L’énergie aux mains du privé, une tragédie pour notre porte-monnaie, un désastre pour la planète

La hausse des prix de l’énergie est-elle la simple conséquence de la loi de l’offre et de la demande dans le sillage de la reprise économique ainsi que de mois de printemps et d’été exceptionnellement froids ? En apparence seulement. En dernière instance c’est le mode de production qui détermine la pénurie ou l’abondance des produits. Ce premier est déterminé par les lois du marché libre dans lequel le profit est le plus important et non les besoins de l’humanité et de la planète.

Dossier de Michael

Augmentation des prix et énergies polluantes

La hausse des prix de l’énergie domine l’actualité… et nos factures ! Ceux qui n’ont pas un revenu de ministre s’inquiètent. Les chômeurs ou les travailleurs précaires se disent ne se chaufferont peu, voire pas, cet hiver.

Comme souvent, ces événements à l’impact considérable sur nos vies sont considérés comme des fatalités qui font tout simplement partie de l’économie et de la société. Pour nombre d’économistes et de journalistes enfermés dans la logique néolibérale et ses dogmes, cette hausse des tarifs est une incitation à consommer moins. Ce serait donc finalement une bonne nouvelle pour le climat. Nous y reviendrons plus tard.
Rappelons d’abord que pendant les mois de confinement, la baisse de la demande de combustibles fossiles avait suscité des espoirs euphoriques. Lorsque le prix du baril de pétrole est passé sous la barre du zéro en avril 2020 (faute de demande de pétrole et en raison des coûts de stockage plus élevés que le rendement du baril), certains commentateurs se sont bercés d’illusions. Ils estimaient que les multinationales pétrolières allaient être contraintes de changer de cap et de se concentrer davantage sur les énergies renouvelables. Notre dépendance aux combustibles fossiles allait enfin être brisée grâce au coronavirus.

Aujourd’hui, ces commentateurs sont plus riches d’une illusion supplémentaire. La relance économique après le confinement repose bien entendu sur les moyens de production qui étaient disponibles. Pendant le confinement, alors que l’économie était à l’arrêt, les capitalistes n’ont pas investi massivement leurs bénéfices dans les énergies renouvelables. Une telle prévoyance est gaspillée dans le chaos du marché. Seul compte le profit à court terme. Les besoins de l’humanité et de la planète sont totalement accessoires.

Cette vision à court terme est également à l’origine de la pénurie de réserves de gaz qui fait actuellement grimper les prix. Dans l’économie capitaliste, l’offre et la demande contribuent évidemment à déterminer le prix des produits. La combinaison de la reprise économique et de mois de printemps et d’été relativement froids a aussi joué un rôle. Mais la réalité est que les capitalistes ajustent la production aux marges bénéficiaires. C’est ce que fait l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient et d’Afrique, plus le Venezuela) lorsqu’elle limite délibérément la production de pétrole afin de faire monter les prix. Il en va de même pour l’approvisionnement en gaz de la Russie, qui utilise aussi ses réserves de gaz pour des raisons géopolitiques. Le prix des combustibles fossiles augmente également pour l’électricité : les capitalistes du secteur utilisent les prix élevés pour s’en mettre plein les poches. Le PTB a calculé qu’Engie/Electrabel réalise ainsi un bénéfice supplémentaire de 120 millions d’euros par mois. Cela représente un milliard et demi sur base annuelle. En bref, les augmentations des prix du gaz et de l’électricité sont principalement dues à la soif de profits.

Les taxes sur le CO2 sont non seulement antisociales, mais aussi extrêmement inefficaces dans la lutte contre la crise climatique. En Europe, le prix du CO2 a dépassé les 60 euros par tonne pour la toute première fois au début du mois de septembre, le double du prix au début de cette année. Les émissions des producteurs d’énergie sont compensées par l’achat de droits d’émission dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émission. Ces coûts sont répercutés sur le prix de l’électricité. En bref, notre facture augmente sans que l’énergie verte vienne la remplacer.

