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C’était il y a tout juste 50 ans: le 29 décembre 1960
Dans le Borinage, la lutte prend un caractère nettement insurrectionnel. Les routes sont barrées et dépavées, les grévistes deviennent de plus en plus violents et menaçants. Cette région est un camp retranché, ce sont les préparatifs de l’ affrontement révolutionnaire. Devant cette montée de colère ouvrière, les dirigeants de la grève sont obligés, eux aussi, de devenir en parole plus menaçants, afin de ne pas être écartés par les grévistes.
Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”
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– – Rubrique "60-61" de ce site
– 21 décembre
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Quant au mouvement de grève, il veut maintenir son ampleur et son caractère combatif, les grévistes réclament dans chaque manifestation la « Marche sur Bruxelles. »
Avec les grandes et imposantes manifestations de Gand, de Bruxelles, de Charleroi, ainsi que les préparatifs dans le Borinage s’ouvre une nouvelle phase de l’ action des travailleurs. Mais comme tout le monde, le gouvernement a compris que les dirigeants ouvriers sont décidés à empêcher que l’offensive prolétarienne qui se prépare ne s’ assigne consciemment les objectifs révolutionnaires qui sont implicitement les siens.
Toute la bourgeoisie est unie derrière le gouvernement, même si elle perd, selon les estimations, 500 millions à 1 milliard de francs belges par jour (fermeture des entreprises, blocage du port d’ Anvers, moins-values fiscales, commandes perdues).
La manifestation de masse la plus imposante en Flandre a lieu aujourd’hui, les journaux parlent de 30.000 participants à Anvers. Suite à cette impressionnante volonté de combat des travailleurs flamands, les bureaucrates de la FGTB nationale haussent le ton.
A Bruxelles, 10.000 manifestants défilent dans les rues de la capitale, la manifestation est très animée et émaillée d’ incidents qui éclatent tout au long du cortège, les vitres des locaux des journaux chrétiens et des banques volent en éclats ; à la gare du midi, un bus qui roulait est saccagé par les grévistes en colère. D’ autres manifestations ont encore lieu, à Binche, à Louvain, à Alost et dans la région liégeoise. Des incidents suivis de bagarres éclatent à nouveau dans plusieurs endroits. Lors d’ un meeting, André Renard déclare que : «Si le gouvernement ne cède pas, il nous reste encore une arme : l’ abandon total de l’ outil.»
Les journaux annoncent que le Roi et la Reine sont rentrés au pays, cette nouvelle est accueillie de façon indifférente par les travailleurs. Ils considèrent que s’ ils rentrent, c’est que la situation est grave pour la bourgeoisie. Le gouvernement a rappelé des troupes belges stationnées en Allemagne sous commandement de l’ OTAN . Les rumeurs courent selon lesquelles le socialiste Paul-Henry Spaak, alors secrétaire général de cette organisation, pourrait prendre la tête, après les élections, d’un gouvernement de coalition, qui se chargerait de redresser la situation de la bourgeoisie.
Le Peuple signale cependant que le mécontentement est grand parmi la troupe, qui fraternise çà et là avec les grévistes, et les gendarmes supplétifs, dont certains auraient même prêté leurs bons offices pour rétablir des liaisons entre différents piquets de grève. En plusieurs endroits, les paras seraient laissés sans nourriture : «pour les affamer et exciter leur ardeur au combat», suggère Le Peuple, ajoutant que «les fauves, une fois lâchés, pourraient fort bien se retourner contre le dompteur, et (qui sait ) le dévorer. Comme dans tous les bons cirques.»
Plus de 700.000 ouvriers du pays sont en grève depuis dix jours. Certains vivent encore sur la paye de la quinzaine qui a précédé la grève ; mais la situation matérielle des grévistes tend partout à devenir dramatique.
Dans ces journées de dur conflit, les grévistes qui manifestent presque quotidiennement se trouvent ainsi confortés dans leur volonté de lutte. Chacune de ces actions ouvrières est à chaque fois de plus en plus massive et explosive. Jamais auparavant nous n’ avions vu des concentrations de masse aussi imposantes. Toutes les difficultés que rencontrent les grévistes n’ entament pas leur combativité. Le prolétariat belge veut aller jusqu’au bout. Voilà déjà dix jours déjà qu’on assiste aux efforts désespérés des travailleurs, qui tentent de se libérer du carcan que leurs propres organisations maintiennent sur leurs épaules. Les bureaucrates du PSB et de la FGTB regardent cyniquement en vain s’ épuiser la lutte héroïque du prolétariat belge, debout pour sa libération face au système d’exploitation capitaliste.
Dans toutes les villes du pays, les travailleurs se réunissent quotidiennement. On bat la semelle, on tourne en rond, on s’ irrite. Les sabotages se multiplient. Dans les réunions publiques, les dirigeants se voient ouvertement reprocher de laisser les grévistes sans mot d’ ordre. Dans la capitale, les manifestants réclament : « Au Parlement », « Les Wallons à Bruxelles ». Les dirigeants font la sourde oreille, ils prennent des précautions, notamment à Bruxelles, où ils dirigent le cortège vers l’extérieur de la ville.
Une délégation de l’ Action Commune Socialiste est reçue par G. Eyskens, à qui elle remet une lettre dans laquelle on lit notamment : «Il est faux de dire que ce sont des grèves politiques : ce sont les grèves des travailleurs, tant du secteur public que du secteur privé, en lutte pour leurs droits. Les grévistes ne mettent pas en cause les institutions démocratiques.» Après avoir rencontré le Premier Ministre, Hervé Brouhonn, député socialiste, commente: «Le Premier ministre s’ est déclaré prêt à discuter avec tout le monde. Nous lui avons fait valoir que nous n’ avions pas pouvoir de discuter sur des problèmes qui ont un caractère national. Nous lui avons fait valoir que nous n’ estimions pas que ses propositions soient de nature à apaiser les travailleurs. » Propos qui sont bien éclairés par le bref commentaire de G.Eyskens lui-même : «De part et d’autre, on est convaincu qu’il y a des choses qu’il faut éviter.» Avec ces propos tenus de part et d’ autre, on comprendra que, oui, c’ est pour barrer la route à la révolution socialiste que se sont ligués G.Eyskens, mandataire de la grande bourgeoisie, et les dirigeants de l’ Action Commune Socialiste.
Quant à Léo Collard, le président du PSB et de l’ Action Commune Socialiste, il déclare dans une conférence de presse aux journalistes étrangers que les socialistes : «sont prêts à rechercher une solution» avec le gouvernement. A la même conférence, André Renard explique que c’ est par esprit de compromis avec les dirigeants flamands de la FGTB qu’il se refuse, lui aussi, à employer le terme de « grève générale ».
Les gares sont occupées par la troupe. Toutes ces occupations indiquent le degré du sentiment d’inquiétude de la bourgeoisie et du gouvernement, qui craignent une marche sur Bruxelles spontanée et bloquent ainsi l’un des plus importants moyens de transport vers la capitale. Même les aéroports sont occupés par les para-commandos. A Angleur et à Roux, les femmes grévistes qui avaient préparé la soupe en offrent aux soldats chargés de surveiller les gares.