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  • Seattle. Kshama Sawant affrontera le candidat d’Amazon


    Par Ty Moore, Socialist Alternative

    Les candidats des grandes entreprises passent le premier tour dans les sept districts du conseil municipal de Seattle

    Les premiers résultats du premier tour des élections du conseil municipal de Seattle aiguiseront considérablement les divisions de classe dans cette ville. Sous la direction d’Amazon, les grandes entreprises de Seattle mènent une campagne féroce pour vaincre tous les candidats qui ne sont pas fermement alignés sur la défense de leurs intérêts. Grâce à une injection record de fonds des PAC pro-entreprises (Political Action Commitee, comités d’action politique chargés de recueillir des fonds pendant les campagnes électorales américaines, NdT), les candidats soutenus par les entreprises sont parvenus à passer le premier tour dans les sept districts du conseil. Ils devront affronter des candidats plus progressistes lors de l’élection générale de novembre.

    Mais la Chambre de commerce de Seattle, l’oeil de Sauron, se concentre tout particulièrement sur le District 3 pour vaincre la candidate sortante Kshama Sawant, comme le dit l’hebdomadaire influent de Seattle, The Stranger. La Chambre a déjà dépensé 245.000 $ pour soutenir Egan Orion, qui s’est classé deuxième aux premier tour du 6 août et affrontera Kshama aux élections générales. Au total, les PAC pro-entreprise ont amassé un trésor de guerre totalisant 1,5 million de dollars. Et ce n’est pas fini.

    La campagne électorale de Seattle fait la une des médias nationaux. The Hill a récemment commenté : “Une lutte apparemment insoluble entre progressistes favorables aux affaires [?] et extrême gauche a consumé la politique de Seattle” 7/28/19). The Guardian a ensuite publié un article intitulé “Amazon prend sa revanche sur une socialiste de Seattle…”, qui cite Kshama Sawant : “Cette course et toutes les élections de la ville cette année sont un référendum portant sur une question fondamentale : qui va diriger Seattle ? Les grandes entreprises comme Amazon et les sociétés immobilières ou les travailleurs ?” (8/5/19).

    Au cours du premier tour du District 3, qui comportait 6 candidats, les premiers résultats ont permis à Kshama Sawant de battre le candidat de la Chambre de Commerce Egan Orion de 9 points avec 33% contre 24%. Les quatre autres candidats ont tous été en dessous des 15%. Seuls 60 % environ des votes ont été comptés le soir du scrutin en raison du système de vote par correspondance de l’État de Washington. Le résultat total de Kshama augmentera probablement de quelques points de pourcentage au cours des deux prochaines semaines, à mesure que les votes tardifs arriveront, essentiellement issus de la classe travailleurs et des jeunes.

    Dans le contexte de toutes les forces déployées contre notre campagne, 200 personnes ont accueilli les résultats de Kshama Sawant au Langston Hughes Performing Arts Institute, comme l’a relaté la première page du Seattle Times ce jeudi matin. En même temps, il était clair pour tous qu’un combat très difficile nous attend. Les résultats du District 3 constituent un signal d’alarme pour les travailleurs et la gauche. Remporter plus de 50% pour Kshama en novembre et bloquer les candidats soutenus par Amazon dans les autres districts exigera une lutte acharnée contre l’establishment politique et économique de Seattle.

    Dans son reportage sur notre soirée électorale, KUOW a commenté : Sawant, membre du Conseil, a déclaré à ses partisans que si le monde des affaires était unifié pendant le premier tour, les syndicats étaient quelque peu divisés… Nous devons travailler à l’unité des candidats de gauche autour d’une stratégie de lutte”, a-t-elle dit. “S’unir autour d’une lutte pour le contrôle des loyers et le logement social, s’unir autour d’un mouvement pour un New Deal vert, et s’unir contre les PAC pro-entreprise.”

    Nous saluons les succès remporté par Shaun Scott, candidat des Democratic Socialists of America (DSA) dans le district 4, et Tammy Morales, candidate progressiste dans le district 2. Morales a remporté 45% des suffrages en dépit des attaques du maire Durkan et des grandes entreprises. Scott a obtenu la deuxième place au premier tour avec 19% des voix et fait face à une bataille difficile contre Alex Pederson, candidat soutenu par Amazon, qui a remporté 45% des voix.

    Le premier tour est généralement biaisé avec un pourcentage plus élevé d’électeurs plus riches et plus âgés, ces élections n’ont pas fait exception. Les quartiers riches du District 3 ont connu les taux de participation les plus élevés, avec une participation électorale beaucoup plus faible à Capital Hill et dans le District central où les locataires, les personnes de couleur et les résidents à faible revenu prédominent.

    Le faible taux de participation électorale parmi la classe ouvrière, les pauvres et les communautés opprimées est un problème persistant qui fait partie intégrante du système politique américain. C’est l’une des raisons pour lesquelles les élections ne sont pas le terrain le plus favorable pour la classe ouvrière et la politique socialiste. Bien que la participation électorale à l’élection générale du 5 novembre sera probablement plus élevée, avec un plus grand nombre de locataires et de ménages de la classe ouvrière à l’écoute de la campagne, un énorme effort sera nécessaire pour mobiliser davantage de gens de la classe ouvrière aux urnes pour remporter le suffrage de novembre.

    Jeff Bezos “prend sa revanche”

    Alimentée par l’industrie technologique en plein essor, Seattle est devenue au cours de la dernière décennie la ville qui a connu la croissance la plus rapide des Etats-Unis. Les loyers augmentent encore plus vite. Seattle est aujourd’hui le marché locatif le plus cher du pays en dehors de la Californie. Les communautés ouvrières sont déplacées et chassées de la ville. C’est particulièrement vrai dans le district 3 de Kshama, où les locataires sont majoritaires. Les Noirs représentaient 73% du District Central en 1970, mais sous l’effet de l’embourgeoisement, le nombre total de résidents noirs a diminué des deux tiers depuis lors et la part de la population noire devrait chuter au-dessous de 10% dans le District Central d’ici 2025.

    Le développement rapide de Seattle et l’augmentation spectaculaire des coûts déchirent les communautés et ont conduit à la plus grande population de sans-abris par habitant du pays. Les nombreux campements de tentes sont un contraste saisissant avec les grues de construction et les nouveaux immeubles de luxe étincelants qui dominent le paysage de Seattle.

    The Hill a expliqué plus en détail : « Une tentative de payer une réponse à la crise [du logement] par une taxe sur les grandes entreprises a échoué l’année dernière lorsque le conseil a changé de position face à la vive opposition des entreprises… » Kshama a aidé à mener la lutte pour arracher la taxe sur Amazon et les grandes entreprises. Elle a été l’une des deux seuls à dire “non” lorsque la maire Jenny Durkan a obtenu l’abrogation honteuse de la taxe. La maire Durkan n’était entré en fonction que six mois plus tôt, après qu’Amazon l’eut aidée à acheter les élections avec une contribution de 350.000 $ issue d’un PAC.

    « Après la lutte contre la taxe, Amazon et d’autres grandes entreprises ont versé des centaines de milliers de dollars à un comité d’action politique dirigé par la Chambre de commerce de la ville, et un ancien membre du conseil municipal a formé son propre PAC visant à encourager des démocrates plus favorables aux affaires », continue The Hill pour conclure : « Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos… prend sa revanche».

    La véritable motivation des grandes entreprises est, comme toujours, de protéger leurs profits. Après près de six ans au pouvoir, les grandes entreprises connaissent bien le bilan de Kshama en matière de création de mouvements réussis pour remporter des victoires majeures face à leur opposition, depuis l’instauration du salaire minimum horaire de 15 $ jusqu’à la loi historique sur les droits des locataires.

    « Amazon craint que la réélection de Kshama n’insuffle un nouveau souffle à un mouvement pour les taxer », explique le directeur politique de la campagne, Calvin Priest. « La lutte pour le contrôle des loyers et l’expansion massive des logements abordables publics, qui est au centre de notre campagne, fait peur aux grands promoteurs et à l’industrie immobilière. Puget Sound Energy, le plus grand pollueur de la région, s’oppose farouchement aux appels croissants en faveur d’un New Deal vert pour Seattle. Les grandes entreprises veulent un conseil municipal qui s’opposera fermement à ces revendications populaires.”

    Une atmosphère anti-titulaire

    Au cours des dernières élections au conseil municipal de Seattle, les électeurs ont exprimé leur mécontentement à l’égard des candidats démocrates au conseil élus avec le soutien des entreprises et qui promettaient des changements progressistes. Cette colère contre les démocrates pro-entreprise a également alimenté les victoires de Kshama en 2013 et 2015. Cependant, malgré les victoires importantes que nous avons remportées, l’échec complet du conseil municipal actuel à s’occuper de la crise du logement et du sans-abrisme alimente une forte atmosphère anti-titulaire, contre les élus déjà en poste.

    Les grandes entreprises et les groupes de droite ont pu profiter de l’humiliante retournement de veste des libéraux du conseil concernant la « taxe Amazon », mais cela a davantage discrédité ces derniers. En dépit des désaccords ouverts de Kshama avec les membres du conseil et son vote contre l’abrogation de la taxe, les médias pro-entreprises sont en partie parvenus à compromettre Kshama avec le statu quo et la “débâcle de la taxe”, comme ils le disent. « Les électeurs de Seattle ont clairement le choix cet automne entre une nouvelle direction ou plus de la même chose », a déclaré Marilyn Strickland, présidente de la Chambre de Commerce de Seattle, dans une déclaration faisant suite au premier tour.

    En même temps, la pression intense exercée par Amazon et les grandes entreprises dans cette campagne a révélé au grand jour les différences politiques très réelles qui existent entre le libéralisme dominant de la plupart des membres du conseil municipal de Seattle et les socialistes qui s’appuient sur la construction de mouvements sociaux. Les politiciens libéraux et certains dirigeants syndicaux ont été en colère quand Kshama a refusé de leur offrir un vernis de gauche en les accompagnant dans leur capitulation concernant la taxe Amazon et d’autres votes. Ils se sont joints aux grandes entreprises pour s’opposer à la réélection de Kshama Sawant.

    Parmi les électeurs les moins informés, ces attaques contre Kshama Sawant lancées par les soi-disant progressistes et les dirigeants syndicaux ont clairement eu un impact. Ces attaques sont considérées par beaucoup d’électeurs comme des divisions et des dysfonctionnements “à gauche”. Elles ont aidé les médias et les politiciens du monde des affaires à renforcer le sentiment anti-titulaire. La plupart des titulaires ont simplement décidé de ne pas se présenter aux élections. Aucun des trois autres titulaires n’a obtenu plus de 50 % des suffrages au premier tour, un phénomène rare dans l’histoire politique de Seattle.

    Bien que le premier tour ait également révélé de profondes divisions entre les sections les plus libérales et celles plus pro-entreprises de l’establishment politique de Seattle, beaucoup sont susceptibles de s’unir avec Amazon et la Chambre de commerce pour soutenir Orion contre Sawant lors des élections générales. Le décor est planté pour l’élection du conseil municipal la plus chère et la plus âprement disputée de mémoire d’homme, donnant une expression politique tranchante aux divisions de classe de plus en plus claires qui façonnent Seattle.

    Le débat à gauche

    Une grande majorité des travailleurs et des progressistes ne veulent pas d’un conseil municipal dominé par les grandes entreprises. En même temps, un débat majeur divise le mouvement ouvrier de Seattle et les militants progressistes sur la façon de faire face à cette menace.

    Les socialistes ont toujours soutenu que, sous le capitalisme, la course aux profits des entreprises aggrave inévitablement les inégalités et les divisions de classe. Lorsque les travailleurs exigent des salaires plus élevés ou que les locataires exigent des loyers plus bas, cela menace les marges de profit de la classe capitaliste. Tout au long de l’histoire, chaque pas en avant pour la justice sociale a été franchi lorsque les travailleurs et les communautés opprimées ont reconnu que le seul moyen d’améliorer leur vie était de lutter contre l’élite capitaliste.

    Bien que cette compréhension ait animé l’approche de Socialist Alternative à la politique de Seattle, la plupart des politiciens libéraux ainsi que de nombreux dirigeants syndicaux sont totalement opposés à cette stratégie de combat. Au premier tour, l’aile la plus libérale de l’establishment de Seattle craignait à juste titre que l’alliance ouverte d’Orion avec les grandes entreprises ne repousse de nombreux électeurs du district 3 qui avaient un esprit progressiste. Les membres du Conseil Teresa Mosqueda et Lorena Gonzalez ont énergiquement soutenu Zachary DeWolf, candidat qui s’est présenté comme progressiste.

    « DeWolf a également obtenu le soutien des dirigeants syndicaux les plus conservateurs menacés par le soutien de Kshama aux voix de l’opposition à leurs bases », a déclaré Ian Burns, organisateur de Labor for Sawant. « Entre autres désaccords, son vote contre le contrat illégal du syndicat de la police réduisant la responsabilité de la police les a énervés. » Kshama est déjà soutenue par 15 syndicats et maintenant, avec la menace de la Chambre d’étendre sa domination à l’Hôtel de ville en novembre, « nous nous attendons à ce que la pression de la base conduise à plus de syndicats à nous soutenir » explique Burns « malgré l’hésitation de certains dirigeants ouvriers à soutenir une candidate ouvertement socialiste ».

    Expliquant la décision du Conseil du travail de soutenir Zachary DeWolf plutôt que Sawant, Monty Anderson, secrétaire exécutif du Conseil des métiers de la construction, a déclaré : « Vous êtes censés faciliter les affaires en ville, et nous pensons que [Kshama] fait le contraire. » Avant cela, Anderson et d’autres dirigeants syndicaux conservateurs se sont publiquement opposés à la taxe Amazon. Ils avaient joué un rôle non négligeable en aidant les grandes entreprises à obtenir l’abrogation de la taxe et en fournissant une couverture politique aux membres libéraux du conseil qui avaient capitulé face à la pression d’Amazon.

