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Tag: Socialisme
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Que se passe-t-il à l’ULB ? Une dénonciation du capitalisme.
Carte Blanche des Etudiants de Gauche Actifs
La semaine passée, une carte blanche de Bill Wirtz, coordinateur local pour le groupement libéral Students for Liberty, critiquait la tenue d’un meeting sur la révolution cubaine à l’occasion des 50 ans de la mort de Che Guevara. L’organisation à l’initiative de ce meeting, Etudiants de Gauche Actifs (EGA) aimerait clarifier certains points : Che Guevara était-il stalinien ou un véritable socialiste ?Julien Englebert, responsable Etudiants de Gauche Actifs (EGA) – ULB.
Le socialisme n’a rien à voir avec le stalinisme.
Les commémorations sont des occasions pour tirer des leçons du passé, de la lutte contre la dictature de Batista à Cuba et l’expérience du Che dans le cas présent. En tant que socialistes, nous voulons réhabiliter le marxisme comme méthode d’analyse. Comme disait Mélenchon : « C’est la rue qui a abattu les rois et les nazis ». Bill Wirtz demande que l’Histoire soit enseignée plus sérieusement dans les écoles. Est-il sérieux, comme il le fait, de se référer au Livre noir du communisme dont l’auteur, Stéphane Courtois, a inventé le chiffre de « 94 millions de morts » sous les dictatures se proclamant du communisme ? Le stalinisme ne doit pas être combattu par ses méthodes, la réécriture des faits.
Che Guevara était un véritable socialiste. Il s’est battu toute sa vie contre la guerre et l’exploitation et cherchait à construire une société où les richesses seraient mises en commun et où l’économie serait gérée collectivement afin de faire correspondre la production aux besoin de tous. Sous le capitalisme, le profit gouverne l’activité économique, assurant à une minorité de vivre dans l’abondance sans travailler.
Comme aujourd’hui, les multinationales pillaient les ressources de l’Amérique Latine. Cuba, alors casino et bordel des USA, souffrait d’une misère incroyable : manques d’écoles, d’hôpitaux… et fort taux d’analphabétisme. La révolution cubaine a permis de lancer un système de soin de santé augmentant l’espérance de vie de 19 ans et un système d’éducation gratuit et massif.
Che Guevara s’est battu pour que l’île se libère de la dépendance par rapport aux économies étrangères. Il soutient pour cela l’industrialisation et la modernisation de l’économie et une réforme agraire basée sur la polyculture. Il initie un vaste débat international sur les méthodes pour arriver au socialisme. Réalisant que la révolution cubaine ne peut survivre seule dans un océan capitaliste, il entend internationaliser la révolution et parcourt l’Amérique Latine, l’Afrique et l’Asie.
Ceci le place comme ennemi du stalinisme. La caste bureaucratique au pouvoir en URSS maintenait sa position en empêchant l’internationalisation de la révolution et en plaçant les pays du bloc soviétique sous sa dépendance économique. Le mouvement du 26 juillet s’est tourné vers l’URSS en cherchant des alliés mais sans réelle perspective socialiste. Ils copièrent alors des éléments de la bureaucratie soviétique et imposèrent, sur demande de l’URSS, la monoculture sucrière contrairement à l’avis du Che. Guevara s’opposait au stalinisme et voulait éviter que la bureaucratisation se développe à Cuba.
Dans une révolution, les masses écrivent l’histoire et construisent leur avenir. Les coups d’Etat et la violence sont les méthodes des nantis qui voient partir leurs privilèges. La CIA a maintes fois tenté de mettre à genoux le peuple cubain pour défendre les intérêts des multinationales comme la United Fruit Company. Le débarquement de la baie des Cochons n’est qu’un des nombreux exemples de cela.
L’erreur fatale du Che est de baser la révolution sur la guérilla, un groupe restreint de personnes. Les masses n’ont pas joué de rôle actif dans le processus. Les ouvriers n’ont pas été impliqués pour bloquer les multinationales et initier des comités de grève qui auraient pu prendre en main collectivement la révolution. Ceci a laissé l’espace au développement d’une bureaucratie qui a récupéré les reines de la société. La démocratie est l’oxygène de la révolution et celle-ci manque effectivement à Cuba. Les acquis de l’économie planifiée en termes de santé et d’éducation sont pourtant bien là. Elle a permis le développement de l’ile comme jamais les actionnaires des multinationales ne l’auraient permis. Plutôt que de ramener la misère capitaliste, il faut continuer la révolution. Pour développer ces points, nous comptons réorganiser notre meeting sur le cinquantenaire de l’assassinat de Che Guevara le mardi 14 novembre à l’ULB.
Engagement contre l’extrême-droite et défense des droits des femmes
Bill Wirtz veut coller l’étiquette « stalinien » sur ceux qui luttent contre le capitalisme, EGA en particulier. Il n’y a pourtant plus d’organisation stalinienne à l’ULB. Nous n’avons jamais défendu le stalinisme, bien au contraire.
Pour information, si on imagine mal la tenue d’événements glorifiant Pétain ou Himmler, c’est grâce à l’histoire de la Résistance. Sous l’Occupation, l’université ferme ses portes en 1941 plutôt que d’accepter les professeurs imposés par les nazis et un groupe de résistants de l’ULB, le Groupe G, est initié par des étudiants et des professeurs. Nous défendons cet héritage : pas de forum pour les nazis ! Nous organisons chaque année en mars une manifestation contre le NSV, cercle étudiant d’extrême-droite en Flandre, non pour aller vers la confrontation de rue avec les fachos mais pour construire une mobilisation la plus large possible contre les néo-nazis et le populisme de droite.
Nous ne pensons pas que « plus rien ne semble choquer les étudiants ». La colère énorme à l’ULB contre la publicité pour la prostitution étudiante il y a quelques semaines en est un l’exemple. La précarité étudiante et le sexisme ambiant constituent le terreau sur lequel des entreprises comptent faire du profit. Sur son site, Bill Wirtz avance que celles et ceux qui ont été dérangé par la publicité ne devraient pas faire d’études. Selon nous, il est nauséabond de défendre l’oppression des femmes contraintes de vendre leur corps pour subvenir à leurs besoins. Nous participerons à la manifestation contre les violences sexistes ce 25 novembre à Bruxelles.
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[DOSSIER] Face à la crise capitaliste, le retour du socialisme ?

Le 16 juin dernier, on a pu lire dans le très sérieux et très capitaliste New York Times un article titré : ‘‘Pourquoi tant de jeunes électeurs se dirigent-ils vers de vieux socialistes ?’’ en remarquant que des personnalités politiques telles que Bernie Sanders aux Etats-Unis et Jeremy Corbyn au Royaume Uni étaient capables de susciter un enthousiasme impressionnant, plus particulièrement parmi les jeunes. Quand nous parlons ici de ‘‘socialisme’’, nous ne parlons pas du PS français ou francophone et de leur désormais longue expérience au service des entreprises, mais bien d’une politique offensive en faveur des masses. D’où cela provient-il et, surtout, qu’est-ce que le socialisme peut bien nous apporter aujourd’hui ?
Dans les pages du New York Times, la journaliste Sarah Leonard expliquait notamment: ‘‘L’ordre capitaliste post-guerre froide a échoué pour nous: à travers l’Europe et les USA, les jeunes vivent moins bien que leurs parents et sont trop pauvres pour pouvoir commencer une nouvelle vie de famille. Aux Etats-Unis, ils plient sous le poids de leur dette étudiante (ils trouvent plus difficilement un emploi sans diplôme supérieur) et sont engagés dans des emplois précaires sans protection syndicale. Et la terre fond, aussi. (…) Particulièrement depuis 2008, nous avons vu les grandes entreprises saisir les maisons de nos familles, exploiter nos dettes médicales et nous priver de travail. Nous avons vu nos gouvernements imposer une austérité brutale pour satisfaire les banquiers. Les capitalistes n’agissent pas de la sorte par accident, ils le font pour le profit, et ils investissent ce profit dans nos partis politiques. Pour nombre d’entre nous, le capitalisme est quelque chose à craindre et non à célébrer, et notre ennemi est à Wall Street et à la City de Londres.’’
Une pareille situation pousse à rechercher une alternative contre la crise capitaliste. Selon un sondage de l’université d’Harvard de 2016, 51% des Américains entre 18 et 29 ans rejettent le capitalisme, et un tiers disent soutenir le socialisme. Un autre sondage réalisé en 2011 montrait que, pour la même tranche d’âge, plus de personnes avaient une vision positive du socialisme que du capitalisme. Ce qui se cache derrière le terme ‘‘socialisme’’ est encore très flou, mais il ne saurait en être autrement après plus de deux décennies où les capitalistes ont martelé quasiment sans opposition qu’il n’existait pas d’alternative à la mondialisation capitaliste et son effroyable logique de concurrence. Les dirigeants syndicaux et la social-démocratie les ont longtemps suivis sur cette voie en glissant toujours plus loin à droite. Mais des pas en avant ont été effectués.
Aux Etats-Unis, l’élection de Kshama Sawant à Seattle et la campagne pour l’élection présidentielle américaine de Bernie Sanders ont clairement indiqué que de nouvelles graines avaient été semées et commencent à éclore. En effet, la conscience socialiste se développe. Et si cela est possible même aux États-Unis, le bastion du capitalisme mondial, il n’y a aucune raison que cela ne prenne pas une voie similaire ailleurs, ce qu’illustrent le mouvement derrière Jeremy Corbyn au Royaume Uni et, dans une moindre mesure, celui derrière la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon.
Un capitalisme en faillite, des élites parasitaires, une explosion des inégalités
Au début de cette année, l’ONG OXFAM a publié sa désormais traditionnelle étude consacrée aux inégalités publiée à la veille du Forum économique mondial de Davos. En se basant sur les données fournies par le Crédit Suisse, OXFAM est arrivé cette année à ce constant sans appel : les 8 personnes les plus riches sur terre possèdent plus que la moitié la plus pauvre de l’Humanité. Le pour-cent le plus riche au monde possède plus que les 99% restant !
Aujourd’hui, 20 millions de personnes sont menacées par la famine en Afrique et dans la péninsule arabique. Il s’agit de la pire crise humanitaire depuis 1945. Selon l’ONU, 2,4 milliards de personnes sont privées d’accès à l’eau potable. Même en France, un million de démunis n’ont pas accès à l’eau ! Et combien de personnes n’ont pas accès à l’enseignement ? des soins de santé dignes de ce nom ? Tout cela alors que jamais il n’y a eu autant de richesses qu’aujourd’hui. Mais les priorités se trouvent ailleurs… Ainsi, en 2016, la course à l’armement a accaparé quelque 1680 milliards d’euros. Le capitalisme est une menace pour l’avenir de la planète. L’avidité conduit à une production aveugle qui ne tient aucun compte de l’homme ou de l’environnement.
Cette élite de nantis au sommet de la société n’a pas produit les richesses extrêmes qu’elle a emmagasinées, il s’agit d’un vol pur et simple réalisé sur le dos du reste de la population. Un peu avant la crise de 2008, Warren Buffet (la deuxième fortune au monde avec 75,6 milliards de dollars) expliquait dans une interview : ‘‘il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner’’. Alors qu’il affrontait Hillary Clinton au cours des primaires démocrates pour les présidentielles, Bernie Sanders lui a en quelques sortes répondu : ‘‘Nous pouvons nous attaquer à la classe des milliardaires qui n’en a rien à faire des travailleurs et de leurs enfants. Nous sommes plus nombreux qu’eux’’.
Le système capitaliste est construit autour d’une donnée fondamentale: la propriété privée des moyens de production et d’échange. Organisée de cette manière, l’économie met en compétition les propriétaires de moyens de production, les capitalistes, qui cherchent une rentabilité maximale. De là découle le problème cyclique du capitalisme : les crises de surproduction. A force de pousser vers le bas la part des richesses revenant à la collectivité et aux travailleurs afin de rester compétitif, les capitalistes ne trouvent plus suffisamment de marchés et de débouchés pour vendre les marchandises. Les unités de production tournent alors au ralenti après avoir cherché le moindre gain de productivité.
Les forces productives ont amplement été développées, mais elles ne sont pas systématiquement utilisées. Seul compte le profit à court terme. De leur côté, les gouvernements et les politiciens traditionnels sont au service des intérêts du capital et c’est à cet objectif que l’appareil d’État ou le pouvoir judiciaire est utilisé. Le capitalisme est soi-disant un ‘‘marché libre’’ et une ‘‘démocratie’’ mais quelle participation démocratique avons-nous concernant la manière de produire ? Des milliards de personnes à travers le monde n’ont que la liberté d’être exploités ou de connaître la misère et la guerre.
Qu’est-ce que le socialisme ?
Une société socialiste assimilerait l’énorme potentiel des talents de chacun et de la technologie pour édifier une société et une économie au service des besoins de tous. Cela ne signifie pas que tous les problèmes seraient immédiatement résolus, loin de là, mais la suppression du profit marquerait le début de la construction d’une nouvelle société, ce qui n’est possible qu’à l’échelle internationale.
Les marxistes sont en faveur d’une économie démocratiquement planifiée, une économie où les grandes entreprises qui dominent aujourd’hui plus de 80% de l’économie seraient mises sous le contrôle démocratique de la collectivité, ce que nous appelons le contrôle ouvrier. Cela ne signifie toutefois pas que tous les petits commerces, les boulangeries, les boucheries, etc. seraient nationalisés.
Un régime socialiste nous permettrait d’avoir bien plus à dire que sous la ‘‘démocratie’’ parlementaire capitaliste, qui ne nous accorde que des élections fort médiatisées après quelques années, tout ça pour élire des représentants qui ne défendent pas nos intérêts et qui ne doivent en rien se justifier auprès de leurs électeurs. Pour les marxistes, tout le monde doit pouvoir participer au processus de prise de décision quant à la manière dont sont gérées l’économie et la société. Les élus devraient toujours avoir à se justifier et être révocables, à tous niveaux, par leurs électeurs. De plus, les représentants ne toucheraient que le salaire moyen d’un travailleur, afin de garder un lien concret avec le quotidien de la majorité de la population.
Une démocratie des travailleurs implique que toute la collectivité travaillerait ensemble à la planification de la production. A tous les niveaux, sur les lieux de travail et dans les quartiers, des comités de représentants seraient organisés, sur les plans régionaux et nationaux, sous le contrôle d’assemblées générales de base pour discuter et décider de ce qu’il conviendrait de produire, comment, en quelle quantité, etc. Chacun aurait ainsi la possibilité de réellement participer aux décisions et à la gestion de la société. Des mesures telles que le partage du temps de travail et la prise en charge des tâches domestiques par la collectivité fourniraient à tout le monde la possibilité de s’engager activement dans la gestion quotidienne de la société. La participation démocratique pourrait ainsi être stimulée à un degré jamais vu.
