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Tag: Iran
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L’Iran entre guerre et soulèvement
Ce mois de janvier, les États-Unis et l’Iran apparaissaient résolument engagés sur la voie d’une guerre totale faisant suite à des années de tensions croissantes. Cette possibilité semble repoussée pour l’instant. En Iran, les tensions internes au pays constituent un élément clé derrière ce revirement. Une lettre ouverte des étudiants de l’université Amirkabir (polytechnique) de Téhéran, qui manifestent d’ailleurs depuis des mois contre la politique du gouvernement iranien, illustre que le régime ne peut pas considérer le soutien de la population comme acquis et qu’une sérieuse politisation a pris place au cours de ces dernières années. Ils expliquent : ‘‘Les évènements des deux derniers mois démontrent l’incompétence du régime en Iran, un régime dont la seule réponse à la crise est d’utiliser la force. Il est de notre devoir de diriger tous nos efforts tant contre un gouvernement oppresseur qu’envers un pouvoir impérialiste.’’Par Julien (Bruxelles)
L’Iran face à la colère sociale
La république islamique d’Iran a été frappée d’une série d’embargos quasiment dès sa fondation en 1979. Les premières sanctions imposées par les USA datent de 1984 et de nombreuses autres ont suivi, y compris de la part de l’Union européenne, tout particulièrement quand l’Iran a annoncé la reprise de ses recherches sur le nucléaire en 2005. En 2016, à la suite de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, une bonne partie des sanctions ont été levées. Les exportations de pétrole avaient directement doublé et les investisseurs étrangers (Renault, Peugeot, Total,…) ont profité de l’aubaine.
Le régime espérait redorer son image vis-à-vis d’une population où couvait le mécontentement. En 2009, un soulèvement de masse avait dénoncé la fraude électorale de l’élection présidentielle et, depuis lors, les conditions de vie n’avaient fait que se dégrader. Entre la levée des sanctions et 2017, la croissance économique du pays fut de 11,5 % mais, en retirant les ventes de pétroles, cette croissance n’était que de 3,3 % et la rente pétrolière est accaparée par l’élite iranienne. Selon les données officielles, 30% des jeunes sont sans emploi. Tout comme une couche grandissante de leurs aînés, ils rejettent le régime autoritaire et corrompu des mollahs.
Quand le président Hassan Rohnani a présenté un budget d’austérité en décembre 2017, la colère latente des masses a explosé : un large mouvement de manifestations et de grèves contre la vie chère a balayé le pays. Chose inédite jusque-là, les slogans n’attaquaient plus seulement le gouvernement, mais aussi le ‘‘Guide suprême’’ l’ayatollah Ali Khamenei (dont le poste est plus élevé que celui de président de la république islamique). La réaction du régime fut une sanglante répression.
En 2018, Trump a annoncé avec fracas le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et la restauration des sanctions états-uniennes. En Iran, la situation économique s’est soudainement détériorée. En 2019, l’économie a chuté de 8,5 à 9,5 % selon les estimations. Lorsque le régime a annoncé une augmentation du prix du carburant en novembre 2019, une nouvelle explosion eut lieu, alors que de vastes mobilisations sociales avaient lieu dans les pays voisins que sont l’Irak et le Liban.
Ce soulèvement était marqué par de nombreuses grèves dans les usines, parmi les enseignants ou encore parmi les chauffeurs routiers et a impliqué des jeunes ainsi que des travailleurs de différentes communautés (perses, arabes, kurdes,…). A nouveau, les slogans ne ciblaient plus seulement la présidence et le gouvernement, mais aussi le ‘‘Guide suprême’’. Les manifestants dénonçaient également d’autre part le coût du soutien de l’Iran à diverses milices et forces politiques chiites en Irak, en Syrie et ailleurs dans la région.
Le déclin de l’impérialisme US
Il est vrai que l’Iran a pris plus de poids dans la région, en profitant notamment de l’affaiblissement de l’impérialisme américain. Aujourd’hui, l’Iran exerce une influence majeure, sinon dominante, dans un grand nombre de pays voisins, tels que l’Irak, le Liban, la Syrie, le Yémen et la bande de Gaza palestinienne. C’est l’influence croissante de l’Iran qui a poussé l’administration Trump à une offensive mal calculée en se retirant en mai 2018 de l’accord nucléaire iranien ainsi qu’en imposant des sanctions, en dépit de l’opposition de ses alliés européens.
Quand, en septembre dernier, les raffineries Aramco ont été bombardées en Arabie Saoudite (ce qui a mis hors service plus de 5% de la production mondiale de pétrole), les USA et l’Arabie Saoudite ont montré du doigt le mouvement Houthi au Yemen et, derrière lui, l’Iran qui le finance. Cette dynamique a finalement conduit à l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad par une attaque américaine le 3 janvier dernier. Peu après, Trump a menacé de détruire ‘‘rapidement et durement’’ 52 sites en Iran, dont des sites culturels et de frapper les Iraniens ‘‘plus fort qu’ils ne l’ont jamais été’’.
Ces dernières années, dans la région, les conflits se caractérisaient par un aspect de ‘‘guerre par procuration’’ dans lesquels les puissances impérialistes ne rentraient pas directement en conflit les unes avec les autres. Trump n’a peut-être pas initié de guerre officielle avec l’Iran mais en ordonnant l’assassinat de Soleilmani, il ouvre la voie à des conflits plus conséquents à l’avenir.
Les autorités iraniennes espéraient mettre à profit le risque d’une guerre avec les États-Unis pour ressouder la population autour d’elle. Cette dynamique a rapidement été enrayée par les mensonges du régime au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines, abattu par erreur par les Gardiens de la révolution ; ce qui a entraîné la mort de 176 passagers et membres d’équipage, majoritairement iraniens ou d’origine iranienne. Une nouvelle vague de manifestations a alors eu lieu, à partir de 4 universités de la capitale. Le lendemain, une veillée en mémoire des victimes du crash s’est transformée en manifestation anti-gouvernementale. Le régime iranien est bien conscient qu’avec une guerre, son règne ne sera pas seulement menacé de l’extérieur du pays.
Quelle issue ?
Aujourd’hui, 73% de la population iranienne habite en ville et la classe ouvrière iranienne bénéficie d’un impressionnant héritage de luttes. En 1979, elle fut l’artisan du renversement de la monarchie iranienne. Pendant un temps, il était possible que les travailleurs prennent le pouvoir. Ils contrôlaient les usines et les entreprises au moyen de comités de base démocratiques et désarmaient les forces contre-révolutionnaires. Hélas, ce mouvement ne disposait pas d’une stratégie audacieuse pour prendre le pouvoir. Face aux hésitations et en l’absence d’initiatives décisives de la part des travailleurs, l’ayatollah Khomeini, revenu d’exil, a tiré profit de son profil d’exilé politique pour mobiliser les masses et endiguer le processus révolutionnaire en cours. Dans les faits, il a volé la révolution aux travailleurs. Même s’il a dû accorder d’importantes concessions sociales (gratuité des médicaments et des transports, annulation des factures d’eau et électricité,…), l’Islam politique de droite imposé par Khomeini a par la suite fait assassiner ou emprisonner des milliers de syndicalistes et de dirigeants de gauche pour consolider sa position.
La classe ouvrière iranienne reste objectivement la clé de toute révolution réussie en Iran aujourd’hui. La tâche immédiate du mouvement est de s’élargir et de s’organiser au niveau local, régional et national autour d’un programme pour renverser le régime capitaliste religieux des Mollahs et prendre le contrôle de l’économie. Au cours des luttes de ces dernières années, des structures syndicales et des comités étudiants se sont développés. La dictature est consciente du danger et n’a pas hésité à couper internet lors des mobilisations de novembre pour empêcher l’organisation du mouvement. A terme, la seule issue pour les masses en Iran sera de convoquer une assemblée constituante révolutionnaire pour un Iran démocratique et socialiste qui garantirait les libertés individuelles et l’égalité des droits de toutes les minorités opprimées.
Un appel à la solidarité internationale lancé par les jeunes et les travailleurs en Iran est une tâche fondamentale pour en finir avec la misère capitaliste et les menaces de guerre. A destination des peuples en lutte dans la région qui connaissent une même haine de l’impérialisme et de la corruption des élites bien entendu, mais aussi envers les jeunes et les travailleurs aux États-Unis. Ce que craignent le plus les gouvernements au Moyen-Orient et ailleurs, c’est que la résistance se renforce et se développe par-delà les frontières.
Partout dans le monde, nous devons nous atteler aux premiers pas de la construction d’un large mouvement anti-guerre international, tout particulièrement aux USA. Là-bas, la campagne de Bernie Sanders bénéfice d’un écho et d’un soutien grandissant. Son opposition aux aventures militaires américaines a notamment suscité un grand enthousiasme parmi ses partisans et au-delà.
• Non à l’intervention impérialiste au Moyen-Orient, pour le retrait des troupes américaines, françaises, britanniques, russes et de tous les autres pays étrangers de la région et pour la non-intervention des gouvernements nationaux dans les affaires des voisins ;
• Soutien total aux mouvements de protestation en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs dans leurs luttes contre la pauvreté, la corruption et la division communautaire ;
• Pour la construction d’un mouvement anti-guerre de masse aux USA et internationalement ;
• Pour l’unité des travailleurs et des jeunes de toute la région afin de faire tomber les gouvernements pro-capitalistes, qui reposent sur la division et le conflit ethniques et les encouragent, et leur rempla-cement par des gouvernements des travailleurs véritablement démocratiques avec un programme socialiste pour mettre fin à la pauvreté, à la corruption et au régime autoritaire – pour une Fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient. -
Iran. Première action anti-guerre à Bruxelles
La menace d’une nouvelle escalade et d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient suscite craintes, mais aussi indignation et protestation. A Bruxelles, une première action a eu lieu devant l’ambassade américaine ce dimanche après-midi en presence de militants pacifistes, mais aussi d’organisations politiques comme le PSL ou le PTB. Parmi les participantes et participants se trouvaient également des personnes d’origine iranienne.
Ces dernières années, les interventions impérialistes au Moyen-Orient ont fait des ravages, entrainant des situations désespérées pour de larges pans de la population. Les impressionnantes mobilisations sociales contre la pauvreté, le chômage, la corruption et la division communautaire au cours de ces derniers mois au Liban, en Irak, en Iran et ailleurs en sont l’expression. Une escalade du conflit entre les Etats-Unis et l’Iran, que ce soit ou non par le biais de marionnettes, représentera un obstacle à cette protestation sociale en augmentant le désespoir et en compliquant tous les éléments d’espoir reposant sur l’action collective.
Lors de l’action, plusieurs intervenants ont principalement insisté sur la condamnation des interventions de l’impérialisme américain et sur l’appel à la paix. Le PSL était également présent avec un tract dénonçant les interventions impérialistes, soutenant les mouvements sociaux, appelant à un mouvement anti-guerre massif et plaidant pour l’unité des travailleurs et des jeunes dans la lutte contre le système capitaliste qui entraine pauvreté, division et guerre.
Cette action était un premier pas important. Malheureusement, nous craignons que d’autres actions anti-guerre soient nécessaires. Commençons à les préparer dès maintenant !
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Assassinat de Soleimani – Trump rapproche la région de la guerre

Soleimani, Photo: Wikipedia Le journal libanais pro-Hezbollah “Al-Akhbar” titrait ce vendredi : “Le martyre de Soleimani : c’est la guerre !” Ce n’est qu’une des premières réactions de colère suite à l’attaque de nuit par des drones américains sur le convoi quittant l’aéroport international de Bagdad qui a tué le général iranien Qassem Soleimani et au moins six autres personnes, dont plusieurs commandants de milice qui avaient participé à la bataille contre Daesh. L’onde de choc s’est rapidement propagée dans le monde entier – le prix du pétrole a bondi de 4 % et le marché boursier américain a subi des pressions, les spéculateurs cherchant des “refuges” pour leur argent. Les termes “troisième guerre mondiale” et “Franz Ferdinand” ont fait leur apparition sur Twitter.
