Ecole d’été du CIO – GRECE : Organiser la colère

On peut la sentir dans les rues d’Athènes, on peut la voir dans les yeux des Grecs, elle est partout dans l’atmosphère: c’est la colère, et elle est énorme. Elle ne fera que croître à l’avenir sous l’impact de la situation concrète. Un récent sondage a posé comme question ‘‘comment vous sentez vous?’’ et 91% de la population sondée a répondu: en colère. Nous l’avons toujours dit ; en continuant de la sorte, les dirigeants grecs créent un volcan. La pauvreté va toucher la population à une échelle de masse et dans les faits, les gens n’auront d’autre choix que celui de se révolter.

Rapport de la commission consacrée à la situation en Grèce lors de l’école d’été du CIO

[box type=”shadow” align=”alignright” width=”100″]
A lire également:

[/box]

Deux petits exemples peuvent servir à illustrer la situation qui se développe en Grèce. La semaine dernière, un homme d’une septantaine d’année a abordé un camarade grec, habillé comme un pensionné tout à fait normal. Il lui a demandé s’il ne connaissait pas un endroit où il pourrait travailler. C’est vers là que nous allons. La pauvreté augmente, avec son flot de situations désastreuses. Un camarade nous a également raconté qu’un de ses amis, à un festival, a entendu à un moment donné des gens crier "voleur, voleur". Une petite foule courrait dans cette direction. Sur place, au centre d’un cercle de gens criant "voleur, rends nous notre argent", se trouvait un député…

Nous ne sommes encore qu’au début d’un mouvement. Si le plan de l’UE, du FMI et du gouvernement est appliqué, c’est la fin de la Grèce telle qu’on la connaît. Avant la récession, il était assez normal qu’un travailleur quitte son boulot après 30 ans de carrière, ce qu’il faut replacer dans le contexte de longues périodes de chômage connues durant une carrière en plus d’une économie souterraine fort développée. Maintenant, la réforme prévoit une pension de 360 euros par mois si on n’a pas une carrière de 40 annuités!

L’analyse des capitalistes, c’est "vous devez réparer votre pays, faire des coupes dans les budgets sociaux,…" Mais les travailleurs du secteur privé subiront aussi des coupes salariales (c’est d’ailleurs déjà prévu). Quel est le rapport entre leur salaire et les budgets de l’Etat? Les capitalistes sont très contents d’une certaine manière, parce qu’ils peuvent arriver à pérenniser leurs profits comme ils ne l’ont jamais fait. Mais ils ont peur de la révolte, leur plan ne peut pas être mis en place de cette façon, entièrement.

Des sondages avancent que 80% de la population s’attend à une explosion sociale dans la prochaine période et des journaux comme le Financial Times disent que le Pasok (l’équivalent grec du PS, au pouvoir) a le soutien de 45% de la population. Mais un autre sondage a mis en avant le chiffre de 18% pour le Pasok et de 6% pour la Nouvelle Démocratie (droite officielle). Plus de 50% ne soutient personne… Pour garder un semblant de légitimité démocratique, les dirigeants grecs doivent mentir.

Les travailleurs ont répondu en masse aux mobilisations. Un dirigeant syndical a dû être protégé des travailleurs, qui le jugeaient trop faible. Lors de la grève générale suivante, un grand podium avait été construit pour le mettre hors d’atteinte, mais il a été tellement hué qu’il n’a pas pu parler. Les ministres n’osent pas se balader en rue, ou même aller dans une taverne. Le premier ministre a même été hué dans un théâtre huppé, le public de petits bourgeois aisés l’a attaqué verbalement.

La population est en colère contre tout ce qui est dit dans les médias internationaux: les Grecs sont fainéants,… Dans les faits, les attaques sont monstrueuses. Les pensions sont déjà très basses et les nouvelles mesures vont encore détériorer cette situation. Il est très important que le CIO aille à l’encontre de cette propagande capitaliste. Les médias parlent de la "génération 700 euros", et 21% de la population travaille pour ce salaire, ou même en dessous. La vie en Grèce n’est pas moins chère pour autant. Le prix du poulet en Belgique est moins cher que le prix du poulet en Grèce par exemple. Voilà pourquoi il y a eu autant de grèves générales, et un grand nombre de grèves d’entreprises ou de secteurs qui ont parfois duré très longtemps. Là, le message est : on revient en septembre. Il n’y a rien de garanti, mais c’est un sentiment très répandu. Nous devons garder en tête les dangers d’explosions spontanées, non coordonnées et aboutissant à la défaite, nous devons nuancer les choses et être prudents dans notre approche. De plus, à ce stade, les grèves d’entreprises ou de secteur touchent plus fortement les capitalistes que les grèves générales qui servent actuellement surtout à faire échapper de la vapeur.

Le mouvement ouvrier en Grèce commence à renouer avec ses plus belles traditions. Cela fait au moins 10 ans qu’il n’y avait plus eu de grève aussi forte. Si les travailleurs grecs disposaient d’une direction compétente, ils pourraient rapidement aller jusqu’à la victoire. Hélas, cette direction est inexistante.

En 2002, en Argentine, en l’espace de quelques semaines, 5 présidents sont tombés, des comités avaient été créés,… C’est un scénario qui peut toucher la Grèce. Mais les dirigeants syndicaux et les dirigeants d’organisations de gauche se considèrent plus comme des conseillers du gouvernement que comme des adversaires. Le dirigeant de Syriza (une formation large de gauche à laquelle collabore notre section grecque Xekénima) a par exemple expliqué qu’il ne fallait pas demander de l’argent au Fond Monétaire International, mais à la Banque Centrale Européenne… Dans la pratique, la BCE et le FMI sont deux facettes d’une même médaille, c’est la même chose. Comment ce type de dirigeant peut-il donner une orientation à la classe ouvrière?

Le KKE, de son côté, est très sectaire et fait systématiquement ses meetings, rassemblements,… à part, car ils considèrent qu’ils sont les seuls communistes. Le dirigeant du KKE a dû répondre à la même question: que proposer vous? Il a répondu en critiquant le capitalisme, ses contradictions internes,… Le journaliste a perdu patience et a redemandé: que proposez vous? Il a répondu : rien, la classe ouvrière ne peut rien faire pour l’instant. Autrement dit: venez, écrasez nous! Voilà où en est la gauche en Grèce. Cela permet de comprendre pourquoi une telle crise n’abouti pas au renforcement réel des organisations de gauche, c’est pourquoi autant de gens disent qu’ils ne croient en "personne".

Après la scission de droite au sein de Synaspismos (une coalition d’organisations qui travaille au sein de Syriza), les dirigeants restant étaient déprimés. Nous leur avons pourtant dit de poursuivre, d’aller vers la gauche puisqu’ils étaient libérés d’un poids. Il y a également eu une scission au Pasok, et une va arriver à la Nouvelle Démocratie. La crise renforce les contradictions internes. Mais le point fondamental, c’est : comment peuvent-ils justifier d’être aussi loin des réalités des gens? Il est possible que Syriza scissionne et que quelque chose d’autre se crée, comme il est possible que des dirigeants syndicaux et des sections syndicales rompent avec le Pasok et rejoignent Syriza. Mais la nouvelle formation n’est pas non plu à l’abri d’un scénario du type du "PRC" en Italie (c’est-à-dire un déclin rapide après avoir été compromis dans une politique pro-capitaliste). Le problème de Syriza, c’est aussi que les dirigeants ne sont pas seulement incapables politiquement, ils sont aussi incapables de donner de bonnes structures et une bonne organisation au mouvement. De l’autre côté, le KKE, qui a une semi influence de masse, ne fait qu’aborder les choses de façon abstraite. Aucun slogan mis en avant ne répond au niveau de conscience du moment.

Toutes les organisations de gauche considèrent que l’Europe peut aider le pays. Nous avons toujours affirmé le contraire et systématiquement défendu la nationalisation du secteur financier sous le contrôle des travailleurs, etc. Aujourd’hui, en quelques mois seulement, 48% de la population est favorable aux nationalisations. Tous ces gens ne nous connaissent pas, c’est avant tout leur expérience concrète qui a forcé les choses dans cette direction. Un tiers de la population refuse de payer la dette du pays, et 50% des sondés ont déclaré qu’ils allaient prendre part à une révolte dans la période à venir! Dans cette situation, nous ne devons pas parler de geler la dette ou d’en postposer le paiement, mais bien refuser de la payer, sur base de mobilisations. Nous devons aussi y ajouter le monopole du commerce extérieur et la nécessité d’une économie démocratiquement planifiée. Sur base capitaliste, le refus de payer la dette sera supporté par les travailleurs. Un autre élément important est l’internationalisme. La nécessité d’une lutte commune (d’Espagne, d’Italie,…) est très largement comprise. Dans ce cadre, notre initiative pour une semaine d’action et de solidarité a été importante, même si les résultats étaient mitigés.

De leur côté, les anarchistes appellent tout simplement à un soulèvement généralisé. C’est déjà arrivé en décembre 2008, mais qu’est ce que ça a changé? Quel a été le résultat du soulèvement de la jeunesse de 2008? Mais depuis, il y a aussi eu la mort des trois travailleurs le 5 mai dans une banque, victimes de cocktails Molotov lancés depuis un groupe d’anarchistes parce qu’ils travaillaient un jour de grève (en fait, le patron les aviat forcé). Certains, les anarchistes les plus conscients, remettent en question leurs méthodes depuis et se sont rebellés contre leurs propres traditions. Cela fait déjà des années que nous expliquons que leurs actions ne mènent nulle part et sont destructives pour le mouvement. Les autres organisations de gauche disaient "laissez les tranquilles, ils font partie du mouvement, laissez aller". Les trois morts du 5 mai ont constitué un choc pour eux aussi.

Nous avons eu quelques succès pour mettre en avant différents point de programme, mais nous devons veiller à constamment nous adapter. Ce n’est par exemple pas impossible d’avoir des développements du type de pillages de supermarché pour avoir de la nourriture,… En fait, tout peut aller très vite.

La Grèce est le pays clé de l’Europe en termes de lutte des classes. Dans un sens, c’est la première révolte de classe de cette nouvelle période que nous connaissons, et cela pose à notre internationale de nombreuses nouvelles questions qui seront posées à d’autres sections à un moment ou à un autre. Ce n’est pas seulement un test pour notre section grecque, il s’agit d’un test pour toute notre internationale.

.

Author

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop