Accord d’été. Nouvelle offensive contre nos conditions de vie et notre protection sociale

Photo : Socialisme.be

Fin juillet, les travailleurs ont reçu une nouvelle pilule difficile à avaler. Ils payent à nouveau les conséquences de ne pas avoir poursuivi le mouvement de grèves larges et populaires de fin 2014. L’élite dirigeante, les patrons et le gouvernement veulent continuer sur leur voie. Le portefeuille des patrons a notamment déjà profité du saut d’index de 2%. Cette fois-ci, c’est le jackpot pour les grandes entreprises et les PME qui bénéficieront d’une baisse spectaculaire de l’impôt des sociétés, qui passera officiellement de 33,99% à 29% l’année prochaine, puis à 25% d’ici 2020. L’imposition des entreprises a par ailleurs déjà sérieusement été mise à mal, le gouvernement perd des milliards d’euros chaque année en raison du mécanisme de la déduction des intérêts notionnels et d’autres mesures.

Un dossier de Peter Delsing issu de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

Des cadeaux pour les riches

Cela n’arrêtera pas l’arrogance des plus riches. Récemment, nous avons pu lire que les grandes entreprises ont placé l’équivalent de près de la moitié de la richesse produite annuellement en Belgique dans des paradis fiscaux. Selon le journal Le Soir, 853 entreprises ont planqué l’an dernier 221 milliards d’euros dans des pays connus pour leurs taxes très faibles ou inexistantes. La même année, le Produit intérieur brut (PIB) belge était de 466 milliards d’euros!

Les 60 milliards d’euros qui partent en moyenne chaque année vers le Luxembourg ne devraient bientôt plus être déclarés (Le Soir, 14/8/17). L’Union européenne néolibérale considère que cette évasion fiscale effectuée par les grandes entreprises est ‘‘légale’’. Nous vous conseillons de ne pas faire la même chose avec votre salaire… Ces derniers ne bénéficient pas des mêmes avantages ou des largesses juridiques de Monaco & Co. Selon leur logique, nos salaires doivent diminuer, tout comme les pensions et les allocations de chômage.

Nous en sommes presque arrivés au point où les entreprises pourraient elles-mêmes décider combien elles acceptent de payer d’impôts. Pendant ce temps, c’est à la classe des travailleurs de combler les trous. Après des décennies de modération salariale néolibérale, il n’est pas surprenant qu’ ‘‘un tiers des Belges’’ ne soit plus en mesure d’épargner (De Morgen, 27/3/17). L’article cite notamment le récent accord salarial convenu entre patrons et syndicats qui ne permet que des augmentations salariales allant jusqu’à 1,1%. Mais la stagnation reste de mise, de même que la tendance au déclin du pouvoir d’achat de la population.

Budget : la sécurité d’emploi et les contrats de travail compromis, mesures honteuses favorables aux plus riches

Cet accord budgétaire est une nouvelle illustration de l’offensive menée contre la classe des travailleurs. Le PSL a toujours prévenu qu’un gouvernement de type thatchérien tel que celui-ci n’arrêterait pas ses attaques antisociales sans être bloqué par le mouvement ouvrier.

Le gouvernement veut s’en prendre au statut des fonctionnaires, qui deviendrait l’exception plutôt que la règle. Il s’agit d’une attaque frontale contre la sécurité d’emploi et les conditions de travail, y compris au niveau de la pension. Cela a entrainé des commentaires acerbes de la part de la vice-présidente de la CGSP Chris Reniers et du président de la CSC Marc Leemans. ‘‘Cela va conduire à un hiver difficile’’, a prévenu Leemans. Avec cette mesure, le gouvernement veut à nouveau s’en prendre aux services publics, et à des secteurs pilier de la résistance sociale tels que les cheminots. Un intérimaire ou un travailleur avec un contrat à durée déterminée devra y réfléchir à deux fois avant de partir en grève. C’est ce que veulent les fondamentalistes néolibéraux au gouvernement, y compris le CD&V, prétendument l’aile sociale de l’équipe Michel. Ils veulent un mouvement des travailleurs endommagé qui accepte leurs diktats de plus en plus tout droit sortis du 19ème siècle.

Le nombre d’intérimaires en Belgique est passé de 20.000 à la fin des années 1970 à pas moins de 417.000 aujourd’hui, jobs étudiants non inclus (La Libre, 5/8/17). Les entreprises recrutent d’abord de nouveaux employés en tant qu’intérimaires. Mais de plus en plus d’entreprises disposent en permanence d’un grand nombre d’intérimaires. Les contrats intérimaires ne sont pas limités dans le temps alors que les contrats à durée déterminée ne peuvent être renouvelés qu’une fois. La fédération fédérale Federgon – qui représente, entre autres choses, les entreprises actives dans les ressources humaines – figure parmi les forces qui poussent le gouvernement à créer une sorte de ‘‘contrat intérimaire à durée indéterminée’’. C’est une façon de créer une couche de travailleur en précarité constante qui sera utilisée pour briser les salaires et les conditions de travail. Les syndicats doivent aller chercher ces travailleurs précaires et les organiser pour limiter autant que possible l’utilisation abusive des contrats d’intérim.

Depuis les années ’80, la classe dirigeante n’a pas manqué d’imagination pour augmenter le taux d’exploitation et ses bénéfices : modération salariale, contrats de travail précaires, charge de travail accrue, plus de possibilités pour le travail de nuit et le week-end (également dans l’e-commerce grâce à cet accord d’été), réduction de l’imposition des entreprises et des contributions patronales à la sécurité sociale,… Marx expliquait que les profits viennent du ‘‘travail non rémunéré’’. Regardons la mesure visant à permettre de gagner un revenu complémentaire de 500 euros par mois non imposable et non soumis aux cotisations sociales dans certains secteurs. Pour certains, comme les pensionnés, c’est une manière de joindre les deux bouts ou d’avoir un peu d’argent de poche. Mais de cette façon, on crée toute une industrie qui ne contribue pas aux pensions, aux allocations de chômage,… Il en va de même pour l’extension des emplois flexibles de l’horeca vers le commerce et les pensionnés. Des emplois de 8 ou 10 euros nets, sans brut ! La sécurité sociale gémit, mais les patrons s’en mettent plein les poches.

Pourtant, on entend certains patrons se plaindre de la taxe minimale sur les transactions boursières que prend le gouvernement ou de la taxe de 0,15% sur les comptes-titres au capital supérieur à 500.000 euros. On parle de 750 euros! Ce n’est pas vraiment un bain de sang quand on sait que 10% de la population belge possède la moitié de la richesse totale du pays. Ceux qui se plaignent ne veulent visiblement même pas dépenser de l’énergie pour répartir leurs actifs sur plusieurs banques afin de contourner la mesure. Ils ne se plaindront pas des jobs à 8 euros de l’heure chez nous! Ce gouvernement veut également réduire les pensions, déjà très basses en Belgique, en réduisant les allocations de chômage et les prépensions au minimum salarial après un an (et non à hauteur du dernier salaire).

En raison de cette expansion néolibérale du taux d’exploitation (le ratio entre la main-d’œuvre payée et non rémunérée), la classe dirigeante a partiellement réussi à rétablir ses profits, mais au détriment d’une croissance économique stagnante, d’une faible croissance de l’investissement et de la productivité et d’un énorme fardeau de dettes. En tant que militants syndicaux, activistes et intellectuels critiques, nous devons développer notre argumentaire idéologique aussi efficacement que possible si nous voulons mener à bien la lutte contre la dégradation sociale. Les revendications qui visent à faire payer les plus riches, la réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, le refinancement des budgets publics, l’opposition à la marchandisation des soins de santé, un enseignement gratuit et de qualité,… tout cela s’oppose aux diktats du ‘‘marché libre’’ et de l’Union européenne. Cela exige de rompre avec la logique du profit.

Après un accord d’été glacial, vers un automne chaud ?

À la naissance de ce gouvernement, les dirigeants syndicaux ont fait quelque chose qu’ils n’avaient plus fait de mémoire d’homme. Ils ont dévoilé un plan de mobilisations et de grèves crescendo qui a suscité un large enthousiasme auprès de larges couches de la population, non seulement parmi la base syndicale, mais aussi chez les jeunes, les artistes, les ASBL,… La droite peut bien dédaigner le mouvement ouvrier, il reste la seule force capable de réunir une masse aussi immense.

C’est ce que nous avons vu avec la manifestation de 150.000 personnes de novembre 2014. Les grèves provinciales et la grève générale nationale qui ont suivi ont fait vaciller le gouvernement. Son isolement social s’approfondit lorsqu’il n’est plus en mesure de manipuler l’opinion publique avec le racisme et la division. Les sondages démontraient alors qu’une large majorité de la population voulait faire payer les riches, s’opposait à la pension à 67 ans, voulait défendre la sécurité sociale,… Le mouvement a-t-il été bien connu et suivi par toutes les couches de travailleurs? Non, mais les secteurs solides ayant une tradition d’information et de mobilisation montraient la voie aux autres lieux de travail qui n’étaient pas encore dans cette étape.

Les dirigeants syndicaux ont pensé à une éventuelle chute du gouvernement, ont ressenti le pouvoir potentiel de la classe des travailleurs, mais ont fait marche arrière. Le soutien de couches larges de la population et des militants dans les entreprises ne peut pas être arbitrairement activé ou désactivé. Cela joue sur la loyauté des gens. Un délégué ne peut pas non plus se permettre d’agir de la sorte dans son travail quotidien. Cela soulève la méfiance envers les méthodes bureaucratiques et les décisions discutées et décidées au sommet.

Ce sont les syndicalistes actifs qui sont les plus à même de décider et de voter des objectifs et de la durée d’un plan d’action. Ce gouvernement n’a pas le droit d’adopter des mesures qui n’ont même pas été discutées durant la période électorale. C’est de la fraude électorale. Vaincre ce gouvernement aurait été possible avec un large mouvement de grève visant à le renverser, de préférence reposant sur des assemblées démocratiques du personnel dans les entreprises pour stimuler et organiser l’implication de tous, combinées si possible à des comités reliant les militants de différentes entreprises. Cela aurait placé au centre du débat la nécessité d’une alternative politique qui intègre toutes les personnes impliquées dans le mouvement. Qu’importe le gouvernement qui aurait suivi, il aurait été dans une position bien plus difficile pour imposer sa politique après une telle victoire des grévistes. C’était l’approche défendue par le PSL au cours du mouvement.

La vice-présidente de la CGSP Chris Reniers a déclaré au sujet des nouvelles mesures: ‘‘Nous allons réagir durement. Très durement. Cet accord d’été témoigne de tant de mépris pour les services publics que nous ne pouvons pas rester au balcon. Il y aura des grèves. Oui, ce sera dur.’’ Il s’agira de créer un mouvement unique entre secteurs public et privé. Ensemble, nous sommes les plus forts, comme cela a été montré fin 2014. Cela nécessite un plan d’action clair et bien planifié. Avec un calendrier qui ne s’y prend pas des semaines à l’avance, mais des mois. Les réunions régionales de militants et les réunions d’information sur les lieux de travail seront d’une grande importance. Non aux attaques contre notre statut, nos pensions et nos contrats de travail! Pour la pension à 67 ans! Non à la flexibilité, pour des emplois décents et bien rémunérés! Couplons ces revendications aux discussions sur un projet de société alternatif, une société socialiste démocratique et sur les instruments politiques dont nous avons besoin pour l’atteindre.

Author

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop