Your cart is currently empty!
Interview de Jo Coulier, président de la CGSP-Enseignement flamande
« Cela fait plus de 30 ans que l’on impose des économies dans l’enseignement alors que nous sommes dans une soi-disant économie de la connaissance. »
Dans beaucoup d’écoles flamandes, on a vu flotter une banderole revendiquant ‘‘plus de moyens pour l’enseignement’’. Lutte Socialiste a discuté avec Jo Coulier, président de la CGSP-Enseignement flamande, au sujet des raisons de cette action.
Peux-tu nous donner un peu plus d’explications ?
“Lors de son entrée en fonction, la ministre de l’enseignement flamand Hilde Crevits (CD&V) a annoncé l’ouverture d’un débat portant sur la problématique des carrières dans l’enseignement. Beaucoup de professeurs jettent l’éponge dans les cinq années qui suivent le début de leur carrière. Il est généralement admis que cette profession est trop peu attractive.
“Entre-temps, il a peu été question de débat. Les organisations professionnelles du corps enseignant et les syndicats sont trop peu écoutés. En revanche, toutes sortes de prétendus experts donnent leur avis, leurs propositions allant de la suppression des nominations à la différenciation des traitements, etc. La création de ‘‘fonctions de support’’ est également une proposition récurrente. La plupart du temps, ces fonctions de support reposent sur une charge de travail accrue (par le biais de réunions, rapports et évaluations, entres autres) plutôt que sur un réel soutien à la profession.
“Pour le dire clairement: les propositions sur la table risquent de rendre la profession encore moins attrayante parce qu’on passe à côté de l’essence-même du problème, c’est-à-dire la forte charge de travail pour le personnel.”
Les profs ont quand même beaucoup de congés. Comment est-il possible qu’il y ait un problème de charge de travail ?
“Une manière de neutraliser un adversaire est de le ridiculiser. A chaque polémique, qu’il s’agisse des salaires, des pensions ou de la charge de travail, le personnel enseignant a droit à la même rengaine : ils n’ont pas à se plaindre avec tous leurs congés.
“Ma mère était institutrice maternelle et je peux vous garantir qu’elle prestait plus de 38 heures par semaine. Pendant les semaines d’école, les enseignants prestent beaucoup d’heures mais, même pendant les vacances, ils consacrent une partie de leur temps aux préparations. Les vacances sont, en fait, des périodes pendant lesquelles les heures supplémentaires prestées (collectivement) sont récupérées. Une étude scientifique a montré que les professeurs de la VUB (Vrije Universiteit Brussel, Université libre néerlandophone de Bruxelles) travaillent plus de 53 heures par semaine.
“Cela n’a tout de même pas empêché un ancien ministre de déclarer qu’ils devraient travailler plus durement pour compenser le manque de personnel – en raison de l’austérité.”
Le problème, ce serait donc l’austérité ?
“Oui, mais pas seulement. Cela fait plus de 30 ans qu’on impose des économies dans l’enseignement alors que nous vivons dans une soi-disant économie de la connaissance et que les exigences imposées à l’enseignement sont de plus en plus grandes.
“Outre le fait de fournir des enseignants (hautement) qualifiés, l’enseignement doit également veiller à l’éducation, s’occuper de problèmes de société comme la lutte contre les discriminations et récemment, s’est encore ajoutée la prévention du ‘‘radicalisme’’. L’enseignant doit, en fait, être une sorte de superman ou de wonderwoman alors que la profession est de moins en moins valorisée.
“Après la ratification du traité des Nations Unies dans lequel l’enseignement inclusif est devenu un droit, l’enseignant doit maintenant en plus veiller à l’intégration des jeunes ayant des besoins spécifiques grâce au fameux décret M.’’
En quoi consiste ce décret et êtes-vous contre l’enseignement inclusif ?
“Le ‘‘décret M’’ régit l’approche de l’Enseignement flamand à l’égard des élèves qui, en raison d’une incapacité, d’une déficience ou d’un handicap, ne sont pas en mesure de suivre simplement les cours dans une école de l’enseignement ordinaire, en leur permettant d’y avoir accès. En tant que syndicat, nous ne sommes pas opposés à l’enseignement inclusif. En revanche, nous sommes contre le fait que des enseignants de l’enseignement traditionnel déjà débordés reçoivent une charge de travail supplémentaire parce que des enfants nécessitant des soins aboutissent dans leur classe. Si cette mesure était combinée à des classes plus petites et adaptées avec une assistance visant à délivrer des soins dignes de ce nom, il n’y aurait pas de problème. Mais c’est précisément là que le bât blesse. Sans compter que le ‘‘décret M’’ disloque le fonctionnement des écoles spéciales étant donné que les moyens sont maintenant dispersés. C’est tout une expertise qui risque d’être perdue. ”
La solution ne serait-elle pas tout simplement de disposer de plus de moyens ?
‘‘Ce serait, en effet, un bon début. Mais le gouvernement flamand ne veut rien entendre à ce sujet. La ministre de l’enseignement a cherché une solution ‘‘créative’’. Elle s’est dit : si nous faisons prester 22 heures à tous les professeurs de l’enseignement secondaire qui ont un horaire de 20 ou 21 heures, nous économisons près de 3.000 jobs dans l’enseignement, des moyens qui pourraient être utilisés ailleurs. En d’autres termes, comme les politiciens ne veulent pas cracher les moyens financiers nécessaires, les professeurs du secondaire doivent travailler jusqu’à 10% de plus pour le même salaire. Cela a, à juste titre, provoqué une certaine colère parmi les professeurs, qui subissent déjà une charge de travail trop élevée. Avec cette proposition, c’est le retour à la case départ : au lieu de rendre la profession plus attractive, c’est l’inverse qui se produit. Après une large consultation des affiliés, il est clairement ressorti que les enseignants en avaient marre.”
Vous avez mené une action avec des banderoles. Est-ce vraiment le meilleur moyen de faire pression ? Pourquoi ne pas être entré en grève ?
“Chaque secteur a sa spécificité. Si les ouvriers de Volvo arrêtent le travail, il n’y aura personne pour réclamer leurs services devant la porte de l’usine. Si les enseignants arrêtent le travail, ils sont immédiatement confrontés aux parents qui travaillent et ne savent pas où mettre leurs enfants.
‘‘On trouve un grand sens du devoir parmi les professeurs, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres professions, et il ne faut pas sous-estimer l’impact du chantage affectif. Lors d’une grève, les médias dépeignent directement ces grévistes qui ont déjà trois mois de congé par an comme des fainéants surpayés qui s’en prennent au ‘‘Flamand qui travaille durement’’. Ils feraient mieux de parler du manque de garderie… C’est pourquoi, nous avons opté pour une campagne de sensibilisation pour expliquer clairement ce dont il s’agit. Mais ces banderoles pendues dans le plus d’écoles possible n’étaient que la première étape d’un plan de mobilisation.”
Comment se déroule l’action ?
“Nous en sommes à plus de 1000 banderoles et le nombre augmente. Dans plusieurs écoles, la direction interdit d’en placer une. Depuis la fin des vacances de Pâques, d’autres instruments sont utilisés : on propose notamment des marque-pages pour poursuivre la sensibilisation.
“Mais le plan d’action est pour l’instant un peu mis en veille. La ministre a, en effet, communiqué le 16 mars dernier que les mesures étaient suspendues et nous attendrons de voir les résultats d’une enquête sur la charge de travail qui a entre-temps été demandée.
“Nous pouvons très clairement affirmer que l’action a connu son premier succès. Alors que la ministre voulait initialement tout simplement imposer son plan, la mobilisation syndicale a repoussé ce dernier au frigo. Nous devons encore voir comment les choses vont évoluer, mais les syndicats doivent saisir ce moment pour poursuivre et accentuer la discussion dans les écoles et préparer les enseignants à, si nécessaire, partir en action de manière plus énergique.
‘‘Il faut surtout retenir que si la ministre a fait un pas de côté, c’est grâce à la protestation du personnel et cela montre qu’une lutte de masse a du sens. A suivre donc.”