Par Rob Jones
Nous ne sommes pas, bien sûr, au bord d’une troisième guerre mondiale à la suite de cette action brutale et sans doute illégale de Donald Trump. Mais sa décision d’autoriser cet assassinat a sans aucun doute rendu la situation dans la région beaucoup plus dangereuse. Elle pourrait rapidement dégénérer en un conflit beaucoup plus grave. C’est ce qu’indique l’avertissement envoyé par le gouvernement américain aux citoyens américains en Irak de quitter le pays immédiatement, sans tenter de s’approcher de l’ambassade américaine. L’Iran et ses alliés, comme le Hezbollah au Liban, chercheront à attaquer des cibles américaines et alliées des Etats-Unis, y compris peut-être Israël ou l’Arabie saoudite. L’Iran a également démontré plus tôt cette année qu’il est capable de bloquer le trafic pétrolier dans le détroit d’Ormuz et de paralyser la production de pétrole saoudien. Le déclenchement d’un conflit plus grave dans la région pourrait avoir des conséquences majeures pour l’économie mondiale déjà confrontée à un ralentissement important. Pour les Américains ordinaires et d’autres innocents dans le monde entier, la conséquence à long terme est, bien entendu, la menace de nouvelles attaques terroristes.
L’assassinat de Soleimani est la dernière étape d’une offensive des Etats-Unis contre l’Iran qui a commencé par le retrait de Trump de l’accord nucléaire négocié sous Obama et qui a été suivi de sanctions dévastatrices. Les sanctions en elles-mêmes constituent un acte de guerre et le régime iranien a cherché à riposter, notamment en abattant un drone militaire américain et en utilisant les forces qu’il contrôle en Irak pour attaquer des bases avec les forces américaines. Cela reflète également la nécessité pour l’impérialisme américain de faire preuve de “fermeté” à la suite de son retrait bâclé du nord-est de la Syrie et des diverses attaques du régime iranien et de ses alliés.
La manière dont Trump a pris la décision de lancer l’attaque illustre le caractère “voyou” de son règne. Non seulement il a ignoré le Congrès, qui est censé sanctionner de telles actions, mais les rapports laissent entendre qu’il a à peine consulté ses propres conseillers. En effet, plutôt que de faire l’annonce lui-même, il a laissé cet honneur au Pentagone et s’est contenté de tweeter une image du drapeau américain. Si les Démocrates américains soulignent à juste titre que M. Trump tente peut-être de passer outre le processus de destitution, ils feraient bien de se rappeler qu’en 1998, le président Clinton a lancé une frappe aérienne d’urgence contre l’Irak au moment même où sa propre procédure de destitution était en cours.
Nous nous opposons au “droit” autoproclamé de l’impérialisme américain d’assassiner ses opposants. Aucun socialiste ne versera de larmes pour Qassem Soleimani. Il dirigeait la fameuse et brutale “force Quds” – les unités militaires du régime iranien utilisées pour les interventions à l’étranger – “atouts indéniables” qui auraient joué un grand rôle dans les conflits en Irak, en Syrie, au Yémen, à Gaza, au Liban et en Afghanistan. On lui attribue le mérite d’avoir joué un rôle clé dans la galvanisation des forces contre Daesh. Il n’a pas fait figure d’ami de la population ordinaire, il a plutôt joué un grand rôle en soutenant des régimes réactionnaires de la région. Lorsque des étudiants ont participé à des manifestations de masse à Téhéran en 1999, Soleimani a envoyé une lettre au président Khatami pour l’avertir que s’il ne sévissait pas contre les étudiants, Soleimani le ferait lui-même et organiserait en même temps un coup d’État militaire pour renverser Khatami. Les participants aux récentes manifestations en Irak pensent généralement que Soleimani n’a pas seulement poussé le gouvernement de Bagdad à adopter une ligne dure, mais qu’il a également poussé des milices à attaquer les manifestants. Des centaines de personnes ont été tuées et beaucoup d’autres blessées.
Mais cela ne justifie absolument pas l’assassinat du général et de son entourage. Nous ne devons pas non plus tomber dans le piège de répéter ce que certains porte-parole de Trump ont dit, à savoir que Soleimani est responsable de tous les problèmes de la région. Toute la région est victime d’une lutte brutale entre les différentes puissances impérialistes, y compris les puissances impérialistes régionales, pour le pouvoir et le contrôle des ressources naturelles. Il n’y a aucun principe en jeu, si ce n’est la tentative d’exploiter les richesses de la région aux dépens de la population ordinaire. Les alliances opportunes à un moment ou dans un pays, par exemple dans la lutte contre Daesh, ne valent pas dans les pays voisins. La première ville irakienne à résister à Daesh en 2014, Amerli, a été défendue par ce que le Los Angeles Times a décrit comme “un partenariat inhabituel de soldats irakiens et kurdes, de milices chiites soutenues par l’Iran et d’avions de guerre américains”. Les Etats-Unis étaient alors très heureux de travailler avec Soleimani.
La justification de Trump pour l’attaque est maintenant que Soleimani “représentait une menace imminente pour la vie des Américains” et qu’il “complotait pour tuer des citoyens américains”. Ceci fait suite à la déclaration qu’il a faite au début de la semaine après que des membres de la milice chiite, largement considérés comme défendus par Soleimani, aient envahi et occupé le complexe de l’ambassade américaine à Bagdad, sans perte de vie. Trump a averti que “l’Iran sera tenu pleinement responsable des vies perdues ou des dommages subis dans l’une de nos installations. Ils paieront un très GRAND PRIX ! Ce n’est pas un avertissement, c’est une menace. Bonne année !”
L’occupation de l’ambassade constitue un avertissement clair des dangers et des conséquences de l’intervention des différentes forces impérialistes dans la région. Depuis début octobre, l’Irak est sous l’emprise de protestations héroïques contre le manque d’emplois et de services publics, contre la corruption et contre le sectarisme religieux inscrit dans le système gouvernemental resté en place depuis la fin officielle de l’occupation américaine.
Les manifestants ont tourné le dos aux forces américaines et ont montré au grand jour leur haine des milices soutenues par l’Iran, qui ont été impliquées dans l’attaque des manifestants pour soutenir le gouvernement actuel dirigé par l’Iran. Ni les États-Unis ni l’Iran ne veulent la chute du gouvernement irakien, car cela ouvrira la voie à une réelle influence des gens ordinaires sur la façon dont ils sont gouvernés. Ces derniers événements vont mettre en colère les milices chiites réactionnaires, qui vont sans aucun doute intensifier leurs campagnes violentes dans toute la région.
L’Iran a lui aussi connu récemment la croissance d’une opposition de masse, déclenchée par l’augmentation des prix du carburant dans le contexte d’une économie souffrant d’une corruption massive et de sanctions imposées par les États-Unis. Comme en Irak, le régime a agi avec brutalité, en accusant l’opposition d’être “contre-révolutionnaire et dirigée par des forces ennemie étrangère à l’Iran ” et en attisant les sentiments anti-américains.
L’assassinat de Soleimani, s’il constitue un coup dur pour le régime iranien, agira également en faveur de son renforcement alors qu’il est confronté à une opposition de masse qui représente son plus grand défi interne depuis la Révolution de 1979. Il a été rapidement remplacé par le général de brigade des gardiens de la révolution islamique Esamil Ghaani, qui non seulement poursuivra mais intensifiera sans aucun doute le travail sanglant de Soleimani dans tout le Moyen-Orient. L’assassinat est utilisé par le régime de Téhéran pour intensifier sa propagande anti-américaine. Cela rend plus difficile la poursuite du mouvement de protestation dans cette région. L’Iran a déjà vu une vague de protestations scandant “Mort à l’Amérique” et portant des portraits de Soleimani – selon l’agence de presse iranienne – qui touche déjà Téhéran, Arak, Bojnourd, Hamedan, Hormozgan, Sanandaj, Semnan, Shiraz et Yazd.
La réaction des autres puissances impérialistes fut une réaction d’inquiétude et de prudence. La Chine a appelé les États-Unis à respecter la souveraineté irakienne. Le président français Macron a immédiatement téléphoné au président russe Poutine, les deux pays exprimant la nécessité de faire preuve de prudence et d’éviter une escalade du conflit en Iran. Israël, bien sûr, soutient l’action américaine, mais a dû renforcer ses mesures de sécurité en réponse. L’inquiétude des autres puissances est alimentée non pas par les droits humains ou politiques de ceux qui vivent dans la région, mais par la crainte que cette action ne fasse basculer la région dans une escalade dramatique de conflit ainsi qu’en raison des implications potentielles que cela aurait sur l’économie mondiale. Les puissances européennes craignent qu’en conséquence, le gouvernement irakien, qui a condamné l’attaque, applique sa décision d’expulser les 5.000 soldats américains encore présents dans le pays. Elles craignent que cela n’affaiblisse la lutte contre Daesh. Comprenant clairement les dangers, le Pentagone a envoyé 3500 soldats supplémentaires, déjà en route vers le Koweït, pour être déployés en Irak, en Syrie ou ailleurs.
Un commentateur a décrit cette attaque comme une dérogation à la nature habituelle de “guerre par procuration” des conflits dans cette partie du monde, en ce sens qu’il s’agissait d’un coup direct d’une grande puissance impérialiste sur une autre, bien que régionale. Malgré les tentatives du Congrès et même de certaines sections de l’armée américaine de tenir Trump en échec, ainsi que la réticence d’autres puissances à soutenir ses actions agressives, il est certain qu’il y aura une intensification des conflits entre les différentes parties engagées, bien qu’à ce stade, une guerre ouverte entre puissances ne soit pas probable. Néanmoins, ces conflits se transformeront en une confrontation ouverte entre troupes des différentes puissances – et pas seulement entre les États-Unis et l’Iran. La Russie a maintenant ouvert une base militaire en Syrie, à proximité d’une zone censée être sous protection américaine, tandis que la Turquie envoie des forces en Libye pour contrecarrer les actions des mercenaires russes.
Il y a deux façons de procéder. Soit les différentes puissances et les seigneurs de guerre gardent le contrôle et la situation dégénère encore plus, laissant la région dans une pauvreté croissante et un conflit inter-communautaire et inter-impérialiste continu tandis que le monde entier sera soumis à des actions terroristes encore plus nombreuses.
Ou bien l’autre force qui a fait fléchir ses muscles dans la région ces derniers mois – la classe ouvrière – peut intervenir pour empêcher que cela ne se produise. Les récents événements en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs ont démontré le potentiel que la classe ouvrière a si elle est unie et agit de manière décisive, en refusant de s’appuyer sur l’une des puissances impérialistes – que ce soit les Etats-Unis ou l’Iran – pour mettre en avant sa propre position, indépendante et internationaliste.
- Non à l’intervention impérialiste au Moyen-Orient, pour le retrait des troupes américaines, françaises, britanniques, russes et de tous les autres pays étrangers de la région et pour la non-intervention des gouvernements nationaux dans les affaires des voisins ;
- Soutien total aux mouvements de protestation en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs dans leurs luttes contre la pauvreté, la corruption et la division communautaire ;
- Pour la construction d’un mouvement anti-guerre de masse aux USA et internationalement ;
- Pour l’unité des travailleurs et des jeunes de toute la région afin de faire tomber les gouvernements pro-capitalistes, qui reposent sur la division et le conflit ethniques et les encouragent, et leur remplacement par des gouvernements des travailleurs véritablement démocratiques avec un programme socialiste pour mettre fin à la pauvreté, à la corruption et au régime autoritaire – pour une Fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient.