Le CO2 émis en moins en obligeant simplement les gens à moins chauffer leur maison et à moins cuisiner n’est pas seulement une goutte d’eau dans l’océan, cela ne touche que les consommateurs et surtout les plus pauvres d’entre eux. En l’absence d’investissements massifs dans des énergies renouvelables et abordables, cela entraîne une pression supplémentaire sur les factures d’énergie des ménages et une augmentation de la pauvreté énergétique pour les plus pauvres. L’incitation à l’augmentation de la production en faveur des énergies renouvelables est complètement annulée par le fait que les énergies à faible teneur en CO2, loin d’être toujours renouvelables, voient également leurs prix augmenter sur le marché. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’augmentation du prix de l’électricité produite par le nucléaire.

La libéralisation du marché de l’énergie en Belgique (2003 en Flandre et 2007 à Bruxelles et en Wallonie) ne nous a pas apporté la baisse des prix promise. Il n’y a pas de planification à long terme et seuls les profits comptent. Nous payons donc pour les profits des compagnies d’énergie et sommes à la merci du chaos du marché.

En outre, un autre facteur joue dans l’impact des prix de l’énergie. Nos salaires n’augmentent pas. Les prix à la pompe ne sont plus comptés dans l’index depuis 1994 (c’est l’index-santé). L’indexation automatique ne suit pas l’augmentation des prix du diesel ou de l’essence. Diverses autres manipulations de l’index assurent également que l’augmentation de nos salaires et allocations sociales sociaux soit toujours bien inférieure à celle du coût de la vie. Ces années de sous-indexation et le saut d’index de 2016 ont tout simplement laminé nos salaires. En outre, pour le gouvernement et les patrons, l’augmentation salariale maximale ne sera que de 0,4 % pour cette année et la suivante.

Centrales à gaz ou énergie nucléaire ? Un faux dilemme

L’urgence à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas tombée du ciel. Une transition fondamentale était déjà nécessaire il y a 30 ans. Depuis 30 ans, le néolibéralisme a déployé tous ses efforts pour rejeter la responsabilité sur le consommateur, tandis que les producteurs d’énergie et les grandes compagnies pétrolières ont poursuivi leurs activités sans être inquiétés. Aujourd’hui, tous les politiciens et commentateurs néolibéraux limitent le débat à un faux dilemme entre l’énergie nucléaire et les combustibles fossiles.

La logique de Groen! et en particulier de la ministre de l’énergie Tinne Van Der Straete est scandaleuse. Construire des centrales à gaz comme alternative à la fermeture des centrales nucléaires revient à combattre le feu par le feu. La production d’électricité représente 18% des émissions totales (2019) en Belgique. Selon le Bureau du Plan, si les centrales nucléaires devaient être remplacées par de nouvelles centrales à gaz, la production d’électricité entraînerait entre 3 et 4,4 millions de tonnes d’émissions supplémentaires d’ici 2030. Cela signifie une augmentation de 2,5 à 3,8% des émissions totales de la Belgique (116,7 Mt) en 2019.(1) Dans le contexte actuel, c’est tout sauf une « augmentation négligeable » comme le qualifie le Bureau du Plan. Il est insensé qu’une ministre « écologiste » s’oppose à la revendication parfaitement justifiée du mouvement pour le climat en faveur de la fermeture des centrales nucléaires dans l’intérêt de notre planète.

Les partis « verts » donnent ainsi au lobby nucléaire et à une partie de l’establishment un bâton pour les battre. L’énergie nucléaire est progressivement devenue la réponse capitaliste à la crise climatique. Les entreprises du secteur de l’énergie peuvent réaliser des profits monstrueux grâce à l’énergie nucléaire, notamment par un transfert massif de fonds publics dans les poches des actionnaires. Malgré son coût faramineux, l’énergie nucléaire est particulièrement lucrative pour les capitalistes du secteur énergétique : c’est la collectivité, le contribuable, qui subventionne directement et indirectement les centrales nucléaires. Le stockage des déchets, les problèmes potentiels qui en découlent, le démantèlement des centrales, la réparation des centrales et le risque de catastrophe nucléaire, tout cela est répercuté sur la société, tandis que les bénéfices de la vente de chaque kWh vont aux multinationales. Il est également révélateur que les centrales nucléaires soient toujours sous-assurées parce qu’aucune compagnie d’assurance ne veut payer pour le risque insensé d’une catastrophe nucléaire. La loi stipule que les propriétaires de centrales nucléaires doivent contracter une assurance avec une couverture de 700 millions d’euros. C’est une somme dérisoire quand on sait que les dégâts de la catastrophe de Tchernobyl sont estimés à 430 milliards d’euros.(2)

