L’interdiction de la burqa n’aide pas les femmes

Dans le cadre de l’interdiction de la burqa, le débat a été intense ces derniers mois dans les médias. Dans le quotidien flamand ‘‘De Morgen’’, une contribution à ce débat a été apportée par Laura, une étudiante de l’Université de Gand qui a remporté le prix Zola au début de cette année pour son essai intitulé ‘‘Femmes voilées’’. Pour elle, l’interdiction de la burqa ne va conduire qu’à l’isolement des femmes. L’oppression sera cachée, mais continuera d’exister. Nous publions ici une version raccourcie de sa carte blanche.

Il y a un an, le 23 juillet 2011, entrait en vigueur la loi interdisant le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage sur la voie publique. Je ne conteste pas que des femmes soient forcées de porter la burqa, mais je doute que ces femmes soient réellement aidées par cette interdiction. Et n’est-ce pas en ce sens que devait initialement aller le débat ?

La loi a été votée avant que l’Université de Gand ne livre ses conclusions définitives concernant sa recherche sur le port de la burqa. Selon Eva Brems (professeur de droits de l’homme à l’Université de Gand), la loi a donc été décidée sans base scientifique. Cette enquête a révélé que les femmes interrogées avaient consciemment choisi de porter la burqa, quoi que puisse en penser leur environnement.

Je n’ai toutefois aucun doute sur le fait qu’il existe des femmes obligées de porter le voile intégral. Selon Etienne Vermeersch et Dirk Verhofstadt ‘‘il n’existe aucun moyen de détecter la coercition. Seule une interdiction générale peut supprimer une telle menace pour la liberté humaine.’’ (De Morgen, 29/5) L’interdiction crée une division entre les femmes opprimées porteuses de burqa et les femmes libres non-voilées, mais pour celles qui sont réellement opprimées, l’interdiction n’est rien d’autre qu’une tentative de contrôler un symptôme. Le voile intégral n’est qu’une des manières dont s’exprime l’oppression. La violence domestique, par exemple, ne s’arrête pas avec l’interdiction de porter la burqa dans les espaces publics.

Il est particulièrement douteux de penser que les femmes qui étaient obligées de porter le voile intégral seraient tout à coup autorisées à le quitter en conséquence de la loi. Autrement dit, je vois là deux scénarios. Dans le premier, même si elles peuvent dorénavant se déplacer sans porter la burqa, je doute qu’elles puissent être soudainement libérées des autres formes d’oppression. Dans le second, ces femmes sont maintenant condamnées à la prison à domicile, complètement isolées du reste de la société.

Aucun de ces deux scénarios n’est une avancée pour la cause des femmes : d’un côté on isole des femmes, de l’autre nous nous voilons la face sur les autres formes d’oppression. La société ne peut-elle rien faire pour aider les femmes qui vivent sous la contrainte? Bien sûr que si ! Mais cela nécessite de s’en prendre aux causes et non simplement aux symptômes. De toute évidence, il est plus difficile de répondre à cette réalité complexe que d’interdire la burqa, mais c’est plus efficace.

Il faut s’en prendre à la base de chaque discrimination. Les femmes portant la burqa sont issues de minorités ethniques et sont défavorisées à différents niveaux: tout d’abord parce qu’elles sont des femmes, ensuite parce qu’elles sont d’origine étrangère, et puis parce qu’elles portent un voile intégral. Peut-être que cela aiderait de s’en prendre aux six des huit agences d’intérim qui discriminent sur base de l’origine ethnique ? Ces données sont connues depuis 2007. Nous sommes cinq ans plus tard, et toute la puissance anti-discrimination du gouvernement s’est limitée à l’interdiction de la burqa. Waow.

Les femmes d’origine belge sont elles-aussi toujours victimes de discrimination. En 2009, l’écart salarial moyen entre hommes et femmes était de 23%. Les femmes sont également plus soumises au temps partiel que les hommes à cause du rôle traditionnel des genres, le père étant chef de famille. Ainsi, en Flandre, 43,1% des salariées travaillent à temps partiel, contre seulement 8,1% des salariés. Cette situation laisse les femmes financièrement dépendantes de leurs maris, et il est dès lors difficile de s’échapper d’une relation qui tourne mal.

Une solution réelle serait l’amélioration des services sociaux et l’ouverture de réseaux sociaux accessibles à tous (et notamment de centres de refuges). D’autre part, l’interdiction de la burqa leur refuse l’accès à l’enseignement ou aux bibliothèques. Les femmes opprimées ne doivent pas être isolées, nous devons au contraire briser leur situation en les faisant participer à la vie sociale dans la mesure où elles le souhaitent. Ce n’est qu’ainsi, étape par étape, avec le renforcement de leur position sociale, qu’elles seraient aptes à choisir en toute liberté comment exprimer leur foi. Avec ou sans burqa.

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