Tag: Droits des femmes

  • Combattre l'oppression : Un point de vue marxiste sur le féminisme

    womensRightsSymbol628x356Une analyse matérialiste de l’origine et de la nature de l’oppression des femmes

    Le marxisme est une philosophie et un point de vue sur le monde qui cherche à analyser la réalité concrète à partir de faits matériels. Bien qu’il n’était pas possible pour Marx et Engels, à eux seul, de se pencher de façon adéquate sur l’ensemble des questions liées à l’oppression (tout comme ils n’ont pas pu se pencher dans leurs écrits spécifiquement sur d’autres thèmes importants), ils ont tout de même beaucoup écrit sur l’oppression des femmes, sur l’oppression raciale – liée à l’esclavage et à l’impérialisme – et sur l’oppression des minorités nationales, comme celle de la nation irlandaise dans le cadre de l’Empire britannique. Alors que bien souvent, le marxisme est présenté de façon réductrice par certains groupes politiques ou intellectuels qui le réduisent à un déterminisme économique simpliste, cette interprétation est complètement à l’opposé du vrai marxisme. En effet, ce sont les outils du marxisme qui nous permettent aujourd’hui de développer une analyse complexe et scientifique qui prend en compte tous les aspects d’un même problème, par exemple lorsqu’on analyse la nature et l’origine des différentes formes d’oppression qui existent au sein de la société capitaliste moderne. Ce sont aussi les outils du marxisme qui nous donnent les moyens d’organiser la lutte et finalement d’en finir avec les rapports de forces sociaux qui génèrent la victimisation, la discrimination et l’oppression.

    Par Laura Fitzgerald

    En ce qui concerne l’oppression des femmes, Engels a apporté une contribution autant inestimable que révolutionnaire avec son ouvrage « L’Origine de la famille, de l’État et de la propriété privée ». La conclusion la plus importante de ce travail est que l’oppression des femmes, bien qu’elle existe depuis des milliers d’années, n’est pas quelque chose d’inévitable, d’immuable, ordonnée par Dieu ou découlant de la nature des hommes. Engels parle notamment de l’existence de sociétés primitives dans lesquelles les femmes sont tenues en haute estime, où les classes sociales n’existent pas, dans lesquelles tout membre est essentiel à la survie et à la prospérité du groupe tout entier. Il y décrit le lien qui existe entre l’institution de l’oppression systématique et séculaire des femmes et la société de classes. En effet, le développement de l’agriculture a permis de libérer une petite partie de la population du travail productif, qui s’est ensuite constituée en élite au sommet de la société. Petit à petit, la perpétuation de cette division du travail en classes sociales s’est retrouvée liée à la transmission de la propriété privée via la lignée mâle, qui ne pouvait être garantie que par l’assujettissement des femmes.

    Ce développement tire son origine de la division genrée du travail, qui était souvent une caractéristique des sociétés de chasseurs-cueilleurs, bien que cette division n’était pas forcément hiérarchisée. Mais à partir du moment où la propriété privée (des outils, de la terre, etc.) a commencé à être transmise en suivant la lignée mâle, il est apparu nécessaire d’instaurer des contrôles sur la sexualité des femmes : c’est le modèle de famille patriarcale qui s’est imposé, car il convenait le mieux à cette fin. Contrairement donc à la théorie de la “patriarchie” anhistorique (qui fait abstraction du passé) selon laquelle les hommes auraient “naturellement” pris le pouvoir sur les femmes, les marxistes ont une vision plus positive de cette question. Ils placent ces discussions dans le contexte de la lutte pour une société socialiste, sans classes sociales. Celle-ci doit, par nature, constituer une lutte pour une société libérée de toute forme de division et ainsi faire disparaitre la base économique de l’oppression des femmes (et donc, graduellement, les expressions culturelles de cette oppression).

    Lorsque Marx et Engels se sont penchés pour la première fois sur la question de la famille nucléaire sous le capitalisme, ils l’ont perçue comme un élément crucial à la transmission de la propriété privée pour la classe dominante. À l’époque de Marx, les femmes qui travaillaient dans les usines souffraient tellement de leur travail pendant leur grossesse, après l’accouchement et pendant l’allaitement, que cela nuisait à la santé et à la productivité de l’ensemble de la force de travail. Dans ces circonstances, même la classe ouvrière s’opposait à la dissolution de la famille nucléaire puisque cette institution permettait, en l’absence de toute couverture sociale, aux femmes de bénéficier du revenu de leur mari aux moments où elles étaient trop vulnérables pour pouvoir elles-mêmes travailler. Tout ceci a donc encouragé la promotion de la famille nucléaire par la classe dirigeante afin d’assurer, du point de vue des patrons, que les femmes jouent un rôle dans la reproduction et l’éducation d’une main d’œuvre vigoureuse et en bonne santé, ingrédient essentiel pour le maintien de leurs profits.

    Ce rôle de “reproduction sociale” pour le capitalisme demeure une des principales bases économiques de l’oppression des femmes aujourd’hui, puisque nous voyons que de nos jours encore, sur tous les continents, ce sont les femmes qui accomplissent la grande majorité du travail domestique non payé. Ce rôle a également été utilisé par le capitalisme en tant qu’outil de contrôle social et continue à être utilisé en tant que moyen de promotion des fonctions genrées les plus arriérées tout en assurant l’assujettissement des femmes.

    En Irlande, l’État capitaliste, qui reste faible, s’est reposé, dès sa fondation, sur la puissance et l’autorité de l’Église catholique. Aujourd’hui, cette alliance réactionnaire entre Église et État n’est toujours pas brisée. L’idéologie religieuse joue un rôle parfois extrême dans tout ce qui touche aux soins de santé et à la loi, comme on le voit avec l’interdiction constitutionnelle de l’avortement ou l’affirmation – même par un responsable des Nations-Unies – qu’au regard de la loi, les femmes ne sont rien de plus que des “incubateurs”. Le modèle de la famille nucléaire “traditionnelle” est cependant grandement remis en question puisqu’on voit que la majorité de la population participe en réalité à d’innombrables types d’arrangements familiaux divers et variés. Les couches les plus clairvoyantes de la classe dirigeante tolèrent cet état de fait, tant que le rôle de “reproduction sociale” par l’institution familiale est assuré. Mais avec la politique d’austérité appliquée par l’élite dirigeante à travers toute l’Europe, favorisant un démantèlement et une privatisation croissante des services publics, le poids du rôle de reproduction sociale au sein des familles empire pour les femmes et l’ensemble de la classe ouvrière.

    L’entrée massive des femmes dans la force de travail a été un immense facteur de progrès, qui a contribué à élever la confiance et les attentes des femmes. Aux États-Unis, durant la période d’après-guerre, les médias et notamment la publicité ont consciemment œuvré à promouvoir le modèle de la famille nucléaire et le rôle de la femme au foyer, financièrement dépendante de son mari et qui avait la charge de nourrir la famille. Aujourd’hui, les médias et l’immense industrie du sexe misent plutôt sur l’objectification sexiste du corps féminin. Au cours des années ’50 aux États-Unis, il s’agissait d’une contre-attaque idéologique à la suite du progrès accompli par les femmes en tant que partie prenante de la force de travail au cours de la guerre. Aujourd’hui, l’objectification des femmes est un sous-produit de la soif de profits de la majeure partie de la grande industrie. Cela n’est forcément pas sans conséquence sur la position des femmes dans la société. Dans ces deux cas, malgré leurs différences, le même résultat est obtenu : la promotion d’idées sexistes qui contribuent à l’oppression et à la violence contre les femmes.

    Les théories de l’identité politique

    Les théories de l’“intersectionnalité” et du “privilège” (expliquées ci-dessous) peuvent être considérées comme faisant partie de toute la panoplie d’arguments qui constituent la théorie de l’“identité politique”. Cela fait à peu près vingt ans que cette théorie vit au sein d’une partie (relativement isolée) de la gauche américaine et, via les deux concepts susmentionnés qui sont aujourd’hui particulièrement populaires, parmi la nouvelle génération de militants irlandais actifs dans le mouvement pour le droit à l’avortement et dans de nombreux pays où grandit une résistance contre le sexisme sous ses diverses formes comme le sexisme médiatique, le harcèlement de rue, la violence sexuelle et conjugale. On la retrouve également régulièrement dans le mouvement LGBTQI.

    La théorie de l’identité politique peut être définie comme une analyse qui considère la société comme étant composée de différents “groupes d’intérêts”. Parfois, ces groupes d’intérêts se croisent ou se chevauchent les uns les autres, mais il manque un cadre global qui permette d’analyser la société dans son ensemble. L’utilisation généralisée des réseaux sociaux, notamment par toutes celles et ceux qui veulent combattre l’inégalité et l’oppression, permet d’expliquer que, pour la plupart des femmes politisées ou actives contre le sexisme, ces théories ont déjà été vues et entendues sous une forme ou sous une autre.

    Les théories de l’intersectionnalité et du privilège proviennent généralement de la “troisième vague du féminisme” (ou “postféminisme”) des années ’80 et ‘ 90. Ces mouvements se sont davantage concentrés sur la féminisation de l’élite dirigeante plutôt que sur les luttes des mouvements pour les droits des femmes. Il s’agissait ainsi d’un important recul provenant de l’illusion selon laquelle le système capitaliste serait capable d’apporter l’égalité et la liberté pour les femmes. À cette époque, la crise du capitalisme des années ’70 et ’80 avait révélé la faillite du réformisme de la direction syndicale et de la direction du Parti travailliste. Ces derniers se sont positionnés aux côtés du système, ce qui a mené à des défaites et des reculs. Cela coïncide avec l’émergence de la doctrine néolibérale du capitalisme, avec l’effondrement du stalinisme et avec l’affirmation des capitalistes selon laquelle la “fin de l’Histoire” – c’est-à-dire la fin de la lutte des classes – était arrivée.

    Cette période de défaites a mené à un recul très important de la conscience de classe et de l’autorité du mouvement ouvrier. Le néolibéralisme était seul maitre à bord, que ce soit sur le plan économique ou politique. D’importantes attaques ont été menées contre les syndicats en même temps que déferlaient privatisations, contrats à court terme, emplois sous-payés, désindustrialisation et un grand panel de mesures supprimant tout obstacle au profit. C’est à cette époque également qu’est apparu le petit cousin idéologique du néolibéralisme : le postmodernisme.

    Le Postmodernisme

    Le postmodernisme est le rejet de tous les “grands récits”, de toute tentative de développement d’une analyse et d’un point de vue global. Selon le postmodernisme, on ne peut réellement connaitre et analyser la réalité objective dans sa totalité. Il s’agit d’une analyse de l’oppression se basant sur un idéalisme majoritairement personnel et subjectif. Bien entendu, les opinions et les expériences personnelles de tous les opprimés sont extrêmement importantes. Mais afin d’avoir un aperçu correct de la nature et des causes de l’oppression, en plus d’être à l’écoute de la voix des opprimés, il faut une analyse matérialiste des forces sociales à l’œuvre, qui sont à la source de cette oppression. Ainsi, nous avons besoin d’une vision claire, c’est-à-dire d’un programme et de méthodes justes pour lutter et parvenir à vaincre l’oppression sexiste.

    Il est vrai que la plupart des courants “d’identité” rejettent consciemment le féminisme libéral ou bourgeois – c’est-à-dire un féminisme entièrement cautionné par le capitalisme, qui ne cherche à obtenir des changements que s’ils s’insèrent dans le cadre donné par ce système, qui porte surtout une attention à la féminisation de l’élite dirigeante, qui veut plus de patrons et de politiciennes femmes tout en se maintenant dans ce système de profits, qui est pourtant la cause de l’inégalité et de l’oppression. Néanmoins, cette attention portée sur le caractère individuel, voire personnel du problème – également inhérent à la politique d’identité, bien que d’une autre manière – ne remet pas en question le statu quo. Dans le rejet des “grands récits”, il n’y a aucune critique globale de la manière dont le système perpétue le racisme, le sexisme et l’homophobie.

    Nancy Fraser – une intellectuelle féministe de gauche qui dénonce la manière dont le mouvement féministe est à ses yeux devenu la “bonniche du capitalisme” – déplore cette transition “identitaire”. Nancy Fraser exagère sans doute l’ampleur de la politique socialiste et de l’idée de lutte des classes dans le mouvement féministe des années ’60 et ’70 – bien qu’il soit certain que cette vision des choses ait joué un grand rôle dans ce mouvement. Néanmoins, les critiques exprimées par celle-ci sur ce qui est advenu de ce mouvement féministe sont extrêmement éclairantes :

    « Tandis que la génération de ’68 espérait, entre autres, restructurer l’économie politique de sorte à abolir la division genrée du travail, les féministes qui ont succédé ont formulé d’autres buts moins matériels. Certaines cherchaient, par exemple, à obtenir une reconnaissance de la différence sexuelle, tandis que d’autres préféraient déconstruire l’opposition catégorique entre masculin et féminin. Le résultat a été un déplacement du centre de gravité du mouvement féministe. Alors qu’il se concentrait sur le travail et sur la violence, les luttes féministes aujourd’hui parlent de plus en plus d’identité et de représentation… Le tournant dans le mouvement féministe en faveur de la “reconnaissance” va clairement de pair avec l’hégémonie du néolibéralisme, qui veut avant tout faire disparaitre tout souvenir de l’idéal socialiste. » (Les Fortunes du féminisme : du capitalisme d’État à la crise néolibérale, 2013)

    Nancy Fraser oppose cette approche à son propre modèle de reconnaissance / redistribution : la remise en question des aspects économiques de l’oppression des femmes et celle de ses aspects culturels (tels que le manque de reconnaissance) doivent inextricablement être liées afin de pouvoir combattre efficacement l’oppression des femmes. Pour les marxistes, cela constitue le b.a.-ba de la lutte pour l’émancipation des femmes et il est positif qu’une féministe célèbre aille dans ce sens. Prenons un exemple. En Irlande, la lutte pour les droits reproductifs ne peut pas être complète si elle se concentre uniquement sur les aspects légaux. On ne peut oublier le fait que le système des soins de santé est non seulement entre les mains de l’establishment catholique avec sa vision arriérée des femmes et de la reproduction, mais qu’il est également gravement sous-financé, ce qui fait que son personnel est clairement dépassé par le nombre de patients, causant des souffrances inutiles à celles qui accouchent dans les hôpitaux publics.

    La lutte pour les droits à la reproduction doit donc être liée à la lutte pour un service public de soins de santé progressiste, laïc, moderne et totalement gratuit. Vu la faiblesse du capitalisme irlandais (celui-ci étant très fortement axé sur le néo-libéralisme à l’anglo-saxonne), la politique d’austérité actuelle, ainsi qu’une tendance continue vers un modèle privatisé des soins de santé et l’inexistence totale d’un véritable service public de ces soins pour sa population, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de lutter pour une alternative à ce système. Cela veut dire remettre en question la propriété privée des moyens de production et des capitaux afin de placer ces ressources au service de la population sous contrôle démocratique des travailleurs. Cela permettra de développer un service de santé public démocratique et accessible à tous.

