Your cart is currently empty!
Tag: Comité pour une Internationale Ouvrière
-
Appel urgent à la solidarité : un membre du CIO et trois autres activistes menacés de prison en Russie
4 participants à la “marche antifasciste” annuelle à Moscou ont été arrêtés ce 20 décembre, dont un membre dirigeant d’Alternative Socialiste, la section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), Igor Yashin. Ils ont été détenus par la police jusqu’à lundi, date à laquelle ils ont dû comparaître en cour pour désobéissance à la police. Ils pourraient être emprisonnés pendant 15 jours.La marche antifasciste a lieu chaque année pour commémorer l’assassinat brutal de l’avocat Stanislav Markelov et de la journaliste Anastasia Baburoba il y a dix ans par des fascistes. Stanislav s’était notamment activement impliqué dans Youth against Racism in Europe.
La marche s’était déroulée bruyamment mais sans aucun problème dans le centre de Moscou. Outre les groupes politiques habituels, dont un contingent très vivant du CIO, il y avait un contingent des syndicats indépendants dirigés par l’Union des journalistes, dont Igor est coprésident, ce qui est particulièrement important. Igor avait joué un grand rôle dans l’organisation de ce contingent. Apparemment, la police s’est opposée aux chants qui exigeaient qu’il soit mis fin à l’arrestation, à la torture et au meurtre de personnes LGBT en Tchétchénie (où des rapports indiquent qu’une autre purge généralisée a commencé).
Il semble que la police ait choisi de s’en prendre à Igor en cherchant un prétexte. Lorsque le policier a tenté de l’arrêter, d’autres manifestants l’ont encerclé et ont refusé qu’il soit emmené. Il a fallu un bon 5 minutes avant que la police anti-émeute n’intervienne pour aider à emmener Igor et les trois autres.
Le directeur de la section russe d’Amnesty International a déjà fait une déclaration : “La détention de participants à un acte pacifique pour avoir simplement exprimé leur opinion est inacceptable. La tâche de la police lors d’un tel événement est de garantir la sécurité, et non de censurer les participants. Bien sûr, la conduite de la police lors de cette marche a bouleversé les autres participants. Nous exigeons la libération immédiate de tous les participants”.
La police a résisté à l’idée de permettre à un avocat de rencontrer les quatre hommes et ne suit pas la procédure normale qui prévoit de les libérer après trois heures.
Nous demandons instamment que des protestations soient envoyées pour demander l’abandon des charges et la libération des quatre personnes – Igor Yashin, Nikolaï Kretov, Dmitrii Borisenko et Mikhaïl Komrakov -.
Tout russophone peut téléphoner directement au poste de police pour demander des informations au numéro +7 4992410945 ou +7 499 2412814.
Ou téléphonez ou envoyez d’urgence des courriels à l’ambassade de Russie de votre pays.
Veuillez envoyer des messages de soutien à Igor et aux autres détenus à Robert.cwi@gmail.com
-
Elections au Nigeria : les principaux partis n’offrent aucune alternative

Les socialistes lèvent la bannière de la lutte
Des élections générales sont prévues au Nigeria en février et mars. L’élection du président et de l’Assemblée nationale est prévue pour le 16 février, tandis que le 2 mars, les gouverneurs et les assemblées des États de la plupart des 36 États du Nigeria, ainsi que les élections locales dans la capitale fédérale Abuja, sont prévues.
Par Ibukun Omole (Democratic Socialist Movement, section du CIO au Nigeria)
Lors de ces élections, le Parti socialiste nigérian (SPN), récemment enregistré, se présentera pour la première fois aux élections générales.
Le SNP soutient qu’une grande partie des Nigérians ont entamé les élections de 2015 avec d’énormes illusions sur la capacité de Buhari et de l’APC (All Progressives Congress, sociaux-démocrates) à résoudre le malheur des 16 dernières années du gouvernement du PDP (People’s Democratic Party, centre-droit). Mais, au cours des trois dernières années, le gouvernement Buhari a connu une désillusion massive au fur et à mesure que la situation des masses s’est détériorée. La question à laquelle les masses n’ont pas été en mesure de répondre est pourquoi le pays est dans ce pétrin à tous les niveaux alors qu’il dispose d’énormes ressources humaines et matérielles ? La crise du Nigeria est la crise du capitalisme dans un pays néocolonial. Le capitalisme doit être vaincu avant que le Nigeria puisse réaliser son plein potentiel et que les ressources humaines et matérielles soient utilisées pour le bien de tous, et non pour l’avidité insatiable de quelques-uns. Cette explication doit être vulgarisée auprès des masses.
Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les masses ne peuvent que lever les mains en l’air dans l’espoir d’un temps meilleur ou d’un messie ou tomber dans le désespoir. La classe ouvrière et les masses doivent lutter pour forcer l’élite dirigeante procapitaliste fondamentalement anti-pauvre à faire des concessions qui peuvent améliorer leurs conditions, même si elles sont temporaires. Cela a été démontré par les travailleurs et les jeunes dans diverses luttes pour l’amélioration telles que la campagne d’électricité, la hausse des prix des carburants, la hausse des frais de scolarité, le salaire minimum, etc.
Mais les concessions peuvent être retirées ou sapées, une solution fondamentale est nécessaire. Il manque donc un parti de masse qui s’identifiera activement à ces luttes, qui aidera les travailleurs à lier les revendications immédiates à la nécessité générale de prendre le pouvoir politique en vue de vaincre le capitalisme.
C’est dans ce contexte que le Parti socialiste du Nigeria (SPN) intervient lors des élections générales de 2019. Le parti a été créé en 2012 par des militants socialistes, syndicaux et des jeunes, dont des membres du Mouvement socialiste démocratique (DSM, section du CIO au Nigeria). Mais ce n’est qu’en janvier 2018, après plus de trois ans de luttes juridiques et politiques, que le parti n’a été officiellement reconnu et n’a pu se présenter aux élections qu’à la suite d’une décision judiciaire. La Commission électorale (CENI) avait initialement refusé d’enregistrer le parti bien qu’il ait rempli toutes les conditions constitutionnelles, juridiques et financières.
La période électorale prédispose les masses à une réflexion sur la façon dont elles sont gouvernées et dont l’économie est gérée. Nous voulons utiliser les élections pour ouvrir un dialogue avec des couches plus larges de la population opprimée sur la manière dont le gouvernement et l’économie devraient être gérés. En d’autres termes, nous tendons la main aux masses avec un programme socialiste alternatif incluant des demandes immédiates d’amélioration des conditions de vie et de travail.
[divider]
Vous trouverez ci-dessous un rapport, tiré du site Web du DSM, sur le lancement enthousiaste de la campagne du SPN à Ifo, dans l’État d’Ogun, une région limitrophe de Lagos, la capitale économique du Nigeria.
[divider]
Il y a eu une réaction enthousiaste lors du rassemblement du Parti Socialiste du Nigeria (SPN) pour élire le camarade Hassan Taiwo Soweto comme membre de la Chambre d’Assemblée de l’Etat d’Ogun, circonscription d’Ifo 2 (Banlieue de Lagos, la plus grande ville du pays), qui a eu lieu le samedi 15 décembre 2018. Tout a commencé par un meeting à l’Hôtel de Ville d’Olambe, auquel ont assisté environ 120 personnes. Le meeting a commencé par des chants de solidarité où les membres du parti ont chanté avec enthousiasme, avant que le candidat ne vienne donner ses brochures sous les applaudissements inspirantsdu public.Soweto est en train d’élaborer un manifeste pour se rendre à la Chambre afin de construire un mouvement populaire de lutte pour le développement des communautés négligées dans la circonscription dans les domaines de l’infrastructure routière, de l’électricité, de l’éducation publique, de la santé et de l’emploi. Il s’opposera à toutes les politiques anti-pauvres et représentera une voix audacieuse pour les travailleurs, les jeunes et les masses. S’il est élu, il continuera de vivre dans la circonscription et ne recevra pas plus que le salaire et les indemnités d’un fonctionnaire compétent.

Le chef de la ville d’Olaogun, Bamigbose, a pris la parole après lui pour informer l’auditoire du fait que la circonscription compte plus de six administrations locales de l’État, mais qu’elle est la plus sous-financée. Il n’y a pratiquement pas de routes carrossables alors que les écoles publiques et les établissements de santé sont soit inexistants, soit inadéquats. Il a souligné la nécessité d’une représentation dynamique de la circonscription et la nécessité pour les membres de la circonscription d’élire Soweto par un vote de protestation.

Le secrétaire national du parti, le camarade Chinedu Bosah, a également pris la parole et a exprimé à quel point le concours Ifo était une source d’inspiration pour le Secrétariat national et l’ensemble du parti. Le président de la section de Lagos du Parti, le camarade Rufus Olusesan, a déploré que les Nigérians ne puissent plus mendier pour se nourrir et a conclu :”assez, c’en est assez de ces politiciens capitalistes”. Falilat Jimoh, membre de la Campagne pour une alternative des travailleurs et des jeunes (CWA), est venu avec les salutations de solidarité de la CWA, soulignant les similitudes entre la CWA et le SNP, et soulignant le fait qu’une victoire pour Soweto serait une alternative radicale exemplaire.
La camarade Ayo Arogundade s’est fait l’écho que les alternatives d’un politicien au salaire minimum et vivant dans la communauté sont des exemples de ce que le SPN est prêt à appliquer comme programme. La présidente de l’Association des tailleurs de la région, Mme Olaoyenikan, a encouragé la population à voter pour un militant de la base. Un ancien de la région, Elder Jegede, a raconté comment il a été inspiré par le discours du candidat à une date antérieure lors d’une réunion du Conseil de développement communautaire, et a déploré comment les jeunes étaient utilisés par les politiciens bourgeois. Il est heureux qu’aujourd’hui les jeunes soient prêts à prendre leur avenir en mains. Dans son discours, un représentant du Baale (chef religieux) de la ville d’Olambe a décrit le candidat comme un David qui surmontera définitivement le Goliath auquel il est confronté. Mamakofoshi, la dirigeante du parti, a exprimé sa joie qu’un militant soit en lice et a demandé à la population de voter contre les politiciens corrompus.

Une collecte de fonds pour les élections a été lancée lors du meeting qui a permis de recueillir 45 000 N et 11 500 N au total en promesses de dons. La campagne a commencé immédiatement après le meeting avec un convoi de trois voitures, un bus, environ cinq motos (okada) et une camionnette, qui étaient toutes remplies de nombreux partisans sur la longueur du trajet. Les réponses inspirantes des gens sur la nécessité de bonnes routes et l’appui exemplaire de ceux avec qui nous nous sommes engagés et agités ont été les principaux de ce trajet, en plus du collage des affiches et de la distribution de dépliants.
-
USA. Entrevue avec Ginger Jentzen: «La candidate qui n’est pas à vendre»

Ginger Jentzen est membre de Socialist Alternative et fut organisatrice pour la campagne “15NOW Minneapolis” qui a gagné le 15$/h en juillet 2017. Elle est arrivée 2e durant les élections pour l’Hôtel de Ville de Minneapolis en novembre 2017 avec 44,2% des voix. Entretien réalisé par Alternative Socialiste, section québécoise du Comité pour une Internationale Ouvrière.
Quand as-tu rejoint Alternative socialiste ?
J’ai rejoint durant le mouvement Occupy Wall Street à Minneapolis. Il y avait beaucoup de discussions dans le mouvement pour déterminer sa prochaine étape et Alternative socialiste y défendait la nécessité d’aller dans les communautés pour répondre aux préoccupations des travailleurs.
Quand t’es-tu impliquée dans le mouvement pour le 15$/h ?
J’ai eu la chance de participer au lancement de 15NOW à Seattle peu de temps après l’élection de Kshama Sawant, la première socialiste élue aux États-Unis depuis un siècle, et de participer à cette campagne. Ce fut super éducatif. Seattle est devenu la première grande ville à gagner le 15$/h. 1
Comment la campagne pour le 15$/h a été menée à Minneapolis ?
Nous avons commencé en faisant des tables dans les quartiers populaires pour construire une base sociale dans les communautés et aller chercher des appuis dans différents groupes.
Un sondage avait démontré que 2/3 des répondant·e·s étaient en faveur du 15$/h maintenant. 15NOW Minneapolis est allé défendre cette idée au conseil municipal. Les conseiller·ère·s nous ont gentiment accueillis, mais sans s’y engager sérieusement.
Nous avons donc décidé de lancer une pétition réclamant un référendum. Nous avons recueilli 3 fois le nombre minimal de signatures requis pour un total de plus de 20 000 signatures. Malgré le fait que nous avons respecté toutes les exigences légales, le conseil municipal n’a pas fait de référendum sur la question. Plusieurs centaines de travailleurs·euses ont donc occupé l’Hôtel de Ville de Minneapolis. Nous avons finalement réussi à mettre suffisamment de pression pour que la ville adopte le 15$/h en juillet 2017.
C’est à ce moment que tu as eu l’idée de te présenter aux élections municipales ?
La décision avait été prise quelques mois auparavant. C’était la deuxième fois que Socialist Alternative présentait un candidat à Minneapolis. Ty Moore était arrivé deuxième en 2013 avec 42,07%. Il fut l’un des premiers à mettre de l’avant l’idée du 15$/h dans la ville.
Lors de ma campagne, nous avons mis de l’avant principalement le 15$/h et le logement abordable. La nécessité de résister à Trump et la question du logement sont devenues centrales pour notre mouvement.
Notre stratégie électorale vise la construction d’un mouvement de masse. C’est ce qui nous différencie clairement des autres candidats où certains avaient un discours de gauche près de Bernie Sanders, mais qui ne faisaient rien à l’extérieur des élections. Nous avons également mis de l’avant la question du salaire ouvrier, exactement comme Sawant à Seattle, c’est-à-dire que je ne percevrais pas plus que le salaire moyen d’un·e travailleur.euse. Cette idée était très populaire. Nous avons également pris l’engagement de ne pas prendre d’argent des grandes compagnies comme le font les démocrates. Malgré tout, uniquement avec de petits dons des travailleurs·euses, notre campagne a ramassé plus d’argent que toutes les autres avec 175 000$ de dons.
Nous avons gagné au premier tour, mais j’ai terminé deuxième au second tour avec 44,2%. Cette campagne a eu un important impact et plus d’un an plus tard les gens en parlent toujours. Le mouvement continue et Socialist Alternative à Minneapolis s’implique activement avec d’autres groupes dans une campagne pour le contrôle des loyers.
-
[VIDEO] Construire le CIO à travers le monde – 2018
Chaque année, lors de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière, une session de la semaine est consacrée à la construction de notre internationale à travers le monde. Les discussions qui prennent place à cette occasion sont toujours introduite par une courte vidéo qui donne un aperçu de l’activité des membres et sections du CIO dans divers endroits du globe.
-
Chine : Aggravation de la crise et résistance de masse
L’article qui suit est la retranscription de l’introduction de l’atelier de discussion consacré à la situation en Chine qui a été donnée à l’édition 2018 de l’école du Comité pour une Internationale Ouvrière. Cette introduction avait été donnée par Pasha, de Socialist Action, CIO à Hong Kong.L’année écoulée peut être décrite comme une année de grands changements en Chine – montrant l’aggravation de la crise de la dictature du parti unique et la forme particulière du capitalisme d’État chinois. Il y a eu un changement historique dans la structure du régime du “Parti communiste” (PCC) avec le couronnement de Xi Jinping comme “dirigeant à vie” en mars dernier.
Depuis le mois d’avril, nous avons assisté à une série de grèves audacieuses qui se sont répandues dans de nombreuses provinces. Dans les relations internationales, le conflit entre les États-Unis et la Chine s’est aggravé de façon dramatique. Il s’agit du plus important conflit mondial entre les deux plus grandes puissances économiques.
Le ministère chinois du commerce a décrit les droits de douane imposés par le président Trump le 6 juillet comme étant “la plus grande guerre commerciale de l’histoire économique”. Ce n’est pas encore la “plus grande jamais vue”, mais une nouvelle escalade est possible. Le conflit Etats-Unis / Chine n’est pas un phénomène passager ; c’est maintenant une réalité permanente, avec des hauts et des bas, qui définit une partie cruciale des perspectives du CIO concernant le capitalisme mondial.
Nous observons également une nouvelle phase dans le malaise économique de la Chine. La répression du régime contre les dettes et opérations bancaires parallèles (« shadow banking ») a entraîné un nouveau ralentissement économique et, une fois de plus, un retour partiel aux politiques de relance, c’est-à-dire à une augmentation de la dette. Ce changement peut devenir plus important dans les mois à venir. Le problème de la dette de la Chine est un problème pour l’ensemble du système capitaliste mondial. Aucun pays dans l’histoire n’a accumulé autant de dettes.
Eloignement de la politique de Deng Xiaoping
La réunion de mars du « Congrès national du peuple » – le pseudo parlement chinois – a été surnommée le « couronnement de Xi Jinping ». Le congrès a supprimé les limites du mandat de la présidence afin que Xi puisse gouverner à vie.
Depuis la fin des années 1970, la Chine est gouvernée par une forme de “leadership collectif”, un système mis en place par Deng Xiaoping, l’architecte du retour de la Chine au capitalisme. Le modèle de partage du pouvoir de Deng, ainsi que d’autres règles politiques, ont été conçus pour sauvegarder la “stabilité” et empêcher que les luttes de pouvoir au sein de l’État n’aillent trop loin et ne menacent l’existence de la dictature.
Depuis la crise mondiale du capitalisme de 2007-08, l’élite dirigeante du PCC a besoin d’un “homme fort”, avec un pouvoir centralisé sans précédent, pour la sauver de ses propres crises – une dette croissante et des troubles de masse qui augmentent.
En six ans, depuis son arrivée au pouvoir, Xi a mené une vaste campagne de lutte contre la corruption, qui porte en partie sur celle-ci et l’obtention du soutien du public, mais qui a surtout servi à consolider la position de Xi et à supprimer toute opposition. Mais plutôt que de surmonter les tensions au sein de l’État chinois et de l’élite dirigeante, la consolidation du pouvoir de Xi a porté les tensions à un niveau potentiellement plus élevé.
Malgré la censure massive d’Internet, les citoyens chinois ont rapidement exprimé leur cynisme et leur opposition en ligne à l’égard du couronnement de Xi par des métaphores satiriques. Les censeurs d’Internet ont dû rapidement interdire toute une liste de mots tels que “limite de deux mandats”, “amendement constitutionnel”, “je ne suis pas d’accord”, “Corée du Nord”, et même “Winnie l’ourson” (considéré comme ressemblant trop au dirigeant chinois).
Cela a mis en évidence le véritable niveau de soutien de Xi parmi les masses. Certains commentateurs ont décrit Xi comme le leader le plus fort depuis Mao, mais Mao était un dirigeant bonapartiste à la tête d’un mouvement qui a renversé le capitalisme en Chine ; le gigantesque culte de la personnalité que le régime a construit autour de Mao n’a été possible qu’en raison de son rôle dans la révolution.
Xi Jinping préside un système capitaliste d’Etat et sa véritable base de soutien parmi les masses est exagérée. Son pouvoir repose principalement sur la répression, le nationalisme, le “lavage de cerveau” massif des médias et le fait que certaines couches de la population connaissent encore des améliorations. Mais c’est de plus en plus fragile. Les fondements du règne de Xi – niveaux d’endettement sans précédent, répression accrue et nationalisme – constituent une succession de crises à venir.
Répression et conséquences
Aujourd’hui, la répression étatique est la pire depuis 1989. Le budget du gouvernement pour la sécurité intérieure était de 193 milliards de dollars l’année dernière – il a triplé depuis 2007. C’est 19 % de plus que le budget militaire de la Chine (sécurité extérieure).
Dans la région musulmane du Xinjiang, deux fois moins grande que l’Inde, la Chine a construit “l’État policier parfait”, selon le journal The Guardian. Entre 500 000 et 1 million d’Ouïghours musulmans ont été détenus dans des camps de prisonniers de type militaire – jusqu’à un sur dix de la population. Le PCC gouverne maintenant le Xinjiang par le biais d’un système ouvertement raciste de type apartheid avec des lois plus répressives pour les musulmans.
Malgré le fait que le régime ait la machine d’État répressive la plus sophistiquée au monde, la résistance de masse et les protestations s’intensifient. Depuis la fin de 2017, les masses en Chine ont participé avec audace à des manifestations en ligne à grande échelle et à des grèves des travailleurs de plusieurs provinces, ce qui représente un tournant dramatique.
En avril, les grutiers se sont mis en grève dans au moins 13 provinces pour réclamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions. Ils ont ensuite appelé à une grève à l’échelle nationale le 1er mai. Étant donné la répression et la censure de l’État, c’est un exploit en soi. Ces luttes sont organisées par le biais de groupes de discussion en ligne et de messageries instantanées.
Grèves multi-provinciales
La grève des grutiers était historique dans le sens où c’était l’action la plus impressionnante, coordonnée et audacieuse à ce jour. Auparavant, presque toutes les grèves en Chine se déroulaient dans une usine ou un district. Une grève à l’échelle nationale est un très grand changement. La lutte d’avril semblait ouvrir le chemin aux luttes nationales.
En juin, c’était au tour des camionneurs. Les camionneurs en grève dans plus de 12 provinces ont protesté contre la hausse du prix du carburant, les péages routiers coûteux, le harcèlement policier et l’exploitation accrue par une application d’embauche de type « Uber » ». L’action des camionneurs s’est déroulée dans les villes de Chongqing à l’ouest jusqu’à Shanghai à l’est. C’est similaire à la distance de Madrid à Londres. Faire cela sous la dictature la plus puissante du monde est impressionnant.
Et depuis avril, les anciens combattants de l’armée de plusieurs provinces avaient organisé des manifestations pour réclamer le paiement des pensions et des prestations de retraite. Certains anciens combattants ont été battus par des gangsters payés par les gouvernements locaux du PCC. Par le biais de liens et de réseaux au sein de l’armée, des dizaines de milliers d’anciens combattants ont été mobilisés pour manifester en solidarité à travers le pays.
La lutte des vétérans de l’armée est importante parce qu’elle sape la propagande nationaliste de Xi Jinping. Il y a 57 millions de soldats retraités en Chine. Cette question peut également avoir une incidence sur les soldats en service. Comment l’Etat peut-il défendre la “nation chinoise” s’il laisse ses anciens combattants mourir de faim et les frappe lorsqu’ils protestent ?
Plus tôt cette année, le gouvernement a mis sur pied un nouveau ministère des Anciens Combattants parce qu’il était préoccupé par les protestations des anciens combattants. Mais le fait que des protestations aient éclaté de toute façon montre les limites de l’Etat pour faire face à ces problèmes.
#Metoo en Chine
Parmi les autres mouvements importants en Chine figurent les mouvements féministes et LGBTQI+. Le mouvement #Metoo qui a balayé le monde a aussi profondément affecté la Chine. En janvier, une universitaire chinoise travaillant aux États-Unis a révélé en ligne qu’elle avait été agressée sexuellement par son professeur il y a douze ans. Son tweet est devenu viral et a reçu un énorme soutien en ligne parmi les femmes en Chine.
Cela a déclenché un mouvement en ligne, en particulier dans les écoles et les collèges. Cela a même forcé l’État à se contenter de belles paroles et à condamner la violence sexuelle. En même temps, le PCC craignait que le mouvement devienne incontrôlable et a donc rapidement interdit toute tentative d’organiser des manifestations dans les rues. Un blog féministe de premier plan a été interdit.
Les censeurs de l’État ont ensuite décidés d’interdire les sujets LGBTQI+. Weibo, la principale plateforme de blogs en Chine, a annoncé qu’elle supprimerait les “contenus illégaux”, y compris l’ « homosexualité ». Cela a déclenché un contrecoup massif. La campagne #IamGay a appelé au boycott de Weibo. Avec plus de 500 millions de partage sur le net, il s’agissait probablement du plus grand mouvement en ligne au monde. Elle a forcé l’entreprise et les autorités à renverser l’interdiction du contenu « homosexuel ».
De la récente vague de luttes, il y a plusieurs caractéristiques que nous pouvons observer. Les luttes de masse en Chine s’organisent de plus en plus malgré la répression et la censure de l’Etat, capables de se mettre en scène et de se coordonner à travers tout le pays. Les travailleurs tirent clairement les leçons du passé, ils se rendent compte que les problèmes ne peuvent être résolus localement.
La radicalisation de la conscience de masse est également une caractéristique, bien qu’elle soit inégale. Les travailleurs limitent généralement leurs revendications à l’économie et évitent de contester directement le régime du PCC, en partie pour éviter la répression de l’État et en partie à cause des illusions persistantes du PCC.
Si le régime recourt à la répression, ce qui est définitivement le cas sous Xi Jinping, ce n’est qu’une question de temps avant que les travailleurs ne tirent la conclusion que la dictature est un obstacle à tout changement réel et cela amènera leurs luttes vers une direction politique plus claire.
Ralentissement économique
L’économie chinoise est confrontée à des crises sur de multiples fronts. L’économie est en ralentissement après une courte période de légère reprise en 2017. Depuis le début de 2018, le marché boursier a perdu 2 billions de dollars américains, comparativement à 5 billions de dollars américains lors du krach boursier de 2015.
Les données économiques du 2ème trimestre devraient être beaucoup plus faibles qu’au 1er trimestre. Les chiffres du commerce de détail en mai étaient les pires depuis 15 ans. Le taux de croissance de l’investissement est le plus faible depuis 20 ans. La part de la dette dans le PIB est passée de 141 % en 2008 à 256 % l’an dernier. Ce chiffre s’élève à 304 % du PIB si l’on inclut les banques de l’ombre. En fait, le niveau d’endettement réel est beaucoup plus élevé. Cela s’explique par le fait que la plupart des dettes bancaires fictives ne sont pas enregistrées. Même le gouvernement ne connaît pas le tableau complet.
Le dernier ralentissement oblige le PCC à redémarrer la stratégie de relance économique. Pendant dix ans, nous avons vu le même zigzag dans la politique économique – de la relance au resserrement du crédit et de retour à la relance, c’est-à-dire davantage de dette. Le problème de la dette est particulièrement grave au niveau des administrations locales (les administrations locales en Chine sont les villes et les provinces, de sorte que certaines sont plus grandes que la plupart des gouvernements nationaux en Europe ou dans le monde).
Cela a été en partie à l’origine des protestations des anciens combattants de l’armée. En fait, les gouvernements locaux d’au moins 32 villes de six provinces financent maintenant leurs dépenses de sécurité sociale et de retraite avec des prêts des banques ou des banques fictives. Ce problème ne fera qu’empirer avec le vieillissement rapide de la population chinoise.Une ville de la province du Hunan n’a pas été en mesure de payer ses fonctionnaires à temps en mai. Ces arriérés de salaires – pour les fonctionnaires – étaient les premiers dans l’histoire moderne de la Chine. Nous voyons déjà la crise de la dette se transformer en crise sociale, et nous en verrons d’autres à l’avenir.
Guerre commerciale et conflit impérialiste
L’escalade de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine est un autre coup porté à l’économie chinoise déjà vulnérable. Le 6 juillet, les droits de douane imposés par l’administration Trump sur 34 milliards USD d’importations en provenance de la Chine représentaient le premier coup de feu après une longue période de menaces. Cela a depuis lors été suivi par des droits de douane sur 16 milliards USD d’importations supplémentaires et la menace de Trump d’élargir ce chiffre à 200 milliards USD de marchandises chinoises d’ici septembre.
Le régime chinois est forcé de riposter « dollar pour dollar » avec ses propres tarifs douaniers contre les marchandises américaines, mais en fait, il a offert des concessions à Trump et voulait désespérément éviter la guerre commerciale. Dans le conflit commercial plus large, il y a une « guerre de la technologie ». L’objectif principal de l’impérialisme américain et de Trump est d’arrêter « Made in China 2025 » – le plan du PCC pour devenir une superpuissance technologique.
Les sanctions du gouvernement américain qui interdisaient à la troisième plus grande entreprise d’infrastructure de télécommunications ZTE d’acheter quoi que ce soit à des entreprises américaines, ont essentiellement forcé la fermeture de l’entreprise pendant 70 jours en avril-mai. La crise du ZTE a mis en évidence la dépendance de la Chine à l’égard de l’Occident pour la technologie. ZTE obtient 90 % de ses « semi-conducteurs » auprès d’entreprises américaines.
Trump a accepté de lever l’interdiction sur ZTE, mais l’accord subséquent est toujours humiliant pour l’entreprise et l’État chinois. Ils doivent payer une amende équivalente à deux ans de bénéfices. Mais pire encore, ils ont dû licencier l’ensemble du conseil d’administration et accepter des bureaucrates américains au sein de l’entreprise. Cela ressemble un peu à ce que la troïka du FMI et de l’UE a fait à la Grèce – envoyer des bureaucrates de l’UE pour vérifier que les Grecs ne “trichaient” pas.
La situation est compliquée par le fait que même Trump a partiellement perdu le contrôle de la guerre commerciale – le Congrès américain, les républicains et les démocrates exigent maintenant des mesures encore plus sévères contre la Chine.
Dévaluation
Dans le cadre de ces représailles, la Chine a permis à sa monnaie, le yuan, de baisser face au dollar. Toutefois, il s’agit d’un mouvement dangereux, car il pourrait déclencher une fuite massive de capitaux de la Chine, comme ce qui s’est produit en 2015. Le régime devrait alors imposer davantage de contrôles des capitaux.
Mais avec plus de contrôle des capitaux, il peut dire adieu au rêve d’ « internationaliser le yuan » pour en faire une monnaie de réserve mondiale. En fait, l’internationalisation du yuan a régressé au cours des trois dernières années. Moins de pays veulent utiliser la monnaie chinoise dans les paiements internationaux. Le franc suisse et le dollar canadien ont maintenant une plus grande part mondiale que le yuan. Cela est important parce que la domination du dollar américain dans l’économie capitaliste mondiale restreint les politiques que le régime chinois peut suivre.
Les Etats-Unis et la Chine, les deux plus grandes puissances impérialistes, se disputent la domination économique et géopolitique. La confrontation entre eux a été accentuée par la crise mondiale depuis 2008.
Alors qu’une « guerre spontanée » ou un affrontement militaire direct n’est pas une perspective immédiate, les guerres commerciales et autres conflits économiques peuvent devenir un substitut à l’action militaire. Tous les accords auxquels ils parviennent dans la guerre commerciale actuelle ne peuvent être que de courte durée et fragiles. Leurs conflits peuvent frapper davantage l’économie mondiale, qui ne s’est pas remise de la grave crise d’il y a dix ans.
Le conflit taïwanais peut être relancé dans le cadre de la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Cela peut conduire à une guerre ou à une grave crise militaire à l’avenir. La crise capitaliste a aussi rapidement exposé le gouvernement DPP « pro-indépendance » de Taiwan, élu en 2016, en tant que parti capitaliste néo-libéral qui défend également une augmentation des dépenses en armements et davantage d’accords avec l’impérialisme américain, tout en imposant l’austérité aux travailleurs. Aucune des élites au pouvoir, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Chine ou de Taïwan, n’a de solution et ne fait que rendre la situation plus dangereuse.
Le projet « Belt and Road »
Xi Jinping a lancé l’initiative « Belt and Road » (BRI) en 2013 pour gagner de nouveaux marchés à l’étranger pour écouler la production excédentaire du capitalisme chinois. Il s’agissait également de se préparer aux futures guerres commerciales et construire un protectionnisme accru à l’échelle mondiale. La BRI a été ajoutée à la constitution du PCC l’année dernière – la première fois qu’une politique étrangère a été intégrée dans la constitution – pour signaler qu’il n’y aurait pas d’inversion de cette politique.
Aujourd’hui, l’Initiative intègre plus de 70 pays. Son ambition est de relier le monde sous-développé en une sphère économique dirigée par la Chine via la construction de pipelines, d’autoroutes, de ports, de chemins de fer, de réseaux électriques.
Nous décrivons le BRI comme un « impérialisme avec des caractéristiques chinoises ». Ces caractéristiques sont des prêts financés par l’État pour la construction d’infrastructures et l’exportation de certains éléments du régime autoritaire de la Chine. Il y a aussi une composante militaire avec certains projets de l’IRB – pour les ports et certains chemins de fer en particulier – principalement motivés par des considérations militaires stratégiques.
La stratégie de la Chine pour s’emparer de terres et ressources dans les petits pays moins développés est simple : elle leur accorde des prêts pour des projets d’infrastructure, obtient le contrôle des projets et, lorsque le pays n’est pas en mesure de rembourser les prêts, les entreprises chinoises et l’État deviennent propriétaires du projet.
Cependant, les aspirations impérialistes de la Chine sont déjà confrontées à des revers. Des manifestations de masse ont éclaté au Vietnam en juin contre les capitaux étrangers, principalement des entreprises chinoises. Ces sociétés ont acheté des terres au gouvernement vietnamien sur des baux de 99 ans, des arrangements qui rappellent les anciens traités du colonialisme. Le tsunami politique de l’élection malaisienne en mai a vu le nouveau gouvernement mettre au rebut le projet de train à grande vitesse Kuala Lumpur-Singapour dirigé par les Chinois.
L’investissement mondial dans l’initiative Belt and Road est aujourd’hui ralenti. Au cours des cinq premiers mois de cette année, les contrats signés par des entreprises chinoises ont diminués de six pour cent par rapport à l’année dernière. Le nombre croissant de défauts de paiement de la dette du BRI aura un impact direct sur les entreprises chinoises, qui sont lourdement endettées. Ainsi, l’initiative, lancée à l’origine par le PCC pour exporter la capacité excédentaire et alléger la dette, fait maintenant partie du problème.
La répression à Hong Kong
Les développements en Chine ont également eu des implications importantes à Hong Kong où le PCC tente de décapiter la lutte démocratique. Le gouvernement de Carrie Lam représente une nouvelle escalade de la répression.
Au cours de l’année écoulée, six législateurs de l’opposition démocratiquement élus ont été disqualifiés, plus de 40 jeunes et autres activistes ont été emprisonnés pour avoir participé à des manifestations antigouvernementales, et six candidats ont été interdits de se présenter aux élections pour des raisons de soutien à l’ « indépendance » ou à l’ « autodétermination ».
De nouvelles lois draconiennes sont introduites, y compris la loi sur l’hymne national. Toute personne à Hong Kong reconnue coupable d’ « irrespect » de l’hymne national chinois est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans.
Les principaux partis bourgeois pro-démocratie ont été en plein recul politique. Ils n’ont pas réussi à proposer une nouvelle stratégie de lutte contre le gouvernement autoritaire. Ces « pan-démocrates » ont en réalité été un frein à la lutte pour la démocratie pendant des décennies, avec des similitudes avec le rôle des dirigeants sociaux-démocrates et des dirigeants nationalistes bourgeois dans d’autres parties du monde :
- Ils ne croient pas à la lutte de masse et essaient toujours de trouver un compromis avec le régime qui, dans le cas de la Chine, n’a aucune chance d’aboutir.
- Ils craignent que les mouvements de masse, une fois qu’ils « s’échappent », deviennent incontrôlables et se radicalisent.
- Ils défendent le capitalisme et ne veulent donc pas pousser la lutte contre la dictature chinoise « trop loin », car cela mettrait aussi en danger le capitalisme.
Le CIO est le seul à réclamer un mouvement démocratique de lutte basé sur un programme socialiste, avec un parti ouvrier de masse comme noyau dur. Nous expliquons également que la démocratie, y compris l’autodétermination à Hong Kong, ne peut être gagnée qu’en s’associant aux luttes de masse en Chine ainsi qu’à l’échelle internationale et en renversant la dictature du PCC.
-
Ecole d’été du CIO. Une situation internationale explosive, le capitalisme aux abois

Rapport de la discussion sur les perspectives internationales de l’édition 2018 de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière. Par Nicolas Croes
La dernière réunion du G7 qui s’est tenue au Canada en juin dernier fut une éclatante illustration de l’actuel désordre mondial. Il n’a même pas été possible d’aboutir à un document commun ! En raison de l’état explosif de l’économie, la situation internationale est marquée par l’instabilité. Toutes les institutions et la manière de faire qui ont prévalu depuis la seconde guerre mondiale ont une autorité minée. Le processus de globalisation trébuche et les tensions inter-impérialistes entrent dans une nouvelle période de conflits et de confrontations accrues.
De cela découle une situation politique et sociale elle aussi très explosive. Tout juste avant l’ouverture de cette édition de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière, pas moins de 300.000 personnes manifestaient à Barcelone pour la libération des prisonniers politiques le 14 juillet tandis que 250.000 manifestaient la veille à Londres contre la visite de Trump au Royaume Uni.
Au cours de l’année écoulée, divers mouvements sociaux n’ont pas manqué d’impressionner. Les sections du CIO ont pu intervenir dans le mouvement de masse en Catalogne (la question nationale étant une question clé pour l’unification du mouvement des travailleurs), dans la grève féministe historique du 8 mars dans l’Etat espagnol, ou encore dans la campagne pour le référendum visant à l’abrogation de l’interdiction de l’avortement en Irlande, où nos camarades ont joué un rôle dirigeant. A Seattle, nos camarades se sont confrontés à l’homme le plus riche au monde, Jeff Bezos, avec la Taxe Amazon. Il a toutefois été impossible durant cette école d’été d’aborder tous les combats auxquels ont participé les membres du CIO à travers le monde, parfois dans des conditions très dures. De même, il a été impossible d’aborder tous les événements économiques, politiques et sociaux qui ont pris place en cette période troublée.
Le renouveau du féminisme
Durant l’année écoulée, nous avons assisté à l’entrée en action d’une nouvelle couche, essentiellement des jeunes femmes, qui a reflété une colère plus générale ressentie parmi la classe des travailleurs.
Nous assistons à l’essor d’un nouveau mouvement féministe, mais son développement n’est pas partout égal. Assez avancé en Argentine, en Irlande, au Chili et en Espagne, il n’a qu’à peine commencé ailleurs. Mais ce processus est bel et bien mondial, bien qu’ayant des caractéristiques locales propres. Dans l’Etat espagnol, le mouvement féministe était très limité il y a deux ans encore. Le thème était ignoré par la majorité de la classe ouvrière et le débat concernait principalement les espaces universitaires. Le 8 mars dernier a représenté un gigantesque saut qualitatif avec la grève générale féministe qui a impliqué 6 millions de participantes et participants.
Il est impossible de comprendre la croissance de ce mouvement sans prendre en considération son orientation de gauche. La présence de la classe ouvrière aux manifestations du 8 mars était massive. Ce mouvement, spontané et issu de la base, a également défié les partis traditionnels et les dirigeants syndicaux. Le 8 mars était devenu un moyen de combattre non seulement le sexisme mais aussi la « paix sociale » entretenue par les dirigeants syndicaux.
Une quasi insurrection parlementaire au Mexique
Le premier juillet, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) et son Mouvement de régénération nationale (MORENA) ont remporté les élections au Mexique. Il y a déjà eu par le passé 2 tentatives de le faire élire (en 2006 et 2012). Cette victoire est d’une grande importance pour toute l’Amérique latine.
Deux possibilités s’ouvrent aux masses. La première voie est une confrontation ouverte avec le capitalisme et les propriétaires terriens afin de se diriger vers le socialisme. Si cette voie est adoptée, il ne faudra pas seulement balayer les grands propriétaires et la bourgeoisie du Mexique : les Etats-Unis tenteront également de faire barrage à cette orientation. Ce combat pourrait non seulement stimuler la révolution en Amérique latine, mais aussi avoir un impact considérable aux USA. Les relations commerciales qu’entretiennent l’Union européenne et la Chine avec les USA ont beau être cruciales, le commerce avec le Canada et le Mexique représente tout de même plus que celui des USA avec l’Allemagne, la Chine et le Japon réunis.
L’autre voie, c’est celle qui a été suivie au Venezuela, où l’absence d’une rupture avec le capitalisme a produit des effets désastreux. Nous ne devons pas sombrer dans le fatalisme, il nous faut nous opposer aux sceptiques qui affirment que tout est plié d’avance. L’Amérique latine a viré jusqu’à un certain point à droite, mais c’est le résultat d’une lutte entre forces vivantes. Il ne faut pas exagérer jusqu’où les choses ont été. Le danger existe de tomber dans des régimes réactionnaires reposant sur l’armée dans certains pays. Mais rien n’est décidé d’avance. Il s’agit toutefois d’un danger possible pour peu qu’Obrador essaye de s’adapter à la bourgeoisie et renie son programme.
La magasine britannique The Economist a ouvertement fait référence à la Grèce et à Syriza à ce sujet, en suggérant que les récents événements survenus au Mexique ne devaient pas être considérés comme trop dangereux pour les capitalistes. Obrador peut s’adapter au capitalisme. Et, jusqu’à un certain point, c’est déjà en train de se produire. Mais ce serait une erreur de sous-estimer la pression que les masses vont instaurer sur lui et son gouvernement.
Les élections précédentes avaient été marquées par la fraude électorale. Cette fois-ci, la classe dominante et ses relais craignaient bien trop la réaction des masses pour le faire. Des comités de défense avaient été mis sur pied dans le pays contre les barons de la drogue et contre la fraude électorale. Nous devons nous souvenir que Chavez parlait au début de réformes très limitées, c’est l’entrée en action des masses qui l’a poussé à aller plus loin. C’est d’ailleurs ce à quoi nous avons déjà assisté dans les années ’30 au Mexique avec le régime de Cardenas. Une nouvelle vague de luttes sociales arrive et des conclusions socialistes révolutionnaires peuvent graduellement s’infiltrer dans le mouvement. Le Mexique va bientôt jouer un rôle prépondérant dans les discussions du mouvement ouvrier.
Un reflet du processus qui prend place dans toute l’Amérique latine
L’Amérique latine est aux prises avec une compétition entre la révolution et la contre-révolution. Le Brésil est plongé dans sa plus grande crise depuis 1988. Les coupes budgétaires ont été si sauvages, notamment dans les soins de santé, que des maladies qui avaient précédemment disparu sont de retour, comme la polio. Le président de droite Temer, parvenu au pouvoir après un coup d’Etat parlementaire, est parvenu à geler les dépenses publiques pour 20 ans. Une nouvelle loi fait en sorte que la discussion entre le travailleur et le patron prime sur les conventions collectives de travail, ce qui a un impact dévastateur sur les conditions de travail et les syndicats. Beaucoup de travailleurs ne survivent plus que grâce à la charité. Un nombre grandissant de familles sont expulsées de leur foyer. Les secteurs informels de l’économie sont en pleine expansion, de même que l’insécurité et la désintégration des liens sociaux. Dans une telle situation de désespoir, certaines couches de la population regardent vers l’armée pour rétablir l’ordre. Mais pour les autorités, il s’agit surtout d’un moyen d’imposer le silence à la contestation.
Des luttes sociales continuent toutefois de se développer, à l’image de la grève des camionneurs de mai dernier. Le contexte social est très fragile. Les élections à venir seront les plus incertaines depuis les premières, tenues en 1989. Temer disposait encore d’une bonne cote de popularité il y a quelques temps, mais elle s’est effondrée pour atteindre les 3% aujourd’hui. Face au discrédit des politiciens traditionnels, les capitalistes brésiliens sont désespérément à la recherche d’une figure telle que celle de Macri en Argentine ou de Macron en France.
L’état du pays illustre les conséquences de la faillite du réformisme de centre gauche. Au Venezuela et au Nicaragua, la classe ouvrière et les pauvres payent là-aussi le prix fort de l’échec du réformisme. La victoire de la droite dans divers pays n’a jamais reflété l’évolution vers la droite de la conscience des masses. Les sondages continuent ainsi d’illustrer l’opposition aux privatisations, le soutien aux interventions publiques pour aider les pauvres,… Le soutien électoral pour la droite a essentiellement représenté une manière de rejeter la politique de droite menée par la « gauche ». Il est très fragile. Depuis que Marcri est arrivé au pouvoir en Argentine, en 2015, il y a eu 3 grèves générales. Au Chili, des luttes d’ampleur ont également éclaté depuis l’arrivée au pouvoir de Piñera en 2017.
Les capitalistes n’ont rien oublié, mais ils n’ont rien appris non plus
Toute l’idée selon laquelle des économies émergentes telles que celle du Brésil allaient sauver l’économie mondiale est aujourd’hui à terre. Rien ne subsiste plus de l’idée selon laquelle le capitalisme allait sortir les masses de leur situation catastrophique. L’Inde se dirige vers une crise économique avec un gouvernement dont le soutien est totalement miné. La pauvreté est en pleine explosion. Mais, quotidiennement, des articles font état de manifestations et de grèves un peu partout dans le pays. Un sentiment anti-entreprises se développe.
En Chine aussi s’ouvre une nouvelle période, dans l’Etat le plus répressif au monde. La concentration de pouvoirs inédite entre les mains de Xi Jinping n’a rien d’une démonstration de force, il s’agit plutôt d’une démonstration de faiblesse et de la crainte de mouvements sociaux majeurs dans une situation économique en berne. En dépit d’un budget de surveillance du net équivalent au PIB du Venezuela, le régime s’est révélé incapable d’endiguer les protestations contre le bannissement des articles consacrés aux personnes LGBTQI+ sur le twitter chinois. Pas moins d’un demi-million d’utilisateurs ont défié le régime en écrivant « je suis gay ». La Chine a également récemment connu une vague de grèves interprovinciales, notamment de la part des camionneurs, dans un contexte où les syndicats sont interdits et les grèves, illégales.
Le pays est particulièrement visé par les sanctions douanières décidées par l’administration Trump. La guerre commerciale a commencé. Après de premières mesures adoptées contre l’Union européenne et le Canada, ce fut au tour de la Chine le 6 juillet, une étape qui représente une véritable escalade. Pour les USA, l’UE est un adversaire affaiblit et divisé. Il en va tout autrement pour la Chine. C’est pourquoi 50% des sanctions prévues par les USA visent la Chine. Trump a également autorisé la vente d’armes et de technologies militaires vers Taïwan : une autre provocation envers la Chine. Il est encore difficile de prévoir la dynamique exacte que prendront les événements après ce cap, mais il est certain qu’un retour à la phase « pré-6 juillet » est exclu.
Il n’est pas à exclure que la guerre commerciale devienne totale. Les conséquences que cela aurait en termes de chômage et de réaction sociale sous la forme de soulèvements de masse dans des puissances économiques majeures pourront jouer un rôle de frein.
Pour Martin Wolf, commentateur économique en chef au Financial Times, ‘‘Trump a déclaré la guerre à l’ordre mondial néolibéral pourtant créé par les USA.’’ Historiquement, toutes les forces dominantes ont poussé au libre-échange. L’inclinaison protectionniste de Trump et de la classe dirigeante américaine est une expression du déclin de l’impérialisme américain qui est encore, et de loin, l’impérialisme le plus fort. Le monde multipolaire actuel signifie toutefois qu’une seule puissance ne peut plus tout simplement dicter sa volonté aux autres.
Les premiers tirs de la guerre commerciale et l’introduction de toutes sortes de taxes protectionnistes menacent la situation économique actuelle, mais d’autres dangers existent encore. Afin de différer la crise économique, diverses politiques ont permis d’atteindre un niveau record de dettes équivalent à 240% du PIB mondial ! C’est impossible à tenir éternellement. La situation économique et financière de l’Italie est une autre bombe à retardement, de même que celle de l’Argentine (troisième économie d’Amérique latine), qui s’est vue forcée de se tourner à nouveau vers le FMI pour éviter la banqueroute.
Il est vrai qu’une certaine reprise économique a eu lieu aux USA, mais elle a essentiellement donné naissance à des emplois précaires. 600.000 emplois de ce type ont été créés durant le deuxième trimestre 2018. La reprise en cours est l’une des plus faibles de l’histoire, la crise chronique du capitalisme est loin d’être terminée.
Il est d’ailleurs frappant de remarquer que la bourgeoisie elle-même se plaint que la reprise ne se retrouve pas dans les chiffres de productivité. Le capitalisme n’est pas capable de digérer toute la productivité dont les travailleurs sont capables. Le surplus produit par les travailleurs n’est pas investi dans l’économie. Tout système économique est lié à la force de travail et la manière dont elle est organisée. Le soi-disant capitalisme moderne a l’air d’un capitalisme malade. Au lieu d’investir dans la production, il n’est question que de rachats d’actions pour en pousser la valeur vers le haut. Les profits sont maintenus dans des paradis fiscaux au lieu d’être investis dans l’économie réelle. La classe capitaliste refuse de développer les forces productives. Son rôle historique est derrière elle.
Les capitalistes ne comprennent pas eux-mêmes le fonctionnement de leur système. Les contrôles limités institués sur les banques au début de la crise sont retirés. Dix ans après le crash de 2007-08, le capitalisme est tel un volcan endormi capable d’exploser à tout moment. A l’époque, le Comité pour une Internationale Ouvrière avait prédit qu’un crash économique était en gestation sur base des dettes, mais qu’il était impossible de dire avec précision quand il surviendrait. Aujourd’hui, la Banque des règlements internationaux (la plus ancienne organisation financière internationale surnommée la « banque centrale des banques centrales ») est parvenue à la même conclusion que nous : un nouveau tremblement de terre économique menace. Certains observateurs capitalistes ont déclaré qu’ils avaient de la chance que le stalinisme se soit effondré avant leur propre système.
Nouveaux conflits et crise des réfugiés
Le monde devient de plus en plus petit pour un montant de capital à la recherche d’investissements de plus en plus grands. La réduction du gâteau signifie une lutte plus féroce pour en avoir des parts. La confrontation est de plus en plus ouverte entre capitalistes, ce qui est source de destructions d’anciennes alliance et de création de nouvelles. Mais il n’est pas uniquement question de conflits entre puissances impérialistes, il s’agit aussi du rapport de force entre les classes. Un conflit militaire ouvert est actuellement impossible entre les grandes puissances impérialistes, à cause de la force du mouvement ouvrier mais aussi en raison de la menace nucléaire. Mais s’il n’est pas encore question de grande conflagration, l’accroissement des guerres régionales et des guerres par procuration est réel.
En 2017, les dépenses militaires ont représenté 1700 milliards de dollars à travers le monde. Rien que dans les pays de l’OTAN, l’augmentation globale est de 5%. Cette somme équivaut à dix fois ce qui serait nécessaire pour éradiquer la pauvreté sur terre. Ce n’est bien entendu qu’une indication, ce n’est pas seulement en investissant cette somme que l’on en finira avec la pauvreté. Il faut un changement de système.
Les forces impérialistes sont impliquées dans l’alimentation de foyers de conflits dans diverses parties du monde, dont les répercussions vont bien au-delà, comme l’illustre la crise des réfugiés. Aux USA et en Europe, la droite est à l’offensive sur cette question, en reprenant la logique des mesures des gouvernements précédents mais de façon plus brutale. Pour les forces politiques traditionnelles, le débat semble se limiter au point jusqu’auquel on peut déshumaniser le sujet.
Comment imaginer une solution de la part du régime capitaliste ? Les différentes puissances sont en compétition, ce qui explique le silence sur la politique génocidaire en Birmanie. Si les puissances occidentales avaient haussé le ton, cela aurait ouvert la voie au renforcement de la présence chinoise.
Les gouvernements utilisent l’épouvantail du terrorisme comme un moyen de justifier les guerres et pour justifier leur approche des réfugiés. La conscience sociale déteste le vide, comme le disait Trotsky. La position défensive du mouvement ouvrier et l’offensive néolibérale a ses conséquences sur la conscience. Les conséquences pratiques de l’austérité ont aussi un effet. Cela offre un espace aux populistes de droite, qui occupent ainsi le vide politique. Il est normal dans ce contexte que le niveau de conscience soit contrasté en relation au thème des réfugiés. Nous devons patiemment expliquer le fonctionnement du capitalisme et pourquoi l’unité du mouvement ouvrier est cruciale pour le renverser. Ce ne sont pas les réfugiés qui sont responsables des guerres et du pillage néocolonial, ni de la pénurie d’emplois ou de services publics.
Le poids du recul idéologique consécutif à la chute du stalinisme
Trump est né de la crise du capitalisme. De telles figures démentes peuvent bénéficier d’un certain écho en reposant sur l’aliénation des masses dans une situation où la gauche et les libéraux se montrent incapables d’offrir une issue. Certaines couches de la population espéraient une victoire de Bernie Sanders aux primaires démocrates avant de se tourner vers Trump par dépit. Si les élections présidentielles avaient vu Sanders et Trump s’affronter, tous les sondages mettent en avant que Sanders l’aurait emporté.
La chute du stalinisme a liquidé l’économie planifiée, mais a aussi eu un impact négatif sur la conscience des masses. La contre-révolution est un énorme frein sur l’histoire. Il n’a pas été tellement question de destruction des organisations du mouvement ouvrier, plutôt de grand recul de conscience. Imaginons quel aurait été la situation si le crash de 2007-08 avait pris place dans une situation où le mouvement ouvrier n’avait pas connu le recul idéologique consécutif à la chute du stalinisme ! Les événements auraient pris une toute autre tournure.
Ceux qui sont passés à travers les événements révolutionnaires des années ’60 peuvent envisager combien la vague révolutionnaire aurait été énorme si la crise économique de 2007-08 avait eu lieu à l’époque. Nous serions maintenant en train de discuter de la stratégie pour se diriger vers le socialisme avec des organisations de masse du mouvement ouvrier. Les débats politiques porteraient sur toutes sortes de centrisme (c.à.d. un réformisme qui adopte des éléments de rhétorique révolutionnaire), du rôle de partis révolutionnaires de masse,… Cela donne l’idée de la période dans laquelle nous allons entrer, lorsque le nœud de l’histoire sera renoué.
Les masses en action, même dans les situations les plus cauchemardesques
Aujourd’hui, le Comité pour une Internationale Ouvrière se trouve bien seul à défendre le socialisme et à expliquer ce que cela signifie. C’est une véritable catastrophe pour la classe ouvrière. Dans le monde néocolonial, les masses n’ont jamais échappé à la pauvreté alors que des couches larges du mouvement ouvrier sont rejetées dans la barbarie aux USA, en Europe du Sud et même au Royaume Uni. Aux USA et au Royaume Uni, l’espérance de vie a stagné, elle est maintenant en train de reculer. Des commentateurs économiques affirment que le Royaume Uni connait la plus grande chute de niveau de vie depuis 200 ans ! Certains endroits des USA sont devenus des déserts économiques au point de dépasser la situation connue après la grande dépression des années ’30.
On ne peut même pas imaginer quel sort attend les masses en Afrique et ailleurs. Le Moyen-Orient est confronté à une guerre permanente. Alors que l’on s’approche petit à petit de l’épuisement de la guerre en Syrie, d’autres conflits émergent. Les horreurs se poursuivent à Gaza.
Mais les masses ne vont pas indéfiniment accepter de subir cette horreur. Le processus de révolution et de contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de 2011 est déjà derrière nous depuis un moment. Mais les masses relèvent la tête, comme l’a illustré la grève générale qui a eu lieu en Jordanie. Cette dernière a dépassé l’ampleur des mouvements de 2011 dans ce pays, en raison de l’augmentation du prix des denrées de base. En Iran, à la suite des mobilisations de masse de ce début d’année, les grèves et les manifestations se poursuivent. Les Iraniennes défient la censure médiévale, rejettent publiquement leur voile et affrontent la répression. Le régime ne parvient pas à faire taire la population. Les masses perdent progressivement leur peur, ce qui constitue une des conditions pour une révolution. Mais si la classe ouvrière se montre incapable de diriger le processus, ce sont des couches petites-bourgeoises qui peuvent se retrouver à sa tête et faire dévier le mouvement.
L’offensive contre les droits syndicaux est une tendance internationale (y compris dans les pays européens et aux Etats-Unis). Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas parce que les organisations syndicales sont en perte de vitesse, mais au contraire par ce que leur poids fait craindre le pire à la classe dirigeante.
Les nouvelles forces de gauche
En Afrique du Sud, Jacob Zuma a finalement été destitué cette année pour être remplacé par Cyril Ramaphosa à la tête du pays, lui aussi membre de l’ANC (Congrès national africain). Il ne lui a pas fallu longtemps pour défendre diverses lois antisyndicales et anti-grèves face à la colère grandissante de la classe ouvrière et à sa volonté de partir en action. Il souhaite notamment déclarer les grèves illégales si elles « mettent en danger l’économie du pays ». Deux mois à peine après son entrée en fonction, les syndicats organisés dans la nouvelle fédération syndicale SAFTU, qui regroupe plusieurs syndicats séparés de la centrale syndicale pro-gouvernement COSATU dont la puissante Union Nationale des Travailleurs de la Métallurgie (NUMSA). Cette nouvelle fédération syndicale défend aussi la nécessité de créer un nouveau parti des travailleurs.
Cette question est des plus cruciales à travers le globe. Aux Etats-Unis, le potentiel pour une nouvelle formation de gauche a été illustré à de nombres reprises, comme avec la campagne de Sanders. Depuis lors, d’autres événements importants sont survenus, les plus fondamentaux concernant l’entrée en action du mouvement ouvrier, chez UPS ou parmi les enseignants par exemple, où le rôle de la base a été déterminant. Dans le syndicat des Teamsters, pas moins de 18 des conventions de camionneurs proposées par la direction syndicale ont été rejetées par la base car jugées insuffisantes. Les syndicats connaissent un afflux d’affiliations, dont 75% de nouveaux membres ayant moins de 35 ans. Nous assistons à la renaissance du mouvement ouvrier dans le pays USA.
La question d’un nouveau parti des travailleurs fait partie intégrante de ce processus. Toutes sortes de routes peuvent être prises dans cette direction, en particulier dans un pays aussi grand. Les approches varieront en fonction des villes et des Etats, sous l’impulsion des événements économiques mais aussi en fonction des luttes qui peuvent prendre place dans d’autres continents. Il nous faudra combattre les illusions qui reposent sur une refondation du parti démocrate, une étape inévitable dans le processus de développement du mouvement aux USA.
Une des caractéristiques des nouvelles forces de gauche autour de Mélenchon, de Corbyn, de Podemos,… est qu’il s’agit plus de réseaux que de partis réellement structurés qui permettent une intervention organisée. Une grande prudence doit être de mise au sujet des tactiques à utiliser pour orienter le débat sur le programme et les méthodes, sans se retrouver piégé au sein de ces formations et en poursuivant notre travail indépendant, particulièrement à destination de la jeunesse.
Le socialisme, une nécessité plus cruciale que jamais
C’est une période de grandes turbulences qui se trouve devant nous. L’ancien monde impérialiste est à l’agonie, de façon très sanglante. De nouvelles forces du mouvement ouvrier sont en train de naitre. Le Comité pour une Internationale Ouvrière ne dispose pas encore de forces à la hauteur des défis posés par cette situation nouvelle. Mais dans une telle ère de troubles et d’insurrections à venir, d’énormes possibilités se présenteront pour des percées de sections du CIO.
Disposer de perspectives correctes et d’une analyse solide de la situation, de ses contradictions et des développements à venir les plus probables, nous pouvons intervenir dans les mouvements et passer à travers des périodes plus troubles. Même avec des forces limitées, nous pouvons faire une différence grâce à notre programme, notre approche stratégique, nos tactiques et nos méthodes qui reposent sur une confiance absolue envers les capacités du géant qu’est le mouvement ouvrier.
La véritable histoire du trotskysme est devant nous et est encore à écrire. Le capitalisme pourri lui-même prépare la renaissance des idées du socialisme à une échelle de masse.
-
L’Europe en crise : tensions, division et instabilité

