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Tag: Socialisme
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Le 8 mars 2019 en Belgique : actions, débrayages, manifestations, grèves…

La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes renoue avec ses traditions combatives !
L’an dernier, la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) était la seule organisation à prendre l’initiative pour de réelles actions et à refuser de se limiter à des conférences, des débats, des actions orientées vers les médias,… en organisant des marches dans plusieurs villes. Cette année, les appels à entrer en action se sont faits plus nombreux. L’appel à la grève lancé par différents syndicats représente un grand pas en avant.
Deux raisons principales expliquent ce phénomène. Les mobilisations croissantes concernant l’émancipation des femmes ont d’une part constitué une véritable tendance ces dernières années. D’autre part, un agenda social tumultueux s’est développé depuis la chute du gouvernement fin de l’an dernier. Les négociations sur la norme salariale entre syndicats et organisations patronales ont été rompues et une grève générale massive a pris place le 13 février. La jeunesse s’est soulevée pour le climat et c’est dans ce contexte que se préparent les prochaines élections régionales, fédérales et européennes.
Avec cet article, nous voulons examiner de plus près le mouvement féministe actuel. D’où provient-il ? Sur quoi repose-t-il ? Quelles sont ses revendications et quelle est son orientation ? Quelles sont ses similitudes et ses différences avec les vagues féministes antérieures ? Quelles forces y sont présentes ? Qui sont les alliés du féminisme socialiste et quelle est actuellement la force du féminisme bourgeois ?
Un niveau d’activité élevé tel que celui d’aujourd’hui ne tombe pas du ciel. On a pu de plus en plus entendre les jeunes femmes et les travailleuses au travers d’un nombre croissant de campagnes autour du sexisme et du harcèlement, mais aussi par le biais de conflits sociaux croissants dans les ‘‘secteurs de travail féminisés’’, en particulier dans les soins de santé où la ‘‘colère blanche’’ n’a jamais vraiment disparu depuis les premières actions de masse du secteur en 1988.
Le nombre de femmes travaillant à l’extérieur du foyer a explosé depuis les années 1960
Depuis la vague féministe des années 1970, la participation des femmes au marché du travail s’est généralisée. Alors que dans les années 1950 et 1960, il était encore habituel pour les femmes mariées avec enfants de se retirer du marché du travail (le modèle du soutien de famille), le modèle à deux revenus est aujourd’hui complètement dépassé.
Aujourd’hui, un pourcentage élevé de femmes sans-emploi se trouve principalement dans les familles monoparentales. Chez elles, combiner responsabilités familiales et professionnelles est souvent irréalisable en raison d’une part de la combinaison infernale des bas salaires de de la grande flexibilité et, d’autre part, de services comme les crèches trop peu accessible, trop coûteux et peu flexibles. La part la plus forte des femmes sur le marché du travail se retrouve parmi les femmes célibataires sans enfant et les femmes en couple avec enfants.
Une étude réalisée en 1994 par le Centre de politique sociale de l’Université d’Anvers donne les chiffres suivants : ‘‘Depuis les années 1960, et surtout depuis les années 1970, la participation des femmes au marché du travail n’a cessé d’augmenter. En Belgique, le taux d’activité des femmes est passé de 27,7% en 1970 à 33,1% en 1985 et 41% en 1993. Au cours de la même période, le taux d’activité des hommes est passé de 70% en 1970 à 58% en 1993. (…) L’augmentation de la participation au marché du travail a été très importante, en particulier chez les femmes mariées et les femmes vivant en couple. En Flandre, cette participation est passée de 34,5% (1976) à 61% (1992) sur une période relativement courte de 15 ans. La Wallonie suit la même tendance, mais à un rythme un peu plus lent.’’ (1)
Depuis 1994, cette tendance s’est totalement inversée. Dans ‘‘Tendances du marché du travail belge 1983-2013’’, Statbel, l’office belge de statistique, a réalisé l’analyse suivante sous le titre ‘‘Profil socio-économique de la population active (1983-2013)’’ : ‘‘Le nombre de femmes qui travaillent a augmenté de 75%. Le nombre total de personnes actives a augmenté de plus d’un million entre 1983 et 2013. En 2013, 4.530.000 personnes étaient employées comparativement à 3.457.000 en 1983. Bien qu’il y ait encore toujours moins de femmes que d’hommes sur le marché du travail, le nombre de femmes au travail a augmenté de façon spectaculaire au cours des trois dernières décennies. En 30 ans, 890.000 femmes ont intégré la population active, soit une augmentation de 75 %. Le nombre d’hommes ayant un emploi a augmenté beaucoup moins rapidement (+ 8%). En 2013, les femmes représentaient 46% de la population active, contre 34% en 1983. Nous assistons donc clairement à une féminisation du travail.’’
‘‘Alors qu’en 1983, 36,3 % des femmes âgées de 15 à 64 ans occupaient un emploi, ce pourcentage était de 57,2 % en 2013. Le taux d’emploi masculin, qui était de 66,4% en 2013, est resté relativement stable au long de cette période (entre 66% et 69,5%). Ces dernières années, le taux d’emploi des hommes a connu une légère tendance à la baisse en raison de la crise financière et économique, qui a principalement affecté l’emploi des hommes dans l’industrie. L’important mouvement de rattrapage des femmes sur le marché du travail assure que l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes diminue, passant de 32,5 points de pourcentage en 1983 à 9,2 points en 2013.’’ (2)
Les femmes surreprésentées dans les secteurs forcés d’entrer en lutte
Aujourd’hui, la majorité des femmes occupent un emploi, mais cela ne signifie pas qu’elles sont devenues financièrement indépendantes. Près de la moitié des femmes qui travaillent occupent un emploi à temps partiel. Elles ne peuvent souvent pas prétendre à l’indépendance économique sans vivre sous le seuil de pauvreté dans cette période où le coût d’un logement et celui de la vie de façon générale est très élevé. Une partie de cette situation provient également du fait que la quasi-totalité des aides, comme les allocations de chômage pour temps partiel, ont été supprimées au cours de ces trois décennies de politiques néolibérales.
Les femmes représentent la majorité des travailleurs dans de nombreux nouveaux secteurs caractérisés par de bas salaires, le temps partiel, les contrats temporaires et précaires et les faibles traditions syndicales, voire leur absence pure et simple. Elles sont même plus de 90% dans des secteurs tels que celui des accueillantes d’enfants ou encore dans les sociétés de Titres-Services. La croissance du secteur des services – tant privés que subventionnés par l’État – a longtemps été le principal facteur de croissance de l’emploi sur le marché du travail, tandis que l’emploi industriel n’a cessé de baisser.
La croissance des statuts précaires sévit également dans les services publics. En de nombreux endroits, le nombre d’employés contractuels a dépassé le nombre d’employés statutaires. C’est le fruit de décennies de politique de coupes budgétaires, notamment par le biais de l’interdiction des nominations. En d’autres termes : le nombre d’emplois publics incapables d’offrir une sécurité suffisante pour vivre de manière indépendante sans connaître la pauvreté a considérablement augmenté.
Depuis des années, on observe une grande volonté d’entrer en action dans ces secteurs. Dans le secteur des soins – un secteur féminin par excellence, même si de plus en plus d’hommes y travaillent – la colère des blouses blanches est bien connue. Depuis la fin des années 1980, le secteur entre régulièrement en lutte et de manière massive pour de meilleurs salaires et conditions de travail. La présence syndicale et les traditions syndicales se sont renforcées et cela continue d’être le cas. Dans le secteur de la grande distribution, le patronat a lancé une attaque généralisée contre les conditions de travail précédemment obtenues. Les travailleuses y sont au cœur de la résistance.
La réalité du marché de l’emploi – et ses conséquences sur la vie et la position de larges couches de femmes – entre durement en conflit avec le post-féminisme qui a dominé durant toute une période historique après la dernière vague féministe. Un énorme fossé s’est creusé entre d’une part les organisations féministes officielles et leur propagande et de l’autre la réalité vécue par les femmes, surtout les plus jeunes d’entre elles. Lorsque les luttes des femmes ont refait surface, ce n’était pas autour de figures connues du féminisme bourgeois, ni autour des revendications habituelles de ces milieux. Aux Etats-Unis, la nouvelle lutte des femmes a commencé au moment même où Hillary Clinton – figure centrale du féminisme bourgeois soutenue par toutes les organisations féministes officielles – avait subi une défaite douloureuse contre Trump.
Les femmes représentent une minorité plus conséquente dans les syndicats
La FGTB a illustré sa campagne vers la grève générale du 13 février et sa campagne pour un salaire minimum horaire de 14 euros par toute une série d’emplois ‘‘féminins’’ où le salaire horaire minimum est bien inférieur à 14€ : dans le nettoyage, l’assistante maternelle, la coiffure,…
Au cours des 10 à 15 dernières années, dans les deux grandes fédérations syndicales, la présence d’un grand nombre d’affiliés féminins exigeant que des actions soient adoptées s’est traduite par une plus grande sensibilité à l’égard de quelques revendications essentielles pour les travailleuses. Il n’est plus seulement de quotas dans les structures syndicales (comme dans les années ‘80), mais de prise en charge de revendications et d’organisation ou de soutien pour des luttes qui intègrent les femmes dans les luttes syndicales.
Ces dernières années, les deux grandes fédérations syndicales ont développé des campagnes spécifiques pour les droits des femmes. Et la recherche de revendications, de programmes, de stratégies et de tactiques va bon train. Il y a deux ans, en Flandre, la FGTB a rompu sa coopération avec Zij-kant autour de la Journée pour l’égalité salariale. Zij-kant est l’organisation des femmes de la social-démocratie flamande bourgeoisifiée, une organisation que l’on ne distingue qu’avec grand peine des organisations de femmes libérales. Les commissions femmes des syndicats sont à la recherche d’inspiration et d’un programme, ROSA est régulièrement invitée à ce titre pour y présenter son approche, ce qui s’est tout récemment produit pour la première fois également du côté du syndicat chrétien.
La grève du 8 mars
En Belgique, l’absence de traditions ou le manque d’attention dans le mouvement ouvrier vis-à-vis de l’oppression spécifique des femmes entraine une certaine confusion dans le débat, comme cela a été illustré par la collaboration de la FGTB et de Zij-kant.
Après l’émergence du phénomène MeToo, le syndicat chrétien a non seulement lancé des études sur l’importance du harcèlement sexuel dans un certain nombre de secteurs féminins, mais il a également eu une grande discussion interne sur la question du sexisme et du harcèlement sexuel au sein de ses propres rangs. Il a favorablement réagi à l’appel à la grève d’un collectif d’activistes féministes essentiellement petites-bourgeoises qui s’est formé l’an dernier sous le nom de ‘‘Collecti.e.f 8 maars’’.
En lançant cet appel, le collectif a donné l’impulsion à un appel croissant pour la grève, ce qui est très positif. Leur appel lui-même est cependant très limité. Le collectif appelle à une grève des femmes du travail rémunéré, des soins aux autres, des tâches ménagères, du sexe et de la consommation. L’appel a été repris tel quel par la CNE (syndicat chrétien des employés) mais, une fois en discussion à l’intérieur du syndicat, ce caractère n’a pas pu être maintenu. Le préavis de grève dans les secteurs où il a été déposé – avec dans certains lieux de travail une véritable mobilisation en vue d’une grève en bonne et due forme – mobilisent les femmes comme les hommes et, évidemment, le préavis couvre les grèves sur les lieux de travail.
La campagne ROSA soutient l’appel à la grève, mais seulement l’appel à une véritable grève, une grève du travail rémunéré – évidemment aussi bien des travailleuses que des travailleurs – pour des salaires plus élevés, contre l’austérité et contre le sexisme. Nous pensons qu’une grève des tâches ménagères et des soins aux autres dans les foyers est impossible pour une couche importante de femmes (en région bruxelloise, un tiers des familles avec enfants sont des familles monoparentales). Mais le plus important est qu’une telle ‘‘grève’’ n’est pas une grève, mais une action individuelle dont on ne sait pas clairement contre qui elle est dirigée. Elle met l’accent sur la lutte individuelle au sein de la famille pour savoir qui fait quoi.
Pour la campagne ROSA, ce n’est pas la voie à suivre. Ce ne sont pas les individus, mais les éléments structurels de la société qui assurent que la division traditionnelle du travail entre femmes et hommes est toujours bien présente. Nous défendons la revendication de la socialisation des tâches et des soins ‘‘ménagers’’. Si le travail supporté par les familles a augmenté ces derniers temps, c’est en raison de l’effondrement des politiques sociales et des services publics.
ROSA a également défendu que les syndicats ne se contentent pas du dépôt d’un préavis de grève mais qu’ils organisent réellement la grève et l’utilisent dans le but de renforcer l’unité et la solidarité du personnel sur les lieux de travail en impliquant l’ensemble du personnel. Dans un certain nombre de lieux de travail où les membres du PSL ont construit une base autour d’eux au cours d’une longue période et où ils sont intervenus avec la campagne ROSA en défense de la grève du 8 mars, des débrayages sont combinés avec une assemblée du personnel visant à discuter de la problématique telle qu’elle se présente sur le lieu de travail et dans la société en général. C’est le cas à l’Université de Gand, à l’Université flamande de Bruxelles et à l’hôpital Brugmann à Bruxelles.
#MeToo et le large mouvement contre le sexisme
L’attitude des syndicats vis-à-vis des questions relatives aux femmes a changé en raison de la présence croissante des femmes dans les syndicats combinée à la nécessité de lutter dans toute une série de secteurs féminins (à cause de l’austérité dans les services publics et le secteur des soins subventionnés et de restructurations dans le secteur privé des services largement syndicalement non-organisé). Mais la pression pour passer à l’action est venue de jeunes femmes en colère contre le sexisme quotidien.
En Flandre, les campagnes #WijOverdrijvenNiet (nous n’exagérons pas, en 2015) #WijSprekenVoorOnszelf (nous parlons pour nous-mêmes, en 2015 également) ont impliqué un nombre massif de jeunes femmes et ont maintenu le thème du sexisme en tête du débat public. Même si c’était surtout de jeunes femmes qui y étaient impliquées, il ne fait aucun doute qu’un grand nombre de militantes syndicales s’y sont de plus en plus intéressées. Cela fait déjà de nombreuses années que les badges féministes proposés par le PSL étaient parmi les plus vendus lors des manifestations syndicales.
Quand le phénomène #MeToo a commencé dans le monde entier, en Flandre, c’était l’acte 2. Dans ces premières campagnes flamandes sur les réseaux sociaux, le harcèlement sexuel au sein des relations de pouvoir (entre élèves ou étudiants et enseignant, entre victimes inconnues et célébrités, entre travailleurs et patrons ou managers) n’était qu’un élément parmi d’autres dans la vaste dénonciation du sexisme dans la société, surtout dans la rue. Avec le développement de #MeToo tel qu’il a émergé en Belgique, l’accent a immédiatement été mis sur les milieux professionnels, des délégués syndicaux prenant leurs responsabilités pour que des plaintes puissent être concrétisées. Depuis lors, plusieurs initiatives ont été prises dans les syndicats, souvent encore confuses quant aux idées et au programme, mais avec une grande ouverture pour les idées que défend la campagne ROSA.
Mais la raison principale derrière le préavis de grève déposé par un grand nombre de structures syndicales, c’est la dynamique positive actuelle des conflits sociaux, avec le magnifique et dynamique exemple des grèves des jeunes pour le climat. L’agenda social pour le mois de mars est rempli d’actions menées par les syndicats, le mouvement des femmes, le mouvement des jeunes, le mouvement des sans-papiers,… qui commencent à se chevaucher et à donner naissance à une plus large résistance contre le système actuel, les grandes entreprises et leurs gouvernements. Sans ce contexte plus large, l’idée d’une grève pour le 8 mars (pour la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes) et le 15 mars (la grève pour le climat) n’aurait pas vu le jour de cette manière.
L’anti-sexisme est un facteur de radicalisation important chez les jeunes, le féminisme bourgeois n’a rien à offrir
En Belgique, il n’y a pas eu de mouvement de masse des femmes, contrairement à d’autres parties du monde, notamment en Irlande, en Espagne, en Pologne, en Islande, en Inde, en Turquie, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Amérique latine. Mais il existe une atmosphère très largement présente, très certainement parmi la jeunesse, et qui se caractérise par un fort sentiment anti-système.
On trouve toutes sortes de forces dans les actions liées à l’émancipation des femmes, dont le nombre de participants ne cesse de croître, et dans le débat en cours sur les médias sociaux et ailleurs. Ces forces exigent leur place dans la discussion. Mais il est clair que l’élément dynamique de cette nouvelle vague de lutte ne provient pas des anciennes organisations féministes bourgeoises, qui ont du mal à s’imposer dans le mouvement. Bien qu’elles soient parfois présentes dans les médias, les jeunes militantes n’en ont souvent jamais entendu parler ou estiment impensable que des figures féminines de l’establishment puissent faire la moindre différence.
C’est ce qui s’est produit dans l’évolution de la question du droit à l’avortement en Belgique. Les partis sociaux-démocrates et libéraux ont fait une proposition de loi en défense d’une véritable dépénalisation de l’avortement et pour des avancées en la matière (portant notamment sur une plus longue période), mais sans organiser la moindre lutte autour de la question. La situation qui en a découlé est que le gouvernement de droite a travaillé sur sa propre proposition, qui ne change rien à la réalité et qui a finalement été signée également par les partis libéraux. Tout le monde s’était profilé et c’était la fin de l’histoire.
La participation d’une importante couche de femmes de la classe ouvrière dans le mouvement féministe n’est pas une chose neuve, cela était également le cas dans les vagues féministes précédentes. En Belgique, les mobilisations de la fin des années ’60 et surtout des années ’70 ont été déclenchées par la grève des femmes de la FN en 1966, une grève qui a duré 12 semaines et qui a conduit à d’importantes concessions. Ce qui est neuf, c’est que les organisations de femmes bourgeoises et les femmes politiques bourgeoises n’ont rien à offrir au mouvement.
Le droit de vote, l’égalité juridique, l’abolition des stipulations misogynes dans le droit de la famille, le droit à l’avortement,… étaient des revendications autour desquelles les femmes de différentes classes sociales pouvaient se rassembler. La rupture du mouvement sur des lignes de classe, entre les organisations de femmes bourgeoises et le mouvement des travailleuses (lié aux partis socialistes ou communistes et/ou aux syndicats), s’est produite dans un autre domaine : la lutte de la classe des travailleurs pour des revendications générales qui étaient importantes pour les femmes de la classe ouvrière et que les organisations des femmes bourgeoises ont refusé de soutenir.
Les choses sont aujourd’hui différentes. Depuis les années ‘80, les organisations de femmes bourgeoises se sont limitées à des revendications telles que l’imposition de quotas de femmes pour des fonctions importantes dans la vie économique et politique. C’est le seul point de programme qui leur reste. Pour la grande majorité des femmes, cela ne fait aucune différence. Il en est allé de même avec la loi contre le sexisme – symbolique parce qu’irréalisable – votée après le premier grand débat public sur le sexisme après le documentaire ‘‘Femme de la rue’’ sur le harcèlement de rue. Elle était tout sauf impressionnante.
Les revendications défendues par les organisations de femmes liées au mouvement des travailleurs sont d’un tout autre ordre. Il y a quelques années, Femma (l’organisation des femmes du mouvement ouvrier chrétien en Flandre) a popularisé la vieille revendication d’une semaine de travail plus courte pour permettre de mieux combiner travail et famille et dans le but de l’égalité entre femmes et hommes. Cette revendication d’une semaine de travail de 30 heures a depuis lors été largement reprise par plusieurs structures syndicales selon la formule plus traditionnelle d’une semaine de travail de 30 ou 32 heures sans perte de salaire et avec embauches compensatoires. Cette vieille revendication syndicale était très longtemps restée dans les tiroirs. L’accent est mis sur les salaires et les pensions, un domaine dans lequel les revendications et les actions actuelles du syndicat socialiste en faveur d’un salaire minimum horaire général de 14 euros et une pension minimum de 1500 euros par mois cadrent parfaitement.
Les politiciennes féministes bourgeoises sont très éloignées de ces revendications. Des élues social-démocrates les ont mises en avant par opportunisme, sans grande crédibilité.
Dans la lutte contre le sexisme, il leur manque en outre un certain nombre d’éléments cruciaux pour accroître leur popularité. L’anti-sexisme d’aujourd’hui ne vise pas tous les hommes en général, mais plus que par le passé, il vise les grandes entreprises et les politiques qui se décident dans l’intérêt des grandes entreprises. En ce sens, la conscience a beaucoup en commun avec ce qui est présent dans le mouvement des jeunes pour le climat : on y trouve de la confusion, des éléments de recherche de solutions individuelles, un certain moralisme, mais aussi une large compréhension que tout cela est insuffisant et qu’une intervention plus profonde dans le fonctionnement même de la société est nécessaire.
Féminisme petit-bourgeois contre féminisme socialiste
Les idées des femmes de la classe des travailleurs trouvent leur chemin dans le mouvement, mais elles font face aux forces petites bourgeoises qui se basent aujourd’hui principalement sur des théories autour des politiques d’identité. En Belgique, ces forces ont tenté ces dernières années de mettre en pratique le principe des actions non-mixtes (des manifestations uniquement de femmes, par exemple), sans obtenir de grand succès jusqu’ici. Mais ces idées ont un certain attrait par leur rhétorique radicale.
Ces dernières années, en Belgique, tous les mouvements sociaux se sont orientés vers le mouvement syndical et ont repris ses méthodes d’action. C’est une conséquence naturelle de l’action de masse continue de la classe ouvrière depuis l’énorme plan d’action de l’automne 2014. L’agenda syndical chargé de ce début d’année n’est cependant pas quelque chose qui peut être maintenu éternellement, c’est un nouveau point culminant dans la vague de grèves qui a suivi l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement purement de droite pour la première fois depuis le milieu des années 1980.
La puissance du mouvement des travailleurs dans la société, son énorme poids numérique et sa capacité à mobiliser les masses dans les rues se sont ouvertement manifestés ces dernières années. Mais il est également évident pour une large couche de syndicalistes combatifs que la direction n’a pas de stratégie pour gagner. Le plan d’action de 2014 a été une expérience extrêmement positive et enthousiasmante, mais elle s’est terminée par une douloureuse capitulation de la part de la direction. Cette dernière avait abandonné l’idée de poursuivre la construction du mouvement afin de porter le dernier coup au gouvernement de droite. Elle a décidé ‘‘d’attendre les prochaines élections’’. L’actuel programme d’actions sociales se déroule sans plan d’action réel et sans perspective sur ce à quoi il devrait arriver.
Ce manque de perspective et de stratégie aux directions syndicales a tout à voir avec l’absence d’une organisation politique de la classe des travailleurs. Les deux grandes fédérations syndicales sont toujours liées (bien que beaucoup plus faiblement) aux anciens partis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens. Des développements intéressants prennent place : la FGTB wallonne appelle à la formation d’un gouvernement de gauche en Wallonie PS-Ecolo-PTB (ancienne formation maoïste aujourd’hui comparable en termes de programme et d’approche avec le SP des Pays-Bas ou Die Linke en Allemagne) et un débat interne prend place dans les syndicats wallons concernant la représentation politique des revendications syndicales.
Pour l’instant, nous restons dans cette situation où la classe ouvrière est politiquement sans-abri. Les syndicats sont considérés comme des organisations combatives fortes qui défendent des revendications importantes, mais ce ne sont pas des organisations dont la cible principale et centrale est la transformation de la société. Ils n’ont pas de stratégie et ce n’est qu’au cours des dernières années que la lutte défensive a fait place, ici et là, à une rhétorique offensive et à des revendications générales qui peuvent avoir un large effet dans la société.
Dans ce cadre où les forces bourgeoises n’ont pas de solutions à proposer et où la classe ouvrière n’a pas les instruments nécessaires (un parti qui permettrait de discuter et de débattre du programme et de passer à une action unifiée sur cette base) pour diriger cette discussion plus largement dans la société, les idées petites bourgeoises resteront présentes dans tous les mouvements de protestation contre le système actuel et la multitude de problèmes qui en découlent.
Il est évident que les féministes socialistes doivent répondre à toutes les propositions qui surgissent dans le mouvement des femmes avec le potentiel de diviser la classe des travailleurs. C’est en participant à la lutte et en proposant les meilleures revendications et méthodes d’action que nous serons le mieux à même de le faire.
Rosa Luxemburg a défendu la participation du mouvement des travailleurs dans la lutte pour le droit de vote des femmes parce que politiser les femmes de la classe ouvrière et les entraîner dans la lutte n’apporte que des gains à la classe des travailleurs : un renforcement de ses organes avec les masses de femmes de la classe des travailleurs et un renforcement de l’unité et de la solidarité dans ses propres rangs. La campagne ROSA vise à impliquer les femmes dans le mouvement des travailleurs, y compris en veillant à ce que le mouvement ouvrier réponde aux exigences de tous les groupes opprimés. Sans cela, les jeunes femmes et les travailleuses qui en ont assez du sexisme qu’elles subissent quotidiennement seraient laissées à la merci de la propagande féministe bourgeoise stérile et de la propagande radicale mais sectaire et diviseuse du féminisme petit-bourgeois.
=> Rejoignez ou soutenez la campagne ROSA !
NOTES
(1) Les hommes et les femmes étaient-ils plus égaux ? (Berichten Centrum voor Sociaal Beleid, UFSIA – Universiteit Antwerpen, “Werden mannen en vrouwen gelijker? Beroepsloopbanen en inkomens van mannen en vrouwen in de 80’er jaren”. B.Cantillon, R. Vanherck, M. Andries, I. Marx, december 1994 http://www.centrumvoorsociaalbeleid.be/sites/default/files/D%201994%206104%2003.pdf
(2) Statbel ‘‘Tendances du marché du travail belge 1983-2013’’ https://statbel.fgov.be/sites/default/files/files/documents/Analyse/NL/analyse-b_en_tcm325-261813.pdf
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Pas de capitalisme sans sexisme… Pas de socialisme sans féminisme !

Les socialistes ont montré très tôt que l’oppression spécifique des femmes, comme toutes autres formes d’oppression, a une base économique. Sous le capitalisme, selon la stratégie du diviser pour mieux régner, le sexisme est un outil puissant pour tenter de diviser la classe ouvrière et faire davantage de profits : écart salarial entre travailleuses et travailleurs, travail domestique non rémunéré majoritairement supporté par les femmes, marchandisation du corps des femmes pour maximiser les ventes,…
Une fois ce constat établi, on ne s’étonne pas que des femmes aient été, et soient toujours, à l’origine de grèves et de soulèvements comme les ouvrières du textile de New York le 8 mars 1908. La Révolution russe de 1917, initiée par les travailleuses du textile de Petrograd – un 8 mars selon notre calendrier – et au cours de laquelle le capitalisme a été aboli, a permis de gigantesques avancées dans le but de jeter les bases de l’égalité : droit de vote, égalité salariale, congé maternité de 16 semaines et protection des mères allaitantes, légalisation de l’avortement, égalité des enfants ‘illégitimes’, loi facilitant le divorce à la demande d’un des conjoints…
En plus, la Russie révolutionnaire a travaillé à la socialisation du travail domestique pour lutter contre la double journée de travail des femmes par le biais de cantines publiques de qualités, de blanchisseries et de systèmes de garde d’enfants, etc. Cependant, bon nombre de ces projets n’ont pas pu être généralisés en raison de l’immense pauvreté matérielle de ce pays économiquement arriéré lors de la révolution et dont les acquis devaient être protégés face à une guerre menée sans relâche par l’ancienne classe dominante et des États capitalistes. Malgré cela, le jeune État socialiste était des décennies en avance sur le reste du monde en considérant les femmes à l’égale des hommes, grâce aux places qu’elles ont prises dans la lutte. Le stalinisme a, par la suite a aboli d’importantes réalisations telles que la loi sur l’avortement et le divorce.
Dans le reste de l’Europe, et en particulier en Allemagne, les premiers journaux et organisations féministes voyaient le jour et la lutte pour le droit de vote des femmes était à l’ordre du jour. Les travailleuses radicalisées se sont organisées dans la lutte pour le droit de vote et l’égalité. Elles ont affirmé leurs revendications dans les organisations du mouvement ouvrier, même quand celles-ci y étaient tournées en dérision. En raison de leur salaire inférieur, les femmes sont aussi naturellement devenues des militantes sur les questions salariales.
En Allemagne, le ‘‘mouvement des femmes prolétariennes’’ était déterminé à favoriser l’organisation des femmes et à mener une lutte commune de toute la classe ouvrière (l’ensemble des travailleuses, des travailleurs et leurs familles) pour améliorer leurs conditions de vie. Sous la pression de la révolution allemande de 1918, un certain nombre de lois ont dû être promulguées: les femmes ont obtenu le droit de vote, ont été admises à d’autres fonctions et professions et la loi sur la protection de la maternité a été adoptée. Malgré les conquêtes qui ont pu être obtenues, la contre-révolution a mis un temps sur pause la Journée des droits des femmes qui n’eut pas lieu en 1919. Il a fallu attendre 1922 et l’appel lancé par l’Internationale Communiste pour que cette journée ait lieu à date fixe – le 8 mars – et s’impose à travers le monde.
Question de genre ou question de classe ?
La protagoniste du mouvement des femmes prolétariennes, Clara Zetkin, a mis en garde contre les illusions du mouvement féministe bourgeois dont la volonté et l’action sont axées sur une lutte genrée pour réformer l’ordre bourgeois, plutôt qu’une lutte de classes pour la construction d’une société socialiste, orientée vers les besoins de toutes et tous. Elle ajoutait également qu’une telle approche pouvait avoir une influence trompeuse et paralysante sur de grandes masses d’ouvrières.
Dans les années 60 et 70, divers courants, en particulier en Occident, ont discuté la relation entre genre et domination. Un nouveau féminisme bourgeois – considérant la domination de genre comme étant détachée de la domination de classe – s’est répandu et certains de ces groupes ont cherché à unir leurs forces avec la partie féminine de la classe ouvrière. Depuis, de nombreux mouvements dit féministes ont continué sur cette lancée, que ce soit ceux qui se sont développés dans les années ‘90 ou ces dernières années et tendent à placer l’homme, plutôt que la société, au cœur du problème.
