Pourquoi 11 millions de Syriens se sont enfuis

syriaLa stratégie occidentale d’interventions au Moyen Orient a complètement échoué

Après plus de quatre ans de guerre civile sanglante en Syrie, la fin des souffrances n’est toujours pas à l’horizon. Un quart de million de personnes sont mortes et onze million d’autres ont fui. Ce conflit sectaire risque d’entraîner le reste de la région dans une spirale de violence.

Article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste

La crise des réfugiés entraine un nouveau débat concernant une éventuelle intervention militaire dans le pays. Wouter Beke (CD&V) estime que cela doit être considéré. Mais cela ne mettra pas un terme au cauchemar vécu par la population syrienne. Des nouvelles interventions militaires augmenteront inévitablement le nombre de morts et celui des réfugiés. L’instabilité croissante en Turquie (voir ci-dessous) peut elle aussi conduire à un nouvel afflux de réfugiés, ce pays comprenant jusqu’ici 2,2 millions de réfugiés syriens.

Les interventions militaires aggravent la situation

Les interventions désastreuses en Irak, en Afghanistan et en Lybie de même que l’opinion publique anti-guerre en Europe ont assuré que la Belgique n’ait pas encore été impliquée dans la guerre en Syrie. La crise des réfugiés est cyniquement utilisée pour tourner cette situation, ce qui ne servirait qu’à soutenir l’impérialisme américain en Syrie et Irak.

Mais, comme le journaliste Patrick Cockburn le faisait remarquer dans The Independent (3 octobre): “La campagne menée par les Etats-Unis contre l’Etat Islamique n’a pas fonctionné. Les militants islamistes n’ont pas disparu suite aux attaques aériennes. Dans les territoires de Syrie et du Kurdistan irakien, ils résistent ou gagnent encore du terrain. Il y a quelque chose de bizarre avec tout ce débat concernant le soutien à la campagne aérienne en Syrie : personne ne semble remarquer que cela a totalement échoué.’’

Les attaques aériennes en Irak et en Syrie, qui durent depuis plus d’un an, ont coûté 2,7 milliards de dollars et ont entrainé des centaines de morts. L’Etat Islamique (Daesh) contrôle toujours au moins la moitié de la Syrie et un tiers de l’Irak. Ainsi, la ville irakienne de Ramadi est encore tombée entre ses mains en mai dernier. Le mois précédent, 165 attaques aériennes avaient frappé les positions de Daesh autour de cette ville. Cinq mois plus tard, la ville est toujours en sa possession.

Le gouvernement irakien dominé par les chiites essaye de reconquérir la ville en faisant appel aux milices chiites. Mais Ramadi est principalement sunnite et la population craint des actes de représailles sectaires à grande échelle si la ville tombe aux mains du gouvernement. Quand la ville de Tikrit a été reprise à Daesh par des milices chiites, des exécutions massives de sunnites ont eu lieu sous la fausse accusation d’être des membres de Daesh. Des milliers d’habitants se sont enfuis.
L’impérialisme a conduit au cauchemar dans cette région. Après des décennies d’interventions militaires, de politique de diviser-pour-mieux-régner, de soutien aux dictatures et de flirt avec les forces djihadistes, l’Irak et la Syrie sont en ruines. Cela renforce le repli religieux sectaire et la guerre civile. Cela confirme aussi ce que nous avions défendu lors de l’invasion de l’Irak en 2003, à savoir que cette guerre ne pouvait pas conduire à autre chose qu’aux conflits régionaux et aux troubles sectaires.

La nécessité de la lutte de masse

En 2011, le soulèvement qui a pris place a commencé comme une véritable révolte contre la dictature d’Assad. Mais les choses ont changé suite à l’intervention de forces réactionnaires étrangères qui voulaient à tout prix mettre un terme à la vague révolutionnaire qui déferlait sur la région: les régimes dictatoriaux d’Arabie saoudite et du Qatar de même que les puissances impérialistes. Daesh est l’une des terribles conséquences de ce processus.

Les tentatives de développer une Armée Syrienne Libre pro-occidentale ont échoué. Les livraisons d’armes ont directement alimenté Daesh. En réalité, les États-Unis n’ont pas de partenaire fiable en Syrie. Le rôle agressif de Daesh a rendu nécessaire aux Etats-Unis de faire quelque chose. Mais comme le fait remarquer le journaliste Patrick Cockburn : ‘‘les Etats-Unis ne bombardent pas l’Etat Islamique dans les zones de Syrie où le groupe djihadiste combat l’armée syrienne.’’ (The Independent, 30 septembre).
L’impérialisme américain reste la plus grande puissance au monde, mais son étoile pâlit. En voulant être le gendarme du monde, il est allé droit dans le mur comme l’illustre le cas syrien. Cela a donné au président russe Vladimir Poutine la confiance suffisante pour intervenir et soutenir Assad.

L’impérialisme américain est ainsi pris entre les régimes sunnites qui financent les combattants opposés à Assad et l’Iran chiite, qui a envoyé 15.000 soldats soutenir Assad, désormais aux côtés de la Russie.
Cela ne signifie toutefois pas que Daesh ne peut être vaincu. Les faiblesses sous-jacentes au groupe djihadiste ont été démontrées par les victoires militaires remportées par les troupes majoritairement kurdes YPG et YPJ au nord de la Syrie. Les combattants kurdes ont démontré que lier le conflit militaire à un appel à la libération nationale et au changement social peut arracher des victoires. Ces succès sont cependant largement basés sur une guérilla héroïque plutôt que sur la mobilisation démocratique des masses par-delà les frontières ethniques ou religieuses. Cela peut comporter certains risques, comme semblent l’indiquer des allégations d’Amnesty International et de Patrick Cockburn selon lesquelles il y aurait eu des cas d’expulsion de non-Kurdes de divers territoires. Le YPG dément ces accusations mais, sans rompre avec le capitalisme et l’impérialisme, les divisions ethniques et religieuses sectaires menaceront toujours de réémerger.

L’unité des travailleurs et des pauvres est nécessaire en Irak et en Syrie. Les peuples kurde et autres ne peuvent compter que sur leur propre auto-organisation pour mettre fin à ce cauchemar. Des comités unitaires d’auto-défense seront cruciaux pour protéger les minorités et peuvent également représenter un important levier pour construire un mouvement de lutte pour le socialisme. Une opposition conséquente à toutes les forces impérialistes, aux régimes réactionnaires locaux et aux escadrons de la mort sectaires ainsi que la défense du droit à l’autodétermination de toutes les communautés, un mouvement pourrait bénéficier d’un écho de masse parmi les travailleurs de la région et du reste du monde. D’autre part, les organisations de gauche dans le reste du monde doivent lutter contre les interventions impérialistes au Moyen-Orient.

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