    Une approche de classe

    Un enjeu important pour les théories de l’identité politique est de pouvoir définir et caractériser l’oppression et, dans le cas de l’intersectionnalité, d’analyser la manière dont les différents types d’oppressions interagissent entre eux. Il est vrai que nous pouvons tirer beaucoup de précieuses informations de cette réflexion afin d’étayer et d’enrichir notre analyse socialiste. À ce sujet, on caricature souvent les marxistes et les socialistes en les représentant comme obsédés par la question des classes sociales. Il est clair que pour les socialistes, la division de la société en classes sociales est cruciale et est la clé de toute analyse de la société.

    Il existe en effet une classe dirigeante, qu’on appelle souvent aujourd’hui celle des « 1 % ». C’est un tout petit groupe de gens qui détient la majorité des richesses et des moyens de production, grâce auxquels ils réalisent leurs profits.
    Et puis, il y a l’autre grande classe dans la société, celle des travailleurs (ou classe prolétaire). La définition large de cette classe est qu’elle regroupe l’ensemble des “esclaves salariés”, c’est-à-dire toutes les personnes contraintes à vendre leur force de travail pour pouvoir vivre. Leurs familles, qui dépendent de leur salaire, les pensionnés et les chômeurs font également partie de cette classe sociale.

    Enfin, il y a les couches moyennes (la “petite-bourgeoisie”, mais aussi la paysannerie, les artisans, les petits et moyens commerçants, les indépendants, etc.) qui balancent entre ces deux grandes classes et qui participent au conflit entre les classes en se rangeant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Notons que, de manière générale, non seulement la classe des travailleurs est aujourd’hui la plus grande classe de la société à l’échelle mondiale, mais elle s’accroit constamment au fur et à mesure que les paysans chinois et indiens quittent leurs campagnes pour aller chercher du travail en ville, que les femmes du monde entier rejoignent les forces de production et que les petits commerçants et artisans cèdent la place à la grande distribution et à l’industrie.

    La classe des travailleurs est la force la plus puissante dans la société, pour peu qu’elle soit unie et consciente. Nous avons vu cela à de nombreuses reprises dans l’histoire. En effet, en cas de grève, les profits ne sont plus réalisés et la société tout entière peut se retrouver paralysée si les travailleurs le décident, car c’est eux qui occupent les positions les plus importantes dans l’économie et dans la société. Par exemple, en Égypte, après des semaines d’occupation de la place Tahrir, c’est la grève générale qui a porté le coup fatal à Moubarak. Malheureusement, l’absence d’une force socialiste et le faible niveau de la conscience de classe ont limité la portée du mouvement révolutionnaire égyptien et la contre-révolution a pris le dessus. Toutefois, le processus révolutionnaire est toujours en cours de développement et il est clair que de nouvelles luttes vont se développer. Cependant, l’Égypte illustre bien le fait que nous devons constamment organiser et bâtir la conscience et la force de notre classe sociale.

    La classe des travailleurs n’est pas homogène. Elle est composée d’une myriade d’individus dont l’expérience, l’attitude et le degré d’exploitation diffèrent largement. Il est crucial de bien comprendre la nécessité d’avoir un programme ainsi que des organisations syndicales et politiques qui unifient l’ensemble de la classe des travailleurs au-delà de ces divisions. En Irlande, c’est le manque d’unité qui a permis à la politique d’austérité de passer. Cette politique a directement aggravé les conditions de vie des femmes, qui forment la majorité des travailleurs précaires et des utilisateurs des services publics. La direction bureaucratique des syndicats n’est pas parvenue à s’opposer à la division entre travailleurs du secteur public et du privé. Celle-ci est attisée par les politiciens et les médias et leur volonté de s’engager dans un modèle de “conciliation sociale”. Mais cette dernière ne permet pas de reconnaitre les intérêts fondamentalement opposés entre la classe dirigeante et la classe des travailleurs.

    Le fait que la division en classes sociales soit pour nous la question centrale ne veut pas dire que nous refusons de reconnaitre qu’il existe d’autres formes particulières d’oppression. Mais seule une classe des travailleurs consciente, organisée et unie a la puissance de combattre le système d’oppression qu’est le capitalisme. La classe dominante doit maintenir coute que coute cette oppression parce que cela permet de diviser les travailleurs, d’empêcher leur unité dans la lutte et ainsi d’en tirer des profits. Cette lutte est la forme la plus efficace de résistance contre la classe dominante qui possède non seulement le pouvoir économique, mais aussi le pouvoir politique et idéologique. Elle a également à son service non seulement un appareil d’État, qui détient le monopole légal de la violence (police, armée, etc.), mais aussi des médias qui diffusent constamment son idéologie.