Les femmes de la classe ouvrière – les salariées – ont pourtant mille fois plus en commun avec leurs collègues masculins qu’avec une ministre telle que Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration et avant ça ministre de la Santé, qui a orchestré des coupes massives dans les soins de santé au détriment des travailleurs du secteur – principalement des travailleuses – et de notre santé ; de chefs d’entreprises tels que Dominique Leroy à la tête de Proximus, où 1.900 emplois sont menacés ; ou encore des milliardaires tels qu’Alice Watton, l’une des héritières de Walmart, la multinationale au plus gros chiffre d’affaires au monde, mais où le salaire des employés de la chaîne de grande distribution – majoritairement des femmes – sont le plus souvent sous le seuil de pauvreté. Le capitalisme ne change pas en devenant plus féminin.
L’émancipation des femmes nécessite une lutte des femmes et des hommes contre un système reposant fondamentalement sur l’inégalité et la discrimination, un système qui répand chaque jour des tonnes de préjugés pour diviser le mouvement des travailleurs. La seule manière de parvenir à une société véritablement égalitaire, c’est de combiner la lutte contre le sexisme à la lutte pour une société socialiste. Un premier pas est maintenant franchi en Belgique, ce dont se réjouit la campagne ROSA. Nous contribuerons à en faire un premier succès, en soutenant la grève dans les entreprises là où c’est possible, et en construisant la lutte au travers de manifestations le 8 mars.
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Marche historique pour le climat à Bruxelles : Socialist change not climate change !

L’anxiété et la colère de la population augmentent. L’avenir de notre planète est en jeu. Le rapport du GIEC nous donne 12 années supplémentaires pour éviter une catastrophe écologique irréversible. L’establishment politique ne semble néanmoins pas prendre au sérieux la gravité de la situation. La montée en puissance de la marche historique pour le climat à Bruxelles montre qu’une partie croissante de la population n’en peut plus.
Les dizaines de milliers de manifestants ont assailli la gare de Bruxelles-Nord plusieurs heures durant. En termes de taille, cette mobilisation faisait immanquablement penser à la grande manifestation syndicale d’octobre 2014 ou la manifestation ou aux manifestations contre la guerre en Irak de 2003. La police a parlé de 65.000, mais c’était clairement une sous-estimation. Même les 75.000 participants annoncés par les organisateurs nous semblaient représenter une estimation plutôt basse. Peut-être que nous étions 100.000 !
La pluie légère n’a pas freiné l’enthousiasme des manifestants, mais la participation aurait sans doute été encore plus imposante par beau temps. De nombreuses familles avaient toutefois fait le déplacement, avec des enfants parfois très jeunes. Le changement climatique et la lutte contre ce phénomène constituent une question de premier plan, et cela est ressenti comme tel pour une masse de gens. Toute la question est maintenant de savoir comme aller de l’avant.

Les points de vue sont bien entendu fort différents dans une manifestation d’une telle ampleur. Certains préconisent des mesures plus individuelles, comme les taxes sur le transport aérien. Mais il est clair que la population ordinaire paye déjà trop cher, comme les protestations des Gilets Jaunes l’ont clairement illustrées ces derniers temps. Quelques-uns de ces Gilets Jaunes étaient d’ailleurs présents dans le cortège pour le climat pour illustrer par leur présence que la lutte contre les prix élevés du carburant ne signifie pas que l’on accepte la pollution. Le fait est que les investissements dans des alternatives respectueuses de l’environnement manquent : les 5,5 milliards d’euros que le gouvernement tire chaque année du carburant représentent plus que la totalité des subsides des autorités à tous les transports en commun réunis. Ce constat parle de lui-même.
L’appel à la prise de mesures plus collective se fait plus fort. Beaucoup de gens essaient de faire leur part, mais ils remarquent bien que l’on ne remarque pas d’efforts similaires de la part de ceux qui sont vraiment responsables. Tant que les grandes entreprises domineront des secteurs comme celui de l’énergie, cela ne changera pas. Les sommets sur le climat peuvent encore donner naissance à une myriade de déclarations de bonnes intentions, ces dernières sont insuffisantes. Nous n’aurons pas de véritable changement sans moyen de contrôle sur les industries polluantes. Et l’on ne contrôle pas ce que l’on ne possède pas. Il est grand temps de placer le secteur de l’énergie dans les mains des pouvoirs publics et d’accorder des fonds publics suffisants pour la recherche scientifique et le développement d’énergies alternatives durables à grande échelle. Il est également grand temps d’investir massivement dans les transports publics, au lieu de faire des économies comme c’est le cas actuellement (la SNCB a économisé 663 millions en cinq ans, dont les conséquences se font sentir chaque jour sur le personnel et les voyageurs).

Le “capitalisme vert” n’est pas une réponse. Cela a été tenté, en vain. La consommation ne peut être considérée isolément de la production. Auparavant, le patronat belge (par la voix de la FEB) a mis en garde contre des objectifs climatiques trop ambitieux parce que cela “ne doit pas nuire à la compétitivité”. Face au chaos du capitalisme, nous prônons une alternative socialiste : une société dans laquelle la majorité de la population décide quoi et comment produire pour que les intérêts de l’être humain et de la planète soient centraux. Mais pour y parvenir, il nous faut construire une relation de force. Cette manifestation était à ce titre un excellent pas en avant. Le changement est toujours imposé par l’organisation et la lutte, autour des travailleurs et de la jeunesse.
La rapidité avec laquelle nous pourrons parvenir à une solution collective fondamentale dépendra du rôle du mouvement ouvrier dans le mouvement climatique. Celui-ci détient les clés de l’économie. Avec l’arme de la grève, ils peuvent retirer les ressources naturelles et les moyens de production des mains de ceux qui causent le changement climatique – les capitalistes – et construire une alternative socialiste sous leur contrôle et leur gestion démocratiques.
Lors de la manifestation, nous avons formé une délégation combative et avons reçu une bonne réponse pour notre matériel politique. Les badges sont partis comme du pain et nous avons vendu plus de 100 exemplaires de notre mensuel en dépit de la pluie. Des dizaines de manifestants ont également laissé leurs coordonnées pour être tenus au courant de nos activités. Voulez-vous rejoindre la lutte pour une société socialiste ? Contactez-nous pour devenir membre !
Reportage-photos, par Liesbeth :
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Vidéo de notre délégation :
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Le capitalisme c’est la crise ! Rejoins la résistance !
Les Étudiants de Gauche Actifs et les sections de Liège du PSL vous invitent à participer à leur meeting : Capitalisme = pauvreté, pollution, guerre, des gens qui fuient, discrimination et crise. Pourquoi le socialisme est-il nécessaire ?Jeudi 18 octobre, 18h30, ULg Place du XX Août, salle Petit Physique
LE CAPITALISME, C’EST LA CRISE ! REJOIGNEZ LA RÉSISTANCE !
D’où proviennent la pauvreté, la guerre, les discriminations, la crise écologique ? Ne pouvons-nous pas mettre un terme à tout ça ? N’y a-t-il pas assez de richesses pour répondre aux besoins de tout le monde ? 10 ans après la crise, on nous parle de relance économique. Mais 82% des richesses produites en 2017 ont été accaparées par le pourcent le plus riche, selon Oxfam. Parallèlement, les travailleurs et la jeunesse doivent continuer de supporter l’austérité budgétaire. Comment expliquer cette inégalité ? Par la nature humaine ou celle du système capitaliste ?DRAME ÉCOLOGIQUE
Les effets de la crise écologique sont de plus en plus tangibles : canicules plus fréquentes, fonte des glaciers et catastrophes naturelles à répétition. On sait tous que la situation est urgente, on essaie de faire notre part, mais les gros pollueurs – les multinationales et le secteur énergétique – n’en ont que faire. Leur soif de profits passe avant tout le reste et nous en payons l’addition. Nous avons besoin de solutions collectives. Cela passe par des investissements publics massifs pour développer les énergies renouvelables et les alternatives durables. Mais comment faire quand les magnats du pétrole et du nucléaire dominent l’ensemble du marché de l’énergie ? De quelles revendications et méthodes le mouvement environnemental a-t-il besoin ? Comment construire une société où l’humanité traiterait fondamentalement autrement les ressources naturelles et son environnement ?GUERRE, RÉFUGIÉS ET RACISME
Pour la guerre et l’exploitation, l’argent ne manque pas. L’OTAN a décidé en 2017 d’investir 5 % de moyens en plus dans la Défense pour sécuriser l’accès aux matières premières et à la main-d’œuvre bon marché. Les conséquences de cette politique impérialiste sont dramatiques : des millions de réfugiés fuient leurs pays dévastés à la recherche désespérée d’une vie meilleure.L’establishment politique et les populistes de droite comme Trump, Francken ou Orban sont responsables de ce désespoir. Leur politique internationale crée la misère et les ruines que fuient les migrants. Et ensuite, ils les rendent responsables des problèmes sociaux (emplois, logements,…) que nous connaissons ici ! Ce type de discours dans une société sans cesse plus dure, c’est du pain béni pour l’extrême droite et les idées les plus réactionnaires. Schild & Vrienden, ça vous dit quelque chose ? Diviser pour mieux régner, cela ne profite qu’aux plus riches et à la haine d’extrême droite. Le problème, c’est le banquier, pas l’immigré !
REJOINS EGA
Les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) luttent contre le racisme, le sexisme, la LGBTQI+phobie et le terreau qui leur permet de se développer : le capitalisme, ce système qui nous monte les uns contre les autres pour quelques miettes alors que les riches n’ont jamais été aussi riches. Mais ce n’est pas une fatalité ! De plus en plus de gens recherche une issue aux crises du capitalisme. Mélenchon (France), Corbyn (UK), Bernie Sanders (USA), etc. expriment cette recherche. Ça et là, les (vraies) idées du socialisme refont surface et sont une source d’inspiration.ON NE CONTRÔLE PAS CE QUE L’ON NE POSSÈDE PAS !
Viens à notre rencontre et discute avec nous de ce que signifie le socialisme et de la manière de lutter pour une société où les êtres humains et la nature ne sont pas sacrifiés pour les profits d’une poignée d’ultra-riches. -
10 ans après le krach financier : une réponse socialiste à la crise capitaliste

Le 15 septembre dernier, une rencontre particulière a eu lieu dans un lieu tenu secret à Londres. Des banquiers de premier plan qui faisaient partie de Lehman Brothers – autrefois la quatrième banque d’investissement au monde – y ont célébré le dixième anniversaire de son effondrement en 2008 avec ‘‘cocktails et canapés’’. La disparition de cette banque d’investissement a marqué un tournant majeur dans la crise financière déjà en cours depuis 2007, mais qui s’est ensuite transformée en un krach économique mondial.
Par Steve Score, Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles.
L’économie mondiale ne s’est toujours pas totalement remise de cette crise qui a fondamentalement changé la politique à travers le monde. Les milliards de personnes qui ont subi les conséquences de ces événements avec une dégradation de leurs conditions de vie n’avaient vraiment aucune raison de se réjouir !
Jusqu’à l’effondrement de Lehman Brothers, les gouvernements, banquiers et économistes répétaient encore à l’envi que le capitalisme basé sur un marché libre non réglementé, avec une intervention limitée de l’État, était systématiquement la meilleure option. Ils se sont alors rendu compte que, s’ils n’intervenaient pas, ils risquaient non seulement un accident, mais un accident de l’ampleur de celui de 1929. Cet événement a entraîné la grande dépression des années 1930, avec toutes ses conséquences, y compris la révolution et la contre-révolution. Ils ont été forcés d’agir.
L’intervention des autorités
Les gouvernements capitalistes néolibéraux ont totalement changé d’approche. Ils ont nationalisé et subventionné les banques. Ils ont injecté des milliards de dollars dans les économies du monde entier. Cela n’était pas à destination de la classe des travailleurs. Tous les efforts visaient les banques et les institutions financières. Cette énorme intervention des autorités a empêché une répétition du crash de 1929, mais cela n’a pas permis de stopper l’important ralentissement économique mondial.
Il ne s’agissait bien sûr pas de nationalisations socialistes mais plutôt de ‘‘socialisme pour les riches’’ dans le but de soutenir le capitalisme. Les faiblesses du capitalisme ont été mises en évidence. Parallèlement, des millions de personnes perdaient leur emploi et leur maison. Mais aucune subvention n’est venue soutenir leurs conditions de vie ! De leur côté, les banquiers qui ont précipité l’économie dans la crise n’ont pas été sanctionné pour leur rôle. Ils ont même pu continuer à récolter des bonus de plusieurs millions de dollars.
Une fois de plus, les événements ont prouvé la justesse du marxisme. Parfois, ce furent même les principaux porte-parole du capitalisme qui s’accordaient à contrecœur à dire que l’analyse de Marx sur le capitalisme était rigoureusement exacte. L’an dernier, on a pu lire dans les pages de The Economist que ‘‘beaucoup de ce que Marx a dit semble devenir plus pertinent de jour en jour’’. Bien sûr, leur conclusion n’est pas de se débarrasser du capitalisme, mais de le consolider.
La crise économique fait partie de l’ADN du capitalisme. Les périodes de croissance et d’effondrement périodiques n’ont jamais été éliminées, avec leur destruction de valeur, de capacités productives et compétences à grande échelle. Les effondrements affectent radicalement les conditions de vie de la classe ouvrière et, en même temps, démontrent le gaspillage et l’absurdité du capitalisme en tant que système. Depuis des centaines d’années, les économistes capitalistes ont été incapables de résoudre ce problème fondamental.
Expansion et récession
Dans chaque boom économique, les représentants des capitalistes prétendent avoir trouvé la réponse ! Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique travailliste en place au moment de l’effondrement, avait prétendu à plusieurs reprises avoir résolu les maux du capitalisme. Il l’a encore affirmé dans son discours sur le budget de 2007, quelques mois seulement avant le début de la crise.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait depuis longtemps analysé les processus qui conduiraient à l’inévitable crash. Toute la question était de savoir quand cela surviendrait. Cette conviction n’a pas été formulée à la manière grossière de ceux qui prétendent qu’une crise catastrophique se profile à l’horizon chaque année, mais sur base d’une analyse sobre des facteurs économiques.
Le déclencheur immédiat de la crise a été la perte de confiance dans les grandes banques d’investissement qui avaient investi dans des prêts qui, en réalité, ne seraient jamais remboursés. Sur fond de bulle immobilière, le marché américain des ‘‘subprimes’’ accordait des prêts à des personnes qui n’avaient pas les moyens de les rembourser. Ces dettes extrêmement risquées ont ensuite été vendues sous forme de produits financiers, mélangées à d’autres prêts de manière complexe. Les banques ont réalisé d’énormes profits sur leurs spéculations, mais celles-ci reposaient sur une construction financière fragile de dettes et de risques.
Une série de formes de spéculation initialement destinées à répartir le risque s’est transformée en ‘‘instruments financiers de destruction massive’’. Les problèmes sont apparus lorsque certains de ces risques ont commencé à faire faillite et que les banques ont commencé à admettre qu’elles n’avaient aucune idée de la valeur réelle de leurs fonds de placement. Lehman Brothers avait emprunté 35 fois plus que la valeur de ses actifs.
Les banques dans leur ensemble étaient ‘‘sous-capitalisées’’, en accordant des prêts beaucoup plus importants qu’elles n’avaient d’actifs. Le château de cartes du monde de la finance a commencé à s’effondrer et son impact s’est répandu dans le monde entier. La crise financière s’est inévitablement étendue à l’économie réelle, à la production de biens matériels. À ce moment-là, le gouvernement américain est intervenu pour renflouer de grandes banques d’investissement comme Bear Stearns et les courtiers en hypothèques soutenus par le gouvernement Freddie Mae et Fannie Mac.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a dû intervenir pour sauver la banque Northern Rock, la Royal Bank of Scotland (RBS) et Lloyds. Le chancelier Alastair Darling a rappelé qu’il avait eu une conversation avec le président de la RBS, alors la plus grande banque du monde, qui a déclaré qu’elle manquait de liquidités. Quand Darling lui a demandé ‘‘combien de temps avons-nous ?’’, on lui a répondu ‘‘quelques heures’’.
La cause sous-jacente de cette crise était bien plus qu’une simple spéculation financière qui a mal tourné. Partout dans le monde, la dette avait atteint des niveaux sans précédent. Nous avons commenté ces causes à l’avance.
En décembre 2006, Lynn Walsh a écrit dans le magazine Socialism Today un article intitulé : ‘‘L’économie américaine se dirige-t-elle vers la récession ?’’ Il a expliqué que le boom avait, jusqu’alors, été soutenu par l’endettement des consommateurs. Mais l’inégalité croissante et l’appauvrissement constant des travailleurs au cours d’un certain nombre d’années ont contribué à l’instabilité de l’économie. Il disait alors du capitalisme américain : ‘‘Son orgie de profits à courts termes a sapé ses propres fondements, et le système fait face à un avenir de crise économique et de bouleversements politiques.’’
Dans un autre article, publié en mai 2007, nous avons expliqué : ‘‘Derrière la marée de liquidités, il y a une source plus profonde, la suraccumulation de capital. Les capitalistes n’investissent leur argent que s’ils peuvent trouver des domaines d’investissement rentables. Depuis la dernière phase de la reprise d’après-guerre (1945-73), les capitalistes ont eu de plus en plus de mal à trouver des domaines d’investissement rentables dans la production. Malgré la croissance de nouveaux produits et de nouveaux secteurs de l’économie, il existe dans de nombreux secteurs une surcapacité par rapport à la demande de crédits garantis. Des milliards de personnes manquent de produits de première nécessité. Mais ils n’ont pas les revenus nécessaires, le pouvoir d’achat, pour acheter les biens et services disponibles dans le cadre de l’économie capitaliste.’’
Les contradictions du capitalisme
L’inégalité et l’exploitation sont ancrées dans les fondements du capitalisme. Marx a expliqué que le capitalisme repose sur la création de profit. Cela provient du travail non rémunéré des véritables créateurs de richesse, la classe ouvrière. Les travailleurs créent de la valeur, mais les patrons font des profits en les payant moins que la valeur qu’ils produisent. Avec le temps, les travailleurs ont tendance à être incapables à racheter la pleine valeur de ce qu’ils produisent, ce qui entraîne une surcapacité de production.
Cette contradiction peut être surmontée par le capitalisme pendant un certain temps si les capitalistes réinvestissent ce surplus dans la production. Mais aujourd’hui, ils n’y parviennent pas, ils ne remplissent même pas leur mission historique de développer les forces productives. C’est ce qui sous-tend le cycle d’extension et de récession du capitalisme.
Dans la période qui a précédé 2007, la bulle de la dette a soutenu la croissance économique pendant longtemps. Il a fallu qu’elle finisse par éclater. L’élément déclencheur, ce fut les prêts hypothécaires à risque. Mais cela aurait pu être une conséquence des nombreux problèmes qui existent dans ce système.
Nous nous opposons à l’anarchie du capitalisme, un système fondamentalement non planifié, motivé par la nécessité de profits pour les propriétaires individuels et les grandes entreprises, au détriment de la satisfaction des besoins de la société et d’une planification socialiste démocratique. Pour pouvoir planifier l’économie, il faut la retirer des mains des ultra-riches et en faire une propriété publique. L’éclatement de la bulle a eu un impact immédiat sur l’économie réelle. Dix millions d’emplois ont été perdus aux États-Unis et en Europe.
Cette situation a été exacerbée par les mesures d’austérité imposées par les gouvernements. La récession réduit les recettes du gouvernement, car les gens gagnent moins et payent moins d’impôts. Plus les autorités réduisent les dépenses publiques, moins les gens ont à dépenser, ce qui crée un cercle vicieux. Nous avons maintenant le plus haut niveau de dette publique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les mesures d’austérité ont dévasté les services publics. Le niveau de vie réel, pour la grande majorité, ne s’est pas rétabli par rapport à son niveau d’avant 2007. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a déclaré l’an dernier qu’il n’y a pas eu de période de si faible croissance des revenus en Grande-Bretagne depuis le XIXe siècle.
Les inégalités ont continué de grimper en flèche : la valeur nette des 500 premiers milliardaires du monde a augmenté de 24 % pour atteindre 5,38 milles milliards de dollars en 2017. Oxfam affirme que 82 % de la richesse générée l’an dernier est allée au 1 % le plus riche de la population mondiale. La moitié la plus pauvre du monde – 3,7 milliards de personnes – n’a pas connu d’augmentation.
La reprise
La “reprise” économique depuis 2008 a été extrêmement faible et de nombreux facteurs laissent présager qu’un nouvel effondrement économique se profile. La dette a de nouveau augmenté, atteignant aujourd’hui 240 % de la production mondiale annuelle totale, soit 30.000 $ par personne ! Le rédacteur en chef américain du Financial Times parle ainsi des banques : ‘‘Ce qui s’est passé, c’est que la dépendance à l’égard de la dette privée – l’héroïne, si vous voulez – a été remplacée par une dépendance à l’égard de la dette publique – la morphine. Le système dans son ensemble est toujours déséquilibré.’’
Toute une série de menaces pèsent sur l’économie mondiale, notamment le protectionnisme commercial croissant, ainsi que les troubles politiques et le changement climatique.
Le marxisme n’est pas déterministe. Il n’y a pas de ‘‘crise finale’’ du capitalisme. Ce système ne s’effondrera pas de lui-même. C’est le rôle de la classe ouvrière au niveau international, avec le soutien de la grande majorité de la population mondiale, de mettre fin au capitalisme et de le remplacer par un système plus sain et plus humain. Le rôle des socialistes est de fournir une analyse, une alternative et une stratégie.
Les banques et les institutions financières, ainsi que le nombre relativement restreint de grandes entreprises qui dominent l’économie doivent être nationalisées et placées sous contrôle démocratique. Cela permettrait de mettre en place un plan de production économique visant à produire ce qui est nécessaire, en utilisant les ressources du monde de manière durable et au profit de la société tout entière. Cela permettrait de mettre fin à la pauvreté, à l’inégalité et à toutes les horreurs causées par le capitalisme.
Mais pour y parvenir, nous devons construire un mouvement de masse et une force socialiste qui puisse intervenir dans les événements. Le résultat de l’austérité imposée au monde depuis 2008 a été l’instabilité politique. D’énormes mouvements ont eu lieu à gauche dans de nombreux pays, mais on a également connu une croissance du populisme de droite et de l’extrême droite. Les gens sont de plus en plus désabusés par les partis politiques établis.
Au cours des prochaines années, nous serons confrontés à une série de crises économiques et à la recherche de réponses par des millions de travailleurs et de jeunes. Nous devons construire des partis de masse armés de réponses socialistes face à la crise du capitalisme. -
1818-2018 : la pensée de Karl Marx n’a pas perdu de sa fraîcheur

Des sourcils ont dû sérieusement froncer à la City de Londres à la lecture du journal The Independant et de l’interview du gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, réalisée à la mi-avril. Celui-ci avertissait ses pairs : “Marx et Engels peuvent devenir à nouveau pertinents”. 200 ans après la naissance de Karl Marx, pourquoi donc ses idées suscitent-elles toujours autant d’intérêt et même de craintes ?
Par Nicolas Croes
Il poursuivait : “Si vous substituez les plates-formes aux usines textiles, Twitter au télégraphe, vous avez exactement la même dynamique qu’il y a 150 ans – quand Karl Marx gribouillait le Manifeste communiste.” Selon lui, les années de faible croissance des salaires depuis la Grande récession de 2008 suggèrent que l’expérience du 19e siècle est déjà en train d’être répétée. Quelques jours plus tard à peine, le tabloïd The Sun révélait que les cadences infernales en vigueur dans un dépôt britannique d’Amazon poussaient les travailleurs à uriner dans des bouteilles et à éviter de boire pour ne pas devoir quitter leur poste de travail…
Ces dix dernières années, de nombreux économistes et analystes capitalistes se sont vus forcés de plonger dans les pages du Capital de Marx, non pas sans ressentir une certaine frustration à aller ainsi chercher des clés de compréhension auprès d’un révolutionnaire qui a dédié sa vie à la lutte contre ce système d’exploitation. Ainsi, le fameux économiste Nouriel Roubini (l’un des rares économistes capitalistes à avoir anticipé la crise économique de 2007-08) a-t-il déclaré à l’époque : ‘‘Marx avait raison, il est possible que le capitalisme lui-même se détruise à un certain moment. Vous ne pouvez pas transférer des revenus du travail vers le capital sans créer une surproduction et une rupture de la demande.’’
Que des académiciens et des économistes partisans du capitalisme s’intéressent à Marx en se pinçant le nez, c’est une chose. Mais que les travailleurs et les jeunes regardent aussi de plus en plus de ce côté, c’en est une autre ! Et c’est précisément ce qui effraye Mark Carney et d’autres.
Le capitalisme, un système qui a la crise inscrite dans son ADN
Marx fut le premier à comprendre la logique de fonctionnement du système capitaliste, à en fournir une analyse scientifique et ainsi à expliquer ses crises récurrentes. Avec leur force de travail, les travailleurs créent une nouvelle valeur. Cependant, en retour, leur salaire ne représente qu’une partie de cette dernière. Le reste de cette valeur, les capitalistes la gardent jalousement pour eux et cherchent, de plus, continuellement à rogner sur les conditions de travail et de salaire des travailleurs dans le but de sauvegarder leurs profits à court terme face à la concurrence féroce sur le marché. C’est cette concurrence qui pose la base d’une nouvelle crise puisque les travailleurs disposent d’un salaire moindre pour acheter ce qu’ils ont produit. Ce système conduit donc systématiquement à une crise de surproduction.
Une crise de surproduction implique un accroissement du chômage, une pression à la baisse sur les salaires et des économies dans les dépenses publiques. A partir de la fin des années ‘70, la bourgeoisie a différé une partie de la crise par le biais d’une accumulation historique des dettes publiques ainsi qu’en encourageant la classe ouvrière à recourir au crédit. Le manque de rentabilité de la production industrielle a conduit la classe capitaliste à concentrer son capital sur des investissements financiers de plus en plus sophistiqués et risqués. La classe ouvrière a elle aussi été poussée à rejoindre le casino du capitalisme, où les profits ont atteint des niveaux record. Les bulles spéculatives ont éclaté en 2007-2008, entraînant avec elles une vague de crises, de mesures d’austérité et d’appauvrissement de la population.
Le responsable des gros patrimoines chez UBS, Josef Stadler, a publié l’an dernier un rapport sur les grosses fortunes qu’il a commenté comme suit: ‘‘Nous sommes à un tournant. La concentration des richesses n’a jamais été aussi haute depuis 1905’’. Le phénomène n’est pas neuf. Karl Marx expliquait ainsi dans Le Capital qu’il y a: ‘‘corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même.’’ Pour Josef Stadler, ‘‘La véritable question, c’est : jusqu’à quel point cette situation est-elle viable et à quel moment la société interviendra et se rebellera ?’’
Comprendre le monde pour le changer
Le ‘‘matérialisme dialectique’’ (que l’on appelle communément le marxisme, ou le socialisme scientifique) est né non pas comme une nouvelle philosophie, mais comme une méthode pour rechercher comment changer le monde. C’est une grille d’analyse pour l’action. Comme le disait Marx : ‘‘les philosophes n’ont jusqu’ici fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer.’’
Sa conclusion était qu’il fallait renverser le système capitaliste pour le remplacer par une société socialiste où les moyens de production et d’échange seraient libérés de la dictature des patrons et de la concurrence pour permettre d’harmonieusement répondre aux besoins de tous. Pour Marx, le capitalisme, tout en développant les forces productives et en socialisant la production (de petits ateliers vers les grandes multinationales), a crée les conditions matérielles du socialisme et engendre ‘‘son fossoyeur’’ : la classe ouvrière. Marx et son compagnon de lutte Engels se sont ainsi également investis avec passion et dévouement dans la construction des organisations du mouvement ouvrier.
Tout cela est-il toujours bien pertinent ?
Nous avons aujourd’hui derrière nous plus de 150 ans de lutte de classes. De nombreuses victoires passées ont arraché des conquêtes sociales et ont contrarié la soif de profits des capitalistes. Mais, suite aux lourdes défaites subies par la classe des travailleurs dans les années ’90 à la suite de l’effondrement du Bloc de l’Est et à la bourgeoisification des anciens partis ouvriers, un vide politique s’est développé pour la classe ouvrière tandis que les directions syndicales ont adopté le syndicalisme de concertation et délaissé le syndicalisme de combat. En conséquence, la classe ouvrière a peu eu recours à sa force.
Et les capitalistes ont repris du terrain, au point où le milliardaire Warren Buffet a eu l’arrogance de déclarer sur CNN en 2005 : ‘‘Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner.’’ Parallèlement, la classe ouvrière a beaucoup changé en termes de taille, de location et de composition. Pour certains, cela suffit à dire qu’il serait ‘‘passéiste’’ de continuer à faire référence à la classe ouvrière comme force fondamentale de changement.
Pourtant, même si certains anciens bastions de la classe ouvrière industrielle sont affaiblis dans les pays occidentaux, la classe ouvrière n’a pas disparu, elle est même numériquement et relativement beaucoup plus forte qu’à l’époque de Marx et Engels. La définition marxiste de la classe ouvrière – qui comprend tous ceux qui produisent une plus-value en vendant leur force de travail en échange d’un salaire pour pouvoir vivre – regroupe à l’heure actuelle la majorité de la force de travail active de la planète. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), il s’agit aujourd’hui de 3,4 milliards de personnes. La classe ouvrière n’a jamais été aussi grande et elle continue de croître, particulièrement dans les pays du monde néocolonial où l’urbanisation et l’industrialisation ont été menées au pas de charge ces 30 dernières années.
Marx expliquait que le capitalisme tout d’abord créait la classe ouvrière, ensuite la rendait révolutionnaire. La classe en soi devient ainsi une classe pour soi, expliquait-il : quand les travailleurs prennent conscience de leur force potentielle, cette classe sociale devient toute-puissante. Elle peut bloquer toute l’économie par la grève, et se rendre ainsi compte que c’est elle la véritable créatrice de richesse. C’est ce que les commentateurs capitalistes expriment à leur propre manière en parlant de ce que ‘‘coûte’’ une grève. Sans travailleurs, pas de profits ! Et si les patrons ont absolument besoin des travailleurs, ces derniers, eux, peuvent très bien se passer de patrons…
Le grand soir et les petites victoires
L’échec du capitalisme sur le plan économique, écologique et social ; l’inégalité extrême, la brutalité de l’austérité, etc. poussent naturellement les gens à chercher une issue. Il est naturel que cette recherche s’oriente dans un premier temps vers ce qui semble ‘‘le plus facile’’ ou ‘‘le plus acceptable’’ au sein du système actuel.
Le rôle des marxistes aujourd’hui n’est pas de commémorer la mémoire de Marx et de parler du socialisme en de grandes occasions pour ensuite limiter leur activité à ce qui serait permis dans la camisole de force d’un État capitaliste et alors que l’establishment fait tout pour démontrer qu’il n’existe pas d’alternative à l’austérité. Il est au contraire nécessaire d’aider les masses à trouver le pont qui existe entre leurs préoccupations quotidiennes et la nécessité de renverser le capitalisme pour le remplacer par une société socialiste.
Pour cela, il faut un programme qui repose sur ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins sociaux (combien de logements sociaux nous faut-il ou encore comment organiser une répartition collective du temps de travail pour en finir avec le chômage ?). En mobilisant activement le plus grand nombre autour de celui-ci, de manière inclusive, il sera possible d’illustrer que le système actuel est un obstacle pour rencontrer nos besoins, mais qu’il peut être surmonté en s’organisant de façon conséquente autour du bon programme, avec la stratégie et les tactiques qui en découlent. À partir de là, pour reprendre une dernière fois les mots de Marx, il sera possible de ‘‘partir à l’assaut du ciel’’.
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Nouvelles Conquêtes – Encore une opportunité manquée pour le PS
Le Parti socialiste subira sans doute une punition électorale ces prochaines années. Sa base ouvrière traditionnelle est de plus en plus remplacée par des couches plus aisées. Il reste pourtant un facteur politique important de même qu’une force dans le mouvement des travailleurs en raison de son histoire et du lien qu’il entretient avec l’appareil syndical de la FGTB. C’est précisément pour cela que le PSL a consacré un atelier de discussion au nouveau livre de Di Rupo, Nouvelles Conquêtes, à l’occasion de son week-end de débats ‘‘Socialisme 2017’’.Par Eric Byl
En dehors de l’orateur, pas un seul des plus de 40 participants – tous activistes du mouvement des travailleurs ou de la jeunesse – n’avaient lu le livre. Ce dernier a néanmoins bénéficié d’une large couverture médiatique qui l’a caractérisé de virage à gauche. Cela à lui seul en dit long sur la crédibilité du PS. Celui qui avait espéré que le PS adopterait un autre cours dans le sillage du nouveau président du parti travailliste britannique Jeremy Corbyn, qui n’est même pas mentionné dans le livre, en est pour ses frais. Bien qu’il a été écrit au moment des scandales autour de Publifin et du Samusocial, qui ont montré qu’un nombre considérable de bonzes du PS sont tout aussi gourmands que de nombreux CEO, on ne lit pas un mot à ce sujet. De plus, hormis quelques remarques cosmétiques, Di Rupo défend intégralement la politique gouvernementale du PS, y compris la privatisation de la RTT (devenue Proximus) qu’il prétend avoir sauvée. Le fait que le parti soit allé trop loin dans sa recherche de compromis et soit donc tenu pour responsable de la politique de démolition sociale néolibérale n’est pas écrit. Di Rupo persiste au contraire : ‘‘sans compromis, la droite va toujours gagner’’.
La tradition du ‘‘chantier des idées’’
Nouvelles Conquêtes avait cependant l’ambition d’être la dernière pièce d’une grande consultation interne de refondation : le ‘‘chantier des idées’’. Ce type d’exercice est une longue tradition dans le mouvement ouvrier. La fusion de l’Association générale des travailleurs allemands avec le Parti ouvrier social-démocrate pour constituer, en 1875, ce qui devint le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) était accompagnée du programme de Gotha.Bien que Marx et Engels aient déjà été très critiques au sujet de son caractère réformiste, ce programme était l’expression d’une phase ascendante de la lutte des classes. Juste avant la Première Guerre mondiale, le SPD comptait plus d’1 million de membres, 15.000 permanents, 90 quotidiens et 4,25 millions d’électeurs qui ont donné 110 sièges au Bundestag. Le programme de Gotha fut un modèle pour le Parti ouvrier belge notamment (POB, 1885). Au cours de cette période, la Belgique est devenue le pays des ‘‘grèves politiques’’ (pour le droit de vote en 1886, 1892 et 1893). Cette radicalisation s’est exprimée dans la déclaration de principe du POB, la Charte de Quaregnon (1894). Même si cette dernière est un mélange d’influences anarchistes, réformistes et marxistes, elle affirme que les sources de toutes richesses – la nature et la force de travail – appartiennent au patrimoine de l’humanité. Ce patrimoine doit, selon la Charte, être dépensé de façon socialement utile au profit du bien-être et de la liberté de tous, ce qui est incompatible avec le capitalisme qui divise la société en deux classes antagonistes.
La profondeur de cette opposition est illustrée par la résistance incessante de la classe dirigeante face à toute amélioration des conditions de vie du mouvement des travailleurs. Un programme ne devient une force que lorsqu’il est soutenu par un mouvement qui a aussi besoin de victoires pour générer suffisamment de puissance. Il a fallu la Révolution russe d’octobre 1917 puis la révolution allemande de novembre 1918 pour que la bourgeoisie belge soit prête à accorder des concessions substantielles par peur d’être expulsée du pouvoir : le suffrage universel masculin (1919), l’indexation des salaires (1920), la liberté d’association (1921), la journée de huit heures et la semaine de 48 heures (1921) et le retrait des grèves du droit pénal (1921). Aucun mot à ce sujet dans Nouvelles Conquêtes, où il n’est pas question de lutte de classe. Le seul endroit où l’on parle encore des ouvriers est la longue introduction autobiographique dans laquelle Di Rupo exploite ses origines familiales ouvrières. Pour le reste, nous ne trouvons qu’à peine mention de conflits sociaux par le biais de citations d’articles et de thèses d’universitaires renommés. Il semble que Di Rupo n’a pas vu ou parlé à un travailleur pour le chantier des idées du PS. Le fait que des travailleurs ont perdu leur vie, ont été brutalisés et persécutés, il ne le mentionne pas, il revendique toutes les conquêtes sociales comme étant l’oeuvre des ‘‘socialistes’’.
Ces ‘‘socialistes’’ ont cependant dû être rappelés à l’ordre par les travailleurs à plus d’une reprise. Ce n’est qu’après que les mineurs se sont révoltés en masse en 1932, que le Borinage a été occupé par la gendarmerie et que les avions de chasse ont déchiré l’espace aérien, que le POB a décidé de faire campagne pour le plan De Man (1933), qui comprenait la nationalisation des matières premières ainsi que de l’énergie de même qu’un système de crédit public. Ce plan était loin d’être un programme socialiste, mais il a créé un enthousiasme qui a certainement contribué à la grève générale de 1936. 15 millions de journées de travail ont été perdues pour arracher les congés payés (6 jours), une augmentation salariale (8%) mais aussi l’introduction d’un salaire minimum et de la semaine de 40 heures dans diverses industries. Après la Seconde Guerre mondiale, la FGTB a adopté une déclaration de principes visant l’instauration d’une société sans classes, la socialisation du système bancaire et des groupes industriels, ainsi que le placement du commerce extérieur sous contrôle et gestion publics. Lors de ses congrès extraordinaires de 1954 et 1956, la FGTB plaida en faveurs de réformes structurelles : la nationalisation des mines, du gaz et de l’électricité, le contrôle public de tous les établissements de crédit et une politique d’expansion économique. Au congrès idéologique du PSB (qui succéda au POB) de 1974 encore, la Charte de Quaregnon a été réaffirmée, il y a été préconisé l’instauration d’une société sans classes, une production orientée vers la satisfaction des besoins, une économie démocratiquement planifiée, le plein emploi avec revenus suffisants, la souveraineté du peuple face aux pouvoirs économiques et une fédération socialiste d’Europe.
Les supplications de Di Rupo
En comparaison, Nouvelles Conquêtes ne dit rien. Ce n’est pas une plate-forme de revendications, il s’agit d’une supplication qui ne vise pas à imposer un rapport de forces avec le mouvement des travailleurs, mais à persuader les patrons de construire ensemble une Wallonie ‘‘forte et dynamique’’. Le PTB, le plus grand challenger du PS au Sud du pays, ne vaut pas d’être mentionné, tout comme l’appel du secrétaire général de la FGTB wallonne Thierry Bodson en faveur d’une majorité progressiste en Wallonie après les élections régionales. Di Rupo aimerait garder toutes les options ouvertes et ne pas nuire à une éventuelle alliance avec quelques patrons ‘‘progressistes’’ qui détestent l’idée d’une coalition avec le PTB. Mais Di Rupo comprend aussi qu’il doit proposer quelque chose : un bonus social généralisé qui permettrait aux revenus les plus bas d’atteindre le seuil de pauvreté, l’individualisation des droits sociaux, la diminution du temps nécessaire pour bénéficier d’une allocation de chômage d’insertion et le rétablissement de la pension à 65 ans. Sa proposition d’une semaine de quatre jours ne serait pas obligatoire, mais s’effectuerait par le biais de consultations avec les patrons prêts à le faire, tandis que les coûts seraient pris en charge par la sécurité sociale. La seule mesure qui ferait aussi contribuer les riches est la proposition visant à appliquer les barèmes d’imposition progressifs à la totalité des revenus perçus. De plus, Di Rupo veut rendre le remboursement de la dette publique plus dépendant de la croissance économique. Tout le reste, pour Di Rupo, doit venir de l’Europe à travers un protocole sur le progrès social, un salaire minimum européen de 60% du revenu médian, une convergence fiscale et une taxe Tobin (sur les transactions financières). Pourquoi donc la social-démocratie n’a-t-elle pas fait tout ça lorsqu’elle bénéficiait d’une large majorité en Europe ? Il ne s’étend pas sur ce sujet.
Le livre de Di Rupo est-il complètement hors de propos ? Nous imaginons bien qu’il circule largement dans l’appareil de la FGTB francophone. Une brochure du CEPAG au sujet de la semaine des 4 jours et des 32 heures s’intéresse à la renaissance de la discussion sur la diminution du temps de travail et cite, pour souligner cela, les propositions du PS, du PTB, d’Écolo et de DEFI, mais aussi le patron de la Sonaca, le directeur de l’aéroport de Charleroi, l’organisation des classes moyennes UCM et l’économiste libéral Colmant. Sans le dire aussi explicitement, des illusions y sont promues quant à la méthode de Di Rupo pour aller convaincre les patrons à titre individuel. Di Rupo ne fait guère de revendications directes, aucune ne remet en question le système alors que cela est pourtant nécessaire pour répondre à des préoccupations concrètes et il ne présente aucun modèle de société alternatif. Il exprime simplement sa conviction que le développement historique convaincra progressivement les patrons de la nécessité d’accepter une politique sociale par le compromis. Toute l’Histoire démontre justement que les classes dirigeantes n’ont jamais renoncé volontairement à leurs privilèges, mais en conséquence de la lutte des classes et de la construction de relations de forces… Il trouve cela dépassé. Le mouvement des travailleurs, la gauche et les vrais socialistes doivent exposer les faiblesses de Nouvelles Conquêtes, mais parallèlement se saisir des quelques propositions concrètes pour en faire des points de combat réels et construire une véritable relation de forces afin de pouvoir également les appliquer.
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ROSA: Une campagne dynamique pour un féminisme socialiste

Dans ce contexte de ré-émergence des luttes de masse pour les droits des femmes à travers le monde (aux États-Unis, en Pologne,…) et alors que la colère contre le sexisme s’exprime de plus en plus, le Parti Socialiste de Lutte (PSL) et les Etudiants de Gauche Actifs (EGA) ont lancé une campagne liant le combat antisexiste à la lutte contre l’austérité. Encore à l’état de projet il y a un an, cette initiative bénéficie aujourd’hui d’une belle dynamique qui remet à l’ordre du jour un féminisme socialiste.
Par Emily, coordinatrice nationale de la campagne Rosa (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité)
Avant de lancer la campagne, nous avons pris le temps de développer notre approche politique, résumée au sein d’une brochure.
Nous y avons esquissé des réponses à des questions telles que : A qui profite le sexisme ? Nous ne pensons pas qu’il est en premier lieu favorable aux hommes, mais bien à une minorité de super-riches qui profitent de la marchandisation de nos corps (publicité,…) et des bas salaires dans le secteur des soins aux personnes, s’appuyant sur le stéréotype que ce sont des compétentes naturelles des femmes qu’il est inutile de rémunérer. Le sexisme permet au gouvernement de plus aisément couper dans les services publics en glorifiant le rôle traditionnel des femmes et en omettant la surcharge de travail domestique non payé. Le sexisme – comme le racisme, l’homophobie, etc. – est également un puissant instrument de division !? Si ce n’est pas encore fait, lisez cette brochure et planifions une discussion sur base de cette dernière !
Mars 2017 : Lancement de la campagne ROSA, Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité.
ROSA est une campagne orientée vers l’action. À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes, nous avons organisé une manifestation contre le sexisme à Gand auquel 600 jeunes ont participé. Cela faisait longtemps que l’on n’avait plus vu une telle mobilisation un 8 mars.Les actions et la manif à l’occasion du 8 mars ont été suivies par une journée officielle de lancement de la Campagne ROSA. Pas moins de 150 personnes se sont réunies pour un partage d’expériences de luttes contre le sexisme et l’austérité et réfléchir à la construction des combats à venir. Une militante américaine est par exemple venue parler des énormes Women March pour s’opposer au sexisme à la Trump. Des ateliers se sont aussi consacrés aux différentes facettes que revête le sexisme : dans les écoles, sur les campus ou encore sur les lieux de travail.
? Partout dans le monde, les luttes contre le sexisme prennent de l’ampleur (USA, Chili, Inde, Pologne, Islande, Irlande, Turquie…). La campagne ROSA souhaite refaire du 8 mars, en Belgique aussi, une véritable journée de lutte contre le sexisme et les politiques qui dégradent toujours plus nos conditions de vie. Pour cela, les organisations féministes et du mouvement ouvrier ont un rôle crucial à jouer.
En 9 mois, une série d’activités et de nombreuses expériences
Le très combatif bloc ROSA à la manif « Trump Not Welcome » ; les stands aux Prides; les interventions dans les grèves et actions du non marchand où l’on retrouve le plus de femmes en lutte ; le cortège contre le sexisme à l’ULB et la manif pour le droit à l’avortement ; etc. : ROSA veut être présent sur différents terrains et mettre en avant que les luttes féministes sont des luttes contre le système, mais aussi qu’une lutte efficace contre l’austérité doit aussi comprendre une lutte contre toutes les formes de division.
Durant l’été, nous avons milité sur de nombreux festivals avec notre campagne ‘‘My body, my choice’’, contre la marchandisation du corps des femmes, pour le droit de choisir si et quand on veut des enfants sans que la question financière rentre en ligne de compte,… Nous avons surtout pu faire connaître ROSA et son approche, ainsi plusieurs personnes sont devenues membres de la campagne. À l’aide de nos autocollants et badges, nous avons également récolté des fonds sans lesquels il nous est impossible d’imprimer des tracts, affiches,… pour pouvoir continuer à militer.? Vous pouvez également soutenir financièrement la campagne ROSA : chaque euro compte !
Des groupes ROSA se réunissent désormais régulièrement dans différentes villes (Gand, Liège, Bruxelles…).
D’autres sont en cours de constitution. Ces réunions sont l’occasion d’aborder un point plus spécifique tel que le harcèlement sexiste, c’est cause et comment le combattre, l’impact des coupes dans les services publics sur les femmes ou encore l’essor des luttes pour les droits des femmes dans le monde. Nous discutons aussi des revendications que nous voulons mettre en avant dans les prochaines actions que l’on organise ou auquel on participe.? Vous aussi, rejoignez ROSA et participez aux réunions! Participer aux actions c’est bien, mais s’organiser c’est mieux : alors nous devenons plus fort que la somme des individus. S’il n’y a pas encore de groupe ROSA près de chez toi, pourquoi ne pas en construire un avec le soutien de membres de ROSA d’autres régions !

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Le marxisme et l’environnement

Le marxisme est souvent accusé à tort de tenir l’environnement pour acquis — dans la poursuite de la croissance économique requise afin de soulager la pauvreté et le besoin. Pourtant, rien ne pourrait être plus loin de la vérité. S’inspirant des travaux de Marx et de Engels, ainsi que des expériences vécues lors des premières années de la Révolution russe, Per-Åke Westterlund (Membre de la section du CIO en Suède) remet les pendules à l’heure.
Il y a deux accusations communes portées contre le marxisme au sujet de l’environnement, de la part de la droite et de certains militant·e·s écologistes, ainsi que d’une partie de la gauche. La première est que Karl Marx avait une vision trop positive de l’industrialisation et voyait la nature comme une source infinie à exploiter. La seconde est que le marxisme (URSS) porte la responsabilité pour quelques-unes des pires catastrophes écologiques de l’histoire.
Contrairement à ces prétentions, la conscience et l’esprit de lutte pour l’environnement ne sont pas nouveaux pour les marxistes. En fait, Marx était un pionnier dans l’analyse et la critique des effets destructeurs de l’industrialisation capitaliste envers la nature ainsi que la société. Autant Marx que Friedrich Engels, auteurs du Manifeste communiste en 1848, ont étudié et suivi de près la science dans tous ses domaines.
La production industrielle capitaliste, ainsi que la classe ouvrière (le prolétariat) et son travail, venaient de faire leur apparition dans les décennies précédentes, mais ont été comprises immédiatement par Marx en tant qu’éléments clés du développement de la société. Souligner le rôle central de la classe ouvrière ne voulait pas dire ignorer l’environnement et la nature.
Curieusement, Marx voyait le travail comme étant «?un processus dans lequel l’homme et la nature participent tous les deux?». Ceci est souligné dans la Critique du programme de Gotha — le programme adopté par le congrès fondateur du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) en 1875. Marx conteste l’affirmation inscrite au programme, soit que « ?le travail est la source de toute richesse et de toute culture ». « Le travail n’est pas la source de toute richesse », écrivit Marx. « La nature est autant la source de valeurs d’usage (et c’est sûrement en cela que la richesse matérielle consiste !) que le travail, qui est lui-même la manifestation d’une force de la nature, la force de travail humaine ». L’idée erronée selon laquelle le travail serait la seule source de la richesse provenait de Ferdinand Lassalle, et non de Marx.
Marx s’inquiétait des effets de la perturbation dans la relation entre l’humanité et la nature. Pour cette raison, il voyait l’aliénation des travailleurs et travailleuses dans la production capitaliste comme faisant partie du même processus que l’aliénation humaine de la nature. À son époque, ceci était particulièrement évident dans l’industrialisation de l’agriculture.
La classe ouvrière était et continue d’être à la pointe des effets du capitalisme sur l’environnement. Par exemple, les compagnies énergétiques – pétrole, charbon, énergie nucléaire – posent une menace directe envers les travailleurs et travailleuses dans ces industries, ainsi qu’envers les populations et l’environnement naturel dans des régions ou des pays entiers. Les travailleurs et travailleuses dans ces industries sont souvent les plus conscient·e·s de ces dangers. La lutte pour améliorer l’environnement de travail représente une partie importante de la lutte environnementale.
De plus, la philosophie marxiste (le matérialisme dialectique) offre les moyens d’analyser et d’expliquer la crise climatique d’aujourd’hui. Marx et Engels, au milieu du 19e siècle, ont démontré en quoi la société et la nature se développent via l’accumulation de contradictions menant à une rupture qualitative. Aujourd’hui, la recherche sur le climat fait l’écho de cette méthode en nous avertissant des points de basculement, ces moments où l’environnement passe irréversiblement d’une phase à une autre.
Parmi ceux et celles qui blâment Marx d’avoir négligé l’environnement, plusieurs n’ont pas étudié ses œuvres, mais plutôt celles de ses prétendu.e.s « disciples » sociaux-démocrates ou staliniens. Les sociétés qu’ils et qu’elles ont construites, en les qualifiant de socialistes, contredisaient complètement Marx en ce qui concernait la démocratie ouvrière, le rôle de l’État, ainsi que le traitement de l’environnement. Par contraste, Marx avait prédit que la « science naturelle… deviendrait la base des sciences humaines, car il s’agit déjà de la base de la vie humaine » (Manuscrits de 1844).
Marx sur la nature
Afin de comprendre le marxisme et l’environnement, il faut d’abord comprendre la méthode : Marx considérait toujours le monde et son histoire, dans leur totalité, comme points de départ de son analyse et de son programme. Le fait que Marx voyait le capitalisme comme un système historiquement progressiste a souvent été mal compris et dénaturé. Par exemple, Michael Löwy, du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale, a écrit que Marx avait « une attitude plutôt non critique envers la civilisation industrielle, particulièrement sa relation destructrice avec la nature ». Löwy réclamait également que « Marx ne possède pas une perspective écologique intégrée » (For a Critical Marxism, Against the Current, novembre et décembre 1997).
Tout d’abord, si le capitalisme avait un côté progressiste, selon Marx, c’était en comparaison au féodalisme, c’est-à-dire qu’il n’était que temporairement progressiste. La réalisation principale du capitalisme était la création de la première société qui jetait les bases non seulement de son propre anéantissement, mais également de celui de toute société de classe. La prise de pouvoir par la classe ouvrière, supportée par les paysan·ne·s pauvres, amènerait le règne de la majorité et le début d’une évolution vers une société complètement différente. Déjà, dans la Commune de Paris en 1871, où les ouvriers et ouvrières ont pris le pouvoir pendant deux mois, la perspective de Marx fut démontrée.
Comprendre le rôle du capitalisme ne correspond pas à une défense de ce système. Marx, avant et plus que n’importe qui, voyait dans le capitalisme un système de production de profits grâce au surtravail. La science et les forces naturelles sont adaptées et exploitées à cette fin. La santé des ouvriers et ouvrières est ignorée, tout comme les effets sur la nature. Marx a vu juste et dénonçait les mesures prises afin de d’adapter la nature au capitalisme. Certain.e.s critiques disent que Marx envisageait la nature comme une chose gratuite et illimitée. Mais le point qu’il avançait était que la nature n’avait aucune valeur dans un régime capitaliste. Sa propre conclusion était que la nature non exploitée avait sa propre valeur d’usage, par exemple l’air, la forêt, les poissons.
Marx étudia le matérialisme non-mécaniste d’Épicure (341-270 av. J.-C.) et la dialectique de GWF Hegel (1770-1831) et développa sa philosophie, le matérialisme dialectique. Ce fut une vision géniale du monde, parfaitement adaptée à son temps. L’événement majeur de l’époque, la Révolution française, était le résultat de la base matérielle – l’économie capitaliste et le dépassement du féodalisme par la société – accompagnée de l’action consciente des masses révolutionnaires.
Les idées de Marx étaient les plus développées parmi toutes les philosophies faisant rupture avec l’antécédent religieux. Au lieu d’une Terre immuable et au centre de tout, avec l’humanité au centre de la Terre, le marxisme pose un monde mortel et en transformation perpétuelle, en ligne avec le matérialisme classique. La vie serait un produit de la Terre (la nature) et non d’un dieu. L’humanité serait intégrée à la nature, et non en opposition avec elle. De la même manière, Marx se garda de séparer l’histoire dite naturelle et celle dite sociale, les voyant comme deux parties d’un même ensemble. Les lois de la dialectique s’appliqueraient dans la nature comme dans la société, et leurs développements seraient interreliés, l’un affectant l’autre. Marx employa le terme « métabolisme » : une chaîne de processus liés en un corps.
Marx démontra que l’écart grandissant entre la cité et la région représentait une violation de ce métabolisme, résumé par le terme « rupture du métabolisme » (metabolic rift) de John Bellamy Foster, auteur du livre Marx’s Ecology. Dans le troisième volume du Capital, publié en 1894 après la mort de Marx (1883), l’auteur décrit le capitalisme comme une rupture avec les lois naturelles de la vie : « D’un autre côté, la grande propriété foncière fait décroître la population rurale de façon constante, et la met en opposition avec une population industrielle en croissance constante et concentrée dans les grandes villes. Elle crée ainsi les conditions qui causent une rupture irréparable dans la cohérence des échanges sociaux prescrite par les lois naturelles de la vie ».
À partir d’une discussion à propos de la dégradation à long terme du sol, suite à l’utilisation d’engrais chimiques dans l’agriculture, Marx écrit que « tout le progrès dans l’agriculture capitaliste est un progrès dans l’art, non seulement de l’exploitation de l’ouvrier, mais aussi de l’exploitation du sol ; tout progrès dans l’amélioration de la fertilité du sol pour un temps donné est une progression vers la ruine des sources durables de cette fertilité ».
Il expliqua : « La production capitaliste, en concentrant la population dans de grands centres… perturbe la circulation de la matière entre l’Homme et le sol, c’est-à-dire qu’elle empêche le retour au sol de ses éléments consommés par l’Homme dans la forme de nourriture et de vêtements ; elle entre ainsi en violation des conditions nécessaires à la fertilité durable du sol ». Mais encore : « La production capitaliste, ainsi, développe la technologie, et la combinaison de plusieurs processus dans un tout social, et ce en sapant les sources originales de la richesse – le sol et le travailleur ». (Capital, Volume I, 1867) Faisant une prédiction à long terme, Marx signala que la modernisation constante du capitalisme accélérerait ce « processus de destruction ».
Engels résuma ce besoin d’apprendre de la nature et notre dépendance par rapport à elle ainsi : « à chaque nouvelle étape nous sommes rappelés que nous ne sommes en aucun cas maîtres de la nature tel un conquérant d’un peuple étranger, telle une personne à l’écart de la nature – mais que nous appartenons, notre chair, notre sang et notre cerveau, à la nature, que nous existons en elle, et que toute notre maîtrise d’elle consiste en notre avantage vis-à-vis des autres créatures d’être en mesure d’apprendre ses lois et de les appliquer correctement ». (Le Rôle du travail dans la transformation du singe en Homme, 1876)
Marx sur le socialisme
Marx est également critiqué par certains pour ne pas avoir donné un plan plus précis d’une future société socialiste. Ces critiques croient que, chez Marx, la production et le traitement de l’environnement seraient essentiellement identiques à ce qui existait sous le capitalisme. C’est vrai que Marx et Engels se différenciaient des socialistes utopistes qui dessinaient des plans détaillés de la société idéale. Cependant, cela ne signifie aucunement que leurs œuvres soient dépourvues de descriptions de la différence entre le capitalisme et le socialisme.
Marx et Engels ont pris note du coût immense de la production capitaliste, coût assumé par les travailleurs , les travailleuses, les paysan·ne·s, la nature et la société. Ils ont milité pour un changement complet de la production, le remplaçant par ce que Marx appelait la production coopérative. L’anarchie du système capitaliste serait remplacée par un contrôle social et une possession des moyens de production et de distribution. Le tout serait organisé dans un plan social.
Que dire des prédictions de Marx selon lesquelles le socialisme représenterait une société avec une production améliorée et une abondance de ressources ? Cela impliquerait-il davantage de catastrophes environnementales ? Premièrement, à l’époque de Marx, tout comme aujourd’hui, il y a un besoin urgent d’offrir une vie décente à tous. Ceci sera le résultat d’une production améliorée de la nourriture, de l’accès au logement, aux soins de santé et à l’éducation, et d’une meilleure diffusion de la technique moderne. Dans les années 1800, la production de telles nécessités aurait été rendue possible aux dépens de la production d’armes, de produits de luxe, etc. Aujourd’hui, c’est d’autant plus le cas avec la quantité énorme de ressources dilapidées par les dépenses militaires et la consommation luxueuse du 1%.
Dans sa Critique du programme de Gotha, et dans le Capital, Marx discuta du besoin d’équilibrer les ressources entre la consommation individuelle et l’augmentation nécessaire de la consommation sociale, tout en épargnant des ressources à des fins d’investissement et pour constituer une réserve sociale. Ceci inclut également un équilibre entre le temps de travail, qui serait vraisemblablement moindre, et le temps libre. Dans une telle société, tout le monde travaillerait, tout le monde pourrait développer ses propres compétences et son éducation, et tout le monde aurait la possibilité de participer à l’administration de la société.
Une société socialiste briserait l’aliénation et permettrait à tous et à toutes un développement libéré des contraintes du salariat et du capital. Cela impliquerait également « l’unité complète entre l’Homme et la nature – la véritable résurrection de la nature – le naturalisme cohérent de l’Homme et le naturalisme cohérent de la nature » (Manuscrits de 1844). Une révolution socialiste libérerait non seulement les travailleurs, les travailleuses et l’humanité, mais également la nature. Avec la possession socialisée de la terre, la nature ne serait plus un simple produit d’où l’on retirerait des profits.
Au sein du programme proposé dans le Manifeste communiste, quelques-unes des mesures clés sont tout aussi importantes aujourd’hui au sujet de l’environnement. La mesure no. 1 stipule : « Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de I’État ». Ceci s’applique à la contestation de l’exploitation minière dangereuse, des champs de pétrole et de la fracturation hydraulique, par exemple. La seconde partie de cette mesure indique que les revenus issus de la terre alimenteraient le secteur public. La mesure no. 6 traite du transport : « Centralisation entre les mains de l’État de tous les moyens de transport ».
La mesure no. 7 a également de fortes implications pour l’environnement : « Multiplication des usines nationales et des instruments de production ; défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif ». Le programme commun serait basé sur la propriété commune au lieu de l’exploitation privée, afin de prendre soin et d’améliorer la terre. En résumé : le changement de direction de la société, incluant son traitement de la nature, serait une question de propriété, de pouvoir et de contrôle.