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2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

Manifestation de masse au Chili. Photo : Wikimedia Commons 2019 marque un tournant politique certain à l’échelle mondiale. Ces derniers mois, nous avons assisté au développement de luttes de masse et de grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires dans le monde entier. Cette explosion massive provient de la colère accumulée à l’égard des dirigeants, de leur néolibéralisme et de l’absence de démocratie. Ces manifestations ont également mis en évidence certains éléments fondamentaux d’une lutte socialiste, notamment la force de la classe ouvrière et la nécessité de l’internationalisme.
Par Per-Ake Westerlund
Parallèlement, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestants pacifiques et les jeunes militants ont été confrontés à la contre-révolution armée et à la répression brutale.
A travers le monde, la plupart des gouvernements restent silencieux quant à cette violence de la contre-révolution, ou appellent simplement au “calme”. Les médias parlent d’”affrontements violents” entre les forces de l’Etat et les manifestants. Le fait est que cette “violence” provient partout des attaques lancées par les forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestants ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des deux dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.
Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements représentent une vive mise en garde contre les faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits inter-impérialistes et de ralentissement probable de l’économie mondiale, tandis que la crise climatique s’aggrave.
Les mobilisations de masse continuent de se répandre, l’Iran et la Colombie étant les lieux les plus récents où elles ont éclaté, la semaine dernière. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Le fardeau économique que supportent les travailleurs et les pauvres a immédiatement été lié à la dictature théocratique. Le chef suprême, Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre que les revenus supplémentaires provenant du carburant étaient destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère et nous avons pu voir des photos de Khamenei être brûlées par les manifestants. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, avec 250.000 manifestants, a été suivie par d’autres manifestations dans les jours qui ont suivi pour s’opposer aux privatisations et aux coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.
Les comparaisons avec 2011
Divers commentateurs ont fait des comparaisons historiques avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et pré-révolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient a renversé Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf 9 ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.
Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Egypte, où une nouvelle dictature a été instaurée avec Al-Sisi à sa tête, ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après qu’Al-Bashir ait été renversé.
Par rapport à l’année 2011 et aux autres manifestations de ces dernières années, les luttes de 2019 durent beaucoup plus longtemps. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et à Hong Kong en juin. La “révolution d’octobre” au Liban a forcé le Premier ministre Hariri à démissionner après deux semaines, mais elle se poursuit toujours. A la mi-novembre, les employés des banques étaient en grève pour une durée indéterminée, des routes étaient bloquées dans tout le pays et les bâtiments de l’Etat étaient assiégés par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis, même après que Bouteflika ait été contraint de démissionner, avec notamment pour slogan “Nouvelle Révolution”.
Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.
Là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des grèves générales et des vagues de grèves, le rapport de force a été très clair : la petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs et des pauvres. Cela a également souligné le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.
De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements ; les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. C’est ce qu’a très bien illustré le mouvement en Indonésie à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Mais, immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.
“Amusantes et excitantes”
Les “experts” bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de “consommateurs” réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Cela sous-estime totalement les fortes revendications politiques des mouvements. Il est toutefois à noter que, dans la plupart des pays, un mouvement des travailleurs fort, organisé et unifié reste encore à construire.
La revue The Economist rejette l’idée que ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Il défend qu’il est “inutile de rechercher un thème commun”, affirme que ces mobilisations sociales peuvent être “plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante” et avertit que “la solidarité devient une mode”. Cela n’explique rien bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui ? Pourquoi ce genre de “plaisir” n’a-t-il pas toujours été si apprécié ?
En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.
Que trouve-t-on derrière cette explosion de colère ?
Il s’agit d’un tournant mondial créé par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auxquels ce système est confronté. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (majoritaire) a déjà la question dans de nombreux débats et documents. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.
Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées ? Qu’est-ce qui se cache derrière la colère explosive ?
1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est “tout doit partir”. Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Muqtada al-Sadr qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiants de Bagdad ont arboré une banderole intitulée “Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant”. Au Chili, les gens crient dans la rue “Que tous les voleurs s’en aillent”. L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque le week-end dernier, 300.000 personnes manifestant contre le président milliardaire.
2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme et de baisse des conditions de vie ainsi que sur l’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, ce qui fut précisément à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50 % des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont également constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays, le Nigeria par exemple. Tout cela est lié à l’extrême augmentation des inégalités, Hong Kong et le Chili en étant des exemples clés.
Les grèves et les manifestations
Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.
1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions d’habitants), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes, mais se sont étendues à des pays entiers.
2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (par deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle d’une ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves des enseignants, des dockers, des médecins, etc. Les bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets Jaunes en France.
3) De nouvelles méthodes sont nées de la lutte tandis que les traits d’une nouvelle société étaient esquissés. A Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de la place du même nom en Egypte en 2011. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, les étudiants ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. A Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue, pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.
4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulmans chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.
5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’Etat en Bolivie.
De premières victoires
Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenus des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie, le gouvernement équatorien a fui la capitale, des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Pinera a d’abord affirmé que le pays était “en guerre” contre les protestations, puis a dû “s’excuser” et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.
Hong Kong
La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Le fait que Hong Kong soit gouverné depuis Pékin signifie que les reculs et concessions que les gouvernements d’autres pays ont effectués ne sont pas à l’ordre du jour à Pékin.
En août, les camarades du CIO (majoritaire) ont averti de l’instauration d’un “état d’urgence rampant”. À la mi-novembre, cela a changé lorsque Xi Jinping a donné de nouvelles directives : les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Mais, au lieu de cela, le mouvement de protestation a créé une nouvelle crise majeure pour le pouvoir de Xi.
La répression a atteint un nouveau niveau, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre lorsque les policiers menaçaient de tirer à balles réelles et que les étudiants retranchés dans les campus universitaires tentaient de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1.500 bombes lacrymogènes. Les étudiants de l’université PolyTech ont été contraints de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.
Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité mais il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis pro-gouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.
La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiants ” Sois comme l’eau” – sans forme et sans dirigeants – a donné quelques avantages dans les luttes de rue et a permis aux jeunes de contrecarrer le rôle de blocage des libéraux pan-démocrates. Mais cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au nouveau stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période représentent des éléments compliquant. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions dans la “communauté internationale” et en particulier dans l’impérialisme américain et Trump. Cela permet également de continuer à croire en une “solution propre à Hong Kong” distincte du reste de la Chine.
Les complications de cette période
Au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière cette année, la discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement “authentique” au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas d’ignorer d’autres mouvements sociaux importants.
La conscience peut progresser par bonds à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les nouvelles formations de gauche ont été volatiles et politiquement faibles, comme l’illustre encore le récent exemple de Podemos qui a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’Etat espagnol.
Comparer la situation actuelle avec l’année 1968 souligne à quel point le mouvement des travailleurs – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Cela signifie cependant également que les partis communistes staliniens et la social-démocratie disposent de moins de possibilités de bloquer et de dévier les luttes qu’à l’époque.
La contre-révolution
Il a également été démontré cet automne que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Elle préfère opérer via d’autres moyens, plus pacifiques, mais elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.
- En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle “présidente” Anez a été “élue” par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur “compréhension” vis-à-vis de ce coup d’Etat.
- Plus de 300 personnes ont été tuées et 15.000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
- 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, au printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
- En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Conde qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.
Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tiananmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.
La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, ce fut clairement le cas récemment. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. L’objectif principal des masses était d’évincer Macri, l’ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine dont la présidence a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle crise financière profonde. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas de répit puisqu’il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI.
Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemeti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.
Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement était l’adoption d’une nouvelle constitution, puisque l’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Mais la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire d’une assemblée comprenant le président Pinera et les partis de droite.
La classe dirigeante dispose de mille et une manières de bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO avait mis en garde contre les illusions selon lesquelles un simple “changement de régime” pouvait mettre fin aux luttes. L’Etat, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés et ont ouvert la voie à la contre-révolution.
Cependant, les défaites ne durent pas aussi longtemps que dans les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017, mais elles sont à nouveau de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. De récentes nouvelles protestations sociales démontrent également que la situation n’est pas stable en Egypte.
Défier le pouvoir
Les grèves générales indéfinies et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société ?
Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous appelions à une grève de 24 ou 48 heures au lieu d’une grève générale. L’idée était de préparer la classe ouvrière de cette manière, de lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser et à prendre conscience de ses ennemis, de choisir des dirigeants adéquats.
La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes. Mais, jusqu’à présent, recourir à ses méthodes habituelles ne s’est pas fait sans problèmes.
Comparer la situation actuelle avec la première révolution russe en 1905 est également important. La classe ouvrière avait alors démontré quelle était sa force force tandis que le pouvoir de l’Etat tsariste était suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.
Les libéraux et les menchéviks ont accusé les soviets (conseils, en russe) et en particulier les bolchéviks de trop parler d’insurrection armée. Lénine répondit : “La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même”. Trotsky, dans sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé après la révolution de 1905, a déclaré quant à lui : “préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement”.
En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses en dépit de la constitution de conseils ouvriers, les soviets, ainsi qu’à cause de la faiblesse de la lutte dans les campagnes. En décembre, après une grève générale de 150.000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.
L’expérience acquise durant les événements de 1905 ont toutefois posé les bases de la victoire de la révolution en 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu et, dans le passé, la contre-révolution a déjà été vaincue en Bolivie.
Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions s’intégrer dans cette tendance aux mouvements de masse. Son impact sur la conscience globale des masses sera une meilleure compréhension que la lutte est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau du développement des idées anticapitalistes et socialistes. La faiblesse de la gauche et de l’organisation des travailleurs signifie toutefois que ce processus sera long, avec des bonds en avant et des reculs.
La leçon générale, cependant, est la même qu’en 1905 ou en 1968 : il s’agit toujours de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir afin de soutenir les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher et pour parvenir à un changement fondamental de société.
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Le régime iranien arrête des ouvriers en grève

Le régime iranien a arrêté une trentaine de travailleurs de la sidérurgie à Ahvaz, capitale de la province du Khuzestan, riche en pétrole. Cela s’est produit au 36e jour de grève des travailleurs, suite à un débrayage à cause de salaires impayés.
Par P Daryaban, CIO
Ces dernières semaines, des travailleurs affamés du groupe industriel de l’acier national et leurs familles sont descendus dans les rues d’Ahvaz. Ils ont crié contre les responsables locaux, la direction de l’usine et la «?mafia de l’acier?», qui a plongé les travailleurs dans la misère et la faim. Les luttes récentes des travailleurs de Haft-Tappeh et d’Ahvaz ont inspiré d’autres couches de la population. Des étudiants d’universités de différentes villes ont exprimé leur solidarité et des militants écologistes se sont joints à la marche des travailleurs à Ahvaz.
Le régime, qui craint que les protestations continuelles ne s’étendent à d’autres branches, a décidé d’intimider les travailleurs. Cependant, un jour après la répression, les travailleurs sont toujours dans la rue et réclament la liberté de leurs collègues. Karim Sayyahi, un ouvrier métallurgiste, a pris la parole devant un rassemblement la veille de son arrestation et a déclaré : «?Le pouvoir des travailleurs est le pouvoir suprême. Ne craignez ni les menaces ni la prison. Ne craignez ni l’emprisonnement ni l’exécution, parce que vous êtes dans la rue pour vos droits.?»
Travailleurs affamés
La réponse du régime aux travailleurs affamés ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Le régime qui a dépensé extravagamment des milliards de dollars pour sa politique expansionniste ambitieuse au Moyen-Orient, équipant et armant des groupes paramilitaires en Irak et en Syrie, et empochant la palme de chefs religieux réactionnaires dans de nombreux pays, est incapable de payer les salaires des travailleurs! La machine à propagande du régime diffuse hypocritement les luttes du peuple français, mais réprime brutalement les travailleurs affamés dans ses villes.