    Comme on pouvait s’y attendre, ces tentatives de gagner la faveur des grandes entreprises n’ont pas été suivies de remerciements par ces derniers. L’un des PAC pro-entreprise a envoyé des lettres à toute la ville pour attaquer d’autres candidats soutenus par les travailleurs en les qualifiant de “diviseurs” et “d’extrémistes” tout en les assimilant à Kshama Sawant ! L’une de ces lettres a même été envoyées dans le District 3 contre Zachary DeWolf, en dépit des attaques de ce dernier et d’Anderson contre Kshama.

    La stratégie de la plupart des politiciens libéraux et de nombreux dirigeants d’ONG et de syndicats pour trouver un terrain d’entente avec les grandes entreprises a toujours échoué. À moins que les travailleurs et la gauche n’apprennent cette dure leçon – à Seattle et à l’échelle nationale – nous ne serons pas en mesure de repousser les grandes entreprises et les forces de droite.

    Unir la gauche et les travailleurs contre le capital

    Amazon et la Chambre de commerce ont maintenant une liste claire de démocrates à leur solde dans toutes les courses électorales. Ils sont prêts à dépenser des millions de dollars dans un déluge d’annonces en ligne et de publipostages avec une stratégie médiatique coordonnée pour remodeler le débat politique à Seattle en leur faveur.

    Les travailleurs et les candidats socialistes doivent s’unir, au moins autour d’une plate-forme commune, pour défier ensemble les grandes entreprises dans cette élection. Il ne suffit pas de s’opposer simplement à l’influence des entreprises, étant donné le mécontentement général à l’égard de l’échec du conseil municipal actuel à résoudre les problèmes brûlants de notre ville. Les grandes entreprises essaient d’exploiter l’humeur anti-titulaire en appelant cyniquement au “changement” et en blâmant l’aile soi-disant “activiste” du conseil pour l’impasse politique.

    Une alliance de candidats de gauche réclamant un contrôle des loyers, la taxation des grandes entreprises pour financer des logements abordables et un New Deal vert pour Seattle – entre autres revendications – pourrait fournir une vision ouvrière et socialiste claire pour transformer Seattle dans l’intérêt de la majorité. Au lieu de cela, la plupart des candidats progressistes et soutenus par les travailleurs ont échoué en voulant esquiver un combat direct contre Amazon et les grandes entreprises. Ils espéraient qu’une approche moins combative que celle de Sawant les épargnerait des attaques des entreprises.

    Malgré cela, au moment même où les PAC lançaient un déluge d’attaques contre Tammy Morales, la maire Jenny Durkan s’est adressée aux médias avec sa propre attaque à : « Ajouter une autre socialiste comme Tammy Morales causera plus de division dans notre ville ». Ce premier tour des élections a montré montre jusqu’où les grandes entreprises et l’establishment politique de Seattle sont prêts à aller pour vaincre leurs détracteurs. Les travailleurs et la classe moyenne, le mouvement ouvrier, les socialistes et les progressistes de Seattle perdront du terrain si nous ne nous réunissons pas autour d’un programme de lutte unifiant les travailleurs, les communautés, les migrants, les personnes LGBTQ, les pauvres et tous ceux qui sont confrontés aux attaques du grand capital.

    Une puissante campagne de terrain

    La tentative agressive et nue d’Amazon et des grandes entreprises d’intimider et d’acheter leur voie vers la domination politique a choqué la plupart des gens. Dans le District 3, cela a également contribué à inspirer la plus grande campagne de terrain de l’histoire moderne de Seattle.

    « Plus de 4.000 donateurs individuels ont participé à la campagne de Kshama pour nous aider à riposter », a déclaré Eva Metz, directrice financière de la campagne de Sawant. « Nous sommes très fiers d’annoncer que c’est trois fois plus de donneurs que n’importe lequel de nos concurrents. Les médias pro-entreprises ont essayé de nous dénigrer en disant que nous sommes financés par de grosses sommes d’argent provenant de l’extérieur de l’État, mais nous avons 2363 donateurs de Seattle, 1602 du district 3. C’est à peu près le double du nombre de donateurs de Seattle et trois fois plus de donateurs du District que toute autre campagne. Nous avons un don médian de 20 $, ce qui nous a permis d’amasser près de 290.000 $ aux primaires, détruisant tous les records[sans compter l’argent de PAC] ».

    Plus de 350 personnes se sont portées volontaires pour la campagne, rappant aux portes, accrochant des affiches, fabriquant des badges, occupés à la saisie de données, etc. « J’étais vraiment fier que mon syndicat ait soutenu Kshama et que beaucoup d’enseignants l’aient aidé » a expliqué Maley, qui est aussi ‘organisateur de la branche de Capital Hill pour Socialist Alternative, « l’épine dorsale de cette campagne était les membres de Socialist Alternative. Nous comprenons ce qui est en jeu pour les travailleurs et la classe moyenne, non seulement ici à Seattle, mais partout dans le monde, si nous laissons des milliardaires comme Jeff Bezos diriger les choses. Les membres se sont vraiment mobilisés et ont donné tout ce qu’ils avaient. »

    Greyson Van Arsdale, organisateur de l’équipe de campagne de Sawant, a été sans relâche impliqué dans la campagne dans la rue. « Alors que d’autres candidats comptent principalement sur les publicités payées, les expéditions de courrier et les médias pro-entreprises pour communiquer leurs attaques contre nous, nous avons répondu à leur campagne négative par des dizaines de milliers de conversations au porte-à-porte : nous avons frappé à plus de 90.000 portes depuis le 1er juin ! »

    Lors de la soirée électorale, Kshama a résumé ce qui motive politiquement la détermination infatigable de nombreux membres de Socialist Alternative : « La maire Jenny Durkan dit qu’on n’a pas besoin de plus de socialistes au conseil. Nous répondons en construisant fièrement et sans excuses le mouvement socialiste. Plus fondamentalement, expliquons aux gens que le capitalisme est incapable de résoudre les crises auxquelles sont confrontés les travailleurs, qu’il s’agisse de la catastrophe climatique ou de la crise du logement. Nous devons nous organiser pour construire les forces du socialisme. J’espère vous voir tous dans la rue avec nous dans les mois à venir. Disons non à Jeff Bezos ! Quand on se bat, on gagne !”

  • Présidentielle Américaine 2020: Sanders, les mouvements de lutte et les socialistes

    Par Émily P., Alternative Socialiste (CIO-Québec)

    La classe ouvrière des États-Unis bouillonne. Avec les mesures d’austérité, les lois antiavortement et les attaques institutionnalisées contre les personnes migrantes, ni l’establishment traditionnel ni Donald Trump n’arrivent à canaliser la colère. Et les élections présidentielles américaines se dérouleront l’année prochaine.

    Lors de la conférence nationale de la section canadienne d’Alternative socialiste, nous nous sommes entretenu·e·s avec un camarade de Socialist Alternative-USA (SA-USA) sur ce sujet. Ty Moore est membre du comité exécutif national et membre de la section de Seattle de SA.

    AS. Quel est votre bilan de la campagne présidentielle de 2016, de l’enthousiasme pour Bernie Sanders et de l’élection de Donald Trump?

    TM. Eh bien, à l’échelle globale, pays après pays, on voit une colère généralisée produite par le capitalisme. Par l’absence de qualité de vie, par l’inaptitude du système à répondre aux changements climatiques, à la crise des réfugié·e·s, au racisme et au sexisme. Cette colère n’a pas de porte-parole issu clairement de la classe des travailleurs et des travailleuses. Alors, on assiste à une réponse provenant de l’aile blanche de la droite populiste sur la question du racisme. Et ça explique, en partie, pourquoi Trump a gagné les élections.

    Mais, d’un autre côté, on voit croître une aile de gauche populiste qui aspire à une représentation politique de la classe ouvrière. Je pense que c’est fondamentalement ce qu’a représenté la campagne de Sanders en 2016 et ce qu’elle représente pour 2020.

    Il faut rappeler que Trump n’a pas été élu par un vote massif de la classe ouvrière. Il avait derrière lui une partie importante de la classe capitaliste – pas la majorité, mais une partie importante. Celle-ci l’a supporté en 2016 et continue à le supporter. Il a gagné un vote fort d’une partie de la classe moyenne. Une section de la classe ouvrière blanche, qui a vécu la désindustrialisation dans le Midwest, a voté pour Trump. Ces travailleurs et ces travailleuses n’arrivaient pas à voir dans Hilary Clinton une réponse à leurs problèmes. Voter pour Trump était donc un gros pied de nez à l’establishment. Et ces électeurs et électrices ne pensaient pas nécessairement que Trump allait gagner.

    AS. Comment expliquez-vous le choix de Sanders de se présenter sous la bannière du Parti démocrate (PD)?

    TM. Sanders représente une nouvelle force de gauche qui croit depuis la récession de 2007. Sa campagne donne une voix à la colère généralisée de la classe ouvrière à l’égard de Wall Street, des grosses compagnies et de la corruption politique. Mais Sanders, vous savez, se proclame socialiste. Ce qui est une bonne chose. Mais il est un socialiste réformiste et, au final, il a fait un choix pragmatique. Il n’est pas un démocrate. Il n’a jamais été enregistré sur la liste des démocrates. Il a fait campagne comme indépendant la plus grande partie de sa carrière politique.

    Avant sa course en 2016, il a interrogé la base des mouvements de lutte à savoir s’il devait faire campagne sous la bannière démocrate ou de façon indépendante. Puis, il a fait le choix pragmatique de se tourner vers les démocrates. Selon lui, les forces à l’extérieur du PD n’étaient pas assez fortes à ce moment-là pour s’engager dans une course avec un 3e parti. Nous ne sommes pas d’accord avec lui.

    Ce que sa campagne de 2016 et celle qui prend forme actuellement prouvent, c’est que la colère généralisée peut être mobilisée dans un 3e parti. Un parti pour la classe des travailleurs et des travailleuses. C’est possible d’avoir un parti basé sur des centaines de milliers de personnes. Mais Sanders n’a pas pris cette décision.

    Nous allons lutter pour que chaque vote en faveur de Sanders sorte, même s’il est avec les démocrates. Mais nous lançons un avertissement au mouvement. Le PD n’est généralement pas si démocrate. Il va utiliser tous les trucs qu’il a dans son sac, toutes les magouilles douteuses, pour bloquer Sanders. Le PD est fondamentalement un parti des grosses entreprises contrôlé par les grandes corporations de Wall Street. Il ne laissera jamais Bernie gagner les élections primaires.

    AS. Quelles sont les perspectives de cette campagne? Que Sanders gagne ou perde, qu’est-ce que SA-USA organise pour l’étape suivante?

    TM. SA va s’investir dans la campagne de Sanders. Il y a des millions de jeunes, de travailleurs, de travailleuses, de syndicalistes, de femmes, d’activistes antiracistes et environnementalistes qui voient en Sanders le meilleur espoir et le plus grand potentiel pour gagner de réelles luttes. Celle pour une assurance maladie pour tout le monde (Medicare for all) ou encore celle pour un Nouveau plan vert (Green New Deal). Alors nous allons nous investir dans ces mouvements et dans la campagne de Sanders.

    Sans nous cacher, nous allons mettre de l’avant notre programme socialiste indépendant au sein de ces campagnes. Nous disons que si Sanders est bloqué de façon non démocratique durant les primaires démocrates, il doit immédiatement changer de cap et créer un nouveau parti. Il ne devrait pas faire la même erreur qu’en 2016, lorsqu’il a perdu les élections. Son retrait a aussi eu pour effet de démobiliser le mouvement.

    Par contre, s’il gagne les primaires démocrates – ce qui est aussi possible – la possibilité d’un gouvernement Sanders à gauche sera bien réelle. À cette étape, il sera important d’aller au-delà des limites d’un programme réformiste afin d’être réellement en mesure de couper avec le capitalisme. Cette étape sera cruciale. L’exemple de SYRIZA en Grèce a montré les limites du réformisme lorsqu’un gouvernement de gauche tente d’implanter un programme réformiste dans une période de crise du capitalisme. Malgré les promesses de Sanders, gagner des luttes comme le Medicare for all et le Green New Deal, lutter pour le plein emploi ou contre le racisme dans le système de justice ne sera pas possible sous le capitalisme.

    Pour y arriver, nous avons besoin d’un programme socialiste. Nous devons gérer démocratiquement et sous contrôle public les grosses industries, les entreprises du secteur de l’énergie et les banques. Ce type de débat prend sérieusement forme dans la classe ouvrière. Nous accueillons cette ouverture avec enthousiasme. Les membres de SA-USA y prennent déjà part et continueront de faire partie des mouvements de lutte afin de construire un monde socialiste.

    ***

    Au Québec, Alternative socialiste milite au cœur de Québec solidaire (QS) afin de mener des campagnes mobilisatrices pour la classe ouvrière. Au même titre que nos camarades des États-Unis, nous devons expliquer que les réformes majeures proposées par QS – bien que souhaitables – ne sont pas soutenables dans le cadre du capitalisme. Nous travaillons à activer différentes structures de QS pour qu’elles s’enracinent parmi les travailleurs et les travailleuses afin de servir d’outil de lutte pour mener des campagnes massives.

