvernement flamand ne s’en sortent pas bien. A Brasschaat, l’ancien ministre-président flamand Jan Jambon a conservé sa majorité absolue mais a perdu près de la moitié de ses voix de préférence en tant que tête de liste. À Beersel, l’ancien ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts a perdu deux tiers de ses votes préférentiels. Le nouveau ministre-président flamand Matthias Diependaele à Zottegem et l’ancienne ministre de l’Environnement, de la Justice, du Tourisme et de l’Energie Zuhal Demir à Genk perdent également des votes préférentiels. A Bruxelles, la N-VA a perdu ses six conseillers communaux, dont la nouvelle ministre du gouvernement flamand Cieltje Van Achter à Schaerbeek. Le talon d’Achille de la machine de campagne de De Wever est la politique de son parti. À Anvers, il a réussi à détourner l’attention sur ce point, mais en tant que Premier ministre fédéral, ce sera considérablement plus difficile d’opérer le même tour de passe-passe. Surtout avec le catalogue des horreurs qu’il a déjà présenté avec sa super-note.

Les libéraux francophones de Georges-Louis Bouchez ont reproduit la vague bleue du 9 juin, mais pas dans la mesure où l’espérait le MR. Ils n’ont pas pu briser la domination du PS à Mons, Charleroi et Liège. A Bruxelles aussi, le PS tient bon. L’érosion du PS se poursuit, mais le MR et Les Engagés ont été incapable de simplement traduire le résultat du 9 juin au niveau local. Les Engagés sont sortis renforcés des élections, le MR a également progressé mais, fidèle à l’arrogance de Bouchez, il avait placé la barre beaucoup trop haut. 

Le PS a quant à lui mené sa campagne pour les communales en soulignant tout particulièrement son opposition à l’Arizona et aux projets de la droite. Tout ça, une fois de plus, pour se dépêcher de conclure des majorités avec le MR une fois le scrutin passé. Ce fut même le cas à Evere, alors que le PS y dispose d’une majorité absolue. ECOLO n’est pas innocent de pareilles alliances : à Tournai, le parti vert s’est allié au MR et aux Engagés pour reléguer le PS dans l’opposition et permettre à Marie-Christine Marghem de devenir bourgmestre. L’ancienne ministre de l’Energie MR est notamment connue pour sa position très pro-nucléaire : “Nous devons prolonger tout ce qu’il est possible de prolonger pour calmer les marchés”.

Les autres partenaires de l’Arizona revendiquent une victoire. Le CD&V s’est maintenu dans les zones rurales et reste le plus important dans 108 communes flamandes (contre 113 en 2018), avec des bastions en Flandre occidentale, dans le Limbourg, dans certaines parties de la Flandre orientale et dans la région de la Campine. Le président du parti Sammy Mahdi a remporté un succès personnel avec une liste de cartel CD&V et Open Vld à Vilvorde. Vooruit a obtenu de bons résultats dans un certain nombre de villes centrales, devenant le plus important à Ostende, Turnhout, Louvain et Herentals. À Saint-Nicolas, il l’a raté de peu. À Gand, Vooruit était le plus important au sein du cartel avec les libéraux du bourgmestre De Clercq. De l’autre côté, Conner Rousseau n’a pas été à la hauteur de ses ambitions de bourgmestre, et le ministre flamand Gennez à Malines, en tant que deuxième sur la liste, a attiré beaucoup moins de votes préférentiels qu’en tant que tête de liste en 2018.

Pendant ce temps, l’Open Vld et Groen continuent de prendre des coups. Le premier ministre sortant De Croo a pu maintenir de justesse sa majorité absolue à Brakel. Les libéraux perdent Ostende, sont en position de faiblesse au sein du cartel à Gand et à Anvers, pour la première fois, ont même complètement disparu du conseil communal. La coprésidente de Groen, Nadia Naji, a affirmé que son parti ne disposait pas de suffisamment de temps après le 9 juin pour rectifier le tir. Ce qu’elle n’a pas mentionné, c’est que Groen est en train de perdre du terrain avec Ecolo à Bruxelles. A Ostende, Groen partage les coups de l’Open Vld avec lequel il a formé une liste communale. A Louvain et Anvers, le déclin est net. Les espoirs à Audenarde avec Elisabeth Meuleman n’ont pas été comblés. Heureusement pour Groen, il y a eu les résultats à Gand, celui de l’entente avec Vooruit à Mortsel et celui avec la N-VA dans le Horebeke de Petra De Sutter. Ecolo est resté relativement intact à Liège sous le nom Vert Ardent et a conservé la tête du scrutin à Ixelles, mais une alliance entre le MR, les Engagés et le PS a eu raison du mayorat des Verts, décroché en 2018. Pour la première fois depuis 2000, Ecolo va également dans l’opposition à Ottignies-Louvain-la-Neuve. 

