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  • C’était il y a tout juste 50 ans : le 10 janvier 1961, les propos scandaleux du “socialiste” Van Acker

    La grève générale se cantonne de plus en plus aux secteurs industriels importants de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre, toujours totalement paralysés. Plusieurs manifestations de masse ont encore lieu, surtout dans la partie flamande du pays. A Anvers la concentration rassemble encore plus de 20.000 manifestants.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Les discours des dirigeants de la FGTB sont très connus, ils reprennent toujours les thèmes traditionnels contre la Loi Unique. Ces discours ne retiennent plus grande attention. A un certain moment, l’orateur est interrompu par les grévistes qui, spontanément, scandent : «Renard à Anvers, Renard à Anvers !» A l’ issue du meeting, dès que les grévistes aperçoivent les gendarmes, des incidents violents éclatent aux abords de la gare Centrale.

    En face de la gare, une rangée de gendarmes attendait. Elle est bousculée en quelques secondes et le flot de manifestants passe. Mais les matraques avaient été sorties, et trois manifestants s’affalent après avoir reçu des coups. Pendant une heure, des bagarres éclatent un petit peu partout au centre de la ville.

    A Gand également, 12.000 manifestants renouvellent leur opposition à la « loi de malheur ». Quoique fort animée, cette manifestation se déroule sans incidents, les gendarmes restent très discrets. Les grévistes flamands ne désarment pas. Au contraire, dans ces journées de lutte, le niveau de maturité est tel que les grévistes en lutte renouent dans cette grève générale avec les plus nobles et les plus ardentes traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier.

    A Bruxelles aussi se déroule une nouvelle manifestation de plus de 5.000 grévistes, qui défilent en scandant des slogans anti-gouvernementaux et réclament à nouveau la marche sur Bruxelles. Là aussi les gendarmes sont discrets, aucun incident n’ est à signaler. Les menaces du gouvernement se précisent de plus en plus sur les enseignants, qui sont toujours actifs. Il y a des reprises partielles, mais l’ensemble du corps enseignant résiste. Le gouvernement fait savoir que toutes les mesures nécessaires pour parer à un éventuel abandon de l’ outil par les travailleurs seront prises avec l’aide de l’armée.

    Dans le Hainaut, l’ activité des piquets de grève est toujours très intense, ils sont à l’entrée des entreprises, ils contrôlent la circulation, ils sont partout à la fois et surgissent là où on ne les attend pas. Les actes de sabotages et de violence se multiplient pour empêcher les jaunes de reprendre le travail. De nouveau, cent arrestations ont lieu à Mons, trente à Charleroi.

    Ce 10 décembre se tient à Liège un Congrès de la régionale FGTB de Huy-Waremme qui décide de mettre en application le principe de l’ abandon de l’ outil (le principe seulement). Le journal La Wallonie du mercredi 11 janvier relatera que : «peu d’intervenants ont demandé que l’ entretien de l’ outil soit poursuivi dans les entreprises.»

    Sur le plan politique, ce qui retient l’ attention, c’ est la première tentative publique de compromis qui s’ esquisse ce mardi à la chambre. Louis Major, secrétaire général de la FGT B et Achille Van Acker, ancien Premier ministre socialiste, déposent deux amendements aux dispositions sur le chômage contenues dans la Loi Unique, amendements que le gouvernement retient. C’ est là de la part de Van Acker un désaveu formel du groupe socialiste de la Chambre. Rappelons que les dirigeants du PSB et de la FGTB avaient promis aux ouvriers que la Loi Unique ne pourrait jamais servir de base à un compromis. Déposer un amendement, si insignifiant soit-il, c’ est déjà admettre la loi. Dans son amendement à la Chambre A. Van Acker, du PSB, dit notamment: «Moi aussi je me suis trouvé devant un grave conflit social. Je comprends donc que le gouvernement fasse le nécessaire pour maintenir l’ ordre. A sa place j’ en aurais fait autant.» Paroles scandaleuses dans la bouche d’ un mandataire socialiste en période de grève générale. Le Premier Ministre G.Eyskens demande : «que l’ on réserve l’ amendement de l’ honorable M. Van Acker.» La plupart des journaux de droite ne manquent pas l’ occasion de surtout mettre l’accent sur le fait que Van Acker reconnait qu’ il aurait fait respecter l’ ordre comme le fait le gouvernement. Les paroles de Van Acker à la Chambre font l’ objet de commentaires très sévères du côté des travailleurs, inutile de dire qu’elles sont très mal accueillies, mais ce n’est pas la première fois que ce social-réformiste fait de semblables déclarations.

    Le gouvernement et la bourgeoisie ne répondent pas à la demande de compromis formulée par les dirigeants réformistes. En effet, il n’ est pas question pour la bourgeoisie de céder un pouce sur le terrain de la lutte des classes. Au contraire, le ton est bien donné par La Libre Belgique du 13 janvier 1961 qui demandera : «Maintenant que les forces de l’ordre ont pu être concentrées d’ avantage dans les régions les plus touchées par la grève, ne faudrait-il pas se montrer plus ferme envers les fameux piquets de grève, afin de mettre fin à l’écoeurant scandale de cette constante violation de la liberté du travail.» Dans les journées qui suivent, les forces de l’ ordre vont accentuer la répression contre les grévistes avec de plus en plus de violence.

  • Action de solidarité devant les magasins belges de Laura Ashley

    Quelques militants du Parti Socialiste de Lutte ont mené une action de protestation devant les magasin de Laura Ashley à Bruxelles et à Anvers ce samedi après-midi, dans le cadre d’une campagne de solidarité internationale avec les travailleurs d’un des magasins de cette chaîne internationale, à Dublin en Irlande. Les 22 travailleurs du magasin au Grafton Street ont étés licenciés fin octobre, la direction estimant faire plus de profit en louant l’immeuble à Disney, plutôt qu’en continuant à exploiter le magasin elle-même.

    Par Tim (Bruxelles)

    Malgré un profit de 10,5 millions de livres britanniques au cours des six premiers mois de 2010, la direction refuse de négocier un plan social pour les employés licenciés et de déplacer les licenciés vers d’autres magasins Laura Ashley. De plus, pas un centime de prime de départ au delà du strict minimum légal. Depuis fin octobre, les travailleurs irlandais de Laura Ashley sont en grève et, après 11 semaines de blocage du magasin, la direction refuse toujours d’entamer des négociations.

    Les actions chez Laura Ashley peuvent compter sur un large soutien parmi les couches larges des travailleurs irlandais: plusieurs syndicats se sont déclarés solidaires et ont visité le piquet de grève, de même que des membres du Socialist Party, le parti frère du PSL en Irlande. C’est sur base des discussions que nos camarades ont eues avec les travailleurs de Laura Ashley que la question d’actions de solidarités internationales est venue sur la table. A travers toute l’Europe, les sections nationales du CIO, l’internationale à laquelle appartient le PSL, ont mené action devant les magasins de Laura Ashley.

    En Belgique, des protestations ont eu lieu devant les magasins de Bruxelles d’Anvers, où nous avons distribués des tracts de solidarité au passants. Ce type d’action de solidarité internationale est très important dans un tel conflit : cela montre aux travailleurs qu’ils ne sont pas seuls dans leur lutte et cela fait pression de toute l’Europe contre l’arrogante direction irlandaise de Laura Ashley pour qu’elle cède aux justes exigences des travailleurs licenciés. Cette expérience de solidarité internationale est très importante aussi pour le futur : elle devra également être appliquée dans la lutte contre les mesures antisociales que prennent actuellement les gouvernements dans toute l’Europe ainsi que contre l’arrogance des multinationales qui essaient de mettre en concurrence leurs différents sièges pour s’en prendre aux droits des travailleurs.

    Photos de Bruxelles

  • C’était il y a tout juste 50 ans : le 9 janvier 1961, la détermination reste entière

    Le 9 janvier est un lundi, le début de la quatrième semaine de la guerre des classes qu’est cette grève générale. Celle-ci va-t-elle s’ essouffler ou prendre de l’ ampleur ? La réponse ne va pas tarder. Très tôt le matin, les piquets de grève sont en mouvement, ceux-ci sont plus virulents que les jours précédents. De nombreuses concentrations massives ont lieu : 40.000 manifestants à La Louvière, 15.000 à Huy, 25.000 à Charleroi. A Gand, la manifestation est toujours aussi nombreuse avec de nouveau 12.000 participants.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    On apprend que le gouvernement a convoqué, à 4h30 durant la nuit, le comité ministériel de sécurité pour prendre des mesures d’ urgence en vue de prévenir toute action insurrectionnelle. En effet, les rapports reçus dans la nuit par les services de police et qui signalaient une série de sabotages en Wallonie ont brusquement fait craindre au gouvernement que l’insurrection ne soit entrée dans une phase active. L’ Etat bourgeois est sur ses gardes. Bien qu’il soit apparemment maître de la situation, il craint toujours une offensive prolétarienne spontanée.

    Dans les régions rouges, des arrestations ont lieu ; une centaine à Mons, une trentaine à Charleroi, dans le but d’ entraver toute action insurrectionnelle et de démanteler les piquets de grèves. 3.000 soldats sont ramenés d’ Allemagne pour garder les endroits stratégiques afin de libérer les gendarmes de cette tâche en vue de concentrer et de mobiliser toutes les forces de répression pour faire face à d’ éventuelles actions insurrectionnelles de masse.

    A Mons, la manifestation se déroule très nerveusement devant les bureaux des PTT occupés par l’armée. Une petite délégation des JGS de Charleroi se rend sur place, ils portent des calicots avec «contrôle ouvriers – JGS» et «les usines aux ouvriers – JGS» Sur la façade du bâtiment, un calicot («occupation militaire défense d’entrer, sinon on tire») a le don d’exciter les grévistes pour qu’ils tentent d’ en prendre le contrôle. Des gendarmes tentent de disperser des grévistes à l’ aide de grenades lacrymogènes, sans succès. L’armée tire alors en l’air pour empêcher les manifestants d’ entrer. Dans les régions où des manifestations ont lieu, des incidents éclatent à la vue des gendarmes, les travailleurs n’oublient pas que du côté des grévistes, il y a eu des morts et de nombreux blessés à Liège.

    A La Louvière, la foule des manifestants est évaluée à 40.000 grévistes. Deux délégations de grévistes flamands se trouvent au premier rang de la manifestation. La présence de ces camarades Anversois et Gantois venus confirmer leur solidarité avec leurs camarades wallons est très significative de la volonté de lutte des travailleurs flamands. Le meeting prévu par L’Action Commune Socialiste se déroule dans un tel enthousiasme et une telle ambiance de lutte que l’on se demande si l’on en était bien dans la quatrième semaine de grève générale.

    André Renard prend la parole en disant : «Pas de compromis sur la Loi Unique» et envisage à nouveau, cela devient une rengaine, l’abandon de l’ outil. En terminant son discours, il pose une question à la foule de grévistes qui sont dans leur 21ième jour de grève : «Et si c’ était à refaire, le referiez-vous ?» Par un immense «oui», la foule répond comme un seul homme. Les grévistes scandent à nouveau : « A Bruxelles ! », « A Bruxelles ! » mais, là pas plus qu’ailleurs, ils ne reçoivent aucune réponse positive de leurs dirigeants.

    C’est à Charleroi que le rassemblement est le plus mouvementé, 25.000 grévistes sont réunis ce 9 janvier au Stade du Sporting, où se tient le meeting. Arthur Gailly, président régional de la FGTB, se fait copieusement huer par la foule de grévistes, qui attend des mots d’ordre d’ action. Et qui scande avec insistance : « Renard, Renard ! » Le journal « Le Peuple » du mardi 10 janvier 1961 rapporte qu’ un grand calicot portant l’ inscription :«Nous voulons Renard à Charleroi» avait été déployé par des travailleurs.

    Il faut rappeler que Charleroi est le seul arrondissement industriel wallon où André Renard n’ a pas été invité à venir prendre la parole pendant la grève générale, et ce malgré la volonté exprimée à plusieurs reprises par d’ importantes sections professionnelles comme le SETCA et la CGSP. L’opposition entre les dirigeants des deux tendances wallonnes, Arthur Gailly et André Renard, a vite pris un aspect spectaculaire lorsque la grève générale a éclaté. Il s’ agissait de part et d’ autre d’une question de prestige, ce qui a dicté à Arthur Gailly son opposition à la venue d’ André Renard à Charleroi.

    Mais en fait, il ne s’ agissait pas que d’ une question de prestige personnel. En effet, il y a eu en Wallonie deux stratégies opposées : ceux qui, comme Arthur Gailly, voulaient préserver l’unité nationale dans le cadre de l’ Action Commune Socialiste en n’ allant pas au-delà du retrait de la Loi Unique et ceux qui, comme André Renard, se sont isolés au sein de la FGTB nationale. L’introduction du fédéralisme dans les objectifs de la grève générale a brusqué les évènements. Les représentants de la tendance d’ Arthur Gailly n’ y sont pas hostiles au départ, mais ils veulent éviter que cette revendication, mise en avant en pleine grève générale, ne donne l’ impression aux grévistes flamands qu’ils se séparent d’ eux.

    Il y a aussi un autre aspect qu’il ne faut pas négliger, c’ est qu’à Charleroi on sait que A. Gailly et les représentants des métallurgistes ont plutôt freiné l’action des grévistes qu’ils ne l’ont stimulée. Gailly s’ est aussi toujours opposé à la venue de Renard. Beaucoup de grévistes attribuent sa modération pendant le conflit au fait qu’il cumulait les mandants politiques et syndicaux et qu’il était plus soumis à la discipline du PSB qu’à celle de la FGTB Wallonne.

    Pour beaucoup de grévistes de la base, les divergences de stratégie entre l’aile gauche et l’aile droite au sein du mouvement syndical FGTB ne sont certainement pas perçues avec toutes les implications qu’elles comportent. Toute l’énergie de ceux-ci est alors surtout engagée dans une lutte difficile et pénible. Pour beaucoup de travailleurs, A. Renard symbolise l’ aile gauche de l’ appareil de la FGTB nationale, tandis que A. Gailly représente l’ aile droite. Dans un conflit aussi important et aussi dur, il est tout à fait naturel pour la grande masse de la classe ouvrière de s’ appuyer ou de s’accrocher sur ce qu’il y a de plus à gauche dans la lutte.

    D’ailleurs, les grévistes sont pleinement conscients que certains réformistes de droite comme Louis Major, le président national de la FGTB, Smets et Gailly se contentent de canaliser le mouvement sans en favoriser l’extension. Ils attendent que le mouvement perde de sa force et de sa vitesse, ils freinent l’élan de lutte des grévistes autant qu’ils le peuvent. Mais il n’est pas seulement question de rivalités personnelles. Si André Renard est interdit à Anvers et à Charleroi, c’est surtout que sa venue risque de donner une nouvelle impulsion à la grève générale.

    Au rassemblement, Gailly se fait à nouveau huer, siffler mais, imperturbable, il continue son exposé où il fait le procès de la Loi Unique. Il est encore interrompu, cette fois par un groupe de militants JGS qui scande avec conviction : « A Bruxelles, à Bruxelles ! », ce qui est repris énergiquement par la foule des grévistes, avec une puissance immense qui fait trembler tout le stade du pays noir. Ignorant complètement la volonté des grévistes et comme s’ il était devenu sourd, A. Gailly continue de parler. A un certain moment, les grévistes perdent patience, ils ne veulent plus écouter l’orateur et sa rengaine contre la Loi Unique, qu’ils connaissent d’ ailleurs par cœur ; ils veulent de l’ action tout de suite.

    Devant les 25.000 grévistes réunis au sporting de Charleroi, Gailly affirme «jamais de ma carrière de militant syndical, je n’ ai connu une grève aussi complète et aussi réussie que celle-ci. C’est une bataille de classe qui s’ est engagée.» Mais ce n’ est pas parce qu’à la fin de son discours la foule réclame la marche sur Bruxelles qu’il va répondre à cette demande, qui pourtant fait l’ unanimité parmi les grévistes. A défaut de recevoir des dirigeants de la FGTB des mots d’ordre d’ action, ceux-ci, excédés, décident de quitter le stade en scandant à nouveau « A Bruxelles, à Bruxelles ! » et entonnent en sortant une vibrante Internationale. A la sortie, des travailleurs et le groupe des JGS discutent et manifestent leur mécontentement envers les bureaucrates syndicaux de la FGTB qui refusent le combat. Les JGS scandent : «Dussart avec nous, Dussart avec nous». Une fois sorti du stade, Dussart rejoint le groupe de militants JGS qui l’attendait. Ensemble, ils prennent la tête de la manifestation spontanée, suivis par au moins 10.000 travailleurs.

    Celle-ci n’ avait pourtant pas été prévue par la FGTB régionale. C’est dans un climat de frustration et de colère que les grévistes défilent, brisant les vitres des journaux de « La Nouvelle Gazette » et du « Rappel » – ce dernier étant soupçonné d’ avoir fourni à la police des photos de grévistes en pleine action. Aux journaux catholique et libéral, à « Notre Maison », siège de la CSC, aux bureaux des Verreries, les vitres volent également en éclats. Le cortège se termine devant les portes de la prison de Charleroi, où les manifestants réclament la libération des grévistes en scandant : «Libérez les grévistes», «Libérez les grévistes». Les manifestants n’ obtiennent évidemment pas satisfaction et brisent les vitres de la prison. Selon « Le Drapeau Rouge », plus de deux mille grévistes sont alors emprisonnés dans l’ ensemble du pays.

    Pendant que se déroulent de grandes manifestations, le gouvernement continue et accentue sa pression contre les grévistes des services publics. Les menaces du gouvernement sont très lourdes de conséquences. Dans une partie de la Flandre, dans les régions moins industrialisées et dans le Brabant, il y a une tendance à la reprise. Le gouvernement décide de prendre des mesures disciplinaires contre les enseignants en grève. Pourtant, la grève générale reste solide dans les bastions comme à Liège, Charleroi, dans le Centre, le Borinage, à Gand et à Anvers, ravivée par les impressionnantes et imposantes manifestations qui se sont déroulées ce lundi, signe que la classe ouvrière dans son ensemble ne faillit pas, mais au contraire reste largement mobilisée et prête au combat d’affrontement généralisé.

    Pour la première fois, le PSB désavoue publiquement et catégoriquement les actes de violences qui ont surgi pendant les dernières manifestations, accédant ainsi à un désir de la droite réactionnaire qui voyait dans cette condamnation un préambule indispensable à toute reprise de négociations.

    Les nouvelles mesures de répression policières prises par le gouvernement, l’ accentuation des arrestations, mettent virtuellement le pays en état de siège. La police en civil prête main forte à la gendarmerie. Autant le PSB est rapide pour désavouer publiquement les actes de violence qui ont surgi pendant les dernières manifestations, autant concernant les actes d’ agressions caractérisées contre les grévistes de la part de la gendarmerie et de la BSR, c’est le silence le plus total. Aucune protestation non plus de la part du PSB face aux 243 grévistes arrêtés à Mons et à Charleroi. Ces mesures répressives et d’ arrestations du gouvernement sont une machination, pour tenter de démanteler les piquets.

    D’autres mesures gouvernementales sont prises d’ urgence contre la vague croissante d’actes de sabotages. Pour la manifestation de La Louvière et la venue d’ André Renard, plusieurs autopompes, plusieurs mitrailleuses et plusieurs bulldozers ainsi que plus de 600 gendarmes en tenue de combat sont sur les lieux.

    A Huy, jamais on n’ avait connu une telle concentration de masse. L’ agence Belga annonce qu’il y a eu 113 arrestations uniquement à Liège. Dans la nuit de dimanche à lundi, à Gilly, plusieurs rues ont été dépavées et un arbre a été mis en travers de la route rue des Aises. Deux arrestations sont opérées par la BSR à l’ issue d’ une bagarre. A Mons, certains bâtiments publics occupés par l’armée sont pourvus de panneaux avertissant le public : «toute manifestation hostile provoquerait une sanglante répression – on va tirer»

  • C’était il y a tout juste 50 ans : le 5 janvier 1961

    Pour les dirigeants ouvriers, il est urgent de réagir pour garder la maîtrise des troupes, car les grévistes débordent de plus en plus à l’ issue de manifestations qui prennent une tournure insurrectionnelle.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Ce jeudi, les représentants du PSB et de la FGTB se rencontrent à Bruxelles pour faire le point sur la situation. Le Comité de Coordination des Régionales Wallonne de la FGTB est représenté par André Renard, André Genot, Raymond Latin. A l’issue de la réunion est publié le communiqué suivant : «Les délégués du PSB et les délégués de la FGTB, réunis ensemble le 5 janvier 1961 à 12 heures à la Maison du Peuple de Bruxelles, après avoir procédé à l’ examen de la situation de la grève et de la situation politique, estiment à l’unanimité qu’une solution peut être recherchée dans le cadre des pourparlers qui pourraient être menés notamment à l’ initiative du chef de l’Etat. Les signataires se consulteront sur les termes de toutes solutions éventuelles».

    Le gouvernement Eyskens s’ accroche à la Loi Unique qu’il entend faire voter au Parlement. Dans le camp de la bourgeoisie, c’est l’effervescence, le Roi reçoit en audience plusieurs personnalités politiques. On constate beaucoup d’iniquité de la part du gouvernement, qui cherche une solution qui ne lui ferait pas perdre la face et surtout ne pas donner raison aux grévistes en désavouant sa politique de fermeté suivie jusqu’ici. Mais certains journaux réactionnaires de droite commencent timidement à lâcher le gouvernement Eyskens, ils réclament des élections et le retrait de la Loi Unique.

    C’ est ainsi que l’ Echo de la Bourse du 6 janvier 1961 écrit notamment : «nous exprimons principalement le souhait que le gouvernement, après s’être débarrassé de la pression de l’émeute, prenne le temps de la réflexion et renonce à accabler le pays de la loi unique.»

    D’ un côté comme de l’ autre, on comprend que la lutte engagée est une lutte à outrance, c’est une lutte classe contre classe, dont l’ issue ne peut-être que la victoire, ou la défaite pour l’une où l’autre classe.

    Aucune solution n’est en vue et la situation risque de devenir explosive et incontrôlable si rien ne se passe dans les prochains jours, car la classe ouvrière du pays tient toujours le haut du pavé et est en colère contre l’absence de mots d’ordre. Partout dans le pays, les manifestations sont de plus en plus tendues et nerveuses : il y a 30.000 manifestants à Anvers (la gendarmerie était cette fois invisible et il n’ y a eu aucun incident), 6.000 à Hemixem, 2.000 à Sprimont et 5.000 à Bruxelles, où l’atmosphère est électrique. Louis Stevens, le secrétaire régional de la FGTB bruxelloise, y prend la parole avant la manifestation, à la Maison du Peuple. Les grévistes scandent : «grève générale», « A l’ action tout de suite», «Marche sur Bruxelles». L’ orateur interrompu de partout, débordé, hué, et finit par annoncer que la Régionale bruxelloise de la FGTB va demander au Comité National de la FGTB un mot d’ ordre de «Marche sur Bruxelles» et l’ ordre national de «grève générale» (paroles rapportées par La Cité et Le Soir, mais que Le Peuple, le quotidien lié au PSB, se gardera bien de reproduire). On se rappelle en effet que la FGTB nationale s’était déchargée de sa responsabilité en laissant aux régionales le soin de décréter ou non la grève générale. A ces mots, la salle, remplie à craquer hurle son enthousiasme, qui se transforme en applaudissements et en cris frénétiques. Stevens a touché juste. Mais ce ne seront là que de belles paroles pour calmer les grévistes, plus décidé que jamais à passer à l’ offensive et à en découdre avec l’ Etat bourgeois.

    A l’ issue de la réunion, une manifestation démarre de la Maison du Peuple de Bruxelles, où de nouveaux incidents éclatent entre grévistes et gendarmes. Dans les gros bastions industriels, là où l’action ouvrière est décisive, la lutte continue à battre son plein, on constate partout des actes de durcissement de l’ action, qui se multiplient et prennent la forme d’ actes insurrectionnels : entraves à la circulation, pavés dans des bus qui roulent, jets de bouteilles d’essence, les routes sont à nouveau dépavées, des bois des poteaux de signalisation empêchent la circulation. Les gendarmes procèdent à de nombreuses arrestations.

    Dans cette situation de durcissement de l’ action, les grévistes débordent de plus en plus les appareils du PSB et de la FGTB. La presse de droite est manifestement inquiète, comme l’indique le journal Le Soir du vendredi 6 janvier 1961 qui titre : «L’heure de la négociation va-t-elle enfin sonner ?» On peut également y lire : «C’ est qu’à l’heure actuelle, il n’ y a pas que la loi unique qui est en cause. Il y a bien plus : les rapports entre les deux communautés, l’unité même du pays. De l’avis de gens pondérés, il serait dangereux de laisser plus longtemps certains esprits s’échauffer sur des problèmes dont dépend l’existence de la nation, de laisser s’élargir le fossé qui commence à séparer nos populations.»

    Le premier numéro de l’ hebdomadaire Combat, dont André Renard est le principal rédacteur, sort de presse ce 5 janvier. En première page, on trouve comme slogan : «La Wallonie en a assez.» A ceux parmi les nombreux grévistes qui s’ étonnent de voir Renard et ses amis syndicaux et politiques revenir en force avec le problème wallon, Renard répond : «Il n’ y a absolument rien d’ illogique dans cet enchaînement, au contraire. Si la grève est totale en Wallonie – à cause et contre le projet de loi unique – c’ est précisément parce que les travailleurs wallons ont senti l’ entièreté de la menace. En effet, le réflexe wallon aux attaques du projet de Loi Unique a été foudroyante tant par l’unanimité des forces syndicales socialistes que l’unanimité des forces politiques socialistes, ce qui fait bien en Wallonie «la majorité».

    «Cette fois, le NON des travailleurs est non seulement catégorique mais il est lourd, très lourd de signification. Nous en avons assez, disent les travailleurs wallons, de ne pouvoir avancer à cause d’ une Flandre où souffrent nos camarades flamands sur le chemin de la libération économique et sociale.

    «La constatation que plus les jours avancent, plus la nécessité de solutions économiques et politiques fondamentales envahit les consciences wallonnes n’ étonnera que ceux qui ont voulu, jusqu’ici, ignorer les réalités wallonnes. Voici venir la deuxième phase de la grève générale.

    «Aux travailleurs maintenant de déterminer l’ instrument qu’ils vont retourner contre un gouvernement qui s’ obstine à employer des gendarmes et des soldats pour essayer de prouver qu’il a raison.

    «Pour passer de la grève générale à la grève absolue, les travailleurs disposent de l’arme ultime : l’abandon de l’ outil. Ils ont suffisamment observé l’adversaire que pour lui dire : «notre décision est prise ; si vous persistez, ce sera la grève absolue.»

    Effectivement, le NON des travailleurs à la Loi Unique est très lourd de signification, mais pas pour autant, le détourner de son objectif de classe qui était dès le départ le renversement du gouvernement Eyskens et son projet de loi. Ensuite il a naturellement évolué politiquement vers le renversement de l’ Etat bourgeois. On s’ apercevra aussi qu’André Renard lui-même parle maintenant de grève générale et qu’il revient encore et toujours avec le mot d’ ordre d’ abandon de l’ outil. Qui Renard veut-il encore duper ?

    Tout le monde a bien compris que sous des discours et écrits d’ apparence radicale, ce réformiste de gauche ne mettra pas cette menace à exécution. Et même si elle l’ était, l’expérience de la lutte de classe révolutionnaire de tous les pays nous enseigne que la classe dominante est prête à payer le prix fort pour conserver son pouvoir.

    Le slogan lancé par Combat est l’objet de nombreux commentaires lourds de signification communautaire wallingante. André Renard et ses amis syndicaux et politiques font oeuvre de manoeuvres et de division de la classe ouvrière du pays en plein combat de classe. Ils font une profession de foi fédéraliste, brisant ainsi l’unité du front de la grève générale, méprisant complètement que même si la grève générale n’ est pas absolue en Flandre et à Bruxelles, elle est effectivement générale dans tout le pays. Ce slogan, c’est comme si seulement et uniquement les travailleurs de Wallonie en avaient assez du chômage, des brimades, des vexations, des plans de régressions sociales et de l’exploitation capitaliste. C’est comme si les travailleurs flamands et bruxellois n’étaient pas touchés par les mêmes maux que les travailleurs wallons.

    A Liège, plusieurs manifestations ont lieu, mais une concentration de masse de l’ensemble de la régionale de Liège est prévue pour demain, le 6 janvier.

  • C’était il y a tout juste 50 ans : le 4 janvier 1961 : Le poison du fédéralisme

    Le pays reste toujours paralysé par la grève générale, de nouvelles manifestations ont lieu à Bruxelles. Les gendarmes, en nombre, chargent les grévistes sabre au clair et un gréviste est grièvement blessé. Un important dispositif de gendarmes est venu en renfort pour garder la zone neutre et le Parlement.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Malgré les nombreuses mesures de répression de la gendarmerie, la lutte n’a pas pu être arrêtée, et elle se poursuit. La lutte des grévistes contre le gouvernement et l’Etat bourgeois a pour effet de galvaniser la volonté de la classe ouvrière dans son ensemble. Depuis le 20 décembre 1960, la grève générale n’a pas cessé de prendre de l’ampleur dans tout le pays. En Flandre, les débrayages se multiplient de jour en jour. Cette extension de la grève en Flandre est toujours accompagnée de manifestations de plus en plus nombreuses.

    Les luttes se développent et on constate une accentuation du caractère aigu de la grève générale partout dans le pays. Progressivement, le conflit prend la tournure d’un mouvement insurrectionnel. Les grévistes sont de plus en plus nombreux à participer aux différentes manifestations, la grève générale est toujours efficace, le potentiel économique du pays est toujours paralysé après 16 jours de grève.

    Dans une grève générale d’une telle ampleur, il y a toujours des variations sur le front des mouvements de la lutte, mais le plus important à mettre en évidence, c’est que la volonté de la grande majorité des grévistes à poursuivre le combat reste intacte ; ils attendent avec maintenant beaucoup plus d’impatience que les directions ouvrières décrètent les mots d’ordre qu’ils réclament. Pendant ce temps, les députés du PSB restent cantonnés au sein du Parlement.

    Le Comité de Coordination des régionales Wallonnes de la FGTB réuni ce 4 janvier 1961, toujours sous la présidence d’André Renard, publie une résolution dont voici un extrait : (Le Comité) «S’indigne du comportement des soi disant forces de l’ ordre, qui se transforment en forces provocatrices dans certaines régions de Wallonie, qui se livrent à des excès que réprouve l’ ensemble de la population ; Souligne le caractère sérieux et de froide détermination qui animait tous les participants ; Félicite les travailleurs qui ; tant à Bruxelles qu’ en pays flamand, sont, eux aussi, descendus dans la rue pour clamer, comme les travailleurs de Wallonie, leur opposition irréductible à la loi unique, objectif unique de l’action engagée.»

    On peut constater que le ton a changé au sein du comité de la FGTB wallonne, c’est ce qui a fait dire à « La Cité » du 3 janvier «que la position d’André Renard au sein des fédérations Wallonnes tendrait à s’affaiblir, et que le comité de Coordination des régionales wallonnes aurait perdu de sa cohésion.» C’est l’introduction de la revendication du fédéralisme qui pose problème.

    Quinze mille manifestants occupent pendant tout l’après-midi le centre de Bruxelles. Georges Debunne, secrétaire national de la CGSP, veut prendre la parole du balcon du local socialiste pour inviter les manifestants à se disperser. La Cité rapporte que : «des huées et des cris viennent l’interrompre, les manifestants réclament la “Marche sur Bruxelles”, “Au Parlement”, “De l’action aujourd’hui”». Quand Debunne redemande aux manifestants de se disperser, ce sont de nouvelles huées. Il insiste, on l’entend péniblement déclarer que les manifestants ne doivent pas donner l’impression qu’ils ne s’entendent pas avec leurs dirigeants, et leur fixe rendez-vous à demain 10h00 à la maison du Peuple. Cela suscite de nouvelles huées.

    Une colonne de manifestants de la Jeune Garde Socialiste et d’étudiants continue seule et marche sur la Sabena, attaquant les autobus qui roulent encore et en chantant l’Internationale. A l’issue de la dislocation de la manifestation, c’est un groupe de quelques deux cents jeunes qui se regroupe et tente de gagner la zone neutre. Sur leur passage ils lapident un tram qui roulait malgré les consignes de grève, les vitres de la Sabena sont à nouveau brisées. Aux abords de la zone neutre, de violents heurts éclatent avec les gendarmes, nombreux à défendre la zone. Plusieurs arrestations sont opérées. Le gouvernement a pris des mesures de sécurité supplémentaires. Des renforts de gendarmerie ont pris position, toutes les grilles sont fermées. Le lendemain, le journal lié au PSB Le Peuple condamne sévèrement «le déchaînement d’une bande d’écervelés, de blousons noirs, qui par leur action après la manifestation, ont fait régner « pendant une demi-heure une atmosphère d’émeute.» Les dirigeants réformistes du PSB se désolidarisent donc publiquement de l’action des jeunes !

    La fédération bruxelloise des Jeunes Gardes Socialistes publie une mise au point qui donne une idée du fossé existant entre les grévistes de la base et les dirigeants socialistes. En voici le texte : «Depuis quelques jours, on assiste à un lâchage systématique de certains actes commis par les grévistes manifestants à Bruxelles. Ce sont les journaux ouvriers qui dénoncent : «Actions de blousons noirs et de gamins». Ces gamins sont au même titre que les autres des travailleurs en grève. Il leur a souvent fallu plus de courage que leurs aînés pour participer à celle-ci. Hier les jeunesses communistes, aujourd’hui les étudiants socialistes et communistes dénoncent également les «irresponsables» Où sont les irresponsables ? Ce ne sont pas nécessairement ceux qui cassent des vitrines, arrêtent des autobus ; ceux-là sont généralement des grévistes excédés de tourner en rond depuis plus de dix jours, qui cherchent désespérément d’autres formes d’action. Mais ceux qui, les jours passés, clamaient « au Parlement » et qui criaient à la provocation sont des irresponsables… La Jeune Garde Socialiste, en tant qu’organisation ouvrière – bien que n’ayant pas donné de consignes de violence – se refuse à assimiler à des provocateurs ou à des gamins les centaines de jeunes grévistes qui sont passés à l’action directe. Ces actes de violence sont l’expression du désir des jeunes ouvriers de briser un régime qui leur refuse toute perspective d’avenir.»

    Quelle va maintenant être l’attitude des dirigeants qui prétendent se battre sur des positions de classe, coincés qu’ils sont entre le marteau de l’avant-garde ouvrière qui commence à s’organiser dans l’action, et l’enclume des directions traditionnelles enlisées dans la discussion parlementaire et les marchandages de sommet ?

    Pour la tendance Renard de la FGTB, qui s’est toujours piquée de diriger l’avant-garde, il est urgent de trouver une solution qui préserve cette apparence, tout en évitant à ses dirigeants de prendre vraiment la tête d’une offensive révolutionnaire contre la bourgeoisie. Cette solution, André Renard et ses amis croient l’avoir trouvée avec le nouvel objectif du fédéralisme wallon. Abandonnant délibérément le terrain de la lutte de classe, sur lequel, c’était imminent, les ouvriers révolutionnaires allaient les obliger à passer à l’attaque, les dirigeants syndicalistes de la FGTB wallonne effectuent un repli en règle. Ils tentent désormais de canaliser l’action vers les objectifs plus sentimentaux et plus passionnels de l’autonomie wallonne, ce qui n’a plus rien à voir avec les objectifs révolutionnaires que la classe ouvrière s’était fixée dès le début de la grève générale.

    Le but de l’opération «fédéralisme» lancé par André Renard n’en est pas moins de donner le change à la classe ouvrière, frustrée par ses dirigeants quant aux objectifs de sa grève générale. Il s’agit de faire diversion, dans la phase la plus critique de la guerre de classe dans laquelle se débat le prolétariat belge. Dans la région flamande, la grève est moins ample qu’ailleurs, et aussi plus difficile, nous l’avons déjà dit. Le patronat, le gouvernement et les forces de répression exercent une pression plus forte sur les militants ouvriers. Dans ces circonstances, la revendication du fédéralisme des dirigeants syndicaux de la FGTB wallonne ne peut que précipiter la retraite des travailleurs flamands.

    Mais au moment où André Renard lance sa campagne pour l’autonomie wallonne, il y a encore des dizaines de milliers de travailleurs flamands en grève ; non seulement dans les grandes cités ouvrières flamandes de Gand et d’Anvers, mais aussi dans les petites villes comme Bruges, Courtrai, Denaix, Alost, Furnes, Menin, où les grévistes mènent un combat plus héroïque encore, car plus difficile. Dans ces conditions, les responsables wallons de la FGTB, parfaitement au courant de cette situation, se doivent d’aider leurs camarades flamands à poursuivre la lutte, en envoyant des délégations de grévistes aux manifestations et avec prise de parole dans leurs meetings. Mais ce n’est évidemment pas le but des bureaucrates syndicaux de la FGTB wallonne. Bien que les travailleurs flamands de la base réclament la venue d’André Renard, celui-ci ne daigne pas se déplacer, soit disant par respect pour les sommets de l’appareil réformiste de la FGTB flamande.

    On ne saurait donc être trop sévère pour la campagne pour le fédéralisme du mouvement Renardiste, une vulgaire manœuvre de division, un coup de poignard dans le dos des travailleurs flamands.

    Chez ces derniers, la colère est grande. De surcroît, ils subissent la pression idéologique de la bourgeoisie flamande sur le thème national, pression qui se fait plus lourde au fur et à mesure que la propagande «wallingante» s’accentue. L’amertume et la colère sont grandes chez les militants ouvriers qui ne désarment pas pour autant. D’ailleurs, la presse ouvrière flamande titre que : «Les travailleurs flamands préfèrent se soumettre à une Wallonie rouge qu’à une Flandre noire.» On ne répètera jamais assez que c’est l’extraordinaire instinct de classe des travailleurs wallons qui a empêché les bureaucrates de détourner le mouvement vers la régionalisation dès le début, malgré les tentatives de l’appareil qui créait, dès le 23 décembre 1960, le « Comité de Coordination des Régionales wallonnes de la FGTB ». De même, on ne dira jamais assez non plus que l’abandon de la lutte à l’échelle nationale, préméditée par André Renard, ainsi que l’introduction de la revendication du fédéralisme ont été fatals au succès du mouvement de grève générale.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 3 janvier 1961, André Renard se prononce contre la Marche sur Bruxelles

    Le journal de Charleroi titre ce 3 janvier 1961 : «La grève s’ est encore étendue dans certaines régions flamandes.» C’est un démenti concret face aux idées fédéralistes de Renard et du PSB. Ce mardi 3 janvier, la Chambre reprend ses travaux, les députés doivent continuer l’ examen de la Loi Unique. Pendant ce temps, d’importantes manifestations de masse ont lieu avec succès dans toutes les régions du pays.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Le quotidien Le Peuple titre : «200.000 manifestants sont descendus dans la rue.» Des manifestations sont organisées à Anvers où, une nouvelle fois, des incidents violents éclatent entre grévistes et gendarmes qui cherchent la provocation, à Gand, à Grammont, à Bruges, à Ninove, à Tournai, à Nivelle, à Namur, à Waremme, à Mons où les locaux d’ un journal chrétien sont mis à sac, à Bruxelles, à Charleroi et dans toute la région Liégeoise. Les incidents d’Anvers font une vingtaine de blessés.

    Les journaux sont unanimes pour affirmer, comme le journal « Le Soir », que les : «manifestants sont nettement plus nombreux que les jours précédents.» Il est clair pour tout le monde que l’ampleur du mouvement ne laisse encore aucune possibilité aux dirigeants socialistes pour tenter un compromis. Lors de ces manifestations, des bagarres éclatent en plusieurs endroits, surtout entre des groupes de jeunes manifestants et les gendarmes à cheval qui chargent une nouvelle fois les grévistes sabre au clair, en faisant de nombreux blessés.

    Pendant ce temps, les parlementaires socialistes et communistes n’ont aucune intention d’abandonner le Parlement. Celui-ci, y compris pour les députés wallons, doit se révéler une excellente planche de salut au cas où la situation s’ aggraverait encore davantage. Des rumeurs persistantes courent selon lesquelles Louis Major, le secrétaire général de la FGTB, aurait pris contact avec les dirigeants chrétiens pour tenter de trouver un terrain de négociations, rumeurs que Major dément.

    Dans la région liégeoise, les grévistes répondent avec enthousiasme à l’ appel de leurs dirigeants, mais ceux-ci ont bien pris soin de les disperser. Ils sont 10.000 à Liège, 800 à Herstal, 15.000 à Yvoz–Ramet, 8.000 à Grivegnée, 3.000 à Fléron, 5.000 à Grâce-Berleur, 1.000 à Nessonvaux, 3.000 à Comblain, 5.000 à Waremme. Ils sont plus de 50.000 à manifester dans la région.

    Ce jour-là, André Renard prend la parole à plusieurs endroits. Parlant aux grévistes d’Yvoz-Ramet, il se voit réclamer de toutes parts la marche sur Bruxelles. Brutalement, il s’ y oppose et met tout le poids de son crédit de réformiste de gauche dans la balance. Il déclare : «A Bruxelles, et après ? Il faut penser qu’il y a certains moyens qu’on n’ utilise pas deux fois.» A Grivegnée, Renard précise : «Nous n’ irons pas à Bruxelles. Nous ne voulons pas de morts sur les routes : la dernière fois nous étions 40.000 pour marcher sur Bruxelles. Cette fois, si nous n’ étions pas 50.000, ce serait un échec.»

    C’ est à Yvoz-Ramet qu’André Renard prend très nettement position pour la revendication du fédéralisme, d’après l’édition du journal Le Soir du 4 janvier 1961, il déclare en introduction : «Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple. On veut punir les Wallons parce qu’ils sont socialistes.»

    Et comme il faut bien soigner son image, comme il faut bien se montrer ferme pour ne pas décevoir complètement les grévistes, Renard radicalise alors son discours en disant (toujours selon « Le Soir ») : «Vous n’ avez jusqu’à présent donné aucun signe de lassitude, mais le moment est venu de faire plus encore. Nous avons pensé à utiliser l’ arme ultime et, pour ce faire, nous avons pris toutes nos responsabilités. Je vous annonce que le comité de grève a pris la décision de principe d’ abandonner l’ outil (vibrantes ovations). Nous sommes conscients de ce que cela représente, mais nous le voulons. L’ ordre en sera donné en temps voulu. Nous n’ accepterons pas de mettre un genou à terre. Notre cause est juste, nous voulons la gagner.» Et Renard s’ écrie : «Êtes-vous pour l’abandon de l’ outil ?» Un immense «oui» monte de la foule. «Le comité des grèves» dont Renard parle n’est autre chose que le comité de coordination des bureaucrates syndicaux wallons, sans qu’aucune représentation de la base ne soit présente en son sein.

    Mais, dans la soirée de ce même mardi 3 janvier, une auto disposant d’un puissant haut-parleur de la FGTB de Liège diffuse dans les rues d’ Ougrée et de Seraing un appel aux ouvriers en vue de maintenir l’ entretien des hauts fourneaux. Renard menacera jusqu’au bout d’ abandonner l’ outil, mais il se gardera bien de mettre sa menace à exécution. Le fait que la FGTB de Liège, « fief » de Renard, ait lancé des directives en contradiction avec son discours démontre complètement la manoeuvre bureaucratique : aux ouvriers qui veulent marcher sur Bruxelles, Renard oppose l’abandon de l’outil ; aux patrons des hauts fourneaux, il assure qu’ il n’a nullement l’intention de passer aux actes.

    La tendance fédéraliste s’affirme petit à petit au sein des organisations syndicales en grève ; des affiches et des drapeaux avec le coq wallon font leur apparition, mais l’immense majorité des travailleurs wallons, flamands et bruxellois ne sont évidemment pas d’accord avec cette orientation fédéraliste qui est l’oeuvre exclusive de la tendance Renard. Les travailleurs n’ ont d’ ailleurs pas été consultés sur cette nouvelle orientation et, en plus, ils n’ont donné aucun mandat en ce sens.

    La lutte qui s’ était progressivement dirigée contre le régime capitaliste lui-même est remplacée, par les partisans du fédéralisme, par la lutte contre l’Etat unitaire mais sans toucher aux fondements du capitalisme afin de trouver une issue honorable. Le journal La Cité du 9 janvier 1961 ne s’ y trompera pas en disant : «Les leaders de la grève doivent renoncer à l’épreuve de force et chercher une porte de sortie honorable.» Il est certain que les leaders du mouvement de grève, bien qu’ayant cherché une sortie honorable, n’ont par contre jamais envisagé une seule minute la moindre épreuve de force.

    Les travailleurs considèrent cette proposition de fédéralisme comme une déviation de la grève générale et comme une fuite en avant. Les travailleurs flamands et Bruxellois ne peuvent voir cette évolution que d’ un fort mauvais oeil. Cette confusion voulue par Renard et par la quasi totalité de l’ appareil de la FGTB wallonne met les grévistes mal à l’ aise ; ils voient dans cette orientation une démobilisation, une rupture de l’ unité de front entre les travailleurs flamands, bruxellois et wallons.

    Quant au Parti Communiste, il manifeste également son désaccord en demandant aux travailleurs de «repousser toute tentative de fixer des objectifs autres que celui de la grève», c’ est à dire le retrait pur et simple de la Loi Unique. Le communiqué du PC «regrette que certains chefs syndicaux se soient tus quand aux formes que devait prendre le combat dans les prochains jours.» Mais le PC, en tant que parti politique, ne donnera pas non plus de mot d’ ordre de combat, restant sourd, tout comme les dirigeants socialistes, à la revendication très populaire de la Marche sur Bruxelles.

    Comme consigne, ce 3 janvier, le journal du Parti Communiste, Le drapeau rouge, titre : «Les députés PSC et libéraux discréditent la démocratie en ne tenant pas compte de la volonté des travailleurs. Il faut organiser au plus tôt une journée de délégations ouvrières massives au parlement pour obtenir le retrait pur et simple de la loi unique». Pour les staliniens, il ne s’ agit pas de lancer le mot d’ ordre de la marche sur Bruxelles, mais simplement d’ envoyer des «délégations au Parlement» ce qui n’ est évidemment pas la même chose. Toujours et partout, les bureaucrates réformistes et staliniens expliquent aux masses ouvrières que la lutte révolutionnaire est impossible, avec des arguments semblables à ceux utilisés par Renard. Mais tous ces bureaucrates, y compris Renard et Major, sont effrayés par les implications révolutionnaires de la grève générale.

    Lors des journées précédentes, les soldats et les gendarmes supplétifs avaient de la sympathie pour le mouvement de grève générale. Des soldats avaient d’ ailleurs fait savoir qu’ils n’ avaient pas de balles, certains gendarmes supplétifs avaient prêté leurs bons offices pour rétablir des liaisons entre les piquets de grève. Dans le conflit de 1950, il y avait eu une désagrégation de l’appareil répressif de l’ Etat bourgeois. Qu’aurait bien pu faire Eyskens dans pareille situation avec ses 18.000 gendarmes face à la montée de milliers et de milliers de grévistes sur Bruxelles ? Certes, il y aurait eu des affrontements mais, finalement, les travailleurs auraient certainement eu le dessus. Et alors aurait été posée la question du pouvoir. Si on considère que l’ armée et la gendarmerie se trouvera du côté de la bourgeoisie dans toutes les situations, alors il faut renoncer non seulement à la grève générale mais aussi au socialisme. Car, dans ces conditions, le régime capitaliste est éternel et il faut alors renoncer définitivement à toute lutte.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 30 décembre 1960

    45.000 personnes manifestent à Charleroi dans une atmosphère enfiévrée, 10.000 à Mons, 10.000 à Verviers, 8.000 à Jemeppe et 8.000 à Bruxelles. Des incidents, des violences, des actes de sabotage sont signalés dans les régions où la grève générale est totale. A Bruxelles il y a des incidents sanglants. Un ouvrier chômeur qui pourtant ne manifestait pas, François Vandertrappen, est tué d’une balle de revolver tirée à bout portant par un jeune provocateur qui prétextera avoir voulu défendre un gendarme.

    Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    La grande question reste posée aujourd’hui encore : pourquoi ce jeune passant était-il armé d’ un pistolet pour se rendre sur les lieux de la manifestation ? La Cour d’ Appel de Bruxelles l’ a par la suite acquitté.

    Cette nouvelle dramatique accentue encore la colère et la révolte ouvrière. Avant cette manifestation, H.Brouhon, un député socialiste, avait pris la parole à la Maison du Peuple. Il s’est fait huer pour avoir annoncé la décision de l’ Action Commune de Bruxelles de ne plus organiser de manifestations avant le mercredi 4 janvier.

    A Charleroi, les 45.000 grévistes chantent la Marseillaise. Pourquoi la Marseillaise? Parce que dans le refrain de ce chant révolutionnaire, il est dit : «Aux armes les citoyens, formez vos bataillons», ce qui est repris en cœur par toute la masse des grévistes, exprimant ainsi on ne peut plus clairement sa volonté d’ affronter, les armes à la main, l’ Etat bourgeois. Les travailleurs scandent aussi : «Vive la République» et l’ écrasante masse ouvrière réclame encore à plusieurs reprises la : «Marche sur Bruxelles.» Ce même slogan est repris et réclamé par les manifestants de Liège et de Verviers.

    A Mons et dans le Borinage, la circulation est rendue difficile à cause des barricades établies sur les routes et des nombreux dépavages de rues. Partout, de nombreux accrochages sont signalés entre gendarmes et grévistes. Les forces de l’ordre sèment le désordre là où elles passent et sur les piquets de grève, c’ est la bagarre. La grève générale gagne encore du terrain, c’ est ainsi que les régionales FGTB de Renaix, Alost et Turnhout décrètent la grève générale. La répression s’ aggrave encore, l’action des gendarmes se fait plus violente, mais la pression des travailleurs sur leurs dirigeants est de plus en plus forte. Ceux-ci ne veulent plus et ont de plus en plus de mal à diriger des manifestations qui se déroulent avec plus de violence que les jours précédents.

    Il faut signaler le rôle d’ avant-garde joué à Bruxelles, à Liège et à Charleroi par les jeunes travailleurs organisés politiquement dans les «Jeunes Gardes Socialistes», les JGS. Les Jeunes Gardes sont pratiquement la seule force qui ait tenté d’ avoir une action nationale coordonnée, qui ait compris le sens réel de la lutte qui se développait dans les journées de cette grève générale de l’ hiver 60/61’ et qui ait tenté d’ entraîner les jeunes travailleurs au-delà des bornes fixées par les directions ouvrières. Pour la plupart, les JGS se réunissaient chaque jour pour prendre des décisions concernant la marche à suivre.

    Malheureusement, la faiblesse et l’ encadrement des Jeunes Gardes leur interdisaient de prendre la direction des manifestations. Toutefois, les JGS de Charleroi ont encore pris d’ autres initiatives d’action par la suite. Voici en quels termes Gilbert Clajot, secrétaire national JGS, relate l’activité de ces jeunes : «Ces jeunes étaient rarement organisés avant la grève. Syndiqués, oui. Au cours des grèves, ils éprouvèrent le besoin de se regrouper entre jeunes. D’ où, d’ une part, un certain regroupement autour des organisations de jeunesse combatives. Selon les régions, les moments : JGS, JC, Jeunesses Syndicales. D’ autre part, on vit des regroupements professionnels et locaux… On vit apparaitre, dans certaines régions, des Comités d’ actions des jeunes grévistes.»

    De façon générale, les jeunes ont joué un rôle important. A Liège et à Bruxelles, à Charleroi et à Anvers, fréquemment, les gendarmes chargeant la masse se retrouvaient assaillis eux-même par des jeunes travailleurs armés de seaux et de bâtons, de pavés et de poteaux, contre une police super-armée.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 29 décembre 1960

    Dans le Borinage, la lutte prend un caractère nettement insurrectionnel. Les routes sont barrées et dépavées, les grévistes deviennent de plus en plus violents et menaçants. Cette région est un camp retranché, ce sont les préparatifs de l’ affrontement révolutionnaire. Devant cette montée de colère ouvrière, les dirigeants de la grève sont obligés, eux aussi, de devenir en parole plus menaçants, afin de ne pas être écartés par les grévistes.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Quant au mouvement de grève, il veut maintenir son ampleur et son caractère combatif, les grévistes réclament dans chaque manifestation la « Marche sur Bruxelles. »

    Avec les grandes et imposantes manifestations de Gand, de Bruxelles, de Charleroi, ainsi que les préparatifs dans le Borinage s’ouvre une nouvelle phase de l’ action des travailleurs. Mais comme tout le monde, le gouvernement a compris que les dirigeants ouvriers sont décidés à empêcher que l’offensive prolétarienne qui se prépare ne s’ assigne consciemment les objectifs révolutionnaires qui sont implicitement les siens.

    Toute la bourgeoisie est unie derrière le gouvernement, même si elle perd, selon les estimations, 500 millions à 1 milliard de francs belges par jour (fermeture des entreprises, blocage du port d’ Anvers, moins-values fiscales, commandes perdues).

    La manifestation de masse la plus imposante en Flandre a lieu aujourd’hui, les journaux parlent de 30.000 participants à Anvers. Suite à cette impressionnante volonté de combat des travailleurs flamands, les bureaucrates de la FGTB nationale haussent le ton.

    A Bruxelles, 10.000 manifestants défilent dans les rues de la capitale, la manifestation est très animée et émaillée d’ incidents qui éclatent tout au long du cortège, les vitres des locaux des journaux chrétiens et des banques volent en éclats ; à la gare du midi, un bus qui roulait est saccagé par les grévistes en colère. D’ autres manifestations ont encore lieu, à Binche, à Louvain, à Alost et dans la région liégeoise. Des incidents suivis de bagarres éclatent à nouveau dans plusieurs endroits. Lors d’ un meeting, André Renard déclare que : «Si le gouvernement ne cède pas, il nous reste encore une arme : l’ abandon total de l’ outil.»

    Les journaux annoncent que le Roi et la Reine sont rentrés au pays, cette nouvelle est accueillie de façon indifférente par les travailleurs. Ils considèrent que s’ ils rentrent, c’est que la situation est grave pour la bourgeoisie. Le gouvernement a rappelé des troupes belges stationnées en Allemagne sous commandement de l’ OTAN . Les rumeurs courent selon lesquelles le socialiste Paul-Henry Spaak, alors secrétaire général de cette organisation, pourrait prendre la tête, après les élections, d’un gouvernement de coalition, qui se chargerait de redresser la situation de la bourgeoisie.

    Le Peuple signale cependant que le mécontentement est grand parmi la troupe, qui fraternise çà et là avec les grévistes, et les gendarmes supplétifs, dont certains auraient même prêté leurs bons offices pour rétablir des liaisons entre différents piquets de grève. En plusieurs endroits, les paras seraient laissés sans nourriture : «pour les affamer et exciter leur ardeur au combat», suggère Le Peuple, ajoutant que «les fauves, une fois lâchés, pourraient fort bien se retourner contre le dompteur, et (qui sait ) le dévorer. Comme dans tous les bons cirques.»

    Plus de 700.000 ouvriers du pays sont en grève depuis dix jours. Certains vivent encore sur la paye de la quinzaine qui a précédé la grève ; mais la situation matérielle des grévistes tend partout à devenir dramatique.

    Dans ces journées de dur conflit, les grévistes qui manifestent presque quotidiennement se trouvent ainsi confortés dans leur volonté de lutte. Chacune de ces actions ouvrières est à chaque fois de plus en plus massive et explosive. Jamais auparavant nous n’ avions vu des concentrations de masse aussi imposantes. Toutes les difficultés que rencontrent les grévistes n’ entament pas leur combativité. Le prolétariat belge veut aller jusqu’au bout. Voilà déjà dix jours déjà qu’on assiste aux efforts désespérés des travailleurs, qui tentent de se libérer du carcan que leurs propres organisations maintiennent sur leurs épaules. Les bureaucrates du PSB et de la FGTB regardent cyniquement en vain s’ épuiser la lutte héroïque du prolétariat belge, debout pour sa libération face au système d’exploitation capitaliste.

    Dans toutes les villes du pays, les travailleurs se réunissent quotidiennement. On bat la semelle, on tourne en rond, on s’ irrite. Les sabotages se multiplient. Dans les réunions publiques, les dirigeants se voient ouvertement reprocher de laisser les grévistes sans mot d’ ordre. Dans la capitale, les manifestants réclament : « Au Parlement », « Les Wallons à Bruxelles ». Les dirigeants font la sourde oreille, ils prennent des précautions, notamment à Bruxelles, où ils dirigent le cortège vers l’extérieur de la ville.

    Une délégation de l’ Action Commune Socialiste est reçue par G. Eyskens, à qui elle remet une lettre dans laquelle on lit notamment : «Il est faux de dire que ce sont des grèves politiques : ce sont les grèves des travailleurs, tant du secteur public que du secteur privé, en lutte pour leurs droits. Les grévistes ne mettent pas en cause les institutions démocratiques.» Après avoir rencontré le Premier Ministre, Hervé Brouhonn, député socialiste, commente: «Le Premier ministre s’ est déclaré prêt à discuter avec tout le monde. Nous lui avons fait valoir que nous n’ avions pas pouvoir de discuter sur des problèmes qui ont un caractère national. Nous lui avons fait valoir que nous n’ estimions pas que ses propositions soient de nature à apaiser les travailleurs. » Propos qui sont bien éclairés par le bref commentaire de G.Eyskens lui-même : «De part et d’autre, on est convaincu qu’il y a des choses qu’il faut éviter.» Avec ces propos tenus de part et d’ autre, on comprendra que, oui, c’ est pour barrer la route à la révolution socialiste que se sont ligués G.Eyskens, mandataire de la grande bourgeoisie, et les dirigeants de l’ Action Commune Socialiste.

    Quant à Léo Collard, le président du PSB et de l’ Action Commune Socialiste, il déclare dans une conférence de presse aux journalistes étrangers que les socialistes : «sont prêts à rechercher une solution» avec le gouvernement. A la même conférence, André Renard explique que c’ est par esprit de compromis avec les dirigeants flamands de la FGTB qu’il se refuse, lui aussi, à employer le terme de « grève générale ».

    Les gares sont occupées par la troupe. Toutes ces occupations indiquent le degré du sentiment d’inquiétude de la bourgeoisie et du gouvernement, qui craignent une marche sur Bruxelles spontanée et bloquent ainsi l’un des plus importants moyens de transport vers la capitale. Même les aéroports sont occupés par les para-commandos. A Angleur et à Roux, les femmes grévistes qui avaient préparé la soupe en offrent aux soldats chargés de surveiller les gares.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 28 décembre

    A Gand, de nouveaux heurts violents éclatent entre grévistes et gendarmes. Suite à ces violentes bagarres, la régionale FGTB ne peut plus rester sans réaction et décrète d’ urgence la grève générale régionale. La grève générale connait donc encore une fois une nouvelle extension et un durcissement dans les centres industriels flamands. Dans la périphérie d’ Anvers, plusieurs entreprises débrayent sur-le-champ, les travailleurs chrétiens suivent le mouvement de grève. Une grande manifestation est prévue pour le 29 décembre après-midi à Anvers.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    27 décembre

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    De nombreuses manifestations ont encore lieu dans le pays ; à Quaregnon, dans le Borinage, 20.000 grévistes à Mons, à Charleroi, à Bruxelles, où des autobus qui roulaient ont été lapidés, les vitres des banques cassées, dans la région de Liège c’ est la même situation, partout dans le pays l’ action des piquets de grève se durcit et se renforce, plusieurs arrestations ont encore été opérées.

    La situation évolue vers une poussée de fièvre, surtout du côté d’ Anvers et de Gand mais aussi dans d’ autres régions flamandes, notamment à Courtrai, Ypres, Alost, Bruges, Tongres et Tirlemont. Les travailleurs veulent passer à l’ attaque, mais leurs organisations ouvrières le leur interdisent. C’est pourquoi, à partir de ce 28 décembre, on va voir les grévistes se réunir quotidiennement dans des manifestations monstres, crier, piétiner pendant des heures puis se disperser sans qu’aucune organisation ne veuille prendre sur elle la responsabilité d’ un mot d’ ordre national offensif.

    Ceux qui connaissent un tant soit peut l’ histoire des luttes du mouvement ouvrier international savent qu’il ne faut en aucun cas attendre des réformistes ou des staliniens des mots d’ ordre à caractère offensif. Par contre les travailleurs en grève étaient en droit d’ attendre des consignes offensives de la part des dirigeants de La Gauche, qui disaient se placer dans la perspective de la révolution socialiste. Mais voilà, de ce côté là, rien non plus. Ils sont restés à la remorque des réformistes et des staliniens. Le mouvement en cours est bel et bien une grève à objectif révolutionnaire et qui exige de ce fait des mots d’ordre et des consignes appropriés.

    Certains journaux de droite ne s’ y sont d’ ailleurs pas trompés et n’ ont pas manqué de souligner la gravité de la situation, qui empire de jour en jour. Les grèves entraînent un durcissement général, des incidents graves se produisent un peu partout dans le pays et risquent de dégénérer si le gouvernement s’ entête. Toutefois celui-ci reste sur ses positions. Il durcit même ses mesures de répression, tente par tous les moyens à sa disposition (radio, TV , journaux, communiqués,…) d’inciter les grévistes à reprendre le travail, mais il n’ en est rien, bien au contraire. Les grévistes sont décidés à aller jusqu’au bout, c’est l’épreuve de force.

    Treize mille grévistes paralysent Bruxelles pendant trois heures. Les trams ne roulent plus. Les grévistes scandent : « Eyskens au poteau », « Les Wallons à Bruxelles », « Les banquiers doivent payer ». Plus de 8.000 métallos défilent à Herstal. Plus de 20.000 manifestants au Pays Noir. A La Louvière, plus de 15.000 manifestants se réunissent avec un grand calicot : « Camarades ! Marchons sur Bruxelles ».

    Dans le grand port flamand, l’ ensemble des réparateurs de navires et de chantiers navals sont en grève. Dix mille grévistes à la Bell-téléphone, Cockerill-Hoboken est bloquée. Les ouvriers du pétrole sont eux aussi en grève. Les ports d’ Ostende et de Gand sont également totalement paralysés. Les briqueteries de Rupel son arrêtées, 1.800 mineurs du Limbourg sont en grève.

    Avec cette énumération des mouvements de grève générale en Flandre, on peut mesurer le caractère criminel de l’attitude d’André Renard lorsque, en pleine grève générale, il revendique le fédéralisme wallon. Là aussi les dirigeants de La Gauche devaient réagir énergiquement en s’ opposant à Renard et sa revendication, dans un contexte de grève générale visant le renversement du gouvernement et de l’Etat bourgeois. Mais là aussi, on peut constater un silence complice et la capitulation complète face à la politique réformiste de Renard.

    La grève prend toujours de l’extension, de même que l’appel pour une Marche sur Bruxelles et une confrontation directe avec le pouvoir dans la capitale.

    A Bruges, la grève se durcit après les incidents survenus à Gand, où les grévistes ont subi une véritable agression. En réponse à cette même agression, la FGTB d’ Anvers décrète la grève générale. Un acte de sabotage très significatif est commis sur la ligne Gand-Adenkerke, où des blocs de béton sont posés sur les voies, comme sur les routes. La centrale des mineurs du Limbourg communique que la grève est totale dans le charbonnage. Le comité exécutif reçoit de France et d’Italie des encouragements de solidarité. Certains ont prétendu que la Flandre n’ avait pas embrayé à la grève générale alors que même des centrales ouvrières de l’étranger ont apporté leur soutien total aux mineurs flamands. S’ils n’ avaient pas embrayé dans la grève générale, ce genre de soutien n’aurait pas été possible.

    Le même jour, le praesidium élargi de l’action commune socialiste déclare d’ailleurs dans un communiqué que «Il constate que la grève est totale en Wallonie et qu’elle s’ amplifie chaque jour de façon massive tant en Flandre que dans la région bruxelloise.»

  • C’était il y a tout juste 50 ans: Le 27 décembre

    La grève générale atteint sa plus grande ampleur. Pourtant, seules les régionales wallonnes de la FGTB et celle d’ Anvers ont formellement lancé un mot d’ ordre de grève. Les métallurgistes d’Anvers et de Gand, ainsi que l’ ensemble des services publics de Flandre, ont rejoint le mouvement de grève malgré de nombreux appels de la CSC à la reprise du travail et le refus obstiné de la FGTB nationale de lancer l’ ordre de grève générale. Pour l’ essentiel, la classe ouvrière du pays est entièrement mobilisée, la grève générale est totale.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Dans plusieurs grandes villes du pays se déroulent d’ impressionnantes manifestations, la détermination est palpable dans la concentration ouvrière, c’est la détermination et la volonté de lutte exprimée par les grévistes qui réclament à nouveau, et avec force, une marche sur Bruxelles. Tous les observateurs sont unanimes, l’ampleur de cette grève générale est de loin la plus grandiose que le mouvement ouvrier belge ait connue. Les quartiers populaires sont vidés de leurs habitants. D’après les anciens, il faudrait remonter jusqu’aux grèves de 1932 pour se souvenir de manifestations aussi importantes.

    La classe ouvrière est dans la rue, elle réclame des mots d’ordre radicaux. Elle est prête à l’affrontement avec la bourgeoisie malgré ce que les haut-parleurs des voitures de la FGTB répètent inlassablement : ”Calme, Ordre, Discipline”. Ces diffusions ont d’ailleurs le don d’énerver les travailleurs, qui attendent autre chose que ces injonctions de bureaucrates syndicaux.

    A Bruxelles, plus de 10.000 travailleurs manifestent dans les grands axes de la ville. A Liège, plusieurs manifestations se déroulent dans différentes communes de la région.

    La direction nationale de la CSC reste opposée à la grève, malgré le fait que la plupart des affiliés CSC soient dans la rue ; elle soutient de plus en plus ouvertement le gouvernement. Le président de la CSC a d’ ailleurs déclaré : ”Nous n’ avons plus la possibilité de nous mettre en grève, en raison du caractère révolutionnaire de celle-ci.” Les dirigeants de la CSC sont très inquiets, l’éditorialiste du journal ”La Cité” du 27 décembre note : ”Tout paraît indiqué que, de part et d’autre, on veut mesurer le rapport des forces en présence, en réalité, la question que tout le monde se pose à présent est de savoir si le mouvement va effectivement prendre une nouvelle ampleur, ou bien, s’ il va, au contraire, connaître une phase d’ incertitude.”

    Le comité national de la CSC se réunit ce 27 et vote à l’ unanimité une résolution dont voici un extrait : ”Le comité de la CSC fait appel à tous les syndiqués chrétiens e à tous les travailleurs pour qu’ils ne se laissent pas entraîner dans cette aventure dont ils seraient les premières victimes.” Voilà bien le problème posé. Nul ne sait en effet ce qui va se passer.

    Les dirigeants ouvriers ont parfaitement compris que l’action générale engagée le 20 décembre ne peut plus désormais se terminer sur un coup nul. Mais ils comprennent encore mieux que le régime capitaliste est dangereusement menacé et que le pouvoir bourgeois est gravement touché.

    Entre la menace représentée par la victoire de la bourgeoisie, qui pourrait dans ce cas, remettre en cause la position de tampon que les appareils réformistes jouent entre les classes, et la crainte de la victoire de la classe ouvrière, les bureaucraties du PSB et de la FGTB ont choisi.

    Ce jour là encore, le bureau élargi de la FGTB nationale réaffirme à l’ issue de sa réunion ”que son action est dirigée contre la loi unique et non contre les institutions démocratiques.” Quant au bureau du PSB, il demande la convocation immédiate du Parlement – institution dominée par la droite. Devant les critiques de la bourgeoisie, l’ appareil réformiste tient avant tout à rassurer sur ses intentions de préserver les institutions du pouvoir bourgeois. Pendant que les directions ouvrières temporisent, la bourgeoisie pousse le gouvernement à la répression. La Libre Belgique avait d’ailleurs dit la veille que : ”Les moyens dont disposent les entrepreneurs de la révolution sont tout de même dérisoires auprès de ceux que possèdent actuellement les forces de l’ ordre.” Le gouvernement connaît le danger, il craint par dessus tout que les grévistes qui réclament une marche sur Bruxelles ne parviennent spontanément à s’ emparer des stocks d’armes et de munitions qui sont entreposées à la FN d’ Herstal, la Fabrique Nationale est d’ ailleurs occupée militairement. Le gouvernement videra même les armureries de la région d’ Anvers de leurs stocks de munitions.

    Poussé par la bourgeoisie, le gouvernement prend des dispositions offensives. Des provocations caractérisées sont organisées par les gendarmes ; ils parviennent avec le concours de jaunes à faire circuler un train à destination de la gare de Bruxelles, chargé de militaires et portant cette inscription sur le devant de la locomotive : ”N’ approchez pas ou nous tirerons.”

    A cette phase de la lutte, il est clair pour tout le monde que les organisations ouvrières doivent donner des mots d’ ordre et prendre des initiatives anticapitalistes en rapport avec les objectifs posés par la grève générale. Or, en ne le faisant pas, elles choisissent délibérément de laisser le mouvement de grève s’ effriter et pourrir de lui-même. Le prolétariat est debout, il est au combat depuis le 20 décembre. Que font les chefs ? Ils sont assis et discutent, dans différents comités, et publient des communiqués de presse rassurants.

    Ce 27 décembre, l’Action Commune Socialiste se déclare dans un communiqué : ”solidaire du mouvement général de grève, réaffirme son attachement aux institutions démocratiques menacées par les entreprises réactionnaires. Les quatre mouvements mobilisent toutes leurs forces dans ce gigantesque combat voulu par G.Eyskens et qui se terminera par la victoire du monde du travail.” Rassurant pour la bourgeoisie, la perspective de la direction réformiste pendant ces journées de lutte cruciales est éloquente : ”attachement à la démocratie bourgeoise parlementaire” Rassurant aussi pour les travailleurs qu’il faut chloroformer avec des déclarations du type : ”qui se terminera par la victoire du monde du travail.”

    Le Parti Communiste, fidèle à sa politique et à sa tactique, qui consiste à épouser le plus possible l’attitude de la direction réformiste du PSB, souligne dans sa presse du mardi 27 décembre : ”C’est la peur de la démocratie et du parlement qui a poussé le gouvernement des monopoles à interrompre les débats parlementaires. (…) Les travailleurs n’ accepteront qu’une solution : le retrait pur et simple de la loi unique.” Au moment le plus crucial de l’ action ouvrière massive, le PC propose une action en direction du Parlement : ”afin que celui-ci tienne compte de la volonté populaire.” Le secrétaire du PCB, Jean Blume, écrit dans le journal Le Drapeau Rouge que : ”Les députés PSC et libéraux reçoivent la visite des piquets de grève et de délégations de travailleurs, afin de s’ entendre expliquer que leur devoir est de se conformer aux aspirations de leurs électeurs, plutôt qu’aux ukases des banques et du gouvernement”

    Sur la première page du Drapeau Rouge du 24 et 26 décembre figurait un modèle de lettre dont le député communiste Dejace propose l’approbation aux assemblées de grévistes et qu’il enverra aux députés libéraux et PSC. Cette lettre est très significative, elle exprime très clairement l’attachement du PCB aux institutions de la démocratie bourgeoise. La voici :

    ”Cher Collègue.

    ”Nous nous sommes quittés vendredi dernier. A ce moment, vous étiez encore décidé à voter la loi unique. Et vous pensiez que les grèves n’ avaient point de caractère profond. Nous espérons que votre avis est changé, aujourd’hui, après les manifestations puissantes qui se sont déroulées, dans lesquelles se trouvaient réunis socialistes, communistes, chrétiens et libéraux. Si tel n’ était pas le cas, cela signifierait que vous êtes mal informé, et qu’il importerait que vous preniez contact immédiatement avec les assemblées populaires et les organisations responsables du mouvement gréviste ; ainsi vous seriez, nous en sommes sûrs, informés objectivement et votre démarche serait appréciée par la population. De cette façon, le 3 janvier, vous pourriez mieux faire comprendre au gouvernement la volonté de la population, c’ est-à-dire le retrait de la loi unique. Vous pourriez mieux faire comprendre au gouvernement la détermination de la population d’ aller jusqu’à la dissolution au cas où les Chambres se verraient amenées à voter quand même le projet gouvernemental.”

    Ce genre de déclaration et d’ attitude, de la part des dirigeants du PC, est de nature à faire rougir de honte les militants communistes de base conscients des enjeux de la lutte. Dans tous les cas, les militants ouvriers communistes qui se sont donnés sans réserve dans les débrayages et les piquets de grève comprennent aisément que cette position du PC n’ a rien à voir avec le communisme et la lutte de classe, mais plutôt avec le reniement du marxisme et une adaptation complète à l’ Etat bourgeois ainsi qu’à ses institutions. Qui le PC veut-il tromper avec des phrases apparemment radicales mais qui restent bel et bien dans les limites autorisées par la bourgeoisie ? D’ ailleurs cette proposition n’ a rencontré aucun écho et n’ a eu aucun impact sur les grévistes ; certains l’ ont même considérée ridicule.

    Par contre, la bourgeoisie a une très nette conscience de l’ enjeu de la lutte engagée par la classe ouvrière. C’ est ainsi que le journal L’ Echo de la Bourse du 27 décembre 1960 écrit : ”Au moment où le caractère insurrectionnel de la grève socialo-communiste éclate au grand jour, il est nécessaire que tous les bons citoyens se regroupent autour du gouvernement. Celui-ci porte de lourdes responsabilités dans la situation actuelle, et ses faiblesses passées augurent mal de l’ avenir. Mais, si critiquable qu’ il soit, il incarne une majorité parlementaire régulièrement élue. S’ il devait céder devant la rue, ce n’ est pas la loi unique qui tomberait, c’ est le régime démocratique déjà si malade qui s’ écroulerait. Car on assisterait ou bien à la prise du pouvoir par ceux-là même qui, aujourd’hui, se rebellent contre l’ autorité légale, ou bien à une vague de fond qui instaurerait dans le pays une dictature précaire. Et aucune de ces deux hypothèses n’ est souhaitable pour le pays. Il est évident qu’il est maintenant trop tard pour faire machine arrière et que l’ échec des grèves insurrectionnelles consacrerait une grande défaite du mouvement socialiste. Les dirigeants du PSB se voient acculés à l’ épreuve de force.”

    A la lecture de cet article, on notera que la bourgeoisie fait une analyse exacte de la situation et se rend parfaitement compte du niveau et des possibilités des forces ouvrières dans cette grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire.

    Dans La Gauche du 24 décembre 60, Ernest Mandel écrivait sous le titre Heures décisives : ”Pourquoi des députés socialistes ne déposeraient-ils pas d’ urgence pareille loi cadre sur la réforme fiscale et les réformes de structures. Pourquoi ne reprendraient-ils pas à cette fin l’ essentiel du projet de réforme fiscal élaboré en commun par la FGTB et la CSC . La grève acquerrait ainsi un but positif à côté de son but oppositionnel : l’ adoption de ces projets socialistes à la place de la loi de malheur.”

    Limiter les objectifs de la grève générale insurrectionnelle à de simples réformes fiscales, au vote d’une « loi cadre » par le Parlement, alors que la bourgeoisie elle-même redoute ouvertement dans plusieurs de ses écrits et déclarations que le mouvement de la rue risque « la prise du pouvoir », cette position politique est révélatrice d’ une adaptation complète au réformisme, d’ une soumission à la démocratie bourgeoise. Enfin, on remarquera ici que la perspective de la révolution socialiste est remplacée par celle d’ une succession de réformes dans le cadre parlementaire ; alors que dans ces «heures décisives», les manifestations de grévistes témoignent d’ une détermination impressionnante et montrent la voie en réclamant à plusieurs reprises et partout la marche sur Bruxelles et non des projets de réformes limitées.

    Du côté des directions du mouvement ouvrier, nous l’ avons vu, les dirigeants du PSB et de la FGTB, ainsi que du PCB et de La Gauche, n’ ont pas d’ autre objectif que de fourvoyer la grève générale dans l’ ornière du parlementarisme bourgeois. Du côté de l’ aile gauche de la FGTB représentée par André Renard, ce n’ est guère mieux.

    En effet, le lundi 26 décembre le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB, créé trois jours plus tôt par Renard, annonce qu’il a enfin : ”pris les mesures nécessaires à l’amplification et au durcissement de l’ action engagée”. Mais les travailleurs continuent à attendre des mots d’ ordre de « durcissement » qui ne viendront pas. Pourtant, ce 27 décembre, entre 600.000 et 700.000 ouvriers, tant en Flandre qu’à Bruxelles ou en Wallonie, participent massivement et activement à la grève générale, et ce nombre continue à augmenter.

    Malgré les décisions timorées de l’ aile gauche de la FGTB, André Renard, au moins pendant la phase ascendante du mouvement, garde une grande popularité parmi les travailleurs. Au fur et à mesure qu’il laisse traîner le conflit en longueur, la grève générale se poursuit pourtant, les masses ouvrières se radicalisent, cherchent de plus en plus à amplifier leur action et rejoignent ce qui leur paraît être le pôle extrême de la lutte le plus à gauche.

    Pendant cette grève, André Renard déploie une intense activité ; partout où il prend la parole, dans les meetings, concentrations, défilés, il est follement acclamé pour ses paroles radicales. Là où il se présente, il déplace les foules, on le réclame partout. Il incarne se qu’il y a de plus combatif parmi la direction syndicale. A Gand, à Anvers, dans toute la Flandre ainsi qu’à Charleroi, les masses de grévistes réclament avec insistance la venue de Renard. Mais l’ aile droite des appareils régionaux du syndicat FGT B s’ y oppose et Renard respecte plutôt la volonté de la droite de la FGTB que la demande des travailleurs et il ne viendra pas. Mais derrière la position ainsi que l’ activité de Renard se trouve une attitude politique.

    Toute la perspective stratégique de Renard est orientée vers le succès du mouvement, mais en organisant uniquement la pression sur la bourgeoisie. Il se refuse avec force à poser le problème du pouvoir. Renard n’entend pas, au fond, pousser les choses plus loin que les dirigeants droitiers. Mais il est plus conscient qu’eux et il sait que le fruit ne tombera pas de lui-même. Pour réussir, il croit qu’il suffit d’ exercer sur la classe dominante une pression assez forte, et que l’ on amène ainsi cette dernière à des négociations.

    Une telle politique se limite pourtant aux concessions que la bourgeoisie peut accepter de faire sans risquer de compromettre son pouvoir ou son système de profit. Cette position est foncièrement réformiste. Toutefois, pour que la pression et le chantage puissent avoir une quelconque possibilité d’ aboutir, il faut qu’ils parviennent à effrayer la bourgeoisie.

    Voilà pourquoi Renard s’agite autant. Pour le succès de la grève générale, il compte moins pour réussir sur la puissance du prolétariat mobilisé et déterminé que sur l’ espace de manoeuvre que lui donne la mobilisation du prolétariat. Et la manoeuvre, sur le plan personnel et mineur, réussira.

    Pour toute la presse de droite de la bourgeoisie c’ est Renard, « l’ agitateur », le « révolutionnaire », « l’ aventurier », le « trotskyste » responsable de la grève générale. Mais Renard surestime les possibilités de recul de la bourgeoisie, la marge dont elle dispose pour faire des concessions. En pratique, cette marge est pratiquement inexistante.

    Dans une phase de lutte des classes exacerbée, la bourgeoisie n’ est disposée à concéder des réformes que si elle voit le prolétariat lui disputer dans la rue son pouvoir, que si elle voit qu’elle peut tout perdre. Ces conditions étaient objectivement réunies.

    Autrement dit, Renard n’ aurait pu gagner qu’en s’appuyant sur la volonté de lutte de la classe ouvrière et en associant à son action les objectifs révolutionnaires inhérents au mouvement de grève générale de la classe ouvrière belge. C’ est bien ce qu’il s’ est avéré incapable de faire, de par sa nature même de réformiste de gauche.

    Par conséquent, on constatera à cette phase de la lutte, où la grève générale atteint sa plus grande énergie, qu’on ne voit ni du côté de l’ Action Commune Socialiste, ni de celui du PC, de La Gauche ou de l’ aile Renard la possibilité d’ élargir, d’ amplifier et de durcir l’ action engagée vers l’ objectif du pouvoir ouvrier.

    Les dirigeants de la CSC n’ ont donc plus aucune retenue et prennent définitivement parti contre la grève générale, qu’ils qualifient de « révolutionnaire. » Jusqu’à ce jour, ils avaient adopté une certaine prudence car ils risquaient de voir leur organisation éclater si la FGT B se décidait à passer au stade suivant de l’ action comme elle le laissait sous-entendre. Mais ils voient bien que les dirigeants de la FGTB, toutes tendances confondues, ont pris le parti d’ en rester là. Ils peuvent désormais apporter leur appui sans réserve au gouvernement. L’ importance de cette décision n’ échappe à personne. C’ est ainsi que le journal L’ Echo de la Bourse du 27 décembre indique avec satisfaction : ”L’ appui des syndicats chrétiens, surtout puissants dans le nord du pays, aux partisans de l’ ordre, pourrait être un élément décisif dans l’ épreuve de force engagée ; on souhaite qu’il soit donné sans marchandage.”

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