Le groupe industriel national de l’acier, fondé en 1960, a une capacité de production de deux millions de tonnes de produits en acier. En 2009, il a été privatisé. Cependant, dans une situation qui a pris de l’ampleur à la suite des sanctions nucléaires et de la corruption et des conflits internes croissants, le régime a pris la place du propriétaire de l’usine, magnat et collaborateur d’un réseau de contrebande de pétrole qui travaillait de concert avec les forces militaires. Lors d’un procès-spectacle, le propriétaire de l’usine, Amir Mansour Arya, a été condamné à mort et l’usine a été confiée à de grandes banques d’État. Les banques, au lieu de rétablir la production, ont pillé l’usine et vendu une partie de ses machines. La crise qui a paralysé les usines du Khuzestan va se produire dans presque toutes les industries iraniennes. De toute évidence, ni le régime islamique fanatique ni aucun autre agenda procapitaliste ne peut régler le problème. Les travailleurs ayant évoqué l’idée d’une gestion par des conseils, seule une renationalisation sous le contrôle des travailleurs, capable d’organiser la production et la distribution en fonction des intérêts publics, peut constituer une solution urgente et immédiate.
Dans ces circonstances difficiles et face à l’un des régimes les plus oppressifs du monde, les travailleurs iraniens ont besoin d’un message solidaire internationaliste fort de la part des travailleurs et travailleuses du monde entier.
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Iran : L’économie au bord de l’effondrement

Manifestation ouvrière, Tehran, 1er mai 2018 (Armin Karami, farsnews.com/CC) Semaine après semaine, la crise économique aiguë en Iran amène de nouveaux groupes sociaux à se confronter au régime. Il y a six mois, les pauvres, les chômeurs et les jeunes désillusionnés de dizaines de petites villes et de villes périphériques se sont engagés dans des manifestations sans précédent, mais pas inattendues. Les manifestations de rue, les grèves, les rassemblements de protestation et les piquets de grève des travailleurs industriels, des paysans pauvres, des femmes, des adeptes du soufisme et ainsi de suite ont continué sans cesse. Dans tous ces cas de figure, le régime s’est avéré incapable de proposer une solution.
Par P. Daryaban, Comité pour une Internationale Ouvrière
De plus, les reportages concernant la corruption et la mauvaise gestion des biens publics sont davantage apparus sur les médias sociaux, ce qui a ajouté de l’huile sur le feu de la colère des masses. Avec l’arrivée de la saison chaude, les problèmes environnementaux – en particulier le déclin des ressources en eau – ont affecté une grande partie du pays. Dernièrement, cela a donné lieu à des manifestations à Khorramshahr, une ville située dans la province du Khuzestan, essentiellement peuplée d’Arabes. Le manque d’eau potable dans la ville pendant des semaines a provoqué des affrontements sanglants entre la population locale et les forces de sécurité. Très vite, les habitants des villes voisines ont organisé des rassemblements de solidarité. Le régime, qui a gaspillé des milliards de dollars en rivalité avec d’autres puissances régionales et dans son programme nucléaire avorté, doit maintenant faire face aux crises accumulées au fil des ans en raison de la négligence et de la corruption du régime.
Le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015 et le fait qu’ils ont déclaré qu’ils puniraient l’Iran par “les sanctions les plus sévères de l’histoire” ont aggravé la situation. L’administration Rouhani, qui s’est vantée d’avoir introduit l’accord nucléaire (connu sous le nom de Plan d’action global commun) comme solution ultime, a soudain senti le sol se dérober sous ses pieds.
Tous contre un !
La confrontation de classe a atteint un nouveau sommet. Bien que la classe ouvrière iranienne ait toujours souffert de la pauvreté, de l’insécurité de l’emploi, de l’humiliation et du déni du droit de former ses propres organisations indépendantes de base, elle ressent plus que jamais ses conditions de vie intolérables. Même dans le secteur pétrolier et gazier, où les travailleurs gagnaient des salaires plus élevés, la situation a changé. Maintenant, les contrats temporaires, les retards de paiement et les licenciements de masse sont fréquents.
Le 25 juin, les commerçants des deux centres commerciaux de Téhéran se sont mis en grève et un certain nombre d’entre eux sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement face à la flambée des prix et à la baisse du pouvoir d’achat, qui ont plongé le pays dans une profonde récession. La crise croissante a endommagé non seulement la classe ouvrière, mais aussi la petite bourgeoisie et la bourgeoisie moyenne inférieure.
Face à la colère du peuple contre le pillage et à la corruption du régime, l’administration Rouhani a tenté d’échapper aux accusations. C’est ainsi que la liste des destinataires des devises étrangères subventionnées par l’État à utiliser pour l’importation a été lentement divulguée. Nombre de ces importateurs sont soupçonnés de recevoir ces subventions mais de vendre leurs importations à des prix calculés sur base des taux du marché libre, ou même de vendre leur quota sur le marché libre. Ces entreprises entretiennent généralement de bons contacts avec des fonctionnaires corrompus ou ont été fondées par des fonctionnaires qui eux-mêmes ont accès à des ressources financières et à des secrets d’affaires. Il semble donc que ces entreprises sont les seules à avoir profité du marché chaotique.
Restructuration de capital
Après la révolution de 1979, la grande bourgeoisie iranienne de l’époque s’est désintégrée. Les membres de cette classe qui étaient unis autour du monarque ont perdu leur pouvoir social et leurs biens ont été confisqués et nationalisés. Après la fin de la guerre Iran-Irak, en 1988, la classe capitaliste a trouvé un nouvel élan avec les plans de développement de l’ancien président Hashemi-Rafsanjani. Bien que le projet d’industrialisation ait failli échouer et que de nombreuses zones industrielles soient restées incomplètes, le capital a commencé à s’accumuler. Ces nouveaux grands capitalistes sont issus des couches supérieures des capitalistes moyens qui collaboraient avec les fonctionnaires du régime, les banques et la bureaucratie. En jetant un œil sur le conseil d’administration des sociétés privées et semi-étatiques, nous constatons qu’il s’agit d’une armée d’anciens bureaucrates, technocrates, officiers militaires, députés et ministres qui ont occupé des postes clés et sont grassement rémunérés.
Au fil des ans, ils ont surtout investi dans le développement du logement, dans l’importation, dans l’exportation, dans les industries et dans l’agriculture dans une moindre mesure, en collaboration avec des fonctionnaires corrompus et des militaires qu’ils ont transformés en une classe influente. Les investissements dans la construction de logements ont à peu près doublé entre 2000 et 2010.
Le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui fonctionne comme un gigantesque complexe militaro-économique, est lui-même le foyer de grands capitalistes qui débutent comme superviseurs d’entreprises liées au Gardiens de la révolution et apparaissent ensuite comme capitalistes privés.
Comme l’ensemble du régime, le CGRI reflète la contradiction entre agir en tant que classe capitaliste conventionnelle et agir en tant que bande de pillards qui ne se soucient pas de l’avenir du système. De plus en plus, le régime se trouve à la croisée des chemins pour choisir s’il veut être lié au capitalisme mondial ou aux parasites qui vivent des ressources pétrolières et gazières.
Avec la crise économique qui a entraîné une baisse de la demande, les capitalistes sont passés du logement à des activités spéculatives, telles que le commerce de l’or et des devises étrangères. Ces derniers mois, le gouvernement a essayé de canaliser cet argent “chaud” vers des activités productives en abaissant légèrement les taux d’intérêt, sans succès. L’argent coule et se trouve là où le profit peut être fait facilement. Il dévore tout comme une inondation, surtout les devises étrangères et l’or.
Le gouvernement a commencé à vendre par anticipation plus de sept millions de pièces d’or qu’il devrait produire au cours des deux prochaines années afin de recueillir d’énormes liquidités. D’autre part, le gouvernement a décidé de réduire l’impôt sur les transactions boursières de 0,5 pour cent à 0,1 pour cent des transactions. 50 personnes seulement ont acheté 5 pour cent des pièces de monnaie, selon les agences de presse. Un spéculateur a acheté 244.000 pièces d’or (d’une valeur d’environ 86 millions de dollars). Un économiste a déclaré à l’agence semi-officielle de l’ISNA que les 500-600 trillions de rials (environ 60-70 milliards de dollars) ont déjà été “neutralisés” et qu’environ 400 trillions de rials (environ 50 milliards de dollars) représentent toujours une menace. Bien sûr, l’argent retiré de la circulation n’a pas été investi dans la production mais, comme le dit cet économiste, a été dépensé pour acheter de l’or, des automobiles et des biens immobiliers.
Perspectives
La seule façon qui semble pouvoir soulager la crise sur une base capitaliste est de libérer cet énorme stock d’argent et de l’investir dans la production, même si cela ne réduira pas la souffrance de la classe ouvrière. Cependant, le régime bonapartiste n’a pas été en mesure de le faire. Sa politique étrangère ambitieuse et sa concurrence acharnée avec les régimes rivaux de la région ne donne aucune assurance à long terme aux capitalistes quant à la rentabilité de tout investissement productif. Le plan de privatisation a été exécuté avec hésitation et s’est finalement soldé par un échec. Les tentatives d’adhésion du régime à l’Organisation mondiale du commerce et même à l’Organisation de Shanghai ont échoué. Cette instabilité a découragé les capitalistes d’investir dans des secteurs au rendement à long terme.
Divers groupements de capitaux financiers, tant militaires que civils, contrôlent aujourd’hui l’économie iranienne par l’intermédiaire de leurs banques, de leurs sociétés d’investissement, de leurs fonds de pension, etc. Un rapport de la Banque centrale en 2017 parlait de 500 géants économiques iraniens. Environ 39% de ces grandes entreprises sont des banques. Les industries pétrochimiques se trouvent à leur côté. Le capital financier a été en mesure d’extraire des bénéfices par la spéculation, y compris durant les années où l’économie était presque isolée du monde. Mais, avec l’extrême pauvreté et la perte du pouvoir d’achat de la classe ouvrière, le capital ne peut combler ce déficit qu’en exportant et en trouvant de nouveaux marchés à l’étranger.
En outre, le capital devrait être en mesure d’organiser la production, en particulier avec la menace de sanctions écrasantes qui planent au-dessus du pays. Le mécontentement du public a déjà augmenté et des gens sont venus affronter le régime et ses politiques dévastatrices. Les mois à venir seront fatals pour l’Iran. Le régime n’est pas en mesure d’organiser la société contre les sanctions parce que les gens le considèrent comme un exploiteur corrompu. De plus, le capitalisme iranien ne peut survivre en tant qu’île isolée dans le monde du capital. Néanmoins, changer de voie et changer de rhétorique n’est pas si facile pour le régime. Il pourrait être confronté à des tremblements de terre sociaux sans précédent à mesure que le mouvement de masse, bien que désorganisé, se développe. Le mouvement de masse à la base creusera des écarts non seulement entre les factions du régime, mais aussi entre la grande bourgeoisie montante et le régime bonapartiste.
Une période orageuse a commencé, la question clé est de savoir comment une alternative progressiste révolutionnaire peut organiser le mouvement social grandissant et, surtout, quel programme il adoptera. Les sections rivales des capitalistes et les forces d’opposition pro-impérialistes de l’opposition tenteront d’exploiter la faiblesse du régime à leurs propres fins. C’est pourquoi il est essentiel que le mouvement ouvrier émergent dispose de son propre programme anticapitaliste et socialiste indépendant. Bien que le régime ne puisse gouverner comme avant, et cela peut être compris à partir du nombre croissant de grèves et de campagnes, il a obstinément et intelligemment empêché, jusqu’à présent, la formation d’organisations syndicales et de partis révolutionnaires de gauche sur le terrain. Un défi clé que les marxistes révolutionnaires doivent résoudre est de savoir comment un parti révolutionnaire peut être fondé dans ces conditions répressives et se préparer aux événements tumultueux qui se préparent clairement.