Les bolcheviques et l’environnement
La classe ouvrière russe et les nations opprimées par le tsar ont pris le pouvoir au mois d’octobre 1917. Contrairement aux propos calomnieux contemporains adressés contre le gouvernement bolchevique, celui-ci révolutionna la politique dans tous les domaines de la société. Il s’agit du premier pays à avoir banni le racisme et l’antisémitisme, et à avoir légalisé le droit à l’avortement et au divorce, ainsi que l’homosexualité. D’une façon semblable, les bolcheviques sous Lénine et Léon Trotski ont été des pionniers en matière de politiques environnementales radicales.
Avant la révolution, la Russie était, dans ce domaine comme dans plusieurs autres, un pays économiquement arriéré. « Les scientifiques de la dynastie Romanov ont été incapables de convaincre les représentants du gouvernement, les gens d’affaires et même leurs propres collègues d’adopter des techniques modernes de gestion scientifique afin de protéger les ressources et de garantir leur disponibilité pour les générations présentes et futures (préservation)… la plupart des projets ont dû attendre la Révolution russe, car le gouvernement du tsar les considérait trop coûteux et croyait possiblement qu’ils étaient inutiles ». (An Environmental History of Russia, Cambridge University Press, 2013)
Sous la direction des bolcheviques, la classe ouvrière prit le pouvoir dans un pays dévasté par la Première Guerre mondiale, pour ensuite se retrouver face aux agressions militaires des armées envahissantes et des anciens généraux tsaristes. Malgré tout, le gouvernement soviétique agit immédiatement sur les questions environnementales. Deux jours après la prise de pouvoir, le décret « Sur la terre » nationalisa toutes les forêts, les minéraux et l’eau. Une demi-année plus tard, en mai 1918, un autre décret, « Sur les forêts », établit le contrôle centralisé du reboisement et de la protection forestière. Les forêts furent divisées en deux catégories, l’une d’entre elles étant à l’abri de l’exploitation. Ceci fut un sujet important étant donné que plusieurs forêts avaient été coupées à blanc sous le règne tsariste. D’une façon semblable, la chasse fut réglementée et permise seulement durant certaines saisons. « Étonnamment, la Révolution russe permit l’établissement de recherches portant sur l’océanographie et la pêche continentale. » (An Environmental History) Ces décisions furent prises dans une période de turbulences extrêmes. « Au cours de la tourmente de la guerre civile et du communisme de guerre, le gouvernement bolchevique arriva à soutenir les scientifiques, incluant certains œuvrant sur des sujets de préoccupation environnementale. Et les scientifiques, avec ce soutien, ont répandu leurs activités environnementales ». En 1920, Lénine était impliqué dans l’établissement de la première réserve naturelle dans le monde qui était financé par un État et destinée exclusivement à la recherche scientifique, la Il’menskii. En 1924, il existait quatre réserves de ce genre (zapovedniks). Plusieurs nouvelles institutions de recherche furent établies, les scientifiques russes étaient perçu·e·s comme des écologistes de première ligne, et des cours d’écologie furent donnés à l’Université de Moscou. Le scientifique Vladimir Vernadsky devint une célébrité mondiale pour son concept de la « noosphère » : « un nouvel état de la biosphère dans lequel les humains jouent un rôle actif dans le changement qui est basé sur la reconnaissance de l’interconnexion des hommes et des femmes avec la nature » (An Environmental History).
La révolution provoqua une explosion d’organisations environnementales, un développement qui a été encouragé et adopté par les bolcheviques. Le TsBK (Bureau central pour l’Étude des Traditions Locales) avait 70 000 membres provenant de 2 270 branches. Tout aussi importante était la VOOP (Société panrusse pour la conservation de la nature). Les activistes et scientifiques produisirent des revues comme « Problèmes de l’Écologie et de la Biocénologie ». Ils tinrent également des réunions et organisèrent des groupes pour des études locales afin de stimuler l’intérêt pour la science dans les régions. Certains bolcheviques de premier plan, parmi lesquels figurait Nadezhda Krupskaya, discutèrent de comment améliorer l’environnement dans les cités et les villes, menant à un modèle de cité verte comprenant davantage de parcs et de zones vertes.
Cependant, ces idées révolutionnaires prirent fin de façon abrupte. La contre-révolution sociale et politique vécue sous le stalinisme comportait également une contre-révolution environnementale. « Après la Révolution russe, la science écologique naissante se développa rapidement au cours des bouleversements sociaux et l’expérimentation politique des années 1920. Des représentant·e·s du gouvernement, scientifiques et ingénieur·e·s établirent un ambitieux programme d’électrification nationale… ?» Mais par la suite, lorsque Staline prit le pouvoir, sa recherche pour les supposés « démolisseurs » « inclut quelques-un·e·s des biologistes, spécialistes de la forêt et de la pêche, agronomes et écologistes les plus important·e·s » (An Environmental History).
Stalinisme versus nature
Quelques-unes des pires catastrophes environnementales ont eu lieu sous le régime stalinien : la destruction de la Mer d’Aral entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, l’accident nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, et l’anéantissement de plusieurs villes par la pollution. Comment était-ce possible, et y avait-il un lien avec les bolcheviques et le socialisme ?
En réalité,le régime de Staline est responsable du meurtre et de la destruction du parti bolchevique qui avait mené la révolution en 1917. Ceci fut possible dans un contexte de révolutions échouées dans tous les autres pays et de la situation actuelle de la Russie : économie et culture d’autant plus arriérées par la destruction de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile.
Lorsque le régime de Staline se retrouva bien établi, il n’avait aucune idéologie autre que celle de la conservation du pouvoir. Afin d’arriver à ce but, Staline fut contraint de retenir un accomplissement fondamental de la révolution, l’économie nationalisée, assise sur laquelle toute la bureaucratie stalinienne reposait. Or, elle n’était ni socialiste ni communiste. Staline fit un virage de 180 degrés sur le sujet de l’environnement, comme dans plusieurs autres secteurs. Son régime utilisa la force afin de collectiviser l’agriculture, abolit la protection des zapovedniks et réinitialisa les coupes à blanc.
Les méthodes staliniennes employées contre l’opposition furent brutales : « Des arrestations, des interrogations et de la torture afin d’extorquer de faux aveux et de faux témoignages ont accompagné les accusations d’espionnage, de subversion et de diffamation de l’Union soviétique parmi ceux, incluant les scientifiques, qui semblaient s’opposer aux programmes staliniens ». VOOP et TsBK furent purgés jusqu’à leur disparition. La dictature « a rendu les activités indépendantes et raisonnables à peu près impossibles » (An Environmental History).
Toute organisation indépendante de travailleurs, de travailleuses et d’activistes furent bannies, ce qui ouvrit la voie à la destruction de l’environnement. De nombreuses lois et règlements, formellement impeccables, ne furent jamais totalement implantées. Le gaspillage et la mauvaise gestion prirent le dessus. La science perdit sa nécessaire liberté d’expression. Trotski avait déjà constaté, dans les années 1930, que l’économie planifiée avait besoin de la démocratie ouvrière tout comme le corps a besoin d’oxygène, sans quoi elle tomberait dans la dégénérescence et la mort. L’opposition à Staline de Trotski, ainsi que son plaidoyer pour une nouvelle révolution contre le régime, fut la manifestation des idées marxistes contre le stalinisme, incluant celles sur l’environnement.
Le régime de Staline déploya de massifs camps de travaux forcés, incluant de nombreux prisonniers et prisonnières politiques, afin de stimuler une rapide expansion de l’industrialisation. Le camp Vorkuta, où l’on avait emprisonné plusieurs trotskistes, fut fondé en 1932 dans le but d’établir des mines de charbon au nord du cercle arctique. Des millions de prisonniers et prisonnières, sous la surveillance attentive de la police secrète (NKVD), furent exploité·e·s en tant qu’esclaves dans la construction et dans l’extraction minière et forestière. La majorité des immenses projets sous le stalinisme provinrent de la direction centralisée, sans considération pour les différentes circonstances géographiques.
Après la Deuxième Guerre mondiale, au lieu de pallier à l’énorme dévastation, voire la famine de la Russie, l’orgueil de Staline l’amena à lancer un grandiose « Plan pour la Transformation de la Nature ». Ceci inclut le détournement de rivières et la réorganisation des forêts en zones industrielles. L’idéologue derrière ce plan, Trofim Lysenko, était un charlatan prétendant avoir inventé des techniques de plantation qui, en fait, causèrent la destruction de nombreuses forêts. Sous le stalinisme et le Lyssenkisme, la nature n’avait aucune valeur en soi.
Le stalinisme en tant que système persista après la mort de Staline en 1953. Quelques années plus tard, l’accident nucléaire de Kyshtym, dans l’Oural, fut gardé secret par le régime de Nikita Khrouchtchev. Aucune force ne pouvait contester la pollution, les grands projets et l’interdiction de tout activisme environnemental.
Ceci étant dit, les critiques capitalistes du stalinisme – qui amalgament stalinisme et socialisme afin de décrédibiliser ce dernier – ont très peu de raisons de se féliciter. « De plusieurs manières, les démocraties occidentales ont emprunté les mêmes trajets de développement dangereux et l’utilisation éhontée des ressources naturelles, d’écosystèmes ruinés, et de lois et règlements adoptés tardivement afin de régler et de limiter les dégâts présents et futurs… Dans les années 1990, plusieurs observateurs soutenaient que le démantèlement de l’économie centralement planifiée libérerait automatiquement le développement environnemental… La réalité a prouvé être dramatiquement différente. De nouvelles menaces à la durabilité sont apparues, incluant la vente de feu des ressources, la restructuration de l’économie qui réduisit dramatiquement les ressources consacrées à la protection environnementale, et la décision du président Poutine de dissoudre l’Agence de Protection Environnementale de la Fédération russe en 2000 » (An Environmental History).
Le marxisme aujourd’hui
Aujourd’hui, le climat et l’environnement attirent un nombre grandissant d’activistes. Partout dans le monde, il existe de nombreuses luttes contre les grandes entreprises pétrolières, la fracturation hydraulique, les déchets industriels, les nouveaux projets spéculatifs de transport et d’exploitation minière, etc., et à cela se rajoute la lutte contre les promesses vides des politicien·ne·s Les marxistes font partie de ces luttes : des manifestations contre le pétrolier Shell à Seattle jusqu’à la lutte qui stoppa le projet East West Link à Melbourne, en Australie, aux mouvements locaux massifs contre les mines d’or en Grèce et contre la fracturation hydraulique en Irlande.
L’anticapitalisme prend de l’ampleur parmi les activistes climatiques. Dans le livre de Naomi Klein, « This Changes Everything » – qui, et ce n’est pas par accident, porte comme sous-titre « Capitalism Versus the Climate » – l’auteure rapporte comment les activistes de droite de type Tea Party soutiennent que le changement climatique est une fiction « communiste » créée dans le but d’implanter l’économie planifiée. Cette manière de voir les choses démontre en quoi ils comprennent que le capitalisme est incapable de régler une crise aussi énorme. Le système, dans les mots de Klein, est en guerre contre toute forme de vie sur la planète, incluant la vie humaine.
Bien sûr, le monde a changé depuis l’époque de Marx et Engels. Marx aurait sans doute suivi de près tous les rapports émis par les scientifiques de l’environnement et du changement climatique. L’inadéquation entre les fonctions interdépendantes de la planète s’est gravement empirée, et l’avilissement s’accélère. Les marxistes sont les mieux placés pour offrir une solution porteuse d’avenir dès aujourd’hui. L’amplification des crises sociales et environnementales est causée par le même système, le capitalisme, et les luttes contre lui sont interreliées.
Les compagnies pétrolières et leurs alliés n’abandonneront jamais de façon volontaire. La seule force en mesure de résoudre la crise environnementale est la force collective la plus puissante, celle de la classe ouvrière en alliance avec les nombreux militant·e·s de l’environnement, notamment les peuples autochtones, les paysans les plus pauvres et la population rurale. Les crises et les luttes s’accumulent en voie d’une révolution sociale: l’abolition du capitalisme.
Le climat et la crise environnementale se sont développés au point de souligner l’urgente nécessité d’agir. La seule réelle alternative est une planification démocratique et durable des ressources sur une base globale. Une telle société socialiste démocratique améliorera la qualité de vie d’une vaste majorité des gens, tout en posant la nature et l’humanité comme un seul corps interchangeable.
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100 ans après, que retenir de la Révolution Russe ?

Le 28 juillet 1917, peu avant la révolution d’Octobre, le journal belge Le Bruxellois titrait ‘‘Révolution russe : Le volcan menace’’. Le 10 septembre dernier, Charles Michel définissait le nouvel ennemi de la Belgique : ‘‘Dans plusieurs pays, et en Belgique aussi, nous assistons au retour du communisme, qui écrase les libertés individuelles et a toujours entrainé plus de pauvreté et de régression sociale.’’ Après tout, Charles Michel s’y connaît en régression sociale. Dans la Belgique capitaliste, 15 % des belges vivent sous le seuil de pauvreté et 20 % ‘potentiellement’ en précarité. Son gouvernement de droite dure n’a pas inversé la tendance. Cent ans après la révolution russe, voici l’occasion de revenir sur les conquêtes de celle-ci et sur ce qui l’a rendue possible.
Dossier de Julien (Bruxelles)
A la suite de l’insurrection d’Octobre 1917, il a fallu 33 heures au gouvernement soviétique pour poser les bases du nouveau régime. Pour sa première mesure, le Congrès des Soviets lançait un appel ‘‘aux peuples et aux gouvernements de toutes les nations belligérantes’’ [impliquées dans la première guerre mondiale] en vue d’une ‘‘paix démocratique juste’’. Le texte précisait d’ailleurs que cette paix se devait ‘‘d’être immédiate, sans annexions ni réparations’’. Après trois ans de guerre, 15 millions de paysans étaient sur le front et les pertes militaires et civiles s’élevaient respectivement à 1,8 millions et 1,5 millions.
Le deuxième décret abolissait ‘‘immédiatement et sans aucune indemnité la propriété foncière’’. Il mettait fin à la seigneurie foncière russe et légitimait l’appropriation, effectuée en pratique depuis l’été par les paysans, des terres cultivables ayant appartenu aux grands propriétaires ou à la couronne, voire aux paysans aisés. Avant cela, 30.000 propriétaires possédaient autant de terres que 10 millions de familles.
Le troisième décret, sur le contrôle ouvrier, assurait la prise en mains de la production pour répondre aux besoins sociaux et ce, en plus de l’instauration de la journée des 8 heures. Dès lors, tous les livres de compte et les stocks furent rendus accessibles aux représentants élus par les ouvriers. En 1918, suite à la nationalisation des principaux secteurs économiques, le Conseil Supérieur de l’Economie Nationale eut pour objectif de planifier la production nationalement. En plus des usines, les banques aussi furent nationalisées et fusionnées dans une banque d’Etat. Par décret, ‘‘les intérêts des petits épargnants seront entièrement sauvegardés’’.
La Russie de l’époque comptait des centaines de minorités nationales, allant de la Finlande aux peuples Mongols en passant par les Tatars, Estoniens ou encore les Zyrianes. Autant dire qu’ils avaient souffert sous l’aristocratie russe, particulièrement les nations asiatiques de Russie. Le gouvernement soviétique décréta ‘‘l’égalité et la souveraineté de tous les peuples de Russie’’, ‘‘le droit des peuples de Russie à disposer librement d’eux-mêmes, y compris le droit de sécession et de formation d’un Etat indépendant.’’
En manifestant à Petrograd le 8 mars 1917 (le 23 février dans le calendrier julien alors en vigueur en Russie), les ouvrières de Petrograd ne réalisaient probablement pas que leur action initierait le plus grand évènement de l’histoire de l’Humanité. Par l’action collective, les travailleuses et paysannes russes ont arraché plus de droits que ce que le capitalisme n’a jamais pu assurer et ce au lendemain même de l’insurrection de Petrograd : établissement de l’égalité juridique entres femmes et hommes, accessibilité du divorce pour toutes et tous, préservation de l’emploi en cas de grossesse, possibilité d’assurer des soins à ses enfants pendant les heures de travail, légalisation de l’avortement,… Sur les questions de genres et de sexualité, les Bolcheviks dépénalisèrent l’homosexualité et autorisèrent le changement de sexe sur les papiers d’identité.
Lénine décrivait ainsi la nécessité d’aller plus loin : ‘‘La femme a beau jouir de tous les droits, elle n’en reste pas moins opprimée en fait, parce que, sur elle, pèsent tous les soins du ménage […] Nous créons des institutions modèles, des restaurants, des crèches, pour affranchir les femmes du ménage.’’ Les Bolcheviks visaient la socialisation des tâches domestiques par le développement des services publics.
Quand les riches parlent de ‘‘liberté de presse’’, ils entendent ‘‘liberté de presse tant que tu as assez d’argent pour acheter une imprimerie et engager des journalistes’’. Par la collectivisation des imprimeries en 1917, les travailleurs avaient enfin la possibilité de s’exprimer. Les journaux patronaux rependaient rumeurs et calomnies sur le gouvernement bolcheviks en vue de briser le soutien populaire pour ces derniers et de préparer un coup d’Etat. Pour la première fois de l’histoire, la liberté de presse existait pour toutes et tous en Russie.
Rapidement, les bolcheviks initièrent le premier système d’assurance sociale. Le décret concerné obligeait les employeurs à assumer l’entièreté des cotisations sociales, à verser une somme au moins égale au salaire total en cas d’incapacité de travail ou de chômage. La gestion des caisses d’assurance fut mise dans les mains des assurés.
Début 1918, l’enseignement fut rendu obligatoire et gratuit. Les ouvriers et paysans avaient enfin accès aux écoles. Les frais universitaires furent abolis et les examens grandement réduits. Pour les nationalités privées d’écriture, des alphabets étaient créés. Dès 12 ans, les élèves étaient invités à participer au contrôle démocratique de leur école avec les travailleurs scolaires. Le nombre de bibliothèque explosa. Le nombre d’école augmenta de 50 % et le budget pour l’éducation fut multiplié par quinze.
Voici donc une partie des prétendues ‘‘régressions sociales’’ que les Bolcheviks imposèrent suite à la révolution.
‘‘Jusqu’au bout’’ ?
En juillet 2015, au sujet de l’accord conclu avec l’Eurogroupe, le premier ministre grec Alexis Tsipras déclarait avoir ‘‘livré jusqu’au bout un combat juste qui a débouché sur un accord difficile’’. En refusant d’entrer en confrontation avec la Troïka, Syriza a illustré l’impossibilité d’obtenir aujourd’hui des réformes sans mener de luttes révolutionnaires. La concentration des richesses dans les mains d’une poignée d’actionnaires limite les possibilités de réformes. L’année 2017 commençait avec le nouveau record du nombre de personnes possédant autant que la moitié de l’humanité : 8 à peine. Elle finit sur un autre record : celui de la hauteur des dividendes reversés aux actionnaires : 1208 milliards de dollars. Pour aller ‘‘jusqu’au bout’’, il aurait fallu appeler les travailleurs et les jeunes partout en Europe à lutter contre l’austérité et pour une société socialiste.
Le capitalisme n’est pas un horizon infranchissable. En plus des acquis incroyables de la révolution d’octobre, cette dernière a montré qu’il est possible et nécessaire de renverser ce système.
De la révolution de Février 1917 allaient sortir deux organes de pouvoir parallèles : les Soviets (conseils ouvriers) et le Gouvernement Provisoire. Là où les Soviets représentaient les ouvriers, paysans et soldats, le Gouvernement Provisoire était une tentative de récupérer le pouvoir par la bourgeoisie. A ce moment, elle espérait développer le capitalisme en Russie comme cela avait été le cas en Belgique ou en France. Les Mencheviks et Socialistes Révolutionnaires (SR) parlaient de socialisme comme quelque chose qui arriverait… mais pas tout de suite. Selon eux, il fallait d’abord développer le capitalisme russe. C’est pourquoi ils sont entrés dans le Gouvernement Provisoire en acceptant que la bourgeoisie russe prenne les choses en mains. Le socialisme dont ils parlaient était alors reporté à belle lurette.
Pendant des mois, le Gouvernement Provisoire promit : la paix, la redistribution des terres, la journée des 8h, le droit au divorce pour les femmes, la séparation de l’Eglise et de l’Etat,… Mais ces revendications restaient inacceptables pour la bourgeoisie russe et les grands propriétaires terriens.
Voici donc la leçon qu’ont pu tirer les masses russes à l’époque : ses aspirations seraient toujours limitées par les classes dominantes. Début avril 1917, Lénine, de retour d’exil, lança le mot d’ordre ‘‘tout le pouvoir aux soviets’’. Il conclût sur ces mots : ‘‘La révolution russe que vous avez accomplie en a marqué les débuts et a posé les fondements d’une nouvelle époque.’’
‘‘L’émancipation des travailleurs sera l’ouvre des travailleurs eux-mêmes’’
Quand on pense à un ‘parlement’, on imagine un lieu en marbre rempli de politiciens en costard-cravate avec des salaires et avantages mirobolants. Les travailleurs apprennent dès l’enfance que gérer la société, ce n’est pas pour eux, que chacun doit garder sa place.
Ce statu quo change lors de luttes d’ampleur. Les travailleurs prennent alors confiance et apprennent à gérer des quartiers, des villes,… via des organes d’auto-organisation indépendants de la bourgeoisie. Ces conseils ouvriers ont pris différents noms au cours de l’histoire mais ont toujours reflété l’unité et l’indépendance de la classe ouvrière : cordones industriales dans le Chili révolutionnaire de 1970-73, juntas durant la révolution espagnole de 1936 ou encore Arbeiter und Soldatenrat durant la révolution allemande de 1918. On peut même remonter jusqu’à la Commune de Paris en 1871. A moindre échelle, on peut citer le Soviet de Limerick en Irlande en 1919 ou le Soviet de La Argañosa dans les Asturies en 1934. Plus récemment, la Tunisie a vu émerger des Comités (de Quartier, de Vigilance, de Ravitaillement,…) au cours de la lutte héroïque des travailleurs tunisiens contre la dictature de Ben Ali. Que ce soit via des Comités de grève, des Comités d’usine ou des syndicats, la classe ouvrière a toujours naturellement cherché à s’entre-aider, particulièrement en période de lutte.
En Russie, les Soviets sont nés avec la révolution de 1905. Au départ, ils visaient à diriger les grèves ; ils étaient nécessaires pour maintenir le piquet et résister à la répression. Avec Octobre, ils seront amenés à gérer les tâches normales d’un Etat officiel à la différence qu’ils impliquaient la majorité dans le processus.
Absents pendant des années, les soviets refirent surface en février-mars 1917 à Petrograd et dans les principales villes et vers avril-mai dans les campagnes. Dès 1906, Trotsky est convaincu du rôle central qu’allaient prendre les soviets, il les décrivait comme les‘‘organisations-type de la révolution’’.
Contrairement à la Douma (parlement russe) où les députés étaient élus au suffrage censitaire et non révocables, les soviets impliquaient tous les travailleurs et leur permettaient d’exercer un contrôle sur leurs élus. Assez rapidement, les soviets s’organisèrent à grande échelle via des congrès et des comités exécutifs.
La situation de double pouvoir prit fin en octobre avec l’insurrection de Petrograd. Là où la Commune de Paris avait laissé Versailles s’organiser et écraser dans le sang la Commune, Lénine et Trotsky comprenaient que la bourgeoisie ferait tout pour prendre complètement le pouvoir, que ce soit en imposant le Gouvernement Provisoire ou via une tentative de coup d’Etat militaire.
Les 72 jours de la Commune
De la même manière que nous prenons le temps d’étudier les révolutions (celle de 1917 en particulier), les Bolcheviks étudiaient les expériences révolutionnaires antérieures. L’expérience qui avait alors été le plus loin à l’époque était la Commune de Paris de 1871. Tout comme en février 1917, la spontanéité des masses avait déplacé des montagnes. Mais en s’arrêtant aux premiers succès, en laissant Versailles et ses banques en paix, les Parisiens avaient laissé l’espace à la bourgeoisie de préparer la riposte au bout de 72 jours. Marx avait alors tiré la conclusion que ‘‘la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’Etat et de le faire fonctionner pour son propre compte’’. L’Etat bourgeois doit être brisé. Pour cela, des organisations révolutionnaires suffisamment préparées sont nécessaires. Lénine en prit bonne note.
Quand la bourgeoisie russe pressa le général Kornilov de marcher sur Petrograd pour mater la révolution, il devint clair qu’elle voulait passer à la vitesse supérieure, le Gouvernement Provisoire ne parvenant pas à endiguer les soviets. Les Bolcheviks vont alors prendre en mains la défense de Petrograd. Ils envoyèrent des militants révolutionnaires discuter avec les troupes de Kornilov et les convaincre non seulement de ne pas tirer sur les travailleurs mais même de rejoindre la révolution. La tentative de coup d’Etat fut un échec total.
Cet épisode illustre tant la faiblesse du Gouvernement Provisoire que la force des Soviets. Mais la bourgeoisie avait d’autres Kornilov en réserve. Fort du succès de la défense de Petrograd, les Bolcheviks décidèrent de ne plus attendre une nouvelle attaque de la bourgeoisie sous peine de connaître le même sort que les ouvriers de la Commune.
Le 16 octobre, le Soviet de Petrograd fonda le Comité Militaire Révolutionnaire en vue d’organiser la prise du pouvoir par le prolétariat et sauver la révolution. Avec le soutien des masses d’ouvriers, de paysans et de soldats, ils prirent le palais d’Hiver (siège du Gouvernement provisoire) fin du mois. Bien loin d’un coup d’Etat organisé dans une cave, la prise du Palais d’Hiver fut un épisode politique rendu possible uniquement car les masses n’en pouvaient plus du capitalisme et de ses politiciens. A l’époque, pas plus les Bolcheviks qu’aucun autre parti n’aurait pu faire quoi que ce soit sans le soutien des Soviets.
Véritable mémoire du mouvement ouvrier, le parti bolchevik a joué un rôle capital dans l’aboutissement de la révolution. Leur slogan ‘pain paix terre’ représentait au mieux les aspirations des masses. Comme nous l’avons vu au début de l’article, les bolcheviks défendirent les droits démocratiques de chacun en vue de permettre l’unification de tous les exploités. Ils prirent toute l’expérience des luttes du passé et prirent part sans ménagement aux luttes en Russie même.
Staline, Lénine, même combat ?
La contre-révolution stalinienne a non seulement détruit en bonne partie les acquis d’Octobre mais aussi tué dans l’œuf toute tentative de révolution à l’internationale. Dès 1924, Staline utilisa le mot d’ordre de ‘socialisme dans un seul pays’ en vue de stopper la vague révolutionnaire.
La révolution d’Octobre avait pourtant besoin de s’étendre à l’échelle internationale. Le capitalisme a mondialisé l’économie et la Russie ne pouvait pas développer sa production de manière indépendante. Surtout en tenant compte du fait qu’elle sortait tout juste de la Première Guerre Mondiale et que 21 armées étaient entrées en croisade contre le jeune Etat soviétique.Lénine et Trotsky défendaient la nécessité d’étendre la révolution d’abord à l’échelle internationale puis mondiale pour maintenir les acquis d’Octobre. Fin des années ‘10, sur fond de Première Guerre Mondiale, l’Europe connaissait une vague de révolutions: Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie, Irlande,… Lénine fondait de grands espoirs dans la Révolution Allemande. La Révolution Russe servait d’exemple aux travailleurs allemands dans leur tentative de prendre le pouvoir. Une Allemagne socialiste, avec le prolétariat le plus grand et le plus organisé du monde à l’époque aurait donné un essor incroyable à la Russie soviétique non seulement par son avancée économique mais aussi en empêchant les pays capitalistes de s’unir contre celle-ci.
En 1919, Lénine fonde l’Internationale Communiste en vue d’étendre l’expérience des Bolcheviks et de construire une direction révolutionnaire capable de concrétiser la prise de pouvoir par la classe ouvrière. Malheureusement, l’échec de la révolution allemande, l’assaut de 21 armées sur la Russie Soviétique et, finalement, l’arrivée au pouvoir de Staline et de la bureaucratie ont stoppé ce mouvement. La démocratie ouvrière russe s’est ainsi trouvée isolée et étouffée. Staline n’est pas l’apprenti de Lénine mais son fossoyeur.
Et aujourd’hui ?
En dépit d’une crise de proportion historique, le capitalisme ne disparaîtra pas de lui-même. Les travailleurs, les jeunes et les opprimés ont un besoin vital d’organisations qui lient leurs luttes au quotidien pour des meilleures conditions de vie et de travail à l’objectif de transformer durablement la société.
L’élan révolutionnaire des masses d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en 2011 avait initialement rencontré un puissant écho à l’échelle internationale, suite à la chute des dictatures de Ben Ali (en Tunisie) et de Moubarak (en Egypte). Mais l’absence d’organisations révolutionnaires avec un enracinement suffisant parmi les travailleurs, les classes populaires et la jeunesse, a ouvert la voie à un retour de la contre-révolution sous différentes formes.
Partout, la colère des masses gronde. Le seul élément déficient est une alternative politique de masse qui puisse organiser la classe ouvrière, la jeunesse et les pauvres à l’échelle internationale autour d’un programme cohérent de transformation sociale.
Face au chaos capitaliste, la seule reprise économique viable est celle qui viserait à ce que la classe des travailleurs se réapproprie le contrôle des grandes banques et des secteurs stratégiques de l’économie, et planifie démocratiquement la production, afin de répondre aux besoins de tous et toutes. Le socialisme démocratique permettrait que l’ensemble des ressources et capacités productives modernes soient mis au service de toute la société dans le respect de l’environnement, au lieu d’être siphonné par une minorité qui s’enrichit toujours plus tout en ruinant la vie de l’immense majorité des habitants de la planète.
Notre organisation socialiste internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), lutte sans relâche au côté des travailleurs et des jeunes à travers le monde avec ses sections, ses militants et ses sympathisants présents dans une cinquantaine de pays sur tous les continents. Rejoindre ce combat est la meilleure manière de commémorer le centenaire de la Révolution russe.