Espagne : un virage à gauche à l'occasion des élections générales

La mobilisation dans la rue sera déterminante dans le lutte pour nos droits

espagneLes élections du 20 décembre 2015 ont constitué un changement fondamental au Parlement. Elles sont le reflet des changements survenus dans la rue et dans la conscience du peuple à travers la mobilisation de ces dernières années et aussi de l’essor des différents mouvements, surtout au niveau régional et local, avec Podemos et le succès de candidatures de confluence de gauche, les mairies de Barcelone et de Madrid en étant le meilleur exemple.

Déclaration de Socialismo Revolucionario (section du Comité pour une Internationale Ouvrière dans l’État espagnol)

En premier lieu, il faut souligner la rupture du système du bipartisme (droite et social-démocratie) qui perd dans son ensemble plus de 5 millions de voix. C’est surtout le PP (Parti Populaire, droite) qui a subi une perte de plus de 3,6 millions de voix, mais aussi le PSOE (social-démocratie) qui a obtenu les pires résultats de son histoire. Par contre, deux nouvelles forces font une percée dans le parlement, Ciudadanos (droite populiste) et, surtout, Podemos qui est la troisième force du pays avec 69 sièges et qui, en dépit de son récent virage vers la “modération”, a représenté une force opposée à l’austérité.

Au même temps, on ne peut pas ignorer que le PP, avec 123 sièges, est toujours la première force politique avec une différence de plus de 1,7 million de voix par rapport à la deuxième, le PSOE. Ceci alors que le PP a souffert d’une usure considérable pendant son mandat due aux coupes budgétaires dans la santé et l’éducation ainsi qu’à la montée du chômage de longue durée, de la précarité, de la pauvreté et de l’inégalité. Le discours hypocrite concernant la relance économique – une maigre reprise que la majorité n’a pas remarqué – associé à une certaine stabilisation des données macroéconomiques, et surtout au reflux des manifestations contre l’austérité, ont empêché que la chute du PP ne soit encore plus spectaculaire. Ce parti perd toutefois sa majorité absolue et est en fait très loin d’en approcher.

De son coté, le PSOE a obtenu ses pires résultats depuis la fin du régime franquiste. le parti considère cependant ce résultat comme un succès relatif étant donné que les sondages prévoyaient que le PSOE finirait la course électorale comme troisième ou même quatrième force politique.

Ciudadanos parvient à engranger bien plus que ce qui était initialement prévu, même par ses propres dirigeants. Bien que le fait d’avoir un bloc important au Congrès soit un succès pour un parti presque sans structure, il semble que la situation ne lui sera pas très favorable car son caractère pro-austérité devient de plus en plus évident avec son soutien à la formation d’un gouvernement PP. La campagne électorale avait obligé le parti à faire tomber son masque vis-à-vis des thématiques sociales, la suite des évènements accentuera ce processus. De toute façon, Ciudadanos reste une option à utiliser pour l’establishment si le besoin s’en fait sentir.

Percée de Podemos et occasion manquée pour la gauche

Sans aucun doute, le changement le plus significatif dans le paysage électoral est la puissante percée de Podemos qui passe de rien à plus de 5 millions de voix. Le retour que Pablo Iglesias annonçait a été partiellement confirmé. Ces derniers mois, les sondages avaient montré une chute de soutien pour Podemos qui arrivait parfois à 10%. Ce retour est en partie dû à la performance d’Iglesias dans les débats télévisés comme à l’intervention de personnages clés associés aux mouvements sociaux qui restent immensément populaires dans la société espagnole (Ada Colau, porte-parole de la plateforme des personnes expulsées de leur logement (PAH) et aujourd’hui maire de Barcelone, etc.). Finalement, Podemos est très proche du PSOE en termes de nombre de voix, avec moins de 250.000 suffrages de différence. La différence de sièges s’explique du fait de la loi électorale et de la concentration de votes dans les grandes villes.

En Catalogne, la victoire de la liste soutenue par Podemos (mais aussi soutenue par IU (Gauche Unie) et d’autres) – “En Comú Podem” – comme premier parti est un fait historique. Cela survient tout juste 3 mois après la tenue des élections régionales où la liste soutenue par Podemos avait obtenu un très mauvais résultat. Podemos a été également la force la plus soutenue en Euskadi (Communauté autonome basque) et la deuxième force partout où ils se sont présentés en coalition, comme en Galice et à Valence qui, curieusement, étaient auparavant des fiefs du PP.

Cela nous amène à conclure que les résultats ont été franchement meilleurs là où Podemos a formé des larges candidatures qui réunissent d’autres forces de la gauche. Ils illustrent le potentiel qu’aurait eu une liste unitaire dans tout l’Etat espagnol. Non seulement elle aurait dépassé le PSOE, mais elle aurait été en mesure de contester la première position au PP. Tant l’expérience des élections locales que celle des élections générales nous livrent le message suivant: pour gagner il faut l’unité, construite à la base et au-delà des sigles partisans.

Concernant la liste de IU “Unité Populaire”, il est très significatif qu’elle ait obtenu près d’un million des voix malgré la difficulté de présenter une candidature concurrente de Podemos et sans se présenter en Galice et en Catalogne parce que la formation était intégrée dans les listes de confluence. Malgré ses maigres résultats, la campagne d’Alberto Garzón a été vraiment bonne avec un profil très apprécié au-delà même de ses électeurs. Il a été le seul à mettre en avant des mesures de rupture réelles, comme la nationalisation des banques renflouées avec l’argent public, la renationalisation du secteur de l’énergie pour promouvoir les énergies renouvelables et mettre fin à la pauvreté énergétique, ou encore un plan ambitieux d’investissements publics visant à créer des emplois.