     

  • USA. L’importance nationale de la campagne pour la reelection de Kshama Sawant

    Kshama Sawant a été élue pour la première fois au conseil municipal de Seattle en 2013 avec plus de 90.000 voix, en se présentant ouvertement comme membre de Socialist Alternative, avant que Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ne soient connus. Kshama a profité de sa campagne électorale de 2013 pour défendre vigoureusement l’instauration d’un salaire minimum horaire de 15 $, alors qu’aucun élu de premier plan n’en parlait en dépit des grèves des travailleurs de la restauration rapide. La victoire électorale de Kshama et le mouvement des syndicats, des travailleurs et des socialistes ont fait de Seattle la première grande ville à remporter le salaire minimum de 15 dollars.

    Par Bryan Koulouris, Socialist Alternative (CIO-USA)

    Le mouvement des 15 $ à Seattle a surmonté l’opposition féroce de l’establishment capitaliste, mais après la victoire à Seattle, la loi des 15 $ s’est répandue comme une traînée de poudre dans tout le pays. L’élection de Kshama en 2013 a également été la première grande percée pour les socialistes aux urnes, ce qui a donné confiance aux autres militants de gauche pour vaincre le pouvoir corporatif et l’establishment politique ; ceci a été renforcé par la réélection de Kshama Sawant en 2015.

    Mais pour que les travailleurs, les jeunes et les opprimés gagnent du terrain, les élections ne suffisent pas. La fonction politique doit être utilisée pour construire des mouvements de lutte et accroître la conscience de la classe ouvrière pour changer la société. Kshama Sawant et Socialist Alternative ont brillamment illustré à Seattle comment cela pouvait être fait.

    D’innombrables victoires que beaucoup pensaient auparavant impossibles à gagner ont été remportées à Seattle au cours des cinq dernières années. Avec l’élection de Kshama, les militants de la classe ouvrière ont acquis de la confiance et ont disposé d’une voix à l’hôtel de ville et d’une ressource inestimable pour mieux s’organiser. Des lois historiques pour les droits des locataires, l’instauration de la Journée des peuples indigènes, le blocage de la construction d’un bunker monumental de la police, etc. ne sont que quelques exemples de ce qui a été obtenu.

    Actuellement, la campagne pour la réélection de Kshama lutte en faveur du contrôle universel des loyers et de la taxation des grandes entreprises pour financer une expansion majeure du logement social. Si nous pouvons remporter une victoire massive en matière de logement à Seattle – tout comme avec le mouvement des 15 $ – cela pourrait ouvrir les vannes des luttes et de la législation dans les villes à travers le pays, partout où les travailleurs font face à une profonde crise du logement.

    La crise du logement et de puissants ennemis

    Alors que la région de Seattle abrite deux des cinq milliardaires les plus riches au monde, on trouve des campements de tentes pour sans-abri dans presque tous les quartiers – sauf là où la police les a brutalement démolis. Le marché du logement à but lucratif a laissé tomber cette ville, et les gens de la classe ouvrière sont chassés par les expulsions, la hausse des loyers et le système fiscal le plus régressif du pays. Seattle est en tête du pays en ce qui concerne les grues de construction par habitant, et les grands promoteurs tentent de transformer la ville en un terrain de jeu pour les riches. Ils savent que l’appel audacieux de Kshama en faveur d’un contrôle universel des loyers et des taxes sur les riches pour financer des logements sociaux de qualité constitue un obstacle majeur sur leur chemin.

    Les grandes entreprises essaient donc d’acheter cette élection. Ils ont investi plus d’un million de dollars dans deux comités d’action politique (PAC) pour tenter de renverser Kshama. Cet argent sera dépensé dans des lettres envoyées par la poste et l’engagement de frappeurs de porte professionnels qui tenteront de cacher aux électeurs de Seattle les véritables intentions des milliardaires derrière une rhétorique “progressiste”. Mais leur objectif est clair : “n’importe qui, sauf Kshama”.

    Les grandes entreprises de Seattle sont encouragées en ce moment même. Leur programme avait été repoussé sur de nombreux fronts par le bureau de Kshama Sawant, la croissance de la gauche socialiste, l’augmentation des luttes ouvrières et des victoires clés sur les 15 dollars de l’heure et les droits des locataires. Cependant, au cours de ces deux dernières années, la classe des milliardaires s’est réaffirmée avec la défaite de la “Taxe Amazon” (en savoir plus) et l’élection du maire.

    L’année dernière, Kshama et Socialist Alternative ont aidé à mener une grande campagne pour taxer Amazon et les grandes entreprises et utiliser ces fonds pour construire des logements sociaux de qualité. Au départ, lorsque la campagne a proposé cette taxe, la pression organisée des locataires et des travailleurs a fait en sorte que le Conseil municipal adopte la taxe à l’unanimité. Ensuite, l’homme le plus riche du monde – Jeff Bezos – a utilisé son intimidation économique et le lobbying des entreprises a fait son chemin. La taxe Amazon a finalement été abrogée et la grande majorité des membres du conseil municipal ont fait volte-face. Bezos a été aidé dans l’orchestration de cette trahison par la maire Jenny Durkan élue en 2017 avec une contribution de 350.000 $ d’Amazon au travers d’un PAC.

    En 2017, Socialist Alternative avait activement soutenu le candidat indépendant de gauche du Parti populaire, Nikkita Oliver, pour le poste de maire. Malheureusement, une section de dirigeants syndicaux a activement soutenu Durkan et s’est ensuite opposée à la lutte pour taxer Amazon et les grandes entreprises. Cette dynamique – un establishment enhardi et un mouvement ouvrier divisé – a conduit Socialist Alternative à comprendre très tôt que cette campagne de réélection serait une bataille très difficile. Le débat au sein des syndicats de Seattle est d’importance nationale et contient des leçons clés sur la voie à suivre pour le mouvement syndical.

    Le mouvement ouvrier de Seattle

    Avec des niveaux record d’inégalité, pour que le mouvement ouvrier grandisse et prospère, nous devons lutter contre les grandes entreprises qui veulent attaquer nos droits, nos salaires et nos conquêtes sociales. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’adopter des revendications audacieuses et une stratégie de lutte, de bâtir la démocratie au sein des syndicats et de ne pas nous limiter à ce qui est acceptable pour les grandes entreprises.

    Une recrudescence de la lutte ouvrière a eu lieu ces dernières années avec les enseignants en première ligne, et les sondages montrent que les opinions favorables aux syndicats ont augmenté de façon spectaculaire, en particulier chez les jeunes. Reflétant cette atmosphère, Kshama est fière d’être soutenue par 13 sections syndicales locales de Seattle jusqu’à présent, représentant plus de 80.000 travailleurs de l’État de Washington.

    Malheureusement, certains dirigeants syndicaux plus “pragmatiques” estiment que nous pouvons renforcer notre influence en “établissant un consensus” avec les PDG et l’establishment politique plutôt qu’en comprenant que ces forces font obstacle à l’amélioration de la vie des travailleurs. Ces dirigeants syndicaux, dont beaucoup ne disposent pas de processus démocratique au sein de leur syndicat, ont voté contre l’approbation de Kshama au Conseil du travail du comté.

    Dans la foulée de ce vote, Monty Anderson, du King County Construction Trades Council a déclaré : “Quand nous avons dû rompre les liens, c’est quand elle a commencé à jouer avec le nouveau poste de police, la taxe [Amazon], qu’elle s’est mise entre les camionneurs et UPS. Nous estimons qu’un politicien local ne devrait pas se mêler de cela. Nous pensons qu’un politicien local devrait faciliter les affaires dans la ville, et elle fait le contraire.”

    Nous devons rejeter ce genre de syndicalisme d’entreprise et nous baser sur une stratégie de lutte pour obtenir le contrôle des loyers, un New Deal vert pour les travailleurs, une plus grande responsabilisation de la police et plus encore.

    Il est malheureux que, intentionnellement ou non, une section de dirigeants syndicaux ait pris vis-à-vis de ces élections une décision qui renforcera Amazon et la Chambre de commerce, au lieu de défendre les intérêts des travailleurs et des gens de couleur. Gagner cette élection et renforcer la gauche combative à Seattle aurait des implications nationales pour le renforcement du mouvement ouvrier.

    L’importance nationale de ces élections

    De plus en plus de socialistes auto-identifiés sont élus et mènent campagne dans tout le pays. Cela a suscité un débat à gauche sur une question clé : comment les socialistes peuvent-ils utiliser efficacement les fonctions électives dans un système capitaliste ? Certains prétendent que nous devrions abaisser notre profil socialiste en nous basant uniquement sur les limites du Parti démocrate, mais les victoires de Kshama sont un exemple des possibilités de populariser les idées socialistes, de mener des campagnes indépendantes et de construire des mouvements pour gagner des victoires. Le maintien de ce siège de combat pour les travailleurs à Seattle peut être un phare pour la gauche au niveau national dans le débat sur la manière de changer la société.

    La stratégie de Socialist Alternative repose sur la reconnaissance que la classe des milliardaires piétinera nos droits, notre niveau de vie et notre planète à la recherche du profit. Seule la force organisée et unie des travailleurs peut changer le monde. Les élections sont un outil que nous pouvons utiliser dans cette lutte, mais tout comme pour une grève ou une campagne communautaire, nous devons donner tout ce que nous avons dans cette lutte pour la gagner !

  • USA. Utiliser la campagne ‘‘Bernie 2020’’ pour lancer une riposte de masse des travailleurs


    Bernie Sanders a officiellement lancé sa course à la présidence des États-Unis pour 2020, jurant d’organiser ‘‘une campagne populaire historique et sans précédent qui débutera avec au moins un million de personnes de tout le pays’’. 24 heures après l’annonce de sa candidature, il avait déjà recueilli 5,9 millions de dollars en dons et comptait plus de donateurs individuels que tous les autres candidats actuels à la présidence réunis !

    Par Kshama Sawant, Socialist Alternative

    La nouvelle campagne de Bernie Sanders commencé à un point beaucoup plus élevé que lorsque le sénateur du Vermont avait appelé pour la première fois à une ‘‘révolution politique contre la classe des milliardaires’’ au printemps 2015. Il avait alors massivement été ignoré par les grands médias. Même s’il est encore tôt dans la campagne, Sanders est bien placé pour définir politiquement la nature des prochaines primaires démocrates.

    L’annonce vidéo de Sanders commençait par la déclaration : ‘‘Le vrai changement n’a jamais lieu du haut vers le bas, mais toujours du bas vers le haut.’’ Je suis tout à fait d’accord avec cela. C’est pourquoi Socialist Alternative et moi-même allons travailler avec d’autres pour lancer des campagnes de base dans les communautés locales, les syndicats, les écoles et les lieux de travail à travers les États-Unis afin de construire une lutte de masse de la classe des travailleurs autour de la campagne de Sanders.

    Les enjeux de ces élections sont considérables. Il est urgent de chasser Trump, et les socialistes et la gauche doivent profiter pleinement du potentiel actuel pour s’organiser aux côtés des millions de personnes qui se battent déjà et qui seront maintenant mobilisées autour de Bernie.

    Mais nous devons aussi tirer les leçons de 2016. Les primaires démocrates avaient été truquées contre Bernie. Le Comité national démocrate (DNC) s’était mobilisé contre lui, les manœuvres furent légion dans une série de caucus et de primaires, le système antidémocratique des super-délégués avait été utilisé contre lui tandis que les grands médias et les figures démocrates ‘‘progressistes’’ n’avaient pas économisé leurs attaques cinglantes. Les travailleurs ont besoin de leur propre parti, un parti indépendant du monde de l’argent et des entreprises, un parti qui lutte aux côtés des mouvements sociaux plutôt que contre eux.

    Je pense que Bernie devrait se présenter aux élections en tant que socialiste indépendant – tout comme je l’ai fait moi-même à Seattle – et utiliser sa campagne pour lancer un nouveau parti de masse pour les travailleurs, au lieu de se présenter dans un parti capitaliste dont la direction est déterminée à l’arrêter à n’importe quel prix. Bernie a malheureusement pris sa décision et se présente aux primaires démocrates. Mais il n’est pas acceptable que notre mouvement politique soit emprisonné dans ce processus. Les élections de 2016 ont eu de terribles conséquences politiques. Avant de lancer sa première campagne il y a quatre ans, Sanders a dit qu’il envisageait de se présenter en tant qu’indépendant ou démocrate et qu’il voulait savoir ce que les gens pensaient. Cette fois-ci, il a court-circuité cette discussion et il commet une erreur fondamentale, même si de nombreuses personnes sont sans doute d’accord avec lui sur une base pragmatique ou dans l’espoir que le Parti démocrate puisse être transformé d’une manière ou d’une autre en un parti du peuple.

    Il est certain que Bernie disposera d’une énorme plate-forme dans les primaires démocrates, mais déclarer maintenant qu’il se présente comme indépendant et utiliser sa campagne pour poser les bases d’un nouveau parti créerait un séisme massif dans la politique américaine.

    Dans un article du New York Times intitulé ‘‘L’Amérique devient-elle un État à quatre partis ?’’, Thomas Friedman attaque Alexandria Ocasio-Cortez, qui se décrit elle-même comme socialiste démocratiques, mais il souligne à juste titre que ‘‘les partis politiques du monde démocratique explosent’’ et que les bases existent pour fonder un véritable parti de gauche aussi bien qu’un parti d’extrême droite.

    Si l’establishment démocrate réussit une fois de plus à bloquer Bernie, il devrait poursuivre sa campagne en tant que candidat indépendant jusqu’en novembre 2020. L’histoire n’offre pas un nombre illimité d’occasions de bâtir le genre de force politique dont les travailleurs ont besoin, et nous devons tirer les leçons du passé. Si la direction démocrate réussit une fois de plus à faire élire un autre candidat opposé au changement, nous courons le risque que Trump soit réélu malgré son impopularité et sa mauvaise position dans les sondages à l’heure actuelle. Il est certain qu’un candidat de l’establishment pourrait aussi être en mesure de vaincre Trump, à l’image de ces candidats qui ont remporté les élections de mi-mandat de l’automne dernier qui étaient essentiellement un référendum sur l’administration Trump. Mais la politique capitaliste en faillite des Démocrates Joe Biden ou Kamala Harris n’est pas un atout pour vaincre la droite ou représenter les besoins des travailleurs. C’est tout l’inverse !