La campagne de promotion de l’énergie nucléaire essaye de la présenter comme une source d’énergie neutre sur le plan climatique. L’énergie nucléaire est loin d’être une source d’énergie neutre en CO2 et l’uranium est une ressource limitée. Les centrales nucléaires émettent du CO2 en raison de l’extraction et du raffinage de l’uranium. Selon une étude de Mark Z. Jacobson, professeur d’ingénierie civile et environnementale à l’université de Stanford, toutes les centrales électriques émettent également 4,4g-équivalent CO2/kWh par la vapeur d’eau et la chaleur qu’elles dégagent. Cela contraste avec les panneaux solaires et les éoliennes, qui réduisent les flux de chaleur ou de vapeur d’eau dans l’air d’environ 2,2g-CO2e/kWh, ce qui donne une différence nette de 6,6g-CO2e/kWh pour ce seul facteur.(3)

Ceux qui préconisent la construction de nouvelles centrales nucléaires oublient de mentionner que « les réacteurs nucléaires nécessitent 10 à 19 ans ou plus entre la planification et le démarrage, contre 2 à 5 ans pour l’énergie solaire ou éolienne. Par conséquent, l’énergie nucléaire entraîne des émissions supplémentaires de 64 à 102 g-CO2/kWh par rapport aux énergies éolienne et solaire sur 100 ans, en fonction du délai d’attente pour qu’elles deviennent actives. »(4)

En résumé, conclut Mark Z Jacobson, les nouvelles centrales nucléaires coûtent 2,3 à 7,4 fois plus cher par kWh que les parcs éoliens terrestres ou les cellules solaires. Par rapport à l’énergie solaire, à l’énergie éolienne ou à l’énergie hydraulique, elles nécessitent de 5 à 17 ans de plus entre la planification et l’exploitation et produisent de 9 à 37 fois plus d’émissions par kWh que l’énergie éolienne.(5)

En raison de ce coût et du long délai de mise en route, on parle de plus en plus de SMR (Small Modular Reactors), des réacteurs dits de petite taille, basés sur les versions militaires telles que celles des sous-marins nucléaires. Ils seraient plus sûrs, mais c’est surtout un moyen de rendre la construction et l’exploitation plus supportables en répartissant les coûts et en arrivant plus rapidement à une unité de production finie. Cependant, cela ne change rien aux conséquences d’une éventuelle catastrophe nucléaire ou à la gestion des déchets. Le coût exorbitant que la société paie pour chaque kWh d’énergie généré par le nucléaire demeurera, au lieu de convertir ces ressources en énergies renouvelables.

Limiter le choix entre les combustibles fossiles et l’énergie nucléaire découle du cadre du capitalisme. Si tous les coûts ou avantages à long terme étaient pris en compte dans la recherche d’alternatives, le choix serait facile : chaque euro investi rapporterait le plus dans la recherche, la production et le déploiement d’une production et d’une distribution d’énergie entièrement renouvelable. Aujourd’hui, cependant, les coûts sont amortis sur la société, la planète et les générations futures, tandis que les bénéfices vont aux actionnaires.

Protéger l’énergie des griffes du secteur privé

Nous vivons dans une société où nous pouvons communiquer instantanément avec l’autre bout du monde, avec des voitures à conduite autonome, où des individus peuvent se lancer dans l’espace… mais nous serions impuissants pour assurer la transition de notre énergie ?
Le programme Apollo, qui s’est déroulé aux États-Unis de 1961 à 1972 et qui a envoyé le premier homme sur la lune au bout de huit ans, représentait 5 % des dépenses publiques américaines à son apogée. Aujourd’hui, cela représenterait 350 milliards de dollars par an pour les États-Unis. Bien sûr, la comparaison n’est pas entièrement valable et la Belgique n’est pas les États-Unis, mais cela illustre les possibilités.