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Contre le bombardement de la Syrie, construire un mouvement anti-guerre de masse

L’administration de Donald Trump se prépare à une autre série de frappes de missiles contre des cibles du régime syrien. Cela pourrait déclencher une chaîne explosive d’événements et conduire à une conflagration militaire plus grave entre grandes puissances internationales et régionales au Moyen-Orient. Moscou a répondu aux menaces ouvertes de Trump en disant que la Russie ciblerait les unités américaines impliquées dans toute attaque sur le sol syrien.
Par Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière
Trump et la première ministre britannique, Theresa May, traversent une période de turbulences politiques et ont besoin de détourner l’attention des malheurs de leurs administrations. En Grande-Bretagne, il a été très commode pour May que l’attaque chimique présumée, sans preuve concrète, ait eu lieu pendant la période précédant cette crise. Aux côtés de la France, où le président Emmanuel Macron est aux prises avec une nouvelle vague d’action de la classe ouvrière, et de l’Arabie saoudite, qui a offert des facilités pour soutenir les trois autres, tous sont en train de renforcer leur rhétorique et de bander leurs muscles contre le régime d’Assad et ses partisans au Kremlin. A cette fin, ils utilisent cyniquement le prétexte d’une prétendue attaque chimique à Douma, la principale ville de la Ghouta orientale dans la banlieue de Damas.
Cette attaque odieuse, qui aurait tué des dizaines de personnes, est imputée – sans aucune preuve à ce jour – au régime de Bachar el-Assad et à ses bailleurs de fonds étrangers. Certes, le régime d’Assad a défendu son pouvoir corrompu au fil des ans à travers des fleuves de sang versés par des innocents. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge, NDT) ne donne pas le moindre soutien à ce régime réactionnaire brutal, ni à ses mécènes russes et iraniens. Mais pourquoi l’armée syrienne lancerait-elle une attaque chimique maintenant, ce qui provoquerait la colère des puissances impérialistes occidentales ? Bien que ce ne soit pas à exclure, la logique tactique qui sous-tend une telle décision n’est pas évidente. La victoire militaire à la Ghouta orientale était en effet à la portée du régime, ancrant l’emprise d’Assad sur la plupart des centres urbains syriens. Certains commentateurs ont émis l’hypothèse que cette attaque récente aurait pu être initiée par les forces djihadistes “rebelles” afin d’entraîner l’impérialisme américain plus profondément dans le conflit.
Indépendamment de la responsabilité de cette attaque, son instrumentalisation comme excuse pour une autre intervention impérialiste au Moyen-Orient doit être rejetée et il faut s’y opposer. Quinze ans après l’invasion et l’occupation de l’Irak, des millions de personnes se souviennent encore des mensonges des politiciens au pouvoir et de leurs amis des médias pro-establishment et pro-capitalistes de l’époque pour justifier cette guerre calamiteuse. De façon compréhensible, nombreux sont donc ceux qui ne sont pas prêts à avaler sans critique la version officielle des événements présentée aujourd’hui par les gouvernements occidentaux et les médias dominants. Les autres interventions occidentales en Afghanistan et en Libye ont également représenté une catastrophe pour les populations de la région. Elles n’ont fait qu’aggraver la crise.
La guerre en Irak a précipité le déclin de l’impérialisme américain au Moyen-Orient ; la guerre en cours en Syrie l’a davantage exposé, offrant à la Russie et à l’Iran un espace ouvert pour étendre leur influence régionale. Ceci, combiné à l’évolution de l’administration de Trump vers un soutien plus direct et plus ouvert des ennemis jurés de l’Iran, Israël et l’Arabie Saoudite, a amené les tensions régionales à un niveau très élevé.
Les tensions dans la région entre les principales puissances, maintenues précairement sous contrôle pendant la lutte contre Daesh, sont maintenant revenues au premier plan avec une intensité renouvelée, car le proto-Etat de Daesh s’est pratiquement effondré. Les développements récents ont vu une escalade dans les escarmouches militaires “interétatiques” sur le territoire syrien, avec un engagement militaire plus profond de la part d’Israël, de la Turquie, de l’Iran et d’autres pays.
Les frappes aériennes de Trump sont susceptibles d’être une démonstration de force de durée limitée, à l’instar de ce qui s’est produit en avril 2017 lorsque la marine américaine a tiré 59 missiles de croisière Tomahawk sur une base aérienne syrienne. D’autres options, comme une guerre totale pour un “changement de régime”, risqueraient non seulement d’entraîner toute la région dans les flammes d’une guerre majeure, mais aussi de hâter des convulsions politiques et sociales majeures dans les capitales occidentales et à travers le monde. Mais la guerre a sa propre logique, et de nouvelles frappes aériennes américaines dans une telle situation combustible pourraient avoir des conséquences involontaires.
Hypocrisie
Alors que les tensions inter-impérialistes augmentent au Moyen-Orient et dans le monde entier, l’hypocrisie et les doubles standards des classes dirigeantes atteignent également des proportions stupéfiantes. Accusant Assad de “mépris pour les vies humaines”, Trump, May et Macron ont récemment déroulé le tapis rouge pour le prince héritier Mohammed Bin Salman, l’architecte en chef du carnage et de la famine délibérée du Yémen, qui tue un enfant toutes les dix minutes en moyenne ! Tous sont allés jusqu’à féliciter le boucher contre-révolutionnaire al-Sissi pour sa récente ” réélection ” farfelue en Égypte ; tous ont donné un laissez-passer de facto à l’opération de nettoyage ethnique du président turc Erdogan à Afrin, ainsi qu’aux tireurs d’élite israéliens qui ont abattu librement des Palestiniens non armés à Gaza – l’impérialisme américain opposant son veto à une condamnation du Conseil de sécurité de l’ONU.
Aucun des commentateurs scandalisés par l’utilisation d’armes chimiques qui justifient une nouvelle agression militaire en Syrie n’a levé de sourcils lorsque, l’année dernière, l’armée américaine a utilisé du phosphore blanc dans des zones fortement peuplées de Mossoul et de Raqqa dans la lutte contre Daesh. Des centaines de civils pouvaient alors apparemment périr et leurs villes être détruites au nom de la “guerre contre le terrorisme”. La même logique a été utilisée par les partisans d’Assad et de Poutine pour tenter de rationaliser les sièges meurtriers et les bombardements brutaux des populations civiles vivant dans les zones de la Syrie détenues par des groupes rebelles armés, dont la plupart sont à tendance islamiste-fondamentaliste, comme les salafistes de “Jaysh al-Islam” qui avaient jusqu’à récemment le contrôle de la Ghouta orientale.
En réalité, le déchaînement meurtrier d’Assad et de ses alliés – à l’instar des meurtres de civils qui accompagne la “libération” impérialiste occidentale des zones contrôlées par Daesh – combiné à la pauvreté de masse et à l’aliénation de millions de personnes sont susceptibles d’agir comme agents de recrutement pour de futurs groupes armés sunnites extrémistes – à moins qu’ils ne soient contestés par une véritable alternative. Parallèlement, les actions d’impitoyables gangs armés de type salafiste et djihadiste ont aidé Assad à maintenir – par la peur – le contrôle sur des portions importantes de la population. Une nouvelle série de frappes aériennes impérialistes aurait le même effet, renforçant le discours d’Assad qui compare son régime à une forteresse assiégée par des ennemis terroristes et impérialistes intérieurs et extérieurs.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière s’oppose vigoureusement à toute attaque militaire contre la Syrie, ainsi qu’à toute intervention étrangère et à toute ingérence dans le pays. L’effusion de sang et la destruction qui se sont poursuivies presque sans relâche au cours des sept dernières années doivent être stoppées, et non pas aggravées. C’est une tâche que toutes les puissances capitalistes et impérialistes existantes impliquées dans la région – qui luttent entre elles pour le pouvoir, le prestige et le profit – se sont montrées totalement incapables de réaliser. Il ne peut tout simplement pas y avoir de solution aux horreurs auxquelles le peuple syrien est confronté sur base de ce système pourri.
Alors que le peuple syrien supporte les coups de la contre-révolution et de la guerre, une classe ouvrière importante et puissante existe dans des pays comme l’Iran, la Turquie et l’Egypte. Une telle force – alliée aux pauvres et aux opprimés de la région ainsi qu’à un très nécessaire mouvement anti-guerre en Occident de même qu’armée de politiques socialistes démocratiques – peut montrer la voie à suivre pour sortir du cauchemar auquel sont confrontées la Syrie et le Moyen-Orient plus largement.
- Non aux attaques de Trump sur la Syrie – retrait de toutes les forces étrangères de Syrie – non à l’ingérence de toutes les puissances extérieures dans la région.
- Pour la construction d’un mouvement de masse international contre la guerre.
- Pour la construction de comités de défense unitaires, multiethniques et non sectaires dans toutes les parties de la Syrie afin de défendre les travailleurs et les pauvres contre les attaques sectaires et militaires de toutes les parties.
- Pour la construction de syndicats indépendants et de partis des travailleurs de masse, avec un programme visant à donner les terres aux masses et les entreprises aux travailleurs.
- A bas la dictature, le capitalisme et l’impérialisme – pour l’unité des travailleurs et le socialisme.
- Pour une confédération socialiste démocratique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, respectant les droits de toutes les minorités.
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Iran & Tunisie: la flamme de la révolte n’est pas éteinte

‘‘Ils pourront toujours couper toutes les fleurs, ils n’arrêteront jamais le printemps.’’ Pablo Neruda
Ces dernières semaines et ces derniers mois, des mouvements sociaux ont éclaté au Maroc, en Algérie, dans le Kurdistan irakien,… Mais les masses de deux pays de la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, l’Iran et la Tunisie, ont particulièrement impressionné par l’ampleur de leur révolte dans des conditions pourtant extrêmement difficiles.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste
Là-bas aussi, l’austérité, ça suffit !
Le 28 décembre dernier, la colère s’est emparée de la rue iranienne. Cette vague de manifestations et d’actions est partie des provinces pour atteindre tout le pays et la capitale. La présentation du budget 2018 a agi comme détonateur de l’agitation sociale. Sous prétexte de ‘‘relancer l’économie et d’attirer les investisseurs étrangers’’ – un refrain bien connu par chez nous également – le président ‘‘modéré’’ Hassan Rohani a annoncé une batterie de nouvelles mesures d’austérité. Parmi elles, la réduction des budgets sociaux (notamment la suppression d’une aide sociale pour 34 millions de personnes) et l’augmentation des prix du carburant (d’environ 40% sur le pétrole et le gazole) et des denrées alimentaires.
Une dizaine de jours plus tard, le 8 janvier, c’est en Tunisie qu’une vague de mobilisations a déferlé sur les quatre coins du pays à la suite du mouvement spontané ‘‘Fech Nestannew – Qu’est-ce qu’on attend ?’’ Là aussi contre la cherté de la vie. Là encore contre un sévère durcissement de la politique d’austérité suite au vote de la ‘‘loi de finances 2018’’. Au programme : hausse de certains droits de douane, de divers impôts, et de la TVA (de 1%) ou encore menace de prélèvement supplémentaire de 1 % sur les salaires.