    Si on prend l’exemple d’une travailleuse confrontée à une domination abusive de son conjoint, il est probable que, de son point de vue, son oppression en tant que femme est le premier et le plus grand obstacle à son émancipation ainsi que la plus grande source de malaise dans sa vie à ce moment-là. Le fait qu’elle soit une femme de la classe des travailleurs est néanmoins tout aussi important. Par exemple, s’il s’agit d’une travailleuse disposant de faibles revenus, cela limite ses options et ses choix. Il lui sera plus difficile de quitter ce conjoint pour aller mener sa propre vie. D’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que travailler à l’extérieur de la maison permet de fréquenter d’autres personnes qui se trouvent dans la même position. Son travail en dehors du domicile familial peut alors accroitre son sentiment de confiance en soi. En tant que travailleuse, elle dispose d’une force potentielle qui lui permet de faire grève avec ses collègues et d’apprendre à construire une unité de classe et une solidarité, qui peut rejaillir sur sa confiance en elle et sur sa capacité à trouver les outils nécessaires pour sortir de cette relation abusive.

    Puissance, privilège et oppression

    Les socialistes reconnaissent le fait que c’est l’ensemble des femmes qui sont opprimées, y compris les femmes de classes sociales supérieures (on peut dire la même chose des personnes dites “de couleur” ou des LGBTQI). Bien sûr, la classe des travailleurs et les couches les plus pauvres de ces groupes opprimés souffrent, en général, de manière plus intense de cette oppression bien que de nombreuses femmes de la bourgeoisie sont également tuées ou violées par leurs partenaires ou ex-partenaires. On a beaucoup parlé par exemple du cas de Reeva Steenkamp, une riche femme sud-africaine, assassinée par son petit ami Pistorius. Beaucoup de gens connaissent aussi l’histoire d’Oprah Winfrey, qui est aujourd’hui une des femmes les plus riches du monde, mais qui, en tant que jeune femme noire, a souffert horriblement d’un viol, d’une grossesse précoce et d’une misère affligeante pendant toute sa jeunesse. Toute oppression doit être combattue. Mais il faut cependant bien se rendre compte que O. Winfrey, avec son salaire de 75 millions de dollars en 2013, a forcément un intérêt dans le maintien du statu quo social et a donc très peu de chances d’être convaincue de la nécessité d’une lutte radicale pour en finir avec toutes les oppressions.

    Il ne fait aucun doute que certaines couches des classes moyennes qui sont actives dans les mouvements féministes ou dans les mouvements LGBTQI peuvent être convaincues de rejoindre la lutte radicale contre le capitalisme. Mais une caractéristique primordiale de la classe sociale à laquelle l’individu appartient est le fait qu’elle contribue fortement à définir sa vision du monde. Par exemple, au Royaume-Uni, les suffragettes bourgeoises du début du XXe siècle ont fini par s’opposer au mouvement des travailleurs pour ensuite applaudir les puissances impérialistes lors de la Première Guerre mondiale. Ainsi, lorsque ce type de mouvements se retrouve confronté à une question tactique ou sociale décisive, leur positionnement reflète généralement cette fracture de classe. Dans le cas des suffragettes, leurs membres issues de la bourgeoisie ont été entrainées par la propagande guerrière diffusée par leur propre classe.

    À contrario, Sylvia Pankhurst a rompu avec le mouvement des suffragettes, dirigé par sa mère et ses sœurs, précisément sur base de cette question. Elle a alors choisi de se ranger du côté de la classe des travailleurs et contre l’élite impérialiste de son pays. L’appartenance à une classe est donc plus qu’une simple question d’identité et de discrimination sociale face à tel ou tel groupe (c’est plus que le “classisme” dont on parle souvent parmi les groupes “identitaires”). Il s’agit d’une réalité objective et d’une fracture sous-jacentes à tous les autres aspects de la société de manière fondamentale.

    Il faut également considérer le fait que les couches qui sont opprimées de la façon la plus absolue sont tellement écrasées par une myriade de choses abominables dans tous les aspects de leur vie qu’il n’est pas si évident qu’elles puissent diriger un mouvement social en vue du changement de société. On pense par exemple aux enfants victimes d’abus sexuels ou aux victimes de trafics sexuels qui sont littéralement réduites à l’esclavage dans le cadre de réseaux mafieux. Bien entendu, ces personnes représentent la section la plus opprimée au sein de la classe des travailleurs, qui est elle-même large et hétérogène.

    La grève des mineurs au Royaume-Uni

    Les exemples des puissantes luttes des travailleurs dans le passé sont souvent considérés comme des points de référence pour les couches opprimées de la société de manière générale. Lors de la grève des mineurs au Royaume-Uni, une partie extrêmement puissante et bien organisée de la classe des travailleurs a été prise pour cible par Thatcher et son gouvernement capitaliste néolibéral, ce qui a déclenché une lutte de résistance héroïque. Les mineurs ont représenté une source d’inspiration majeure par leur contre-attaque contre tout ce que Thatcher représentait, c’est-à-dire la course aux profits à tout prix des capitalistes et la destruction de toute solidarité des travailleurs ou de toute organisation capable d’y faire obstacle.