Le capitalisme a développé plusieurs outils pour nous faciliter cette tâche, comme l’enseignement, qui fournit un niveau supérieur d’éducation, ou encore les nouvelles technologies, qui rendent la communication beaucoup plus facile et potentiellement bien plus accessible. La planification de l’économie n’est pas une utopie, les grandes entreprises et les multinationales fonctionnent d’ailleurs sur base d’une planification de leurs activités à grande échelle. Mais porter cela au niveau de la société implique que l’on s’attaque à elles.
Le socialisme va bien au-delà du simple partage des richesses. Il s’agit également de décider de ce qui est produit et de quelle manière. Nous voulons immédiatement en finir avec le gaspillage consacré à des industries comme celle de la publicité. Nous voulons répartir le travail disponible au lieu de demander à une couche de travailleurs de travailler plus dur et plus longtemps alors qu’une autre couche (y compris beaucoup de jeunes) est au chômage.
Mais aujourd’hui, dans le cadre d’une société où le profit est sacré et où l’humanité souffre sous ses diktats, il n’est pas possible de donner une vue complète de ce que sera une société socialiste. Nous ne pouvons que donner un léger aperçu en mettant en lumière les conditions qui permettront au potentiel existant d’être utilisé dans l’intérêt de la majorité de la population. Une telle société poserait les bases matérielles afin que les talents et les aptitudes de chacun puissent s’épanouir sans entrave, afin que l’art, la culture, la science, ne soient plus le privilège de quelques-uns, mais puissent au contraire, comme le disait Trotsky “élever l’homme moyen à la taille d’un Aristote, d’un Goethe, d’un Marx.”
Le socialisme n’aboutira-t-il pas à une dictature bureaucratique comme en Russie ?
Les monstrueuses dictatures bureaucratiques et sanglantes de Russie, de Chine, d’Europe de l’Est et d’ailleurs étaient une négation totale du véritable socialisme démocratique. Mais il est fondamental que les marxistes d’aujourd’hui étudient l’expérience de la Révolution russe afin d’expliquer les raisons qui ont conduit à sa dégénérescence bureaucratique. En fait, ce processus trouve ses racines dans des conditions historiques spécifiques et non dans la nature humaine.
La Révolution russe de 1917 a permis à la classe ouvrière de renverser le capitalisme pour la première fois et d’instaurer une nouvelle société socialiste. L’Union Soviétique des premiers temps était le gouvernement le plus démocratique que le monde ait jamais connu: ouvriers et paysans dirigeaient la société démocratiquement par l’intermédiaire de conseils ouvriers (c’est-à-dire, en russe, des soviets). C’est le premier État au monde à avoir donné aux femmes la totalité des droits légaux, comme le droit de vote et celui d’avorter. L’Union Soviétique avait aussi légalisé l’homosexualité.
Les dirigeants bolcheviks Lénine et Trotsky, ont toujours expliqué qu’il était impossible d’instaurer le socialisme dans un seul pays, et plus particulièrement dans les conditions semi-féodales de la Russie de l’époque. Pour eux, la Révolution russe ne pouvait parvenir à survivre qu’en s’étendant aux puissants pays capitalistes d’Europe occidentale.
Les principales puissances impérialistes ont elles-mêmes reconnu que la Révolution russe n’était pas une affaire purement locale et que le capitalisme était mondialement menacé. Elles ont donc participé à une sanglante guerre civile du côté des capitalistes et des propriétaires terriens russes afin de renverser le nouveau gouvernement soviétique. 21 pays ont envahi la Russie pour soutenir la contre-révolution (États-Unis, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Japon,…) Pour que les bolcheviks arrivent à remporter la guerre civile (1918-1921), la vague de révolutions qui a déferlé sur toute l’Europe et dans le monde a été décisive. La Révolution russe et l’appel des bolcheviks aux travailleurs du monde entier au soulèvement contre la Première Guerre Mondiale avaient mis le feu aux poudres. Les soulèvements révolutionnaires en Allemagne et à travers l’Europe ont entraîné la fin de la guerre et ont forcé les classes dirigeantes à retirer leurs troupes hors de Russie afin d’éviter d’autres bouleversements dans les pays capitalistes.
Malheureusement, ces révolutions n’ont pas réussi à renverser le capitalisme. A la différence de la Russie, il n’existait aucun parti révolutionnaire de masse disposé à mener les révolutions jusqu’à leur terme. Au lieu de cela, les partis ouvriers de masse en Europe ont été dominés par les dirigeants réformistes qui ont joué un rôle décisif pour sauver l’économie capitaliste. Ainsi, alors que l’Union Soviétique a vaincu la contre-révolution, la jeune république Soviétique est restée isolée. La Première Guerre mondiale puis la guerre civile avaient laissé le pays dans une situation désastreuse, les masses épuisées, au chômage et affamées. Tout cela a constitué la base pour l’accession au pouvoir d’une caste bureaucratique conservatrice. La bureaucratie, groupée autour de Staline, a concentré le pouvoir dans ses mains dans les années ’20 et ’30 et a démoli les droits démocratiques que la classe ouvrière russe avait réussi à obtenir.
Les nombreuses révolutions qui, plus tard, ont pris place dans le monde néocolonial et en Europe ont malheureusement regardé la Russie comme le modèle à suivre, et le gouvernement bureaucratique soviétique a pu exporter son modèle stalinien vers la Chine, l’Europe de l’Est, et ailleurs.
Et la nature humaine ?
La classe dirigeante voudrait bien nous convaincre que la société capitaliste ou la société de classe est le produit inévitable de la nature humaine. Si la biologie peut expliquer certains éléments de notre comportement, la nature humaine n’est en rien statique et immuable.
Pendant des millions d’années, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades, le gens vivaient de façon égalitaire. L’alimentation, le logement et tout le nécessaire de survie était partagés de manière équitable dans la société. Ce n’est qu’après la révolution agricole, quand les tribus nomades se sont installées pour cultiver, qu’un surplus de richesses a été créé pour la première fois dans l’histoire et qu’une classe dirigeante a pu se développer.
Plusieurs classes dirigeantes ont depuis affirmé que la ‘‘nature humaine’’ veille à ce qu’un homme soit esclave pendant qu’un autre est roi, désigné par Dieu pour régner sur tous les autres. En fait, ce sont les conditions physiques et les processus de production qui constituent la base des relations entre les différentes classes sociales.
La classe des travailleurs d’aujourd’hui possède une force potentielle sans précédent. En raison de sa place dans le processus de production, elle est la seule force sociale capable d’obtenir des changements fondamentaux : ce sont les travailleurs qui sont à la base de toute valeur produite. En utilisant la technologie moderne d’aujourd’hui dans l’intérêt de tous les travailleurs, le socialisme créera la base pour fondamentalement changer la culture humaine. Au lieu d’une société qui récompense l’avidité et l’égoïsme, une société socialiste mettra l’égalité et la justice au centre de ses priorités.
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Albert Einstein – ‘‘Pourquoi le socialisme ?’’ – Extrait
Texte écrit en 1949 et publié dans le premier numéro de la publication d’orientation marxiste Monthly Review (disponible sur marxisme.be).
‘‘La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus (…). Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future.
‘‘Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, à savoir, l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux. Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’une façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant. L’éducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle.’’
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Des socialistes qui se remplissent les poches renforcent la droite
De vrais socialistes luttent pour un autre système !La longue suite de scandales sur la cupidité des politiciens a durement frappé le PS. Rien d’étonnant : certains ont été jusqu’à arrondir leurs fins de mois au détriment des plus faibles comme les sans-abris ! Pire encore, les responsables se disent ‘‘socialistes’’. Si le PS subit une sévère punition électorale, ce n’est pas parce qu’il se réclame du socialisme, mais parce qu’il n’a plus rien à voir avec cela.
La logique néolibérale de rentabilité et de salaires de haut vol a contaminé le secteur public. Rien d’étonnant non plus : tous les partis traditionnels – dont les sociaux-démocrates – ont adopté et appliqué le néo-libéralisme. Les services publics étaient des entreprises publiques: le service a cédé la place à la chasse aux profits. Les politiciens traditionnels se sont comparés aux managers du secteur privé pour qui le moindre souffle de vent est prétexte à une augmentation.
La colère contre toutes ces rémunérations exagérées est d’autant plus grande qu’elles sont dévoilées à la suite d’années d’austérité qui ont vu fondre les conditions de vie des travailleurs et de nos services publiques. Alors que ces derniers ployaient sous le manque de moyens, des politiciens ont continué à se servir dans les caisses. La manœuvre est connue, c’est une étape vers la privatisation complète qui verra les profits et les salaires démesurés aller vers les grandes entreprises. Nous exagérons ? Pensons à la N-VA qui, à Anvers, souhaitait transférer la gestion des personnes sans-abri à la société G4S… La menace est pour l’instant écartée, mais l’accueil des personnes sans-abri en a néanmoins souffert (voir en page 5). Que cela soit au profit de politiciens du PS ou d’actionnaires, cet enrichissement au détriment des plus démunis nous semble tout aussi scandaleux.
Les choses ne se résument pas à quelques personnalités aux mains sales. C’est tout le système qui est problématique, son fonctionnement garantit la croissance des inégalités et les excès de toutes sortes.
Cette colère a soutenu l’envol de la popularité de ‘‘vieux socialistes’’ tels que Bernie Sanders, Jean-Luc Mélenchon et Jeremy Corbyn. Le PS et le SP.a peuvent bien théoriquement être ‘‘socialistes», ils ont cependant depuis longtemps vidé le terme de son contenu. Si Sanders, Corbyn et Mélenchon ont pu bénéficier d’un aussi formidable écho, c’est parce qu’ils ont très clairement pris les intérêts de la majorité de la population comme point de départ de leur approche politique. Il peut paraitre contradictoire au premier abord que le socialisme connaisse un renouveau au moment même où le PS s’effondre. Mais la social-démocratie ne sait plus depuis longtemps ce que signifie le socialisme.Pour leurs opposants, le programme de Corbyn, Sanders ou Mélenchon est ‘‘impayable’’ et ‘‘irréaliste’’. Cet ‘‘argument’’ est devenu le dernier rempart des partisans sociaux-démocrates du néolibéralisme. Ces derniers n’ont en revanche jamais considéré que les innombrables diminutions d’impôts pour les grandes sociétés ou les régimes fiscaux favorables aux plus riches fussent inestimables. Visiblement, disposer d’un enseignement de qualité et accessible, d’un bon logement, de transports en commun pleinement opérationnels, etc., tout cela est accessoire.
Cela fait des décennies que l’on nous martèle que tout fonctionnerait tellement mieux une fois intégrée la logique de rentabilité et de profit. L’horrible réalité a été dévoilée lors du drame de l’incendie de la tour Grenfell à Londres : soumettre les logements sociaux à cette approche équivaut à considérer les mesures de sécurité comme des dépenses de trop. Cette catastrophe n’a pas été causée parce que des règles ont été violées ou que différentes normes de sécurité existent au Royaume-Uni, mais parce que les autorités néolibérales payent les régimes fiscaux favorables aux plus nantis (comme les promoteurs immobiliers) en allant puiser dans les fonds publics au détriment de la sécurité ou des investissements d’entretien nécessaires.
Nous n’en sommes encore qu’au début du renouveau des idées socialistes. Toutes ces revendications ‘‘old school’’ tout au plus considérées jusqu’il y a peu comme pittoresques suscitent un grand enthousiasme. La (re)nationalisation d’industries ou de services, l’enseignement gratuit, etc. font appel à l’imagination. Mais tout cela reste conditionné à la stratégie à adopter pour en faire une réalité. Corbyn défend la renationalisation du rail, mais uniquement à mesure de l’expiration des licences d’exploitation accordées au privé. Son passage à l’énergie renouvelable passerait par une expansion progressive du contrôle public sur l’énergie au côté des géants du privé actuels. Mélenchon fait essentiellement reposer son projet sur l’argument selon lequel des salaires plus élevés pourraient parvenir à stimuler l’économie et sur des dispositions légales pour contrôler les entreprises.
Ces revendications représentent un bon début, mais l’enthousiasme pour de tels programmes existe en raison de l’aperçu qu’il donne pour une rupture complète et immédiate avec la casse sociale et l’exploitation capitaliste. Faire face aux changements climatiques, pour ne prendre qu’un exemple, exige de ne pas s’en remettre au ‘‘marché libre’’ pour assurer une transition énergétique rapide. En effet, cela nécessite des investissements publics massifs.Riposter au chantage et au sabotage du capitalisme exige d’adopter une position ferme. Nous ne pourrons pas passer à côté de la nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Les gains de ces secteurs pourraient alors être utilisés pour réaliser les investissements cruciaux nécessaires dans les services publics et la recherche scientifique, tandis que le contrôle démocratique des travailleurs est essentiel pour protéger les secteurs nationalisés du sous-financement et de la corruption. Les véritables socialistes ne se remplissent pas les poches, ils luttent activement pour une société socialiste ! Rejoignez le PSL !
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Le socialisme à nouveau populaire aux Etats-Unis
Ces dernières années furent marquées par la recrudescence des luttes sociales aux États-Unis : du mouvement pour un salaire minimum de 15$/h aux manifestations historiques au lendemain de l’investiture de Donald Trump (plus de 3 millions de personnes !), en passant par les luttes écologiques, Black Lives Matters (contre les meurtres et violences racistes de la police), etc. À cette colère se couple une recherche croissante d’alternative, qui s’est notamment cristallisée autour de Bernie Sanders et de son appel à une ‘‘révolution politique contre la classe de milliardaires’’ lors de la campagne pour les primaires du Parti démocrate. Pratiquement un an plus tard, comment poursuivre cette dynamique ?Par Clément (Liège)
Lors de la campagne pour l’investiture du Parti démocrate aux élections présidentielles, Bernie Sanders a largement illustré le potentiel pour une gauche qui défend clairement les intérêts de la majorité sociale. Ses meetings monstres attiraient parfois jusqu’à 27.000 jeunes et travailleurs; 7 millions d’Américains ont fait un don financier d’une moyenne de 30$ pour financer sa campagne ; malgré les sabotages de l’appareil du Parti démocrate, il fut à deux doigts de remporter la primaire avec plus de 13 millions de votes. Ses revendications en faveur d’un salaire horaire minimum de 15$, d’investissements publics massifs, d’un système d’assurance santé collectif, etc. ont rencontré un grand écho.