L’establishment européen est aux prises avec de grandes difficultés. En dépit d’une période de reprise économique limitée, l’instabilité politique continue de croître et à cela s’ajoute la possibilité d’une nouvelle récession qui pourrait complètement saper des équilibres déjà bien fragiles. Lors de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge) qui s’est tenue la semaine dernière à Barcelone, une discussion approfondie a abordé les perspectives de l’Europe, dont voici quelques éléments ci-dessous.
Rapport de Geert Cool
D’une crise économique à une crise politique
Dix ans après la récession de 2007-2008, ses causes ne sont toujours présentes. Cela ouvre la voie à de nouveaux séismes dans l’économie. Alors même que a plupart des pays européens connaissent une croissance limitée, les répercussions politiques de la récession économique prennent de l’ampleur. Même le pays le plus fort de l’Union européenne, l’Allemagne, n’a pas pu échapper à une crise politique avec la formation difficile d’un nouveau gouvernement Merkel. Ceci a été rapidement suivi par la menace d’une crise gouvernementale autour de la question migratoire.
L’Union européenne a été créée dans le but de disposer d’une plus grande stabilité ainsi que pour rapprocher les différents pays européens face à l’impérialisme américain ainsi que comme bloc face à l’Est. Aujourd’hui, cette stabilité n’existe plus et l’UE ne fait qu’accroître la division en Europe. L’UE ne peut pas donner le ton dans la guerre commerciale qui se développe. Le processus décisionnel stagne et l’establishment n’est plus en mesure de proposer quelque chose qui ressemble à un projet. Les propositions de Macron concernant le budget européen ont provoqué de la résistance, y compris chez Merkel, en partie à cause des craintes de tensions au sein même de sa propre coalition et de la pression de l’AfD populiste en Allemagne. L’UE n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui !
L’instabilité politique s’est accrue dans presque tous les pays européens, avec un nombre record de gouvernements minoritaires et une fragmentation politique sans précédent. Cela se reflétera encore dans les élections européennes de mai 2019. Outre la fragmentation et la création de nouveaux groupes. Macron tente par exemple de construire un groupe pro-européen, Mélenchon est en faveur d’un bloc de gauche sans Syriza (qui applique une politique d’austérité en Grèce) et l’extrême droite tente aussi de constituer de nouveaux groupes. Ces élections peuvent aussi être caractérisées par une très faible participation dans différents pays. La confiance dans toutes les institutions est en berne, y compris dans l’UE et les partis traditionnels.
Le tremblement de terre italien
Les élections italiennes de mars dernier ont mis en évidence les difficultés rencontrées par l’establishment en termes de représentation politique. Pour la deuxième fois en 25 ans, les instruments politiques traditionnels de la bourgeoisie ont été rayés de la carte. Plus de la moitié des électeurs ont soutenu la Lega et le Mouvement Cinq Etoiles, qui se présentent toutes deux comme des formations anti-establishment. Ce soutien résulte du rejet des partis traditionnels après des décennies d’attaques contre les conditions de vie des travailleurs et de la frustration croissante.
Salvini de la Léga répond à ce mécontentement en le liant à la question de la migration. Il suggère que les nombreux problèmes auxquels la population est confrontée sont dus à l’arrivée de réfugiés plutôt qu’à l’avidité des capitalistes, dont la soif de bénéfices et de dividendes implique de s’en prendre aux conditions de vie des travailleurs et de leurs familles. Parallèlement, l’extrême droite et les populistes tels que ceux du Mouvement Cinq Etoiles tentent de se présenter comme des opposants à l’austérité. Des mesures sociales ont été promises, mais leur introduction a immédiatement été mise en veilleuse une fois au pouvoir.
Le soutien dont disposent des forces telles que la Lega et le Mouvement Cinq Etoiles ne provient pas uniquement du rejet des partis établis, il découle également de l’absence d’une alternative sérieuse de gauche. Le virage à droite et la bourgeoisification de la social-démocratie ont causé de sérieux problèmes à cette dernière sur presque tout le continent, et les forces de gauche n’ont pas encore fait leurs preuves ou ne sont pas encore suffisamment conséquentes pour être considérées comme des alternatives sérieuses. Cela a permis à la Léga et au Mouvement Cinq Etoiles de se présenter comme des forces de changement.
C’est aussi, soit dit en passant, sur cette base que certains politiciens bien établis ont pu remonter dans les sondages et remporter des élections. Macron en France ou Kurz en Autriche se sont présentés comme de nouveaux visages qui apporteraient de réels changements. L’effondrement rapide du soutien pour Macron – qui est déjà en concurrence avec Hollande en termes d’impopularité – est une réponse aux promesses de changement non-tenues ainsi qu’à ses mesures néolibérales particulièrement impopulaires. La France a connu d’importantes grèves et manifestations de masse ces derniers mois. En Autriche aussi, une première grande manifestation a eu lieu contre le gouvernement formé par les conservateurs (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ), principalement suite contre la mesure visant à porter la durée maximale de travail à 12 heures par jour.
La seule façon pour les forces populistes et d’extrême droite de ne pas être immédiatement sanctionnées pour ne pas avoir rompu avec la politique d’austérité est de jouer la carte du racisme et de la migration. Des boucs émissaires sont recherchés et cela a un impact sur la population, principalement en raison de l’absence d’une réponse collective suffisamment forte de la part des syndicats et de la gauche. Cette situation, combinée à l’impact réel de la baisse des conditions de niveau de vie pour de larges couches de la population, créée des ouvertures pour les préjugés racistes.
Le nouveau gouvernement italien est très instable et ne peut tenir ses promesses. Mais son existence donne confiance à l’extrême droite et les faits de violence raciste augmentent. Les socialistes révolutionnaires doivent défendre les couches les plus faibles de la société dans le cadre d’une lutte commune de toute la classe des travailleurs contre la politique d’austérité et contre la division encouragée pour nous affaiblir.
Il semble que le gouvernement italien essaiera de placer son action dans les limites permises par l’UE, même si cela signifie de reporter ses promesses électorales. Avec la dette publique la plus élevée de l’UE et la troisième plus élevée au monde, la marge de manoeuvre est très limitée. C’est déjà le cas dans une période de reprise limitée, que cela pourra-t-il donner en cas de nouvelle récession ? L’économie italienne est dix fois plus importante que celle de Grèce. Le départ de l’Italie de la zone euro et de l’UE est encore moins évident à gérer que dans le cas de la Grèce. L’UE va donc faire tout ce qui est en son pouvoir pour garder l’Italie à bord et pour établir une relation de travail avec le gouvernement italien. La seule question est de savoir si cela sera possible, surtout dans l’éventualité d’un nouveau ralentissement économique.
De crise en crise
La récession précédente n’a été “résolue” que par des mesures de relance massives et la croissance limitée de ces dernières années s’appuie fortement sur celles-ci. Cela conduit à une forte augmentation du niveau d’endettement, qui est encore gérable pour l’instant en raison d’un taux d’intérêt bas. Mais cela signifie aussi que le matelas disponible pour absorber un prochain choc économique est beaucoup plus limité. Cela aura inévitablement des conséquences politiques. Un ancien dirigeant du FMI a ainsi publiquement déclaré qu’une autre crise pourrait être fatale pour l’UE.
La croissance économique en Europe ralentit actuellement et plusieurs facteurs pourraient encore aggraver ce ralentissement. Il y a les conséquences des droits de douane à l’importation et du protectionnisme lancé par Trump, il y a le déclin de l’assouplissement quantitatif, les conséquences du Brexit, etc. Le ministre français des finances a expliqué que le status quo n’est plus possible et qu’il faut faire quelque chose pour absorber de nouveaux chocs économiques. Sans toutefois proposer quoi que ce soit à cet effet.
La lutte collective et sa traduction politique
Les conséquences de la politique d’austérité conduisent non seulement à l’affaiblissement des parti établis, mais aussi à des conflits. En France, les deux partis traditionnels ont été durement frappés lors des dernières élections et, dans le cas du PS, c’était un véritable uppercut. Macron et son parti La République En Marche l’ont remplacé. Cependant, il est déjà clair pour une grande partie de la population française que Macron est le président des riches. Il mène une politique à la Thatcher et se rend compte que c’est une course contre la montre pour mettre en œuvre le plus grand nombre possible de mesures.
Il s’agit notamment de renforcer les moyens répressifs pour réduire la contestation au silence, mais aussi de privatisations et d’autres attaques contre les travailleurs. Cela entraîne des conflits sociaux et des actions, à l’image de la longue grève des chemins de fer français et les diverses manifestations contre l’austérité. Mélenchon est considéré comme la figure la plus importante de l’opposition à Macron. La France Insoumise, bien sûr, a des limites, mais il prend des initiatives pour unir et renforcer l’opposition à la politique de Macron dans la rue.
Ces derniers mois, le centre de gravité des luttes collectives et des mouvements de protestation en Europe a peut-être été l’Espagne. Il n’y a pas seulement eu l’impressionnante grève féministe du 8 mars, à laquelle six millions de femmes et d’hommes ont pris part, ou les manifestations contre les peines très légères infligées aux violeurs de “La Meute”, il y a aussi eu des actions majeures de la part des retraités, entre autres. Il y a bien entendu également eu le mouvement phénoménal en Catalogne, dont il est question plus en détail plus loin dans ce rapport. On estime que 10 millions de personnes ont participé à des manifestations l’année dernière dans l’Etat espagnol, soit un adulte sur quatre ! L’establishment a dû en tenir compte : le gouvernement du PP s’est heurté à une motion de défiance qui a pu être remportée grâce aux pressions exercées sur les petits partenaires, comme les nationalistes basques. Cela ouvre la perspective d’un gouvernement social-démocrate du PSOE soutenu par la gauche radicale (Podemos et IU), suivant le modèle du gouvernement portugais.
D’importants mouvements sociaux ont également eu lieu ailleurs. En Irlande, il y a eu la campagne en faveur de l’avortement et son remarquable résultat, deux tiers des participants se prononçant en faveur de la levée de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. Les jeunes ont pris les devants : 90 % des jeunes femmes sont allées voter, le nombre de jeunes femmes inscrites pour pouvoir voter a augmenté de 94 % par rapport aux dernières élections législatives irlandaises. Cela a été remarqué chez les personnes âgées, beaucoup d’entre elles prenant position en faveur de la levée de l’interdiction de l’avortement parce que c’est ce que la jeunesse désirait et qu’il s’agit de son avenir.
Dans divers exemples de mouvements et de luttes, il est frappant de constater que la direction syndicale ne joue pas un rôle fondamental et n’est parfois même pas présente du tout. Là où les dirigeants syndicaux organisent la résistance, c’est souvent avec un manque de stratégie quant à la manière de construire le mouvement et certainement quant à la perspective d’une alternative politique contre les partis de l’austérité.
Les nouvelles forces de gauche
Non seulement les populistes de droite et l’extrême droite sont à la hausse, mais de nouvelles forces de gauche sont également à la hausse. Il ne s’agit souvent pas de véritables partis, mais plutôt de réseaux sans véritable structuration organisés via Internet (comme Podemos ou la France Insoumise, dans une certaine mesure). La question est de savoir si ces nouvelles forces de gauche pourront se développer de manière stable. Elles ne disposent pas d’un moyen évident pour impliquer une large base active dans la prise de décision et la mobilisation. Leur croissance électorale conduit à l’espoir de rompre avec la politique d’austérité dans la pratique également. Cela exige un programme et une perspective appropriés pour faire face au capitalisme. Le réformisme de gauche ne suffit pas, comme le montre douloureusement l’exemple grec de Syriza.
Dans une situation complexe, il existe de nombreux obstacles et questions difficiles pour ces forces de gauche, comme le thème de la migration ou celui de la question nationale. L’espoir de changement fait pression sur la formation de coalitions avec les partis établis, y compris la social-démocratie, pour stopper l’austérité. Il est logique qu’une voie facile soit d’abord recherchée, mais cela n’enlève rien au fait que la confrontation avec le capitalisme doit être envisagée et préparée. Cela signifie de placer sa confiance dans la capacité de la classe ouvrière à s’organiser et à se battre. Le changement est forcé par une lutte de masse et non par des manœuvres parlementaires. Mais la pression pour un changement rapide doit être prise en compte. En ce sens, il était juste que le Bloc de gauche portugais et le Parti communiste portugais tolèrent un gouvernement minoritaire de la social-démocratie (un modèle maintenant également suivi en Espagne), mais cela doit s’accompagner d’une position indépendante visant à mobiliser et à impliquer des couches plus larges. Sinon, la gauche radicale risque de perdre ses plumes au profit de la social-démocratie. C’était déjà le cas lors des dernières élections locales au Portugal et c’est également possible en Espagne.
Beaucoup d’espoir se concentrent sur Corbyn au Royaume Uni. Les élections locales de mai ont toutefois constitué un sérieux avertissement : le soutien aux travaillistes n’a pas été aussi fort que prévu, en partie parce que le parti poursuit une politique d’austérité au niveau local. De plus, Corbyn semble reculer rapidement dans chaque attaque, y compris dans la campagne qui vise à l’accuser d’antisémitisme en assimilant toute critique du régime réactionnaire israélien à l’antisémitisme. Les Tories de Theresa May sont particulièrement divisés autour, entre autres, du Brexit, ce qui permettrait de renverser ce gouvernement profondément affaiblit. De nouvelles élections législatives seraient l’occasion de revenir à une mobilisation plus large en faveur d’un programme offensif contre la politique antisociale. Un mouvement de masse pourrait pousser un gouvernement Corbyn plus à gauche que ce que les partisans de Corbyn ont l’intention de faire. Cependant, sans approche offensive, il est possible que le gouvernement reste en place et que le feuilleton du Brexit dure longtemps et soit confus. Cette humiliation du capitalisme britannique est l’expression de la position plus faible de l’impérialisme britannique et de ses dirigeants politiques.
L’Europe de l’Est
Dans les Balkans, ainsi qu’en Europe centrale et orientale, il existe des processus très contradictoires. En Pologne, par exemple, le parti au pouvoir, le PIS, poursuit une politique de répression autoritaire (avec notamment un contrôle accru du pouvoir judiciaire, la possibilité renforcée de réprimer la contestation, etc.) associée à un nationalisme fort (en Roumanie, c’est aussi le cas : la propagande anti-roumaine a été rendue punissable par le gouvernement social-démocrate). Dans le même temps, cependant, des mesures sociales ont été adoptées : des allocations familiales à partir du deuxième enfant (de 120 euros par mois), une réduction de l’âge de la retraite, une augmentation du salaire minimum, etc. (Concernant la situation en Pologne, nous publierons une interview plus tard). Nous assistons à des choses similaires dans d’autres pays d’Europe de l’Est.
La croissance économique limitée et les tentatives des capitalistes locaux de s’approprier une plus grande part de l’économie conduisent à cette politique. Les gouvernements ne défendent pas les intérêts de la population ordinaire, mais ceux des capitalistes locaux. La rhétorique nationaliste et les éléments autoritaires conduisent à une croissance de l’extrême droite, y compris pour les groupes violents. C’est un danger pour tout le mouvement ouvrier. Dans le même temps, cependant, il y a des exemples de luttes, et même des mouvements sociaux assez importants, comme pour le droit à l’avortement ou pour des salaires plus élevés en Pologne, ou encore contre la corruption en Roumanie. La gauche peut s’appuyer sur ces points concrets.
La migration et le mouvement ouvrier
Le mouvement ouvrier et les nouvelles forces de gauche se heurtent à diverses complications. La migration est sans aucun doute l’une des plus importantes. Bien que le nombre de réfugiés ait fortement diminué depuis 2015, la migration a été utilisée pour mener une politique de bouc émissaire. Le Premier ministre Kurz a annoncé que ce serait le thème central de la présidence autrichienne de l’UE. En Allemagne, le gouvernement est sous la pression des populistes de droite de l’AfD.
Tous les partis établis s’entendent sur le projet de l’Europe-Forteresse, mais ils ne s’entendent pas sur les quotas et la répartition des réfugiés. La répression s’intensifie : l’Italie refuse l’entrée aux bateaux de réfugiés, la Hongrie érige en infraction pénale le fait d’aider les réfugiés (même pour les avocats), l’Autriche a annoncé une surveillance plus stricte de sa frontière avec l’Allemagne, Macron critique Salvini mais augmente la surveillance aux frontières françaises.
Des couches larges de la population sont favorables à l’adoption de législations plus strictes. Ce n’est pas tant sur base du racisme, même s’il existe, mais sur base des craintes ressenties au sujet de ce que le tissu social est capable de supporter dans la société. Cette peur ne peut être surmontée que par une lutte cohérente et collective de la part du mouvement ouvrier contre la politique d’austérité qui mine ce tissu social. Une attitude défensive qui épouse la logique de l’establishment capitaliste ne répond pas aux raisons pour lesquelles les gens fuient et constitue un obstacle à une lutte commune contre les causes des déficits sociaux. Sur une base capitaliste, il n’y a pas de solution à apporter à la question de la migration. Tant que ce système vivra, la situation pourrait même empirer. La question du changement social et d’une société socialiste doit être soulevée. C’est la seule façon de créer un monde où chacun pourra vivre et voyager comme il l’entend, sans risque de pauvreté, de persécution ou de guerre.
Le mouvement ouvrier et la question nationale
Un système en crise rend toutes les contradictions existantes plus prononcées. La question nationale en fait partie. Lors de l’école d’été du CIO, de nombreux exemples en ont été donnés : le mouvement en Catalogne, la situation en Irlande du Nord, l’appel à un deuxième référendum sur l’indépendance en Écosse, le débat sur le nom de Macédoine, la division à Chypre, etc. Plusieurs orateurs ont souligné que les marxistes sont en faveur du droit à l’autodétermination, mais que cela est directement lié à la nécessité d’un programme socialiste.
Nous devons nous montrer flexibles dans notre tactique, mais déterminés dans notre programme. Des situations différentes exigent des approches différentes et une évaluation constante. Bien sûr, nous avons soutenu le droit du peuple catalan à un référendum sur l’indépendance contre la répression du gouvernement à Madrid. Cependant, un référendum en Irlande du Nord sur la frontière nord-sud dans le contexte du Brexit serait une toute autre affaire : cela ne ferait que renforcer dangereusement les divisions sectaires avec la possibilité d’un retour à la violence. Autour de la discussion sur le nom de Macédoine, nous avons défendu l’idée qu’il serait préférable d’adopter un nom tel que Macédoine du Nord pour la région de l’ancienne République yougoslave de Macédoine qui représente 38% du territoire total de l’ancienne Macédoine (52% se trouve en Grèce et 10% en Bulgarie).
Malheureusement, il y a de la confusion parmi beaucoup de gens à gauche au sujet de la question nationale. Parfois, le besoin d’unité des travailleurs est invoqué pour nier le droit à l’autodétermination, alors que la reconnaissance de ce droit à l’autodétermination est précisément une condition préalable pour obtenir cette unité dans le respect de l’individualité de chacun et sur une base d’égalité. Les erreurs commises par Podemos et Izquierda Unida autour du mouvement catalan, en mettant l’opposition de masse en Catalogne sur un pied d’égalité avec la répression franquiste du gouvernement PP, sont en train de les exclure du mouvement. L’échec des travaillistes à soutenir le référendum sur l’indépendance en Écosse a conduit le parti à obtenir un score inférieur à celui des Conservateurs en Écosse, malgré la reprise limitée due à l’effet Corbyn.
Lénine a fait remarquer un jour que ceux qui ne reconnaissent pas les droits des minorités et l’oppression nationale ne sont pas marxistes et ne sont même pas démocrates. La question nationale est un test important pour le programme et la méthode de toutes les organisations de gauche. Sans la reconnaissance du droit à l’autodétermination, les bolchéviks n’auraient pas pu réaliser la Révolution d’Octobre 1917. La question nationale gagnera en importance en période de crise du capitalisme. Elle peut constituer un levier dans la lutte contre l’austérité, l’oppression et le capitalisme.
Construire l’alternative socialiste
Dès 1938, dans le “Programme de transition”, Léon Trotski écrivait que la crise de l’humanité peut se résumer à la crise de la direction du mouvement ouvrier. Les nouvelles forces de gauche n’existent pas encore en tant qu’alternative, ce qui laisse de l’espace à de nombreuses forces pour marquer des points électoralement. Dans le même temps, cependant, nous devons reconnaître la position politique affaiblie de la bourgeoisie : nulle part il n’y a de gouvernement stable et cela avant cela que les forces de gauche ne représentent un défi important.
Le rapport de force de la classe ouvrière est potentiellement bien meilleur qu’il n’y paraît à première vue. Avec de puissants partis des travailleurs, la situation pourrait être très différente et changerait énormément la conscience des masses. Il existe un fossé entre la maturité de la situation objective et l’immaturité des organisations de travailleurs. C’était déjà un thème du “Programme de transition” en 1938, mais cela est beaucoup plus prononcé aujourd’hui. Nous devons être proactifs dans la présentation de nos réponses et permettre aux nouvelles générations, qui commencent à entrer en lutte comme avec le référendum irlandais sur l’avortement, de prendre en compte les idées du socialisme.
-
Liverpool 1983-87: ‘‘Nous avons traduit le socialisme dans la langue des emplois, des logements et des services’’