La percée spectaculaire de Team Fouad Ahidar en juin s’est poursuivie à Bruxelles, avec notamment des scores élevés à Anderlecht et Molenbeek. Au niveau local, la percée reste pour l’instant limitée à la région de Bruxelles, mais ailleurs, la méfiance à l’égard de la politique dominante est également très répandue. Les listes Team Fouad Ahidar à Bruxelles ont été considérées par de nombreuses personnes issues de l’immigration comme les leurs, alors que d’autres partis ont placé des candidat.e.s issu.e.s de l’immigration sur leur liste principalement ou uniquement pour obtenir des votes, mais pas pour lutter contre la discrimination quotidienne, une discrimination qui augmente à mesure que le manque de tout grimpe en flèche, pénurie qui frappe le plus durement les groupes les plus pauvres et les plus opprimés de la population. Après le score élevé de Fouad Ahidar en juin, les partis établis ont répondu par une campagne islamophobe répugnante. Cela ne fera qu’accroître l’aliénation à l’égard de la politique traditionnelle. Le fait de se tenir debout avec des listes est un pas en avant. En particulier avec des revendications de logements abordables, d’investissements dans l’enseignement et de soins de santé accessibles. D’un autre côté, l’opposition à un meilleur accès à l’avortement et aux droits des personnes LGBTQIA+ (ce qui était notable dans la campagne d’Anvers) est problématique. Les partis traditionnels n’ont pas de leçons à donner à Fouad Ahidar sur ce point : c’est le CD&V et la N-VA qui ont bloqué l’assouplissement du droit à l’avortement, et les libéraux, les sociaux-démocrates et les verts l’ont également autorisé pendant des années, formation de gouvernement après formation de gouvernement, en dépit de leur majorité parlementaire. C’est d’ailleurs ce que Vooruit continue à faire concernant la coalition Arizona. Les réactions islamophobes des partis établis servent principalement à éviter d’avoir à répondre à la méfiance justifiée d’une partie de la population et à l’aversion justifiée pour la politique blanche raciste de discrimination quotidienne. À partir de la voix contre l’oppression exprimée dans le résultat de Fouad Ahidar, d’autres mesures peuvent être prises pour lutter contre toutes les formes d’oppression. L’ensemble de la classe travailleuse, dans toute sa diversité, a un rôle à jouer à cet égard.

Que signifient ces résultats pour la période à venir ? Les chances de voir le gouvernement de l’Arizona s’imposer ont augmenté. De Wever, Rousseau, Mahdi et Prévot sortent confiants des élections. Cependant, les éléments de la super-note de De Wever dans la formation du gouvernement indiquent clairement l’arrivée de politiques antisociales particulièrement dures. Celles-ci visent à atomiser le mouvement organisé des travailleur.euse.s afin de rendre plus favorable la position du capital dans la société, avec l’impact de nous appauvrir collectivement ainsi que d’isoler et de réprimer plus durement les plus faibles. Il s’agit d’une recette éprouvée pour la croissance de l’extrême droite. Le MR adoptant une position trumpienne, il en va de même du côté francophone. Même si le résultat de Chez Nous reste limité (1 siège à Mouscron), c’est un signal d’alarme. A moins, bien sûr, que le mouvement des travailleur.euse.s ne s’en mêle. Le journal de la FGTB sur la super-note est une excellente initiative pour une campagne d’information. Ce journal s’adresse surtout aux syndicalistes, mais il pourrait constituer un tremplin vers un journal plus accessible en front commun syndical, comme lors de la lutte finalement victorieuse contre le système de pension à points. Si les dirigeants syndicaux sont aveuglés par la présence du Vooruit et du CD&V dans les gouvernements, ils risquent d’alimenter l’aliénation au sein de leurs propres organisations. Il s’agit maintenant de commencer à organiser la lutte.

Le PTB progresse, mais s’attendait à plus 

Le duel anversois entre Bart De Wever et Jos D’Haese a dominé la campagne électorale du côté néerlandophone. Avec 20,2%, le PTB devient le deuxième parti d’Anvers, un résultat historique. Dans les arrondissements d’Anvers, le nombre de conseillers de district du PTB a doublé, passant de 19 à 43. A Borgerhout, le PTB est le premier parti avec 28,8% et le deuxième à Hoboken (26,2%) et à Deurne (22,2%). C’est phénoménal ! En même temps, le PTB doit reconnaître que les attentes étaient plus élevées. Le pari était de briser la coalition autour de la N-VA, et l’on rêvait même ici et là que le PTB devienne le plus grand parti d’Anvers. Cela ne s’est pas concrétisé, avec 37 %, la N-VA est presque deux fois plus importante électoralement.

