Critique. « Don’t Look Up, déni cosmique »


Don’t Look Up : Déni cosmique est le nouveau film à succès de Netflix, une comédie satirique qui traite de la politique, des médias, de la science, des théories du complot, de la pandémie et du changement climatique.

Par Manus Lenihan, Socialist Party (section irlandaise d’ASI)

Une comète est sur le point d’anéantir toute vie sur Terre : telle était l’idée de base de non pas un mais deux films hollywoodiens sortis en 1998. Deep Impact était considéré comme plus “réaliste” qu’Armageddon, mais tous deux étaient des fantasmes des années 1990, à l’époque où davantage de gens faisaient encore confiance à l’establishment politique. L’intellectuel Francis Fukuyama s’était construit une notoriété internationale en parlant de la « fin de l’histoire ». Les deux films nous montrent une espèce humaine unie, guidée par des politiciens américains sages et bienveillants qui adoptent les mesures qui s’imposent pour sauver la planète de la destruction.

Cette fin d’année 2021, beaucoup d’entre nous ont regardé « Don’t Look Up, déni cosmique », un film qui repose sur le même principe. Mais cette comédie est beaucoup plus fidèle à la réalité… Elle comprend que la bataille ne se résume pas à « l’humanité contre la comète ». En tant qu’espèce, les moyens existent pour détruire l’astéroïde. Mais la classe dirigeante est trop pourrie pour le faire. Là où Armageddon parlait essentiellement d’un gros caillou, Don’t Look Up, déni cosmique traite de la politique, des médias, de la science, des théories du complot, de la pandémie et du changement climatique.

Essayons d’aborder l’intrigue sans tomber dans les spoilers… L’histoire suit Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), l’étudiante américaine qui découvre l’astéroïde, et Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), son professeur. Encore sous le choc de la découverte de la fin du monde, ils sont d’autant plus décontenancées par le fait que les médias et la présidente américaine (Meryl Streep) s’en moquent. L’histoire de l’astéroïde « tueur de planète » doit se frayer un chemin dans l’actualité entre la rupture d’une célébrité et la nomination d’un cow-boy ancien acteur porno à la Cour suprême.

Après avoir été ignorés, Kate et Mindy doivent affronter le déni. La science est remise en question, Kate et Mindy sont dénoncées comme “marxistes” par l’extrême droite. Le téléspectateur pensera inévitablement aux débats autour du Covid et du changement climatique.

Après le déni, vient la cooptation. Kate paie un lourd tribut parce qu’elle n’a pas peur de dénoncer les machinations des milliardaires de la tech et des politiciens – l’étiquette de “marxiste” n’est peut-être pas si éloignée de la réalité. Mais Mindy est séduit par la célébrité. Il permet que sa propre crédibilité de scientifique soit utilisée comme feuille de vigne pour un projet imprudent et cupide. Dans une phrase que nous avons entendue de la part de milliers de traîtres politiques, il insiste sur le fait qu’il est préférable d’être « dans la pièce où les décisions sont prises ». Même s’il n’a pas vraiment son mot à dire et que les décisions sont mauvaises.

A un certain moment, l’acolyte de la présidente (Jonah Hill) explique à un rassemblement digne de Trump que le monde est divisé en « vous, la classe ouvrière », « nous, les riches cool », et, en tirant un visage dégoûté, « eux ». Le terme « eux » faisant référence aux personnes qualifiées « d’intelligentes ».

Le film se moque bien sûr de cette vision du monde étrange et condescendante. Mais à d’autres moments, le film semble porter lui-même une telle condescendance. À plusieurs reprises, les protagonistes plaident avec ferveur pour que nous écoutions les scientifiques, les « personnes qualifiées ». Don’t Look Up, déni cosmique a été critiqué sur ce point pour avoir dépeint la population comme étant crédule et prête à écouter des charlatans plutôt que des « personnes qualifiées ». Mais au vu de la guerre en Irak, de la crise financière ou encore de la pandémie, la méfiance de la population ordinaire à l’égard des « personnes qualifiées » repose sur des éléments biens réels.

A d’autres moments, le film évite l’écueil des remontrances anti-populaires élitistes. Lorsque Mindy et deux lauréats du prix Nobel apposent leur nom sur un plan téméraire et cupide, on nous rappelle que les scientifiques, comme n’importe qui d’autre, peuvent être recrutés au service de causes opposées à la science et à l’Humanité.

Au final, le poids écrasant de la rage et de la moquerie du film retombe principalement sur la classe dirigeante : les grandes entreprises, les décideurs politiques et les médias. Mark Rylance livre une performance glaçante dans le rôle de Peter Isherwell, un personnage qui incarne les grands capitalistes du secteur technologique comme Musk, Thiel et Bezos. Ce personnage est outré lorsqu’on le qualifie d’”homme d’affaires”, car à ses yeux, il n’est rien de moins qu’un messie de la technologie.

Les premiers succès du réalisateur Adam McKay, comme Anchorman (2004, « Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy » en français) et Step Brothers (2008, « Frangins malgré eux » en français), étaient des films amusants et un peu idiots, avec davantage de moments de franche rigolade. Le générique de fin de The Other Guys (2010, renommé « Very bad cops » pour sa sortie francophone), qui retraçait de manière percutante l’histoire des scandales financiers, laissait entrevoir que le réalisateur jetait son dévolu sur la politique. Puis vint The Big Short (2015, « The Big Short : Le Casse du siècle »), une comédie expliquant les racines de la crise financière. Don’t Look Up s’inscrit dans cette continuité avec une satire plus épique et plus décalée.

C’est un film cynique et pessimiste, pessimiste quant à la capacité de notre classe dirigeante brisée et pourrie à nous sauver, cynique concernant nos milliardaires sociopathes et leurs complexes de sauveur. Mais il n’est pas cynique sur l’humanité en général. Les dernières scènes, avec leurs moments humains touchants et sensibles, rendent hommage à celles et ceux qui agissent même lorsque l’avenir est des plus sombres. Comparé à des films satiriques célèbres comme Dr Strangelove (1964, Docteur Follamour) ou Network (1976, Network : Main basse sur la télévision), Don’t Look Up, déni cosmique est étonnamment optimiste.

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