Le réveil de la révolution sud-africaine !

Le 16 août dernier, le massacre prémédité de 34 grévistes à Marikana par la police sud-africaine a choqué la nation toute entière. L’objectif de cet acte barbare était de protéger les profits des multinationales minières et de rassurer les investisseurs. Par ailleurs, le gouvernement voulait stopper net une révolte qui remettait en cause les rapports de force établis et menaçait son propre pouvoir. Après ce drame, la brutalité du système capitaliste post-Apartheid qui règne sur l’Afrique du Sud apparaît plus clairement que jamais. Triste ironie de l’histoire, c’est maintenant l’ANC (qui avait véritablement mis fin au régime de l’Apartheid en parvenant au pouvoir en 1994) et ses partenaires dans la bureaucratie syndicale qui tiennent la place jadis occupée par le régime raciste.

Par Christian (Louvain)

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MEETING : Après le massacre de Marikana : Solidarité avec la lutte des mineurs !

UN DIRIGEANT OUVRIER PREND LA PAROLE – TÉMOIGNAGE DE SEBEI MAMET, PRÉSIDENT DE LA COORDINATION NATIONALE DES COMITÉS DE GRÈVE

Jeudi 13/12 BRUXELLES 19H30 RANDSTAD (45 RUE DU JARDINIER, MOLENBEEK)

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Il faut remonter à l’ère de l’Apartheid (le régime de ségrégation raciste instauré en Afrique du Sud de 1948 à 1991) pour retrouver une telle tuerie perpétrée par les forces de l’ordre. De plus, à l’issue du massacre, 270 grévistes ont été inculpés pour le meurtre de leurs collègues, en vertu d’une loi datant du régime de l’Apartheid. Mais, confronté à une monumentale vague d’indignation, le gouvernement a dû se rétracter en dernière minute. L’assassinat des grévistes n’a pas obtenu l’effet escompté; les mineurs de Lonmin n’en furent que plus déterminés à lutter jusqu’au bout et, très vite, la grève s’est étendue à d’autres mines des environs. Après six semaines de grève acharnée, les travailleurs de Marikana ont remporté une victoire considérable, avec une hausse du salaire de 22%.

Cette victoire des travailleurs des mines de platine à Lonmin a non seulement ranimé la lutte ouvrière en Afrique du Sud, mais a aussi provoqué un bouleversement politique majeur. La grève s’est répandue comme un feu de brousse à travers le secteur minier, redonnant confiance aux travailleurs. Depuis le mois d’août, environ 100.000 travailleurs sont partis en grève dont, 75.000 dans le secteur minier à lui seul. Des multinationales minières comme l’Anglo-American et Gold Fields ont mis des dizaines de milliers de mineurs à la porte, mais le mouvement de grève est loin d’avoir pu être brisé. D’autre part, seul un tiers des camionneurs ont pu être convaincus de retourner au travail après deux semaines de grève. Les autorités craignent à présent que les grèves ne soient capables de s’étendre au puissant secteur public, lequel a organisé deux grèves générales ses dernières années.

Il semble effectivement que le moment est venu pour la classe ouvrière sud-africaine de renouer avec son passé révolutionnaire. Celle-ci a joué un rôle décisif dans la lutte anti-apartheid. En 1955, le Freedom Charter (la Charte de la Liberté) de l’ANC appelait à la nationalisation des secteurs clés de l’économie (secteur minier, banques et monopoles industriels) afin que la population toute entière puisse bénéficier de la richesse du pays. Le massacre de Sharpeville en 1960 et la révolte de Soweto en 1976 furent des moments clés de la lutte anti-apartheid. L’importance croissante de la classe ouvrière et de son organisation permit à la lutte de gagner en ampleur et en efficacité. 1985 vit la fondation de la confédération syndicale COSATU laquelle adopta la Freedom Charter en 1987 sous le slogan; ‘‘Socialisme signifie Liberté.’’ Étant le plus grand syndicat au sein de la confédération syndicale COSATU, l’union nationale des travailleurs miniers (NUM), joua un rôle crucial dans l’organisation de grèves générales qui rendirent le pays ingouvernable et contribuèrent ainsi à la fin de l’Apartheid.

Toutefois, ce ne fut pas uniquement la force du mouvement anti-apartheid a convaincu le dernier président blanc, Frederik Willem de Klerk, à chercher la conclusion d’un accord avec l’ANC. Avec l’effondrement des régimes staliniens, la direction de l’ANC, à l’instar de la social-démocratie européenne, a adopté un tournant vers la droite. Il était désormais possible d’obtenir un accord ne menaçant en rien les intérêts fondamentaux du capitalisme. En 1994, l’Afrique du Sud a connu la première élection libre de toute son histoire, mais le mouvement révolutionnaire a été trahi par la direction politique de l’ANC. Les inégalités économiques ne furent jamais sérieusement remises en cause. Seule une petite couche de Sud-Africains noirs, surtout des chefs politiques et leurs proches, surent tirer profit de la nouvelle situation afin de s’émanciper économiquement et d’être admis dans la bourgeoisie sud-africaine jusqu’alors exclusivement blanche.

Hormis quelques programmes de reconstruction et de développement, tout au début, l’ANC a très peu fait pour la majorité de la population depuis sa venue au pouvoir. Au contraire, ayant abandonné son programme anticapitaliste, l’ANC a poursuivi un programme néolibéral agressif. La privatisation massive de services publics (eau, électricité,…) plaça ces services hors de portée de nombreux travailleurs, contribuant ainsi au développement de la pauvreté. La misère, les énormes inégalités sociales et la désillusion que cette trahison a provoqué parmi les masses est la cause du taux de violence effarant que connait la société sud-africaine.

Malgré le fait que l’ANC a fini par complètement servir les intérêts du patronat, elle a su se maintenir au pouvoir grâce au soutien du COSATU (Congress of South African Trade Unions, le Congrès des syndicats sud-africains) et du Parti Communiste local (SACP). Cette alliance est aujourd’hui mise à l’épreuve, d’autant plus que tous les partenaires de cette alliance se sont conduits de façon désastreuse face aux revendications des travailleurs en lutte. En décembre, le congrès national de l’ANC devra décider si le président Zuma pourra recevoir un nouveau mandat de cinq ans comme président du parti, et pour ainsi dire comme président d’Afrique du Sud. Il risque de perdre sa place au profit de Kgalema Motlanthe, l’actuel vice-président de l’ANC. Pour les travailleurs, toutefois, cela ne signifierait aucun changement réel car les factions concurrentes au sein de l’ANC sont toutes aussi corrompues. C’est aussi le cas pour Julius Malema, le dirigeant de la Ligue de la Jeunesse de l’ANC, expulsé du parti depuis le mois d’avril. Celui-ci avait a essayé de gagner la faveur des mineurs en grève en leur déclarant son soutien ainsi qu’à la nationalisation du secteur minier.

L’ANC et ses partenaires n’ont qu’une très petite marge de manœuvre pour faire des concessions sans perdre la confiance de leurs confrères capitalistes. L’agence de notation Moody’s a déjà dégradé la note de l’Afrique du Sud d’un cran et le Rand, la monnaie sud-africaine, ne cesse de perdre en valeur.

La vague de grève actuelle ne remet pas simplement en cause les salaires, mais aussi les conditions de vie désastreuses auxquelles est confrontée la classe ouvrière. D’autre part, comme à Lonmin, il est question de se défaire de l’influence du syndicat officiel des mineurs (la NUM), un syndicat jadis des plus combatifs, mais aujourd’hui ni plus ni moins qu’une organisation de briseurs de grève. Bien que le COSATU s’est dernièrement montré critique envers la NUM, la fédération syndicale ne jouit plus de la confiance des travailleurs les plus militants et les plus conscients. Comme le syndicat indépendant Amcu n’a pas su se montrer à la hauteur des événements durant la grève de Lonmin, le mouvement de grève actuel repose essentiellement sur l’auto-organisation des travailleurs. L’influence des comités de grève est destinée à gagner en importance.

Nos camarades du DSM (Democratic Socialist Movement, parti frère du PSL en Afrique du Sud) ont su intervenir de manière décisive et énergique dans ce processus malgré leurs forces limitées. Notre camarade Mametlwe Sebei est ainsi devenu un des principaux porte-parole du comité de coordination de la grève dans la région minière de Rustenburg. En tant que tel, il a reçu l’attention des médias nationaux comme internationaux. Il a lancé un appel visant à étendre la formation des comités de grève à l’extérieur des structures syndicales traditionnelles ainsi que pour la construction de comités de solidarité dans les communautés locales. Il a également appelé à la construction d’une coordination nationale afin de mener à bien une grève générale victorieuse.

Des idées telles que la construction d’un nouveau parti des travailleurs ou encore la nationalisation des secteurs clés sous le contrôle et la gestion des travailleurs gagnent en popularité parmi les masses sud-africaines. Ce qui est déjà certain, c’est que portée jusqu’à son terme, la révolution trahie par l’ANC ne pourra se faire dans le cadre du capitalisme. Il est difficile d’imaginer l’impact qu’une transformation socialiste de la société sud-africaine pourrait avoir pour l’ensemble du continent africain. Mais il est certain qu’il serait énorme, vu le symbole que représente l’Afrique du Sud pour tous les peuples du continent.

La classe ouvrière sud-africaine se voit confrontée à une tâche gigantesque et devra faire face à une bourgeoisie prête à défendre ses intérêts par tous les moyens. Pour nous, en Europe, il s’agira de construire un mouvement de solidarité parmi les travailleurs comme cela a déjà été le cas avec la lutte anti-apartheid.

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