Dans les deux cas, le régime a fait appel à tout son arsenal répressif. La ‘‘démocratie tunisienne’’ tant vantée par les dirigeants occidentaux a eu recourt à l’état d’urgence systématiquement renouvelé depuis 2015. Entre le 8 et le 11 janvier uniquement, 773 personnes ont été arrêtées. L’an dernier déjà, certains sites de production avaient été militarisés par le gouvernement tunisien en réaction aux mouvements sociaux du Sud du pays. Mais alors que divers dirigeants de puissances occidentales s’étaient très vite prononcés, avec hypocrisie, en faveur de la révolte en cours en Iran et contre la répression des autorités, ils n’ont offert que leur silence à la rue tunisienne. Un malaise qui s’explique par le fait qu’en Tunisie, les événements prennent place au sein de leur propre sphère d’influence.
Une rage sociale qui ne tombe pas du ciel
Il est bien difficile de comprendre le caractère massif de ces révoltes sociales sans les placer dans un contexte plus large. En Tunisie, 7 ans après le renversement révolutionnaire de Ben Ali le 14 janvier 2011, la crise sociale reste entière. La situation a même empiré, notamment sous les coups de fouets du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale sous prétexte de s’en prendre à la dette publique, dont le remboursement est le premier poste de dépense du budget. Les gens sont fatigués des promesses non tenues, de la négligence politique, de l’arrogance et de la corruption de l’élite riche, laquelle contraste avec leur propre niveau de vie en chute libre (le coût de la vie a augmenté de 35 % depuis 2011).
Ce constat s’impose également en Iran. ‘‘Les travailleurs iraniens rêvent d’une vie meilleure depuis quatre décennies mais aujourd’hui, les gens ordinaires doivent souvent occuper deux ou trois emplois tout simplement pour survivre’’, affirme Mehdi Kouhestaninejad, un syndicaliste iranien de longue date qui vit actuellement au Canada et qui est actif dans le mouvement international de solidarité pour les droits des travailleurs en Iran. ‘‘Beaucoup de gens en Iran et à l’étranger peuvent être choqués par ce qui se passe, mais les syndicalistes avertissent depuis 10 ans qu’il y aura un soulèvement contre la classe dirigeante et leur kleptocratie’’, dit-il encore.(1) ‘‘La révolte est beaucoup plus celle des “va-nu-pieds” que des classes moyennes : elle témoigne de la misère, de la baisse du niveau de vie dans une société où la rente pétrolière enrichit indûment, et par la corruption, les élites du régime’’, rajoute le sociologue franco-iranien Farhar Khosrokhavar.(2)
Les manifestants entendaient également dénoncer les excuses du régime qui reposent sur le manque de moyens alors qu’il finance les projets du Hezbollah au Liban ou intervient en Syrie auprès de Bachar el-Assad ou encore en Irak et au Yémen. Ce n’est toutefois pas le président qui a la main sur la politique régionale de l’Iran, mais les gardiens de la révolution, piliers conservateurs du régime. Les slogans des manifestants ont d’ailleurs visé sans distinction Hassan Rohani (le président réputé modéré), l’ayatollah Ali Khamenei (le guide suprême), et les Gardiens. Une différence de taille avec les manifestations de masse de 2009.
Et pour la suite ?
Les similitudes sautent aux yeux, y compris avec des situations bien plus proches de notre quotidien, mais il est évident que la manière dont les protestations peuvent se développer varie fortement entre la dictature iranienne et le régime autoritaire tunisien.
Il existe un syndicat en Tunisie, l’UGTT, qui a pignon sur rue et qui organise plus d’un million de travailleurs. Malheureusement, les dirigeants de cette force sociale considérable rechignent assez systématiquement à mobiliser tout leur poids derrière les protestations sociales. La direction syndicale a passé toute l’année 2017 à soutenir ouvertement le gouvernement de Youssef Chahed ! Il y a sept ans, c’est une série de grèves générales régionales qui a renversé le tyran Ben Ali. Pourquoi ne pas faire de même avec Chahed, son budget et son gouvernement ?
Il est tout à fait possible de construire un vaste front uni de résistance rassemblant les militants de Fech Nestannew, les travailleurs et les syndicats, les organisations de chômeurs et les communautés locales en lutte, etc. Mais comme le disent nos camarades tunisiens d’Al-Badil al-Ishtiraki (‘‘Alternative Socialiste’’) : ‘‘à moins que le mouvement ne construise sa propre expression politique indépendante basée sur les exigences de la révolution, les classes dirigeantes capitalistes constitueront continuellement des équipes gouvernementales qui correspondent à leurs seuls intérêts et écrasent les aspirations du peuple’’.
Pour éviter que cela ne se reproduise, des comités d’action doivent être mis en place sur les lieux de travail et dans les quartiers afin de construire le mouvement par la base, de fédérer une lutte politique de masse visant à renverser le gouvernement actuel, et de préparer la formation d’un gouvernement révolutionnaire, basé sur des représentants démocratiquement élus des travailleurs, des paysans pauvres et des jeunes. A l’aide d’un programme socialiste, basée sur la propriété publique des banques, des usines, des grandes propriétés foncières et des services, un avenir radicalement différent pourrait être construit pour la majorité.
Tirer les leçons du passé révolutionnaire
La Tunisie dispose d’une large expérience révolutionnaire, qui ne se limite d’ailleurs pas à l’année 2011, mais l’Iran n’est pas en reste avec la révolution de 1978-1979 et les manifestations de 2009. En dépit des efforts du régime pour briser toute communication, les médias sociaux et d’autres moyens peuvent aider à diffuser les informations, les propositions pour la lutte et les expériences pratiques d’organisation en dépit de la dictature afin de préparer les prochaines étapes à franchir. En 2009, le mouvement avait été en grande partie récupéré sur sa fin par des dirigeants ‘‘modérés’’ comme Hassan Rohani qui ont aujourd’hui perdu tout crédit.
Le rythme des manifestations et des grèves peut ralentir, ce qui était le cas au moment d’écrire ces lignes, mais la situation en Iran a fondamentalement changé. Cette expérience peut jeter les bases de la construction d’un mouvement ouvrier capable de défier aussi bien le régime, que les manœuvres de l’impérialisme occidental et le capitalisme. Les premières étapes doivent être le rassemblement des activistes dans des groupes et des comités pour coordonner les activités et élaborer les revendications et le programme. La gauche doit entamer un dialogue pour former un front uni, comme un pas en avant vers la création d’un parti ouvrier de masse démocratiquement dirigé qui puisse rassembler les travailleurs, les pauvres et les jeunes dans la lutte pour une alternative.
Le mouvement ne doit entretenir aucune illusion ni envers des dirigeants occidentaux hypocrites tels que Trump, qui prétend soutenir le peuple iranien tout en se liant à la dictature saoudienne, ni envers de prétendues alternatives issues de l’élite iranienne pro-occidentale. Le peuple ne pourra disposer d’une vie meilleure que s’il prend lui-même son destin en main, en renversant le système d’exploitation capitaliste et en construisant une nouvelle société reposant sur la propriété collective et démocratique des ressources naturelles et des moyens de production.
Seule une société dirigée par des représentants des travailleurs et des pauvres peut résoudre les crises chroniques que connait l’ensemble de la région, en accordant des droits démocratiques et en mettant un terme à la pauvreté et à l’oppression fondées sur le genre, la religion et l’ethnicité. Une révolution des travailleurs en Iran ou en Tunisie stimulerait les forces progressistes, démocratiques et socialistes dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour surmonter les idées et les forces islamistes réactionnaires.
(1) https://theintercept.com/2018/01/06/iran-protests-working-class-rouhani/
(2) http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/05/en-iran-le-blocage-est-total_5237812_3232.html -
Iran: des syndicats indépendants lancent un appel à la solidarité

Manifestation à Kermanshan, Iran, le 29 décembre 2017. (Wikimedia) Le 5 janvier, les syndicats indépendants d’Iran ont rendue publique une déclaration de soutien aux protestations de masse de la fin de l’année passée contre l’austérité et la dictature (* Voir en-dessous de ce mail). Cette déclaration émane du Syndicat des travailleurs des Transports Publics de Téhéran et du Syndicat des travailleurs de l’industrie agricole de Haft Tapeh, dans la province de Khuzistan. Ces deux syndicats ont récemment été impliqués dans des mouvements de lutte et ont été confrontés à la répression. Reza Shahabi, un des dirigeants des travailleurs des bus de Téhéran, a été poursuivi en 2010. Il vient juste d’de sortir de 6 années d’incarcération et a de nouveau été emprisonné depuis le mois d’août dernier.
Nous insistons sur l’importance d’envoyer des messages de solidarité visant à exiger la libération de tous les syndicalistes et autres activistes emprisonnés et de soutenir chaque effort pour construire un mouvement des travailleurs, des jeunes et des pauvres visant à arracher des droits démocratiques et à transformer l’Iran. Envoyez vos messages à Tehran Public Transport Workers Union vsyndica@gmail.com avec copie à cwi@worldsoc.co.uk et à eric@socialisme.be
Nous demandons surtout aux camarades actifs dans les syndicats d’envoyer des messages en soutien de leur propre part, de leur délégation syndicale ou d’autres organes syndicaux. Il serait également bienvenu de mentionner d’avoir découvert l’appel à travers le site du CIO (www.socialistworld.net). Vous trouverez ci-dessous un exemple de motion (en français et en anglais)
Voici le contenu de leur déclaration:
Les protestations des pauvres, des classes opprimées et des travailleurs sont les conséquences d’injustices.
Des années durant nous avons expliqué que nos salaires ne suffisaient pas pour vivre, mais nous n’avons pas été entendus. Nos faibles salaires, seulement un cinquième du seuil de pauvreté, n’ont pas été payés pendant des mois. L’extension des privatisations, de la sous-traitance, des contrats temporaires et des contrats blancs (où les travailleurs doivent signer avec leurs empreintes un contrat sur une feuille blanche) sous les divers gouvernements ont sans relâche miné la sécurité d’emploi. Des emprunts bancaires accordés pour créer de l’emploi ont été abusés par certains pour obtenir des gains personnels non-productifs . Des choix de gestion erronés ont fait exploser le chômage. La pauvreté, les sans-abris, le travail des enfants et l’escroquerie ont augmenté pour parvenir survivre. L’assurance santé est insuffisante pour les travailleurs et les pauvres. Le pillage et le manque de transparence vis-à-vis des moyens publics sont partout. Avec les services et le fuel, les prix des autres marchandises ont aussi augmenté. Les classes pauvres sont énormément touchées par la diminution des subsides, des montants fixes payés en cash alors que les prix ont été libéralisés.
De justes protestations des travailleurs et des enseignants ont fait face à des licenciements, des coups de fouet et la prison.
Le Syndicat des Travailleurs des Transports Publics de Téhéran, le Syndicat des Travailleurs de l’industrie agricole de Haft Tapeh et d’autres syndicats indépendants et des organisations de travailleurs et d’enseignants qui défendent leurs droits, ne sont pas officiellement reconnus. Ils sont en plus violemment réprimés, leurs membres sont régulièrement traînés en justice et emprisonnés. La constitution a été violée maintes fois en interdisant le droit de protester tout comme le droit des travailleurs à construire leurs propres syndicats indépendants pour défendre leurs intérêts.
Tous les travailleurs et les pauvres sont exposés à des injustices largement répandues. La violence n’est pas une réponse à la lutte pour survivre de la part de la population.
