Tag: Socialisme

  • Génération X, Y, Z ? Non, génération ‘‘révolution’’ !

    generation_revolution‘‘Les moins de 30 ans ne cherchent pas un emploi, mais une séquence de vie’’. Voilà le genre de débilité asséné par des ‘‘experts’’ que l’on pouvait, par exemple, lire sur le site du journal Le Monde (11/04/2013). Après la génération X, les sociologues médiatiques nous parlent désormais d’une génération Y, puis Z de manière totalement déconnectée du vécu de la majorité de la jeunesse.

    Par Alain (Namur), article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Une génération ‘‘Why’’

    Les sociologues décrivent les moins de 30 ans comme étant la génération ‘Y’ pour ‘‘Why’’ (‘‘Pourquoi’’ en anglais). Il est vrai que la jeunesse se pose des questions : pourquoi, alors que les riches amassent de plus en plus de possessions, la pauvreté ne fait-elle que se développer ? En effet, en moyenne, 1 enfant sur 6 vit sous le seuil de pauvreté en Belgique. À Namur, par exemple, 1/3 des bénéficiaires du RIS (Revenu d’Intégration Sociale) sont des jeunes. Le chômage frappe massivement les jeunes à Bruxelles, où leur taux de chômage était de 28,9 % au 30 septembre 2015, selon Actiris. Et ceux qui travaillent ne sont pas à la fête non plus.

    L’Institut du Développement Durable avait mis en avant dans un article de 2012 que les jeunes restent de plus en plus tard chez leurs parents (le phénomène dit ‘‘Tanguy’’). Le journal Le Soir du 8 août 2012 expliquait que la forte hausse de l’immobilier représente un facteur aggravant. En effet, en 20 ans, c’est-à-dire en une génération, un appartement qui se vendait 64.000 euros en 1991 est passé à 195.000 euros en 2011. Cette explosion des prix survient alors que les contrats précaires se généralisent pour ceux qui parviennent à rentrer sur le marché du travail.

    Génération dépression

    Alors qu’on nous parle de l’avènement de la société du loisir, que les médias nous poussent à la réalisation de soi et nous ordonnent d’être heureux, force est de constater que le système de production actuel ne donne pas la possibilité matérielle de se réaliser, que ce soit individuellement ou socialement. La seule chose que ce système cherche vraiment à réaliser, c’est du profit, et non pas les êtres humains qui le produisent. Nous su-bissons une injonction paradoxale ! Lors de leurs entrées dans le monde du travail, les jeunes sont de plus en plus souvent désillusionnés par rapport à ce qu’on leur avait vanté durant leurs études. Bien évidemment, selon le milieu dont on provient, la désillusion n’est pas du même niveau.

    Ce système n’a plus la cote

    La mutualité Solidaris – dans le cadre de son étude thermomètre Solidaris – s’est intéressée à ce que vivent et pensent les jeunes. Les conclusions de cette étude sont sans appel. ‘‘Les jeunes expriment une défiance totale à l’égard de deux aspects essentiels de la vie en société : le système économique et financier, qui constitue pourtant notre environnement quotidien, inquiète très fortement ; la confiance dans le souci des responsables politiques d’agir pour améliorer vraiment la qualité de vie de la population est vraiment très faible, notamment parce “qu’ils ont laissé la finance prendre le pouvoir.”’’

    Cette méfiance débouche sur une volonté de changement radical exprimé par une grande majorité de jeunes interrogés : ‘‘Logiquement, ces constats profondément désenchantés conduisent à affirmer qu’il “ faut changer radicalement la société”. Une très large majorité de 18 à 30 ans le pense – neuf sur dix d’entre eux – et cinq sur dix l’affirme de façon très nette. Seul moins d’un sur dix pense vraiment l’inverse.’’ Ce n’est pas seulement le système qui est miné, mais toutes les institutions qui s’y rapportent de près ou de loin. Les médias, l’enseignement, mais aussi les partis politiques et les syndicats n’ont plus la confiance de la jeunesse. C’est évidemment compréhensible. Dans beaucoup de cas, les jeunes sont les grands perdants des maigres avancées que l’on parvient encore à obtenir. Cela entraine un scepticisme concernant la possibilité de réaliser le changement par l’action collective.

    Comment changer radicalement la société : Génération révolution

    La jeunesse ne veut pas être une génération gâchée par un capitalisme qui n’a plus rien à offrir à l’ensemble de l’humanité. Pour réaliser le changement que beaucoup de jeunes aimeraient voir advenir, nous devons discuter de la stratégie à adopter et de l’outil à utiliser pour la mettre en oeuvre. Beaucoup de jeunes sont aujourd’hui convaincus que le changement se fera à travers l’action individuelle ou la socialité proche (la famille, les amis, le quartier,…). Une pléthore de solutions individuelles est ainsi proposée. C’est la conséquence de l’abandon d’une perspective alternative au système par la social-démocratie et les verts qui sont rentrés dans une logique d’accompagnement du système. Cette approche résulte aussi de 30 ans de néolibéralisme qui a mis en avant la responsabilité et l’action individuelle en réponse aux problèmes sociaux.

    Dans les années ‘80, Margareth Thatcher disait : “There is no society only individuals” (il n’y a pas de société, seulement des individus). Aujourd’hui, la Belgique compte plus d’un million de bénévoles. C’est bien la preuve qu’elle avait tort. Le prétendu intérêt personnel n’est pas le seul moteur de l’activité humaine. Malgré cette énorme volonté de créer du lien social, de bâtir une société où trouver un emploi convenable et un logement de qualité et abordable n’est pas une utopie, on constate que les inégalités n’ont jamais été aussi grandes. Historiquement, on constate qu’elles s’accroissent lorsqu’il n’y a pas de force sociale organisée pour lutter contre la politique de la classe dominante. Nous pensons au PSL que nous pouvons radicalement changer la société si nous reprenons en mains nos organisations (syndicales, mutuelles) et que nous y im-primons une politique de lutte pour un autre système. Nous sommes également persuadés que nous avons besoin d’un outil politique qui puisse affronter sur le terrain politique cette minorité de super riches qui donne son caractère actuel à la crise du système. Nous voulons avec les EGA et le PSL organiser les jeunes qui veulent lutter.

  • Ecologie : Le gaspillage capitaliste ou la gestion rationnelle planifiée

    systemchangeLes Etudiants de Gauche Actifs (EGA) et le PSL se rendront au Sommet de l’ONU sur le Climat à Paris fin de cette année pour y défendre un programme d’urgence radical reposant sur des investissements publics massifs dans un secteur énergétique public placé sous contrôle démocratique. Les moyens ne manquent pas pour cela, nous n’avons jamais produit autant de richesses qu’aujourd’hui. Qu’est ce qui bloque alors ?

    Par Michael B. (Gand)

    On ne contrôle pas ce que l’on ne possède pas

    Les cinq sociétés énergétiques et pétrolières les plus rentables ont réalisé en 14 milliards d’euros de profits en 2012. Voilà une somme qui pourrait être consacrée aux efforts destinés à réduire de 95% les émissions de CO² d’ici 2050 ou encore à la sortie du nucléaire. Le nucléaire est parfois présenté comme alternative aux combustibles fossiles mais nous avons déjà pu voir de façon très douloureuse les effets destructeurs de cette énergie pour la majorité de la population et les générations futures. Combien de Fukushima ou de Tchernobyl sont-ils encore nécessaires?

    Selon nous, la seule solution, c’est la nationalisation de la totalité du secteur de l’énergie sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs et des usagers. Dans le cadre d’un plan public de recherche scientifique concernant les sources d’énergie alternatives, la création d’emplois verts et la reconversion du personnel, cela pourrait assurer le développement d’un secteur énergétique sans danger et écologique.

    Ce contrôle démocratique sur le secteur de l’énergie exige de lier les revendications environnementales aux mobilisations de masse ainsi qu’à un programme combattif qui n’entretient aucune illusion quant à une hypothétique solution au sein du système de marché. Les 20 précédents sommets climatiques de l’ONU ont reposé sur ces prétendues ‘‘solutions’’ et nous n’avons pas fait un seul pas en avant.

    Pour les grandes entreprises, les labels environnementaux ou les petites mesures ‘‘vertes’’ tiennent plus de la stratégie de communication que de l’écologie. Les sources d’énergie alternatives ne fournissent pas les mêmes marges de profits que les combustibles fossiles. Tant que les bénéfices compteront plus que tout le reste, les grands pollueurs comme les multinationales pétrolières continueront à dévaster la planète. La technologie, l’infrastructure et le savoir-faire nécessaire à l’exploitation des énergies fossiles ont déjà été fortement développés et ne demandent donc que peu d’investissements en comparaison de ce qu’exige une véritable transition énergétique. Les combustibles fossiles ont donc encore un bel avenir sous les cieux du capitalisme, en dépit des conséquences écologiques. Il suffit de penser à l’exploitation du gaz de schiste ou encore au forage arctique, ce qu’Obama vient récemment d’autoriser.

    Tout illustre que nous ne pouvons pas compter sur les dirigeants du monde, c’est-à-dire nos gouvernements et les multinationales qui se réuniront à Paris pour discuter de notre planète. Leur politique néolibérale et leur ‘‘capitalisme vert’’ sont uniquement motivés par la course aux profits de l’establishment capitaliste alors que l’horloge tourne et que grandit le danger de la barbarie écologique. Il est grand temps de rompre avec la logique capitaliste pour développer un système économique capable d’investir pour répondre aux besoins de la majorité de la population et des générations futures.

    Faire payer les consommateurs toujours mieux que rien?

    capitalism-300x200Les partis verts tels qu’ECOLO défendent les écotaxes. Depuis leur introduction sous la coalition Arc-en-Ciel de Verhofstadt, plusieurs versions ont vu le jour, comme les taxes carbone et les taxes prélevées sur les produits polluants ou les emballages afin d’obliger le consommateur à faire un choix écologique. La réalité est cependant que ce choix n’existe pas. Comment choisir entre sa voiture et l’essence plus chère et les transports publics quand ces derniers voient leurs budgets systématiquement rabotés ? Les tarifs des billets de train ne font que croître, au contraire de la qualité du service. Quant aux écotaxes, le gouvernement Michel les utilise de la même manière que la hausse de la TVA sur l’électricité : comme des mesures d’austérités des plus cyniques présentées comme des solutions écologiques alors que les solutions collectives réelles (transports en commun,…) subissent ses attaques.
    Sur le marché privé, il est dorénavant possible de prendre des bons d’investissement ‘‘verts’’ à votre banque. Certaines grandes entreprises se vantent aussi d’avoir un label bio sur leurs produits. Mais souvent se trouve derrière un mécanisme de marché pervers: les labels bios sont contrôlés par d’autres entreprises privées. Dès lors qu’il s’agit de grandes entreprises, ces contrôles sont une vaste blague, ce sont juste des éléments de publicité, ce que les entreprises appellent entreprises elles-mêmes du ‘‘greenwashing’’. Quant aux fonds d’investissement soi-disant ‘‘verts’’, pas mal d’entreprises sont polluantes dans les faits dès qu’on gratte un peu la nature exacte de leurs activités.

    Le principal problème de ces ‘‘solutions individuelles’’ et des solutions axées sur le marché est qu’elles visent à nous persuader que nous sommes tous responsables de la crise écologique de la même manière et que la lutte contre le changement climatique ne doit pas être politique. Mais c’est faux.
    En France, 18% des installations industrielles sont responsables de 87% des émissions de gaz à effet de serre, et 46% de celles-ci proviennent de 21sites uniquement. Les grands responsables ne sont qu’une poignée de super-riches alors que le plus grand nombre de victimes de la crise écologique se trouvent dans des pays qui disposent à peine d’une industrie mais où les sécheresses, les inondations, les maladies,… auront les conséquences les plus lourdes.

    Promouvoir des ‘‘mesures individuelles’’ et le ‘‘capitalisme vert’’ sert essentiellement à masquer qui sont les véritables pollueurs : les propriétaires des compagnies d’énergie et des autres multinationales, afin d’éviter de remettre le système en question.

    Construire un rapport de force pour un véritable changement!

    Aujourd’hui, la majorité de la population n’a rien à dire à propos de la manière dont fonctionnent les moyens de production. Les travailleurs font tourner les entreprises, mais la seule chose qui compte c’est qu’ils reviennent le moins cher possible. Ils ne peuvent décider de ce qui est produit et comment.
    Les patrons se sont vus imposer des législations sur la sécurité et la santé au travail. Mais ils ne considèrent cela que comme des coûts supplémentaires alors qu’existent des pays sans ces protections, où ils peuvent dont produire leurs marchandises à moindre coût. Ces délocalisations ont un coût écologique et social, supporté par la collectivité, tandis que les bénéfices remplissent les poches des propriétaires des grandes entreprises. Quant à ces législations sur la sécurité et la santé au travail, elles n’ont été possibles que grâce à la mobilisation et des travailleurs et au rapport de forces qu’ils ont su instaurer en leur faveur.

    L’essence même du capitalisme est de penser à court terme, en termes de bénéfices, même si cela doit poser des problèmes à plus long terme. Cela explique pourquoi il n’existe aucun investissement massif dans les énergies renouvelables. Pour l’industrie pétrolière, de tels investissements signifient insuffisamment de bénéfices. Les principaux actionnaires préfèrent repousser les conséquences désastreuses vers la majorité de la population en se disant qu’eux, ils auront toujours les moyens d’échapper aux conséquences de leurs actes.

    Ce n’est pas tant l’individu qui est la cause du problème que l’organisation sociale et les relations entre personnes. Tous les modes d’organisation de la production économique n’ont pas un impact identique sur l’environnement. Le capitalisme est un système où la production est très chaotique, mais une économie démocratiquement planifiée pourrait permettre que les besoins de toute la population soient pris en compte dans le respect des ressources de la planète. Disposer d’un environnement sain est de toute évidence une question vitale pour l’humanité, un système incapable d’y faire face n’a aucune raison d’être encore debout.

    Pour disposer d’un secteur énergétique sous propriété publique, le mouvement climatique doit se concentrer sur ceux qui sont en mesure de prendre démocratiquement en mains ces entreprises: les travailleurs. Les syndicats peuvent jouer un rôle crucial dans le mouvement environnemental en étendant au reste de la société les revendications et méthodes qu’ils ont utilisées pour la protection de la santé et de la sécurité au travail. L’organisation des travailleurs dans la lutte peut également poser les bases de comités démocratiques capables à terme de prendre en charge la gestion des entreprises.
    Toutes les grandes conquêtes sociales ont été acquises grâce aux mobilisations de masse et à l’arme de la grève. Aucune amélioration de nos conditions de vie n’a été obtenue en la demandant gentiment. Elles ont toutes été arrachées. S’organiser pour la lutte sur base d’un programme clair est nécessaire. Contrairement à ce que les défenseurs des solutions individuelles voudraient nous faire croire, la crise écologique exige également cette approche.

    Des comités peuvent aider à mobiliser pour participer aux actions de protestation qui prendront place à Paris, dans les écoles, les universités, les lieux de travail et les quartiers. Ce sont aussi des espaces idéaux pour discuter des revendications et de la stratégie dont nous avons besoin sur base de l’identification des causes du changement climatique et des responsables. De cette façon, il est possible de faire de la mobilisation vers Paris non pas une fin en soi mais une étape dans la construction d’un mouvement capable d’entraîner un réel changement de système.

  • L’alternative du socialisme contre des années d’austérité

    PremierMAI_generiqueComme toutes les personnes âgées de la quarantaine, j’ai grandi à un moment où il se disait que la Belgique disposait du meilleur système de sécurité sociale au monde. Des soins de santé accessibles et de haute qualité, l’indexation automatique des salaires, des conventions interprofessionnelles qui permettaient aux secteurs les plus forts de faire progresser les secteurs plus faibles, des allocations de chômage illimitées dans le temps, un complément du salaire de temps partiel grâce à une allocation de chômage à temps partiel, le soutien aux étudiants démunis par un système de bourses d’étude leur ouvrant l’accès aux études supérieures,… Même s’il était quelque peu exagéré d’affirmer qu’il était ‘‘le meilleur au monde’’, il faut toute de même bien se demander ce qui nous en reste aujourd’hui.

    Par Anja Deschoemacker

    Rien de tout cela n’a jamais été offert en cadeau. L’instauration du système de sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale fut le résultat de la pression causée par la lutte parfois tumultueuse qui a abouti à de véritables confrontations (la Question Royale en 1950, la grande grève de l’hiver 60-61) et par l’action syndicale continuelle qui a, entre autres, forcé les patrons à relever le montant de leurs contributions ‘‘patronales’’ à la sécurité sociale et à payer des salaires décents. Vu la situation de quasi plein emploi, les patrons ne pouvaient alors guère faire autrement que de satisfaire (partiellement) les revendications des travailleurs. Leurs profits continuaient à s’accroître grâce à la hausse de la productivité. Là non plus, nous n’avons rien reçu gratuitement.

    À partir de la fin des années ‘70, nous sommes cependant entrés dans une période où la sécurité sociale, les services publics, les conditions de travail, etc. ont commencé à être attaqués. Année après année, gouvernement après gouvernement, nos conquêtes sociales se sont vues rabotées.

    Aujourd’hui, pour bénéficier de soins de santé, les patients payent en Belgique beaucoup plus de leur propre poche que dans les pays voisins. De plus en plus de gens préfèrent reporter à plus tard une visite chez le médecin. Le principe de l’indexation des salaires et des allocations a été miné, notamment par l’introduction de ‘‘l’index santé’’ (qui a retiré du panier fixant la hausse des prix des biens tels que le tabac, l’alcool, l’essence et le diesel). Les négociations salariales nationales ont été tellement remodelées que les secteurs plus puissants sont maintenant aspirés vers le bas par les secteurs plus faibles. L’allocation de chômage ne permet de vivre que difficilement, les chômeurs cohabitants ont pour ainsi dire perdu tous leurs droits, y compris le droit à une allocation chômage à temps partiel pour ceux qui trouvent un emploi temporaire. Dans l’enseignement, les frais pris en charge par les parents ne font qu’augmenter, tandis qu’on ne voit plus le moindre investissement dans l’infrastructure ou dans le personnel.

    Mais pour les patrons et les politiciens qui servent les intérêts de ces derniers, ce n’est jamais assez. Aujourd’hui, la N-VA est à l’avant-garde de l’élaboration d’un programme d’appauvrissement massif au profit de l’enrichissement d’une petite minorité. Avec ces politiciens-là, il devient de suite plus facile aux autres partis d’avoir l’air ‘‘plus social’’. Mais sans leur politique de casse sociale systématique, jamais un parti petit-bourgeois radical tel que la N-VA n’aurait pu s’implanter de manière aussi spectaculaire. Mes parents et grands-parents votaient pour la social-démocratie, le parti qui garantissait la pension pour tous. Quand les pensionnés regardent aujourd’hui le montant de leur pension, eux aussi trouvent sans doute que les sociaux-démocrates sont responsables de ce qu’ils voient, mais sans la moindre pensée positive…

    La social-démocratie a pu devenir un facteur stable de la société durant la longue période de croissance économique d’après-guerre. Grâce à la résistance des travailleurs et à la pression qui en découlait, elle a pu arracher certaines réformes et devenir championne du niveau de vie croissant des travailleurs. En Flandre, elle a dû partager cette position avec l’aile ouvrière de la démocratie chrétienne, pas en Wallonie. Mais depuis la fin des années ‘70, on a vu arriver une période de dépression économique, et nous sommes passés du réformisme au contre-réformisme. Aujourd’hui, un gouvernement dirigé par le PS ne représente pas la moindre alternative à la brutalité de la N-VA, à moins que le but soit simplement d’étaler la casse sociale dans le temps pour qu’elle soit plus douce.

    Ce 1er mai, l’appel émis par la FGTB de Charleroi Sud-Hainaut en 2012 restera d’actualité: nous devons construire une nouvelle force politique qui représente les intérêts des travailleurs avec autant d’acharnement que les partis établis défendent les intérêts des riches. Nous devons à nouveau définir un programme de lutte qui pose la question de la répartition des richesses que nous créons : vers les 1 % de super-riches ou vers les 99 % de la population ?

    En Belgique, la classe des travailleurs est-elle objectivement assez puissante pour gagner cette lutte ? Cela a été démontré par la magnifique riposte syndicale du premier plan d’action contre Michel Ier fin de l’an dernier. Il faut à présent un nouveau plan d’action avec une participation aussi active que possible de la part de l’ensemble des travailleurs, via des discussions démocratiques dans les entreprises et dans les syndicats eux-mêmes, pour que la classe des travailleurs dans toute sa masse soit apte à tirer les leçons du mouvement. À ce moment-là, nous n’aurons plus besoin de poser la question de ce qui reste de nos conquêtes sociales, nous pourrons directement nous intéresser à la manière dont nous pourrons les restaurer et à la manière dont nous pourrons atteindre l’objectif de garantir un niveau de vie décent pour tout un chacun !

  • Les marxistes et l’impôt sur la fortune

    Impôt sur la fortune, taxe sur la spéculation, taxe des millionnaires,…

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    Partout dans le monde, et la Belgique n’échappe pas à la règle, l’idée de se serrer la ceinture et de faire plus d’efforts a atteint le creux de la vague. Cela n’entraîne pas de rétablissement économique et l’establishment reste à l’abri de cette logique. Rien d’étonnant donc si 85% de la population est désormais favorable à un impôt sur les grandes fortunes. Mais à quel point cette revendication est-elle intéressante ? Quels pièges éviter ? Sous quelles conditions pouvons-nous soutenir l’idée d’un impôt sur la fortune ?

    Par Eric Byl

    La tentative de dévoyer notre combat contre les mesures gouvernementales en le réduisant à un plaidoyer en faveur d’un impôt sur la fortune a fait son entrée dans les manuels des conseiller en communication et marketing politique. Un impôt sur la fortune est une bonne idée, mais ce n’était pas l’objectif des manifestations et grèves des mois passés. Nous nous sommes battus contre le saut d’index, le gel salarial, le démantèlement des services publics, le détricotage de la sécurité sociale, les attaques sur le droit de grève, la hausse de l’âge de la (pré)pension et contre l’appauvrissement accru des chômeurs, pensionnés, malades et handicapés. L’évasion fiscale des grandes fortunes était, c’est vrai, une source majeure d’irritation.

    Lors de la journée "Socialisme 2015", ce 28 mars, une commission de discussion centrale sera consacrée à la lutte pour combler le fossé entre riches et pauvres et à l'impôt sur la fortune.
    Lors de la journée “Socialisme 2015”, ce 28 mars, une commission de discussion centrale sera consacrée à la lutte pour combler le fossé entre riches et pauvres et à l’impôt sur la fortune.

    C’est le CD&V qui a commencé à parler d’une tax-shift (un déplacement de la taxation des revenus du travail vers ceux du capital) en échange de la paix sociale. Depuis lors, les médias n’ont pas arrêté de nous harceler avec ça, à tel point que nous pourrions perdre de vue ce que nous étions en train de faire. Ils instrumentalisent une faille du discours des dirigeants syndicaux et des partis de gauche qui traduisent le juste mécontentement ressenti vis-à-vis de l’inégalité croissante en une accusation dirigée contre la répartition inégale de l’austérité. Ils emploient un discours équivoque quant à savoir s’ils seraient en mesure d’accepter l’austérité pour peu qu’elle soit plus équilibrée. Mais pour beaucoup de gens, rester la tête hors de l’eau demande est déjà difficile aujourd’hui et les efforts sont conséquents pour disposer d’un salaire à peine décent.

    Un moyen de dissuasion devient une monnaie d’échange

    Les détenteurs de capitaux, les dirigeants d’entreprises et leurs politiciens tremblent à l’idée d’un impôt sur la fortune. Pour eux, la société doit fournir la main d’œuvre la moins chère possible et les infrastructures adéquates, assurer que l’ordre soit maintenu et rester discrète en ce qui concerne le reste : pas de réglementation, pas de contrôle sur les bourgeois respectables, pas de loi entravant la libre entreprise. Instaurer des freins à la ‘‘créativité des entrepreneurs’’ reviendrait à les inciter à utiliser leur créativité pour esquiver les taxes, ce qui ne serait pas un méfait mais un réflexe normal.
    L’argent crée beaucoup de possibilités, et cela confère aux capitalistes une capacité d’adaptation similaire à celles des caméléons. Les patrons et le gouvernement s’aperçoivent que le débat autour d’un impôt sur la fortune est devenu inévitable suite au plan d’action des syndicats. Autant prendre les devants, se disent-ils. ‘‘Ce n’est pas plus qu’un symbole’’ car ‘‘s’il faut aller chercher quelques milliards d’euros, ça ne viendra pas seulement des riches’’, a averti M. Rutten, président de l’Open-VLD (De Morgen, 10/01/2015), mais aussi ‘‘de vous, de vos parents et de chaque personne qui a travaillé et économisé dans sa vie.’’ Rutten veut faire peur en disant cela, mais il faut tout de même garder cela en tête. Di Rupo avait ainsi augmenté la taxation des revenus d’épargne, appelé ‘‘précompte mobilier’’, à 25%. Il s’agissait aussi d’un “impôt sur la fortune”, mais qui a essentiellement touché de petits épargnants.

    Trop compliqué à mettre en pratique ?

    Les opposants à cette idée déclarent qu’il n’existe pas de cadastre des fortunes en Belgique et que cela prendrait des années à être mis en place. Dans ‘‘La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer’’ (1917), Lénine parlait d’un argument similaire quant à la nationalisation du secteur bancaire, ‘‘trop compliquée et inapplicable’’ pour les capitalistes de l’époque. Un mensonge dicté par leurs intérêts, ripostait Lénine. À en croire M. Luc Coene de la Banque Nationale, un libéral pur jus, la mise en place d’un cadastre de la fortune pourrait cependant être faite très rapidement et facilement (1)

    L’absence de cadastre ne nous empêche d’ailleurs pas d’avoir un aperçu d’ensemble sur la répartition des richesses du pays. L’étude la plus récente à ce sujet, réalisée par Sarah Kuypers et Ive Marx en 2014, estimait la fortune globale des Belges à 2.300 milliards d’euros, soit un peu plus de la moitié de la valeur totale de l’immobilier. Les 5 % des ménages les plus riches possèderaient 32 % de cette fortune, soit autant que les 75 % les plus pauvres. Le 1 % le plus riche possèderait 12 % de cette richesse, soit plus que les 50 % les plus pauvres. Après de nouveaux calculs, Philip Vermeulen de la Banque Centrale Européenne a déterminé que le 1 % le plus riche contrôle en réalité 17 % des richesses.

    Une taxe kamikaze

    Alors qu’est-ce qui retient nos politiciens ? Même la taxe Caïmans, ou taxe de transparence, visant les revenus de particuliers belges obtenus par constructions juridiques faiblement taxées à l’étranger, a été reportée aux calendes grecques. Cela ne devrait rien rapporter pour 2015, et seulement 120 millions d’euros en 2016, soit moins que ce que le gouvernement flamand prévoit d’épargner avec la hausse des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur ! (2) Mais un sondage du Knack et de VTM a malgré tout confirmé le fait qu’il va falloir s’y mettre : 85 % des Flamands souhaitent un impôt sur les fortunes au-dessus d’un million d’euros. Cela représente 91 % des électeurs du CD&V mais aussi 78 % des électeurs de l’Open VLD et de la N-VA. Tous ces gens sont visiblement peu affectés par les mensonges de De Wever selon lequel les taxes seraient déjà très élevées en Belgique.

    En France, la taxe sur les riches a été supprimée cette année. Le patronat s’y était opposé dès le début mais, après l’élection de Hollande en 2012, il a adapté une autre stratégie pour saper la taxe. Seuls de grands entrepreneurs ont dû la payer et uniquement à partir de la part de leur salaire dépassant le million d’euros. Le résultat s’est ratatiné à 420 millions d’euros en deux ans, ce qui finalement n’en valait même plus la peine. Les propositions concernant une taxe sur les intérêts – c’est à dire non pas sur la richesse elle-même mais sur son rendement – ou l’ouverture de la FEB pour une taxe sur la spéculation, visent à tenter d’éviter le vdébat concernant une taxe sur la fortune.

    Crédibilité

    Après 26 ans de participation au pouvoir, le PS a commencé l’année 2015 en lançant une proposition d’impôt sur la fortune. Les fortunes personnelles supérieures à 1,25 millions d’euros seraient soumises à un taux de 0,4 % allant jusqu’à 1,5 % pour toute fortune supérieure à 5 millions. Cela devrait rapporter de 600 à 700 millions d’euros par an. Même dans l’hypothèse où le PS serait plus en mesure de se battre pour cette proposition dans l’opposition qu’en faisant partie du gouvernement, cela ne reste que des cacahouètes en comparaison de l’austérité que nous avons subie avec le gouvernement Di Rupo.

    Et puis il y a la “taxe sur les millionnaires” du PTB – 1 % de la fortune au-dessus de 1 million, 2 % au-dessus de 2 millions, 3 % à partir de 3 millions – qui devrait rapporter 8,7 milliards d’euros par an. Ça a l’air déjà beaucoup plus équilibré. Sur base de l’impôt sur la fortune existant déjà en France, le PTB affirme que la fuite de capitaux due à sa proposition devrait rester limitée. Mais l’impôt français sur la fortune n’a rapporté que 4,4 milliards d’euros l’an dernier, soit la moitié de ce que le PTB espère tirer de sa taxe sur les millionnaires dans un pays à l’économie 5,5 fois inférieure à celle de la France. D’autres entreprises vont très certainement quitter le pays au cours des années à venir. Supposons que l’une, peut-être plusieurs, attibuent leur décision – à tort ou à raison – à la taxe des millionnaires Que se passerait-il alors ? Patrons et politiciens capitalistes martèleront à la population que la gauche est bonne pour le social, mais mauvaise pour l’économie.

    Ne pas s’arrêter là

    Le PSL s’oopose-t-il donc à la taxe des millionnaires ? Certainement pas, mais il serait irresponsable de ne pas directement attirer l’attention sur le fait que cette revendication est limitée et de ne pas nous préparer aux dangers que cela comporte. Dans Le Programme de transition (1938), Trotsky écrivait que ‘‘Le monde entier a observé l’impuissance du président Roosevelt (dont le programme du “New Deal” visait à remédier à la crise des années 1929-33, ndlr) et du président du conseil Léon Blum (du gouvernement de front populaire en France en 1936-38, ndlr) en face du complot des “60” ou des “200 familles”[les plus riches]’’. Le PTB pense-t-il que l’équivalent actuel de ces “familles” laisserait passer la taxe des millionnaires sans résistance ? Même en Russie, alors que les capitalistes avaient déjà été chassés du pouvoir et que les fondements de l’économie planifiée avaient été posés, il est resté extrêmement difficile d’empêcher leurs manœuvres et sabotages (voir à ce sujet E.H. Carr et R.W. Davies, Foundations of a Planned Economy, 1926-29).

    Ces dernières années, les entreprises belges ont en moyenne distribué 50 % de leurs profits en dividendes aux actionnaires. En 2013, elles disposaient de 240 milliards de liquidités. Il ne suffit pas d’une taxe des millionnaires pour mettre un terme à la grève de l’investissement de la part du patronat. La société a urgemment besoin de moyens pour l’enseignement, les chemins de fer, les hôpitaux, les soins aux personnes âgées, les logements sociaux, la politique énergétique, la protection de l’environnement, etc. Une taxe des millionnaires serait par conséquent plus que bienvenue mais, pour être efficace, celle-ci requiert une levée complète du secret bancaire, un véritable cadastre de la richesse et la possibilité d’exproprier. Vu leur poids dans la société il serait absurde de ne pas directement coupler cela à la nationalisation de l’ensemble du secteur financier et des grandes entreprises, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Formulée ainsi, cette taxe recevrait son sens réel, pas celui d’une illusion vers un capitalisme à visage social, mais en tant que mesure transitoire dans le cadre d’une transformation socialiste de la société.

    => Journée “Socialisme 2015”

  • Journée SOCIALISME 2015

    Socialisme 2015 est une journée de débats et discussions politiques pour syndicalistes, jeunes militants et activistes des divers mouvements sociaux. Des membres de nos organisations-soeurs de plusieurs pays européens seront également présents afin de partager leurs expériences de lutte. Cet événement aura lieu au Pianofabriek (Rue du Fort 35, Saint-Gilles) le samedi 28 mars.

    11h00 Meeting international sur les conséquences de la crise mondiale pour la lutte sociale. Les orateurs seront Nikos Kanellis, conseiller municipal élu sur une liste de Syriza à Volos, qui parlera des récentes élections grecques et des opportunités d'un gouvernement de gauche. Lucy Redler, porte-parole du courant « Gauche Anticapitaliste » du parti allemand Die Linke, abordera le risque du développement de mouvements de droite comme Pegida et la manière d'y riposter pour les jeunes et les travailleurs. Bart Vandersteene, porte-parole national du PSL, fera part de son implication récente dans la construction du mouvement anticapitaliste socialiste aux USA, avec notamment l'élection de la première conseillère municipale socialiste depuis des décennies, Kshama Sawant, à Seattle.

    14h00 Cinq ateliers : leçons du mouvement de masse et de la grève générale en Belgique, potentiel pour la gauche en Europe du Sud, lutte des Kurdes pour la libération nationale, nécessité d'une nouvelle lutte pour les droits des femmes et pourquoi l'économie de libre marché capitaliste doit être remplacée par une économie socialiste démocratiquement planifiée.

    16h30 Deux grandes commissions, l'une consacrée au fossé entre riches et pauvres et à la question d'un impôt sur la fortune, l'autre consacrée à la lutte contre l'Etat Islamique en Irak et en Syrie ainsi qu'à la manière de réagir face au terrorisme en Europe.

    19h30 Meeting central : comment balayer Michel Ier et toute la politique d'austérité ? Avec une courte vidéo de témoignages de délégués et de militants et des orateurs qui développeront l'impact de l'austérité sur les femmes et sur les chômeurs, quelles étaient les forces du premier plan d'action syndical, comment poursuivre le combat et quelle alternative politique défendre pour les travailleurs et leurs familles.

    Socialisme 2015 vise à nous préparer aux défis politiques et syndicaux centraux pour l'année 2015 dans notre lutte pour une rupture anticapitaliste et pour la construction d'une alternative socialiste.

    Il s'agit d'une excellente occasion pour tous de se familiariser au marxisme et de discuter de la façon de faire face au chômage, à la crise, à l'austérité et aux discriminations. Comment dépasser le stade de la simple dénonciation ? Quel rapport de forces construire et pour quel changement ?

    “Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde; il faut désormais le transformer.” (K. Marx)

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  • Le trotskisme au 21e siècle

    Lors de l’événement “Socialism 2014”, notre camarade Petyer Taaffe, secrétaire général du Socialist Party d’Angleterre et du Pays de Galles, a livré une introduction sur la pertinence de l’apport de Trotsky au marxisme. Voici cette introduction, en anglais.

  • Lutter pour gagner !

    BMS02‘‘Il n’y a pas d’alternative’’, déclare Bart De Wever, perroquet de son vieil amour Margaret Thatcher. Pour l’establishement néolibéral, la seule option sur la table est de sabrer dans les conditions de vie de la majorité sociale. Pour repousser les attaques de ce gouvernement, il nous faut le balayer. Mais pour le remplacer par quoi ?

    Par Geert Cool

    Il y a une alternative!

    L’écart grandissant entre riches et pauvres en choque plus d’un et l’appel à une redistribution des richesses résonne bruyamment dans la société. Ce n’est quand même pas normal que 85 personnes accaparent à elles seules autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’Humanité ! En Belgique, les 1% les plus riches disposent d’autant de richesse que les 60% les plus pauvres… Quant aux grandes entreprises, elles ne paient quasiment pas d’impôts, au seul bénéfice des principaux actionnaires et des groupes de capitaux. Une taxe sur les grandes fortunes et la suppression des cadeaux fiscaux (déduction des intérêts notionnels,…) représenteraient à n’en pas douter un pas dans la bonne direction. Mais comment être en mesure d’appliquer de telles mesures face à la fuite des capitaux ou aux délocalisations ? Ce ne sera possible qu’en plaçant les secteurs clés de l’économie (finance, énergie, transport, grande distribution,…) sous propriété publique et sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs.

    La revendication de Femma (l’équivalent flamand de Vie Féminine) d’une réduction du temps de travail à 30 heures de travail par semaine, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires est jugée ‘‘ridicule’’ par Karel Van Eetvelt, secrétaire général de la fédération patronale flamande UNIZO. À ses dires, ‘‘cela représente une augmentation du coût du travail de 21%’’.

    Néanmoins, avec les différents types de contrats à temps partiel, nous travaillons aujourd’hui en moyenne 31 heures par semaine. Les réductions antérieures du temps de travail étaient à la charge des employeurs pour compenser l’augmentation de la productivité. Maintenant, les patrons empochent unilatéralement les gains de productivité et c’est nous qui en faisons les frais. Pour rendre possible une situation de plein emploi avec répartition du travail disponible et baisse drastique des cadences et de la charge de travail, il est absolument crucial de défendre une forte réduction du temps de travail avec un maintien des salaires et des embauches compensatoires.

    Selon le gouvernement, le saut d’index devrait donner un peu de répit aux entreprises belges. Cependant, ces dernières possèdent déjà d’énormes réserves sur leurs comptes en banque : 240 milliards d’euros ! Elles refusent d’investir. Même le gouvernement reconnaît qu’avec le saut d’index, les bénéfices des entreprises augmenteraient de 850 millions d’euros (deux fois plus selon la Cour des Comptes), une somme qui ne sera donc pas utilisée pour la création d’emplois. Il est grand temps pour les travailleurs et les allocataires sociaux d’avoir un peu de répit, avec une augmentation du salaire minimum à 15 euros bruts de l’heure, une pension équivalente à 75% du dernier salaire et de 1500 € nets par mois minimum, la restauration totale de l’index,…

    Il nous faut également un programme offensif d’investissements dans les services publics. Des transports en commun gratuits, suffisamment de logements sociaux de qualité, des crèches abordables, un enseignement gratuit et de qualité à tous les niveaux,… nous avons l’embarras du choix ! Mais les politiciens pro-austérité font la sourde oreille. Ils réfléchissent surtout à la manière de vendre les services publics au secteur privé pour entièrement soumettre les services à la logique du profit. Nous savons tous à quoi cela conduit: des services de moindre qualité et plus cher.

    De plus, les partenaires de ce gouvernement des riches disent qu’il est impossible de garantir que des emplois soient créés, parce que ‘‘nous ne sommes pas dans une économie planifiée’’. C’est une façon indirecte de reconnaître que seule une économie planifiée peut offrir des garanties… Nous sommes d’accord sur ce point, à condition que cette planification soit démocratiquement organisée et non imposée bureaucratiquement du sommet, comme ce fut le cas dans le Bloc de l’Est. Le PSL lutte pour une économie démocratiquement planifiée sous le contrôle de la collectivité : un socialisme moderne et démocratique!

    Comment imposer le changement ?

    Réussir à balayer le gouvernement exigera qu’un nouveau plan d’action succède à la grève générale nationale du 15 décembre. Répéter le premier plan d’action à plus grande échelle permettra de convaincre davantage de monde d’y participer. Un récent sondage La Libre / RTBF a confirmé que les divers gouvernements du pays disposent de peu de soutien : seuls 20% sont encore favorables au gouvernement Michel, contre 43% d’avis négatifs et 39% d’indécis. Le gouvernement flamand fait lui aussi face à plus d’avis négatifs (29%) que positifs (28%). À peine 33% de l’électorat du CD&V est satisfait de ce gouvernement et parmi les électeurs de la N-VA, le chiffre a reculé jusqu’à 57%. Un deuxième plan d’action pourra convaincre les sceptiques de la nécessité de renverser ces autorités.

    Remplacer Michel I par une tripartite sous le nom de Di Rupo II ou Peeters I n’est toutefois pas une solution. Un tel gouvernement ne changerait pas fondamentalement l’orientation austéritaire des autorités. Tous les partis établis acceptent la logique selon laquelle ce serait aux travailleurs, aux allocataires et aux jeunes de payer pour la crise. Di Rupo avait d’ailleurs fièrement déclaré que 70% des mesures de l’actuel gouvernement étaient issues du sien.

