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[TÉMOIGNAGES] Enseignant, le plus beau métier du monde?
Une rentrée ordinaire ? Pas vraiment.
Cette année pour nombre d’enseignants, septembre a rimé davantage avec incertitude que les années précédentes. Pourtant, de toute évidence, les rentrées sont pour beaucoup d’entre nous toujours sous forme de gros points d’interrogation. Chaque fois, la question est de savoir si cette on pourra encore rempiler dans la même école et ce jusqu’en juin.
Par Laure (Bruxelles)
C’est le lot annuel de la plupart des profs : un contrat de septembre à juin chaque année, sans savoir si l’établissement nous comptera encore parmi ses dévoués travailleurs l’année d’après, sans pouvoir se projeter, ni s’investir, malgré les beaux projets que nous voudrions mettre en place …
Mais cette rentrée est particulière. Certains d’entre nous (c’est mon cas et celui de plusieurs collègues) n’ont toujours pas signé de contrat. Nous continuons pourtant de prester nos heures. On nous a déjà signifié que le salaire ne tomberait pas cette fin de mois. Cela implique que lorsque nous serons censés percevoir notre dû, et que nous pourrons prouver que nous n’avons pas été payés, là seulement nous pourrons faire une demande à la direction de l’école pour une avance…
La ‘‘réforme des titres et fonctions’’
Mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous ne savent toujours pas ce qu’ils enseigneront comme matière le mois prochain. En attendant, on fait ce qu’on peut, c’est à dire ce qu’on a toujours fait. On donne des matières qui, peut-être, ne nous seront plus attribuées le mois prochain. Allez savoir… C’est la “grande” réorganisation!… Disons plutôt, la grande désorganisation!
C’est ce qui s’appelle la ‘‘réforme des titres et fonctions’’ : une réforme pondue de toute évidence par des ‘‘experts’’ qui ne connaissent rien aux réalités de terrain et qui essaient sans doute de prouver qu’ils ne sont pas payés à ne rien faire (peut-être vaudrait-il mieux)… Ça c’est la version la plus naïve de cet inquiétant bordel.
En réalité, il s’agit surtout de justifier la baisse de salaire d’un grand nombre d’enseignants qui exercent depuis des années sans avoir ‘‘le titre requis’’, le papier qui permettrait de justifier que l’on soit payé le même salaire que son collègue pour un même job. Autrement dit sans ce papier, on coûte 300 euros de moins à l’État que son collègue qui fait le même boulot.
Ainsi nombre d’entre nous verront leur salaire amputé pour un temps plein s’ils continuent à donner les cours qu’ils enseignent depuis des années. De plus, jamais ils ne seront nommés et ils resteront donc sous contrat précaire toute leur carrière. Et pendant ce temps-là, nous sommes rentrés en classe depuis près d’un mois et nous ne savons toujours pas à quelle sauce on va être mangé. Enseigner dans de telles conditions ne peut avoir qu’un effet extrêmement néfaste sur la qualité de notre travail et les premiers à en pâtir sont les jeunes, bien évidemment.
Un enseignement à deux vitesses
À cela s’ajoute ma réalité en tant qu’enseignante dans un CEFA, une école professionnelle en alternance dans laquelle les ados travaillent la plupart du temps en entreprise et n’ont qu’un jour par semaine de cours généraux.
Alors que nous sommes considérés au plus bas de l’échelle des établissements scolaires et que notre public se compose essentiellement de jeunes en décrochage, avec de grandes difficultés scolaires et/ou sociales, nous assistons à une élitisation de notre filière, une élitisation de l’enseignement considéré de dernière zone.
Les programmes changent et les exigences dans les cours généraux sont pour beaucoup de nos jeunes bien trop élevées et totalement déconnectées, une fois de plus, de la pertinence, de la faisabilité, bref de la réalité de terrain que nous connaissons.
Ainsi, le sens que je voyais à mon travail qui se trouvait surtout dans l’avancée de mes élèves, leur progression dans le parcours sinueux de l’école, leur émancipation, la courbe progressive de leur estime de soi, leur permettre de sortir de là avec un CDI, avec d’autres perspectives,… Tout cela est menacé, bientôt ces jeunes n’auront plus de possibilités de sortir avec un diplôme secondaire et un métier en poche.
L’école qui ne voulait pas d’eux les rejette une seconde fois. Ils ne seront que de la chaire à patron. De la main-d’œuvre extrêmement précaire et bon marché.
L’enseignement dans son ensemble est menacé, usé par les économies souhaitées dans les budgets alloués à l’enseignement d’une part, et d’autre part à la production de programmes et d’organisations totalement déconnectées de nos besoins et de la réalité du terrain.
Il est grand temps que les enseignants se mobilisent pour arrêter cette machine de destruction massive des services publics. Je pense qu’on peut juger une société à la façon dont elle considère ses jeunes et leur avenir. Aujourd’hui, notre société en est à la phase terminale. Bref, j’étais motivée, puis j’ai fait ma rentrée.
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“Les enseignants sont toujours en vacances…”
Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette rengaine? Pourtant, les chiffres sont éloquents : un enseignant sur trois quitte le métier au bout de 5 ans. Dans le même temps, dans certaines zones, on parle d’absentéisme sévère ou encore de pénurie de professeurs dans certains cours. Le métier d’enseignant ne semble pas avoir la cote et une partie importante de ceux qui s’y engagent prennent vite la poudre d’escampette. Pour quelles raisons?
Par Sandra (Bruxelles)
Une journée dans la peau d’une enseignante
Lundi, 8h du matin. 25 paires d’yeux adorables me fixent avec attention et je sais que j’ai tout intérêt à les passionner dès la première minute….car sinon le chahut ne se fait pas attendre. J’arrive à le faire aujourd’hui, puisque la veille au soir, j’ai commencé à préparer mes cours vers 20h. Pleine d’enthousiasme, j’ai trouvé des textes magnifiques dans les livres que j’ai achetés moi-même, et j’ai imprimé le tout avec mon imprimante, à domicile.
50 minutes plus tard, il sonne. Voilà 25 autres paires d’yeux devant ma classe, au taquet. Mais cette fois, c’est une classe du degré supérieur, donc c’est aussi un autre cours, d’autres préparations, d’autres recherches… Certains jours, j’ai 7 h de cours d’affilée. Parfois, entre deux cours, j’ai une heure de fourche… C’est une heure sans élève durant laquelle j’essaye de gagner du temps: faire des photocopies, préparer mon journal de classe, préparer et remettre la planification de l’année, préparer des interrogations, corriger des interrogations,…
À midi-trente, c’est la pause, la pause caféine. Si je n’ai pas de réunion prévue durant mon temps de midi, je sors de l’école, à la recherche d’un peu de calme. Et puis ça recommence, je dois être à nouveau pleine d’entrain et de motivation jusqu’à 16h.
Si je n’ai pas de soirée informative pour les parents, de conseil de classes ou de photocopies à faire pour le lendemain, je rentre directement à la maison. Les corrections attendront. Là, je suis fatiguée de ma journée intense…
Oui mais voilà, je m’interroge. Étant donnés les conditions de travail actuelles, le nombre croissant d’élèves dans les classes – dans certaines écoles, parfois on flirte avec les 30 élèves à entasser dans un local, le manque de budget alloué à l’enseignement (en constante baisse), le manque de stabilité à l’emploi (renforcé par la réformes des titres et fonctions), les réformes concernant notamment les diplômes et les fonctions des professeurs, le grignotage dans les pensions,… je me demande : que deviendra l’enseignement ? Les enseignants? Les futurs enseignants ? Et, bien entendu, ceux qui sont au cœur de l’apprentissage, les élèves ?
Un secteur sous pression constante
Un professeur preste de 20 à 26 heures en classe, mais il va de soi que le nombre d’heures de travail réel est de loin supérieur. Selon la CSC, lorsqu’on prend en compte les préparations, les corrections, les conseils de classes, les réunions de parents, etc., un professeur travaille en moyenne 45 heures par semaine !
En 2011, sous le gouvernement Di Rupo, plusieurs mesures avaient déjà été prises à l’encontre des pensions des travailleurs du service public, enseignants compris. Ces mesures réduisaient – voire dans certains cas supprimaient – le montant de la pension légale et reculaient l’âge de la pension, prématurée ou non. En 2016, le gouvernement Michel a annoncé à son tour une salve de nouvelles mesures touchant de plein fouet les travailleurs du secteur public. Un enseignant devra travailler plus, pour au final toucher moins !
À l’heure actuelle, des questions demeurent : le métier de professeur sera-t-il reconnu comme métier “lourd” ou “pénible” pour pouvoir prétendre à une pension anticipée à la retraite? Est-il illogique de penser qu’un enseignant à l’âge de 60 ans n’est plus capable de s’impliquer autant qu’il le voudrait dans son métier?
Le combat continue…
La liste d’attaques à l’égard des enseignants et de questions que soulève l’enseignement est encore longue: suppression de la bonification du diplôme dans le calcul de la pension, pseudo-gratuité de l’enseignement, Pacte d’excellence,…
Une chose est sûre: je continuerai à défendre mon métier, parce qu’il est, à mes yeux, encore et toujours, le plus beau du monde. Mais c’est un métier très exigeant et lourd qui implique une vision politique ambitieuse et à long terme, tant pour les enseignants que pour les élèves, adultes de demain.