L’éditorialiste britannique George Monbiot affirme que le climat exige une action aussi radicale que la façon dont les États-Unis se sont mis sur le pied de guerre après l’attaque de Pearl Harbour en 1941. Les dépenses publiques ont été décuplées, tout étant axé sur l’effort de guerre. Des industries entières ont changé de production en quelques semaines. Monbiot affirme à juste titre que ce n’était pas un miracle, mais « l’exécution d’un plan bien pensé ». En effet, la même chose est nécessaire aujourd’hui : non pas pour faire la guerre et causer des ravages, mais pour faire face aux menaces planétaires.

Comment mobiliser les ressources pour lancer un plan d’investissement à long terme qui ne sera pas saboté par la course aux profits à court terme ? Sur la scène politique parlementaire, le PTB est le seul parti qui s’oppose systématiquement à la fois au nucléaire et aux combustibles fossiles. Il est important que la gauche ne se laisse pas entraîner dans le faux dilemme que présente le capitalisme. Le PTB souligne à juste titre que tout investissement dans le gaz ou l’énergie nucléaire est un désinvestissement dans l’énergie durable. La réduction de la TVA de 21% à 6% sur l’énergie est également une revendication qui ferait une différence pour des centaines de milliers de familles.

En même temps, le PTB semble limiter sa réponse à des mesures qui n’affectent pas le secteur privé de l’énergie. Lors d’une interview sur LN24, David Pestieau, vice-président du PTB, a affirmé que son parti n’était pas favorable à la nationalisation du secteur énergétique. Selon lui, on pourrait contrôler le secteur de l’énergie en créant une entreprise publique de l’énergie en concurrence avec des sociétés privées.

Mais, si une telle entreprise publique d’énergie veut contrôler non seulement la production et la distribution de l’énergie, mais aussi coordonner les investissements et la recherche de nouvelles technologies respectueuses de l’environnement, elle ne peut pas se permettre d’être en concurrence avec le secteur privé. L’urgence est telle aujourd’hui que les investissements doivent largement dépasser les revenus directs.

Dans un océan capitaliste, une entreprise publique d’énergie sera finalement obligée de se joindre à la concurrence si elle ne veut pas se noyer. Les investissements massifs nécessaires à la production et à la distribution d’énergie verte, combinés à des prix de l’énergie abordables, ne peuvent être rentables face à la concurrence qui reporte la pollution sur la collectivité et les générations futures. Il s’agit d’un avantage concurrentiel démesuré par rapport à une entreprise publique d’énergie. Seul un contrôle public total du secteur de l’énergie, une nationalisation sous le contrôle et la gestion des travailleurs, est capable d’assurer un investissement à long terme en intégrant tous les coûts réels. On pourrait ainsi sortir du nucléaire dans le cadre d’un plan visant à réduire à zéro les émissions de CO2 du secteur de l’énergie.

Le prix abordable de l’énergie et la transition vers une production entièrement durable sont donc les deux faces d’une même médaille. Il est urgent que le mouvement pour le climat et le mouvement ouvrier discutent de la revendication de la nationalisation et la défendent. L’ensemble du mouvement ouvrier doit se rallier à la revendication d’un secteur de l’énergie totalement aux mains de la collectivité afin de renforcer le mouvement pour le climat. C’est aussi la seule manière de garantir le maintien et même l’extension de l’emploi dans la transition énergétique.

Bien entendu, ce débat sur le secteur de l’énergie et sa nationalisation débouche sur une discussion beaucoup plus large concernant la société dans laquelle nous voulons vivre. Mobiliser les énormes richesses, les technologies et les capacités productives pour les investir dans les énergies renouvelables, mais aussi dans l’enseignement, les soins de santé, les transports publics, la sécurité sociale, la science et la technologie, permettrait de réaliser de grandes avancées sociales et technologiques pour l’ensemble de la population mondiale. Mettons fin au système capitaliste qui empêche cela, et dirigeons-nous vers le socialisme démocratique !

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