Ecole d’été du CIO : Discussion sur les USA

Les élections présidentielles de 2012 prennent place dans un contexte de crise économique et sociale. Le mouvement Occupy a illustré la colère présente dans la société américaine et le potentiel qui existe pour la gauche. Bien évidemment, les réactionnaires et la droite sont à l’offensive également, notamment avec le Tea Party. L’approfondissement de la crise s’accompagne de poussées réactionnaires racistes, mais aussi contre les droits des femmes.

Nous nous regardons du côté des travailleurs. Le chômage atteint un niveau record. Avec ceux qui sont sans emploi ou dans des situations très précaires, on arrive autour des 20%, bien qu’il ne s’agisse que d’estimations, aucune donnée précise n’existe. Un chômage structurel de masse est en augmentation. La pauvreté augmente aussi. Les nouveaux emplois sont moins bien payés, plus précaires,… 46 millions de personnes, soit 15%, vit officiellement sous le seuil de pauvreté, soit 3 millions de personnes de plus qu’en 2009 et 7 millions de plus qu’en 2008. La moitié des Américains surfent avec la limite du taux de pauvreté. Les Afro-américains et latino-américains sont particulièrement touchés (26%), de même que les femmes (34%). Pendant ce temps, 1% de la population aurait empoché 93% des richesses produites en 2010. La grande majorité de la population n’a aucunement profité de la relative restauration de l’économie.

Les attaques massives contre les droits des femmes aux USA, elles augmentent depuis un moment, avec notamment la volonté de contrôler les femmes en contrôlant leur corps. Les restrictions sur le droit à l’avortement sont véritablement nombreuses, et très choquantes dans le cas du Texas. Dans l’Etat du Mississipi, il y a une seule clinique qui pratique l’avortement, et elle va fermer. La question de l’avortement n’est pas morale, elle est politique en première instance. Il est particulièrement remarquable de voir que les conservateurs qui sont contre l’avortement n’accordent aucune attention aux enfants une fois qu’ils sont nés. Se soucient-ils des pauvres? De leur enseignement? Non. Tout ce qui les intéresse, c’est de contrôler les femmes.

Voilà le contexte dans lequel s’est développé le mouvement de lutte de 2011. C’est véritablement une année charnière dans l’histoire sociale des USA. Occupy Wall Street, durant des semaines, a recentré le débat politique national sur des réalités sociales que l’on cherchait à nier dans les médias. Avant cela, le Tea Party, un mouvement populiste de droite, était considéré comme la seule expression de la colère anti-Wall Street, anti-establishment,… En 2011, ce mouvement a été balayé par un autre, qui réagissait également face aux banquiers, spéculateurs,… mais sur une base de classe.

En 2010, quand les républicains ont conquis le Congrès, certains imaginaient qu’on allait traverser un long et sombre tunnel. Le discours était que les travailleurs étaient abrutis, que le discours des conservateurs avait gagné les esprits,… Les partisans du CIO aux USA ont affirmé que ce virage à droite apparent n’était pas le seul processus à l’œuvre parmi les masses, que le vote républicain illustrait une colère et un rejet de la politique menée par l’administration Obama, pas un vote d’adhésion aux républicains. La ”gauche” américaine a eu une attitude arrogante envers les travailleurs en disant : vous n’avez pas soutenu Obama, comment fait-on maintenant ? A l’époque de ces élections, une bonne partie de la base qui avait élu et milité pour Obama ne s’est simplement pas rendue aux urnes. Pour le CIO, il était clair que l’éléphant républicain allait en réalité droit dans le mur. Fort de cette analyse, Socialist Alternative, les partisans du CIO aux USA, étaient préparés à l’année 2011.

Quand Scott Walker, le gouverneur du Tea Party du Wisconsin, a lancé ses attaques antisociales contre les droits syndicaux, l’alarme a été sonnée. Nous sommes intervenus, avant n’importe quel autre mouvement de gauche, et avons développé le mot d’ordre de grève générale du secteur public, mot d’ordre qui avait déjà été très populaire lors de récentes attaques contre les enseignants dans la région. L’influence de nos camarades a été largement plus grande que ce que leur nombre pouvait signifier, grâce à notre approche, à nos perspectives, à notre analyse, à notre rapidité d’intervention. Nous avons reçu une bonne écoute dans le mouvement, mais les bureaucraties syndicales liées aux démocrates ont tout fait pour abaisser le niveau des discussions et freiner le mouvement. La lutte a été un échec à cause de la direction inféodée aux démocrates, mais nous avons pu largement nous construire et faire la différence avec les autres organisations.

Il y a eu un réel éveil politique de la jeunesse, une radicalisation des travailleurs. Quand le mouvement Occupy a surgi à l’automne, le soutien passif parmi la population était énorme, avec également des manifestations de dizaines de milliers de personnes. En janvier, la majorité de la population américaine soutenait le mouvement Occupy. Ce soutien est apparu après une gigantesque répression qui a soudé la population derrière le mouvement et ce malgré le rôle des médias traditionnels. Le fait que des changements sont nécessaires, mais aussi possibles, a été saisi par les gens. Mais il reste une grande confusion sur ce que cela signifie. Quelle alternative ? Comment faire pour y parvenir ? Quelle est la nature profonde du capitalisme ? Notre tâche dans le mouvement est de le construire, mais aussi de faire de même avec nos propres forces. Ce mouvement a représenté une grande opportunité.

L’élection d’Obama a rehaussé l’image du capitalisme américain par rapport aux années Bush. Il y a eu un grand enthousiasme envers ce que l’administration démocrate pouvait faire, de grandes illusions existaient envers les changements possibles uniquement sur base électorale. Mais les contradictions du capitalisme américain ont éclaté au grand jour. Déjà en 2008, les soutiens financiers pour la campagne d’Obama étaient énormes, mais il y avait eu aussi de nombreuses petites contributions de gens ordinaire. Ce soutien de particuliers a baissé, il aura même moins de soutien de petits particuliers pour Obama que pour Romney.

Cette campagne électorale dépasse tous les records en termes d’argent engagé. Il y a aussi les supers-pacs. Durant la procédure de rappel de Scott Walker au Wisconsin, il a bénéficié de 70 fois plus d’argent que son opposant démocrate. Il y a de grandes réactions contre cela. Le système électoral américain est critiqué et ridiculisé, y compris sur des émissions d’audience nationale.

L’establishment capitaliste ne sait pas trop comment faire pour affronter la situation actuelle, avec de grandes divisions internes. La corruption et les collusions avec des grosses entreprises sont massives. La colère des masses en réaction est proprement gigantesque. L’écrasante majorité des gens critiquent le Congrès ou pensent qu’il faut le changer.

Dans ce cadre, le mouvement Occupy a offert l’opportunité aux militants de gauche de pouvoir enfin affronter le système des deux partis. Là où nos camarades le peuvent, ils opposent des candidats contre les deux candidats traditionnels. Mais il y a deux tendances à combattre: le côté du ”moindre mal” et le côté ”tous pourris, fuck the elections”. Certains démocrates tentent de profiter de ce sentiment et essayent de se profiler comme ”des 99%”, alors qu’ils ont eux aussi voté pour les diminutions de taxes pour les riches de Bush.

Obama a été le président qui a reconduit le plus d’immigrés à la frontière: il a fait plus en deux ans que Bush en huit ans. Sa méthode est toutefois différente. Il est pour le ”dream act”, dit qu’il veut plus d’intégration, que les immigrés peuvent être naturalisés s’ils vont à l’armée,… Obama est pour la politique néolibérale, mais avec un minimum de posture ”sociale”. Obama peut facilement détruire Romney en l’attaquant sur la manière dont il a fait sa fortune, sur son programme social,… mais c’est une arme à double tranchant. Dans son camp, Romney est haï, mais il n’y avait que de pires candidats à côté de lui, avec un paquet de fous. Il y a eu une guerre au sein du parti républicain car le Grand Capital avait peur de perdre son contrôle sur le parti. Le Parti républicain n’est plus l’organe sur lequel la bourgeoisie peut se reposer, mais Romney est tout de même le candidat qui a le soutien de Wall Street.

La bataille du Wisconsin est un avertissement pour tous les candidats, mais aussi pour tous les travailleurs. Le candidat démocrate contre Walker ne s’est pas opposé au programme antisyndical,… Il a juste dit qu’il était moins pour l’austérité, moins antisyndical,… Et Walker l’a emporté. A un moment, 125.000 personnes étaient dans la rue. Comment Walker a-t-il pu être réélu avec plus de voix que la première fois ? Les démocrates ont en fait présenté le candidat le moins à gauche qu’ils avaient, celui qui avait déjà perdu contre Walker la première fois. Il faisait partie du team de campagne de John Kerry, est maire de Milwaukee et son principal argument était de ne pas être Walker. Il était ennuyant, sans position constructive sur les syndicats, sans se prononcer contre les coupes,… Les démocrates n’ont quasiment rien mis dans la campagne, alors que la campagne de Walker était considérée comme un enjeu national par les républicains. Dans les médias, il y avait 5 fois plus de couverture pour Walker que pour l’autre. Ce résultat n’est pas illustratif d’un virage à droite dans la population. Différentes études montrent que la majorité de la population veut plus de taxes pour les riches, un enseignement gratuit,… Mais ce résultat est tout de même d’une défaite, et il y a une démoralisation parmi les activistes.

Vers où va le mouvement Occupy ?

Il est peu probable que des luttes de masse se développent avant les élections. Mais la couche la plus radicalisée par le mouvement n’a pas fini de militer. 2013 sera une année de lutte aux USA. La confusion idéologique se résorbera sur base de l’expérience pratique. L’orientation à Oakland et à d’autres endroits vers la classe ouvrière est très importante. Dans un premier temps, le mouvement Occupy a eu tendance à passer à côté des syndicats, en associant base et direction. Dans certains endroits, cela a pu être brisé.

Le mot d’ordre emblématique d’Occupy a été celui d’une grève générale nationale pour le premier mai. Cela n’a pas été le cas, mais il y a eu des endroits où cela a été très bien suivi. Une énorme opportunité a été gaspillée faute de direction, mais cela n’est que temporaire. Pour 66% de la population, le principal clivage dans la société est entre les riches et les pauvres. On ne parle pas encore d’une claire conscience de classe, mais la colère de classe est très certainement présente. 49% des jeunes ont une image positive du socialisme, même si ce que cela signifie pour eux est flou, 43% de la population est favorable au capitalisme.

Le mouvement Occupy illustre à quel point la conscience peut se développer rapidement. On était très loin avant Occupy. On en reste toutefois à une colère de classe, et le plus probable est qu’un vent de populisme de gauche souffle sur le pays, ce que l’on a déjà connu dans l’histoire américaine, comme avec Eugène Debs avant qu’il ne rejoigne le Socialist Party des USA.

Lors de nos interventions dans le mouvement Occupy, à certains moments, il y avait une petite foule de gens autour de la table, qui demandaient ce qu’était le socialisme, ce que nous avions comme revendications,… A Minneapolis, nous avons été à la pointe du mouvement OccupyHome, contre les expulsions de maisons. Ce 21 juin, il y a eu des manifestations de solidarité dans 18 villes avec ce mouvement OccupyHome. En 5 jours, 200.000 signatures ont été récoltées et envoyées aux banques pour protester. A Ménnéapolis, environ 50% des maisons ont déjà été saisies. C’est une des villes les plus à gauche. Les démocrates y sont au pouvoir, et le mouvement de défense des foyers a démasqué leur rôle à partir de ce domaine particulier. Plusieurs maisons ont été sauvées grâce à cette campagne.

Quelle attitude aux prochaines élections ?

Jill Stein sera la candidate du parti vert (bien différent des partis ‘écologistes’ européens rompus à la gestion du capitalisme), c’est elle qui recevra le plus de voix protestataires. Elle est connue comme une personnalité de gauche, favorable à des soins de santé gratuits pour tous, et est soutenue par une bonne partie de la classe ouvrière dans son Etat. Nationalement, cette campagne devrait réaliser un score assez faible, mais cela permet de mener campagne contre le système des deux partis. Nos camarades ont ce slogan ”Wall Street a deux partis, nous avons besoin du nôtre”. Cette campagne de soutien à cette candidate permettra de développer concrètement cet élément de propagande.

Jil Stein n’est pas une militante socialiste révolutionnaire, c’est certain, mais c’est une réformiste de gauche honnête, de l’aile gauche des Verts, et nous pouvons travailler avec elle tant que nous avons notre indépendance garantie au niveau des points de programme que nous voulons défendre, que nous pouvons parler des faiblesse que nous voyons, etc. Une bonne partie des éléments parmi les plus sains du mouvement Occupy se tournera vers le Green Party. Le Green Party, avec le mouvement Occupy, peut constituer l’embryon d’une formation qui peut se développer en direction d’un nouveau parti des travailleurs. Le Green Party aux USA est fondamentalement différent des partis écologistes européens ou du Green Party australiens, qui ont trahis leurs promesses sociales, ont appliqué la politique néolibérale,… Le Green Party a un gigantesque boulevard devant lui aux USA, en l’absence de formation comme les partis sociaux-démocrates que l’on peut trouver dans d’autres pays. La base du parti est plus à gauche, plus radicale et plus sociale.

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