Manifestation en soutien au conseil municipal de Liverpool. Entre 1983 et 1987, la ville de Liverpool a été gouvernée par les travaillistes, sous une direction de gauche. En 1983, 47% des électeurs ont voté pour le Labour et 57% en 1987. Liverpool est un exemple vivant de ce qui est permis par la lutte de classe dès lors qu’elle est sérieusement menée. A cette époque déjà, les autorités locales étouffaient dans une camisole de force budgétaire imposée par les autorités supérieures, économies budgétaires et privatisations à la clé. Le néolibéralisme avant l’heure.
Par Bart Vandersteene
A Liverpool, les choses étaient différentes. Le programme, la stratégie et les tactiques qui ont prévalu au cours de la lutte avaient été largement déterminées par la position du groupe Militant au conseil municipal et plus généralement à l’intérieur du labour, dont il constituait l’aile marxiste. Militant était le précurseur du Socialist Party, notre parti-frère. Le conseil municipal a refusé les économies exigées par le gouvernement. Ces élus tenaient leurs promesses électorales.
Les 2.000 licenciements de personnel municipal de l’ancienne administration libérale ont été annulés. Un plan ambitieux a été élaboré pour construire 5.000 logements sociaux en quatre ans. Plus de logements sociaux ont été construits à Liverpool à cette époque que dans toutes les autres municipalités du pays réunies. Il y a eu six nouvelles crèches, cinq nouveaux centres sportifs et 17 nouvelles écoles primaires. Cela a créé 12.000 emplois dans le secteur de la construction, développement bienvenu face à un taux de chômage de 25% chez les hommes. Les loyers ont été gelés durant cinq ans. Le salaire minimum du personnel municipal a été augmenté, ce qui a touché 4.000 travailleurs. Le temps de travail a été réduit de 39 à 35 heures, sans perte de salaire.
Depuis 1979, les économies imposées par Thatcher avaient coûté 34 millions de livres sterling à la ville. Les dirigeants syndicaux nationaux s’y étaient opposés en paroles, sans rien faire. A Liverpool, ce fut différent. Le conseil municipal a fait l’objet d’une campagne rageuse, le gouvernement a même menacé d’envoyer l’armée. Le soutien de la classe ouvrière de Liverpool était solide. La campagne d’intimidation qui dépeignait les élus locaux comme de dangereux extrémistes fut sans effet. Un habitant a témoigné dans la presse : ‘‘Je ne sais pas qui était ce Léon Trotsky, mais à en juger par le nombre de maisons en construction à Liverpool, ce devait être un sacré maçon’’.
La bataille s’est aussi déroulée dans la rue, sur les lieux de travail et dans les quartiers. Ce n’est qu’en mobilisant la classe ouvrière que Thatcher a pu être contrainte à faire des concessions. Une grève générale locale de 24 heures a eu lieu le 29 mars 1984, le jour du vote du budget, l’une des plus imposantes à l’échelle d’une ville. 50.000 manifestants ont soutenu le conseil communal. Le 9 juin, Thatcher a cédé : 16 millions de livres supplémentaires ont été libérés pour Liverpool.
Il était impossible à Thatcher de battre le conseil municipal démocratiquement. À chaque élection, le Parti travailliste obtenait plus de voix. Finalement, les 47 conseillers municipaux travaillistes ont été destitués à l’aide d’une procédure judiciaire de la Chambre des Lords, un organe féodal non-élu, ce qui n’a été possible qu’avec le soutien de la direction nationale du Labour. Les structures locales du parti ont été dissoutes à Liverpool pour n’être rétablies que sous un lourd contrôle national. Les conseillers municipaux ont été expulsés du parti et condamnés à une amende de plus d’un demi-million de livres par la Chambre des Lords. Leur crime ? S’être révoltés en défense des emplois et des services publics.
Cette offensive contre Militant a marqué le début d’une contre-révolution politique qui a ouvert la voie à Tony Blair. Les ‘‘47 de Liverpool’’ restent une exemple impressionnant et inspirant de la façon dont la lutte de masse peut imposer des concessions, y compris à Margaret Thatcher, la ‘‘Dame de fer’’.
-
La Taxe Amazon passe à Seattle, la classe des milliardaires contre-attaque