Son appel pour une ‘‘révolution politique contre la classe des milliardaires’’ a enflammé les esprits. Plus frappant encore, il s’est ouvertement réclamé du socialisme. Bien qu’il entende par là un État providence ‘‘à l’européenne’’ et non un contrôle et une gestion de la production et de la répartition des biens par la collectivité, cela contribue largement à ouvrir la discussion sur les idées du socialisme dans la société américaine. En avril 2016, un sondage de l’université d’Harvard soulignait que 33% des jeunes de 18-29 ans avaient une vision positive du socialisme et que 51% d’entre eux ‘‘ne soutiennent pas le capitalisme’’.
Transformer le Parti démocrate ?
Malgré les grands espoirs qu’elle incarnait, l’administration Obama n’a pu faire aboutir que de faibles réformes sociales, tout en renflouant les grandes banques alors que des millions d’Américains perdaient leur logement ou leur travail des suites de la crise et étaient laissés sur le bas-côté. Le Parti démocrate n’est pas et n’a jamais été un parti progressiste apte à défendre les travailleurs. L’opposition active menée par l’appareil du Parti démocrate contre la campagne de Sanders et la campagne pro big business de Clinton ont encore souligné ce fait. Soutenir Clinton après qu’elle ait remporté les primaires fut donc une énorme erreur de la part de Sanders, d’ailleurs bien comprise par les centaines de délégués qui quittèrent la convention démocrate à cette annonce.
Cependant, beaucoup d’illusions persistent à ce sujet. La présidence de Trump et la vague de résistance qu’elle engendre peuvent, en effet, pousser certaines sections du Parti démocrate à virer sur la gauche afin de se présenter comme une alternative aux politiques réactionnaires de l’actuel président. Certains militants y voient une opportunité pour essayer de ‘‘reconquérir’’ le Parti démocrate et le transformer de l’intérieur. C’est en substance la position de Sanders et de son mouvement ‘‘Our revolution’’. Si des confrontations aboutissant à des victoires partielles peuvent avoir lieu, il ne faut cependant pas oublier que ce parti représente un outil trop important pour la classe dominante pour que cette dernière le laisse simplement être conquis.
La nécessité d’un parti indépendant des travailleurs
Ce que l’immense succès de la campagne de Sanders a illustré, c’est la nécessité cruciale d’un nouveau parti basé sur une indépendance de classe au sein duquel les milliers de travailleurs enthousiastes à l’idée de transformer profondément la société puissent s’organiser et débattre démocratiquement du programme et de la stratégie à adopter. Cet enthousiasme s’exprime par la croissance rapide des organisations de gauche aux USA dont Socialist Alternative (parti frère du PSL aux USA), qui déjà en 2014 annonçait la création de nouvelles sections dans 45 villes, et les Démocratic Socialist of America (DSA – la plus grosse organisation de gauche aux USA) qui a vu son nombre d’adhérents doubler en 2 ans pour atteindre les 20.000 membres.
En parallèle, les candidatures de gauche aux élections locales se multiplient, à l’image de celle de Ginger Jentzen à Minneapolis (Socialist Alternative) ou de Nikita Oliver et Jon Grant à Seattle. À l’approche des élections de mi-mandats qui voient également se tenir de nombreuses élections fédérales et locales, ces candidatures pourraient fournir la base du développement d’un véritable parti des travailleurs ancré dans les luttes quotidiennes de la classe des travailleurs, refusant l’argent des grandes entreprises et qui défend une transformation radicale de la société. Socialist Alternative a d’ores et déjà formulé une proposition aux DSA en ce sens.
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Contre les inégalités, luttons pour le socialisme !
Depuis 2016, le pourcent le plus riche de l’Humanité possède autant que les 99% restant. En Belgique, les 20 familles les plus riches possèdent ensemble 86 milliards d’euros. Ce montant est 82 fois plus élevé que les coupes budgétaires de la ministre Maggie De Block dans la sécurité sociale et les soins de santé combinées. C’est 86 fois le budget pour l’asile et la migration en 2016. 1500 fois le montant des nouvelles mesures d’austérité sur les pensions. Et ainsi de suite. Voilà des chiffres qui font tourner la tête, qui mettent en colère, mais qui font aussi parfois hausser les épaules. Un parti peut-il y changer quelque chose après tout ?Par Michael Bouchez, article tiré de l’édition de mai de Lutte Socialiste
La politique d’austérité que nous subissons depuis des années n’est rien d’autre qu’un transfert d’argent des pauvres vers les hyper-riches. A travers le globe, la logique néolibérale a démoli ou privatisé les services publics afin de garantir les profits de l’infime élite capitaliste. On nous vole le peu que nous avons tandis que les milliardaires dorment tranquilles. Les inégalités empirent quotidiennement: 32,5% de tous ceux qui vivent du salaire d’intégration sont des jeunes entre 18 et 24 ans. En 2014, il ne s’agissait que de 10,7%. Nous nous épuisons à la tâche, recevons moins de pension, les jeunes tombent dans la pauvreté et le gouvernement prétend que les fonctionnaires, les chômeurs, les malades ou les réfugiés sont des profiteurs.
Partout, en Europe et ailleurs, la classe des travailleurs réagit à cette misère en tournant le dos aux partis traditionnels et en recherchant des alternatives. C’est ce que l’on a observé en Grèce, avec Brexit, le déclin du parti travailliste néerlandais ou encore à la présidentielle française où les candidats des deux formations politiques traditionnelles (PS et Les Républicains) n’ont pas survécu au premier tour.
Le danger est que les populistes de droite essayent d’instrumentaliser les ruines créées par la politique de démantèlement social. Or, là où se présentent des candidats de gauche qui défendent une redistribution radicale des richesses et proposent des investissements massifs dans les services publics, ils génèrent un enthousiasme énorme. C’est le cas de Mélenchon en France, de Corbyn au Royaume-Uni ou de Sanders aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis, des activistes et des socialistes ont fait de ce 1er mai une journée de lutte contre Donald Trump. L’initiative était importante pour coupler la lutte contre le populisme de droite à celle contre la politique effrénée au profit de la classe des milliardaires. Cela a aussi permis de renouer avec la tradition des grèves du 1er mai, une démarche essentielle car, face au carnage austéritaire d’une part et à la droite populiste de l’autre, la seule réponse qui existe, c’est la lutte. C’est grâce à des combats acharnés et à la défense d’un programme socialiste, avec le 1er mai comme journée de lutte récurrente, que les mouvements de masse du XXe siècle ont repoussé l’inégalité et ont arraché l’instauration d’un rythme de travail plus digne.
La chute des dictatures staliniennes du bloc de l’Est a initié une période de triomphalisme néolibéral. Mais le capitalisme est incapable d’empêcher l’arrivée de nouvelles crises. Refaisons du 1er mai, Fête internationale des travailleurs, une journée de lutte contre les inégalités croissantes et en faveur d’une autre société. Il nous faut une société au service de la majorité, capable d’en finir avec la misère sociale, la guerre et la destruction écologique. Opposons aux inégalités, aux discriminations et à l’exploitation capitalistes les mots-clefs du mouvement ouvrier socialiste: la lutte, la solidarité et le socialisme.
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La campagne de Mélenchon illustre le potentiel
La France Insoumise : plus 400.000 membres, 70.000 participants au meeting de Marseille, 70.000 à Toulouse, 20.000 à Lille, 130.000 à Paris. Après le drame de Syriza en Grèce, de nouvelles opportunités se présentent pour une gauche conséquente
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Le gros mot, c’est ‘‘capitalisme’’, pas ‘‘socialisme’’
Il y a une trentaine d’années que le capitalisme a remporté son combat historique contre le bloc soviétique. Depuis lors, en dépit du fait qu’il n’ait pas véritablement été contesté, ce système est parvenu tout seul à saper structurellement les bases de son soutien populaire. S’il se tient encore debout aujourd’hui, c’est en raison de l’absence d’un adversaire crédible, d’une alternative largement enracinée et soutenue. Les inégalités atteignent des proportions hallucinantes. L’état du monde devient chaque jour plus instable. Ceux qui hier vivaient leur vie dans l’insouciance sont aujourd’hui saisi d’angoisse devant un avenir menacé par les guerres, le terrorisme, la pauvreté croissante, les dictatures, les catastrophes climatiques,…
Par Bart Vandersteene
Ce système en crise doit être protégé des critiques, c’est une question de survie. Et pour certains, la meilleure défense, c’est encore l’attaque. C’est ce qui explique les déclarations au vitriol des politiciens et idéologues libéraux contre le PTB. Son soutien est l’expression de la recherche d’une alternative de gauche et il est positif que le PTB fasse connaitre les idées de gauche auprès d’une plus vaste audience. Mais pour parvenir à atteindre son objectif – la réalisation d’une société socialiste selon ses textes de congrès – il lui faudra clarifier la manière dont il compte s’y prendre.
Dans les pages du quotidien flamand De Morgen, le président du PTB Peter Mertens a réagi aux critiques récurrentes concernant le passé stalinien du parti en préconisant de laisser aux historiens le soin de faire le bilan du XXe siècle. En réagissant ainsi, il désarme son parti et ses membres face aux attaques de la droite. Toute personne engagée dans la lutte pour une société socialiste se demandera pourquoi les choses ont si mal tourné en Russie soviétique et ce que cela implique aujourd’hui vis-à-vis de la lutte pour le socialisme. En laissant cette question sans réponse, les membres du PTB se retrouvent sans aucun argument lorsqu’on leur demande – pour la énième fois – pourquoi ils se disent communistes, s’ils défendent Staline ou non, s’ils se réclament du marxisme, si le stalinisme ne démontre pas que le socialisme est une utopie,…
Le PTB préfère éviter ce débat complexe. La tactique peut sembler intelligente à court terme mais, dans la pratique, l’absence d’objection est surtout une belle aubaine pour la propagande antisocialiste de droite.
Dans la communication du PTB destinée au grand public, ses tracts ou lors de débats télévisés, pas un mot n’est dit sur le capitalisme ou le socialisme. Le nouveau livre de Peter Mertens ‘‘Graailand’’ (qui pourrait être traduit par ‘‘un pays de rapaces’’, uniquement disponible en néerlandais) comprend de nombreux arguments intéressants contre le néolibéralisme, comme c’était déjà le cas avec de précédents ouvrages. Beaucoup de lecteurs pourront par eux-mêmes parvenir à la conclusion qu’il y a un fil rouge dans cette critique, à savoir la logique du système capitaliste, mais les choses ne sont pas dites de manière aussi explicite. Concernant le socialisme, la manière dont il pourrait fonctionner, les défis à relever, la manière d’instaurer un tel système, etc., on ne trouve rien.
Ce n’est pas un hasard si les mesures ou ‘‘bonnes idées’’ proposées par le PTB ne sont pas encore appliquées aujourd’hui. Seule une approche révolutionnaire est de nature à faire face à la guerre de classe que déchainerait sur nous la classe dirigeante si un gouvernement adoptait de telles mesures. Comme ce fut le cas en Grèce, elle essayerait par tous les moyens de nous mettre à genoux. À moins que le mouvement n’ose riposter en retirant le pouvoir des mains de l’élite capitaliste. Sa force ne provient pas de son nombre, mais du contrôle qu’elle exerce sur les secteurs-clés de l’économie, la machine de propagande des médias et le système judiciaire.
Une société socialiste serait à l’opposé du capitalisme. Les secteurs-clés de l’économie seraient sous propriété collective et non pas sous la propriété privée d’une petite élite de super-riches. La concurrence effrénée céderait place à la solidarité et à l’entraide. Grâce aux progrès technologiques, nous travaillerions moins pour une même richesse. Grâce à un contrôle démocratique sur ces richesses et à leur répartition, il n’y aurait plus de super-riches. Sans les motivations liées à la voracité économique, il n’y aurait plus aucune raison de mener des guerres et des occupations impérialistes.
Peu de gens refuseraient de vivre dans un tel monde dès maintenant, mais beaucoup doutent que cela soit toutefois possible. Ces appréhensions proviennent dans une large mesure de la propagande idéologique de droite selon laquelle la nature humaine ne reposerait pas sur la solidarité mais sur la compétitivité. Cette propagande s’appuie essentiellement sur l’échec des tentatives de construire un monde socialiste au XXe siècle.
Ces questions méritent d’être étudiées. Ce n’est qu’ainsi qu’il nous sera possible d’à nouveau mettre en avant le socialisme en tant qu’alternative crédible.
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Débat. Le socialisme, idée d’avenir ou dépassée ?
Dans le livre ‘Postcapitalism’, Paul Mason affirme que les perspectives à long terme pour le capitalisme ne sont pas bonnes et que la fin du capitalisme découlera du développement de la technologie, notamment les technologies de l’information qui ne peuvent pas être restreintes aux limites étroites de l’État-nation et de la propriété privée capitaliste des moyens de production. Mais il relègue le mouvement des travailleurs et le socialisme au passé pour préférer une alternative dans le no man’s land politique du ‘‘post-capitalisme’’.Par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Ce n’est pas à la classe ouvrière de s’occuper du post-capitalisme selon lui, puisqu’elle appartient appartient au passé. Cela se produirait plutôt par le biais de ‘‘la connaissance générale (…) où l’esprit de chacun sur terre est relié à celui des autres par le partage des connaissances et où chaque pas en avant bénéficie à tout le monde.’’ En tant que journaliste de Channel 4 et auparavant de Newsnight, l’ancien marxiste Paul Mason est influencé par le mouvement Occupy.Ce mouvement a sans nul doute constitué une étape importante dans la prise de conscience politique de la nouvelle génération aux États-Unis et dans le reste du monde, tout comme l’ont été les mouvements des Indignés en Espagne, en Grèce,… Cela, nous l’avons salué. Mais Mason ne se base pas sur les forces et le potentiel du mouvement, il se réfère à ses faiblesses : la soi-disant ‘spontanéité’ et la naïveté qui l’accompagne dans la confrontation avec le capitalisme. L’idée qu’un mouvement généralisé de la jeunesse délibérément ‘non-organisé’ pourra se développer et être capable de renverser le capitalisme ‘moderne’ brutal et de neutraliser la machine d’Etat mène à l’impasse. Une partie du mouvement Occupy – entre autres à Seattle avec l’élection de notre camarade Kshama Sawant – a tiré la conclusion que l’action politique est également nécessaire pour parvenir à un changement.
Une mauvaise compréhension du marxisme
Mason se trompe quand il dit que le marxisme sous-estime la capacité d’adaptation du capitalisme. Marx a expliqué qu’aucun système dans l’histoire ne disparait de la scène sans avoir épuisé toutes ses possibilités. Cela ne doit pas être interprété, comme le fait malheureusement Mason, de façon crûment ‘déterministe’ économique. Au bout du compte, les développements économiques peuvent être décisifs, mais l’État et la politique jouent également un rôle crucial dans l’ensemble du processus.
Mason est également partial dans son analyse de la classe des travailleurs. ‘‘Le marxisme avait tort à propos de la classe ouvrière. Le prolétariat s’est rapproché le plus d’une force historique collective éclairée issue de la société humaine. Mais 200 ans d’expérience montrent également que le prolétariat se préoccupe principalement de ‘la vie malgré le capitalisme’ au lieu de le renverser. La littérature de gauche est remplie d’excuses à l’histoire de 200 ans de défaites: l’Etat était trop fort, la direction trop faible, l’aristocratie ouvrière avait trop d’influence,… La classe ouvrière ne défendait pas inconsciemment le socialisme, elle avait conscience de ce qu’elle voulait et cela s’est reflété dans ses actions. Elle voulait une forme plus viable de capitalisme.’’
Durant le 20e siècle – marqué par des guerres, des catastrophes économiques et sociales, des révolutions et des soulèvements – il n’y aurait donc, selon Mason, eu aucune tentative de mettre sur pied un nouveau monde socialiste. Mason parvient à ne pas tenir compte de la révolution russe, de la révolution allemande de 1918-1923, des occupations d’usines italiennes de 1920 et de celles qui ont eu lieu dans les années 1930 aux États-Unis, de la révolution espagnole de 1931-1937 ou encore de mai 1968 en France. Tout ceci était apparemment un grand malentendu. Selon lui, au lieu de la révolution et la perspective d’une nouvelle société, les masses ont versé leur sang et se sont données tant de peine pour parvenir à une forme durable de capitalisme.
La conscience socialiste
Mason a une vision complètement unilatérale et déterministe de la conscience, alors que celle-ci se forme par le biais d’une combinaison d’événements et de l’expérience collective de la classe ouvrière, en particulier celle des meneurs et du rôle crucial des partis et de leurs dirigeants. La mythologie romaine affirme que Minerve est sortie entièrement formée de la tête de Jupiter. Mason pense apparemment que la conscience de la classe ouvrière s’est formée d’une manière similaire, indépendamment des changements objectifs.
De quelle autre façon peut-il expliquer que le projet de gauche des 25 dernières années s’est effondré: ‘‘le marché a détruit la planification, l’individualisme a remplacé le collectivisme et la solidarité, la plus grande partie des travailleurs dans le monde ressemble au ‘prolétariat’, mais ne pense pas et n’agit pas comme il le faisait autrefois.’’ Ceci indique que Mason n’a pas compris comment l’effondrement du stalinisme, dans le contexte d’une période de croissance capitaliste, a eu – et a toujours – un énorme impact sur la conscience politique de la classe ouvrière.
Le démantèlement de l’économie planifiée – qui était un point de référence pour la classe ouvrière en dépit de la monstrueuse bureaucratie – a permis à la classe dirigeante de mener une campagne massive vantant les avantages du capitalisme sur le ‘socialisme discrédité’. Ce fut une défaite politique majeure qui a frappé la conscience du mouvement ouvrier et de la classe ouvrière dans le monde entier, même si cela s’est produit à une autre échelle que les lourdes défaites qui ont suivi la victoire du fascisme dans les années 1930.
Même après la crise de 2007/08, les capitalistes ont continué de prétendre par tous les moyens en leur possession qu’il n’y a pas d’alternative au marché. Les dirigeants syndicaux et la social-démocratie les ont longtemps suivis sur cette voie en glissant toujours plus loin à droite. C’est la raison pour laquelle la classe ouvrière, dans le sens large du terme, mais aussi les couches les plus instruites, en dépit d’une lutte héroïque contre le raz-de-marée du capital, n’a pas encore assimilé la véritable alternative que constitue le socialisme démocratique face au capitalisme contemporain.
Toutefois, il y a eu des pas en avant. L’élection de Kshama Sawant à Seattle et la campagne pour l’élection présidentielle américaine de Bernie Sanders indiquent que de nouvelles graines ont été semées, qui commence à éclore, et ne demande qu’à croître la conscience socialiste. Ceci est même possible aux États-Unis, le bastion du capitalisme mondial. L’Europe touchée par la crise et le reste du monde ne se feront pas attendre longtemps.
Le socialisme utopique
Les alternatives de Paul Mason sont tout sauf modernes et ne constituent pas une avancée par rapport aux ‘‘vieilles idées du socialisme’’. En substance, cela se résume à un retour à l’idée des coopératives. C’est la même idée qui a été défendue en son temps par Robert Owen et d’autres, avant que le marxisme n’existe et que le mouvement ouvrier ne soit politiquement conscient. Owen était un utopiste et ses projets ont échoué. Ce fut une tentative héroïque pour créer des ilots de socialisme au milieu de l’océan capitaliste. L’objectif était de changer la société sans que la société ne le remarque.
Mason affirme que les socialistes utopiques ont échoué parce qu’ils n’ont pas disposé de suffisamment de temps, mais que maintenant, il est possible d’atteindre l’abondance grâce aux technologies de l’information. Il a tort sur plusieurs points. Comme expliqués par Marx et Engels, à l’époque, les socialistes utopiques ont développé ces idées parce que la classe ouvrière n’était pas encore suffisamment développée pour constituer une force politique indépendante avec une conscience de classe.
L’échec des mouvements radicaux – particulièrement de Syriza en Grèce – a négativement affecté Mason. Mais cela ne constitue qu’une étape dans la lutte de classe dont des leçons doivent être tirées pour la suite et en particulier que non seulement des organisations fortes sont nécessaires, mais aussi une direction déterminée à mener le combat jusqu’au renversement du capitalisme pour commencer une nouvelle ère socialiste. Sur ce point crucial, le livre de Mason n’est malheureusement pas utile.
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[INTERVIEW] Le socialisme à nouveau populaire aux USA
Bernie Sanders a popularisé l’idée du socialisme démocratique auprès de millions de personnes aux États-Unis et à l’étranger. Son programme – qui défend un salaire minimum de 15 $ de l’heure, de meilleurs soins de santé et un enseignement de qualité – repose sur les intérêts des travailleurs. Mais quand Bernie Sanders parle de socialisme, il s’agit surtout d’un capitalisme plus réglementé. Nous sommes quant à nous favorables à un changement plus fondamental qui rejette totalement le système capitaliste. Nous en avons discuté avec Kshama Sawant, élue au conseil municipal de Seattle.
À quel point est-ce important que Bernie Sanders se qualifie de socialiste ?
‘‘Que l’on soit d’accord ou non avec la manière dont Bernie Sanders considère le socialisme, il est à noter que c’est la première fois dans l’histoire américaine qu’un candidat qui se dit socialiste a une chance de remporter les présidentielles. Et il n’a fait aucun pas en arrière sur ce point. Il a démontré que le socialisme n’est plus l’obstacle qu’il était à l’époque de la guerre froide. Sa campagne a suscité un énorme intérêt pour le socialisme, en particulier chez les jeunes.’’
Qu’est-ce qu’est pour toi le socialisme démocratique ?
‘‘Le socialisme est une société où les moyens de production et d’échange sont démocratiquement contrôlés afin que chacun puisse vivre une vie meilleure. Pour cela, il nous faut briser la dictature des grandes entreprises sur l’économie et la politique. Nous vivons dans un monde où les richesses sont aussi grandes que les possibilités technologiques, mais elles côtoient parallèlement la pauvreté, les guerres et la crise écologique. Voilà le résultat du capitalisme, un système où seuls compte la course aux profits et où les richesses sont concentrées dans les mains d’une élite capitaliste.’’
Qu’entend Bernie Sanders derrière le terme de socialisme ?
‘‘Bernie Sanders défend de nombreuses revendications de première importance : un salaire minimum de 15 dollars de l’heure, des soins de santé décents, un impôt sur les fortunes, un enseignement gratuit, etc. Les réformes radicales qu’il popularise représentent une partie importante de tout programme socialiste aujourd’hui. mais il se limite à une redistribution des richesses par une expansion du secteur public dans le cadre du capitalisme. Pour nous, le socialisme est un système social où les moyens de production et d’échange ne restent pas aux mains d’une oligarchie avide de profits et profondément antidémocratique.’’
Sanders affirme pourtant bien que les entreprises ont trop de pouvoir ?
‘‘Il explique que les grandes banques qui dominent l’économie devraient être divisées en petites unités. C’est bien plus radical que ce qu’Hillary Clinton propose comme réglementation de Wall Street, c’est vrai. Mais la scission des banques ne serait que temporaire sous le capitalisme. Ce système est basé sur l’exploitation et la concurrence, il conduit inévitablement au développement de gigantesques monopoles. Bernie Sanders défend le projet de retirer les soins de santé des mains du privé et des 1% au sommet de la société, nous devons faire pareil avec les banques. Pourquoi permettre à une petite oligarchie de disposer du contrôle de notre économie ?
‘‘Comme Bernie l’a fait remarquer dans l’un des premiers débats pour l’investiture démocrate : ‘‘le Congrès ne contrôle pas Wall Street, Wall Street contrôle le Congrès.’’ Je suis tout à fait d’accord. Tant que nous vivrons dans une société capitaliste, nous allons bien sûr défendre toutes les réformes possibles pour améliorer la vie des travailleurs. Mais la cause fondamentale d’où découlent ces problèmes, c’est le système capitaliste lui-même. La seule façon de s’y opposer, ce n’est pas avec des gouvernements qui défendent les intérêts des riches, mais en nous organisant nous-mêmes, avec les millions de gens ordinaires sur les lieux de travail, dans les quartiers et les écoles, tant au niveau politique que syndical.’’
Pourquoi la campagne de Bernie a-t-elle remporté un tel succès ?
‘‘Le capitalisme est embourbé dans une profonde crise structurelle. Nous connaissons la reprise économique la plus faible depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des inégalités sans précédent et une montagne de dettes. L’infrastructure est littéralement en train de pourrir au point que des enfants sont empoisonnés, comme à Flint et ailleurs. Le capitalisme conduit aux crises économiques, mais aussi aux catastrophes écologiques. Les grandes entreprises refusent d’investir dans une économie verte pour le 21e siècle. Ils préfèrent au contraire jouer leur argent dans le gigantesque casino du marché financier. Et quand plus rien ne va, comme en 2008-09, c’est à nous de payer pour eux.
‘‘Wall Street, les grandes compagnies pétrolières et les autres grandes entreprises s’opposent aux changements nécessaires. Ils sont viscéralement contre les réformes radicales que Bernie popularise. Nous pouvons conquérir l’implémentation du programme de Sanders, mais seulement à l’aide d’une lutte de masse. À Seattle, nous avons arraché les 15 dollars de l’heure par la mobilisation active des travailleurs et de leurs familles dans la rue, en construisant un mouvement indépendant des grandes entreprises et du Parti démocrate.
‘‘Pour briser le pouvoir des grandes entreprises, nous devons mettre sous contrôle démocratique public les 500 plus grandes entreprises qui dominent l’économie et le système politique. Nous voulons une démocratie radicale qui va jusqu’au cœur de l’économie, sur les lieux de travail, afin que les travailleurs puissent décider de ce qui est produit, de la manière de le produire et de la manière d’utiliser les ressources disponibles. Cela nous permettrait de planifier démocratiquement l’économie en l’orientant vers la satisfaction des besoins de chacun.’’
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Combattre l'oppression : Un point de vue marxiste sur le féminisme
Une analyse matérialiste de l’origine et de la nature de l’oppression des femmesLe marxisme est une philosophie et un point de vue sur le monde qui cherche à analyser la réalité concrète à partir de faits matériels. Bien qu’il n’était pas possible pour Marx et Engels, à eux seul, de se pencher de façon adéquate sur l’ensemble des questions liées à l’oppression (tout comme ils n’ont pas pu se pencher dans leurs écrits spécifiquement sur d’autres thèmes importants), ils ont tout de même beaucoup écrit sur l’oppression des femmes, sur l’oppression raciale – liée à l’esclavage et à l’impérialisme – et sur l’oppression des minorités nationales, comme celle de la nation irlandaise dans le cadre de l’Empire britannique. Alors que bien souvent, le marxisme est présenté de façon réductrice par certains groupes politiques ou intellectuels qui le réduisent à un déterminisme économique simpliste, cette interprétation est complètement à l’opposé du vrai marxisme. En effet, ce sont les outils du marxisme qui nous permettent aujourd’hui de développer une analyse complexe et scientifique qui prend en compte tous les aspects d’un même problème, par exemple lorsqu’on analyse la nature et l’origine des différentes formes d’oppression qui existent au sein de la société capitaliste moderne. Ce sont aussi les outils du marxisme qui nous donnent les moyens d’organiser la lutte et finalement d’en finir avec les rapports de forces sociaux qui génèrent la victimisation, la discrimination et l’oppression.
Par Laura Fitzgerald
En ce qui concerne l’oppression des femmes, Engels a apporté une contribution autant inestimable que révolutionnaire avec son ouvrage « L’Origine de la famille, de l’État et de la propriété privée ». La conclusion la plus importante de ce travail est que l’oppression des femmes, bien qu’elle existe depuis des milliers d’années, n’est pas quelque chose d’inévitable, d’immuable, ordonnée par Dieu ou découlant de la nature des hommes. Engels parle notamment de l’existence de sociétés primitives dans lesquelles les femmes sont tenues en haute estime, où les classes sociales n’existent pas, dans lesquelles tout membre est essentiel à la survie et à la prospérité du groupe tout entier. Il y décrit le lien qui existe entre l’institution de l’oppression systématique et séculaire des femmes et la société de classes. En effet, le développement de l’agriculture a permis de libérer une petite partie de la population du travail productif, qui s’est ensuite constituée en élite au sommet de la société. Petit à petit, la perpétuation de cette division du travail en classes sociales s’est retrouvée liée à la transmission de la propriété privée via la lignée mâle, qui ne pouvait être garantie que par l’assujettissement des femmes.
Ce développement tire son origine de la division genrée du travail, qui était souvent une caractéristique des sociétés de chasseurs-cueilleurs, bien que cette division n’était pas forcément hiérarchisée. Mais à partir du moment où la propriété privée (des outils, de la terre, etc.) a commencé à être transmise en suivant la lignée mâle, il est apparu nécessaire d’instaurer des contrôles sur la sexualité des femmes : c’est le modèle de famille patriarcale qui s’est imposé, car il convenait le mieux à cette fin. Contrairement donc à la théorie de la “patriarchie” anhistorique (qui fait abstraction du passé) selon laquelle les hommes auraient “naturellement” pris le pouvoir sur les femmes, les marxistes ont une vision plus positive de cette question. Ils placent ces discussions dans le contexte de la lutte pour une société socialiste, sans classes sociales. Celle-ci doit, par nature, constituer une lutte pour une société libérée de toute forme de division et ainsi faire disparaitre la base économique de l’oppression des femmes (et donc, graduellement, les expressions culturelles de cette oppression).
Lorsque Marx et Engels se sont penchés pour la première fois sur la question de la famille nucléaire sous le capitalisme, ils l’ont perçue comme un élément crucial à la transmission de la propriété privée pour la classe dominante. À l’époque de Marx, les femmes qui travaillaient dans les usines souffraient tellement de leur travail pendant leur grossesse, après l’accouchement et pendant l’allaitement, que cela nuisait à la santé et à la productivité de l’ensemble de la force de travail. Dans ces circonstances, même la classe ouvrière s’opposait à la dissolution de la famille nucléaire puisque cette institution permettait, en l’absence de toute couverture sociale, aux femmes de bénéficier du revenu de leur mari aux moments où elles étaient trop vulnérables pour pouvoir elles-mêmes travailler. Tout ceci a donc encouragé la promotion de la famille nucléaire par la classe dirigeante afin d’assurer, du point de vue des patrons, que les femmes jouent un rôle dans la reproduction et l’éducation d’une main d’œuvre vigoureuse et en bonne santé, ingrédient essentiel pour le maintien de leurs profits.
Ce rôle de “reproduction sociale” pour le capitalisme demeure une des principales bases économiques de l’oppression des femmes aujourd’hui, puisque nous voyons que de nos jours encore, sur tous les continents, ce sont les femmes qui accomplissent la grande majorité du travail domestique non payé. Ce rôle a également été utilisé par le capitalisme en tant qu’outil de contrôle social et continue à être utilisé en tant que moyen de promotion des fonctions genrées les plus arriérées tout en assurant l’assujettissement des femmes.
En Irlande, l’État capitaliste, qui reste faible, s’est reposé, dès sa fondation, sur la puissance et l’autorité de l’Église catholique. Aujourd’hui, cette alliance réactionnaire entre Église et État n’est toujours pas brisée. L’idéologie religieuse joue un rôle parfois extrême dans tout ce qui touche aux soins de santé et à la loi, comme on le voit avec l’interdiction constitutionnelle de l’avortement ou l’affirmation – même par un responsable des Nations-Unies – qu’au regard de la loi, les femmes ne sont rien de plus que des “incubateurs”. Le modèle de la famille nucléaire “traditionnelle” est cependant grandement remis en question puisqu’on voit que la majorité de la population participe en réalité à d’innombrables types d’arrangements familiaux divers et variés. Les couches les plus clairvoyantes de la classe dirigeante tolèrent cet état de fait, tant que le rôle de “reproduction sociale” par l’institution familiale est assuré. Mais avec la politique d’austérité appliquée par l’élite dirigeante à travers toute l’Europe, favorisant un démantèlement et une privatisation croissante des services publics, le poids du rôle de reproduction sociale au sein des familles empire pour les femmes et l’ensemble de la classe ouvrière.
L’entrée massive des femmes dans la force de travail a été un immense facteur de progrès, qui a contribué à élever la confiance et les attentes des femmes. Aux États-Unis, durant la période d’après-guerre, les médias et notamment la publicité ont consciemment œuvré à promouvoir le modèle de la famille nucléaire et le rôle de la femme au foyer, financièrement dépendante de son mari et qui avait la charge de nourrir la famille. Aujourd’hui, les médias et l’immense industrie du sexe misent plutôt sur l’objectification sexiste du corps féminin. Au cours des années ’50 aux États-Unis, il s’agissait d’une contre-attaque idéologique à la suite du progrès accompli par les femmes en tant que partie prenante de la force de travail au cours de la guerre. Aujourd’hui, l’objectification des femmes est un sous-produit de la soif de profits de la majeure partie de la grande industrie. Cela n’est forcément pas sans conséquence sur la position des femmes dans la société. Dans ces deux cas, malgré leurs différences, le même résultat est obtenu : la promotion d’idées sexistes qui contribuent à l’oppression et à la violence contre les femmes.
Les théories de l’identité politique
Les théories de l’“intersectionnalité” et du “privilège” (expliquées ci-dessous) peuvent être considérées comme faisant partie de toute la panoplie d’arguments qui constituent la théorie de l’“identité politique”. Cela fait à peu près vingt ans que cette théorie vit au sein d’une partie (relativement isolée) de la gauche américaine et, via les deux concepts susmentionnés qui sont aujourd’hui particulièrement populaires, parmi la nouvelle génération de militants irlandais actifs dans le mouvement pour le droit à l’avortement et dans de nombreux pays où grandit une résistance contre le sexisme sous ses diverses formes comme le sexisme médiatique, le harcèlement de rue, la violence sexuelle et conjugale. On la retrouve également régulièrement dans le mouvement LGBTQI.
La théorie de l’identité politique peut être définie comme une analyse qui considère la société comme étant composée de différents “groupes d’intérêts”. Parfois, ces groupes d’intérêts se croisent ou se chevauchent les uns les autres, mais il manque un cadre global qui permette d’analyser la société dans son ensemble. L’utilisation généralisée des réseaux sociaux, notamment par toutes celles et ceux qui veulent combattre l’inégalité et l’oppression, permet d’expliquer que, pour la plupart des femmes politisées ou actives contre le sexisme, ces théories ont déjà été vues et entendues sous une forme ou sous une autre.
Les théories de l’intersectionnalité et du privilège proviennent généralement de la “troisième vague du féminisme” (ou “postféminisme”) des années ’80 et ‘ 90. Ces mouvements se sont davantage concentrés sur la féminisation de l’élite dirigeante plutôt que sur les luttes des mouvements pour les droits des femmes. Il s’agissait ainsi d’un important recul provenant de l’illusion selon laquelle le système capitaliste serait capable d’apporter l’égalité et la liberté pour les femmes. À cette époque, la crise du capitalisme des années ’70 et ’80 avait révélé la faillite du réformisme de la direction syndicale et de la direction du Parti travailliste. Ces derniers se sont positionnés aux côtés du système, ce qui a mené à des défaites et des reculs. Cela coïncide avec l’émergence de la doctrine néolibérale du capitalisme, avec l’effondrement du stalinisme et avec l’affirmation des capitalistes selon laquelle la “fin de l’Histoire” – c’est-à-dire la fin de la lutte des classes – était arrivée.
Cette période de défaites a mené à un recul très important de la conscience de classe et de l’autorité du mouvement ouvrier. Le néolibéralisme était seul maitre à bord, que ce soit sur le plan économique ou politique. D’importantes attaques ont été menées contre les syndicats en même temps que déferlaient privatisations, contrats à court terme, emplois sous-payés, désindustrialisation et un grand panel de mesures supprimant tout obstacle au profit. C’est à cette époque également qu’est apparu le petit cousin idéologique du néolibéralisme : le postmodernisme.
Le Postmodernisme
Le postmodernisme est le rejet de tous les “grands récits”, de toute tentative de développement d’une analyse et d’un point de vue global. Selon le postmodernisme, on ne peut réellement connaitre et analyser la réalité objective dans sa totalité. Il s’agit d’une analyse de l’oppression se basant sur un idéalisme majoritairement personnel et subjectif. Bien entendu, les opinions et les expériences personnelles de tous les opprimés sont extrêmement importantes. Mais afin d’avoir un aperçu correct de la nature et des causes de l’oppression, en plus d’être à l’écoute de la voix des opprimés, il faut une analyse matérialiste des forces sociales à l’œuvre, qui sont à la source de cette oppression. Ainsi, nous avons besoin d’une vision claire, c’est-à-dire d’un programme et de méthodes justes pour lutter et parvenir à vaincre l’oppression sexiste.
Il est vrai que la plupart des courants “d’identité” rejettent consciemment le féminisme libéral ou bourgeois – c’est-à-dire un féminisme entièrement cautionné par le capitalisme, qui ne cherche à obtenir des changements que s’ils s’insèrent dans le cadre donné par ce système, qui porte surtout une attention à la féminisation de l’élite dirigeante, qui veut plus de patrons et de politiciennes femmes tout en se maintenant dans ce système de profits, qui est pourtant la cause de l’inégalité et de l’oppression. Néanmoins, cette attention portée sur le caractère individuel, voire personnel du problème – également inhérent à la politique d’identité, bien que d’une autre manière – ne remet pas en question le statu quo. Dans le rejet des “grands récits”, il n’y a aucune critique globale de la manière dont le système perpétue le racisme, le sexisme et l’homophobie.
Nancy Fraser – une intellectuelle féministe de gauche qui dénonce la manière dont le mouvement féministe est à ses yeux devenu la “bonniche du capitalisme” – déplore cette transition “identitaire”. Nancy Fraser exagère sans doute l’ampleur de la politique socialiste et de l’idée de lutte des classes dans le mouvement féministe des années ’60 et ’70 – bien qu’il soit certain que cette vision des choses ait joué un grand rôle dans ce mouvement. Néanmoins, les critiques exprimées par celle-ci sur ce qui est advenu de ce mouvement féministe sont extrêmement éclairantes :
« Tandis que la génération de ’68 espérait, entre autres, restructurer l’économie politique de sorte à abolir la division genrée du travail, les féministes qui ont succédé ont formulé d’autres buts moins matériels. Certaines cherchaient, par exemple, à obtenir une reconnaissance de la différence sexuelle, tandis que d’autres préféraient déconstruire l’opposition catégorique entre masculin et féminin. Le résultat a été un déplacement du centre de gravité du mouvement féministe. Alors qu’il se concentrait sur le travail et sur la violence, les luttes féministes aujourd’hui parlent de plus en plus d’identité et de représentation… Le tournant dans le mouvement féministe en faveur de la “reconnaissance” va clairement de pair avec l’hégémonie du néolibéralisme, qui veut avant tout faire disparaitre tout souvenir de l’idéal socialiste. » (Les Fortunes du féminisme : du capitalisme d’État à la crise néolibérale, 2013)
Nancy Fraser oppose cette approche à son propre modèle de reconnaissance / redistribution : la remise en question des aspects économiques de l’oppression des femmes et celle de ses aspects culturels (tels que le manque de reconnaissance) doivent inextricablement être liées afin de pouvoir combattre efficacement l’oppression des femmes. Pour les marxistes, cela constitue le b.a.-ba de la lutte pour l’émancipation des femmes et il est positif qu’une féministe célèbre aille dans ce sens. Prenons un exemple. En Irlande, la lutte pour les droits reproductifs ne peut pas être complète si elle se concentre uniquement sur les aspects légaux. On ne peut oublier le fait que le système des soins de santé est non seulement entre les mains de l’establishment catholique avec sa vision arriérée des femmes et de la reproduction, mais qu’il est également gravement sous-financé, ce qui fait que son personnel est clairement dépassé par le nombre de patients, causant des souffrances inutiles à celles qui accouchent dans les hôpitaux publics.
La lutte pour les droits à la reproduction doit donc être liée à la lutte pour un service public de soins de santé progressiste, laïc, moderne et totalement gratuit. Vu la faiblesse du capitalisme irlandais (celui-ci étant très fortement axé sur le néo-libéralisme à l’anglo-saxonne), la politique d’austérité actuelle, ainsi qu’une tendance continue vers un modèle privatisé des soins de santé et l’inexistence totale d’un véritable service public de ces soins pour sa population, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de lutter pour une alternative à ce système. Cela veut dire remettre en question la propriété privée des moyens de production et des capitaux afin de placer ces ressources au service de la population sous contrôle démocratique des travailleurs. Cela permettra de développer un service de santé public démocratique et accessible à tous.
Une approche de classe
Un enjeu important pour les théories de l’identité politique est de pouvoir définir et caractériser l’oppression et, dans le cas de l’intersectionnalité, d’analyser la manière dont les différents types d’oppressions interagissent entre eux. Il est vrai que nous pouvons tirer beaucoup de précieuses informations de cette réflexion afin d’étayer et d’enrichir notre analyse socialiste. À ce sujet, on caricature souvent les marxistes et les socialistes en les représentant comme obsédés par la question des classes sociales. Il est clair que pour les socialistes, la division de la société en classes sociales est cruciale et est la clé de toute analyse de la société.
Il existe en effet une classe dirigeante, qu’on appelle souvent aujourd’hui celle des « 1 % ». C’est un tout petit groupe de gens qui détient la majorité des richesses et des moyens de production, grâce auxquels ils réalisent leurs profits.
Et puis, il y a l’autre grande classe dans la société, celle des travailleurs (ou classe prolétaire). La définition large de cette classe est qu’elle regroupe l’ensemble des “esclaves salariés”, c’est-à-dire toutes les personnes contraintes à vendre leur force de travail pour pouvoir vivre. Leurs familles, qui dépendent de leur salaire, les pensionnés et les chômeurs font également partie de cette classe sociale.Enfin, il y a les couches moyennes (la “petite-bourgeoisie”, mais aussi la paysannerie, les artisans, les petits et moyens commerçants, les indépendants, etc.) qui balancent entre ces deux grandes classes et qui participent au conflit entre les classes en se rangeant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Notons que, de manière générale, non seulement la classe des travailleurs est aujourd’hui la plus grande classe de la société à l’échelle mondiale, mais elle s’accroit constamment au fur et à mesure que les paysans chinois et indiens quittent leurs campagnes pour aller chercher du travail en ville, que les femmes du monde entier rejoignent les forces de production et que les petits commerçants et artisans cèdent la place à la grande distribution et à l’industrie.
La classe des travailleurs est la force la plus puissante dans la société, pour peu qu’elle soit unie et consciente. Nous avons vu cela à de nombreuses reprises dans l’histoire. En effet, en cas de grève, les profits ne sont plus réalisés et la société tout entière peut se retrouver paralysée si les travailleurs le décident, car c’est eux qui occupent les positions les plus importantes dans l’économie et dans la société. Par exemple, en Égypte, après des semaines d’occupation de la place Tahrir, c’est la grève générale qui a porté le coup fatal à Moubarak. Malheureusement, l’absence d’une force socialiste et le faible niveau de la conscience de classe ont limité la portée du mouvement révolutionnaire égyptien et la contre-révolution a pris le dessus. Toutefois, le processus révolutionnaire est toujours en cours de développement et il est clair que de nouvelles luttes vont se développer. Cependant, l’Égypte illustre bien le fait que nous devons constamment organiser et bâtir la conscience et la force de notre classe sociale.
La classe des travailleurs n’est pas homogène. Elle est composée d’une myriade d’individus dont l’expérience, l’attitude et le degré d’exploitation diffèrent largement. Il est crucial de bien comprendre la nécessité d’avoir un programme ainsi que des organisations syndicales et politiques qui unifient l’ensemble de la classe des travailleurs au-delà de ces divisions. En Irlande, c’est le manque d’unité qui a permis à la politique d’austérité de passer. Cette politique a directement aggravé les conditions de vie des femmes, qui forment la majorité des travailleurs précaires et des utilisateurs des services publics. La direction bureaucratique des syndicats n’est pas parvenue à s’opposer à la division entre travailleurs du secteur public et du privé. Celle-ci est attisée par les politiciens et les médias et leur volonté de s’engager dans un modèle de “conciliation sociale”. Mais cette dernière ne permet pas de reconnaitre les intérêts fondamentalement opposés entre la classe dirigeante et la classe des travailleurs.
Le fait que la division en classes sociales soit pour nous la question centrale ne veut pas dire que nous refusons de reconnaitre qu’il existe d’autres formes particulières d’oppression. Mais seule une classe des travailleurs consciente, organisée et unie a la puissance de combattre le système d’oppression qu’est le capitalisme. La classe dominante doit maintenir coute que coute cette oppression parce que cela permet de diviser les travailleurs, d’empêcher leur unité dans la lutte et ainsi d’en tirer des profits. Cette lutte est la forme la plus efficace de résistance contre la classe dominante qui possède non seulement le pouvoir économique, mais aussi le pouvoir politique et idéologique. Elle a également à son service non seulement un appareil d’État, qui détient le monopole légal de la violence (police, armée, etc.), mais aussi des médias qui diffusent constamment son idéologie.
Si on prend l’exemple d’une travailleuse confrontée à une domination abusive de son conjoint, il est probable que, de son point de vue, son oppression en tant que femme est le premier et le plus grand obstacle à son émancipation ainsi que la plus grande source de malaise dans sa vie à ce moment-là. Le fait qu’elle soit une femme de la classe des travailleurs est néanmoins tout aussi important. Par exemple, s’il s’agit d’une travailleuse disposant de faibles revenus, cela limite ses options et ses choix. Il lui sera plus difficile de quitter ce conjoint pour aller mener sa propre vie. D’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que travailler à l’extérieur de la maison permet de fréquenter d’autres personnes qui se trouvent dans la même position. Son travail en dehors du domicile familial peut alors accroitre son sentiment de confiance en soi. En tant que travailleuse, elle dispose d’une force potentielle qui lui permet de faire grève avec ses collègues et d’apprendre à construire une unité de classe et une solidarité, qui peut rejaillir sur sa confiance en elle et sur sa capacité à trouver les outils nécessaires pour sortir de cette relation abusive.
Puissance, privilège et oppression
Les socialistes reconnaissent le fait que c’est l’ensemble des femmes qui sont opprimées, y compris les femmes de classes sociales supérieures (on peut dire la même chose des personnes dites “de couleur” ou des LGBTQI). Bien sûr, la classe des travailleurs et les couches les plus pauvres de ces groupes opprimés souffrent, en général, de manière plus intense de cette oppression bien que de nombreuses femmes de la bourgeoisie sont également tuées ou violées par leurs partenaires ou ex-partenaires. On a beaucoup parlé par exemple du cas de Reeva Steenkamp, une riche femme sud-africaine, assassinée par son petit ami Pistorius. Beaucoup de gens connaissent aussi l’histoire d’Oprah Winfrey, qui est aujourd’hui une des femmes les plus riches du monde, mais qui, en tant que jeune femme noire, a souffert horriblement d’un viol, d’une grossesse précoce et d’une misère affligeante pendant toute sa jeunesse. Toute oppression doit être combattue. Mais il faut cependant bien se rendre compte que O. Winfrey, avec son salaire de 75 millions de dollars en 2013, a forcément un intérêt dans le maintien du statu quo social et a donc très peu de chances d’être convaincue de la nécessité d’une lutte radicale pour en finir avec toutes les oppressions.
Il ne fait aucun doute que certaines couches des classes moyennes qui sont actives dans les mouvements féministes ou dans les mouvements LGBTQI peuvent être convaincues de rejoindre la lutte radicale contre le capitalisme. Mais une caractéristique primordiale de la classe sociale à laquelle l’individu appartient est le fait qu’elle contribue fortement à définir sa vision du monde. Par exemple, au Royaume-Uni, les suffragettes bourgeoises du début du XXe siècle ont fini par s’opposer au mouvement des travailleurs pour ensuite applaudir les puissances impérialistes lors de la Première Guerre mondiale. Ainsi, lorsque ce type de mouvements se retrouve confronté à une question tactique ou sociale décisive, leur positionnement reflète généralement cette fracture de classe. Dans le cas des suffragettes, leurs membres issues de la bourgeoisie ont été entrainées par la propagande guerrière diffusée par leur propre classe.
À contrario, Sylvia Pankhurst a rompu avec le mouvement des suffragettes, dirigé par sa mère et ses sœurs, précisément sur base de cette question. Elle a alors choisi de se ranger du côté de la classe des travailleurs et contre l’élite impérialiste de son pays. L’appartenance à une classe est donc plus qu’une simple question d’identité et de discrimination sociale face à tel ou tel groupe (c’est plus que le “classisme” dont on parle souvent parmi les groupes “identitaires”). Il s’agit d’une réalité objective et d’une fracture sous-jacentes à tous les autres aspects de la société de manière fondamentale.
Il faut également considérer le fait que les couches qui sont opprimées de la façon la plus absolue sont tellement écrasées par une myriade de choses abominables dans tous les aspects de leur vie qu’il n’est pas si évident qu’elles puissent diriger un mouvement social en vue du changement de société. On pense par exemple aux enfants victimes d’abus sexuels ou aux victimes de trafics sexuels qui sont littéralement réduites à l’esclavage dans le cadre de réseaux mafieux. Bien entendu, ces personnes représentent la section la plus opprimée au sein de la classe des travailleurs, qui est elle-même large et hétérogène.
La grève des mineurs au Royaume-Uni
Les exemples des puissantes luttes des travailleurs dans le passé sont souvent considérés comme des points de référence pour les couches opprimées de la société de manière générale. Lors de la grève des mineurs au Royaume-Uni, une partie extrêmement puissante et bien organisée de la classe des travailleurs a été prise pour cible par Thatcher et son gouvernement capitaliste néolibéral, ce qui a déclenché une lutte de résistance héroïque. Les mineurs ont représenté une source d’inspiration majeure par leur contre-attaque contre tout ce que Thatcher représentait, c’est-à-dire la course aux profits à tout prix des capitalistes et la destruction de toute solidarité des travailleurs ou de toute organisation capable d’y faire obstacle.
De nombreuses femmes de la classe des travailleurs – les épouses, les mères, les sœurs et les filles des mineurs en grève – ont joué un rôle très important dans la guerre de classe épique qui s’en est suivie. Au même moment, Thatcher signait des lois homophobes qui ont poussé la communauté LGBT à se ranger derrière les mineurs, tout comme d’ailleurs les communautés noires et asiatiques. Les travailleurs en grève sont devenus la référence absolue pour tous les groupes opprimés qui ont alors uni leurs différentes luttes derrière cette bannière, plutôt que de poursuivre celles-ci de manière isolée – ce qui aurait facilité leur répression par la classe dirigeante.
Lors de cette lutte, on a également vu un changement important de l’attitude de nombre de mineurs par rapport aux femmes, tout comme par rapport aux homosexuel-le-s, aux Noir-e-s et aux Asiatiques qui les soutenaient. Ainsi, ils voyaient sous un jour différent celles qui étaient devenues des organisatrices et des militantes de la lutte des classes, les respectant davantage, tout en comprenant mieux les difficultés auxquelles elles sont confrontées dans leur foyer. De nombreux mineurs ont donc commencé à s’occuper des tâches domestiques et de la garde des enfants tandis que les femmes organisaient des meetings et des actions de solidarité tout au long de la lutte. Ce conflit de classes a également provoqué toute une série de divorces et de séparations, vu que de nombreuses femmes, ayant gagné en confiance, attendaient désormais plus de la vie qu’une relation malheureuse.
Le pouvoir
L’analyse de Michel Foucault du “pouvoir” se retrouve derrière une grande partie de la théorie de l’identité politique. Foucault était un intellectuel de gauche démoralisé par la défaite de Mai 68 en France et qui a ouvert la voie à la pensée postmoderne. Selon Foucault, le pouvoir se retrouve à tous les niveaux de la société. Mais il refuse de reconnaitre que le plus grand pouvoir dans la société est celui de la classe dirigeante, issu de sa propriété privée des moyens de production : un pouvoir exprimé par l’État, par le contrôle des idées propagées dans la société, etc.
Nous ne sommes pas d’accord non plus avec l’idéalisation de la classe des travailleurs prônée par certaines organisations de gauche radicale. Ainsi, selon l’Organisation socialiste internationale aux États-Unis (ISO) ou selon la Tendance socialiste internationale (IST, dont la section la plus connue est le SWP britannique), il n’y a pas de différence de pouvoir au sein de la classe des travailleurs elle-même. Ces organisations ont en particulier tendance à affirmer de façon franche et crue que les hommes de la classe des travailleurs ne bénéficient pas de l’oppression des femmes, mais que seule la classe dirigeante en bénéficie. Citons par exemple Paul D’Amato (de l’IST) :
« Atomisés et séparés, incités à une concurrence violente les uns contre les autres, les travailleurs sont impuissants. Ainsi, lorsqu’un homme de la classe des travailleurs abuse de sa femme, il n’agit pas parce qu’il possède un pouvoir sur elle ; au contraire, c’est le reflet de son impuissance, de sa faiblesse. Lorsqu’un travailleur blanc agit de manière raciste envers un travailleur noir, ce qui s’exprime n’est pas le pouvoir du travailleur blanc sur le noir, mais le pouvoir du système qui les broie tous les deux. »
Il s’agit pour nous d’une véritable sous-estimation de la situation. Est-il vraiment possible d’affirmer que lorsqu’un groupe d’hommes ‘en virée’ décide d’acheter le corps d’une femme pour en ‘disposer’ sexuellement, ils agissent par impuissance ? En réalité, ce faisant, ces hommes objectifient un être humain et soumettent sa sexualité et ses aspirations à la leur. Et en général et en moyenne, les hommes de la classe des travailleurs tirent eux aussi un certain bénéfice de l’oppression des femmes. Cela signifie pour eux non seulement plus de temps libre chaque semaine, mais aussi moins d’énergie dépensée en tâches ménagères, étant donné que ce sont, en moyenne, toujours les femmes qui accomplissent la plus grande part de ces tâches et qui sont responsables de la bonne tenue du ménage, des soins aux autres membres de la famille et de la gestion des finances.
L’approche théorique de l’IST par rapport à l’oppression des femmes est erronée; elle découle de l’analyse de Tony Cliff, un des principaux fondateurs du SWP britannique, présentée dans son ouvrage « La lutte des classes et la libération des femmes ». Selon cette analyse, il est incorrect de « trop se concentrer sur les problèmes pour lesquels les hommes et les femmes ont des avis souvent divergents – comme les problèmes du viol, des femmes battues, d’un salaire pour les femmes au foyer, etc. – tout en ignorant ou en n’accordant pas assez d’attention aux luttes importantes pour lesquelles les femmes pourraient plus facilement obtenir le soutien des hommes : les grèves, les luttes pour les allocations, l’égalité salariale, la syndicalisation, l’avortement ».
Mais pour construire l’unité, nous ne devons pas sous-estimer les divisions qui existent bel et bien au sein de la classe des travailleurs. Au contraire, le fait de reconnaitre que ces divisions existent, de les analyser et d’y apporter une réponse a plus de chances de nous aider à construire une unité de classe. Ainsi, Trotsky expliquait qu’il était inévitable que ressurgissent des idées antisémites en Union soviétique du fait de l’oppression mise en place par le régime bureaucratique, inefficace et générateur de misère qu’était le stalinisme, et il écrivait ceci : « Bien entendu, nous pourrions simplement fermer les yeux sur ce fait ou nous limiter à quelques vagues généralités comme quoi toutes les races sont égales et que nous sommes tous frères. Mais la politique de l’autruche ne nous fera pas progresser d’un iota. » (Thermidor et l’antisémitisme, 1937)
Il est en fait essentiel de dire que les hommes de la classe des travailleurs n’ont aucun intérêt à maintenir en place un système qui opprime les femmes. Les mêmes forces qui poussent les femmes vers des emplois mal payés et qui diffusent une idéologie sexiste exerçant un effet délétère sur l’attitude et le comportement des hommes envers les femmes sont aussi celles qui créent le chômage, la misère, l’émigration forcée et le travail au noir qui font de plus en plus partie de la vie quotidienne des hommes et des femmes de la classe des travailleurs (surtout en ce qui concerne les jeunes) dans le cadre du capitalisme néolibéral et d’austérité. La classe dirigeante tire profit de toute division au sein de la classe des travailleurs, qu’il s’agisse d’une division de genre ou de race, car ces divisions lui permettent d’affaiblir la force de résistance de cette classe. En outre, la classe dirigeante profite directement du fait de pouvoir disposer d’une main-d’œuvre féminine ou immigrée à bon marché. De ce fait, il nous faut une analyse correcte et précise de ce qu’est l’oppression. Si l’on sous-estime ou si l’on évite de s’attaquer aux attitudes sexistes ou racistes qui vivent au sein de la classe des travailleurs, on ne pourra dès lors pas rallier les groupes opprimés à la lutte unie qui est pourtant la clé de leur libération.
Paradoxalement, alors que l’IST adopte une attitude de déni des différences entre hommes et femmes au sein de la classe des travailleurs, il prend une position totalement inverse en ce qui concerne la question nationale et l’opposition à l’impérialisme. Dans le cadre de ces questions, cette organisation jette par-dessus bord toute analyse marxiste pour affirmer que l’unité entre travailleurs est impossible, voire indésirable. En ce qui concerne l’Irlande du Nord par exemple, l’IST a longtemps accordé son soutien à l’IRA (Armée républicaine irlandaise, une milice nord-irlandaise indépendantiste et pro-catholique recourant régulièrement au terrorisme), jusqu’à appeler à voter pour le Sinn Féin (un parti politique nationaliste irlandais lié à l’IRA) malgré le fait que cette stratégie ne pouvait que susciter le dégout de la part des travailleurs protestants, traditionnellement anti-indépendance et pro-britanniques et souvent pris pour cibles par les attaques terroristes de l’IRA. Le soutien à l’IRA et au Sinn Féin constitue donc une entrave qui empêche toute possibilité d’unifier l’ensemble de la classe des travailleurs par-delà les divisions sectaires en une lutte commune contre le capitalisme, l’impérialisme et l’oppression. De même, en ce qui concerne Israël et la Palestine, l’approche de l’IST consiste à dénigrer les travailleurs juifs, ce qui est la conclusion logique de de leur analyse sans approche de classes sociales .
L’intersectionnalité
L’« intersectionnalité » est souvent expliquée comme étant la théorie de la façon dont les différentes oppressions s’entrecroisent. Beaucoup de partisans de cette théorie partagent un point de vue progressiste. Cela découle parfois d’un rejet du féminisme transphobique (c’est-à-dire un féminisme intolérant voire hostile par rapport à la communauté transgenre) ; ou bien d’un rejet du féminisme bourgeois ou libéral, qui au final ne sert que les intérêts des femmes des couches les plus privilégiées et n’entrevoit un changement que dans le cadre du système capitaliste. Cependant, l’intersectionnalité, par sa nature, ne peut nous fournir une stratégie pour la victoire et peut même s’avérer problématique dans la pratique.
Le terme « intersectionnalité » a été défini par Kimberlé Crenshaw, une célèbre intellectuelle féministe noire américaine, professeur d’université aux États-Unis. Ce concept a des racines libérales puisqu’il a été conçu en premier lieu dans le but d’améliorer les services offerts aux femmes noires américaines, victimes de violences conjugales. Une telle grille d’analyse est évidemment utile et importante, mais il est intéressant de constater que l’idée d’intersectionnalité a été, dès le début, non pas développée dans le but d’en finir avec l’oppression, mais en tant qu’outil destiné à adoucir les effets les plus sournois de cette oppression. Même si elle fait souvent référence au texte du « Combahee River Collective Statement » (un manifeste féministe noir datant de 1977) comme constituant la racine ‘radicale’ de l’intersectionnalité, ce mot n’est pourtant pas utilisé dans ce texte. La définition qui en est donnée par Crenshaw elle-même est plutôt éloquente:
« Je conçois l’intersectionnalité comme un concept provisoire qui ferait le lien entre la politique contemporaine et la théorie postmoderniste. En examinant les intersections de la race et du genre, je veux remettre en question l’idée préconçue selon laquelle il s’agirait de deux catégories bien distinctes ; par l’étude des intersections entre ces critères, j’espère pouvoir suggérer une méthodologie qui puisse au final détruire cette tendance à considérer la race et le genre comme des catégories exclusives et séparables. L’intersectionnalité est donc, de mon point de vue, un concept transitoire qui fait le lien entre les conceptions actuelles (avec leurs conséquences politiques) et la politique du monde réel (avec son point de vue postmoderniste)… La fonction de base de l’intersectionnalité consiste à cadrer la question suivante : comment se fait-il que l’oppression que les femmes de couleur vivent (celles-ci faisant simultanément partie d’au moins deux groupes sujets à une large subordination sociétale) soit traditionnellement perçue comme étant monocausale – attribuée soit à une discrimination de genre, soit de race ? » (“Beyond Racism & Misogyny: Black feminism & 2 Live Crew”, par Kimberlé Williams Crenshaw, dans “Feminist Social Thought: A Reader” (Routlege, 1997))
Ainsi, Crenshaw place ouvertement l’intersectionnalité dans le cadre du postmodernisme. Elle explique que sa préoccupation principale est avant tout de pouvoir catégoriser et caractériser l’oppression, pas tant d’élaborer une stratégie pour mettre un terme à cette oppression. Son postulat selon lequel la ‘race’ et le genre ne sont pas des catégories essentiellement distinctes est erroné. Il s’agit d’une remarque non nécessaire, qui ne servira, au final, qu’à mettre de côté l’analyse correcte sur comment le racisme et le sexisme s’intersectionnent dans une oppression plus profonde présente dans la société et cet élément-là reste sans réponse. Cette erreur s’étend à d’autres aspects de son analyse. Par exemple, elle prétend que l’expérience subie par une femme de couleur dans le cadre d’une relation conflictuelle est qualitativement différente de celle subie par une femme blanche dans la même situation. Il est vrai qu’il y a plus de chances pour une femme de couleur, surtout si elle est issue d’un milieu prolétaire, de se voir accusée d’être elle-même responsable du mauvais traitement que lui fait subir son partenaire ou de se voir maltraitée par la police ou par le système judiciaire. Il est vrai aussi qu’il est important de se pencher sur cette réalité pour mieux la connaitre et l’analyser. Cependant, peut-on vraiment dire qu’il y ait une différence qualitative avec ce qu’une femme blanche – surtout si elle est elle aussi issue d’un milieu prolétaire – peut subir comme mauvais traitements de la part de son partenaire ? En réalité, si nous parlons d’une méthode destinée à combattre la violence des hommes envers les femmes, mieux vaut construire l’unité de toutes les femmes de la classe des travailleurs, et en particulier de toutes celles soumises à cette violence, par l’organisation de campagnes afin d’obtenir des services d’aide, des centres d’accueil et des logements publics où pourront vivre les femmes fuyant un partenaire violent. Il nous faut construire une lutte unifiée contre la culture sexiste et machiste engendrée par le capitalisme, qui est la source première de la violence envers toutes les femmes, toutes classes sociales confondues.
Bien entendu, dans ce cadre, les femmes de couleur doivent pouvoir exprimer leurs problèmes et revendications spécifiques en fonction de leur expérience particulière : dans certains cas, des campagnes séparées autour de ces thèmes spécifiques pourraient être nécessaires et efficaces. Cependant, un gros problème de l’approche intersectionnelle est qu’elle se focalise davantage sur les expériences individuelles et sur la catégorisation des différentes oppressions engendrées par le capitalisme (et qui touchent toutes les couches de la société jusqu’aux plus marginalisées). De ce fait, elle risque de sous-estimer ou de renier les possibilités de construire un réseau de solidarité entre ces différents groupes opprimés.
Plus important encore, cette approche ne propose pas de piste pour en finir avec l’oppression. En d’autres termes, elle rentre dans le cadre de la conception postmoderniste selon laquelle la lutte des classes est terminée. Elle se contente de catégoriser et de caractériser ces différents types d’oppression et ne cherche pas à conscientiser ces groupes opprimés spécifiques, en leur proposant des campagnes et des revendications qui leur soient propres. Pourtant, cela renforcerait plus que jamais le mouvement de la classe des travailleurs dirigé contre le capitalisme – un mouvement capable d’abolir un système tourné uniquement vers le profit ainsi que le règne des 1 % dont l’intérêt est de maintenir la division et d’empêcher le développement de toute résistance face à leur domination, en plus de tirer un profit direct de ces différents types d’oppression.
En tant que féministe et intellectuelle noire, partisane et théoricienne de l’intersectionnalité, Bell Hooks a fermement critiqué le féminisme purement bourgeois ou procapitaliste – le féminisme de la PDG de Facebook, Sheryl Sandberg, qui nous suggère de « nous adapter » ou le féminisme de Beyoncé et son culte voué à la richesse et à l’individualisme qu’elle exprime dans sa musique. Dès le départ, Bell Hooks emploie un ton bien plus radical que, par exemple, les écrits de Crenshaw. Cependant, elle ne propose aucune stratégie pour atteindre son but, qui est d’en finir avec le capitalisme et le patriarcat – tout en laissant entendre qu’il s’agit là de deux luttes séparées, ce qui constitue également un problème.
En effet, le capitalisme ne peut pas être vaincu sans la participation des femmes sur la ligne de front, surtout lorsque l’on parle des femmes issues de la classe des travailleurs, représentant la moitié de la main d’œuvre dans de nombreux pays et qui sont surreprésentées dans les secteurs les plus mal payés et où l’exploitation est la plus intense. Ainsi, aux États-Unis, la population afro-américaine continue à subir cette exploitation des plus sévères. Beaucoup d’efforts doivent être faits afin de construire un mouvement des travailleurs de toutes les origines multiracial capable de remettre en question les divisions et le racisme engendrés par la classe dirigeante qui puisse combattre le capitalisme américain et porter atteinte, voire mettre un terme, au règne des 1 %. Le mouvement « 15 Now ! », pour un salaire minimum à 15 $/heure, qui a obtenu plusieurs victoires dans diverses villes dont Seattle, possède ce caractère multiculturel: les travailleurs de couleur sous-payés jouent en effet un rôle d’avant-garde dans le cadre de cette lutte.
À Fergusson, Missouri, une insurrection locale de la population noire pauvre a éclaté en aout 2014. Cette population est prise pour cible par la police raciste à dominante blanche. Ces évènements ont démontré le potentiel qui existe pour l’émergence d’un nouveau mouvement des droits civiques aux États-Unis. Un tel mouvement pourrait non seulement inspirer les travailleurs (de toutes ethnies confondues) qui sont déçus du soi-disant « rêve américain » prôné par le capitalisme américain, mais aussi tous ceux qui s’identifient aux « 99 % » auxquels s’est adressé le mouvement Occupy. Il pourrait combattre les idées racistes qui existent parmi la classe des travailleurs et servir de tremplin vers l’édification d’un mouvement anticapitaliste large. Ainsi, un tel mouvement, sur base de la lutte pour les droits civiques, pourrait à la fois s’en alimenter et renforcer la lutte. Une telle unité permettrait de dépasser le pouvoir démesuré de l’État capitaliste américain (à Ferguson, la police locale est intervenue en tenue de combat militaire et a combiné les attaques aux lacrymogènes à des descentes en tanks et hélicoptères), qui inflige violence et répression dans le but de maintenir le statu quo.
De la sphère politique à la sphère individuelle ?
La seconde vague du féminisme de la fin des années ’60 à ’70, surtout telle qu’elle s’est manifestée aux États-Unis, pourrait se résumer par le principe que « les problèmes personnels sont des problèmes politiques ». Les problèmes tels que la violence, le viol, le manque de contrôle sur ses propres capacités de reproduction, l’isolation et les traumatismes mentaux qui touchent entre autres les personnes condamnées à rester à la maison pour y effectuer un travail non rémunéré ont alors été analysés comme des problèmes sociaux qui ne pouvaient être résolus que par un mouvement social et une transformation sociale – ce à quoi le nouveau mouvement s’attelait. Ces problèmes n’étaient donc plus considérés comme des questions personnelles, dont la résolution revenait aux femmes au niveau individuel. En effet, tous ces obstacles prennent naissance dans le cadre d’un système politique et social donné et nécessitent par conséquent une transformation sociale et politique pour être supprimés.
En revanche, la plus grande partie du féminisme des années ’90 a complètement retourné cette maxime pourtant très progressiste. La devise de ces féministes devenait : « Les problèmes politiques sont des problèmes personnels ». On voit cela clairement dans les ouvrages de Bell Hook, dans lesquels elle exprime sa propre rage face à l’expérience du racisme et du sexisme, une rage qui ne cherche cependant pas à développer une analyse matérialiste sur la nature de l’oppression dans la société et qui, en outre, n’est pas orientée de manière à contribuer à la construction d’un mouvement de lutte contre cette oppression. Dans Rage meurtrière : En finir avec le racisme (1995), Hooks se fait la digne représentante de cette approche « du politique vers le personnel » :
« Il est paradoxal de constater que de nombreux Blancs qui s’étaient battus aux côtés des Noirs l’ont fait en réaction aux images de victimisation des noirs. De nombreux Blancs affirmaient être préoccupés par la souffrance de la population noire du Sud à l’époque de la ségrégation et vouloir s’engager dans cette cause. Mais si l’image des Noirs en tant que victimes était une idée admise dans la conscience de chaque Blanc, l’image des Noirs en tant qu’êtres égaux, en tant qu’individus capables d’autodétermination, ne suscitait aucune sympathie. En complicité avec l’État-nation, la seule réponse des Américains blancs aux luttes des noirs a été d’accepter passivement le démantèlement des organisations militantes noires et le massacre des dirigeants noirs. »
Dans la pratique, Hooks rejette donc l’ensemble des efforts et sacrifices consentis par divers groupes militants, notamment par le mouvement en majorité blanc des « Voyageurs de la liberté » (Freedom Riders), constitué au début des années ’60 et qui a défié les lois Jim Crow et contribué à l’émergence du jeune mouvement des droits civiques. Les conducteurs de la liberté, dont la plupart étaient des étudiants blancs issus des classes moyennes, n’ont évidemment jamais eux-mêmes connu l’oppression subie par la population noire pauvre du sud des États-Unis. Cela ne les a pourtant pas empêchés de s’engager dans des actions dangereuses qui les amenaient à une confrontation directe avec, notamment, les attaques du Ku Klux Klan. Leur seul objectif était de contribuer à la lutte contre l’injustice et la ségrégation. Hooks adopte une position extrêmement cynique, si catégorique dans son rejet des activistes blancs, qu’elle ferme les yeux sur la complexité de la réalité et se refuse à envisager tout changement potentiel dans la conscience de ceux-ci. Oui, il est fort possible que certains des conducteurs de la liberté, en tant que dignes produits de leur environnement, fussent poussés par des préjugés comme, par exemple, l’idée que leur éducation était de meilleure qualité et qu’ils avaient une plus grande capacité à organiser et à diriger un mouvement. Mais il faut aussi tenir compte du fait que la conscience de ces jeunes gens ait ensuite pu évoluer radicalement du fait de leur participation à ce mouvement – un mouvement au cours duquel ils ont vu des militants noirs et pauvres, sans aucune éducation formelle, prendre la tête de manière courageuse, authentique et efficace pour combattre l’élite, le système et les bandes violentes du KKK.
Il est tout aussi ridicule d’affirmer que chaque être humain à peau blanche vivant aux États-Unis n’ait pu éprouver la moindre sympathie vis-à-vis des mouvements tels que le Black Power ou les Black Panthers. Certains Blancs ont rejoint et collaboré avec les Black Panthers. Tout comme les autres organisations du Black Power, ce mouvement a constitué une source d’inspiration pour l’ensemble des jeunes, des femmes et des travailleurs les plus radicalisés du pays dans le cadre de la lutte contre l’oppression à laquelle ils étaient eux-mêmes soumis, et ce, au cours d’une période par ailleurs hautement révolutionnaire à l’échelle mondiale. Il ne fait aucun doute que la naissance de ces mouvements ait ébranlé les derniers stéréotypes, préjugés ou attitudes négatives envers la population noire qui pouvaient encore subsister dans la conscience même de ces couches les plus radicales. Hooks nie également l’existence du moindre sentiment d’empathie et de solidarité de classe que certaines couches de travailleurs blancs auraient pu ressentir envers les plus opprimés de leurs frères et sœurs de classe – une oppression et une exploitation qu’eux-mêmes pouvaient pourtant comprendre au vu de leur propre expérience en tant que travailleurs.
Nier la victimisation aide le néolibéralisme
Qui plus est, la manière dont Hooks parle des victimes pose elle aussi problème. Être victime n’est pas un trait de caractère. Il est tout simplement le propre d’une personne qui est la victime de quelqu’un ou de quelque chose. Les travailleurs du secteur public peuvent être victimes de l’austérité – ce qui ne les empêche pas de pouvoir également devenir des agents de la lutte contre cette austérité s’ils s’organisent. Les femmes victimes de relations abusives sont victimes de la violence et/ou de la domination de leur partenaire, mais peuvent aussi être syndiquées, faire partie d’une campagne anti austérité et/ou d’un mouvement contre la violence conjugale. De façon similaire, la population noire des États-Unis est victime du racisme inhérent à l’État capitaliste de tout pays, et en particulier du racisme étatique étatsunien, qui est en effet la marque de naissance du capitalisme américain.
La féministe suédoise Kajsa Ekis Ekman a écrit que « l’ordre néolibéral déteste les victimes » et que « s’il n’y avait pas de victimes, il n’y aurait pas d’oppresseurs ». Le fait d’être victime de l’oppression est une réalité qui existe indépendamment de notre volonté. Le fait de nier la réalité de la victimisation, que cela soit fait par un agent de police raciste de Ferguson au Missouri ou par le capitalisme raciste des Etats-Unis, permet uniquement aux oppresseurs (et, de manière plus fondamentale, au système) de s’en tirer à bon compte.
La théorie du privilège
La théorie du privilège est une autre branche des politiques d’identité, qui gagne de plus en plus de popularité parmi les nouveaux cercles féministes, émanant elle aussi de la troisième vague du féminisme (ou postféminisme). Cette théorie a été développée par Peggy McIntosh dans un ouvrage datant de 1988, intitulé Synthèse du privilège blanc : Déballer la sacoche invisible. McIntosh y explique son idée selon laquelle les couches privilégiées comme, par exemple, les hommes blancs de la classe dirigeante porteraient en permanence sur eux une sacoche invisible remplie de toute une série d’avantages non mérités auxquels ils peuvent recourir à tout moment de leur vie pour éliminer les divers obstacles qui pourraient se dresser devant eux. Mais elle considère elle aussi, en tant que femme blanche, porter une série d’avantages non mérités par rapport à la population non blanche.
La plupart de ceux et celles qui s’intéressent à la théorie des privilèges le font dans le but de pouvoir mieux identifier et combattre l’oppression et l’inégalité sous toutes ses formes, ce qui constitue évidemment en soi un pas important. Cependant, le principal problème de cette approche « des privilèges » est qu’elle se concentre sur des solutions individuelles pour mener ce combat. La théorie du privilège implique, en effet, l’idée qu’on pourra combattre l’oppression tout simplement en rendant les gens conscients des « avantages indus » qu’ils portent, afin de les convaincre à titre individuel de ne pas user de ceux-ci.
« Alors qu’un changement systémique peut prendre des décennies, certaines questions me paraissent urgentes, et j’imagine qu’elles le seront aussi pour d’autres personnes si nous prenons davantage conscience au jour le jour des avantages que représente le fait d’avoir la peau blanche. Que ferons-nous avec une telle connaissance ? Comme nous le constatons en observant les hommes, il s’agit de la question de savoir si nous allons choisir d’utiliser ou non cet avantage non mérité, si nous allons utiliser une partie de ce pouvoir acquis arbitrairement afin de reconstruire les systèmes de pouvoir sur une large base » (McIntosh, Summary of White Privilege : Unpacking the Invisible Knapsack).
En réalité, la théorie du privilège sous-estime énormément l’ampleur et l’étendue des différentes formes d’oppression, en particulier en ce qui concerne l’oppression de classe. Elle néglige l’analyse des forces sociales sous-jacentes qui mènent à cette oppression et sous-estime totalement le racisme étatique, les profits tirés de l’oppression des femmes (sur base du travail non payé ou sous-payé dans le cadre du capitalisme), etc. Le fait de dire à chaque individu qu’il ou elle est privilégié(e) par rapport à d’autres couches de la société ne constitue pas une stratégie en vue d’un changement. Il s’agit d’une approche subjective, individualiste, libérale, remplie d’illusions envers le système. On ferme les yeux sur la nature monstrueusement oppressive du capitalisme pour adopter une attitude moralisatrice qui vise à afficher sa conscience de l’oppression dans le but de pouvoir « pointer du doigt » l’ignorance des autres.
Cela revient à vouloir tenter de créer des ilots libres de toute oppression dans l’unique cadre de petits cercles sociaux constitués de personnes « éclairées ». À cet égard, cette approche a donc des points communs avec le concept de squats ou autres mouvements visant à se détacher des normes de la société capitaliste vivant dans des collectivités « communistes » à petite échelle. Mais ce scénario ne permet pas de débarrasser l’ensemble de la société de l’oppression et des inégalités. Ces maux ne pourront être vaincus que par une intervention dynamique pour non seulement opérer un changement d’attitude, mais aussi combattre les racines de classe de l’oppression.
À un niveau plus fondamental, la théorie du privilège sous-estime l’ampleur de la propagation des idées sexistes et racistes sous le capitalisme, et de leur impact très profond sur les attitudes des individus. Il faudra bien plus que le « refus » d’utiliser ses privilèges individuels pour véritablement transformer les comportements et les relations entre les êtres humains. Par exemple, la théorie du « privilège » n’explique pas pourquoi un grand nombre d’hommes sont violents envers les femmes. Le phénomène social de la violence masculine envers les femmes – dont toute une couche d’hommes dans la société est l’agent – dépasse le cadre d’une simple vision dans laquelle les hommes feraient usage de « privilèges immérités ». La prévalence de la violence masculine envers les femmes, tout comme les abus sexuels perpétrés sur les femmes et les enfants, doit être comprise et analysée dans le contexte d’une idéologie prônant la famille nucléaire patriarcale depuis des milliers d’années, de la soumission permanente des femmes dans la société et de la promotion des idées sexistes sous le capitalisme – un système qui, contrairement aux systèmes économiques et sociaux précédents, jouit d’une capacité sans cesse croissante de propagation de son idéologie.
Aucune nouvelle théorie ne pourrait justifier d’éviter la lutte active contre l’oppression sous toutes ses formes ou bien contre le système capitaliste lui-même afin d’éliminer les racines matérielles de l’oppression et de l’inégalité. Nous devons construire une société socialiste, dont les fondements seront la satisfaction des besoins humains de la majorité plutôt que les profits d’une toute petite minorité ; un système dont les principes primordiaux seront la solidarité et la coopération. Une telle transformation ne pourra être obtenue et consolidée que par la lutte et l’action de masse collectives afin d’entamer l’édification d’une base sociale qui permettra d’éliminer les comportements racistes et sexistes et d’engendrer des relations humaines personnelles et sexuelles fondées sur l’égalité, le consentement, le choix et le respect.
Une tradition marxiste
La tradition marxiste possède une histoire aussi riche qu’instructive en ce qui concerne la lutte contre l’oppression. Déjà en 1902, Lénine, dans un de ses ouvrages fondateurs, Que faire ?, insistait sur l’importance pour les socialistes de s’appuyer sur le pouvoir dont dispose la classe ouvrière pour transformer la société et de mener au sein du mouvement des travailleurs une agitation contre toutes les formes d’oppression – y compris celles qui touchent les classes moyennes et dominantes (il mentionnait, par exemple, la répression étatique contre le clergé et les étudiants).
Pour Lénine, non seulement il était correct pour le mouvement des travailleurs de se tenir aux côtés de tous les opprimés, mais il était également essentiel de former les travailleurs pour qu’ils acquièrent une compréhension de l’ensemble des mécanismes du système capitaliste, de sorte qu’ils ne soient pas seulement concernés par leur propre lutte quotidienne, mais disposent d’une analyse critique et approfondie de l’ensemble du système et d’une compréhension de l’importance de l’unité des travailleurs et de la lutte au-delà de toute division, afin de mettre un terme à l’oppression. « La conscience de la classe des travailleurs ne peut être une conscience politique véritable si les travailleurs ne sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation arbitraire d’oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes … La conscience des masses laborieuses ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n’apprennent pas à profiter des faits et évènements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique … »
Le célèbre socialiste américain James P. Cannon (1890-1974) – membre du syndicat des Travailleurs Industriels du Monde (IWW), du Parti socialiste, puis du Parti communiste américain, et qui est devenu, plus tard, un proche collaborateur de Trotsky – trouvait que le Parti socialiste américain avait adopté une approche trop globale vis-à-vis des travailleurs noirs au début du XXe siècle. Pour Eugene Debs, dirigeant du Parti socialiste américain, il suffisait d’appeler les Afro-Américains à l’ « unité prolétarienne » au sens large. Il n’y avait aucune campagne, revendication ou approche spécifique relative aux questions directement liées à l’oppression spécifique dont étaient victimes les populations noires. En réalité, de nombreux travailleurs blancs regroupés au sein du Parti socialiste se méfiaient de la nature « réformiste » des campagnes et revendications spécifiques à la communauté afro-américaine visant à l’égalité. De plus, de nombreuses idées racistes avaient cours à l’intérieur même du Parti socialiste.
Dans son article « La révolution russe et la lutte des Noirs aux États-Unis », Cannon a expliqué la façon dont s’est opéré un revirement du tout au tout parmi la gauche à la suite de la révolution d’octobre 1917 en Russie. Les socialistes américains se sont inspirés de la théorie et de l’action de Lénine. Ce dernier défendait résolument le droit à l’autodétermination des nationalités opprimées en tant qu’outil visant à transcender les sentiments nationalistes et à activer l’unité de classe et la lutte socialiste au-delà des divisions nationales. Tirant les leçons de cette approche, le PC américain (malgré sa stalinisation), soucieux d’appeler la population noire à s’organiser dans le Parti communiste nouvellement fondé, a développé des revendications et du matériel spécifiques visant à la libération des Noirs et l’a incorporé dans son programme et dans ses activités. Grâce à cela, le PC a pu recruter des milliers d’Afro-Américains au cours des années ‘1920 à ’30, ce qui a permis au Parti de devenir une force importante et un point de référence pour la communauté noire pendant toute une période.
Le pouvoir du mouvement des travailleurs
Le mouvement de la classe des travailleurs en lutte a le potentiel de devenir la plus grande force de changement et, pour peu qu’il adopte un programme correct et construise l’unité, un tel mouvement peu devenir un point d’attraction pour l’ensemble des groupes opprimés qui peuvent, à leur tour, rejoindre le mouvement et y mettre en avant leurs revendications spécifiques. Durant Mai 68 en France, nous avons vu se réaliser une telle synergie. D’une part, il y a eu la lutte des étudiants sur les campus des universités françaises, frustrés par un establishment conservateur défendant une approche réactionnaire concernant les questions de genre. D’autre part, la classe des travailleurs s’est engagée dans une grève générale massive au fort potentiel révolutionnaire. La synergie de ces mouvements a créé une force sociale extrêmement puissante qui aurait pu (si la gauche avait été à la hauteur) briser le capitalisme français et jeter la base pour une transformation socialiste de la société en France et ailleurs. Nous avons également vu à l’œuvre une telle synergie lors de la grève des mineurs au Royaume-Uni en 1984-85 avec des femmes prolétaires, des groupes LGBT, des communautés noires et asiatiques qui se sont mis en mouvement.
Les socialistes et les marxistes doivent mener une lutte contre toutes les formes d’oppression et développer des revendications et un programme complet afin de maximiser le potentiel pour forger une telle synergie. En ce qui concerne l’oppression des femmes, les socialistes doivent, par exemple, participer aux luttes pour les droits reproductifs et sexuels, contre le sexisme dans les médias et contre la violence sexuelle, tout en luttant pour l’égalité au travail et contre l’impact de l’austérité sur les femmes. Une telle approche sera cruciale pour assurer que la majorité du nouveau mouvement féministe émergeant – aux contours encore mal définis – puisse être gagné à une position socialiste et combattre de manière efficace les racines de classe de l’oppression des femmes.
La radicalisation par rapport aux questions sociales
En Irlande, on a récemment vu s’opérer de profonds changements à propos de questions sociales, telles que le droit à l’avortement ou la légalisation du mariage homosexuel, en particulier en Irlande du Sud. Les jeunes du Nord comme du Sud sont de plus en plus radicalisés sur ces questions-là. La recherche d’une société plus progressiste, démocratique et laïque peut de plus en plus devenir une porte d’entrée pour les jeunes, en particulier les femmes et les LGBTQI, vers les idées de la gauche anticapitaliste et socialiste. Au niveau mondial, l’arrivée d’une nouvelle génération de féministes est une évolution progressiste positive. Parmi ces couches, nombreux(ses) sont ceux et celles qui se frayent un chemin à travers les théories de l’identité, de l’intersectionnalité et des privilèges. Tout cela est le signe d’une quête sincère, admirable et radicale de réponses pour parvenir à un changement sociétal.
Il est très important pour les socialistes d’entrer dans ce débat de manière sensible, de trouver une cause commune dans l’action et dans la lutte avec tous ceux et celles qui désirent lutter contre l’oppression. Il est également important de mener la lutte contre le système capitaliste – un système qui se caractérise par une inégalité croissante et qui porte en lui le racisme, le sexisme et l’homophobie depuis sa naissance. Un programme socialiste, qui organise la lutte des travailleurs pour que les richesses et les ressources en Irlande, en Europe et dans le monde soient dans les mains de la collectivité, sous contrôle démocratique de la population, est l’approche nécessaire si nous voulons créer les conditions qui nous permettront de mettre un terme à la pauvreté et à l’oppression.
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[RADIO] Au fait… c'est quoi le socialisme à l'américaine?
Radiopanik a décidé il y a peu d’explorer ce qu’est le “socialisme à l’américaine”. Quelle conscience politique et environnementale pour les américains? Comment fonctionne le gouvernement fédéral? Est-ce réellement un socialisme américain qui s’émancipe aujourd’hui dans les figures de Kshama Sawant et Bernie Sanders? Qu’est ce qu’ils proposent? Quelle est leur marge de manoeuvre? apportent-ils une réelle alternative politique? La population est-elle prete à un changement de paradigme?
Pour répondre à ces questions, Radiopanik a invité en studio Bart Vandersteene (porte-parole du Parti Socialiste de Lutte) et Lode Vanoost (journaliste).
Leur échange est disponible sur le lien suivant.
