Pologne: Le parti dirigeant perd les élections dans la colère des travailleurs

Le parlement se déplace à droite

pologne_electionsLes 8 ans de règne du gouvernement néo-libéral « Plate-forme Civique » sont finis. Le 25 octobre, le parti d’opposition conservateur, « Loi et Justice », a gagné les élections contre le parti dirigeant. Ce coup final vient après la précédente défaite de Plate-forme Civique aux élections présidentielles de mai où ils ont également perdu contre le candidat de Loi et Justice. La colère montait parce que le gouvernement s’éloignait de plus en plus de la réalité vécue par la plupart des travailleurs. Le mandat de Plate-forme Civique n’a été que législation anti-ouvrière, attaques sur l’âge de la retraite et privatisations massives.

Par Kacper Pluta, Alternatywa Socjalistyczna (CIO-Pologne)

Alors qu’il recevait d’énormes fonds de la part de l’UE, ce gouvernement a échoué à résoudre les problèmes structurels d’infrastructure et des services publics. Tout en dépensant cet argent en investissements tapageurs, comme les trains à grande vitesse ou les stades de sport, l’État a laissé les chemins de fer locaux, la santé et le secteur de l’énergie tomber en décrépitude. Le mécontentement des travailleurs envers le gouvernement a atteint son paroxysme quand les politiciens ont exprimé des idées à côté de la plaque, comme “Pour avoir une vie meilleure, il suffit de trouver un meilleur emploi et un emprunt” (le Président) ou encore “seul un idiot ou un voleur pourrait travailler pour moins de 6000 zlotys (environ 1500 €) par mois” selon un des ministres (alors que la plupart des travailleurs polonais gagnent moins d’un tiers de ce nombre!)

Cette érosion du soutien au gouvernement entre mai et octobre s’est aussi illustrée dans le mouvement ouvrier. Pendant les deux derniers mois avant les élections, un grand nombre de mobilisations ont eu lieu dans différents secteurs – il n’y a pas eu une semaine sans manifestation de plusieurs milliers de personnes dans la capitale ! En particulier, les mineurs et les infirmières se sont engagés dans une lutte spectaculaire. Comme nous le disions plus tôt cette année, l’accord entre les syndicats des mineurs et le gouvernement ne donnait aucune garantie aux ouvriers. Et en effet, en septembre, les mineurs ont fait face à la perspective que leurs salaires ne soient pas payés. Les infirmières ont lutté pour l’augmentation de leurs salaires très bas. Grâce à des grèves locales déterminées et à la menace d’une grève générale, elles ont gagné des promesses du ministère. Cependant, la lutte pour concrétiser ces promesses continue. D’autres groupes, comme les travailleurs hospitaliers, les enseignants, les bûcherons, les pompiers et d’autres encore, sont aussi descendus en rue. Malheureusement, ces manifestations étaient souvent marquée par de fortes illusions électorales. A l’exception de dirigeants syndicaux plus combatifs très peu nombreux, les représentants syndicaux ont généralement échoué a appeler à davantage de lutte, se concentrant seulement sur le besoin de se débarrasser de Plate-forme Civique dans les urnes. Aucune perspective de luttes futures ou de grève générale n’a été donnée.
Les résultats électoraux

En résultat de cette élection, Lois et Justice – parti conservateur avec des éléments de populisme de droite – a gagné une majorité qui lui permet de former un gouvernement seul (tous les gouvernements depuis 1989 ont été des coalitions). Les politiciens de ce parti sont beaucoup apparus face aux assemblées et manifestations des travailleurs, promettant l’annulation des réformes de la retraite, la taxation des banques et des supermarchés, l’introduction de d’allocations familiales et d’exonérations fiscales pour les plus pauvres.

Ces promesses peuvent créer des illusions parmi la classe ouvrière. Cependant, la lune de miel sera terminée quand leur programme de “capitalisme national”, en partie inspiré par le régime de Victor Orban en Hongrie, ne répondra pas aux attentes des travailleurs. Il est très probable que les conservateurs se tourneront alors vers leurs armes populistes traditionnelles : les attaques contre les femmes, les minorités et la gauche. Ils parlent déjà d’introduire “l’éducation patriotique” dans les écoles, même pour les enfants les plus jeunes. Il faut préciser que lors de leur dernier gouvernement (2005-07), Loi et Justice avait nommé un politicien nationaliste comme ministre de l’éducation, dont les actions ont provoqué le plus grand mouvement de contestation de la jeunesse dans l’Histoire récente de la Pologne.

Loi et Justice affirme que ses dépenses sociales prévues (et la baisse des impôts pour les petites et moyennes entreprises) seront couvertes par l’imposition des banques et des supermarchés. Cependant, les journalistes indiqué qu’en réalité le gouvernement va recourir à des politiques d’assouplissement quantitatif (après avoir pris le contrôle de la banque centrale en 2016), injectant donc de l’argent dans les banques pour davantage de spéculation, malgré leur propagande officielle anti-banques.

Le nouveau parlement a tourné à droite, tout comme la campagne électorale. Les politiciens de tous les partis de droite ont utilisé la xénophobie et attisé la peur des réfugiés et des immigrants. Cela n’est pas sans racine dans la société. Les sondages indiquent que la majorité des jeunes soutiennent les partis de droite d’extrême-droite. Même Korwin-Mikke, qui n’a pas réussi à entrer au parlement cette fois-ci et connu pour ses discours réactionnaire au parlement européen, trouve un soutien disproportionné parmi les jeunes. Depuis le début de la crise des réfugiés en Europe du Sud, de plus en plus d’actes racistes et xénophobes ont été rapportés en Pologne (alors que le nombre de d’immigrants est très faible et qu’il n’y a eu qu’un petit groupe de réfugiés arrivés dans le pays via une association humanitaire privée).

A côté de Loi et Justice et de Plate-forme Civique (dans son nouveau rôle de plus grand parti d’opposition), certains nouveaux partis sont entrés au parlement : Kukiz 15 et Nowoczesna. Le premier est un nouveau mouvement politique populiste de droite, dirigé par une ancienne rock-star. Son groupe de députés nouvellement élus comprend des nationalistes d’extrême-droite, des homophobes notoires et même des politiciens associés aux néo-fascistes. L’autre parti, Nowoczesna, a été créé juste avant l’élection par un néo-libéral radical qui est une personnalité respectée dans le secteur financier. La victoire de Loi et Justice et le succès soudain de ces nouveaux parti montrent que la colère des travailleurs cherche à remplir le vide politique, mais qu’elle est tragiquement canalisée dans des directions réactionnaires. Malheureusement, la bureaucratie syndicale ajoute à cette confusion – le syndicat Solidarno?? a soutenu les candidats de Loi et Justice (et même localement des candidats de Kukiz 15).
La gauche

A la grande surprise de certains, les anciens socio-démocrates de Alliance de Gauche Démocratique ne sont pas ré-entrés au parlement et il n’y aura donc aucun parti de gauche d’aucune sorte à la prochaine assemblée. Bien que les votes cumulés pour Alliance de Gauche Démocratique et Razem (voir plus bas) soient autour de 11%, les lois électorales strictes demandent aux partis et alliances électorales de dépasser un seuil pour entrer au parlement, de qui déforme donc la représentation. C’est un coup massif pour Alliance de Gauche Démocratique – un parti qui a été de tous les parlements depuis 1990, a été deux fois au gouvernement (avec 41% de soutien électoral en 2001) et a eu un candidat présidentiel qui a gagné deux élections consécutives. Cette défaite historique est survenue malgré les tentatives de re-maquiller le vieux cadavre, en mettant à la tête de leur campagne électorale une politicienne auparavant liée à la gauche radicale. Alors qu’elle était officiellement soutenue par la fédération syndicale de masse OPZZ, l’Alliance de Gauche Démocratique n’a pas regagné la confiance des travailleurs. Ils ont payé pour des années de pratiques néo-libérales, de scandales de corruption, de promotion de politiques guerrières et pour leur soutien inconditionnel à l’impérialisme américain (y-compris la participation à la guerre en Irak et la supposée créations de centres de torture de la CIA en Pologne) ainsi que pour leur très faible et droitière campagne aux élections présidentielles en mai.

D’un autre côté, la nouvelle formation de gauche Razem (Ensemble) a terminé cette campagne par un succès. Razem, qui n’a tenu son congrès de formation qu’au printemps dernier, est partie de rien pour remporter plus d’un demi-million de votes (3,6%) – un score sans précédent pour la gauche non-parlementaire en Pologne. Ce n’était pas assez pour entrer au gouvernement, mais c’est suffisant pour remporter des millions de zlotys de financement des partis politiques par l’État. Dans leur campagne, Razem s’est concentré sur certaines réformes pro-travailleurs comme la fin des « contrats-poubelles », l’augmentation du salaire minimum, la taxation des riches, et le renforcement des syndicats et de l’Inspection du Travail. Ils défendaient un programme de logements sociaux, la semaine de 35 heures, et la limitation des salaires et du nombre de mandats des politiciens. Leur message a été renforcé quelques jours seulement avant le vote, quand l’un de leurs représentants a pris part à un débat télévisé et a obtenu un plus fort taux d’approbation que n’importe quel autre candidat alors qu’il était complètement inconnu du public.

Cependant, les limites politiques de Razem sont aussi apparentes. Les dirigeants du parti basent leurs idées sur les États nordiques capitalistes, ignorant le fait que l’état-providence qui a été créé dans ces pays est entré dans un processus de démantèlement depuis 20 ans. Ils s’inspirent de la popularité de Podemos et de Syriza et essaient d’utiliser leur langage – les dirigeants du parti se demandent pendant les réunions publiques «un autre capitalismes est-il possible?» plutôt que «un monde différent est-il possible?» Tout en promouvant les services publiques et la propriété publique de l’industrie, ils restent évasifs sur la question de la nationalisation (dans leur programme, l’État aide à fonder des coopératives et achète des parts des futures industries). Le programme de Razem semble omettre le fait que le capitalisme à son stade actuel ne souhaite pas maintenir le bien-être des travailleurs dans les pays impérialistes les plus riches, sans parler de l’assurer dans les pays capitalistes périphériques ! Il a aussi été rapporté que des candidats de Razem dans différentes circonscriptions ont abaissé leur programme de logement et défendu « l’assistance » aux employeurs. De même, la politique étrangère du parti est pleine d’illusions dans l’UE et l’impérialisme occidental en général.

Même avant les élections, Razem a connu un afflux sans précédent de plusieurs milliers de membres – surtout des jeunes, des étudiants et des indépendants de la classe moyenne (qui cependant travaillent souvent dans des conditions précaires). Nous pouvons nous attendre à ce que le nombre de membres augmente suite au succès électoral. Si Razem veut utiliser ce succès pour construire une alternative réelle à gauche, il doit participer aux luttes et construire une base dans la classe ouvrière.

Les membres de Razem devraient discuter des expériences de Syriza en Grèce, du phénomène de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, du sort de la gauche portugaise etc. Alternatywa Socjalistyczna (CIO en Pologne) veut prendre part à cette discussion pour aider de nouvelles couches à arriver aux conclusions nécessaires du besoin d’un programme socialiste révolutionnaire. Un programme pour une économie démocratiquement planifiée sous propriété publique et une Pologne socialiste dans une Europe socialiste.

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