Comment aller chercher l’argent où il est ?
En novembre 2013, Kshama Sawant, première conseillère communale socialiste depuis plus d’un siècle dans une ville majeure des USA, était élue conseil de Seattle. Depuis lors, plusieurs victoires furent obtenues par les travailleurs de Seattle, dont la plus emblématique fut le salaire minimum à 15$ de l’heure. Un des défis majeurs à Seattle est l’accès au logement : les loyers y augmentent de manière vertigineuse et le nombre de SDF y atteint des sommets. La mobilisation constante sur ce sujet a finalement aboutit à la revendication d’une taxe sur les grandes entreprises de Seattle afin de financer un programme de construction de logements abordables et d’aide aux SDF. Le 14 mai dernier, sous la pression de longs mois de campagne intense, le conseil communal vota une telle taxe. Avant de la révoquer sous la pression du big business.
Par Clément (Liège)
Une crise profonde, un mouvement qui vient de loin
Pour des couches de plus en plus large à Seattle, se loger est devenu inabordable financièrement. Au cours des 6 dernières années, le loyer des appartements a augmenté de 635$ par mois (+57%). Plus de 41% des locataires sont en situation de ‘rent burdened’ (loyer excessivement élevé). Pour un appartement une chambre (2000$ en moyenne), un travailleur au salaire minimum devrait travailler 87h par semaine, pour éviter de tomber dans la pauvreté. Quand à devenir propriétaire, c’est tout simplement hors de portée : le prix moyen d’une maison unifamiliale a plus que doublé en 5 ans pour atteindre les 820.000$.
Début 2017, on comptait plus de 11.000 SDF à Seattle, soit une augmentation de 31% par rapport à l’année précédente (qui représentait déjà une augmentation de 19% par rapport à la précédente). Seattle se place ainsi en 3e position des villes américaines où il y a le plus de SDF (après New-York et Los Angeles). De vastes campements se développent sur les terrains vagues, sous les ponts d’autoroutes,…
Malgré ‘‘l’Etat d’urgence’’ sur le sans-abrisme décrété par la ville de Seattle, ces camps sont expulsés de manière brutale (600 expulsions en 2016). Les ‘‘solutions’’ proposées à la crise du logement reposent sur la logique de marché. La maire Jenny Durkan a ainsi négocié avec les gros promoteurs immobiliers de la ville la construction de 10.000 nouveaux logements en 2017. Un record qui ne changera rien à la crise des loyers, puisque ces projets visent avant tout la rentabilité maximum et seront donc destinés aux tranches de revenus élevés.
Les dernières années ont connu de nombreux mouvements et quelques victoires, dont un contrôle sur les loyers des logements insalubres, l’affectation d’un budget de 29 millions $ pour la construction de logements à loyer abordable, des aides pour les personnes poussées au déménagement par l’augmentation des loyers,… Dans toutes ces mobilisations, Socialist Alternative a joué un rôle crucial, y compris en utilisant le siège de Kshama pour faire entendre la voix des travailleurs au conseil communal (souvent littéralement), mais aussi pour mettre en avant des mots d’ordre audacieux et organiser le mouvement.
Il ne faut pas douter que cette série de victoire a permis de construire la confiance et de préparer l’étape suivante : faire contribuer les mastodontes économiques à Seattle.
Une campagne pour taxer les riches et répondre aux besoins des travailleurs
Plusieurs entreprises extrêmement prospères comme Starbucks, Boeing, Google et bien entendu Amazon sont largement implantées à Seattle, développant aussi bien des emplois précaires et sous-payés qu’un grand nombre d’emplois de cadres hautement rémunérés. Dans une économie basée sur le marché et le profit, il en résulte une contradiction aigüe : les chantiers pour des bureaux ou des appartements de haut standing se multiplient, alors que la plupart des travailleurs ordinaires peinent à se loger.
Comment se fait-il que des entreprises qui dégagent des milliards de profits ne contribuent pas à répondre aux besoins élémentaires des habitants de Seattle ? L’exemple le plus frappant est celui d’Amazon, qui emploie plus de 50.000 personnes dans son quartier général à Seattle. Son dirigeant Jeff Bezos est devenu l’homme le plus riche du monde avec une fortune de 130 milliards de dollars et gagne plus en une minute qu’un manutentionnaire d’Amazon en un an. Sur ses 5,6 milliards de bénéfices réalisés aux USA en 2017, Amazon aura payé… 0$ de taxes. Et l’année 2018 s’annonce encore meilleure avec une diminution de taxe de 789 millions $ consécutivement aux baisses de taxes décidées par l’administration Trump.
Le 1er novembre 2017, lors de la présentation du budget 2018 de la ville de Seattle, plus de 500 activistes se sont rassemblés au conseil municipal à l’appel de Socialist Alternative et du mouvement ‘‘Housing for all’’. Leurs revendications : l’arrêt des expulsions des campements de SDF et l’instauration d’une taxe sur les grandes entreprises afin de financer la construction de logements sociaux et de centres d’hébergement pour les sans-abris.
L’aile conservatrice du conseil communal a plusieurs fois tenté de réduire l’aide aux SDF et rencontra une forte mobilisation de la population pour la défense des budgets existants et la nécessité d’aller chercher les moyens nécessaires dans les poches des grandes entreprises. Ces actions impliquaient des activistes du droit au logement mais également des syndicats et divers groupes progressistes et organisations politiques. D’autres mobilisations furent organisées devant le siège d’Amazon. Les réunions du Comité pour les droits humains, le développement équitable et le droit au logement, présidées par Kshama Sawant, furent déplacées en dehors des heures de travail pour garantir que les travailleurs puissent y intervenir. On imprima les affiches des manifestations sur les imprimantes du conseil communal. Un Guide citoyen sur Amazon dénonçant la manière dont la société évite les taxes, mais aussi la pénibilité des conditions de travail et les bas salaires, fut produit et distribué.
La pression du mouvement finit par contraindre le conseil communal à mettre l’idée d’une taxe annuelle de 150 million sur les plus grosses entreprises de Seattle à l’agenda du conseil communal. Outre les habituels cris d’orfraie des médias et experts de tous poils sur la nocivité d’une telle taxe, une véritable campagne de chantage fut lancée avec notamment la suspension par Amazon de ses projets de construction, menaçant ainsi 7000 emplois dans le secteur. Enfin, le personnel politique de la classe capitaliste a tenté de vider la proposition de son contenu. Jenny Durkan, maire de Seattle dont la campagne électorale fut financée à hauteur de 350.000 $ par Amazon, a introduit une contre-proposition pour diminuer de moitié le montant de la taxe, la limiter à 5 années et réduire la proportion de cette nouvelle source de financement affectée au logement social.
La mobilisation fut cependant plus forte et le 14 mai, le conseil communal fut contraint de voter une version de la taxe qui rapporterait 75 millions par an. Il s’agissait certes d’une version allégée de la proposition d’origine, mais comme les activistes du mouvement et Socialist Alternative l’avaient souligné, il s’agissait d’un premier pas positif vers de nouveaux acquis. A peine cette taxe était-elle passée qu’elle commençait à faire des émules dans d’autres villes du pays.
L’empire contre-attaque
Dans un régime basé sur la recherche du profit, la moindre avancée pour les travailleurs sera combattue par la classe capitaliste. Dans le cas présent, la Taxe Amazon n’aurait représenté que 0,26% des bénéfices des entreprises concernées ; pour Amazon, cela aurait correspondu à 28 millions par an, autant dire une bagatelle.
Aussitôt la taxe votée, différentes entreprises touchées par la taxe ont levé plus de 375.000$ afin de lancer une campagne appelée NoToHeadTax : récolter les signatures nécessaires pour organiser un referendum sur la taxe. Différentes vidéos disponibles sur internet illustrent que le mensonge est probablement la méthode favorite de cette campagne : on peut y voir des démarcheurs expliquer avec aplomb et insistance qu’il s’agit d’une taxe annuelle de 275$ sur le salaire des travailleurs de Seattle. Avec de telles méthodes, ils furent capables de récolter plus de 300.000 signatures. Suffisamment pour pousser 7 des 9 conseillers communaux à révoquer la taxe qu’ils avaient votés à l’unanimité un mois plus tôt.
Les leçons de ce combat sont importantes. D’une part il est clair de nouveau que c’est la lutte qui paie et qui permet aux 99% de remporter des victoires, de faire plier l’establishment politique et économique. D’autre part, chaque avancée sociale n’est malheureusement que temporaire si on laisse les leviers économiques et politiques aux mains des mêmes. Les mouvements sociaux doivent prendre l’espace nécessaire de discuter cela et de s’armer politiquement en défendant l’expropriation de ces entreprises et les mesures socialistes pour remplacer un système capitaliste incapable de fournir une vie décente à la majorité.
-
[DOSSIER] Comment le OUI a-t-il remporté le référendum irlandais sur l’avortement ?