    Sanders est aujourd’hui l’homme politique le plus populaire du pays, et les revendications de la classe ouvrière au centre de sa campagne de 2016 – Medicare for All, un enseignement supérieur public gratuit et un salaire horaire minimum fédéral de 15 dollars – ont été au centre du discours politique américain. Bien que populaires depuis longtemps, elles jouissent maintenant d’un soutien écrasant dans les sondages grâce à l’appui de Sanders et des forces populaires. De nombreux politiciens du Parti démocrate, y compris des candidats comme Kamala Harris, ont été forcés de se prononcer en leur faveur, même si ce ne sont que des paroles en l’air.

    En 2016 et depuis lors, le fait que Sanders se soit défini comme ‘‘socialiste démocratique’’ a joué un grand rôle dans la création d’un débat de masse sur les idées du socialisme, un processus qui existe principalement suite à l’échec du capitalisme et à son incapacité à assurer un niveau de vie décent à la classe ouvrière ou un avenir aux jeunes gens. Comme Sanders l’a souligné dans sa récente réponse au discours sur l’état de l’Union de Trump, aux États-Unis, les travailleurs gagnent moins qu’en 1973, lorsque l’on prend l’inflation en compte, et 80 % des Américains vivent maintenant de chèque de paie en chèque de paie sans pouvoir mettre d’argent de côté.

    Aujourd’hui, les sondages montrent qu’une majorité de jeunes considèrent le socialisme d’un bon œil.

    Ces derniers mois, Sanders s’est joint à Ocasio-Cortez dans l’appel pour un “Green New Deal”. Cette demande extrêmement populaire a le potentiel de rallier des millions de jeunes et de travailleurs dans le contexte actuel de catastrophe climatique imminente.

    Quand la chaîne CBS lui a demandé en quoi sa nouvelle campagne serait différente, Sanders a répondu : ‘‘Nous allons gagner.’’ Mais comme mon organisation, Socialist Alternative, l’a souligné, aucune des revendications des travailleurs – ni Bernie Sanders lui-même – n’est acceptable pour la classe dirigeante. Sanders devra faire face à une lutte acharnée à chaque étape, et toutes sortes de manœuvres et de tactiques vicieuses seront déployées si jugées nécessaires pour empêcher Sanders de remporter les primaires démocrates.

    L’appel de Bernie en 2016 pour une ‘‘révolution politique contre la classe des milliardaires’’ a surpris l’establishment démocrate et la classe dirigeante. Ils s’attendaient à ce qu’il soit totalement marginalisé. Mon organisation a été l’une des rares à reconnaître le potentiel de développement de la politique que Sanders représentait. Mais cette fois-ci, si la campagne de Bernie prend de l’ampleur, il devra faire face à une riposte plus immédiate et plus décisive de la part de l’élite.

    L’affluence de candidats aux élections primaires démocrates est également une situation différente de celle qui s’est créée en 2016 où Sanders a affronté Clinton.

    Beaucoup de travailleurs et de jeunes prendront le temps d’évaluer les différents candidats qui se présentent sur des plateformes progressistes, y compris Elizabeth Warren et Beto O’Rourke. C’est compréhensible, mais soyons clairs : malgré les faiblesses politiques de Sanders – qui sont réelles – aucun des divers candidats qui se présentent comme progressistes ne représente une force plus forte ou plus fiable en faveur de la classe des travailleurs ou n’est prêt à affronter la classe des milliardaires.

    Elizabeth Warren, la progressiste la plus constante après Sanders parmi les candidats actuels ou potentiels, a ses propres faiblesses politiques. Warren ne s’oriente pas vers les mouvements de la classe des travailleurs, des mobilisations sans lesquelles les revendications clés de sa plate-forme progressiste ne pourraient être obtenues.

    Warren s’est également montré moins disposée à tenir tête à l’establishment démocrate que Sanders. Les partisans de Bernie se souviendront que Warren s’est retirée des primaires de 2016, alors qu’elle était bien placée pour influer sur la lutte pour une politique pro-travailleurs en faisant campagne pour Bernie. Ce n’est que lorsque Sanders a été clairement battu que Warren est intervenue, et uniquement pour soutenir pleinement Hillary Clinton sans la moindre critique. Cela a contribué à conduire à la situation où le candidat confronté à Trump était un candidat démocrate impopulaire et clairement identifié aux grandes entreprises.

    Comme les travailleurs l’ont vu à Seattle, où je siège au conseil municipal, peu d’élus sont prêts à tenir tête aux grandes entreprises et à l’establishment politique. Ce qu’il faudra vraiment pour gagner nos revendications et vaincre le prochain assaut de la classe dirigeante contre Sanders, c’est une vaste campagne populaire indépendante du Parti démocrate faite de millions de travailleurs, avec des structures démocratiques et visant à mobiliser la force la plus puissante possible.

    En tant que membre du conseil municipal de Seattle, j’ai lutté aux côtés des mouvements sociaux et des syndicats pour obtenir le salaire minimum horaire de 15 $, des millions de dollars pour des logements abordables et une série de victoires historiques sur les droits des locataires. Tous ces gains ont été remportés en dépit de l’opposition farouche de l’establishment démocrate, qui dirige depuis longtemps la mairie de Seattle. Mon organisation, Socialist Alternative, a été l’épine dorsale de nos victoires progressistes. Même les membres les plus mieux intentionnés du conseil du Parti démocrate cèdent aux pressions énormes des grandes entreprises et des dirigeants de leur propre parti, comme nous l’avons vu encore une fois à Seattle quand ils ont trahi les travailleurs en capitulant face à Amazon au printemps dernier.

    Le site Web de Sanders s’ouvre sur le thème familier mais puissant de sa campagne de 2016 : ‘‘Not me. Us.’’ Nous devons faire en sorte que cela devienne une réalité – non seulement dans la lutte pour la campagne de Bernie et contre l’establishment politique – mais aussi dans la lutte pour une politique fondamentalement différente.

    Plutôt que d’attendre de voir ce qui nous attend aux primaires démocrates, commençons maintenant.

    Commençons à mettre sur pied des campagnes locales indépendantes dans nos collectivités locales et nos lieux de travail, présentons des motions dans nos syndicats pour appuyer la campagne de Bernie et lançons des groupes étudiants sur nos campus. Profitons de ce moment historique pour lancer la contre-attaque de la classe ouvrière !

    Mais pour vraiment vaincre la droite et gagner la lutte pour une société basée sur les besoins des travailleurs et un environnement durable, nous devons lutter pour une alternative socialiste. J’espère que vous envisagerez de rejoindre mon organisation.

  • La Taxe Amazon passe à Seattle, la classe des milliardaires contre-attaque

    Comment aller chercher l’argent où il est ?

    En novembre 2013, Kshama Sawant, première conseillère communale socialiste depuis plus d’un siècle dans une ville majeure des USA, était élue conseil de Seattle. Depuis lors, plusieurs victoires furent obtenues par les travailleurs de Seattle, dont la plus emblématique fut le salaire minimum à 15$ de l’heure. Un des défis majeurs à Seattle est l’accès au logement : les loyers y augmentent de manière vertigineuse et le nombre de SDF y atteint des sommets. La mobilisation constante sur ce sujet a finalement aboutit à la revendication d’une taxe sur les grandes entreprises de Seattle afin de financer un programme de construction de logements abordables et d’aide aux SDF. Le 14 mai dernier, sous la pression de longs mois de campagne intense, le conseil communal vota une telle taxe. Avant de la révoquer sous la pression du big business.

    Par Clément (Liège)

    Une crise profonde, un mouvement qui vient de loin

    Pour des couches de plus en plus large à Seattle, se loger est devenu inabordable financièrement. Au cours des 6 dernières années, le loyer des appartements a augmenté de 635$ par mois (+57%). Plus de 41% des locataires sont en situation de ‘rent burdened’ (loyer excessivement élevé). Pour un appartement une chambre (2000$ en moyenne), un travailleur au salaire minimum devrait travailler 87h par semaine, pour éviter de tomber dans la pauvreté. Quand à devenir propriétaire, c’est tout simplement hors de portée : le prix moyen d’une maison unifamiliale a plus que doublé en 5 ans pour atteindre les 820.000$.

    Début 2017, on comptait plus de 11.000 SDF à Seattle, soit une augmentation de 31% par rapport à l’année précédente (qui représentait déjà une augmentation de 19% par rapport à la précédente). Seattle se place ainsi en 3e position des villes américaines où il y a le plus de SDF (après New-York et Los Angeles). De vastes campements se développent sur les terrains vagues, sous les ponts d’autoroutes,…

    Malgré ‘‘l’Etat d’urgence’’ sur le sans-abrisme décrété par la ville de Seattle, ces camps sont expulsés de manière brutale (600 expulsions en 2016). Les ‘‘solutions’’ proposées à la crise du logement reposent sur la logique de marché. La maire Jenny Durkan a ainsi négocié avec les gros promoteurs immobiliers de la ville la construction de 10.000 nouveaux logements en 2017. Un record qui ne changera rien à la crise des loyers, puisque ces projets visent avant tout la rentabilité maximum et seront donc destinés aux tranches de revenus élevés.

    Les dernières années ont connu de nombreux mouvements et quelques victoires, dont un contrôle sur les loyers des logements insalubres, l’affectation d’un budget de 29 millions $ pour la construction de logements à loyer abordable, des aides pour les personnes poussées au déménagement par l’augmentation des loyers,… Dans toutes ces mobilisations, Socialist Alternative a joué un rôle crucial, y compris en utilisant le siège de Kshama pour faire entendre la voix des travailleurs au conseil communal (souvent littéralement), mais aussi pour mettre en avant des mots d’ordre audacieux et organiser le mouvement.

    Il ne faut pas douter que cette série de victoire a permis de construire la confiance et de préparer l’étape suivante : faire contribuer les mastodontes économiques à Seattle.

    Une campagne pour taxer les riches et répondre aux besoins des travailleurs

    Plusieurs entreprises extrêmement prospères comme Starbucks, Boeing, Google et bien entendu Amazon sont largement implantées à Seattle, développant aussi bien des emplois précaires et sous-payés qu’un grand nombre d’emplois de cadres hautement rémunérés. Dans une économie basée sur le marché et le profit, il en résulte une contradiction aigüe : les chantiers pour des bureaux ou des appartements de haut standing se multiplient, alors que la plupart des travailleurs ordinaires peinent à se loger.

    Comment se fait-il que des entreprises qui dégagent des milliards de profits ne contribuent pas à répondre aux besoins élémentaires des habitants de Seattle ? L’exemple le plus frappant est celui d’Amazon, qui emploie plus de 50.000 personnes dans son quartier général à Seattle. Son dirigeant Jeff Bezos est devenu l’homme le plus riche du monde avec une fortune de 130 milliards de dollars et gagne plus en une minute qu’un manutentionnaire d’Amazon en un an. Sur ses 5,6 milliards de bénéfices réalisés aux USA en 2017, Amazon aura payé… 0$ de taxes. Et l’année 2018 s’annonce encore meilleure avec une diminution de taxe de 789 millions $ consécutivement aux baisses de taxes décidées par l’administration Trump.

    Le 1er novembre 2017, lors de la présentation du budget 2018 de la ville de Seattle, plus de 500 activistes se sont rassemblés au conseil municipal à l’appel de Socialist Alternative et du mouvement ‘‘Housing for all’’. Leurs revendications : l’arrêt des expulsions des campements de SDF et l’instauration d’une taxe sur les grandes entreprises afin de financer la construction de logements sociaux et de centres d’hébergement pour les sans-abris.

    L’aile conservatrice du conseil communal a plusieurs fois tenté de réduire l’aide aux SDF et rencontra une forte mobilisation de la population pour la défense des budgets existants et la nécessité d’aller chercher les moyens nécessaires dans les poches des grandes entreprises. Ces actions impliquaient des activistes du droit au logement mais également des syndicats et divers groupes progressistes et organisations politiques. D’autres mobilisations furent organisées devant le siège d’Amazon. Les réunions du Comité pour les droits humains, le développement équitable et le droit au logement, présidées par Kshama Sawant, furent déplacées en dehors des heures de travail pour garantir que les travailleurs puissent y intervenir. On imprima les affiches des manifestations sur les imprimantes du conseil communal. Un Guide citoyen sur Amazon dénonçant la manière dont la société évite les taxes, mais aussi la pénibilité des conditions de travail et les bas salaires, fut produit et distribué.

    La pression du mouvement finit par contraindre le conseil communal à mettre l’idée d’une taxe annuelle de 150 million sur les plus grosses entreprises de Seattle à l’agenda du conseil communal. Outre les habituels cris d’orfraie des médias et experts de tous poils sur la nocivité d’une telle taxe, une véritable campagne de chantage fut lancée avec notamment la suspension par Amazon de ses projets de construction, menaçant ainsi 7000 emplois dans le secteur. Enfin, le personnel politique de la classe capitaliste a tenté de vider la proposition de son contenu. Jenny Durkan, maire de Seattle dont la campagne électorale fut financée à hauteur de 350.000 $ par Amazon, a introduit une contre-proposition pour diminuer de moitié le montant de la taxe, la limiter à 5 années et réduire la proportion de cette nouvelle source de financement affectée au logement social.

    La mobilisation fut cependant plus forte et le 14 mai, le conseil communal fut contraint de voter une version de la taxe qui rapporterait 75 millions par an. Il s’agissait certes d’une version allégée de la proposition d’origine, mais comme les activistes du mouvement et Socialist Alternative l’avaient souligné, il s’agissait d’un premier pas positif vers de nouveaux acquis. A peine cette taxe était-elle passée qu’elle commençait à faire des émules dans d’autres villes du pays.

    L’empire contre-attaque

    Dans un régime basé sur la recherche du profit, la moindre avancée pour les travailleurs sera combattue par la classe capitaliste. Dans le cas présent, la Taxe Amazon n’aurait représenté que 0,26% des bénéfices des entreprises concernées ; pour Amazon, cela aurait correspondu à 28 millions par an, autant dire une bagatelle.

    Aussitôt la taxe votée, différentes entreprises touchées par la taxe ont levé plus de 375.000$ afin de lancer une campagne appelée NoToHeadTax : récolter les signatures nécessaires pour organiser un referendum sur la taxe. Différentes vidéos disponibles sur internet illustrent que le mensonge est probablement la méthode favorite de cette campagne : on peut y voir des démarcheurs expliquer avec aplomb et insistance qu’il s’agit d’une taxe annuelle de 275$ sur le salaire des travailleurs de Seattle. Avec de telles méthodes, ils furent capables de récolter plus de 300.000 signatures. Suffisamment pour pousser 7 des 9 conseillers communaux à révoquer la taxe qu’ils avaient votés à l’unanimité un mois plus tôt.

    Les leçons de ce combat sont importantes. D’une part il est clair de nouveau que c’est la lutte qui paie et qui permet aux 99% de remporter des victoires, de faire plier l’establishment politique et économique. D’autre part, chaque avancée sociale n’est malheureusement que temporaire si on laisse les leviers économiques et politiques aux mains des mêmes. Les mouvements sociaux doivent prendre l’espace nécessaire de discuter cela et de s’armer politiquement en défendant l’expropriation de ces entreprises et les mesures socialistes pour remplacer un système capitaliste incapable de fournir une vie décente à la majorité.

  • Kshama Sawant : Une élue au service de la mobilisation sociale

    En novembre 2013, pour la première fois depuis des décennies, une socialiste était élue au conseil municipal de la ville de Seattle avec 93.000 voix(1). Pour les représentants des partis républicain et démocrate, habitués à gérer la politique pour le compte de la classe dominante sans personne pour venir jouer les trouble-fête, cela a représenté un choc. Mais le véritable choc restait à venir. Moins d’un an plus tard, le journal Seattle Times expliquait que Kshama Sawant commençait à ‘‘déterminer l’agenda politique de la ville’’.

    Lors de sa prestation de serment, face à 800 participants enthousiastes, le ton fut immédiatement donné : ‘‘Les politologues se demandent à mon sujet: fera-t-elle des compromis? Peut-elle travailler avec d’autres? Bien entendu, j’aurai à rencontrer des représentants de l’establishment et à discuter avec eux. Mais quand je le ferai, je mettrai sur table les besoins et les aspirations de la classe ouvrière, peu importe qui sera assis en face de moi (…), il n’y aura pas de tractation secrète avec des entreprises ou leurs serviteurs politiques. Il n’y aura pas d’arrangement pourri qui desservirait ceux que je représente.’’(2)

    Les marxistes ne pensent pas que gagner des acquis pour la classe des travailleurs soit une question d’arrangements de couloir : il s’agit de construire un rapport de force. Dès le début de sa campagne électorale impliquant des centaines de bénévoles, bien au-delà des rangs de son parti, Socialist Alternative, Kshama porta la revendication pour un salaire minimum de 15$ de l’heure qui avait émergé de secteurs de travail précaire comme les fast-foods. Loin de simplement se poser comme candidate favorable à cette mesure ou comme porte-parole, elle utilisa sa campagne pour construire des comités de base ‘‘15NOW’’ dans lesquels chacun pouvait s’investir. Elle travailla de concert avec ces comités pour construire la pression sur le conseil municipal, qui fut forcé de céder et d’instaurer le plus haut salaire minimum dans une grande ville américaine.

    Un porte-voix pour construire le mouvement

    Outre les victoires locales sur le salaire minimum, une augmentation de 29 millions de dollars du budget dévolu aux logements sociaux, l’arrêt de toute collaboration entre la ville et l’entreprise Wells Fargo (active dans la construction de pipelines) en solidarité avec les Sioux de Standing Rock,… Kshama Sawant a également utilisé sa position afin de populariser des mots d’ordre visant à construire le mouvement. Ainsi, au lendemain de l’élection de Trump, elle proposa à une large audience le mot d’ordre des ‘‘100 jours de résistance’’ et d’actions contre ce dernier, culminant avec des actions de grèves lors du premier mai. Cet appel a pu servir d’appui à tous ceux qui avaient commencé à s’organiser pour bloquer l’agenda réactionnaire de Trump, et a permis de donner une perspective de lutte à ceux qui participaient à des actions spontanées.

    Enfin, son rôle d’élue marxiste fut aussi de dévoiler la logique du système capitaliste, ce qu’elle fit en répondant systématiquement – et avec une très large audience – aux discours annuels d’Obama sur ‘‘l’état de l’Union’’, ou encore en soutenant la lutte des travailleurs de Boeing menacés de licenciement tout en expliquant lors d’une de leurs assemblées générales que la seule solution définitive à cette épée de Damoclès était de retirer l’entreprise des mains de patrons avides pour la placer dans celles de la collectivité. In fine, un représentant des travailleurs ne peut être qu’un représentant : il doit aussi, à son échelle, indiquer le chemin pour une transformation socialiste de la société.

    (1) À Seattle, le maire n’est secondé que par 9 élus qui sont directement impliqués dans la gestion de la ville. Il n’existe pas de conseillers municipaux d’opposition au côté du conseil.
    (2) http://www.socialisme.be/fr/7584/sawant-2

  • USA : Ce 1er mai, l’opposition à Trump sera à nouveau dans la rue

    Depuis l’investiture de Trump, des millions de personnes sont entrée en lutte. Mais le milliardaire a sans relâche mis en œuvre son programme raciste, sexiste et anti-classe ouvrière. Ses dernières propositions en matière de budget et de sécurité sociale remettent en cause les politiques de protection de l’environnement et de sécurité sociale de même que l’avenir des écoles publiques, tout en offrant des allègements fiscaux aux grandes entreprises et aux américains les plus aisés.

    Par Kshama Sawant, conseillère socialiste élue à Seattle, membre de Socialist Alternative (qui regroupe les partisans du CIO aux USA)

    Trump peut être battu, mais il s’agit d’une question de rapport de force. La marge de manœuvre de l’administration Trump dépendra de l’ampleur et du caractère militant du mouvement social, mais aussi de son efficacité à s’opposer à lui. Au cours de l’histoire, nombreux sont les gouvernements de droite qui ont été forcés de changer de cap ou qui ont tout simplement été renversés suite à la révolte de gens ordinaires.

    Il est indispensable que les manifestations soient plus que purement symboliques. Nous devons utiliser le véritable pouvoir que détiennent les travailleurs, à travers la désobéissance civile et la grève. Une grève de grande ampleur aura un impact sur les profits de l’establishment, dont de larges segments sont derrière Trump. Une telle grève les obligera à s’écarter de lui.
    La Journée internationale des travailleurs

    Le Premier mai est historiquement une journée de mobilisation massive dans le monde entier et aussi de manifestations pour les droits des migrants aux Etats-Unis. Il est plus important que jamais de retourner aux sources du Premier mai et de lancer un été de résistance.

    Les attaques brutales de Trump contre les immigrés ont été son occupation principale durant ses deux premiers mois à la Maison Blanche, provoquant immédiatement des manifestations et des grèves le 16 février qui, grâce à une organisation rapide, ont réuni des milliers de travailleurs immigrés dans les grandes villes du pays.

    Les manifestations de masse dans les aéroports nationaux en riposte au décret anti-immigration lui ont porté un premier coup humiliant, sans oublier que certains groupes de la classe dominante lui ont tourné le dos, gagnés par une inquiétude grandissante face au chaos résultant de la désobéissance civile massive.

    Les travailleurs immigrés à travers le pays se sont préparés pour ce Premier mai qui va probablement être la plus grande journée de mobilisations depuis que des centaines de milliers de personnes ont fait grève en 2006 lors de la ‘‘Journée sans immigrés’’.

    Des grèves prévues en Californie

    Les développements les plus importants viennent de Californie, où 340.000 travailleurs préparent des actions de grève menées par une coalition qui réunit le syndicat ‘SEIU United Service Workers West’ (USWW) et des centres de travailleurs immigrés.

    ‘‘Le président attaque notre communauté’’, a déclaré Tomas Mejia, membre du bureau exécutif de l’USWW. ‘‘Les immigrés ont aidé à façonner ce pays, nous avons contribué à sa beauté, mais le président nous attaque comme des criminels.’’ Une ‘‘caravane contre la peur’’ a également été organisée par la coalition pour voyager à travers l’Etat afin de construire l’action du Premier mai.

    Le président du syndicat ‘United Teachers Los Angeles’, Alex Caputo-Pearl, a appelé à fermer toutes les écoles le Premier mai. Dans la région de la baie de San Francisco, ‘le San Francisco Labor Council’ a fait, le 7 mars dernier, une déclaration soutenant les actions de solidarité des travailleurs le Premier mai et demandant ‘‘qu’il n’y ait de représailles contre aucun travailleur – syndiqué ou non – qui choisisse d’exercer ses droits civiques’’.

    Etat de Washington

    La journée du Premier mai à également gagné en dynamisme dans l’Etat de Washington. Dans le comté qui comprend la ville de Seattle, le ‘county labor council’ a voté une résolution demandant à ses syndicats affiliés ‘‘de prendre en considération toutes formes d’action le Premier mai – comme faire grève, manifester, prendre une journée de congé maladie, faire une pause de midi plus longue, organiser des manifestations ou n’importe quelle autre forme d’organisation collective’’.

    Les organisateurs à travers le pays ont souligné l’importance de travailler avec flexibilité afin d’éviter au mieux les représailles envers les travailleurs pendant la construction de ces actions les plus grandes et les plus puissantes possibles pour le Premier mai.

    Beaucoup d’autres syndicats ont également voté des résolutions pour le Premier mai, dont notamment le syndicat ‘‘WFSE Local 304’’ représentant les travailleurs des collèges communautaires de Seattle et le syndicat ‘‘IBEW Local 46’’ représentant les électriciens.

    En tant que membre du Conseil de la ville de Seattle, j’ai fait appel au maire, Ed Murray, pour qu’il autorise tous les travailleurs de la ville à prendre congé le Premier mai (la réglementation de Washington autorise déjà à tous les fonctionnaires à prendre deux jours de congé chaque année pour des raisons de convictions ou religieuses).

    Le développement le plus marquant à Seattle a été celui de ‘‘l’Association de l’Education de Seattle’’ (SEA). 5.000 professeurs ont voté pour fermer les écoles publiques de la ville pour le Premier mai, en réponse au sous-financement des écoles dans l’Etat de Washington. L’éducatrice Kit McCormick, membre du SEA, a expliqué ‘‘qu’ils n’ont cessé d’écrire aux parlementaires et d’aller à Olympia (la capitale de l’Etat). Il est temps d’accélérer le pas’’.

    ‘‘On a marre’’, disait Justin Vinson, membre de Socialist Alternative et du SEA. ‘‘Les éducateurs se sont battus pour défendre nos écoles et maintenant nous avons Trump et Betsy DeVos qui mettent l’accent sur des coupes budgétaires majeures dans l’éducation. Mais il y a également un enjeu très important, avec cette administration qui s’en prend à nos sœurs et nos frères immigrés, femmes, musulmans et LGBTQ. ‘An injury to one is an injury to all’.

    Il ne s’agit pas seulement de Trump

    Dans l’Etat d’Illinois, l’organisation-sœur du SEA, le syndicat des professeurs de Chicago (CTU), entrera en action le Premier Mai en riposte aux coupures budgétaires considérables dans l’éducation publique. Il n’y aura pas grève, mais d’autres actions seront organisées. D’autres syndicats à travers le pays tels que ‘‘l’Association des infirmières du Minnesota’’ a également décidé d’entrer en action le Premier mai.

    Il est encore trop tôt pour dire à quel point cette dynamique de grève va continuer à s’amplifier, mais la nécessité de riposter contre Trump est claire et elle représente un danger pour lui.

    Nous devons être conscients que notre mouvement ne va pas continuellement croître de manière linéaire et qu’il y aura également des reculs. Trump ne sera pas vaincu un jour. Nous devons avoir pour objectif de mettre en place des actions les plus larges et puissantes possibles ce Premier mai afin que notre lutte passe à une étape supérieure.

    Pour aller plus loin, nous devons mobiliser des couches plus larges de travailleurs et de jeunes pour résister à Trump et à la classe des milliardaires. Nous pouvons le faire en luttant pour des changements positifs qui peuvent faire une réelle différence dans le quotidien des gens. Avec les soins de santé attaqués, nous devons non seulement nous défendre contre l’offensive des Républicains, mais aussi lutter avec force pour l’assurance-maladie pour tous. Avec les travailleurs et les droits syndicaux attaqués, nous devons non seulement nous opposer aux lois antisociales aussi exiger un salaire minimum fédéral de 15$ de l’heure.

    Il ne s’agit pas uniquement d’un président ou d’un parti politique. La victoire de Trump repose sur la colère des travailleurs et d’américains de la couche moyenne trahis durant des décennies par les politiques brutales et néolibérales aussi bien du parti Démocrate que Républicain. Il est nécessaire de créer un nouveau parti politique qui défendra les politiques socialistes et sera indépendante de l’argent et du pouvoir des grandes entreprises.

    Car notre combat n’est pas seulement contre Trump, c’est aussi contre le système défaillant du capitalisme qui est un terrain fertile pour la dangereuse montée du populisme et les attaques vicieuses sur les travailleurs.

    Le Premier mai, nous allons contre-attaquer.

  • [DOSSIER] Quelle riposte de la gauche à l’ère du populisme?


    Si les mots étaient côtés en bourse, celui de ‘‘populisme’’ serait sans nul doute une des valeurs sûres actuelles. A la suite d’une année 2016 marquée par les ‘‘coups de boutoir de la protestation populiste’’ – le Brexit et l’élection de Trump n’ayant été que les plus marquants d’entre eux – les phénomènes du rejet de l’establishment et du populisme se sont profondément ancrés dans la vie politique. Cela frise souvent l’absurde, comme en France où tous les candidats semblent s’être donnés le mot, jusqu’à Macron, ancien ministre et ancien cadre de la banque d’affaires Rothschild, qualifié de ‘‘candidat anti-establishment positif’’ par Le Vif (Belgique) et de ‘‘populiste du centre’’ par La Tribune (France)…

    Dossier de Nicolas Croes paru dans l’édition de mars de Lutte Socialiste

    Et ça continue encore et encore…

    Il n’y avait pas besoin d’être installé dans les salles cossues de la dernière réunion annuelle du Forum Economique Mondial (FEM) de Davos fin janvier pour ressentir la panique manifeste qui planait sur cette réunion de haut vol. Le ton de ce rendez-vous obligé des plus grands dirigeants d’entreprises et des chefs d’Etat a, une fois de plus, été donné par le rapport d’Oxfam sur les inégalités publié à la veille de la rencontre. Ce dernier, intitulé ‘‘une économie au service des 99%’’, expliquait notamment ‘‘comment les grandes entreprises et les individus les plus riches exacerbent les inégalités, en exploitant un système économique défaillant, en éludant l’impôt, en réduisant les salaires et en maximisant les revenus des actionnaires’’, autour d’un chiffre-choc: aujourd’hui, les 8 personnes les plus riches au monde possèdent (429 milliards de dollars) plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité (409 milliards de dollars)!

    ‘‘L’égalité est sur toutes les lèvres ici à Davos, et peut-être que l’égalité est en train de devenir le nouveau mot à la mode’’, a déclaré pleine d’optimisme Magdalena Andersson, ministre suédoise des Finances. Légèrement plus angoissé, le secrétaire général de l’OCDE(1) Angel Gurria s’est adressé aux participants en ces termes : ‘‘Vous devez payer les taxes, là où vous générez les bénéfices. (…) Aujourd’hui, le niveau de tolérance (vis-à-vis de l’évasion fiscale) a baissé de manière spectaculaire. A cause de la crise, mais aussi parce que les Etats ont besoin d’argent.’’ Plus volontaire, le commissaire européen Pierre Moscovici (PS) a proclamé que ‘‘le temps où les multinationales faisaient ce qu’elles voulaient est révolu’’ (on a hâte de voir ça…).

    Les réactions divergent, mais le constat reste identique : la perte d’autorité des instruments traditionnels de la classe dominante est tout bonnement gigantesque. Depuis le début de la crise économique, toutes les méthodes employées par l’establishment capitaliste ont été vouées à l’échec. Ses meilleurs instruments politiques ont été brûlés, de nouveaux joueurs sont arrivés sur le terrain et l’instabilité politique est devenue la règle plutôt que l’exception. Le climat de désillusion vis-à-vis de la politique traditionnelle est général. La seule certitude, c’est qu’il n’existe plus de certitude.

    Certains participants au FEM de Davos illustraient leurs craintes pour l’avenir en ces termes : lors de la réunion de janvier 2016, personne n’envisageait la victoire du ‘‘non’’ au référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, et encore moins qu’Hillary Clinton ne devienne pas le 45e président des USA. Juste avant l’ouverture de la rencontre de Davos, le FEM expliquait que, pour sa part, c’est le fossé entre riches et pauvres qui se trouvait derrière le Brexit et la victoire de Donald Trump.

    … c’est que le début, d’accord, d’accord.

    Aucun commentateur sérieux n’ose s’avancer à dire que les choses sont amenées à changer dans le futur. En janvier, un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) expliquait que ses mesures des activités de contestation à travers le monde avaient enregistré une sérieuse augmentation au cours de l’an dernier dans ce contexte d’incertitudes économiques et politiques(2). En revenant sur une année marquée par les ‘‘protestations anti-austérité au Brésil, les manifestations contre l’élection de Donald Trump aux USA et les actions industrielles [les grèves] au Royaume-Uni’’, l’OIT a expliqué que son étude des événements démontrait que le risque d’agitation sociale avait augmenté dans ‘‘presque toutes les régions du monde’’. Pour l’OIT encore, l’inégalité croissante est clairement derrière les résultats électoraux inédits qui se succèdent un peu partout. Sa conclusion est la suivante: le mécontentement parmi les travailleurs sera encore plus grand cette année.

    Comme pour illustrer leur compréhension de cela, les gouvernements français et allemand n’avaient envoyé comme seul émissaire de poids au FEM, leur ministre des Finances (Michel Sapin et Wolfgang Schäuble). Des deux côtés, on craignait les répercussions négatives sur l’opinion publique de la présence de François Hollande et d’Angela Merkel. Leur participation à ce temple de l’élite capitaliste était dangereuse au regard des prochaines élections prévues dans les deux pays.

    La trahison de la social-démocratie

    Il n’y a pas encore si longtemps, l’équilibre des forces politiques était relativement stable. En Amérique du Nord et en Europe, les partis du statuquo s’échangeaient régulièrement le pouvoir, mais la politique menée restait essentiellement la même. Entre la ‘‘gauche’’ de gouvernement et la droite, il y avait bien des différences (sur des sujets éthiques tels que l’euthanasie ou le mariage égalitaire, par exemple), mais le dogme néolibéral de libéralisation et de privatisation ne souffrait d’aucune remise en question. Tout juste était-il à la rigueur question du rythme des mesures, sans plus.

    A ‘‘gauche’’, les années ’90 ont été marquées par la ‘‘troisième voie’’ social-démocrate, personnifiée par le virage à droite opéré par Tony Blair dans le Parti travailliste (le Labour) britannique. Selon Margaret Thatcher, la Dame de fer elle-même, cette transformation du Labour en New labour était sa plus belle réalisation. Cette mutation social-libérale avait été rendue possible par la période ouverte grâce à l’effondrement du bloc soviétique. Le capitalisme semblait tout puissant, l’horizon indépassable de l’humanité. Même en usine, certains ouvriers discutaient durant leur pause de la manière dont ils pouvaient, eux aussi, investir en bourse et devenir actionnaires.

    Fin des années ’90, la social-démocratie était au pouvoir, seule ou en coalition, dans quinze des dix-sept pays que comptait alors l’Union européenne. Elle avait fait sienne le dogme de la croissance économique et de l’argent-roi qui bénéficierait à tous. Au pouvoir, les PS, SPD, New labour & Co ont lancé la dynamique des contre-réformes concernant la législation du travail (initiée en Allemagne sous Gerhard Schröder, SPD), la chasse aux chômeurs, etc. Parmi les électeurs, l’espoir a cédé place à la désillusion, à la frustration et à la colère.

    Quand on lui demande comment la social-démocratie (le ‘‘centre-gauche’’) a-t-elle pu perdre sa base électorale dans de telles proportions, Ania Skrzypek, politologue à la Fondation européenne des études progressistes identifie plusieurs causes: ‘‘une obsession de la compétitivité, une Europe à qui on n’a pas donné de dimension sociale, des dirigeants qui se réfugient derrière un langage technocratique et qui manquent de courage politique. Aujourd’hui, quand on demande aux citoyens qui est responsable de la crise post-2008, ils répondent: le système dont les sociaux-démocrates étaient coresponsables et qu’ils ont contribué à sauver.’’

    Les partis et formations de droite populiste ou d’extrême droite capitalisent sur ces angoisses. Comme le souligne le chercheur français Luc Rouban (Sciences-Po et CNRS) : ‘‘ils attirent un électorat traditionnellement à gauche, habité par un sentiment d’abandon, de déclassement, de perte de contrôle.’’

    Un repli populiste et nationaliste inévitable ?

    A la mi-décembre, la télévision publique allemande diffusait un reportage sur la région de la Ruhr, berceau de l’industrialisation, du mouvement ouvrier et de la social-démocratie. Il s’agit aujourd’hui d’un des endroits parmi les plus défavorisés d’Europe : un cinquième des habitants y vit d’allocations. Aux prochaines élections régionales de mai 2017, les sondages annoncent une percée du parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne (AfD).

    Aux mains de l’establishment, ce genre de donnée devient un outil au service de l’arrogance et de la condescendance. Regardez – s’écrient les technocrates, éditorialistes, politiciens et autres défenseurs du statu quo politique – où conduisent les critiques de la politique de l’Union européenne! Regardez à quoi conduit de se plaindre des hausses d’impôts et des dernières mesures d’austérité budgétaire! A leurs yeux, se détourner de la politique traditionnelle signifierait automatiquement de céder aux sirènes du nationalisme le plus étroit. Du même coup, on amalgame Donald Trump, Jean-Luc Mélenchon, Podemos, le Brexit, le M5S italien, Marine Le Pen, etc. en défendant, plus ou moins ouvertement, que les masses sont incapables de gouverner et que face à la tyrannie du nombre, le seul rempart est constitué des élites libérales et modernes. Critiquer ces dernières, ce serait faire le jeu des démagogues. N’est-ce pas ainsi que Donald Trump s’est retrouvé élu à la place d’Hillary Clinton? Ce discours mélange haine de la démocratie et mépris de classe.

    Regarder les choses plus en profondeur permet de donner une toute autre image. Le rejet des élites et du monde politique traditionnel profite aussi à la gauche radicale. Aux Etats-Unis, il y a eu la campagne de gauche de Bernie Sanders contre Clinton (la plupart des sondages affirment qu’il aurait gagné haut la main si sa campagne n’avait pas été court-circuitée par l’appareil du Parti démocrate). En Grèce, le Pasok social-démocrate a disparu de la scène politique en 2015 au profit de Syriza. En Espagne, le Parti socialiste (PSOE) a été sérieusement concurrencé – et dépassé – par Podemos. En Irlande, les sondages placent aujourd’hui la coalition People Before Profit – Anti-Austerity Alliance devant le Parti travailliste. En Grande-Bretagne, le Parti travailliste est plongé dans une véritable guerre civile entre l’appareil du parti et ses élus d’un côté et le dirigeant anti-austérité du parti Jeremy Corbyn et des dizaines de milliers de nouveaux adhérents de l’autre. En France, la dynamique à l’œuvre derrière la campagne de Jean Luc Mélenchon parle également à l’imagination de nombreux jeunes et travailleurs.

    Et si l’on se plonge dans l’histoire politique de ces 20 dernières années, force est de constater que la gauche radicale n’a pas manqué de saisir les occasions nées du dégoût suscité par le monde politique acquis au néolibéralisme. Mais, souvent, ce fut un gâchis, une opportunité manquée qui a ouvert la voie à d’autres forces se proclamant anti-establishment.

    Le danger du moindre mal

    Une des premières formations à avoir significativement émergé à la ‘‘gauche de la gauche’’ fut le Parti de la refondation communiste italien. A la naissance de ce siècle, cette formation pouvait compter sur des dizaines de milliers d’adhérents et une grande autorité parmi les syndicalistes les plus combattifs et la jeunesse la plus radicalisée. Lors des manifestations altermondialistes ou contre la guerre en Irak, ses cortèges impressionnaient. C’est alors que s’est présenté le danger du ‘‘moindre mal’’ contre Berlusconi. Plutôt que de maintenir une ligne d’indépendance de classe en refusant de se ranger derrière un camp ou l’autre des forces capitalistes, le PRC est rentré dans ‘‘l’Union’’, une coalition autour de Romano Prodi au pouvoir entre 2006 et 2008. Ces deux années de participation à la politique de casse sociale (vote des crédits de guerre pour l’Afghanistan, attaques contre les pensions,…) ont suffi à détruire l’autorité du PRC. Il n’est pas possible de comprendre l’émergence du Mouvement 5 Etoiles italien sans revenir sur cette erreur politique majeure et ses conséquences.

    Cette histoire a été répétée dans plusieurs pays. En Allemagne, par exemple, s’est formé en 2007- bien avant l’Alternative pour l’Allemagne – le parti Die Linke (La Gauche). Mais la formation de gauche s’est compromise dans des alliances locales avec la social-démocratie et a, en certains endroits comme à Berlin, elle-même appliqué l’austérité. Aux Pays-Bas, les élections du 15 mars prochain seront, selon toute vraisemblance, marquées par la victoire du parti de Geert Wilders. Il y eut un temps où le vent soufflait plutôt dans les voiles du SP, à la gauche du Parti travailliste. Mais, là aussi, sa crédibilité a souffert de sa participation à diverses coalitions locales avec des partis capitalistes.

    Le danger de l’activisme pur

    Si le racisme et d’autres idées réactionnaires s’expriment aujourd’hui plus ouvertement, cela s’explique notamment par l’absence d’une riposte conséquente et résolue de la part des syndicats et des organisations de gauche, sur ce terrain comme sur les autres. Le meilleur antidote au cynisme et au repli sur soi, c’est une atmosphère de lutte généralisée et la confiance envers nos capacités collectives d’arracher des victoires.