    Les autorités wallonnes (PS-CDH) ont tout fait pour ne pas préciser quelles allaient être leurs mesures budgétaires, mais au minimum 5.000 emplois sont directement menacés. Les TEC verront leur budget raboté de 6 millions d’euros en 2015, ce qui se traduira par une augmentation des tarifs et par une réduction de l’offre. Dans le secteur de la construction, 2.000 pertes d’emplois sont attendues suites aux décisions budgétaires, notamment en raison du blocage des investissements prévus pour la construction de crèches, de maisons de repos, d’infrastructures sportives, etc. Dans les communes dirigées par ‘‘l’opposition’’ fédérale, la facture est également salée, comme l’illustre Charleroi (ville dirigée par Paul Magnette), où le licenciement de 200 à 300 travailleurs communaux a été annoncé. Avouez que ce serait une grande déception que le plan d’action syndical n’aboutisse qu’au remplacement d’une machine de casse sociale par une autre…

    Nous avons besoin d’un gouvernement différent qui défend les intérêts des travailleurs. La FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut appelle depuis deux ans à l’union des forces à la gauche des sociaux-démocrates et des Verts au sein d’un large parti militant. Un tel parti de lutte réunirait activistes et militants dans le respect des différents courants et positions politiques. Il permettrait de propulser notre résistance de façon significative en direction de la construction d’un parti de masse capable de balayer toute la politique d’austérité. Les listes PTB-GO (Gauche d’Ouverture) n’étaient qu’une première étape dans cette direction et le potentiel de la démarche a été confirmé par le résultat électoral obtenu le 25 mai. Toutefois, plutôt que de continuer à développer l’initiative en rassemblant autour de la table tous les courants pour voir comment oeuvrer plus loin ensemble, il semble que le ‘‘GO’’ a été renvoyé en arrière. Il apparait que l’idée d’un parti large de lutte cède la place à la transformation du PTB/PVDA en une machine électorale.

    Ce n’est cependant pas parce que les esprits ne sont pas encore mûrs pour un tel parti de combat que nous sommes condamnés à ne rien faire. Lors des assemblées du personnel, nous devons évaluer les actions et préparer les prochaines. Mais nous pouvons aussi contribuer au développement d’une plate-forme de revendications par entreprise et par secteur. Cela donnerait progressivement vie à l’alternative du mouvement syndical.

    L’inégalité et la crise sont inhérentes au capitalisme. Ce système est malade et ne peut être sauvé. Nous voulons un système au sein duquel les besoins de la majorité sociale sont centraux et où l’humanité est maitresse de son destin en prenant en main le contrôle démocratique de la société. Le capitalisme n’a que la misère et la crise à nous offrir : construisons une alternative socialiste démocratique ! Rejoignez le PSL pour renforcer ce combat !

    Le rôle d’un programme offensif

    Il est bien évidement de première importance de résister aux attaques antisociales. Mais ne nous limitons pas nous-mêmes et poussons immédiatement nos propres revendications offensives, cela ne peut que renforcer les mobilisations. C’est du reste ce que nous avons constaté lors de divers mouvements sociaux précédents. Malgré ses limites, le Plan de Man a joué un rôle dans le mouvement social. Cela a abouti à la grève générale de 1936 qui a arraché 8% d’augmentation de salaire, l’introduction d’un salaire minimum, la semaine des 40 heures dans certains secteurs ou encore les congés payés. Le programme de réformes de structures de la FGTB et de la campagne de sensibilisation de ‘‘l’Opération Vérité’’ ont également joué un rôle crucial pour le fantastique mouvement de grève de 1960-61.

    Les choses ne sont pas différentes aujourd’hui. Aux États-Unis, une campagne militante menée par des activistes anticapitalistes et socialistes et par des syndicalistes a su obtenir l’introduction d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure aux USA. Cette réalisation n’est pas née de pétitions et de demandes polies, mais des conséquences de la construction d’un mouvement. La campagne électorale de Kshama Sawant (Socialist Alternative, notre parti-frère américain), qui a conduit à l’élection de la première militante socialiste à Seattle en un siècle, a fortement permis d’assurer que ce thème devienne central. Par la suite, la création de comités d’actions et l’organisation de protestations ont fait en sorte que ces 15 dollars de l’heure deviennent une réalité. Si cela est possible aux États-Unis, pourquoi pas ici?

  • Pourquoi un gouvernement de gauche doit-il défier le capitalisme?

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    Le gouvernement de gauche est celui qui romprait avec la loi du profit. Il défendrait le choix politique de faire passer les besoins essentiels de la classe des travailleurs avant les profits des grosses fortunes et entamerait une restructuration de la société en suivant des lignes socialistes démocratiques.

    Par Paul Murphy, député irlandais du Socialist Party (section irlandaise du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL)

    Répudier la dette publique

    Une mesure-clé serait de répudier la dette. L’an prochain, en Irlande, un euro sur cinq collectés par les impôts ne servira qu’à payer l’intérêt de la dette nationale qui est a explosé en raison du sauvetage des banques et l’éclatement de la crise capitaliste. Un arrêt immédiat du paiement de la dette devrait être imposé. Une commission d’audit sur la dette – composée de représentants des travailleurs et d’économistes de gauche – serait créée pour assurer que la dette contractée envers les banquiers et des institutions telles que le Fonds Monétaire International la Banque Centrale Européenne soit répudiée, tandis que les retraités et d’autres dont les besoins sont prouvés soient remboursés.

    Investir dans l’emploi

    Afin d’assurer qu’il y ait suffisamment d’emplois et pour faire face aux problèmes sociaux urgents, un important programme d’investissements publics est nécessaire. Investir 7 millions d’euros dans la construction de logements sociaux publics permettrait par exemple d’ériger 40.000 bâtiments et de créer 70.000 emplois socialement utiles. De similaires initiatives dans l’isolation, les canalisations d’eau, l’énergie renouvelable et d’autres domaines génèreraient d’immédiats bénéfices pour la société et l’économie.

    Le règne des banques et des institutions financières pourrait être brisé en les nationalisant et en les gérant démocratiquement. Il serait ainsi possible de fournir facilement des crédits aux petites entreprises et aux fermiers tout en abaissant les hypothèques à leur juste valeur, à la valeur des logements.

    Défier le règne des 1%

    L’effondrement actuel de l’investissement du secteur privé pourrait être combattu par la collectivisation des secteurs-clés de l’économie (énergie,…) et des ressources naturelles par la propriété publique sous contrôle et gestion des travailleurs. Un tel changement permettrait de démocratiquement élaborer un plan de relance de l’économie sur des bases saines économiquement et écologiquement.

    Ces mesures radicales – qui défient directement le règne des 1 % de la société – ne resteraient pas sans réponse. La classe capitaliste, en Irlande et internationalement, essaierait inévitablement de forcer la chute du gouvernement et d’inverser la vapeur. En dernier recours, un gouvernement de gauche ferait notamment face à des amendes imposées par la Commission européenne, à la menace probable de forcer l’Irlande à sortir de l’euro ou encore à la menace de l’arrêt de tout investissement direct étranger. L’appareil d’Etat existant, la police et le ‘‘gouvernement permanent’’ constitué des Hauts fonctionnaires, ferait également tout pour saboter l’application de ces changements progressistes.

    Une lutte de masse est nécessaire

    Tout gouvernement de gauche ne pourrait dès lors pas rester une simple majorité formelle au Parlement, mais devrait œuvrer au développement de mobilisations de la base de la société, avec de larges mouvements de protestations et des grèves générales.

    Une telle activité de masse de la classe des travailleurs et des jeunes sur leurs lieux de travail et au niveau de collectivités locales pourrait donner un aperçu de la manière dont une société démocratique devrait être développée. Les assemblées de masse que nous avons vu se développer en Grèce qui se sont développées il y a 2 ans dans le cadre de l’importante lutte contre la Troïka sont une illustration de la manière dont les choses pourraient se produire.

    Solidarité internationale

    Un gouvernement de gauche devrait également lancer des appels à la classe des travailleurs à travers l’Europe afin de ne pas autoriser l’imposition de sanctions pour avoir rompu avec l’austérité, mais aussi pour aller de l’avant sur le même chemin.

    L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche en Irlande serait incontestablement une source d’inspiration pour les luttes partout en Europe. Cela poserait les bases pour constituer une fédération volontaire et socialiste d’Etats au sein de l’Europe, en étant que part de la lutte pour la construction d’une Europe socialiste.

  • Quelle démocratie réelle pour quelle société ?

    Posez la question autour de vous : qui croit encore que nous sommes dans une véritable démocratie ? De manière écrasante, la réponse sera à n’en pas douter négative, teintée ou non de cynisme à l’exemple du dicton ‘‘la dictature, c’est ferme ta gueule; la démocratie, c’est cause toujours’’. L’homme de la rue n’a voix au chapitre sur rien, son ‘’contrôle démocratique’’ se limite à se rendre de temps à autre aux urnes, sans la moindre garantie que ‘’ses’’ élus respecteront leurs promesses, et sans pouvoir faire quoi que ce soit pour les y contraindre. Que faire sur base de ce constat ?

    Par Nicolas Croes, article initialement publié en novembre 2013

    Des citoyens tous égaux ?

    A la Chute du Mur de Berlin et avec l’effondrement du stalinisme dans les pays du bloc de l’Est, une gigantesque offensive a pris place proclamant la ‘‘fin de l’histoire’’ (selon les célèbres mots du ‘‘philosophe’’ Francis Fukuyama, retombé dans l’anonymat par la suite) ainsi que la victoire de la ‘‘démocratie’’ sur le totalitarisme stalinien. L’establishment pouvait encore bien admettre que quelques ajustements démocratiques devaient toujours prendre place, mais en douceur, à l’aide d’initiatives ‘‘citoyennes’’ et grâce à l’œuvre de sensibilisation (et non de mobilisation) de la ‘‘société civile’’.

    Ces termes avaient l’avantage de balayer les différences de classes sociales et de mettre côte-à-côte le ‘‘citoyen’’ travailleur, le ‘‘citoyen’’ patron d’entreprise, le ‘‘citoyen’’ actionnaire et le ‘‘citoyen’’ premier ministre. C’est dans le prolongement de cette idée que, en 2002, le ‘‘citoyen’’ premier ministre belge Guy Verhofstadt a publié une lettre ouverte aux ‘‘citoyens’’ altermondialistes dans laquelle il disait: ‘‘comment éviter une lutte des classes violente entre les plus pauvres et les plus riches de ce monde ?’’ Par un étrange tour de passe-passe facilité par la confusion politique consécutive au recul idéologique des années ’90, la ‘‘lutte des classes’’ était présentée comme une lutte entre ‘‘deux milliards de personnes qui (…) essayent de survivre (…) et un demi-milliard de personnes dont la préoccupation principale est de démêler l’intrigue du feuilleton télévisé quotidien.’’ Les ‘‘citoyens’’ des pays capitalistes développés étaient donc tous responsables à parts égales, une logique qui – dans un autre style – a fait le bonheur de ceux pour qui ce sont avant tout les choix de consommation qui gouvernent le monde.

    Tout ce discours euphorique et hypocrite a pris du plomb dans l’aile. La ‘‘démocratie’’ a servi de prétexte aux interventions impérialistes en Afghanistan, en Irak et ailleurs, avec des résultats dramatiques. Quant à la construction européenne ‘‘démocratique’’, elle a été marquée par nombre d’entorses majeures, à l’instar des référendums concernant le TCE, Traité sur la Constitution Européenne, rejeté en France et aux Pays-Bas en 2005. Le même texte est revenu par la bande sous un nouveau nom, ‘‘Traité de Lisbonne’’, n’a plus été soumis à un référendum en France et aux Pays-Bas (où il a été ratifié par les parlementaires) mais bien en Irlande, où il a été rejeté une nouvelle fois. Qu’à cela ne tienne, il a été représenté en 2009, l’establishment s’assurant cette fois de suffisamment terroriser les électeurs sur les conséquences d’un nouveau refus pour qu’il soit accepté… En gros, on peut voter pour ce qu’on veut, tant que cela va dans le sens de l’establishment capitaliste !

    Avec la crise économique, l’establishment capitaliste européen ne s’est pas toujours embarrassé de perdre du temps avec l’organisation de nouvelles consultations. En Grèce et en Italie, on a même carrément assisté à l’imposition de gouvernements technocratiques non-élus dirigés, comme par hasard, par d’anciens banquiers. Quant aux ‘‘recommandations’’ de la Commission Européenne, elles sont de plus en plus considérées – à juste titre – comme de véritables diktats. Ce n’est pas destiné à s’améliorer : le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) veut accroître le pouvoir coercitif de la Commission européenne. La banque JP Morgan Chase (une des plus grandes banques au monde) n’a pas hésité à suivre cette logique jusqu’à l’extrême en réclamant, dans un document intitulé ‘‘L’ajustement de la zone euro – bilan à mi-parcours’’, l’instauration de régimes autoritaires en Europe.

    La crise, ainsi que l’impact grandissant des privatisations et libéralisations, a aussi totalement fait voler en éclat toute cette idée de ‘‘citoyens’’ égaux. Licenciements, enseignement à deux vitesses, justice à deux vitesses, soins de santé à deux vitesses,… le rêve de la ‘‘démocratie’’ occidentale ressemble de plus en plus à un cauchemar. La ‘‘démocratie’’ parlementaire est partout à travers le monde minée par l’abstentionnisme chronique et la perte confiance vertigineuse des ‘’citoyens’’ face aux institutions et aux politiciens traditionnels. Ceux qui pensent encore être en mesure de pouvoir décider de leur destinée sont extrêmement peu nombreux, et ils se trouvent généralement derrière les bureaux luxueux des conseils d’entreprise, des banques,… Sur base de ce sentiment d’élections qui semblent n’être que symboliques et de l’ordre du rituel, la voie est ouverte pour la recherche d’alternatives.

    Une démocratie sans représentants élus ?

    Récemment, David Van Reybrouck, a défendu l’idée d’une démocratie par tirage au sort. Cet auteur flamand, qui a su acquérir une certaine notoriété avec son livre ‘‘Congo. Une histoire’’ fut également l’un des parrains du ‘‘G1000’’, un grand forum de débat public qui a débouché en 2012 sur un sommet dont est sorti une série de recommandations synthétisées dans un rapport remis aux présidents des sept parlements belges.

    C’est entre autres sur base de cette expérience qu’il en est venu à publier un essai ‘‘Tegen verkiezingen’’ (‘‘Contre les élections’’) destiné selon lui à dépasser le ‘‘syndrome de fatigue démocratique’’, notamment sur base de divers exemples historiques (Athènes durant l’Antiquité ou encore les républiques de Florence et de Venise à la Renaissance) et aller au-delà de ‘‘nos démocraties devenues impuissantes’’.

    Il est extrêmement frappant de voir combien cette idée traverse nombre de discussions, que ce soit parmi divers intellectuels et académiciens ou entre amis, autour de soi, une adhésion illustrative du profond dégoût – totalement justifié – que suscitent le clientélisme et la chasse ouverte aux postes rémunérés en vigueur chez les politiciens traditionnels. Mais si nous sommes d’accord avec David Van Reybrouck pour dire qu’une ‘‘démocratie qui se réduit aux élections est trop maigre’’, cette idée d’une démocratie par tirage au sort ne nous semble pas faire le tour de la question.

    Selon nous, le problème n’est pas le principe électif en lui-même, mais bien l’organisation même de ces élections et le cadre dans lequel elles se placent. Toutes les élections ne sont pas marquées par le népotisme et la soif de privilèges personnels qui caractérisent les institutions pro-establishment. Un exemple ? Les élections sociales qui désignent les délégués syndicaux dans les entreprises. En Belgique, aux dernières élections sociales (2012), 125.116 candidats (le double des élections communales) se sont présentés et 44.608 d’entre eux ont été élus. Pour ces élections, pas d’agences de publicité ni de coûteuses campagnes médiatiques, les délégués sont directement élus par leurs collègues sur base de leur dévouement quotidien. Voilà un exemple de démocratie à suivre.

    Ce rejet de l’élection de représentants était aussi un élément du fantastique mouvement d’occupation des places en Espagne lors du mouvement des Indignés, à l’été 2011 autour du slogan ‘‘¡Democracia Real YA!’’ (Une Vraie Démocratie Maintenant!), à la suite de l’enthousiasme du processus de révolution et de contre-révolution enclenché quelques mois plus tôt au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    Ce mouvement pour la ‘‘démocratie réelle’’ exprimait une aspiration profonde pour une société où les gens disposent d’un véritable contrôle sur leurs vies et ne sont plus à la merci d’une poignée d’ultra-riches, de banquiers voleurs et de politiciens corrompus. Les assemblées populaires tenues sur des centaines de places à travers toute l’Espagne ont donné l’image vivante d’une multitude de personnes se rassemblant, discutant et prenant leurs propres décisions concernant leur avenir. En Grèce, à la même époque, les débats sur la place athénienne de Syntagma avaient pris une orientation similaire. Ces gigantesques assemblées populaires qui réunissaient quotidiennement des milliers de participants ont remis au goût du jour le processus de la discussion collective, un élément d’une importance cruciale qui est absent du principe de tirage au sort. La démocratie ne se décrète pas, elle se construit, et la formation politique par la discussion collective est une donnée essentielle. Seule la formation politique la plus large possible permet d’assurer que personne ne soit indispensable et donc qu’un représentant puisse être élu de façon à ce qu’il soit révocable à tout moment par la base qui l’a choisi.

    Mais dans le cadre des assemblées populaires du mouvement des Indignés, la méfiance était totale vis-à-vis de l’élection de représentants, un sentiment compréhensible suite aux multiples trahisons des dirigeants syndicaux ou des représentants de partis sociaux-démocrates ou staliniens, précisément par manque de contrôle démocratique au sein de ces structures. Cette absence d’élection de représentants a cependant empêché le mouvement de réellement se coordonner à l’échelle nationale. Il faut imaginer quelle serait la situation aujourd’hui, deux ans plus tard, si les diverses assemblées avaient démocratiquement élu des représentants au niveau local pour des réunions nationales du mouvement destinées à tracer des perspectives communes pour la lutte, avec une orientation vers la mobilisation de la base des syndicats qui cherchait, et cherche toujours, à dépasser le rôle de frein joué par les directions syndicales empêtrées dans la logique du syndicalisme de collaboration de classe.

    Pas de démocratie réelle sans démocratie économique !

    Plus fondamentalement, chaque mesure vers une plus grande démocratie se heurte à la dictature des marchés capitaliste. Ce système est génétiquement incapable de donner naissance à une démocratie puisque les intérêts de la majorité de la population entreront toujours en conflit avec le pouvoir exercé par l’infime minorité de propriétaires des moyens de production. Le fait que la lutte n’est pas été fondamentalement orientée sur cette question permet de comprendre pourquoi le mouvement des Indignés est retombé, de la même manière que le mouvement Occupy aux Etats-Unis qui avait marqué l’automne 2011.

    Les mobilisations de masse qui se sont produits depuis lors ont tous illustré la manière dont la révolte des masses conduit à la recherche d’un gouvernement alternatif. Pour nous, l’aboutissement de ce processus est l’instauration d’un gouvernement des travailleurs représentant les intérêts de la majorité de la population, et non pas ceux de l’élite. Et si nous faisons ici référence aux travailleurs, ce n’est pas par fétichisme marxiste, mais tout simplement parce que le mouvement organisé des travailleurs est le seul à pouvoir bloquer l’économie – et donc la base du pouvoir de l’élite capitaliste – à l’aide de la grève générale et des mobilisations de masse, pour pouvoir poser la question d’une nouvelle société où les secteurs-clés de l’économie seraient au mains de ce mouvement et fonctionneraient dans le cadre d’une planification démocratique. Cet élément de démocratie dans le processus de production est un point fondamental car, pour reprendre les mots du révolutionnaire russe Léon Trotsky : ‘‘une économie planifiée a besoin de démocratie comme le corps humain a besoin d’oxygène.’’ C’est cette absence de démocratie qui a conduit à l’effondrement des pays du Bloc de l’Est, étouffés par le cancer dictatorial bureaucratique.

    Dans le cadre de l’organisation de la lutte, des assemblées sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans les écoles et dans les universités sont nécessaires pour poursuivre le combat en construisant un puissant mouvement impliquant le plus de monde possible en unifiant les travailleurs, les jeunes et les pauvres organisés démocratiquement par la base au travers de comités de base. Pour autant que ces comités soient reliés localement, régionalement et nationalement, toujours sous le contrôle des assemblées et avec des représentants sujets à révocation, ils peuvent progressivement passer d’organes de lutte à organes de pouvoir. Il y aurait ainsi une extraordinaire multitude de ‘‘parlements’’. Il suffit de voir comment les récents mouvements de masse ont fait appel les uns aux autres et ont été capables de constituer des sources d’inspiration à travers tout le globe pour être convaincu qu’une telle dynamique enclenchée dans un pays donné aurait inévitablement ces répercussions sur l’arène internationale, ce qui est une nécessité pour parvenir au renversement du système économique capitaliste. C’est cela que nous entendons lorsque nous parlons de société socialiste démocratique. Cette démocratie réelle privilégierait les intérêts de la population en utilisant les richesses de la société pour mettre fin à la pauvreté, au chômage et à la destruction de l’environnement.

  • Islam et Socialisme

    Dans cet article, Hannah SELL explique l’approche des marxistes pour combattre l’islamophobie en tirant les leçons de la politique des bolcheviks dans le sillage de la révolution russe. Si beaucoup de données ne concernent que la Grande-Bretagne et sont un peu datées, la situation n’est pas fondamentalement différente actuellement en Belgique. L’approche adoptée dans cet article reste une aide d’importance.

    Publié en octobre 2004 dans « Socialism Today », revue du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et pays de Galles.

    Entre un et demi et deux millions de musulmans vivent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Rien qu’à Londres, ils sont issus de 50 groupes ethniques différents. Ils représentent une des sections les plus pauvres de la société britannique : un musulman économiquement actif sur sept est au chômage, comparé à 1 sur 20 pour le reste de la population. Les deux communautés musulmanes les plus importantes de Grande-Bretagne, originaires du Pakistan et du Bangladesh, sont particulièrement appauvries. En 1999 par exemple, 28% des familles blanches vivaient en dessous du seuil de pauvreté comparé aux 41% d’Afro-Caribéens et aux 84% de familles bengalaises (une étude de l’université d’Anvers a récemment mis en lumière le fait que 58% de la population d’origine marocaine vit en Belgique sous le seuil de pauvreté, pour 15% de la population globale, NDT)

    L’histoire des musulmans de Grande Bretagne est une histoire de pauvreté et de discrimination. Historiquement, la discrimination contre les musulmans en Grande-Bretagne a été un des nombreux aspects du racisme de la société capitaliste. Sous différentes formes, le racisme a été un élément intrinsèque du capitalisme depuis son origine. Lors de la dernière décennie et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés anti-musulmans – l’islamophobie – ont augmenté de façon dramatique. Alors que d’autres aspects du racisme sont déjà présents, les musulmans sont confrontés aux manifestations les plus aigües de discriminations. Le gouvernement verse des larmes de crocodile sur cette hausse du racisme contre les musulmans et ceux que les gens «perçoivent» comme étant des musulmans. Mais c’est la politique gouvernementale qui est responsable d’une augmentation de 41% du nombre d’arrestations et de fouilles contre les populations asiatiques. Plus fondamentalement, la participation du gouvernement aux guerres brutales contre l’Irak et l’Afghanistan (deux pays à majorité musulmane), avec toute la propagande qui accompagne ces interventions et qui dénigre les populations de ces deux pays, a inévitablement fait monter l’islamophobie.

    L’ancien ministre de l’intérieur David Blunkett a suggéré que les minorités ethniques devaient faire de plus grands efforts pour «s’intégrer» à la société britannique, en blâmant les musulmans et les autres communautés pour la montée du racisme. En réalité, c’est le contraire qui est exact. Plus la société est hostile envers eux, plus les minorités ethniques et religieuses vont s’identifier uniquement à leurs propres communautés. Le renforcement de l’identification de beaucoup de musulmans à leur religion et à leur culture a ainsi nettement augmenté. Selon une étude récente, 74% des musulmans britanniques considèrent que leur religion a une influence importante sur leur vie quotidienne, contre 43% chez les Hindous et 46% chez les Sikhs. Nombreuses sont les raisons qui expliquent cela, mais il ne fait aucun doute que la montée des préjugés contre l’Islam a conduit beaucoup de jeunes à défendre leur religion en renforçant leur identification à celle-ci.

    Cependant il n’est pas vrai de dire que les jeunes musulmans de Grande-Bretagne s’identifient seulement ou premièrement au pays d’où ils, ou plus souvent leurs parents ou grands parents, sont originaires. Les deux tiers de tous les musulmans de Grande-Bretagne ont moins de 25 ans. Ayant été élevés en Grande-Bretagne, la plupart d’entre eux ont une double identité, à la fois partie intégrante de la Grande-Bretagne et aliénés par celle-ci. Ces jeunes ont grandi dans une société où ils se sentent sous la menace constante d’une arrestation à cause de leur couleur ou de leur religion. Ils sont confrontés aux discriminations dans l’enseignement et sur le lieu de travail et ont été enragés par la propagande de guerre impérialiste du gouvernement. Mais seule une petite minorité a tiré la conclusion erronée que le barbare terrorisme de masse de la part d’organisations islamiques réactionnaires comme Al Qaïda offre une alternative. Contrairement à ce qu’affirme la presse à scandales, 73% des musulmans de Grande-Bretagne sont fortement opposés aux attaques terroristes. En même temps, le potentiel qui existe pour un mouvement unifié capable d’impliquer les musulmans a été illustré par les centaines de milliers de musulmans qui ont participé, avec d’autres sections de la population, au mouvement anti-guerre durant les plus grandes manifestations qui se sont jamais déroulées en Grande-Bretagne.

    Comment les marxistes doivent-ils aborder la question des communautés musulmanes vivant en Grande-Bretagne? Notre point de départ est d’être fermement opposés aux discriminations anti-musulmanes en défendant le droit de chaque musulman à pouvoir vivre sans subir l’islamophobie, indépendamment de sa classe ou de sa conception de la religion. Concrètement, cela signifie de lutter pour le droit des musulmans à pratiquer librement leur religion, y compris en choisissant librement de porter ce qu’ils veulent. Le véritable marxisme n’a rien à voir avec ceux de l’extrême gauche française qui ont refusé de s’opposer aux exclusions des jeunes femmes musulmanes qui portaient un voile à l’école. Nous devons activement défendre le droit de chacun de pratiquer la religion qu’il choisit (ou de n’en pratiquer aucune) sans avoir à subir de discrimination ou de préjugés.

    Cela ne signifie cependant pas que nous percevons la population musulmane dans sa totalité comme un bloc homogène et progressiste. Au contraire. Plusieurs facteurs, comme la classe, l’origine ethnique et la conception de la religion divisent la population musulmane. Il y a en Grande Bretagne 5.400 musulmans millionnaires, dont la plupart ont fait leur fortune en exploitant d’autres musulmans, et de petites communautés musulmanes sont très riches. Ainsi, 88 Koweïtiens, dont la plupart résident en Grande Bretagne, ont investi 55 milliards de Livres Sterling dans l’économie britannique. Alors que nous avons à défendre les droit de ces milliardaires de pratiquer leur religion sans répression, nous avons aussi à convaincre les travailleurs musulmans qu’ils ont des intérêts diamétralement opposés à ces individus et que la voie vers la libération se trouve dans la cause commune avec les autres sections de la classe ouvrière à travers le monde mais, comme ils vivent en Grande Bretagne, en premier lieu avec la classe ouvrière britannique.

    En tant que révolutionnaires socialistes, le programme que nous mettons en avant doit toujours avoir pour objectif d’encourager l’unité de la classe ouvrière en tant qu’élément du processus d’élévation de sa confiance et de son niveau de compréhension. C’est la raison pour laquelle notre organisation sœur en Irlande du Nord a toujours lutté pour l’unité des travailleurs catholiques et protestants. Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, les politiques réactionnaires de Tony Blair et du New Labour (le Parti Travailliste) créent des divisions que nous devons tenter de surmonter.

    Historiquement, il y a de fortes traditions d’unité entre les travailleurs musulmans et les autres sections de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Elles proviennent du rôle important joué par les meilleurs éléments du mouvement ouvrier dans la lutte contre le racisme. Par conséquent, les travailleurs noirs et asiatiques, y compris les musulmans, ont tissé un lien fort avec le mouvement ouvrier, bien que la majorité d’entre eux ne provenait pas initialement d’un milieu urbain dans leur pays d’origine. Dans les années ‘70, les travailleurs noirs et asiatiques ont joué un rôle clé dans plusieurs luttes industrielles. En 1976, la grève de Grunwicks contre les bas salaires, qui a largement impliqué des femmes asiatiques, a été une des batailles cruciales de cette décennie.

    Un des résultats de ces traditions positives a été que, jusqu’à récemment, les musulmans de Grande-Bretagne ont eu tendance à soutenir le Labour Party. Une étude réalisée en 1992 a par exemple conclu que «les musulmans sont loyaux envers le Parti Travailliste car ils le voient comme un parti qui œuvre pour la classe ouvrière et aussi parce que le Parti Travailliste est de loin le moins raciste à la fois dans son attitude et dans sa pratique comparé aux autres partis, en particulier face au Parti Conservateur». Un sondage de l’institut MORI réalisé après les élections de 1997 a démontré que 66% des électeurs asiatiques et 82% des électeurs noirs ont voté pour le Parti Travailliste, un taux beaucoup plus élevé que la moyenne nationale de 44%. En comparaison, les Conservateurs ont obtenu seulement 22% du vote asiatique.

    Cependant, le New Labour d’aujourd’hui ne représente en aucune façon les intérêts des travailleurs. Au contraire, le Parti Travailliste est maintenant un parti favorable à la classe dirigeante dans lequel les syndicats sont sans pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que non seulement les musulmans mais aussi la majorité des travailleurs ne croient plus que le Labour Party est «pour eux». La désillusion est particulièrement profonde parmi les électeurs musulmans issus de la classe ouvrière. Les politiques racistes du New Labour, malgré qu’elles aient un vernis plus sophistiqué que celles des Tories, ont profondément désillusionné la plupart des musulmans. Mais c’est la guerre en Irak qui a agi de façon à rompre de façon décisive le soutien que beaucoup de musulmans accordaient encore au Labour Party. Un sondage d’opinions réalisé avant les élections Européennes a rapporté que le soutien au Labour Party a chuté de 75% chez les électeurs musulmans à seulement 38% lors des élections générales.

    Le mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel de ce que signifie gagner les travailleurs musulmans désillusionnés par le Labour à une alternative de classe. Ce processus n’est cependant pas automatique. Une condition vitale est qu’après la trahison complète du New Labour, le mouvement ouvrier prouve encore et encore dans la pratique qu’il est déterminé à combattre le racisme et l’islamophobie. Mais les marxistes doivent aussi défendre une approche de classe et socialiste concernant les musulmans. Le fait que les musulmans et les révolutionnaires socialistes marchent ensemble dans le mouvement anti-guerre constitue un véritable pas en avant. Mais nous ne devons pas laisser nos discussions avec les musulmans anti-guerre au niveau de notre opposition commune à l’occupation impérialiste de l’Irak. Nous devons étendre les discussions à des questions de classe ici, en Grande-Bretagne, y compris sur la question d’un programme et d’une stratégie aptes à combattre les privatisations et les coupes budgétaires du New Labour. Nous devons aussi soulever la nécessité d’une alternative politique au New Labour – un nouveau parti de masse qui rassemble le mouvement anti-guerre, les syndicalistes et les militants contre la casse sociale – un parti qui représente et organise toutes les sections de la classe ouvrière.

    Au cours de ces discussions, il sera parfois nécessaire de soulever des questions sur lesquelles il n’y a pas d’accord complet entre les marxistes et certains musulmans. Par exemple, face au racisme qui existe dans la société capitaliste, un nombre croissant de musulmans revendiquent de façon compréhensible des écoles musulmanes séparées. Nous devons d’une part lutter contre le racisme et la discrimination à l’école, ainsi que pour le droit de tous les étudiants d’avoir les commodités pour pratiquer leur religion, mais, d’autre part, cela n’implique pas le soutien à la création d’écoles musulmanes séparées, pas plus que nous ne soutenons d’autres écoles religieuses. Nous devons patiemment expliquer que cette voie amènera à une plus grande ségrégation et à une plus grande isolation des communautés musulmanes qui, en retour, mèneront à faire croître le racisme contre eux.

    De même que nous luttons pour le droit des jeunes musulmanes à choisir de porter le voile, il est aussi clair que nous soutenons le droit de celles qui choisissent de ne pas le porter, même lorsque cela signifie d’entrer en conflit avec d’autres musulmans.

    L’approche erronée de RESPECT

    Malheureusement, cette approche de classe n’a pas été adoptée par le Socialist Workers Party (SWP). RESPECT, la nouvelle coalition électorale qu’il a formé avec le député George Galloway a obtenu quelques succès électoraux, largement grâce à l’appel lancé aux musulmans. Lors des élections européennes, RESPECT a tiré un tract spécifique destiné aux musulmans qui présentait RESPECT comme «le parti des musulmans». George Galloway a été présenté comme un combattant pour les musulmans et décrit de cette manière : «Marié à une doctoresse palestinienne, il a de forts principes religieux concernant la lutte contre l’injustice. Il a été exclu par Blair parce qu’il a refusé de s’excuser pour son attitude anti-guerre. Nos députés musulmans soit sont restés silencieux, soit ont soutenu la guerre. De qui voulez vous pour être votre voix ?»

    Alors qu’il est juste de présenter les références anti-guerre de Galloway et de dénoncer les députés musulmans qui ont refusé de s’opposer à la guerre, le reste de sa déclaration est une tentative hautement opportuniste de faire appel aux musulmans sur base de leur religion. Au lieu de cela, les véritables socialistes doivent tenter de convaincre les musulmans qu’ils peuvent atteindre par les idées socialistes, et parmi eux plus spécifiquement les jeunes musulmans issus de la classe ouvrière (la majorité de la population musulmane de Grande-Bretagne).

    Si RESPECT avait profité de cette situation pour gagner des musulmans ainsi que d’autres sections de la classe ouvrière au véritable socialisme, cela aurait été louable. Mais au lieu de cela, ils ont fait appel aux musulmans en tant que bloc dans l’espoir d’obtenir des gains électoraux à court terme. En fait, l’histoire de l’engagement des musulmans en politique a démontré que cette approche ne marche pas. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que quelques politiciens musulmans du New Labour se sont engagés en politique dans l’intention d’aider leur communauté. Cependant, à moins d’avoir eu une approche socialiste, ils ont échoué à le faire. C’est par exemple une position complètement erronée de la part de Galloway d’expliquer qu’il ne se présente pas contre Mohamed Sawar, député de Glasgow Govan, parce qu’il est musulman. Sawar a constamment voté avec le New Labour sur toutes les questions. Bien qu’il ait voté contre la guerre, il a depuis lors voté avec le reste de son parti à chaque occasion, même sur la question de l’Irak. Le fait qu’il soit musulman ne signifie pas qu’il défende les intérêts des musulmans ordinaires. Au niveau local, les conseillers musulmans tendent à être issus des petites élites musulmanes plutôt que d’être issus de la classe ouvrière. Mais le plus important, c’est que la majorité d’entre eux a adopté les politiques blairistes du New Labour.

    Mais RESPECT ne fait pas qu’échouer à élever la conscience de classe parmi les musulmans. Si elle continue sur cette voie, la coalition peut entretenir des divisions dangereuses parmi la classe ouvrière entre les musulmans et les autres communautés. Si RESPECT a des succès en étant vu comme un parti musulman qui ne s’adresse pas aux autres sections de la classe ouvrière, il peut éloigner les autres sections de la classe ouvrière et renforcer les idées racistes.

    Malheureusement, cela semble être la voie que Respect a prise. Lors des récentes élections au Sud de Leicester, RESPECT a obtenu un résultat électoral non négligeable. Sa candidate était Yvonne Ridley, la journaliste qui s’est convertie à l’islam après avoir été capturée par les talibans en Afghanistan. Encore une fois, RESPECT a fait appel à la communauté musulmane sur une base purement religieuse. Le tract spécial qu’elle a destiné à la communauté musulmane faisait référence à un dirigeant local de la communauté qui a dit que Ridley était «la seule candidate MUSULMANE» et que «les musulmans vont jouer un rôle clé lors de l’élection». Le tract n’indiquait pas d’autres raisons de voter pour RESPECT.

    La révolution russe comme justification

    En vue de justifier aujourd’hui son opportunisme politique en Grande-Bretagne, le SWP a cherché dans l’histoire de quoi appuyer son approche avec un exemple. C’est dans ce cadre que Socialist Review, publication du SWP, a publié un article de Dave Crouch avec lequel le SWP a crû justifié sa position en se basant sur l’attitude des bolcheviks après la révolution.

    Alors que l’article de Crouch donne un compte-rendu intéressant des évènements qui se sont produits, en utilisant un ton inégal et une emphase clairement façonnée pour justifier l’attitude du SWP envers RESPECT, il désinforme ses lecteurs. Dans un article beaucoup plus long sur le même sujet, publié en 2002 dans le journal théorique du SWP International Socialism, Crouch démontre pourtant qu’il est capable d’adopter une approche un peu plus objective. Ironiquement, dans cet article là, il critiquait un auteur au sujet de «la politique nationale [des bolcheviks qui s’est développée] dans un isolement presque hermétique de la société pré-révolutionnaire à la contre-révolution stalinienne». Mais dans Socialist Review il a reproduit l’erreur qu’il critiquait en ne voyant pas les différences énormes existant entre la situation des marxistes aujourd’hui en Grande-Bretagne et celle de la Russie durant les années qui ont immédiatement suivi la Révolution de 1917. Il a alors simplement déclaré que «nous pouvons apprendre des bolcheviks et nous inspirer des réalisations faites par les bolcheviks».

    Par exemple, l’Armée Rouge a participé à de nombreuses alliances militaires avec des forces pan-islamiques. Cependant, il s’agissait d’une situation de guerre civile et de nombreuses armées capitalistes attaquaient et essayaient d’écraser la première révolution victorieuse en collaboration avec les classes dirigeantes locales, dominées par les grands propriétaires terriens. La guerre civile était particulièrement intense dans les zones à prédominante musulmane d’Asie Centrale. Les comparaisons directes à faire avec la Grande-Bretagne actuelle sont évidemment très limitées…

    Cela ne signifie aucunement qu’il n’y a pas de leçons à tirer du travail de pionniers des bolcheviks. Mais l’article de Crouch ne dévoile que la moitié de l’histoire. Il se concentre presque exclusivement sur des points tels que l’union entre les dirigeants musulmans et les bolcheviks sans expliquer les divergences politiques, les conflits et les complications qui ont existé ou encore comment les bolcheviks ont essayé de gagner les masses musulmanes au programme marxiste. Sans toutefois le dire explicitement, l’article donne aussi l’impression complètement incorrecte selon laquelle l’islam était intrinsèquement plus progressiste que les autres religions parce que c’était la religion des peuples opprimés et colonisés et encore que les bolcheviks avaient traité les populations musulmanes d’une façon fondamentalement différente des autres religions.

    En fait, Vladimir Lénine et Léon Trotsky ont correctement traité les droits religieux de toutes les minorités opprimées avec une attention et une sensibilité extrême, consécutive de leur approche sur la question nationale. Leur objectif était de minimiser systématiquement les divisions et les différences entre les sections de la classe ouvrière. Ils avaient compris que, pour la réalisation de cet objectif, il était nécessaire de démontrer encore et encore que le pouvoir des Soviets était la seule voie vers la libération nationale pour les nationalités opprimées par ce qui avait été l’empire russe des Tsars (que Lénine appelait la «prison des peuples»). Mais jamais ils n’ont cependant baissé la bannière de l’unité internationale de la classe ouvrière. Quand des concessions étaient faites à des forces nationalistes, il était ouvertement et honnêtement expliqué pourquoi de telles concessions étaient nécessaires, et en même temps les bolcheviks continuaient à argumenter clairement en faveur d’un programme marxiste parmi les masses des territoires opprimés.

    Le contexte de l’époque doit être soigneusement regardé. Les bolcheviks agissaient dans des circonstances de difficultés phénoménales. Par la suite, malgré le potentiel existant dans d’autres pays pour des révolutions victorieuses, ces dernières n’ont pas pu aboutir et le premier Etat ouvrier s’est retrouvé isolé dans une situation d’arriération économique avec une domination paysanne. Finalement, ces facteurs ont permis l’émergence du stalinisme ainsi que l’écrasement de la démocratie ouvrière par le fait d’une hideuse bureaucratie.