Il faut garder à l’esprit que tous ces votes (ceux de Podemos plus ceux d’Unité Populaire plus ceux des listes de confluence de gauche en Catalogne, Galice et Valence) cumulent ensemble plus de six millions de voix favorables à un changement progressiste. Six millions de voix contre les coupes budgétaires et l’establishment.

On peut conclure que la nouvelle carte électorale tend clairement vers la gauche, chose qui reflète les précédents combats sociaux. La construction de l’unité du mouvement sur base des intérêts de la majorité contre les plans d’austérité de tout nouveau gouvernement est l’une des principales tâches du moment.

Que se passera-t-il avec le futur gouvernement?

La situation est très ouverte et est très volatile. La formation d’un nouveau gouvernement et qui le dirigera est vraiment incertain, et la possibilité de nouvelles élections n’est pas exclue. En tout cas, tout nouveau gouvernement sera beaucoup plus faible et instable que le dernier et moins capable de parvenir à la fin de son mandat.

Cette situation doit être utilisée par la gauche et le mouvements social et des travailleurs pour accroitre la mobilisation contre ce gouvernement car ce sera beaucoup plus facile d’arracher des victoires que dans la période précédente. Cette mobilisation ne doit pas seulement nous défendre contre de nouvelles mesures d’austérité, elle doit aussi lancer des luttes offensives pour récupérer nos droits et conditions de vie perdus.

Comme nous le disions, il est difficile de prédire la composition du nouveau gouvernement, mais il y a un climat très généralisé contre la répétition d’un nouveau gouvernement du PP, anti-ouvrier, corrompu et brutal.

Pour cette raison, avec la crainte d’une pasokisation (en référence à la perte fulgurante de soutien pour le PASOK, la social-démocratie grecque), nous croyons que le PSOE cherchera à constituer un gouvernement minoritaire (avec le soutien extérieur de Podemos et / ou autres), plutôt que de permettre l’arrivée d’un nouveau gouvernement du PP (avec un soutien de l’extérieur en en formant une grande coalition). Bien sûr, aucune option n’est à exclure.

Cependant, nous ne devons pas oublier que ce nouveau gouvernement sera aussi clairement pro-austérité, quand bien même avec un caractère moins brutal que le précédent. Il est important que Podemos et les autres forces de gauche capables d’apporter leur soutien à l’investiture d’un gouvernement du PSOE pour éviter un nouveau gouvernement PP soient très claires quant aux conditions nécessaires pour permettre cette investiture. Ces conditions doivent se baser sur des mesures concrètes en faveur de nos intérêts et ceux de la classe des travailleurs et pas sur des mesures encore abstraites de changements constitutionnels qui s’écraseront probablement contre le PP et sa majorité absolue au Sénat. Il est essentiel que l’hypothétique soutien à une investiture d’un gouvernement PSOE n’aille plus loin que ça: un soutien ponctuel pour empêcher un nouveau gouvernement du PP. Les forces politiques de la classe des travailleurs doivent maintenir leur indépendance et éviter toute implication politique avec l’austérité de n’importe quel gouvernement.

Un vrai gouvernement de gauche devrait d’abord abroger les deux réformes du travail du PP et du PSOE et la loi de “sécurité citoyenne” – aussi appelée loi bâillon -, revenir sur les coupes budgétaires dans la santé et l’éducation, renationaliser les services publics privatisés, mettre fin aux mesures d’austérité et appeler à la tenue d’un référendum contraignant en Catalogne. Nous savons que cela n’est pas compatible avec un gouvernement du PSOE sous la dictature actuelle des marchés.

Mais le plus important pour obtenir des concessions d’un gouvernement minoritaire, soit du PP ou PSOE, c’est le début d’un nouveau cycle de protestations. Il ne faut pas uniquement compter sur le cadre institutionnel pour lutter pour nos conditions de vie. En fait, tout le travail institutionnel doit viser à renforcer cette mobilisation. Comme nous le disions, les possibles gouvernements du PP ou PSOE, faibles et instables, seront plus faciles à influencer, voire à renverser au travers des outils traditionnels de la lutte ouvrière (manifestations, grèves générales, occupations,…) que les gouvernements précédents que nous avons subis dans l’État espagnol. La chute d’un gouvernement d’austérité à la suite de ces méthodes ouvrirait la possibilité de se battre pour un véritable gouvernement des travailleurs.

En outre, tant l’expérience de Grèce que celle des listes de confluence de gauche dans certains gouvernements locaux nous montrent les limites de l’action des gouvernements réformistes ou de ceux qui ne sont pas disposés à prendre des mesures de rupture véritables avec le régime et le système capitalistes.

Par conséquent, il est nécessaire, à partir de maintenant, de nous préparer à prendre le pouvoir à travers des organisations avec un véritable programme socialiste de nationalisation des secteurs clés de l’économie afin de la planifier en fonction des besoins de la société plutôt que des grandes entreprises ou des grandes fortunes, et aussi pour la défense de tous les droits démocratiques, y compris l’autodétermination.

Dans ces organisations doivent être inclues des forces politiques comme Podemos et IU, qui ont démontré leur potentiel pour attirer à elles de larges couches des classes populaires, et aussi les mouvements sociaux comme la PAH, les groupes environnementaux et autres. Ces organisations doivent également avoir un fonctionnement démocratique à partir de la base pour garantir la révocabilité des responsables et l’élaboration collective du programme et des listes de candidats.

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