Dans une première réaction, Jos D’Haese a souligné le rôle de l’abolition du vote obligatoire. C’est certainement un facteur. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à la façon de convertir le soutien au PTB, en particulier dans les quartiers populaires, en une implication plus active dans les luttes sociales et dans la campagne électorale. Au cours des 12 dernières années, de petites actions ont eu lieu contre la gestion froide et antisociale d’Anvers, certaines d’ailleurs couronnées de succès. Cependant, l’absence d’un mouvement de protestation plus large contre De Wever lui a permis de s’en tirer avec sa rhétorique digne de la guerre froide mêlée de ses fantasmes d’empereur romain pour éviter d’avoir à parler de sa politique de casse sociale. La mobilisation dans d’autres domaines peut également stimuler l’implication dans une campagne électorale pour s’opposer aux politiques menées par ce biais.

En 2018, le PTB avait obtenu nationalement l’élection de 142 conseiller.ère.s communaux.ales. Lors de Manifiesta, Raoul Hedebouw avait déclaré que l’ambition du parti était de doubler ce nombre. Au final, le PTB a obtenu 197 sièges, en plus des 43 conseiller.ère.s de district mentionnés ci-dessus. De premier.ère.s élu.e.s sont arrivé.e.s à Ostende, Alost, Ronse, Boom, Mortsel, Heist-op-den-Berg, Halle, Asse et Dilbeek du côté néerlandophone ; à Mouscron, Tournai, Binche, Ath, Tubeke, Châtelet, Sambreville et Fleurus du côté francophone et à Jette et Etterbeek à Bruxelles. Avec 20 %, le PTB est le nouveau venu le plus frappant à Mouscron, la commune où le parti d’extrême droite Chez Nous a obtenu son seul siège. De l’autre côté, le PTB perd son siège à Lommel et il y a une perte de siège à Zelzate.

Le deuxième objectif était de former des majorités progressistes dans quatre ou cinq communes. Conner Rousseau et Vooruit ont explicitement bloqué cet objectif dans les derniers jours avant les élections. A défaut d’une majorité absolue, Vooruit pourrait opter pour un partenaire plus petit à Zelzate (peut-être le cartel CD&V et N-VA pour graisser la patte au gouvernement fédéral ?) Kathleen Van Brempt s’oppose à une coalition progressiste à Borgerhout. Là, le PTB est le plus grand parti, mais il dépend de Groen, qui peut soit former une majorité avec le PTB, soit en constituer une avec Vooruit et la N-VA. Quel prix la N-VA est-elle prête à payer pour cela à la mairie d’Anvers ?

Il y a plus de possibilités à Bruxelles et du côté francophone, notamment à Mons et La Louvière. A Molenbeek, avec Catherine Moureaux, le PS est de justesse resté le parti le plus important et, comme en 2018, il veut y discuter avec le PTB. À Saint-Gilles, la coalition du PS et d’Ecolo est déjà formée. Il y a encore une petite chance à Forest. À Seraing, le PS dispose d’une majorité absolue, mais il peut encore y avoir une coalition. Herstal sera un cas intéressant : le PS y est à deux doigts de la majorité absolue et doit choisir de gouverner soit avec le MR, soit avec le PTB. Il existe donc des possibilités de participation à des coalitions. Il convient de rappeler qu’il s’agit de communes placées sous la tutelle financière de la région et qui disposent donc d’une marge de manœuvre très réduite. 

Le léger recul du PTB à Zelzate soulève la question de savoir si la participation ne devrait pas produire des résultats plus ambitieux. Dans un contexte de méfiance croissante à l’égard de la politique dominante – en fait à l’égard de toutes les institutions capitalistes – il ressort de toute évidence qu’une approche limitée au terrain électoral et institutionnel est trop limitée. Imaginez que l’énorme organisation militante que le PTB a mis en place dans les campagnes électorales au cours de l’année écoulée puisse poser les bases de comités d’action et de campagnes en faveur d’un impôt sur la fortune, d’un plan massif d’investissement public dans le logement social, les soins de santé et l’enseignement, de transports publics plus nombreux et gratuits ou encore pour s’opposer à la coalition Arizona ? 

Ce n’est qu’en transformant le mécontentement passif en entrée en action, par le biais d’actions et de campagnes, que nous pourrons orienter la méfiance vers une lutte contre l’ensemble du système capitaliste. C’est par la lutte que nous pourrons construire un rapport de force favorable à un changement de système. 

