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Di Rupo marxiste ?
Il n’y a plus que les patrons pour penser que le PS est encore de gauche !
En septembre, Luc Bertrand, le patron du holding anversois Ackermans&van Haaren, a accordé une interview au journal patronal L’Echo dans laquelle il dénonçait la politique ‘‘marxiste’’ du gouvernement. Une remarque risible, pour ne pas dire ridicule, mais qui illustre une fois de plus que le spectre de Karl Marx rode toujours sur ce monde aux prises avec une terrible crise. A cette occasion, un journaliste du Vif faisait toutefois remarquer que ‘‘Marx, lui, n’est plus là pour se défendre’’ contrairement à Di Rupo & Co (qui sont tout sauf marxistes). Il reste par contre toujours bel et bien des militants basant leurs actions sur le marxisme. Mise au point.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste
Après cette sortie dans la presse, Luc Bertrand n’a pas tardé à être rejoint par Julien De Wilde (ancien patron de Bekaert) qui a déclaré que nous ‘‘allons vers une société néo-communiste’’ et par Bart Claes (du groupe JBC) qui s’est plaint en ces termes : ‘‘J’en ai marre d’être taxé de capitaliste, juste préoccupé par son argent.’’ Jean Stéphenne, ancien président du patronat wallon, déclarait de son côté dans les pages du Soir que tout cela n’était pas ‘‘totalement infondé’’. Au premier abord, on pourrait se dire que ce n’est pas la gratitude qui étouffe toute cette clique de super- riches ! Le PS et Di Rupo devraient plutôt être grassement remerciés ; leur politique – à tous les niveaux de pouvoir – est une application docile des volontés de la classe dominante, avec un certain contrôle exercé sur le monde syndicale en guise de cerise sur le gâteau.
Di Rupo, il ne faut pas l’oublier, fut dans les années ’90, le grand architecte des ‘‘consolidations stratégiques’’ (belle trouvaille que ce terme) de nos entreprises publiques. C’est donc lui, autrement dit, qui a dirigé le bélier utilisé pour défoncer les portes de nos entreprises publiques afin de les soumettre au capital privé. Quant à son parti, au pouvoir au niveau fédéral depuis 1988, il a été partenaire enthousiaste du Plan global de 1993, des attaques contre les pensions du Pacte des Générations en 2005, du contrôle de disponibilité des chômeurs (la ‘‘chasse aux chômeurs’’) ou encore du vote du tellement décrié mécanisme de la Déduction des intérêts notionnels (voté au parlement par les libéraux officiels, le PS et le SP.a). Plus récemment encore, on se rappelle avec quel empressement les caisses publiques ont été utilisées pour sauver les banques, tandis que le PS brille par son inaction dans le cas d’Arcelor Mittal ou des autres désastres sociaux en entreprises.
Merci patrons !
Au final, en réfléchissant un peu, ces sorties patronales sont quand même arrivées au bon moment. En pleine campagne électorale, cela fait toujours du bien pour un parti qui se dit ‘‘de gauche’’ qu’on rappelle qu’il s’oppose au grand patronat. Et comme on pouvait difficilement compter sur les militants syndicaux pour le faire (puisque toute leur expérience leur crie de dire l’inverse), les patrons ont dû s’y coller eux-mêmes. Personne n’a aujourd’hui plus intérêt que le monde patronal à ce que le PS préserve sa position de parti gouvernemental ‘‘responsable’’, capable d’exercer une influence modératrice sur le bouillant mouvement ouvrier wallon et ses traditions de lutte. Il y a donc une petite part de coup de pouce au partenaire ‘‘socialiste’’ là-dedans, accompagnée d’une mise en garde : quand il s’agira de répartir l’austérité sur ‘‘toutes les épaules’’, il faudra bien assurer que la classe dominante reste libre de ses mouvements.
Le sénateur ‘‘socialiste’’ Ahmed Laaouej (spécialiste des questions de la fiscalité et ancien collaborateur du centre Emile Vandervelde, le bureau d’étude du PS) a répondu à la charge amicale en faisant – très justement – valoir que le holding Ackermans&van Haaren a déclaré 1,458 milliard d’euros de bénéfices pour le dernier exercice fiscal et n’a payé que… 242.000 euros d’impôts (un taux d’imposition de 0,016 % donc)! Il est donc, selon lui, ‘‘plus qu’indécent de dénoncer un soi-disant enfer fiscal en Belgique’’. C’est vrai. Mais pour être honnête, il aurait dû préciser que le PS a loyalement et largement collaboré au développement de cette situation et que ce parti a suffisamment montré patte blanche ces 30 dernières années pour clarifier aux yeux de tous que si le PS a fort bien compris le concept de lutte de classe cher à Karl Marx, il a également résolument choisi son camp. Au plus grand plaisir des grandes entreprises, de la troïka et des marchés financiers.
Qui donc crée les richesses?
Dans sa fameuse interview, Luc Bertrand a notamment dit : ‘‘Quand les politiciens comprendront-ils que ce sont les entrepreneurs qui créent la richesse.’’ C’est là tout le débat. Qu’il se rassure, les politiciens établis ont très bien accepté cette vue de l’esprit. D’ailleurs, ceux qui ne proposent comme seule mesure de gauche qu’une plus forte taxation des fortunes et des entreprises sont d’avis, eux aussi, que ce sont les patrons qui créent les richesses, et qu’il faut juste corriger l’indécence de la répartition.
La réalité est très exactement à l’inverse de cette théorie patronale. Car ce sont les travailleurs qui créent les richesses, pas les patrons. Ces derniers ont besoin des travailleurs, mais eux n’ont aucunement besoin de patrons! Un travailleur ne reçoit pour salaire qu’une partie seulement de la richesse qu’il a produit grâce à sa force de travail. Quant au capitaliste, frais d’entretien déduit, il lui reste encore une bonne part, la plus-value, qu’il s’accapare mais qui est directement issue du travail de ses salariés. Pour reprendre les termes de Marx : ‘‘Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage.’’
Le pieu de bois fatal au système capitaliste, c’est la question de la propriété collective des moyens de productions. Lors d’une grève générale, quand toute l’économie est bloquée, là, on peut réellement se rendre compte de qui produit les richesses et de qui fait marcher la société. Encore faut-il que la classe des travailleurs en soit suffisamment consciente pour qu’elle puisse ensuite décider de poursuive l’offensive en relançant l’économie à son propre avantage, débarrassée des patrons, sur base d’un fonctionnement collectif et démocratique, au sein d’une planification générale de l’économie destinée à répondre aux nécessités sociales et non plus à étancher la soif de profit d’une infime minorité de parasites.
‘‘La théorie se change (…) en force matérielle dès qu’elle saisit les masses.’’
L’essentiel du travail des militants marxistes est d’aider au développement de la conscience des masses et de leur organisation collective pour parvenir à cet objectif. C’est en fait très exactement l’inverse de l’oeuvre actuelle du PS, pour qui le rapport avec les masses se résume à tenter d’enfoncer dans le crâne de chacun la fausse conviction que les choses ne peuvent être fondamentalement autres que ce qu’elles ne le sont aujourd’hui. Mais nous sommes à l’aube de bouleversements sociaux importants.
Duferco à La Louvière ou Ford à Genk illustrent parfaitement quel avenir nous réserve ce système gorgé de crises. Les luttes, avec leurs faiblesses et leurs forces, constitueront une formidable école où seront à nouveau apprises d’anciennes leçons sur la nécessité d’un syndicalisme de combat et non plus de concertation, d’un relais politique pour les luttes et d’un programme traçant la voie vers une société alternative, le socialisme démocratique.
Voilà ce que craignent réellement les patrons, dans tout le pays, et c’est là qu’ils trouveront les véritables marxistes.