Le référendum sur la suppression de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement (le 8e Amendement) qui s’est tenu le 25 mai dernier a abouti à une éclatante victoire pour le camp du OUI. 66,4 % des participants au référendum se sont prononcés en faveur de son abolition contre 33,6 % dans le camp opposé, alors que le taux de participation était de plus de 64 %, soit le taux le plus élevé jamais enregistré pour un référendum en Irlande. Ce résultat est quasiment l’exact opposé de celui de 1983 qui a imposé l’interdiction de l’avortement. Mais, cette fois, près d’un million de personnes de plus y ont participé. Le gouvernement a déclaré avoir l’intention de légiférer pour permettre l’avortement jusqu’à 12 semaines sans conditions, conformément aux propositions de l’Assemblée citoyenne (mise en place en 2016 pour débattre de l’IVG, NDT). Cela ne peut être interprété que comme un puissant vote pro-choix.Les politiciens de l’establishment et les médias essaient désespérément de réécrire la véritable histoire de la lutte radicale qui a donné naissance à ce changement. Ce qu’ils redoutent par-dessus tout, c’est que la population en tire confiance et réalise qu’elle est capable d’organiser par elle-même de puissantes luttes de masse sur toutes les questions clés de société et même d’entrer en confrontation ouverte avec l’ensemble du système capitaliste lui-même, un système qui repose sur le principe de l’inégalité.

Ruth Coppinger prend la parole à un rassemblement au lendemain de la tenue du référendum. “Nous sommes rentrés dans l’Histoire!” Ruth Coppinger – membre du Socialist Party et députée de Solidarity (un mouvement plus large auquel participe le Socialist Party et qui dispose actuellement de trois élus au Parlement irlandais : Ruth Coppinger, Paul Murphy et Mick Barry) – a été consciemment exclue des médias nationaux durant la durée de la campagne alors qu’elle est une des figures clés du mouvement. Cet article, écrit par des membres du Socialist Party, tente de remettre les pendules à l’heure. Au côté d’autres activistes, le Socialist Party a joué un rôle vital dans la campagne nationale de ROSA (for Reproductive rights, against Oppression, Sexism & Austerity) dont l’impact a été considérable. Le Socialist Party et ROSA ont également fait partie du groupe Together4Yes.
Document du Socialist Party (section irlandaise du Comité pour Internationale Ouvrière)
35 ans après le précédent référendum sur la question, l’envie de se débarrasser du 8e amendement à la Constitution était largement partagée. On trouvait peu de contrastes entre les villes et les campagnes, car les attitudes avaient également changé dans les petites villes et les zones rurales. Une seule circonscription a voté NON alors qu’en 1983, toutes avaient dit OUI à l’interdiction, sauf une. Même dans la province de Connaught/Ulster, traditionnellement la plus conservatrice, la question a été nettement tranchée avec 59% en faveur du OUI et 41% pour le NON.
Le OUI a été particulièrement représenté dans les zones urbaines. Dans la plupart des villes, le OUI se situait aux alentours des 70 %. 9 des 10 circonscriptions les plus favorables au OUI étaient à Dublin, l’autre étant celle de Wicklow, à 74,26 %. Le pourcentage global de OUI à Dublin était de 75,5 %. Dans le quartier dublinois de Stoneybatter, composé de communautés ouvrières ainsi que d’une nouvelle population plus jeune qui s’installe dans la région, le vote a été de 92% en faveur du OUI.
Le OUI a été très marqué dans la classe moyenne et la classe ouvrière. Les chiffres indiquent qu’il est plus élevé dans le premier cas, bien qu’au cours de la campagne, il était évident que le sentiment sur la question était plus fort parmi la classe ouvrière, dont les femmes ont été au cœur de la révolte.
Les jeunes femmes au coeur de la lutte
65% des hommes et 70% des femmes qui ont voté l’ont fait en faveur du OUI. Dans l’ensemble, 87 % des participants de moins de 25 ans ont voté OUI et 90 % des jeunes femmes ! Au cours de ces dernières années, ce sont les jeunes femmes qui ont constitué la force motrice de ce mouvement et tout particulièrement durant la dernière phase, celle de la campagne référendaire elle-même (le référendum s’est tenu le 25 mai 2018 et avait été annoncé en janvier de la même année, les modalités ayant été définies en mars, NDT).
En comparaison des dernières élections générales de 2016, le nombre de jeunes femmes qui ont participé au vote a massivement augmenté de 94%. Les jeunes transgenres et les élèves du secondaire étaient également au premier plan et le journal dublinois Gay Community News (GCN) a estimé que 91 % des membres de la communauté LGBTQI+ qui ont voté l’ont fait en faveur du OUI.

La campagne ROSA a mené une intense campagne, autour de manifestations, d’action, d’affichages, mais aussi de stands de sensibilisation tenus en rue. Ce changement est le fruit d’intenses années d’efforts et la campagne formelle elle-même a été longue, étalée sur deux mois, à partir de la fin du mois de mars, lorsque le gouvernement a officiellement signé l’arrêté fixant les modalités du référendum.
Dès le lancement de la campagne, le camp du NON s’est fait remarquer par des affiches misogynes dégoûtantes avec des photos de fœtus et des titres qui criaient ‘‘Permis de tuer ? Votez non’’, ‘‘Ne choisissez pas la mort – Votez non’’, ‘‘En Angleterre, 1 bébé sur 5 est avorté – Votez non’’, ‘‘Si tuer un enfant à naître au bout de six mois vous dérange, alors votez non’’.
Mais, le 25 mai, les électeurs ont rejeté sans la moindre équivoque possible la campagne extrêmement bien financée du NON (qui disposait notamment de ressources et de publicités liés à la droite religieuse américaine). Ce référendum a fait des vagues partout à travers le monde entier.
Le média en ligne américain Vox a déclaré : ‘‘Le sentiment favorable à l’abrogation était particulièrement élevé parmi la jeunesse et les électeurs urbains, suggérant qu’une nouvelle majorité de gauche et laïque avait supplanté les générations plus âgées catholiques plus conservatrices’’.
De profonds changements
Ce résultat reflète les changements survenus en Irlande au cours de ces dernières décennies. En fait, l’amendement de 1983 à la Constitution était dans un sens un coup politique de la part de la droite cléricale et des politiciens conservateurs avec le soutien de l’Église. Ils craignaient que l’Irlande change ses attitudes sociales et se sont donc précipités pour obtenir une interdiction de l’avortement avant qu’il ne soit trop tard.
Le monde, et avec lui la société irlandaise, a énormément changé depuis lors. Mais la société officielle irlandaise et l’establishment politique ont refusé de refléter ce changement par des modifications significatives de la Constitution et de la législation. L’ampleur du changement qui a été imposé à l’establishment politique est indiquée par le fait qu’il y a tout juste cinq ans, la Loi sur la protection de la vie durant la grossesse est entrée en vigueur et que cette loi prévoyait que toute personne qui pratiquait un avortement pouvait être emprisonnée pendant 14 ans !
Après 1983, l’existence du 8e amendement et la domination de la politique par les partis conservateurs (y compris lorsque les travaillistes sont devenus membres de l’establishment dans les années 1990) ont fait en sorte que beaucoup de personnes ont eu le sentiment de devoir, à contrecœur, accepter cette ‘‘solution irlandaise hypocrite à un problème irlandais’’, c’est-à-dire que l’avortement ne serait pas autorisé en Irlande dans un avenir proche au motif que les gens pourraient se rendre en Grande-Bretagne pour y pratiquer l’avortement.
Mais, en 1992, il y a eu le “cas X”, dans laquelle une mineure violée a d’abord été empêchée de se rendre en Grande-Bretagne pour un avortement, mais y a ensuite été autorisée, après que la Cour suprême décide que le 8e amendement autorisait l’avortement lorsqu’il y avait menace pour la vie de la mère. Toutefois, l’interdiction est restée fondamentalement intacte.
Les jeunes femmes qui ont grandi dans les années 90 et 2000, à l’époque du ‘‘Tigre celtique’’ (terme qui désigne l’Irlande pendant la période de forte croissance économique entre les années 1990 et 2001-2002, en référence aux ‘‘Tigres asiatiques’’ des années ‘80 et ‘90), ne l’entendaient cependant pas de cette oreille. De plus en plus de voix se sont élevées en faveur de l’émancipation des femmes et d’un État laïque moderne, ce qui signifiait le droit de décider sur son corps et le droit à l’avortement. Depuis lors, les jeunes femmes ont été une dynamique clé pour faire avancer la société irlandaise.
Savita – le premier point tournant

Affiche de la campagne ROSA : “Savita compte. les femmes comptent.” Le tragique décès de Savita Halappanavar en octobre 2012 à l’hôpital universitaire de Galway a constitué un moment extrêmement important. Savita a été trouvée éprouvant des douleurs intenses en train de faire une fausse couche. Elle a demandé qu’un avortement soit pratiqué, mais celui-ci lui a été refusé. La décision prise dans l’affaire X précise que l’avortement ne peut être autorisé que lorsqu’il y a “un risque réel et substantiel” pour la vie d’une femme.
En plus de dire que la santé d’une femme n’a pas d’importance, cette position juridique signifie que dans le temps nécessaire pour juger ou décider qu’il y a bien un “risque réel et substantiel” pour la vie, les conditions de santé peuvent empirer et il peut donc être trop tard. En fin de compte, la décision dans l’affaire X n’offrait aucune garantie aux femmes, et Savita n’aurait été sauvée que si on lui avait permis de recourir à l’avortement lorsqu’elle en avait fait la demande.
La mort de Savita a suscité une énorme colère et des dizaines de milliers de jeunes, en particulier des jeunes femmes, se sont mobilisés pour exiger des changements. La position généralement partagée par nombre de militants de longue date et éminents du mouvement pro-choix et pour le droit à l’avortement à l’époque était d’exiger que la décision prise dans le “cas X” soit légiférée, pour aider à formaliser et clarifier ce qui était permis dans le 8ème amendement.
Le Socialist Party, en particulier par l’intermédiaire de Ruth Coppinger, alors conseillère municipale, a adopté une position totalement différente en affirmant que l’abrogation immédiate du 8e amendement était nécessaire pour donner rapidement lieu à une législation prévoyant le droit à l’avortement. Ces idées ont reçu une réponse très forte de la part des jeunes femmes mobilisées par la mort de Savita.
En réponse à la mort de Savita et à la crise politique qu’elle a créée, le gouvernement Fine Gael – parti travailliste a adopté la loi sur la protection de la vie pendant la grossesse mentionnée ci-dessus, qui n’a fait que mettre dans la législation la décision limitée de 1992. C’était tout à fait insuffisant. Les mobilisations de la jeunesse, et des jeunes femmes en particulier, contre les terribles mauvais traitements et l’injustice dont Savita a souffert ont changé la dynamique. C’était le début du mouvement vers l’abrogation qui a culminé avec le vote en faveur du OUI le 25 mai dernier.
Accroître la pression politique
En 2014, il devenait de plus en plus accepté dans le mouvement que le 8e amendement devait être abrogé immédiatement. Ce sentiment a considérablement été renforcé lorsque Ruth Coppinger a remporté l’élection partielle dans la circonscription de Dublin-Ouest en mai 2014 et est entrée au Dáil (le parlement), rejoignant ainsi Joe Higgins. Elle a été rejointe par deux autres députés, Paul Murphy qui a remporté une élection partielle historique en octobre 2014 et Mick Barry, élu en 2015. Ruth Coppinger, au nom de l’Anti Austerity Alliance (AAA, précurseur de Solidarity) et du Socialist Party a présenté divers projets de loi concernant l’avortement, l’abrogation de l’interdiction et des cas d’anomalies fœtales mortelles. Cela a instauré de nouvelles pressions sur le gouvernement. Sa réponse a été de mettre en place une Assemblée citoyenne chargée d’élaborer des propositions concernant l’avortement.
Le gouvernement espérait que cette Assemblée ne présente que des propositions permettant l’avortement dans des circonstances exceptionnelles. L’Assemblée étant constituée d’une centaine de personnes ordinaires de la population, le gouvernement entendait donc mettre ensuite l’accent sur la composition de l’Assemblée pour dire que l’ampleur du changement accepté plus largement dans la société ne dépassait pas ce cadre.
L’Assemblée a toutefois représenté les changements qui étaient déjà à l’œuvre dans la société irlandaise. Ses recommandations étaient vigoureusement pro-choix. Parmi celles-ci : l’autorisation de pratiquer des avortements sur demande jusqu’à 12 semaines et pour des raisons socio-économiques jusqu’à 22 semaines. Ces recommandations devaient être envoyées à une commission (parlementaire) qui, à son tour, devait envoyer un rapport au gouvernement.

Pas de recul face aux propositions de l’Assemblée des Citoyens
Sachant que ce serait un champ de bataille où, comme l’a dit un journaliste, le travail de la commission ‘‘serait essentiellement de diluer les propositions au point qu’elles ne soient pas politiquement toxiques’’, Ruth Coppinger, en tant que membre de la commission représentant Solidarity et le Socialist Party, s’est attelée à la tâche d’accroître la pression pour accepter la proposition des 12 semaines sur demande. Si l’on pouvait faire pression sur la commission pour qu’elle l’accepte, cela permettrait de prendre en charge 92 % des grossesses en situation de crise affectant les gens du Sud (l’avortement étant encore illégal en Irlande du Nord).
La commission parlementaire s’est réunie à l’automne dernier et a publié son rapport final juste avant Noël. Grâce à la pression incessante émanant du mouvement des jeunes femmes, qui avait reçu une attention toute particulière de la part de Ruth Coppinger, la commission a soutenu la proposition de l’Assemblée citoyenne pour permettre l’avortement à la demande jusqu’à 12 semaines.
De son côté, le gouvernement a déclaré qu’il publierait les grandes lignes de la législation 12 semaines avant la tenue d’un référendum visant à abroger l’interdiction, de sorte qu’il n’y aurait pas de confusion quant à ce qui serait mis en œuvre en cas d’abrogation.
Les pilules abortives – le deuxième point tournant
L’establishment politique se trouvait face à un sérieux dilemme. Il était clair que maintenir le statu quo n’était plus tenable, mais ils étaient très hésitants quant à la marche à suivre. Le 8ème Amendement continuait à créer des injustices flagrantes et parfois même des crises politiques qui menaçaient les gouvernements et la base des partis. Il était nécessaire de se défaire de cette source d’instabilité.
Mais, parallèlement, l’establishment ne désirait pas endosser la responsabilité de la mise en œuvre du droit à l’avortement. Son approche était généralement très timide en redoutant de saper sa base de soutien. Permettre un droit limité à l’avortement dans un contexte de changement d’attitude sur le sujet allait toutefois vraisemblablement créer des situations et des crises plus inacceptables encore. En fin de compte, ce sont les pilules abortives qui ont pris la décision pour la commission.
Depuis 2014, le mouvement féministe socialiste ROSA, initié par le Socialist Party, s’est engagé dans une série d’actions extrêmement médiatisées qui ont créé une prise de conscience au sujet des pilules abortives, illégales en Irlande mais entièrement sûres et pouvant être auto-administrées.
ROSA a notamment organisé un ‘‘train des pilules abortives’’ et des bus qui ont parcouru le pays (en référence au ‘‘train de la contraception’’ de 1971, quand un groupe de féministes s’était rendu à Belfast y acheter des préservatifs pour les ramener en république irlandaise et défier l’Etat de les arrêter, NDT). Au moment où la commission parlementaire était en pleines délibérations, des études ont montré que, quotidiennement, 10 Irlandaises se rendaient chaque jour à l’étranger pour y bénéficier d’un avortement tandis que 5 prenaient des pilules abortives en Irlande. Cela signifiait concrètement que l’avortement était devenu une réalité en Irlande plus que jamais auparavant. Il était même probable que l’utilisation des pilules abortives allait encore connaitre une augmentation. Les actions de ROSA ont été essentielles pour que l’utilisation des pilules abortives soit mieux connue.
Une situation changée
Lors de la présentation du rapport de l’Assemblée citoyenne, le juge Laffoy a identifié les pilules abortives comme un facteur clé émergeant. Devant la commission, des preuves ont été présentées qui soulignent l’utilisation accrue des pilules et, entre autres, l’obstétricien consultant Peter Boylan a déclaré qu’à la suite du développement de l’usage des pilules abortives, le ‘‘génie est sorti de la bouteille’’.
La commission aurait pu proposer une forme limitée d’avortement, moins de 12 semaines, mais avec l’utilisation croissante des pilules abortives, une telle loi aurait immédiatement été inapplicable et dépassée. Ces pilules abortives faisaient de l’avortement jusqu’à 12 semaines un fait établi en Irlande. Il était évident que la majorité des membres de la commission estimaient pouvoir ramer en toute sécurité derrière cette proposition.
Il s’agissait d’une énorme percée, car cela signifiait que le contexte politique du référendum était une politique pro-choix en attente. Si le référendum pouvait être gagné, l’Irlande serait dans les mois à venir pro-choix. Cela a finalement été le cas, ce qui représente une énorme transformation par rapport à il y a quelques années. C’est probablement le plus grand coup porté en faveur des droits des femmes dans l’histoire de l’État irlandais et cela a d’énormes implications pour l’avenir.
Le camp du NON et sa campagne toxique
Au début de la campagne officielle, le sentiment en faveur de l’abrogation était clairement dominant, mais la campagne du Non est passée à l’offensive et a eu un impact. Elle a déterminé quel était l’agenda de la discussion et a mis l’accent sur les délais et l’avortement “à la demande” jusqu’à 12 semaines. Cela a suscité des questions et des doutes et le soutien en faveur du OUI a été réduit à néant. Mais par la suite, la campagne du NON a été si offensante qu’elle a déclenché une riposte active des femmes. La campagne du NON reposait essentiellement sur la diffusion de soupçons envers les intentions des femmes pour les présenter comme des meurtrières.
Certains défendaient l’idée que la campagne large en faveur du OUI ne devait pas atteindre le niveau du NON. Toutefois, dans le cadre d’une campagne, il faut tenir compte des problèmes réels qui s’installent et qui font l’objet de discussions. La campagne officielle Together4Yes (T4Yes) a poursuivi son approche mais, sur le terrain, les militants, tant à l’intérieur de T4Y que dans d’autres campagnes, sont allés plus loin pour répondre aux arguments du NON, en se concentrant particulièrement sur la réalité de l’avortement en Irlande et sur les raisons pour lesquelles les gens recourent à l’avortement.
Un sondage à la sortie des urnes réalisé par la chaîne de télévision publique irlandaise RTÉ a indiqué que les témoignages de femmes dans les médias et l’expérience vécue par des proches ont constitué le facteur d’influence le plus déterminant pour 77 % des participants au vote. Cela a clairement démontré que l’idée selon laquelle il fallait une approche prudente en termes d’argumentation était fausse. Toute l’idée de l’existence supposée d’une ‘‘Irlande du centre’’ n’était qu’une pure construction. Les gens réagissent positivement quand une argumentation solide reposant sur l’expérience concrète vécue par d’autres leur est présentée. Cela a encore été illustré par le sondage RTE qui relevait que le droit de choisir était le principal facteur d’influence dans une liste d’options à 62 %, bien au-dessus d’une anomalie fœtale fatale, citée par 39 % des sondés.
10 jours qui ébranlèrent le mondeA moins de deux semaines de la fin de la campagne survint un important changement. Le 14 mai, un débat télévisé, durant l’émission The Claire Byrne Live show, a été suivi par 650.000 personnes. Bien qu’il ait été estimé que le camp du NON avait peut-être mieux saisi cette opportunité, nombreux parmi ceux qui ont regardé l’émission ont été profondément choqués par l’approche de certains des militants du NON. L’émission a été l’objet d’un nombre incroyable de 1.277 plaintes, parmi lesquelles 92 % consacrées à sa partialité en défaveur du OUI. Cet événement de même que l’approche de plus en plus brutale des militants du NON dans la campagne ont freiné leur dynamique.
Quelques jours plus tard, ROSA a accroché son dernier lot d’affiches. L’une d’entre elles qui comportait une grande photo de Savita avec le simple message ‘‘Savita Matters – Women Matter – Vote Yes’’ (Savita compte, les femmes comptent) a été affichée dans tous les principaux centres-villes et à travers toute la ville de Dublin. Ces affiches ont agi eu l’effet d’une sorte de délivrance, une ‘‘riposte’’ que beaucoup attendaient depuis longtemps déjà. Elles ont rappelé aux gens la réalité de ce que signifiait le 8e Amendement ; mais elles ont aussi aidé à donner confiance à beaucoup d’autres pour qu’ils deviennent actifs dans la campagne, soit en militant autour de l’une des initiatives, soit à titre individuel en défendant le OUI jusqu’au jour du scrutin.
‘‘Dans les derniers jours de la campagne référendaire sur le Huitième Amendement, des dizaines de petites affiches sont apparues autour de Dublin. L’image était celle de Savita Halappanavar, reconnaissable instantanément grâce à ses cheveux épais et foncés, son large sourire, ses yeux souriants et le point Bindi sur le front. Le message contenait un mot : Oui. Elles étaient frappantes par leur simplicité et leur franchise.’’ Harry McGee, Irish Times, 26 mai.
D’innombrables conversations
Les anecdotes relatant la manière dont de jeunes femmes se sont battues pour le OUI avec leurs proches au cours de la dernière semaine de campagne sont légion. Il était clair qu’un élan imparable en faveur du OUI se profilait sous l’impulsion des jeunes femmes.
La campagne du NON a semé des doutes parmi certaines couches, mais elle n’a pas pu renverser la vapeur et s’opposer au changement de conscience qui s’était développé au fil des années sur cette question. D’autre part, les messages misogynes et agressifs du NON ont créé une vague de réaction qui les a finalement noyés le jour du scrutin.
Les membres du Socialist Party ont été très actifs, avec d’autres, dans les campagnes de ROSA et de Solidarity, ainsi que dans la vaste campagne Together4Yes. ROSA et Solidarity ont déployé une activité intense dans les collectivités locales, mais surtout dans les centres-villes. Au Parlement et dans leurs circonscriptions, Paul Murphy (Dublin Sud-Ouest) et Mick Barry (Cork North Central) ont tous deux joué un rôle de premier plan dans la campagne du OUI. Dans ces deux circonscriptions, la victoire du OUI fut impressionnante.

Lancement de la campagne au Liberty Hall. La campagne de ROSA a commencé le 14 avril avec un rassemblement national de 500 personnes au Liberty Hall, à Dublin, durant lequel de nombreux orateurs du Socialist Party et du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont pu prendre la parole. ROSA a organisé des actions sur une base quotidienne de même que des manifestations jusqu’aux aéroports de Cork et Dublin, auxquelles 350 personnes ont assisté. Ces marches retraçaient les pas des milliers et milliers de femmes forcées d’aller avorter à l’étranger au cours de ces 35 dernières années. Le jour du décompte des votes, 250 personnes ont assisté à un rassemblement de ROSA au Projects Arts Centre à Dublin et des centaines de personnes sont devenues membres de ROSA.
L’impact de ROSA
Le point culminant de l’activité de ROSA durant la campagne fut l’apparition de 15.000 affiches mise en place par des activistes de ROSA et de Solidarity. Celles-ci ont eu un très grand impact et se sont distinguées par leur contenu sans équivoque à tel point qu’elles ont figuré sur la quasi-totalité de la couverture médiatique internationale du référendum.
La classe des travailleurs, les femmes et les jeunes femmes en particulier ont été les moteurs de ce changement historique de même que d’autres récents bouleversements sociaux, de la lutte contre la taxe sur l’eau (water charge) au référendum sur le mariage égalitaire. Et maintenant cette nouvelle percée historique. La jeune génération, souvent dénigrée par certains sous le terme de ‘‘snowflakes’’ (flocons de neige), s’est retrouvée à la tête d’un mouvement qui a non seulement forcé un establishment politique très réticent à agir mais a également vaincu l’Église catholique. Toute la question est aujourd’hui de savoir quand, et non pas si, cette jeunesse se retrouvera à l’avant-plan d’autres combats qui les feront entrer en conflit ouvert avec le système capitaliste lui-même.
Qu’en dissent-ils ?
Pour finir, voici quelques-uns des nombreux commentaires qui ont été envoyés à des membres du Socialist Party ou qui sont apparus dans des forums publics concernant les activités dans lesquelles nous avons été impliqués ainsi qu’au sujet du rôle joué par Ruth Coppinger.
- ‘‘Merci beaucoup Rosa pour tous vos efforts et votre influence héroïques, inspirants et constants’’.
- ‘‘J’espère que vous réalisez tout ce que vous avez fait pour les femmes d’Irlande ! Profitez du week-end et offrez-vous quelque chose de spécial ! Je suis si heureuse, reconnaissante et optimiste pour l’avenir.’’
- ‘‘Chère Ruth, je dois admettre que vous entrerez dans l’histoire comme la voix la plus forte, cohérente et logique de #Repeal… Nous pouvons probablement compter sur les doigts d’une main les thèmes politiques sur lesquelles vous et moi sommes d’accord. L’abrogation en était certainement une. En tant que défenseur inébranlable et passionné de l’abrogation, vous avez rendu un grand service au pays, aux professionnels de la santé ainsi qu’aux femmes”.
- ‘‘Salut, salut. Je voudrais juste vous féliciter pour votre fantastique campagne d’affichage autour de la ville de Dublin pour le vote en faveur du OUI. C’est à mon avis la plus réfléchie de toutes les campagnes d’affichage. Quand le OUI l’emportera la semaine prochaine, il aura une énorme dette de gratitude envers vous.’’