- Le Syndicat des Travailleurs des Transports Publiques de Téhéran
- Le Syndicat des Travailleurs de l’industrie agricole de Haft Tapeh
Lettre de solidarité
Camarades,
“J’ (nous) ai (avons) pris connaissance de votre appel à travers le site du CIO (www.socialistworld.net),…
“en tant que syndicaliste (et socialiste)”
ou “nous, travailleurs de …. (nom de l’entreprise)”
ou “nous, délégation syndicale socialiste (chrétienne) de …. (nom de l’entreprise)”
ou “La centrale syndicale socialiste (chrétienne) … (nom centrale)”
“…. Je veux (nous voulons) exprimer ma (notre) solidarité avec votre lutte pour les droits démocratiques et les droits des travailleurs ainsi que contre l’austérité. Nous exigeons la libération des activistes emprisonnés, nous nous opposons à l’intervention étrangère en Iran et soutenons la construction d’un mouvement des travailleurs et des pauvres pour libérer l’Iran de l’emprise de la dictature et du capitalisme. Nous aimerions être tenus au courant des développements et de vos futures luttes”
Comrades,
“I (we) have learned about your appeal through the CWI website (www.socialistworld.net)
“As a trade unionist (and socialist)”
Or “As workers from …. (name company)”
or “The socialist (Christian) trade union delegation of… (name company)”
or “The socialist (Christian) trade union called …. (name trade union)”
“I (we) wish to express my (our) solidarity with your struggle for democratic and workers’ rights and against austerity. We demand the release of all imprisoned protesters, oppose any foreign intervention in Iran and support the building of a movement of workers and poor to transform Iran by freeing it from the grip of both dictatorship and capitalism. We would like to be kept informed of developments and future struggles”
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[ARCHIVES] Iran 1978-79: Une révolution volée à la classe ouvrière

Des troupes loyales au Shah, Mohammad Reza Pahlavi, essayent de contrôler des manifestants à Tehran, le 4 novembre 19178. (Photo de Kaveh Kazemi/Getty Images) Pour comprendre la situation actuelle en Iran, il est important de savoir comment ce régime est arrivé au pouvoir. Le mouvement révolutionnaire iranien de 1978-79 a constitué une force puissante que personne n’attendait et qui a réussi à mettre fin au régime dictatorial et particulièrement répressif du Chah, monarque absolu pro-occidental. La classe ouvrière s’était soulevée, mais faute de direction politique claire, la révolution a été volée aux travailleurs par les forces religieuses conservatrices groupées autour de l’Ayatollah Khomeini, le prédécesseur de Khameini. Revenir sur les évènements révolutionnaires de 1978-79 est aussi d’un immense intérêt pour le mouvement actuel.
Par Robin Clapp, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles), texte initialement publié en 2003.
Aujourd’hui, l’Iran est une dictature religieuse mais, il y a maintenant 30 ans, un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière a renversé la monarchie iranienne et aurait pu aller jusqu’à l’instauration d’une république socialiste.
Quand les experts de la CIA ont rédigé un rapport sur la santé politique du régime monarchiste et pro-occidental iranien e septembre 1978, ils ont conclu qu’en dépit de son régime autocratique, le Chah d’Iran régnait sur une dynastie stable dont le pouvoir pouvait encore s’étendre sur au moins une autre décennie. Quatre mois plus tard seulement, le Chah était toutefois forcé de prendre la poudre d’escampette face à une révolution populaire qui a mis bas un des régimes les vicieux au monde…
La SAVAK, la police secrète du Chah, forte de 65.000 personnes, avait infiltré chaque couche de la société, avec des méthodes empruntées à la sinistre Gestapo nazie. Ces méthodes avaient d’ailleurs été ‘améliorées’ à tel point que le dictateur chilien Augusto Pinochet avait envoyé ses tortionnaires se former à Téhéran. Mais malgré ces colossaux obstacles, les travailleurs ont renversé le Chah et ont mis en branle un processus révolutionnaire qui a terrifié tant les régimes réactionnaires du Moyen-Orient que les puissances impérialistes occidentales. De plus, et ce n’est pas le moindre, ce soulèvement populaire a également alarmé la bureaucratie stalinienne d’Union Soviétique, alors engagée dans un commerce lucratif avec l’Iran.
Hélas, au final, les travailleurs ne devaient pas pouvoir profiter des fruits de leur révolution. Le pouvoir est passé des mains du Chah à celles des de l’Islam politique de droite dirigé par l’Ayatollah Khomeini.
Trois ans après, toutes les lois laïques avaient été annulées et les femmes s’étaient vues imposées des codes vestimentaires tirés d’une interprétation stricte de la tradition islamique. 60.000 professeurs ont à ce moment été renvoyés et des milliers d’opposants défendant les intérêts de la classe ouvrière ont été assassinés ou emprisonnés. Le parti communiste iranien, le Toudeh (Parti des Masses d’Iran), qui avait accueilli avec enthousiasme le retour d’exil de Khomeini en 1979, a lui-même été interdit en 1983.
une atmosphère révolutionnaireUn régime totalitaire se maintient par la terreur et l’oppression, mais cela ne fonctionne que tant que les masses demeurent effrayées et inertes. Mais l’horreur éprouvée quotidiennement conduit en définitive à la révolte. Une fois que la classe ouvrière laisse sa peur du régime de côté et entre en action, la police secrète et toutes ses effroyables méthodes s’avèrent souvent impuissants.
Entre octobre 1977 et février 1978, des manifestations de masse illégales ont déferlé sur l’Iran. Revendiquant des droits démocratiques et leur part de la richesse du pays, les étudiants, puis la classe ouvrière, ont bravé les balles et la répression en occupant les rues.
En janvier 1978, après que des tirs mortels aient touché plusieurs centaines de manifestants dans la Ville Sainte de Qom, une grève de deux millions de travailleurs s’est étendue de Téhéran à Isphahan, Chiraz et Mashad. Les pancartes tenues par les manifestants et les grévistes clamaient: «Vengeance contre le Chah et ses amis impérialistes américains», d’autres revendiquaient «Une république socialiste basée sur l’Islam». De plus en plus, les soldats ont commencé à fraterniser avec la foule en criant: “Nous sommes avec le peuple!”.
Même la classe capitaliste dirigée par le Front National d’Iran de Mehdi Bazargan, qui avait tout d’abord limité ses ambitions à un partage du pouvoir avec le Chah, a été forcée par le développement d’une atmosphère ‘rouge’ à adopter un programme ‘semi-socialiste’.
La révolution iranienne avait suivi les traces de la révolution russe de 1905, mais à un plus haut degré. A l’époque, les masses avaient accordé leur confiance aux ‘démocrates’ en costume qui avaient promis qu’ils arriveraient à faire entendre raison au Tsar. En Iran, partout, on pouvait entendre des cris réclamer que le Shah soit poussé hors du pouvoir.
Les travailleurs des services publics et des banques ont joué un rôle crucial pour exposer au grand jour la nature particulièrement pourrie du régime. Des employés de banque avaient ainsi ouvert les livres de compte pour révéler que durant les trois derniers mois de 1978 uniquement, un milliard de livres sterlings avaient été détournés du pays pour finir dans les poches de 178 membres de l’élite iranienne. D’autre part, le Chah avait sauvé une somme similaire aux USA. La réponse des masses, furieuses, a été de brûler environ 400 banques.
Classe, parti et directionQuand Mohammed Reza Pahlavi, le Chah d’Iran, a honteusement quitté le pays pour la dernière fois le 16 janvier 1979, la lutte avait largement dépassé le stade de considérer son simple départ comme une victoire. Il était maintenant question de l’abolition de l’Etat absolutiste. Quelle forme devait prendre le nouvel Iran?
La classe ouvrière avait mené la lutte contre le Chah avec détermination : manifestations de masse, grève générale de quatre mois et, finalement, insurrection (les 10 et 11 février 1979). L’ancien régime avait été abattu pour toujours. Dans cette lutte, la classe ouvrière était devenue bien consciente de son pouvoir, mais hélas pas de la façon de l’organiser pour garder le contrôle de la société en ses mains propres.
La Révolution teste toutes les classes sociales, et la question clé pour la classe ouvrière est de savoir si elle possède une direction décisive pour être capable de passer d’une insurrection populaire à la construction d’une société socialiste.
En Iran – malgré le grand héroïsme des travailleurs, des étudiants et de la jeunesse – il manquait une direction marxiste de même qu’un parti de masse capable de tirer les conclusions nécessaires du cours de la révolution. La tâche des marxistes était alors d’expliquer la nécessité pour la classe ouvrière, alliée aux minorités nationales et aux paysans pauvres, de prendre consciemment le pouvoir dans ses mains et de réaliser les tâches d’une révolution socialiste.
Mais la gauche iranienne n’a pas saisi cette opportunité. Les plus grandes forces de gauche étaient à l’époque le Parti communiste (Toudeh) et les guérillas des Fedayin du Peuple (‘marxiste’) et de l’Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien (islamiste).
Ces organisations avaient beaucoup de membres, jouissaient d’un grand soutien dans la population et possédaient des armes. Mais elles souffraient énormément de leur confusion programmatique. Elles n’ont pas poursuivi de politique de classe indépendante pour les travailleurs, mais se sont au contraire mises à la remorque de Khomeini malgré les tentatives du clergé intégriste d’étouffer chaque mouvement indépendant des travailleurs.
La chute de l’autocratie avait laissé le pouvoir vide d’occupant. Mais au moment précis où les masses auraient dû prendre en main leur destinée, quand le pouvoir était à elles, le Toudeh a proposé l’instauration d’une ‘république musulmane démocratique’. En réalité, cela signifiait que le Toudeh refusait de prendre la direction de la révolution pour participer à la réalisation des objectifs poursuivis par les Mollahs.
La montée de l’islam politique de droite
Les relations entre le Chah et son orientation pro-occidentale et les mosquées islamiques étaient depuis longtemps très tendues. Quand le Chah avait dépossédé les mosquées de leurs terres, le clergé musulman avait furieusement réagi et s’était vertement prononcé contre ce régime athée. Le guide spirituel des chiites iraniens, l’Ayatollah Khomeini, avait d’ailleurs été poussé à l’exil en Turquie et plus tard à Paris à la suite d’une révolte contre les expropriations de terres en 1963. Des douzaines de personnes y avaient rencontré la mort du fait de la répression.
Marx avait décrit la religion comme “le soupir de la créature opprimée”. A cause de l’interdiction de toutes les organisations opposées au Chah, les adversaires du régime avaient tendance à se rassembler autour des mosquées, où étaient délivrés des sermons radicaux. De plus en plus, ces sermons étaient considérés comme une lutte contre le totalitarisme.
Les positions de Khomeini, en exil, étaient distribuées par cassettes audio en Iran. Arrivées en nombre restreint, elles étaient ensuite reproduites et diffusées. Khomeini et les autres Mollahs parlaient de liberté et de démocratie, d’un retour à un Islam épuré, débarrassé des influences occidentales et non-islamiques qui avaient, selon eux, corrompus la culture et conduit la société dans une voie sans issue.
Dans l’Iran économiquement semi-arriéré de l’époque, avec un haut niveau d’illettrisme et environ la moitié de la population vivant dans les campagnes, les paroles des Mollahs étaient une puissante force d’attraction pour les paysans et certaines parties de la classe moyenne, même pour des travailleurs. Alors que le Front National d’Iran voulait faire des compromis avec la dynastie, Khomeini voulait la faire tomber. Quand les masses entendaient les appels pour une République Islamique, elles comprenaient une république ‘du peuple’, pas des riches, où leurs revendications auraient été prises en compte.
Dès le triomphal retour d’exil de Khomeini le 1er février 1979, le Toudeh a immédiatement accordé son soutien à la formation d’un Conseil Révolutionnaire Islamique et lui a demandé de le rejoindre dans un Front Populaire Unis.
Révolution et contre-révolution
Mais ce même mois de février 1979, une situation de double pouvoir s’est développée à Téhéran. Le gouvernement s’était sauvé alors que les travailleurs, qui contrôlaient les usines et les enterprises, organisaient des comités démocratiques de travailleurs et saisissaient les armes des forces armées.