    De nombreuses femmes de la classe des travailleurs – les épouses, les mères, les sœurs et les filles des mineurs en grève – ont joué un rôle très important dans la guerre de classe épique qui s’en est suivie. Au même moment, Thatcher signait des lois homophobes qui ont poussé la communauté LGBT à se ranger derrière les mineurs, tout comme d’ailleurs les communautés noires et asiatiques. Les travailleurs en grève sont devenus la référence absolue pour tous les groupes opprimés qui ont alors uni leurs différentes luttes derrière cette bannière, plutôt que de poursuivre celles-ci de manière isolée – ce qui aurait facilité leur répression par la classe dirigeante.

    Lors de cette lutte, on a également vu un changement important de l’attitude de nombre de mineurs par rapport aux femmes, tout comme par rapport aux homosexuel-le-s, aux Noir-e-s et aux Asiatiques qui les soutenaient. Ainsi, ils voyaient sous un jour différent celles qui étaient devenues des organisatrices et des militantes de la lutte des classes, les respectant davantage, tout en comprenant mieux les difficultés auxquelles elles sont confrontées dans leur foyer. De nombreux mineurs ont donc commencé à s’occuper des tâches domestiques et de la garde des enfants tandis que les femmes organisaient des meetings et des actions de solidarité tout au long de la lutte. Ce conflit de classes a également provoqué toute une série de divorces et de séparations, vu que de nombreuses femmes, ayant gagné en confiance, attendaient désormais plus de la vie qu’une relation malheureuse.

    Le pouvoir

    L’analyse de Michel Foucault du “pouvoir” se retrouve derrière une grande partie de la théorie de l’identité politique. Foucault était un intellectuel de gauche démoralisé par la défaite de Mai 68 en France et qui a ouvert la voie à la pensée postmoderne. Selon Foucault, le pouvoir se retrouve à tous les niveaux de la société. Mais il refuse de reconnaitre que le plus grand pouvoir dans la société est celui de la classe dirigeante, issu de sa propriété privée des moyens de production : un pouvoir exprimé par l’État, par le contrôle des idées propagées dans la société, etc.

    Nous ne sommes pas d’accord non plus avec l’idéalisation de la classe des travailleurs prônée par certaines organisations de gauche radicale. Ainsi, selon l’Organisation socialiste internationale aux États-Unis (ISO) ou selon la Tendance socialiste internationale (IST, dont la section la plus connue est le SWP britannique), il n’y a pas de différence de pouvoir au sein de la classe des travailleurs elle-même. Ces organisations ont en particulier tendance à affirmer de façon franche et crue que les hommes de la classe des travailleurs ne bénéficient pas de l’oppression des femmes, mais que seule la classe dirigeante en bénéficie. Citons par exemple Paul D’Amato (de l’IST) :

    « Atomisés et séparés, incités à une concurrence violente les uns contre les autres, les travailleurs sont impuissants. Ainsi, lorsqu’un homme de la classe des travailleurs abuse de sa femme, il n’agit pas parce qu’il possède un pouvoir sur elle ; au contraire, c’est le reflet de son impuissance, de sa faiblesse. Lorsqu’un travailleur blanc agit de manière raciste envers un travailleur noir, ce qui s’exprime n’est pas le pouvoir du travailleur blanc sur le noir, mais le pouvoir du système qui les broie tous les deux. »

    Il s’agit pour nous d’une véritable sous-estimation de la situation. Est-il vraiment possible d’affirmer que lorsqu’un groupe d’hommes ‘en virée’ décide d’acheter le corps d’une femme pour en ‘disposer’ sexuellement, ils agissent par impuissance ? En réalité, ce faisant, ces hommes objectifient un être humain et soumettent sa sexualité et ses aspirations à la leur. Et en général et en moyenne, les hommes de la classe des travailleurs tirent eux aussi un certain bénéfice de l’oppression des femmes. Cela signifie pour eux non seulement plus de temps libre chaque semaine, mais aussi moins d’énergie dépensée en tâches ménagères, étant donné que ce sont, en moyenne, toujours les femmes qui accomplissent la plus grande part de ces tâches et qui sont responsables de la bonne tenue du ménage, des soins aux autres membres de la famille et de la gestion des finances.

    L’approche théorique de l’IST par rapport à l’oppression des femmes est erronée; elle découle de l’analyse de Tony Cliff, un des principaux fondateurs du SWP britannique, présentée dans son ouvrage « La lutte des classes et la libération des femmes ». Selon cette analyse, il est incorrect de « trop se concentrer sur les problèmes pour lesquels les hommes et les femmes ont des avis souvent divergents – comme les problèmes du viol, des femmes battues, d’un salaire pour les femmes au foyer, etc. – tout en ignorant ou en n’accordant pas assez d’attention aux luttes importantes pour lesquelles les femmes pourraient plus facilement obtenir le soutien des hommes : les grèves, les luttes pour les allocations, l’égalité salariale, la syndicalisation, l’avortement ».