    Ces conditions extrêmes, la survie de la révolution ne tenait alors qu’à un fil, ont forcé l’Etat ouvrier à faire des concessions à tous les niveaux. En 1921 – alors qu’il était clair qu’on ne pouvait pas compter sur une révolution victorieuse dans un autre pays à court terme – Lénine a été forcé de proposer la Nouvelle Politique Economique (NEP) pour éviter un retour aux privations et aux famines de masse. Cela impliquait des concessions envers le marché. Ces difficultés matérielles écrasantes ont inévitablement eu un effet sur la capacité de l’Etat ouvrier à appliquer ses politiques dans de nombreux domaines.

    Néanmoins, l’approche de Lénine et Trotsky vis-à-vis des droits nationaux, religieux et ethniques en particulier a constitué un modèle dans le sens où elle a combiné la sensibilité envers les aspirations nationales à une approche de principe. Cela n’a rien de commun ni avec l’opportunisme du SWP, ni avec l’approche rigide et étroite de quelques autres parmi la gauche.

    Le droit des nations à l’autodétermination

    L’approche utilisée par les bolcheviks vis-à-vis des populations musulmanes ne découle pas en première instance de la question de la religion en elle-même, mais plutôt de la manière dont la religion était en rapport avec le droit des nations à l’autodétermination. L’unification des pays et la solution à la question nationale est une des tâches clés de la révolution démocratique bourgeoise, ce qui inclut l’élimination des rapports terriens féodaux et semi-féodaux ainsi que l’instauration de la démocratie bourgeoise. Ces tâches n’ont jamais été achevées dans la Russie tsariste qui était en fait une monarchie absolue semi-féodale. Les bolcheviks avaient compris qu’étant donné le développement tardif de la bourgeoisie en tant que classe en Russie et sa crainte mortelle des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe était incapable de réaliser les tâches de sa propre révolution.

    C’est Trotsky, avec sa théorie de la révolution permanente, qui a été le premier à tirer la conclusion que ces tâches devaient être l’œuvre de la classe ouvrière à la tête des masses paysannes. Trotsky a expliqué que, aussi important que pouvait être le rôle de la paysannerie, elle ne pouvait être capable d’agir de façon indépendante à cause de son caractère hétérogène et dispersé. La paysannerie est toujours à la suite soit de la classe dirigeante, soit de la classe ouvrière.

    Trotsky a continué à expliquer que la classe ouvrière ne se limiterait pas à l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique bourgeoise mais passerait ensuite aux tâches de la révolution socialiste de façon «ininterrompue». Lénine avait tiré la même conclusion plus tard, dans ses «Thèses d’Avril» de 1917. Et effectivement, lors de la Révolution d’Octobre 1917, la classe ouvrière a dépassé les tâches de la révolution démocratique bourgeoise pour commencer à effectuer celles de la révolution socialiste.

    Ces tâches étaient de loin plus grandes dans les territoires de l’empire russe que dans la Russie elle-même. Les différentes régions avaient des caractéristiques différentes, mais l’image générale était celle d’économies extrêmement sous-développées et de populations constituées de façon écrasantes de paysans pauvres. Si la bourgeoisie libérale était faible et lâche en Russie, elle n’existait tout simplement pas dans la plupart de ces territoires. La classe ouvrière y était surtout constituée d’émigrés russes et les quelques bolcheviks présents avant la révolution étaient issus de cette couche de la population. Tous ces facteurs étaient particulièrement aigus en Asie centrale, région à dominante musulmane. Il est toutefois faux de conclure que les caractéristiques d’arriération d’Asie centrale avaient un lien avec cette dominante musulmane. Ces caractéristiques étaient le résultat des relations économiques et sociales féodales et la situation était peu différente dans des régions similairement sous-développées mais à dominante chrétienne.

    Lénine et Trotsky ont compris quelles étaient les énormes difficultés auxquelles le nouvel Etat ouvrier devait faire face pour résoudre la question nationale dans ces régions. La domination impérialiste par le tsarisme russe s’était profondément fait sentir et des luttes déterminées et sanglantes s’étaient déroulées contre cette oppression aussi récemment qu’en 1916. Il était donc vital de démontrer encore et encore aux nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme que le pouvoir soviétique n’était pas une nouvelle forme d’impérialisme, mais bien la seule voie par laquelle ils pouvaient obtenir leur libération.

    En conséquence, la constitution adoptée en juillet 1918 affirmait clairement que les soviets régionaux basés sur «un mode de vie et une composition nationale particuliers» pouvaient décider s’ils voulaient intégrer la République Socialiste Fédérale de Russie et sur quelle base. Cependant, les constitutions seules ne suffisent pas. La réalisation des tâches de la révolution démocratique bourgeoise signifiait d’assister le développement d’une culture nationale qui n’avait pas eu d’espace pour se développer auparavant. Par exemple, après des décennies de «russification», l’utilisation des langues locales a été encouragé, ce qui a aussi signifié dans plusieurs cas de développer pour la toute première fois une forme écrite de l’une ou l’autre langue.

    Il n’y a là aucune contradiction entre cette approche et l’internationalisme des bolcheviks. Ce n’est qu’en se révélant être la meilleure combattante pour la libération nationale des opprimés que la Russie des soviets pouvait montrer que la voie de la libération était liée à la classe ouvrière mondiale, et plus spécifiquement à la classe ouvrière de Russie. Cependant, cette approche n’a pas été comprise par tous les bolcheviks. Une certaine couche d’entre eux a vu dans le droit à l’autodétermination des nations quelque chose de contraire à leur internationalisme. Cette analyse a en réalité joué le jeu du nationalisme Grand Russe. Mais c’est au contraire l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a eu pour effet que la République Socialiste Fédérale de Russie a réussi à intégrer sur une base libre et volontaire beaucoup de nationalités auparavant opprimées par le tsarisme.

    L’approche des bolcheviks envers l’islam

    Comme l’islam avait été réprimé par le tsarisme, et était aussi réprimé par les impérialismes français et britanniques à travers le monde, il était inévitable que le droit des musulmans à pratiquer leur religion devienne un élément central des revendications des masses musulmanes. Les bolcheviks ont reconnu ce droit et ils étaient extrêmement sensibles sur ce point, de la même manière qu’ils l’avaient été avec les autres religions opprimées comme le bouddhisme et le christianisme non orthodoxe.

    Mais Dave Crouch va trop loin quand il affirme que «les bolcheviks ont eu une attitude très différente (envers l’islam) comparé au christianisme orthodoxe, la religion des brutaux colonisateurs et missionnaires russes». Il ajoute que «1.500 russes ont été chassés du parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul Turkestani». C’est une simplification excessive. Les russes ont été exclus pour avoir poursuivi l’oppression de la Russie impériale sous le nom de la révolution, et non simplement à cause de leur religion.

    Bien sûr, les bolcheviks avaient compris le rôle profondément réactionnaire du christianisme orthodoxe dans les territoires de l’empire tsariste en tant qu’instrument de l’oppression grand russe. Néanmoins, en particulier en Russie même, le christianisme orthodoxe avait une double nature. C’était à la fois la religion oppressive des tsars ainsi que ce que Marx appelait «le soupir de la créature opprimée» des masses russes. Lénine pensait aussi aux millions de travailleurs, en particuliers paysans, qui croyaient toujours en la foi chrétienne orthodoxe en disait que «nous sommes absolument opposés à offenser les convictions religieuses».

    Le véritable marxisme de Lénine et des bolcheviks n’a aucune ressemblance avec les crimes ultérieurs de Staline. A partir d’un point de vue matérialiste, et donc athée, les bolcheviks ont de façon correcte été favorables au droit de chacun à suivre la religion qu’il souhaitait, ou de n’en suivre aucune. Ils avaient compris que cela signifiait la séparation complète de la religion et de l’Etat. La religion d’Etat a été un des piliers majeurs de l’oppression dans la société féodale et, avec quelques modifications, le capitalisme continue d’ailleurs toujours à l’utiliser. Dans la Russie semi-féodale, le mécanisme du christianisme orthodoxe (la religion d’Etat) était une force aux mains de la réaction. Mais, bien que de façon différente, cela était aussi le cas de l’islam dans les républiques à dominante musulmane. Alors que le christianisme orthodoxe était la religion de l’oppression coloniale et l’islam une religion opprimée qui avait un soutien écrasant de la part des masses pauvres, l’élite indigène a tenté d’utiliser l’islam comme outil pour la contre-révolution. La séparation de l’église et de l’Etat en Asie centrale n’a pas seulement concerné le christianisme orthodoxe, mais aussi l’islam. Les bolcheviks avaient adopté cette approche au risque d’obtenir des conflits avec certaines sections de musulmans. Par exemple, en résultat de cette politique, des parents musulmans ont dans certaines régions refusé d’envoyer leurs enfants à l’école.

    Mais, tout en argumentant en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, les bolcheviks étaient très prudents pour éviter de donner l’impression qu’ils imposaient d’en haut la société «russe» à l’Asie centrale. Là où la population était en faveur de la Charia (loi islamique) et des tribunaux islamiques, les bolcheviks avaient compris que s’y opposer aurait été vu comme de l’impérialisme russe. Cela n’a cependant pas voulu dire que les bolcheviks acceptaient les politiques féodales réactionnaires menées par les tribunaux de la charia, pas plus qu’ils n’acceptaient les attitudes féodales qui existaient dans différents aspects de la société de l’ancien empire russe. Ils avaient simplement compris que les attitudes réactionnaires ne pouvaient pas être abolies, mais devaient changer avec le temps. C’est pourquoi ils avaient établi un système légal parallèle en Asie centrale, pour tenter de prouver en pratique que les soviets pouvaient apporter la justice. Pour sauvegarder les droits des femmes, en particulier, l’usage des tribunaux islamiques n’était permis que si les deux parties étaient d’accord. Et si l’une des parties n’était pas satisfaite du jugement, elle pouvait encore avoir recours à un tribunal soviétique.

    L’islam divisé

    Sur cette question et sur d’autres, Crouch donne une impression inégale. En lisant son article, on peut s’imaginer que la population musulmane entière d’Asie centrale était progressiste et alliée aux Bolcheviks. Dans un article de deux pages contenant de nombreux exemples sur la relation positive entre les forces musulmanes et les bolcheviks, seulement deux courtes références illustrent que ce n’était pas le cas dans toutes les circonstances. La première est quand Crouch déclare «en même temps, les dirigeants musulmans conservateurs étaient hostiles au changement révolutionnaire», mais aucune autre explication n’est donnée sur le rôle de ces «dirigeants musulmans conservateurs». La deuxième référence consiste à déclarer que «le mouvement Basmachi (une révolte islamique armée) a éclaté». Cependant, la responsabilité de cette révolte contre-révolutionnaire est exclusivement liée à la politique coloniale du soviet de Tashkent durant la guerre civile.

    Il est vrai que, durant la guerre civile russe, lorsque des larges parties de l’Est étaient détachées de la Russie, certains émigrés russes chauvins ont soutenu la révolution parce qu’ils la considéraient comme le meilleur moyen d’assurer la continuité de la domination russe. Les politiques qu’ils avaient décrétées soi-disant au nom de la révolution ont perpétué l’oppression tsariste des musulmans. A Tachkent, ville musulmane à plus de 90%, le soviet, sous la direction des Socialistes-Révolutionnaires et des Mencheviks, a utilisé la langue russe dans toutes ses procédures et a exclu les dirigeants locaux sans principes et de façon complètement chauviniste. Ces politiques réactionnaires ont joué un rôle majeur dans la constitution du mouvement Basmachi par des bandes de guérilleros islamiques. Mais, en Octobre 1919, la direction bolchevik a rétabli le contact avec Tachkent et a alors inversé les politiques du soviet de Tachkent. En Avril 1918, 40% des délégués du soviet de Tachkent étaient musulmans.

    Alors que les préjugés grand-russes ont sans aucun doute persisté, les bolcheviks se sont donnés une peine considérable pour montrer que le pouvoir des soviets signifiait la liberté nationale et culturelle. Comme Crouch le décrit, «des monuments sacrés islamiques, des livres et des objets pillés par les tsars ont été remis aux mosquées. Le vendredi – jour de célébration musulman – a été déclaré jour férié pour le reste de l’Asie centrale». Mais aucune de ces mesures n’a empêché le nationaliste turc Enver Pasha de venir en Asie Centrale en 1921 et de se joindre immédiatement à la révolte Basmachi, en transformant ainsi des fractions tribales en une force unifiée pour la réaction islamique. Une partie des musulmans avaient rejoint la contre-révolution, non pas à cause des crimes du soviet de Tachkent, mais pour gagner un territoire sur lequel ils pourraient exploiter d’autres musulmans. En d’autres mots, c’était pour défendre et pousser de l’avant leurs propres intérêts de classe.

    Les bolcheviks ont toujours compris que leur tâche était de créer le maximum d’unité entre les travailleurs et d’amener derrière eux les masses paysannes. Cela signifiait de convaincre les masses musulmanes pauvres que leur cause était celle de la révolution, et non pas celle des dirigeants islamiques réactionnaires. Contrairement au SWP aujourd’hui, ils ont toujours déployé leurs efforts dans ce but.

    Les dirigeants autochtones

    Dave Crouch parle des peines que se sont donnés les bolcheviks pour essayer de développer des directions nationales autochtones dans les soviets des Etats autonomes nouvellement formés. La politique des soviets a compris l’instauration d’un commissariat musulman (Muskom), dont la direction était en grande partie composée de musulmans non bolcheviks. En même temps, un effort particulier a été fait pour recruter des autochtones au Parti Communiste (PC – nouveau nom des bolcheviks), ce qui a conduit à une sérieuse augmentation du nombre de membres musulmans.

    Dave Crouch déclare dans son texte : «Il y avait des discussions sérieuses parmi des musulmans sur les similitudes entre les valeurs islamiques et les principes socialistes. Les slogans populaires de l’époque comprenaient : «Vive le pouvoir des soviets, vive à la charia!»; «Religion, liberté et indépendance nationale». Des partisans du «socialisme islamique» ont appelé les musulmans à établir des soviets ».

    De nouveau, ceci cache une réalité plus complexe – aucune mention n’est faite de l’attitude des bolcheviks envers ce «socialisme islamique». Il est naturellement vrai que, alors que le PC était marxiste et donc athée, la croyance religieuse ne représentait pas en soi un obstacle pour rejoindre le parti, et beaucoup de musulmans ont été recrutés. Cependant, cela ne signifiait aucunement qu’il suffisait d’être musulman et de soutenir la révolution pour rejoindre le Parti Communiste. Bien que des alliances militaires à court terme aient été formées avec toutes sortes de forces, il n’y a seulement eu qu’une organisation musulmane sur le territoire soviétique qui ait été reconnue par les bolcheviks comme un véritable parti socialiste (sur la base de son programme) – Azerbaidjani Hummet, qui devait plus tard devenir le noyau du PC de l’Azerbaïdjan. D’autres, comme le parti nationaliste libéral kazakh, Alash Orda, ont été écartés, en dépit de leurs déclarations en faveur de la révolution, et ce en raison de leur programme et de leur base de classe.

    Néanmoins, telle était l’importance de développer des directions autochtones pour le Parti Communiste que des individus qui avaient une approche totalement différente de celle de Lénine et Trotski ont pu rejoindre le PC. Parmi eux, le cas de Mirsaid Sultangaliev, devenu ensuite président du commissariat central musulman après avoir rejoint le PC en novembre 1917, est révélateur. Il affirmait que: «Tous les musulmans colonisés sont des prolétaires et comme presque toutes les classes dans la société musulmane ont été opprimées par les colonialistes, toutes les classes ont le droit d’être désignées «prolétariennes».

    Sur cette base il argumentait qu’il ne pouvait pas y avoir de lutte des classes au sein des nations opprimées. En réalité, ces idées étaient une couverture pour les intérêts de l’élite dirigeante locale. D’ailleurs, ces idées étaient constamment et publiquement contre-argumentées par la direction du Parti Communiste. Par exemple, les Thèses sur la question nationale et coloniale, adoptées par le deuxième congrès de la Comintern (l’Internationale Communiste) disent clairement: «La lutte est nécessaire contre le panislamisme, le mouvement panasiatique et les courants similaires qui lient la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain au renforcement du pouvoir des impérialismes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires terriens, du clergé, etc.»

    Elles ajoutaient: «Une lutte déterminée est nécessaire contre les tentatives de mettre une couverture communiste aux mouvements révolutionnaires de libération qui ne sont pas réellement communistes dans les pays [économiquement] arriérés. L’Internationale Communiste a le devoir de soutenir le mouvement révolutionnaire dans les colonies seulement dans l’optique de rassembler les éléments des futurs partis prolétariens – communistes dans les faits et pas seulement de nom – dans tous les pays arriérés et de les former à être conscients de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de lutter contre les tendances démocratiques bourgeoises de leur propre nation».

    Cet exemple illustre à quel point l’approche des bolcheviks est complètement différente de celle du SWP aujourd’hui. Il est vrai que le Manifeste du Congrès des Peuples de l’Est a, comme l’a fait remarquer Crouch, appelé à une guerre sainte, à laquelle les marxistes d’aujourd’hui ne doivent accorder de l’attention que dans son contexte. Ce qui a réellement été dit comprenait un clair contenu de classe: «Vous avez souvent entendu l’appel à la guerre sainte, de la part de vos gouvernements, vous avez marché sous la bannière verte du prophète, mais toutes ces guerres saintes étaient fausses, car elles ont seulement servi les intérêts de vos dirigeants égoïstes et vous, travailleurs et paysans, êtes resté dans l’esclavage et le manque après ces guerres… Maintenant, nous vous appelons à la première véritable guerre sainte pour votre propre bien-être, pour votre propre liberté, votre propre vie !»

    Lors de ce Congrès, il a été souligné encore et encore que la lutte devait être menée contre «les mollahs réactionnaires de notre propre entourage» et que les intérêts des pauvres à l’Est étaient liés à ceux de la classe ouvrière à l’Ouest.

    La Révolution de 1917 a inspiré des millions de personnes à travers le monde. D’immenses couches de pauvres des nations opprimées se sont rassemblés derrière la bannière du premier Etat ouvrier, y compris beaucoup de musulmans. L’attitude de Lénine et de Trotsky consistait à insister sur le point que rejoindre le pouvoir des soviets signifiait la libération nationale et la liberté religieuse. C’était le point le plus crucial étant donné l’histoire répugnante de la Deuxième Internationale social-démocrate qui a soutenu l’oppression coloniale et en déclarant cela, Lénine et Trostky n’ont pas affaibli leur programme socialiste. Au lieu de cela, ils ont insisté sur le fait que la voie vers la liberté ne se trouvait pas dans l’unité avec sa propre bourgeoisie nationale mais au contraire avec la classe ouvrière mondiale dans la lutte contre l’impérialisme mais aussi contre leurs «propres» propriétaires terriens féodaux et contre les mollahs réactionnaires qui avaient ces derniers.

    Quelles leçons pour aujourd’hui?

    En Asie centrale, Lénine et Trotsky ont tenté de gagner une population paysanne à prédominante musulmane qui luttait pour ses droits nationaux, à la bannière de la révolution mondiale, sur un fond de lutte désespérée pour la survie du premier Etat Ouvrier. En Grande-Bretagne aujourd’hui nous tentons de gagner une minorité opprimée de la classe ouvrière à la bannière du socialisme.

    Dans bien des sens, notre tâche est de loin plus facile. La grande majorité des musulmans en Grande-Bretagne est issue de la classe ouvrière et beaucoup d’entre eux travaillent dans des lieux de travail ethniquement mixtes, particulièrement dans le secteur public. Le massif mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel qui est présent pour un mouvement unifié de la classe ouvrière, avec des musulmans intégralement englobés dans ce processus. La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui mènerait campagne sur une base de classe à la fois sur les questions générales ainsi que contre le racisme et l’islamophobie constituerait un énorme pôle d’attraction pour les travailleurs musulmans tout en commençant à détruire les préjugés et le racisme.

    Cependant, l’absence d’un tel parti actuellement amplifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Dans les années ‘90, l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et d’Union Soviétique a fourni au capitalisme mondial une opportunité pour écarter la question du socialisme en présentant le socialisme comme un échec en mettant faussement sur un pied d’égalité le socialisme et les régimes staliniens. Cela a permis aux classes dirigeantes de mener un assaut idéologique contre les idées du socialisme. L’aile droite du Parti Travailliste, comme de la social-démocratie partout à travers le monde, s’est servie de cette occasion pour abandonner toute référence au socialisme dans leur programme et pour devenir des partis clairement capitalistes.

    Plus d’une décennie après l’effondrement du stalinisme, une nouvelle génération tire la conclusion que le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins de l’humanité et parmi elle une minorité en arrive à des conclusions socialistes. Néanmoins, la conscience reste en recul derrière la réalité objective, et le socialisme n’est pas encore devenu une force de masse.

    Etant donné le vide qui existe par conséquent, des jeunes radicalisés recherchent une alternative politique. Une petite minorité de jeunes musulmans en Grande Bretagne regarde vers des organisations de l’islam politique de droite telles que Al-Muhajiroun. L’absence d’alternative offerte par de telles organisations est démontrée par leur opposition au mouvement anti-guerre, sous le prétexte qu’il engage les musulmans à manifester à côté de non-musulmans. La majorité des jeunes musulmans radicaux ont été dégoûtés par des organisations comme Al-Muhajiroun et ont compris la nécessité d’un mouvement anti-guerre unifié. Le potentiel pour construire une base forte pour les socialistes parmi les musulmans existe sans aucun doute, mais seulement si notre engagement à leur côté se fait avec une argumentation pour le socialisme.

    Il y a partout à travers le monde de grands parallèles à faire avec la situation à laquelle les bolcheviks ont été confrontés, bien que les différences restent grandes. En Irak aujourd’hui, par exemple, les marxistes sont confrontés à la tâche difficile de reconstruire des organisations ouvrières indépendantes et de mobiliser les travailleurs et les masses pauvres en défense de leurs droits, y compris le droit de s’organiser indépendamment des organisations islamiques dont le programme n’offre pas d’alternative aux masses irakiennes. Les leçons du 20ème siècle soulignent les dangers qu’encourent les socialistes s’ils renoncent à leur programme indépendant. Au Moyen Orient en particulier, c’est l’échec des Parti Communistes de masse à conduire la classe ouvrière au pouvoir qui a permis à l’islam politique de droite de l’emporter. Lors de la Révolution iranienne de 1978-79, la classe ouvrière a dirigé un mouvement qui a renversé la monarchie brutale et soumise à l’impérialisme. Le Parti Communiste Tudeh était la plus grande force de gauche en Iran, mais il n’a pas poursuivi une politique ouvrière indépendante. Au lieu de cela, il s’est lié à l’Ayatollah Khomeini malgré les tentatives du clergé pour étouffer le mouvement ouvrier indépendant. Le résultat a été l’arrivée au pouvoir du régime de Khomeini qui a écrasé le Toudeh et a assassiné les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.

    D’un autre côté, malgré les difficultés énormes auxquelles ils ont été confrontés, les bolcheviks ont donné un aperçu de la seule voie vers la libération (que ce soit la libération nationale ou encore religieuse) : la classe ouvrière mondiale unifiée autour d’un programme socialiste.

    Les 80 années qui ont suivi ont été un cauchemar d’oppression nationale pour les mêmes minorités qui avaient goûté à la libération durant les années qui ont directement suivi la révolution. Le stalinisme d’abord et maintenant le capitalisme ont signifié l’oppression brutale pour les minorités de la région. Après l’horreur de Beslan, le danger d’une nouvelle guerre caucasienne est présent. La cruauté des preneurs d’otages à Beslan a très justement choqué le monde, et nulle cause ne peut justifier de telles actions inhumaines. Néanmoins, les origines de la situation actuelle sont liées à l’horrible assujettissement du peuple tchétchène par les gouvernements russes successifs, avec 250.000 tués et la capitale Grozny rasée. C’est l’incapacité complète du capitalisme au 21ème siècle de résoudre la question nationale qui va mener une nouvelle génération à redécouvrir le véritable héritage des bolcheviks.

    Les bolcheviks et les musulmanes.

    Le JENOTDEL (Le bureau des ouvrières et des paysannes) a mené une campagne pour aller vers les paysannes opprimées du monde soviétique, souvent en prenant un grand risque. En Asie Centrale, les militants du Jenotdel ont organisé des «yourtes rouges» («tentes rouges») où les femmes de la région se voyaient offrir une formation pour différents métiers, l’alphabétisation, une formation politique et ainsi de suite.

    Cependant, comme la révolution est restée isolée, cette démarche n’a pas pu pleinement réussir (ni dans les régions musulmanes, ni dans l’Union Soviétique) parce que la révolution, dans un pays économiquement arriéré, était incapable de fournir les moyens économiques et culturels pour libérer les femmes. Trotsky avait décrit comment la nouvelle société envisageait de fournir des maternités, des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, des cantines sociales, des laveries collectives, des stations de premiers secours, des hôpitaux, des sanatoriums, des organisations athlétiques, des théâtres, tous gratuits et de haute qualité pour donner à la femme et ainsi au couple amoureux une véritable libération des chaînes d’oppression millénaires.

    Mais il continuait d’expliquer «il s’avérait impossible de prendre d’assaut la vieille famille, non pas parce que la volonté manquait, ou parce que la famille était si fermement ancrée dans les cœurs des hommes. Au contraire, après une courte période de méfiance envers le gouvernement et ses crèches, jardins d’enfants et institutions comme celles-ci, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées ont apprécié les avantages infinis de la prise en charge collective des enfants ainsi que de la socialisation de toute l’économie familiale. Malheureusement, la société était trop pauvre et trop peu cultivée. Les véritables ressources de l’Etat ne correspondaient pas aux plans et aux objectifs du Parti Communiste. On ne peut pas «abolir» la famille, il faut la remplacer. La véritable libération des femmes est irréalisable sur la base de la «pénurie généralisée». L’expérience prouvera bientôt cette austère vérité que Marx avait formulé 80 ans auparavant» (La Révolution trahie).

    La «pénurie généralisée» était particulièrement aiguë en Asie Centrale. Pratiquement, cela signifiait que les femmes qui s’évadaient des situations familiales répressives étaient confrontées à la famine comme elles n’avaient littéralement pas de moyens de soutien alternatifs. Même si les moyens économiques avaient existé pour libérer les femmes du fardeau domestique et leur permettre d’avoir un rôle économique indépendant, il n’y a pas de doute que le nouvel Etat ouvrier aurait toujours été confronté à de la résistance, particulièrement dans les régions économiquement arriérées où la classe ouvrière n’existait pas encore. Cependant, comme Trotsky l’a décrit, après une période, sur la base des ressources fournies, l’écrasante majorité en serait venue à comprendre les avantages de la libération des femmes.

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