C’est toutefois Khomeini qui a bénéficié de cette vague révolutionnaire. En mélangeant des intérêts de classe contradictoires et opposés, son mouvement a réussi à obtenir le soutien des forces séculaires et non-religieuses, grâce à une rhétorique populiste radicale: une république islamique favorisant les opprimés contre les tyrans locaux et l’impérialisme américain.
Les militants religieux ont été aptes à détourner la révolution car ils étaients la seule force dans la société qui avait un objectif politique défini ainsi qu’une organisation et une stratégie pratique pour l’atteindre.
Le 1er avril, Khomeini a obtenu une victoire à travers tout le pays lors d’un référendum national qui demandait à faire se prononcer face à l’unique choix suivant : République islamique – Oui ou Non.
Les derniers jours qui ont précédé le référendum, pourtant, il a néanmoins été forcé à être plus prudent. Des confrontations avaient lieu entre les Gardiens de la Révolution Islamique et les travailleurs qui voulaient garder leurs armes récemment acquises. Khomeini dénonçait ceux qui souhaitaient continuer la grève générale comme des “traîtres que nous devons frapper au visage”.
En essayant de trouver un équilibre entre les classes sociales, il a dans le même temps accordé de grandes concessions aux travailleurs. Les médicaments et les transports gratuits ont été instaurés, des factures d’eau et d’électricité ont été annulées et les produits de première nécessité ont été lourdement subsidiés pour maintenir de bas prix.
Mais les coffres de l’Etat étaient vides et le chômage atteignait 25%. En juillet, des décrets de nationalisation ont alors été dévoilés, accompagnés de l’établissement de tribunaux spéciaux avec le pouvoir d’imposer de deux à dix ans de prison pour “tactiques perturbatrices dans les usines ou agitation ouvrière”.
Khomeini n’a cependant été capable d’instaurer la base de son pouvoir que graduellement. Puis, quand l’Irak a envahi l’Iran en 1980, début d’une guerre sanglante de huit années, les masses se sont ralliées en défense de la révolution. A ce moment déjà, les braises révolutionnaires s’étaient refroidies.
Le Parti Républicain Islamique mis sur pied par le clergé du tout nouveau Conseil révolutionnaire était lié aux vieux petits bourgeois (les petits capitalistes) et aux marchands des bazars qui réclamaient de l’ordre et la défense de la propriété privée. Tout en défendant ces couches conservatrices, Khomeini s’attaqua à l’impérialisme occidental en nationalisant le secteur pétrolier.
Un régime hybride
L’Etat islamique iranien est une république capitaliste d’un type particulier – un Etat religieux capitaliste. Dès le début, deux tendances sont apparues dans le clergé.
Un groupe, autour de Khomeini, défendait que les Imams soient au pouvoir à travers un Etat capitaliste semi-féodal avec de nombreux centres de pouvoir. A leurs yeux, l’impérialisme américain représentait le ‘Grand Satan’ et ils encourageaient l’exportation du fondamentalisme islamique à travers le monde musulman. D’autres figures dirigeantes du régime, avec une aile cléricale plus pragmatique, voulait construire un Etat capitaliste moderne et centralisé. Tout en continuant à dénoncer les USA, ils ont voulu, particulièrement dans la dernière ‘90, renforcer les liens avec les pays occidentaux.
Les conflits entre ces deux tendances et les crises politiques périodiques qui en résultent n’ont jamais été résolus et ont été à la base des conflits entre l’Ayatollah Khamenei et le président réformiste Khatami, élu avec une grande majorité en 1997.
Conclusions
Les évènements d’Iran ont permis la croissance d’un islam politique militant dans le monde musulman. En surface, il s’agit d’une démonstration de la force des masses pour lutter contre l’impérialisme.
Mais en tant que marxistes, nous devons être clairs. L’Islam n’est pas en soi plus radical ou réactionnaire que toute autre religion au monde, et le fondamentalisme islamique n’est pas un phénomène homogène.
Les conditions qui ont permis le développement d’un Islam politique de droite ont été créées par la faillite des mouvement nationalistes arabes et par les trahisons des partis ‘communistes’ qui ont refusé de mener une politique de classe indépendante et se sont rangés derrière différentes formes de bourgeoisies nationales. Mais le développement de l’Islam politique de droite reflète également qu’en Iran et ailleurs, le capitalisme est dans une impasse dans la région. Les masses opprimées ont besoin de trouver leur propre voie de sortie.
Les variantes plus tardives d’Islam politique n’ont qu’une partie du radicalisme que Khomeini a été force d’embrasser au cours des premiers mois de la révolution iranienne.
Les Talibans et les méthodes terroristes d’Al-Qaïda et d’Oussama Ben Laden n’offrent pas de solution à la lutte des masses opprimées contre le capitalisme et les propriétaires terriens. Au contraire, ces méthodes divisent la classe ouvrière et l’empêchent d’avoir son identité distincte et combative.
Aujourd’hui, 20% des Iraniens possèdent la moitié de la richesse du pays. La lutte des classes refait régulièrement son apparition. Les édits abrutissants des Imams s’opposent résolumment à la volonté des jeunes de vivre librement leur vie.
L’avenir de l’Iran est incertain. Un nouveau parti de la classe ouvrière doit être construit sur des bases marxistes solides, un parti qui soit capable d’apprendre pourquoi la révolution a été volée aux travailleurs en 1979.
Les revenus pétroliers du pays ont diminué de moitié depuis lors, avec de graves conséquences pour la classe ouvrière. Celle-ci reviendra sur le devant de la scène pour finir ce qui avait été initié par la dernière révolution.
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Le développement du capitalisme avant la révolution
Avant 1979, l’impérialisme voyait l’Iran comme une ‘ligne de front’ cruciale en tant qu’Etat-tampon contre l’influence de l’Union Soviétique dans le Moyen Orient et l’Asie du Sud. De plus, ces fabuleuses réserves de pétrole étaient vitales pour les intérêts occidentaux.
En 1953, un mouvement nationaliste radical dirigé par le Premier ministre Mossadegh et le Front National d’Iran avait cherché à nationaliser l’industrie pétrolière du pays, déclenchant des manifestations et des éléments d’insurection pupulaire. Le Chah avait été temporairement forcé de s’exiler suite à la pression du mouvement de masse.
La réaction de l’impérialisme a été décisive. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont demandé l’arrestation de Mossadegh et ont mis en branle l’oppération Ajax en déployant des forces secrètes en Iran pour forcer l’armée iranienne à agir dans les intérêts des puissances occidentales.
Le Chah a été réinstallé et a dirigé l’Iran d’une main de fer pendant vingt-cinq ans. Son retour a été synonyme de répression brutale de l’opposition politique organisée et des synidicats, déclarés illégaux. De soncôté, la CIA a accordé son ‘aide’ pour réorganiser les forces de sécurité.
Après 1953, l’Iran est entré dans une ère frénétique d’industrialisation, largement sur base du programme économique du Front National capitaliste, ce qui a érodé sa popularité. L’idée était de transformer la noblesse en classe capitaliste moderne, une classe dirigeante sur le modèle occidental.
Des réformes agraires ont été introduites, qui ont enrichi les propriétaires terriens féodaux grâce à des compensations financières énormes. Ils étaient encouragés à investir cet argent dans les nouvelles industries.
Une rude exploitation
Les paysans, eux, ont par contre beaucoup souffert de cette situation. Environ 1,2 million d’entre eux ont eu leurs terres volées, avec en conséquences la famine et un exode important vers les villes où ils onstituaient une main d’œuvre extrêmement bon marché pour les nouveaux capitalistes.
Avant la révolution, 66% des travailleurs dans le secteur des tapis de la ville de Mashad étaient âgés de six à dix ans tandis qu’à Hamadam, une journée de travail était de 18 heures. En 1977, la plupart des travailleurs gagnait 40 livres sterling par an. Même s’il existait formellement un salaire minimum, 73% des travailleurs gagnaient encore moins que cela…
Les usines iraniennes ressembaient à l’Enfer de Dante, la ressemblance avec la Russie pré-révolutionnaire était frappante. Là aussi, un processus d’industrialisation casse-cou avait été mené par une classe capitaliste très faible essayant de s’extirper elle-même d’un passé féodal en créant, selon les mots de Marx, son ‘fossoyeur’ sous la forme d’une classe ouvrière militante.
Au fur et à mesure de l’arrivée des paysans dans les villes, la population urbaine a doublé pour atteindre 50%. Téhéran était passé de trois millions d’habitants à cinq millions entre 1968 et 1977, avec 40 bidonvilles autour de ses banlieues.
En 1947, il n’y avait que 175 grandes entreprises employant 100.000 travailleurs. 25 ans plus tard, 2,5 millions de travailleurs étaient engagés dans les usines, un million dans l’industrie de la construction et presque le même nombre dans le transport et les autres industries.
L’Iran était en pleine transition, à moitié industrialisée, à moitié coloniale. Une puissante classe ouvrière avait émergé en une seule génération. En Russie, la classe ouvrière avait grimpé jusqu’à 4 millions sur une population totale de 150 millions. Armée du marxisme, cette classe ouvrière avait pu engager la paysannerie derrière elle pour rompre la chaîne du capitalisme à son point le plus faible, en 1917.
En comparaison, le poids social de la classe ouvrière iranienne était bien plus important – environ quatre millions de travailleurs sur une population de 35 millions.
Ne jamais envahir une révolution
L’impérialisme américain a regardé, impuissant, les derniers jours du Chah en Iran. Des voix s’étaient élevées au Pentagone pour envoyer des porte-avions et des marines dans le Golfe, mais des personnes plus avisées au sein de la classe dirigeante américaine avaient estimé :‘on n’envahit pas une révolution populaire’.
Les Etats-Unis étaient tout juste en train de commencer à lécher leurs plaies suite à la cuisante défaite de la guerre du Vietnam. Là-bas, la lutte sociale des paysans et des travailleurs pour se débarrasser des chaînes de l’oppression avait mis la superpuissance sur les genoux.
Une invasion de l’Iran dirigée par les USA aurait eu d’incalculables répercussions à une échelle mondiale, particulièrement dans le monde colonial où le Chah d’Iran était aux yeux des masses considéré comme le plus pourri de tous.
La Révolution iranienne a fait trembler les Etats-Unis. Le président américain Jimmy Carter avait été humilié quand les Ayatollahs avaient organisé des mouvements de foule contre l’embassade américaine à Téhéran, où 66 personnes avaient été prises en otage.
En 1983, Ronald Reagan avait été forcé de retirer les troupes américaines hors du Liban en raison des pertes causées par le Hezbollah, qui avait le soutien de l’Iran.
Economie: Un abîme croissant
L’Iran était le second plus gros exportateur de pétrole en 1978, et le quatrième plus gros producteur. Quand les prix du pétrole ont quadruplé entre 1972 et 1975 suite à la guerre israélo-arabe, le Produit National Brut (PNB) iranien avait augmenté de 34% en une seule année. Des milliards sont alors tombés dans les poches du Chah et de sa clique.
Mais avec 45 familles contrôlant 85% des grandes et moyennes entreprises et les 10% les plus riches de la population ayant 40% de l’argent du pays, le fossé entre les classes était chaque jour plus important.
Environ un quart des Iraniens étaient dans une situation de pauvreté absolue. Comme pour illustrer son arrogance en tant que monarque absolu, le Chah avait declaré en 1976, mois de trois avant avant de devoir fuir du pays: “Nous n’avons pas encore demandé au peuple de faire des sacrifices. Au contraire, nous les avons comme couvert d’ouate. Les choses vont maintenant changer. Chacun devra travailler plus et être prêt à faire des sacrifices au service du progrès de la Nation.”