    Mais pour construire l’unité, nous ne devons pas sous-estimer les divisions qui existent bel et bien au sein de la classe des travailleurs. Au contraire, le fait de reconnaitre que ces divisions existent, de les analyser et d’y apporter une réponse a plus de chances de nous aider à construire une unité de classe. Ainsi, Trotsky expliquait qu’il était inévitable que ressurgissent des idées antisémites en Union soviétique du fait de l’oppression mise en place par le régime bureaucratique, inefficace et générateur de misère qu’était le stalinisme, et il écrivait ceci : « Bien entendu, nous pourrions simplement fermer les yeux sur ce fait ou nous limiter à quelques vagues généralités comme quoi toutes les races sont égales et que nous sommes tous frères. Mais la politique de l’autruche ne nous fera pas progresser d’un iota. » (Thermidor et l’antisémitisme, 1937)

    Il est en fait essentiel de dire que les hommes de la classe des travailleurs n’ont aucun intérêt à maintenir en place un système qui opprime les femmes. Les mêmes forces qui poussent les femmes vers des emplois mal payés et qui diffusent une idéologie sexiste exerçant un effet délétère sur l’attitude et le comportement des hommes envers les femmes sont aussi celles qui créent le chômage, la misère, l’émigration forcée et le travail au noir qui font de plus en plus partie de la vie quotidienne des hommes et des femmes de la classe des travailleurs (surtout en ce qui concerne les jeunes) dans le cadre du capitalisme néolibéral et d’austérité. La classe dirigeante tire profit de toute division au sein de la classe des travailleurs, qu’il s’agisse d’une division de genre ou de race, car ces divisions lui permettent d’affaiblir la force de résistance de cette classe. En outre, la classe dirigeante profite directement du fait de pouvoir disposer d’une main-d’œuvre féminine ou immigrée à bon marché. De ce fait, il nous faut une analyse correcte et précise de ce qu’est l’oppression. Si l’on sous-estime ou si l’on évite de s’attaquer aux attitudes sexistes ou racistes qui vivent au sein de la classe des travailleurs, on ne pourra dès lors pas rallier les groupes opprimés à la lutte unie qui est pourtant la clé de leur libération.

    Paradoxalement, alors que l’IST adopte une attitude de déni des différences entre hommes et femmes au sein de la classe des travailleurs, il prend une position totalement inverse en ce qui concerne la question nationale et l’opposition à l’impérialisme. Dans le cadre de ces questions, cette organisation jette par-dessus bord toute analyse marxiste pour affirmer que l’unité entre travailleurs est impossible, voire indésirable. En ce qui concerne l’Irlande du Nord par exemple, l’IST a longtemps accordé son soutien à l’IRA (Armée républicaine irlandaise, une milice nord-irlandaise indépendantiste et pro-catholique recourant régulièrement au terrorisme), jusqu’à appeler à voter pour le Sinn Féin (un parti politique nationaliste irlandais lié à l’IRA) malgré le fait que cette stratégie ne pouvait que susciter le dégout de la part des travailleurs protestants, traditionnellement anti-indépendance et pro-britanniques et souvent pris pour cibles par les attaques terroristes de l’IRA. Le soutien à l’IRA et au Sinn Féin constitue donc une entrave qui empêche toute possibilité d’unifier l’ensemble de la classe des travailleurs par-delà les divisions sectaires en une lutte commune contre le capitalisme, l’impérialisme et l’oppression. De même, en ce qui concerne Israël et la Palestine, l’approche de l’IST consiste à dénigrer les travailleurs juifs, ce qui est la conclusion logique de de leur analyse sans approche de classes sociales .

    L’intersectionnalité

    L’« intersectionnalité » est souvent expliquée comme étant la théorie de la façon dont les différentes oppressions s’entrecroisent. Beaucoup de partisans de cette théorie partagent un point de vue progressiste. Cela découle parfois d’un rejet du féminisme transphobique (c’est-à-dire un féminisme intolérant voire hostile par rapport à la communauté transgenre) ; ou bien d’un rejet du féminisme bourgeois ou libéral, qui au final ne sert que les intérêts des femmes des couches les plus privilégiées et n’entrevoit un changement que dans le cadre du système capitaliste. Cependant, l’intersectionnalité, par sa nature, ne peut nous fournir une stratégie pour la victoire et peut même s’avérer problématique dans la pratique.

    Le terme « intersectionnalité » a été défini par Kimberlé Crenshaw, une célèbre intellectuelle féministe noire américaine, professeur d’université aux États-Unis. Ce concept a des racines libérales puisqu’il a été conçu en premier lieu dans le but d’améliorer les services offerts aux femmes noires américaines, victimes de violences conjugales. Une telle grille d’analyse est évidemment utile et importante, mais il est intéressant de constater que l’idée d’intersectionnalité a été, dès le début, non pas développée dans le but d’en finir avec l’oppression, mais en tant qu’outil destiné à adoucir les effets les plus sournois de cette oppression. Même si elle fait souvent référence au texte du « Combahee River Collective Statement » (un manifeste féministe noir datant de 1977) comme constituant la racine ‘radicale’ de l’intersectionnalité, ce mot n’est pourtant pas utilisé dans ce texte. La définition qui en est donnée par Crenshaw elle-même est plutôt éloquente:

    « Je conçois l’intersectionnalité comme un concept provisoire qui ferait le lien entre la politique contemporaine et la théorie postmoderniste. En examinant les intersections de la race et du genre, je veux remettre en question l’idée préconçue selon laquelle il s’agirait de deux catégories bien distinctes ; par l’étude des intersections entre ces critères, j’espère pouvoir suggérer une méthodologie qui puisse au final détruire cette tendance à considérer la race et le genre comme des catégories exclusives et séparables. L’intersectionnalité est donc, de mon point de vue, un concept transitoire qui fait le lien entre les conceptions actuelles (avec leurs conséquences politiques) et la politique du monde réel (avec son point de vue postmoderniste)… La fonction de base de l’intersectionnalité consiste à cadrer la question suivante : comment se fait-il que l’oppression que les femmes de couleur vivent (celles-ci faisant simultanément partie d’au moins deux groupes sujets à une large subordination sociétale) soit traditionnellement perçue comme étant monocausale – attribuée soit à une discrimination de genre, soit de race ? » (“Beyond Racism & Misogyny: Black feminism & 2 Live Crew”, par Kimberlé Williams Crenshaw, dans “Feminist Social Thought: A Reader” (Routlege, 1997))

    Ainsi, Crenshaw place ouvertement l’intersectionnalité dans le cadre du postmodernisme. Elle explique que sa préoccupation principale est avant tout de pouvoir catégoriser et caractériser l’oppression, pas tant d’élaborer une stratégie pour mettre un terme à cette oppression. Son postulat selon lequel la ‘race’ et le genre ne sont pas des catégories essentiellement distinctes est erroné. Il s’agit d’une remarque non nécessaire, qui ne servira, au final, qu’à mettre de côté l’analyse correcte sur comment le racisme et le sexisme s’intersectionnent dans une oppression plus profonde présente dans la société et cet élément-là reste sans réponse. Cette erreur s’étend à d’autres aspects de son analyse. Par exemple, elle prétend que l’expérience subie par une femme de couleur dans le cadre d’une relation conflictuelle est qualitativement différente de celle subie par une femme blanche dans la même situation. Il est vrai qu’il y a plus de chances pour une femme de couleur, surtout si elle est issue d’un milieu prolétaire, de se voir accusée d’être elle-même responsable du mauvais traitement que lui fait subir son partenaire ou de se voir maltraitée par la police ou par le système judiciaire. Il est vrai aussi qu’il est important de se pencher sur cette réalité pour mieux la connaitre et l’analyser. Cependant, peut-on vraiment dire qu’il y ait une différence qualitative avec ce qu’une femme blanche – surtout si elle est elle aussi issue d’un milieu prolétaire – peut subir comme mauvais traitements de la part de son partenaire ? En réalité, si nous parlons d’une méthode destinée à combattre la violence des hommes envers les femmes, mieux vaut construire l’unité de toutes les femmes de la classe des travailleurs, et en particulier de toutes celles soumises à cette violence, par l’organisation de campagnes afin d’obtenir des services d’aide, des centres d’accueil et des logements publics où pourront vivre les femmes fuyant un partenaire violent. Il nous faut construire une lutte unifiée contre la culture sexiste et machiste engendrée par le capitalisme, qui est la source première de la violence envers toutes les femmes, toutes classes sociales confondues.

    Bien entendu, dans ce cadre, les femmes de couleur doivent pouvoir exprimer leurs problèmes et revendications spécifiques en fonction de leur expérience particulière : dans certains cas, des campagnes séparées autour de ces thèmes spécifiques pourraient être nécessaires et efficaces. Cependant, un gros problème de l’approche intersectionnelle est qu’elle se focalise davantage sur les expériences individuelles et sur la catégorisation des différentes oppressions engendrées par le capitalisme (et qui touchent toutes les couches de la société jusqu’aux plus marginalisées). De ce fait, elle risque de sous-estimer ou de renier les possibilités de construire un réseau de solidarité entre ces différents groupes opprimés.

    Plus important encore, cette approche ne propose pas de piste pour en finir avec l’oppression. En d’autres termes, elle rentre dans le cadre de la conception postmoderniste selon laquelle la lutte des classes est terminée. Elle se contente de catégoriser et de caractériser ces différents types d’oppression et ne cherche pas à conscientiser ces groupes opprimés spécifiques, en leur proposant des campagnes et des revendications qui leur soient propres. Pourtant, cela renforcerait plus que jamais le mouvement de la classe des travailleurs dirigé contre le capitalisme – un mouvement capable d’abolir un système tourné uniquement vers le profit ainsi que le règne des 1 % dont l’intérêt est de maintenir la division et d’empêcher le développement de toute résistance face à leur domination, en plus de tirer un profit direct de ces différents types d’oppression.

    En tant que féministe et intellectuelle noire, partisane et théoricienne de l’intersectionnalité, Bell Hooks a fermement critiqué le féminisme purement bourgeois ou procapitaliste – le féminisme de la PDG de Facebook, Sheryl Sandberg, qui nous suggère de « nous adapter » ou le féminisme de Beyoncé et son culte voué à la richesse et à l’individualisme qu’elle exprime dans sa musique. