Crise migratoire : la solidarité peut-elle être apolitique ?

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Ce ne sont pas les actes de solidarité avec les migrants qui ont manqué ces derniers mois. Au parc Maximilien, dans les différentes collectes souvent organisées spontanément, dans les comités de soutien aux sans-papiers, … cette magnifique énergie a su dans les faits riposter au discours raciste et nauséabond qui avait déferlé sur les médias sociaux et dans les commentaires de sites de presse. Comment construire le mouvement sur cette base ?

Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste

Solidarité et charité

L’approche que nous défendons s’appuie tout d’abord sur la solidarité. La charité est une relation inégale, avec un donateur actif et un bénéficiaire passif. Ce rapport est basé au mieux sur le paternalisme, au pire sur la domination. La solidarité, au contraire, vise à atteindre une égalité dans la lutte. Dans l’urgence des premiers temps, il est bien entendu logique que l’aspect humanitaire (organisation des récoltes de vivres, de vêtements, etc.) prenne une place prépondérante. Mais en rester à ce stade équivaut à entrer dans un cul-de-sac, très certainement au vu du désastre causé par des années d’austérité dans le secteur social. Comme nos lecteurs ont pu le lire dans notre édition d’octobre avec l’interview de Saïd, membre de la coordination bruxelloise des sans-papiers : ‘‘Une démarche humanitaire est bien sûr nécessaire dans un premier temps mais sans perspective politiques, le mouvement n’a pas d’avenir!’’

Selon nous, cette lutte unitaire ne devrait pas se focaliser uniquement sur la thématique de la migration, mais partir de ce point pour rejoindre les autres aspects de la lutte sociale. Nous n’avons rien à attendre du fédéral face à la politique raciste des autorités belges, les migrants ont ainsi tout autant intérêt à faire chuter ce gouvernement que les travailleurs qui luttent contre l’austérité. Différents collectifs de sans-papiers sont d’ailleurs systématiquement présents aux actions syndicales.

Il s’agit également de la meilleure réponse à opposer aux préjugés et à la division. Sur la thématique du logement par exemple. Des données collectées par le magazine britannique The Guardian et publiées en septembre dernier ont dévoilé que l’Union Européenne comprenait pas moins de 11 millions de maisons et appartements vides ! Ce rapport pointait du doigt la spéculation de riches investisseurs qui ont saisi l’opportunité de la crise de l’immobilier pour racheter pour une bouchée de pain des biens dans l’espoir d’un profit rapide. L’expropriation de ces logements offrirait suffisamment de logements pour les sans-abris, les migrants, des ménages qui peinent à joindre les deux bouts,… Cela exercerait aussi une pression à la baisse sur les loyers de chacun. Il n’existe pas de statistiques exactes en Belgique, mais la Cellule Logements Inoccupés de la Région bruxelloise créée en 2012 estime que 48.000 logements ne seraient pas habités sur un parc bruxellois total de 300.000 adresses.

Les migrants ne sont pas responsables de la crise du logement, cette crise est organisée par de riches propriétaires à seule fin de réaliser encore plus de profits. Il n’en va pas autrement concernant l’emploi, les services publics,… Nous pouvons lutter ensemble et arracher les moyens nécessaires pour offrir une vie décente à chacun, migrant ou non. Cette approche nécessite évidemment d’entrer en conflit ouvert avec les autorités politiques établies. Il s’agit d’un débat non négligeable chez les activistes. Que cela soit clair : faire les yeux doux à des autorités qui ont déjà démontré l’étendue du caractère raciste et asocial de leur politique, c’est un dangereux leurre qui ne peut conduire qu’à la désillusion, tant au niveau de la crise de la migration qu’au niveau de l’austérité. Au final, rester exclusivement sur le terrain humanitaire sans vouloir ou oser se positionner explicitement sur la politique migratoire, sociale et économique belge et européenne, cela équivaut à se résigner à voir l’humanitaire faire indéfiniment partie de notre lot quotidien.

Réfugiés d’aujourd’hui, sans-papiers de demain

Dans le même ordre d’idée, par crainte d’entrer en conflit avec les autorités, certains activistes impliqués dans les mouvements d’aide aux migrants ont pu tomber dans le piège de dissocier le combat des sans-papiers de celui de l’accueil aux demandeurs d’asile. Une grande partie de ces derniers verront pourtant leur demande refusée et seront forcés de rejoindre le flot des soi-disant ‘‘illégaux’’. Ils deviendront des proies rêvées pour les marchands de sommeil et les patrons à la recherche d’une main d’oeuvre rendue plus docile et corvéable en raison d’une décision arbitraire de l’Office des Etrangers.

Selon la Convention de Genève de 1951, un réfugié est une personne protégée par l’État accueillant à cause de la crainte, avec raison, d’être persécuté dans son pays natal. Et ceux qui décident de si l’on a ‘‘raison’’ ou non d’avoir peur, ce sont les dirigeants des Etats capitalistes, ceux-là mêmes qui nous imposent l’austérité et les politiques antisociales ! Au nom de quoi peut-on faire une distinction entre ceux qui s’enfuient pour échapper à la violence, à la dictature et à l’oppression et ceux qui cherchent désespérément une vie décente, qui veulent plus que simplement survivre, qui veulent la liberté d’expression, un emploi convenable, des possibilités d’études pour leurs enfants,… ? Nous refusons d’entrer dans le débat concernant de prétendues ‘‘raisons légitimes’’ de la migration. Guerre, misère, exploitation économique, discriminations : nous refusons de hiérarchiser l’horreur et de décider ce qui est acceptable de subir ou pas. Nous défendons le droit de chacun de mener une vie digne au sein d’une société où l’on peut se déplacer librement sans se voir forcé de devoir tout quitter à la recherche d’une vie meilleure.

Pour la liberté de débat et d’expression dans le mouvement !

A l’occasion de la manifestation de solidarité avec les réfugiés qui s’est déroulée le 27 septembre dernier à Bruxelles – à l’initiative de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés de Bruxelles et de Refugees Welcome – on pouvait lire dans le texte de l’appel sur Facebook : ‘‘Si nous encourageons les participants à réaliser des affiches, panneaux, calicots, etc., nous demandons aux organisations partisanes qui souhaitent soutenir la marche d’en respecter le caractère citoyen en n’emmenant pas leurs drapeaux.’’ Pourquoi donc brimer la liberté d’expression tout en militant pour la liberté de circulation?

Nous comprenons bien la crainte de voir la lutte instrumentalisée par des partis qui ne sont que des machines électorales et en aucun cas de outils de lutte. Mais soyons sérieux, des politiciens comme Di Rupo & Co n’ont besoin que d’être présents dans un cortège pour attirer les caméras et les journalistes comme des mouches. Cette approche répressive – que nous retrouvons régulièrement sous diverses formes dans des projets de plateforme, etc. – constitue une grave atteinte à la liberté d’expression. Cela revient à contester le droit de chacun de se présenter en tant que membre d’un parti. C’est aussi une manière très paternaliste de décider d’en-haut de ce qui est bon ou pas pour des manifestants qui ne vont de toute manière pas mettre leur sens critique au vestiaire en rejoignant un appel.

Lors de cette manifestation, les discussions que nous avons pu avoir autour de notre délégation (qui comportait banderoles et drapeaux) et l’animation qui y régnait a d’ailleurs illustré que cette idée ne vit pas parmi les couches larges de la population mais uniquement parmi une certaine couche de militants organisés. La plupart des manifestants apprécient le soutien honnête d’un parti et apprécient surtout de savoir à qui ils ont à faire lorsqu’ils discutent. Nous considérons ainsi comme beaucoup plus problématique, par exemple, de récolter des adresses e-mail et des coordonnées personnelles pour un parti en prenant bien garde de ne pas le dire ouvertement, en se servant d’une pétition créée à cette seule fin ou d’autres moyens sournois.

Nous refusons d’approuver une unité de façade, hypocrite, basée sur un nivellement artificiel des divergences. Nous lui préférons une unité véritable, concrète, basée sur un respect mutuel construit patiemment à travers la discussion, le dialogue et la pratique commune. Nous ne considérons pas les différentes sensibilités politiques présentes dans le mouvement social comme un problème, mais au contraire comme une richesse nous permettant d’aiguiser nos arguments et nos méthodes.

C’est aux multinationales qu’il faut s’en prendre, pas à leurs victimes !

Au-delà de la question de l’accueil, nous voulons aussi aborder la lutte contre les causes qui poussent tant de gens à quitter leurs familles et leur pays. Nous dénonçons les politiques impérialistes et néocoloniales responsables du soutien aux dictatures locales et de l’épouvantable exploitation qui règne dans les pays du monde néocolonial. Il est crucial de souligner le soutien aux luttes pour l’émancipation des masses et pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sans ingérence des puissances impérialistes (politique ou économique). Là-bas comme ici, cela signifie d’en finir avec les chaînes du capitalisme et de construire une société où l’économie serait libérée de la camisole de force du ‘‘libre-marché’’, c’est-à-dire une société socialiste démocratique.

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