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La Vivaldi titube vers 2024… et au-delà ?
Le mouvement ouvrier ne peut se résigner à attendre les élections
Le Premier ministre De Croo n’a pas pu profiter de beaucoup de vacances cet hiver en raison des négociations avec Engie. L’entreprise se frotte les mains : elle touchera le maximum pour l’élimination des déchets nucléaires en échange de la promesse de prolonger deux réacteurs, ce pour quoi elle recevra également des subsides. Engie vient de se garantir des milliards de bénéfices. À peine cet accord était-il conclu que de nouveaux dossiers pénibles s’entassaient déjà : pensions, pouvoir d’achat, réforme fiscale et, en mars, conclave budgétaire.
Par Geert Cool
Les partis traditionnels dégringolent
Le Premier ministre tente de se prétendre efficace, son gouvernement n’est pourtant pas un modèle de stabilité. De Croo a même dû intervenir dans son propre parti, l’Open VLD, et a envoyé balader la secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker après qu’elle ait inscrit la réduction de la TVA sur l’énergie comme un élément permanent du budget, ce qui a entraîné un déficit plus important que prévu. Pour la remplacer, il a débauché à l’Open VLD Alexia Bertrand, jusque-là cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois et administratrice du puissant holding Ackermans & van Haaren (AvH, une des entreprises du Bel20). Il espère un sursaut électoral grâce à un « effet De Croo », mais les sondages n’en montrent aucun signe. A l’image du CD&V, les libéraux flamands se trouvent sous le seuil des 10%.
Le tassement des partis traditionnels du centre est un phénomène international. Du côté francophone, il ne reste plus grand-chose de la démocratie chrétienne. L’exemple de la social-démocratie en France montre que les choses peuvent aller vite. Encore tout puissant il y a dix ans, le PS a dû l’an dernier conclure un accord avec la France Insoumise afin de survivre quelque peu au parlement. Le phénomène s’explique par les politiques menées : quel que soit le parti au pouvoir, la politique est invariablement antisociale.
Renouveler le personnel politique en allant à la pêche dans la société civile (comme la journaliste Hadja Lahbib directement passée de la RTBF à la tête du ministère des Affaires étrangères) et autres campagnes de marketing (changer son nom et son logo pour devenir Les Engagés (sic) ou Vooruit) ne permet plus de restaurer un soutien électoral. Les politiciens du centre se tournent vers la coopération interpersonnelle. « Des individus agissant de manière interpersonnelle, ou inversement des personnes travaillant ensemble pour garantir la liberté individuelle : c’est le cœur de ce que j’appelle l’intervidualisme », a écrit Gwendolyn Rutten (Open VLD) dans une carte blanche explicitement adressée au CD&V et à Vooruit. Son collègue Bart Tommelein s’était auparavant explicitement prononcé en faveur d’un parti unique de centre. Jean-Luc Crucke (ex-MR) rêve d’une démarche similaire avec Les Engagés et Défi. La longévité de toute solution organisationnelle à un problème politique est toutefois bien incertaine.
La Vivaldi survivra-t-elle à 2024 ?
Pour l’instant, le gouvernement tente d’apaiser la contestation sociale. Il entend utiliser des primes ponctuelles dans les entreprises qui réalisent des bénéfices «élevés» pour mettre fin à la lutte contre la norme et la loi sur les salaires. Une lutte autour des pensions a été évitée par le PS avec les propositions de sa ministre, Karine Lalieux, qui s’en prend encore une fois aux pensions, mais de manière moins agressive qu’auparavant. La Commission européenne impose cependant de remettre la question sur table si la Belgique veut recevoir près de 850 millions d’euros de fonds européens pour son plan de relance, au moment même où la France est secouée par une puissante vague de mobilisations en défense des retraites.
Le PS se prétend du côté des travailleuses et travailleurs en mettant aux enchères les attaques les plus aiguës contre nos conditions de vie. Mais la marge se réduit pour continuer selon ce principe. Parallèlement, le PS continue à alimenter son discrédit avec de nouveaux scandales au Parlement wallon et au Parlement européen.
Les marges manquent pour parvenir à des accords. La Banque Nationale prévoit un taux de croissance faible de 0,6 % en 2023. La récession (prévue par d’autres organismes financiers) est évitée selon elle grâce à la consommation privée qui, avec l’indexation des salaires et allocations, se maintient mieux que dans les pays voisins. Le relèvement des taux d’intérêt directeurs des banques centrales, afin de freiner l’inflation, gonfle à nouveau le poids du remboursement de la dette publique. Le conclave budgétaire de mars ne sera pas évident.
La formule Vivaldi est fatiguée. Un maintien au-delà de 2024 semble pourtant probable, du moins s’ils conservent leur majorité. Non pas par enthousiasme, mais parce que les partis de la Vivaldi sont condamnés l’un à l’autre. Quelle autre option ont-ils ? Un gouvernement avec la N-VA qui provoque le mouvement ouvrier pourrait exploser au visage de tous ceux qui y participent. Le bilan du gouvernement flamand ne fait que le confirmer. De plus, la N-VA impose déjà des exigences communautaires comme condition à une participation gouvernementale. Personne n’en veut.
Les gains prévisibles de l’extrême droite en Flandre et du PTB en Wallonie, à Bruxelles, mais aussi en Flandre ne faciliteront pas la tâche des partis traditionnels en 2024. Ils feront tout leur possible pour mettre le VB et le PTB dans le même sac et parler du « succès des extrêmes ». Le PTB réagit en adoptant une position « remarquablement modérée », remarque De Standaard. Pour l’establishment capitaliste, relayer la colère est toujours « extrême ». Pour limiter l’espace de l’extrême droite, la gauche doit transformer ce mécontentement en un combat conséquent pour transformer toute la société.
La passivité n’est pas une option
Pour De Croo, le plus grand défi de la dernière année complète de son gouvernement est la compétitivité des entreprises belges. Fin décembre, la Banque Nationale a annoncé que la marge bénéficiaire brute des sociétés non financières avait chuté de 45,1% à 44,9% au troisième trimestre. C’est encore bien au-dessus de celles des pays voisins. Inverser ce léger déclin sera toutefois la priorité absolue et acharnée de De Croo.
C’est du même type de détermination que le mouvement ouvrier a besoin avec un relais politique qui se bat pour défendre ses intérêts et s’engager en faveur de véritables augmentations de salaires, d’investissements publics massifs dans les soins de santé et l’enseignement, de la nationalisation du secteur de l’énergie et d’autres secteurs clés, de la construction de logements sociaux, de l’élimination des listes d’attente…
Impossible de le faire en attendant les élections et en stopper la lutte sociale par crainte que la chute du gouvernement ne conduise à un gouvernement encore pire. Imposer nos préoccupations au centre du débat public, cela ne se fait que par la lutte. En organisant notre colère et en construisant un rapport de forces. En démontrant dans la pratique que seul le mouvement ouvrier offre une alternative à la misère sociale des politiciens capitalistes. C’est par l’unité dans la lutte que nous pouvons repousser la division et la haine réactionnaires. Une approche socialiste de la lutte sociale et du changement de société est sérieusement nécessaire aujourd’hui.