    Aux Etats-Unis, divers rapports démontrent que les organisations de gauche radicale suscitent un large intérêt sous le ‘‘fouet de la contre-révolution’’ de la victoire de Trump. Comme l’a expliqué notre camarade de Seattle Kshama Sawant (Socialist Alternative) dans une récente interview pour Al Jazeera, les Démocrates se sont aliénés une large couche de progressistes en appelant à coopérer avec Donald Trump. Juste après les élections, Hillary Clinton a offert de travailler avec Trump et a encouragé ses partisans à ‘‘garder l’esprit ouvert’’. Une semaine après les élections, Barack Obama a déclaré qu’il fallait laisser sa chance à Trump. Mais, explique Kshama, les gens qui s’orientent vers les organisations socialistes anticapitalistes aux Etats-Unis sont fermement opposés à cette approche. ‘‘On ne trouve pas de volonté de négocier’’, explique-t-elle, ‘‘on trouve la volonté de riposter’’.(3)

    Une atmosphère de mobilisations permanentes se développe aux USA, ce qui aura obligatoirement ses répercussions sur la scène internationale. La droite populiste se sent renforcée en Europe par la victoire de Trump, elle a gagné en assurance. Si elle part à l’offensive, les réactions ne manqueront pas. Si Marine Le Pen passe le premier tour des élections présidentielles en France, comme ce sera très certainement le cas, les mobilisations spontanées ne seront pas cantonnées à la France. Son élection au parlement européen en 2014 avait d’ailleurs rapidement donné lieu à un rassemblement de plus de 2.500 jeunes à Bruxelles face aux institutions européennes.

    Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, une période tumultueuse faite de changements brusques et d’apparitions soudaines d’opportunités comme de dangers. Il sera facile de se noyer dans cette tempête d’événements et de s’essouffler dans une succession d’actions. Nous avons besoin de perspectives, d’un cap à maintenir et des moyens pour y parvenir: un programme capable de réunir tous les opprimés dans la défense de leurs intérêts et une stratégie reposant sur le rôle crucial que peut jouer la classe des travailleurs par ses méthodes de lutte de masse et de blocage de l’économie par l’arme de la grève. C’est grâce à cette approche qu’il sera également possible d’intervenir dans des mobilisations au caractère plus flou et mixte, comme en Roumanie où les mobilisations de masse contre la corruption comprennent également des éléments de droite populiste.

    Il ne suffira pas d’opposer un populisme de gauche à celui de la droite. Ce que nous vivons est une nouvelle étape de la vieille lutte entre les classes sociales, cela doit être expliqué tel quel. Nous ne pouvons abattre la dictature des marchés qu’en saisissant les moyens de production et d’échange des mains de la classe capitaliste, les grands patrons et actionnaires, pour les placer sous le contrôle et la gestion démocratiques de la collectivité. Tout compromis visant à rester dans le cadre du système capitaliste en l’aménageant peut paraitre plus facile dans un premier temps, mais cela conduit irrémédiablement à l’impasse dans laquelle se trouvent Alexis Tsipras et Syriza en Grèce, Maduro au Venezuela ou encore Morales en Bolivie.

    Les échecs et victoires passées du mouvement des travailleurs sont autant de leçons sur lesquels s’appuyer pour aller plus loin. La période explosive actuelle partage des caractéristiques avec celle des années 1960 et 1970 qui ont vu un grand essor des idées socialistes et révolutionnaires. Le socialisme est une idée qui s’est déjà emparée de l’imagination de la nouvelle génération de travailleurs et de jeunes aux Etats-Unis. Préparons-nous à cette contagion.

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    Une méfiance généralisée

    Une récente étude réalisée par l’institut de sondage Ipsos et dont les résultats ont été publiés le 30 janvier dernier a fait écho à l’étude ‘‘Noir, jaune, blues’’ dont nous avons largement parlé dans notre édition de février. Parmi les sondés, 73% des Italiens estimaient que leur pays est en déclin, 69% en Espagne, 67% en France, 57% au Royaume-Uni. Une majorité de Français (61%), d’Italiens (60%) et d’Espagnols (56%) est convaincue que leur génération ‘‘a une vie moins bonne que celle de ses parents’’. Enfin, concernant la défiance envers les institutions officielles: 89% des Espagnols font peu ou pas confiance en leur gouvernement, tout comme 80% des Italiens, 77% des Français, 70% des Allemands et 66% des Britanniques. La défiance envers les institutions internationales, comme l’Union européenne, est de 77% en Espagne, 65% en France, 64% en Italie, 59% en Allemagne et au Royaume-Uni.

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    NOTES:

    1) L’Organisation de coopération et de développement économiques regroupe 35 pays capitalistes développés.
    2) ‘‘ILO warns of rise in social unrest and migration as inequality widens’’, 12 januari 2017 https://www.theguardian.com/business/2017/jan/12/ilo-warns-of-rise-in-social-unrest-and-migration-as-inequality-widens
    3) ‘‘More Americans joining socialist groups under Trump’’ – Socialist groups see huge spike in membership as they join protests against US President Donald Trump.

  • [INTERVIEW] Kshama Sawant : Les manifestations Anti-Trump, une chance historique

    Kshama Sawant avait fait sensation en étant élue au conseil de la ville de Seattle fin 2013, événement inédit dans une grande ville américaine pour une militante ouvertement marxiste. Depuis lors, elle est fréquemment interrogée au sujet des luttes sociales qui prennent place dans “l’antre de la bête” du capitalisme. Al Jazeera l’a récemment interrogée au sujet du regain d’intérêt pour les idées socialistes aux USA, voici ci-dessous la traduction de cette interview réalisée initialement par Patrick Strickland. 

    La gauche américaine en plein développement tandis qu’augmente la colère contre les politiques anti-immigrés et anti-musulman de Trump 

    L’élection de Donald Trump a engendré un afflux d’adhésions à des organisations socialistes à travers les Etats-Unis. Au cours de ses premières semaines à la Maison Blanche, Trump a déjà émis une grande quantité de décrets visant les musulmans et les immigrés tout en supprimant progressivement les réglementations à Wall Street.

    Des manifestations ont eu lieu dans différentes villes à travers le pays en réaction aux agissements de Trump et également dans des aéroports contestant le décret anti-immigration (actuellement suspendu) interdisant l’entrée sur le sol américain aux voyageurs en provenance de 7 pays musulmans. Au lendemain de son investiture, des millions de personnes ont rejoint les marches pour les droits des femmes aux Etats-Unis mais aussi dans de nombreuses villes européennes et ailleurs.

    L’élue du conseil de la ville de Seattle, Kshama Sawant, membre du parti Socialist Alternative (un parti trotskiste), a été la première socialiste à gagner une élection municipale à Seattle en 97 ans et est entrée en fonction en janvier 2014. Le parti lance l’appel à une grève des travailleurs à l’échelle nationale le 1er mai.

    L’organisation politique Socialist Alternative a vu ses adhérents augmenter de 30% depuis l’élection présidentielle de novembre. Dans cette interview avec Al Jazeera, Sawant a parlé des manifestations, des droits des migrants et de ce à quoi il faut s’attendre avec la politique menée par Trump.

    Al Jazeera : les adhésions aux organisations socialistes ont explosés à travers le pays. Quelle est en la raison ?

    Kshama Sawant : Il est vrai que les organisations socialistes ont connu un afflux historique au cours de ces derniers mois. Cette tendance s’applique à des organisations de gauche en général et la plupart d’entre elles ont connu cette poussée d’adhésions. Mais c’est encore plus remarquable que les organisations socialistes aux Etats-Unis aient fait l’objet d’un tel intérêt, car aux USA, comme nous le savons tous, il y a eu cette tendance à la diffamation des idées socialistes et tout ce qui était en relation avec la bureaucratie de l’Union Soviétique.

    Cet intérêt peut s’expliquer en partie par le fait que lees jeunes générations n’ont pas grandis dans l’ère de la propagande de la Guerre Froide, ce qui veut dire que les idées socialistes ne leur posent pas problème. Mais je pense que ça va encore plus loin. La nouvelle génération d’Américains (si rien ne change), va être la première à part entière dans l’histoire des Etats-Unis à vivre dans de plus mauvaises conditions en termes de niveau de vie économique que la génération de leurs parents. Ce phénomène s’explique par le tournant politique que nous vivons. Les jeunes ont été élevés avec cette idée que s’ils baissaient la tête, travaillaient dur à l’école et allaient à l’université ils finiraient par goûter au rêve américain. Mais la réalité est toute autre. Et ce qui est fondamental dans cette explication c’est que le capitalisme mondial est dans une crise prolongée et la plupart de ces jeunes (entre 18 et 29 ans) sont déçus par le capitalisme.

    Al Jazeera : Est-ce que la vague d’ordonnances exécutives de Trump concernant les dérégulations de Wall Street et visant les immigrés a créé un sentiment d’urgence ?

    Sawant : Il est certain que cette situation est une opportunité historique et il serait périlleux pour la gauche américaine de l’ignorer. Il est primordial que nous mettions en avant ce besoin urgent d’élaborer des plans d’actions et d’unir les 99% autour de revendications concrètes. Luttons ensemble pour la défense des immigrants, les droits des femmes et pour la communauté LGBTQ. Nous avons besoin d’une solidarité extrême en défendant les groupes en question qui sont menacés par Trump et son administration.

    Mais nous devons aussi associer ce mouvement à des revendications audacieuses articulées autour d’un salaire minimum de 15$ par heure, de la sécurité sociale pour tous et de la lutte contre les violences sexistes.

    Nous revendiquons la disparition des murs aux frontières, l’arrêt des interdictions et la légalisation des migrants. Notre approche est de mettre en place des actions créant l’unité. Nous devons être conscients que la majorité des manifestants de « la marche des femmes », au lendemain de l’investiture, n’étaient pas des militants de gauche, la plupart n’avaient jamais manifesté de leur vie. La descente de millions de personnes dans les rues démontre à la gauche que les manifestants sont prêts à entrer en lutte.

    Nous savons que les actions d’occupations et de protestations qui ont conduit au blocage d’aéroports (à travers les USA) sont la principale cause du gel du décret anti-immigration. Cela montre que même une administration puissante siégeant à la Maison blanche peut être renversée par les actions revendicatives de masse. Faire l’expérience d’une victoire par la désobéissance civile est extrêmement important ; une défaite aurait un effet démoralisant sur le mouvement. Nous devons construire sur base de ces victoires et nous en servir pour aller de l’avant.

    Nous ne négocierons pas. Le climat de lutte est présent. C’est la raison pour laquelle il s’agit d’une opportunité historique pour la gauche américaine et particulièrement pour les socialistes. Le mouvement ouvrier entier et tout ce pour quoi nous nous sommes battus pendant des décennies sont menacés. Si nous voulons conserver nos acquis nous allons devoir nous battre.

    Al Jazeera : Quelle forme de protestation contre l’administration Trump préconisez-vous ?

    Sawant : L’agenda politique des millionnaires de Trump ne peut être vaincu que si le mouvement est militant. Il nous faut un mouvement de désobéissance civile de masse non-violent et prêt à entrer en grève. Notre mouvement ne peut se limiter à ce qui est acceptable pour le Parti démocrate et l’establishment.

    Al Jazeera : Bien que les membres de Socialist Alternative ont soutenu le message de Bernie Sanders, vous l’avez encouragé à se présenter comme candidat indépendant. Quelle est votre réponse concernant l’argument selon lequel les gauchistes ont pour vocation de travailler avec le Parti démocrate ?

    Sawant : Le Parti démocrate de l’establishment semble être bien déconnecté de la réalité. Comment voulez-vous défendre les travailleurs, confrontés aux attaques drastiques de Trump, si vous êtes déconnectés à ce point ? Si nous voulons mettre en place un agenda politique de gauche (en termes de niveau de vie, pour mettre fin à la dette étudiante, pour améliorer la qualité de vie de la majorité des travailleurs ayant du mal à joindre les deux bouts), comment voulez-vous reposer sur un tel parti ?

    C’est une situation complexe. La plupart des personnes aspirent à un agenda politique de gauche, audacieux et progressiste, mais la majorité d’entre elles ne sont pas certaines que le Parti démocrate mettra en œuvre ou non un tel agenda politique. Cette incertitude fera l’objet de nombreux débats chez les jeunes et les travailleurs au cours des prochains mois.

    En tant que socialistes nous devons être solidaires de tous ceux qui veulent se battre à nos côtés. Rien n’empêche le Parti démocrate à se battre. Mais notre priorité est de construire un mouvement sur le terrain tout en continuant à débattre de la question du Parti démocrate.

    Al Jazeera : Le programme de Trump, représente-il une menace pour les travailleurs et le mouvement ouvrier en général ?

    Sawant : Il constitue une menace considérable pour les travailleurs en général. Sa stratégie politique consistera à s’attaquer en premier lieu aux communautés vulnérables, comme les migrants. Je ne suis pas surprise que certaines des premières directives les visent. C’est ce que l’on appelle une stratégie de «diviser pour régner». Et c’est exactement cela qui est déterminant dans notre travail de solidarité sur le terrain. Si tu n’es pas un immigré et que tu pense que Trump ne va pas s’en prendre à toi, tu es aveugle à l’énorme danger que représente Trump et son cabinet de milliardaires pour nous tous.

    Al Jazeera : Suite à la victoire de Trump au mois de novembre vous avez reçu des milliers de messages et d’appels. Comment avez-vous fait face aux menaces de violence et comment avez-vous répondu aux partisans de Trump ?

    Sawant : Nous avons reçu un nombre fou de messages. Il y avait certainement rien de normal à cela. Le discours que j’ai tenu lors du rassemblement tout juste après les élections s’est propagé sur de nombreux sites internet d’extrême droite et sur Facebook. Ainsi j’ai reçu des milliers (si ce n’étaient pas des dizaines de milliers) d’appels et de messages sur Facebook de la part de militants de Trump, dans mon bureau mais aussi à la Mairie.

    Nous avons eu une approche pédagogique dont nous aurons encore besoin à l’avenir. Nous avons demandé à ceux qui ont voulu nous en parler pourquoi ils avaient voté pour Trump. La grande majorité d’entre eux n’a pas voté pour Trump parce qu’ils sont sexistes et parce qu’ils aiment qu’il soit misogyne. Evidemment, sa campagne électorale a été façonnée par une tendance idéologique d’extrême droite. Mais beaucoup de travailleurs ordinaires ont voté pour Trump parce qu’ils sont en colère contre les politiques favorables aux grandes entreprises et ont considéré [Hillary] Clinton comme quelqu’un sous le contrôle de Wall Street.

    Tout en étant intransigeant concernant la question de l’oppression, la gauche doit aussi comprendre que nous voulons que les partisans de Trump passent à gauche et luttent contre la classe des milliardaires. Nous devons laisser la voie ouverte tout en refusant l’idéologie d’extrême droite.

    La gauche ne peut s’autoriser à commettre l’erreur d’être condescendante à l’égard de ceux qui prennent place dans la lutte pour la première fois de leur vie et qui n’ont peut être pas une idée claire de leurs revendications de classe. Le passé nous a montré que la réflexion des personnes n’est pas gravée dans le marbre ; ce qui est important, c’est qu’ils soient prêts à se battre. Ce processus en-soi va leur faire comprendre que notre lutte dois aller bien plus loin que de simple revendications.

    Ne pas reconnaître que nous vivons un tournant considérable, serait un échec considérable. Trump a renforcé le chaos au sein de la classe dirigeante par sa façon de gouverner. Nous devons considérer cela comme une opportunité.

  • Une Réponse socialiste au discours d’investiture de Donald Trump

    Photo : Socialist Alternative

    Kshama Sawant, élue socialiste au conseil de la ville de Seattle, a directement réagi au discours de Donald Trump. Dès l’annonce de sa victoire, Socialist Alternative s’est très activement engagé dans l’organisation de la résistance contre Trump et son discours de haine raciste et misogyne, sans éviter pour autant de dénoncer le système capitaliste lui-même de même que la responsabilité du Parti démocrate, dont la politique antisociale a ouvert la voie à la victoire de Trump.

    Hier, entre 3 et 4 millions de personnes ont manifesté contre Trump à travers les Etats-Unis tandis que des dizaines de milliers d’autres avaient également battu le pavé la veille, notamment dans le cadre des grèves étudiantes appelées par les Socialist Students, l’organisation étudiante de Socialist Alternative. Tout cela n’est encore qu’un début, la lutte se poursuivra contre Trump, le racisme, le sexisme, l’homophobie et le capitalisme.

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    Réaction de Kshama Sawant :

    Soeurs et frères,

    Donald Trump est dorénavant Prédateur en Chef et dirige une des administrations les plus dangereuses et les plus à droite de l’histoire des Etats-Unis.

    Lors de son discours d’investiture, il y a quelques minutes, Trump a affirmé que son gouvernement suivrait une voie juste et qu’il serait un gouvernement en faveur du peuple. Que les hommes et les femmes oubliés ne seront plus oubliés. Qu’il va créer des écoles, et de bons emplois pour tous en redonnant prospérité aux travailleurs américains.

    Mais, sœurs et frères, Trump est un menteur et un escroc. Son administration comprend les pires fumiers de la classe des milliardaires, des réactionnaires religieux de droite et de l’élite des entreprises.

    Il ne dispose d’absolument aucun mandat pour appliquer son agenda haineux, anti-travailleur et misogyne. Trump entre à la Maison Blanche avec le plus faible taux de soutien d’un président américain entrant en fonction, aux alentours des 40%. Mais les sondages ne suffiront pas pour l’arrêter.

    Trump et la classe des milliardaires ne comprennent qu’une chose: le pouvoir. Notre tâche primordiale est de construire le pouvoir des 99% – les travailleurs et tous ceux qui sont marginalisés par l’élite capitaliste.

    En tant que socialiste, je rejette complètement le compromis de l’élite libérale qu’Hillary Clinton a parfaitement exprimé quand elle a dit, après l’élection, que ‘‘Trump mérite notre soutien’’ et que nous devrions ‘‘lui donner une chance’’. Nous ne pouvons pas non plus attendre les élections de 2018 et de 2020 pour dégager les Républicains.

    Trump peut être vaincu si nous construisons une résistance massive dès maintenant. L’histoire est remplie d’exemples de gouvernements de droite contraints de reculer partiellement ou totalement face aux mouvements de masse.

    Aujourd’hui et ce week-end, des manifestations, des marches de masse et des grèves étudiantes se déroulent partout, tant dans le pays que dans le reste du monde. Des centaines de milliers de personnes, peut-être des millions, protesteront pour envoyer le puissant message que nous sommes prêts à lutter contre Trump et la classe des milliardaires.

    Mon organisation, Socialist Alternative, s’est retrouvée à l’avant-garde des protestations contre Trump dès le début. Nous avons appelé à des manifestations dans les grandes villes du pays le lendemain des élections et avons mobilisé plus de 50.000 personnes dans les rues.

    Pour ce week-end d’investiture, Socialist Alternative aide à organiser des manifestations et des protestations étudiante dans des dizaines de villes, qui doivent être un tremplin pour notre résistance. Pour vaincre Trump, il nous faut un mouvement de masse reposant sur l’unité maximale dans l’action et sur la force sociale de la classe ouvrière.

    Qu’est-ce que cela signifie ?

    Pour répondre aux attaques vicieuses de Trump, nous avons besoin d’un mouvement combatif et déterminé. Nous avons besoin d’un mouvement qui cherche à mobiliser les millions de personnes que l’on n’écoute jamais au travers de la lutte collective, en construisant, via des structures de base démocratiques, notre propre mouvement indépendant des deux partis de Wall Street.

    Une protestation timide et symbolique ne suffira pas. Il nous faut organiser une désobéissance civile de masse et non-violente. Des manifestations de dizaines de milliers de personnes peuvent bloquer les autoroutes et trouver d’autres manières de stopper le «business as usual». Il nous faut aussi des actions de masses, pacifiques et directes pour bloquer les tentatives d’expulser nos frères et sœurs migrants.

    Pour inciter un grand nombre à agir, il nous faut lutter pour des revendications qui mettent en avant une vision alternative de la société qui place les gens et l’environnement au-dessus des intérêts et des profits des grandes entreprises.

    Bien sûr, nous devons nous mobiliser pour vaincre la multitude d’attaques de Trump et des Républicains, pour défendre les gains du Affordable Care Act (également connu sous le nom d’Obamacare) et pour défendre les écoles publiques.

    Mais cela doit être lié à la défense de revendications audacieuses capables d’inspirer les masses avec la promesse d’une amélioration considérable de la qualité de vie, à l’instar de ce que Bernie Sanders avait popularisé :

    • Medicare (assurance de soins de santé) pour tous;
    • 15 $ de salaire minimum par heure pour tous les travailleurs;
    • Enseignement supérieur gratuit;
    • Taxer les riches pour financer un vaste programme de travaux publics pour créer des emplois et reconstruire l’infrastructure, développer l’énergie verte et le transport en commun; etc.
    • Black Live Matter! Stop à la brutalité policière et au racisme d’Etat.

    Le programme audacieux de Bernie Sanders avait inspiré l’enthousiasme de millions de personnes, en particulier parmi la jeunesse. Les timides propositions respectueuses des entreprises d’Hillary ont échoué à les mobiliser.

    Ce week-end doit être considéré comme un point de départ. Comme prochaine étape, nous pouvons faire de la journée du 8 mars, la Journée internationale des femmes, un défi contre Trump, la misogynie dégueulasse et le sexisme qu’il représente, une journée d’action de masse et de protestations en défense des services publics d’aide à domicile et contre toutes les formes de violences sexuelles.

    Le 1er mai est la Journée internationale des travailleurs et une journée de manifestations de migrants. Notre objectif devrait être de réunir des millions de personnes dans les rues et de construire une vague massive de manifestations pour les droits des migrants et contre le racisme. Il nous faut prendre exemple sur le mouvement de grève de masse de travailleurs immigrés de 2006 qui avait repoussé un projet de loi anti-migrants.

    Ces luttes nécessitent l’unité la plus large possible dans l’action de la part de toutes les forces prêtes à lutter sérieusement contre Trump et la classe des milliardaires. Les organisations syndicales, de migrants, de femmes, pour les droits civiques, environnementales,… partisans de Sanders, Démocrates progressistes, membres du parti Vert et socialistes,… Il nous faut tous nous réunir. Mais il est évident qu’il existe des différences politiques majeures de stratégie et d’intérêts sociaux dans ce mouvement.

    Notre mouvement doit se baser sur les besoins de la lutte contre Trump et la classe des milliardaires. Nous ne pouvons pas le laisser être subordonné ou restreint aux limites de ce que la direction capitaliste du Parti Démocrate permettra.

    Rappelons-nous quand Obama est entré en fonction en 2009. Il disposait d’un soutien populaire massif. Les Démocrates avaient une majorité au Sénat et à la Chambre. Pourtant, les Républicains ont réussi à combattre sans relâche Obama, en bloquant une grande partie de son programme.

    Les Démocrates au Congrès peuvent sérieusement entraver une bonne partie de l’agenda politique de Trump. Les Républicains n’ont qu’une faible majorité de 52 sièges au Sénat. Trump ne sera pas en mesure de nommer une ordure de droite à la Cour suprême si les Démocrates se tiennent fermes et l’en empêchent.

    Mais le feront-ils ? Malheureusement, l’expérience récente n’inspire pas confiance envers le Parti démocrate, en particulier envers les politiciens pro-capitalistes qui dominent le parti. C’est ce que nous avons vu avec le lâche refus de la grande majorité des Démocrates du Congrès de contester les résultats de cette élection au cours de laquelle des votes ont été ignorés.

    Je salue la position des Démocrates élus au Congrès qui ont décidé de ne pas assister à la prestation de serment de Donald Trump, mais nous devons reconnaître que la majorité de leurs collègues a refusé de faire pareil. La décision la plus scandaleuse fut toutefois le choix récent de 13 Démocrates de rejoindre les Républicains dans le bardage avec Big Pharma (les grandes entreprises pharmaceutiques) contre les travailleurs ordinaires.

    En tant que socialiste, je ne pense pas que le Parti démocrate représente le genre de direction combative dont la classe ouvrière et le mouvement social en général ont besoin pour affronter un ennemi aussi impitoyable que Donald Trump. Les travailleurs et les 99% ont besoin de construire leur alternative politique contre les Républicains et les Démocrates acquis aux intérêts de Wall Street. Il nous faut notre propre voix politique !

    Il nous faut un nouveau parti politique qui rejette les donations des entreprises et se base plutôt sur le financement et le soutien actif des travailleurs et des organisations progressistes. Un parti démocratique organisé par la base, qui lutte sans réserve pour les intérêts des 99% et contre les grandes entreprises. Un parti qui présente des candidats anticapitaliste partout aux États-Unis.

    Je reconnais que de nombreux militants honnêtes tentent de ‘‘récupérer’’ le Parti démocrate, à la
    suite de Bernie Sanders. Nos différences ne devraient pas nous empêcher de travailler ensemble pour construire la plus grande lutte dans les rues contre Trump et la classe des milliardaires, tout en continuant à avoir un honnête débat au sujet de la stratégie dont nous avons besoin.

    En ces temps difficiles, j’ai beaucoup d’espoir envers le nouvel esprit de rébellion que l’on trouve chez les jeunes. Le plus important est le soutien croissant pour l’idée du socialisme, des milliers de personnes rejoignant des organisations socialistes à travers le pays. La raison derrière cela n’est pas un mystère: le capitalisme est un système en faillite. Donald Trump est une expression particulièrement répugnante de la nature prédatrice du système capitaliste lui-même.

    Il a été dit cette semaine que 8 personnes – seulement 8 personnes – possèdent maintenant plus de richesses que la moitié de la population mondiale. Nous avons également constaté que les températures mondiales, pour la troisième année consécutive, ont cassé tous les records précédents – que la catastrophe climatique continue d’avancer rapidement.

    Nous avons besoin d’une société radicalement différente.

    Nous avons besoin du socialisme.

    Le socialisme signifie une société dirigée par et pour les travailleurs, plutôt que la classe des milliardaires.

    Une société où les grandes entreprises sont sous propriété collective afin que nous puissions planifier démocratiquement comment utiliser les ressources de la société pour répondre aux besoins humains.

    Une société égalitaire, à la place que la prédatrice et sanglante concurrence capitaliste.

    Une société basée sur la coopération internationale plutôt que le vil nationalisme que Trump est en train de promouvoir.

    Il y a quelques jours, nous avons célébré la journée Martin Luther King. Dans ses dernières années, Luther King se tournait vers le socialisme. En 1966, il a dit: ‘‘Vous ne pouvez pas parler de résoudre le problème économique du noir sans parler de milliards de dollars. On ne peut pas parler de mettre fin aux bidonvilles sans d’abord dire qu’il faut s’ne prendre aux profits. (…) Il doit y avoir une meilleure répartition de la richesse et peut-être que l’Amérique doit avancer vers un socialisme démocratique.’’

    Sœurs et frères, un autre monde est possible. J’espère que vous nous rejoindrez dans la lutte pour un avenir socialiste. Il n’y a pas de temps à perdre. Mobilisons-nous !

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