Une résistance active est nécessaire !

Le catalogue des horreurs de l’Arizona s’accompagne de politiques antisociales au niveau régional. Le nouveau gouvernement flamand tente de le cacher en prétendant investir davantage dans la politique sociale et le logement social, mais il n’a pas de réponse aux énormes déficits et défend principalement une politique de division dirigée contre les plus faibles de la société. Le nouveau gouvernement de Fédération Wallonie Bruxelles a déjà clairement signalé que le personnel de l’enseignement était en ligne de mire. A Bruxelles, les discussions sont toujours bloquées mais tout le monde reconnaît que les caisses sont vides. C’est aussi le cas au niveau local. La limitation dans le temps des allocations de chômage va encore plus peser sur les finances communales et les CPAS et ce alors que dans de nombreuses communes, tout ce qui le pouvait a déjà été privatisé et que le monde socioculturel est devenu un désert.

À tous les niveaux, les plus riches se voient dérouler le tapis rouge ; le futur premier ministre De Wever se targue même d’entretenir des liens étroits avec les magnats de l’immobilier et les grands patrons. Un bourgmestre sur huit a des liens avec le secteur immobilier, a-t-on appris dans les médias flamands les jours précédant les élections. Combien de bourgmestres ont des liens avec le monde des personnes défavorisées ?

Plusieurs années s’écouleront sans élections. Le faible taux de participation aux élections locales illustre que l’espoir d’arracher un changement par cette voie est limité. Cela ne doit toutefois pas inévitablement conduire à la résignation ou au pessimisme. La classe travailleuse peut imposer le respect de ses intérêts et de ses revendications. C’est le chemin qui avait été pris en 2014 avec un puissant plan d’action en escalade contre le pire gouvernement de droite depuis les années ‘80. C’est le manque de détermination dans les sommets syndicaux pour continuer le combat dans l’élan de la grève générale nationale de masse du 15 décembre qui a permis au gouvernement Michel de reprendre l’initiative. Il a manqué au sein du mouvement une force capable de défendre largement une proposition alternative à la voie sans issue de la direction syndicale. Cela n’a toutefois pas empêché le mouvement des travailleur.euse.s d’enterrer plus tard le projet de pensions à point en 2018. 

Un tel type de lutte est également possible et tout à fait nécessaire pour les questions relatives à l’échelon communal, telles que l’investissement dans des logements abordables plutôt que dans des projets prestigieux de marketing urbain, le développement des services publics (et la manière dont cela contribue à la sécurité de la population), la protection et l’amélioration des conditions de travail et des pensions du personnel communal, etc. 

Dans le cadre du plan Oxygène destiné à aider les communes wallonnes en difficulté financière (28 actuellement), la Région wallonne, via le Centre régional d’aide aux communes (Crac), avait prévu de lever par emprunt 350 millions d’euros auprès des banques en 2024. Seule la banque ING a répondu, mais pour un total de 82 millions seulement et en refusant de financer sept villes wallonnes, et non des moindres : Liège, Charleroi, Mons, Ath, Namur, La Louvière et Verviers. Il manque donc 268 millions, ce qui s’ajoute aux nombreux autres défis des communes, dont le financement des CPAS et des pensions des fonctionnaires locaux ou encore des zones de secours. C’est une indication claire du type de combat qui sera nécessaire, avec une lutte résolue pour briser la camisole de force budgétaire des communes, refuser de payer la dette des communes aux banquiers spéculateurs et récupérer dans le giron public toutes les matières qui ont été bradées au privé.

Les illusions d’une partie de la direction syndicale envers Vooruit et le PS sont l’expression d’une faiblesse plus large, celle d’un manque de solutions face aux multiples crises du capitalisme. C’est un obstacle considérable pour entrer en lutte. Même après l’annonce des licenciements collectifs chez Audi, il n’y a guère eu de lutte digne de ce nom. Une perspective de victoire est essentielle pour s’engager dans l’action collective. Mener ce type de discussion sur nos revendications et notre approche avec le plus grand nombre possible de travailleur.euse.s et de militant.e.s est une priorité cruciale.

Il nous faut une mobilisation active d’en bas contre les attaques d’en haut, en faveur d’un changement fondamental de société et d’un système différent. Le PSL a appelé à voter pour le PTB lors de ces élections, en considérant qu’il s’agissait de la meilleure façon de renforcer la position de la classe travailleuse. Nous continuerons à suivre ce type d’approche constructive et continuerons, dans la lutte au côté de camarades d’horizons différents, à débattre de la nécessité d’une société socialiste.

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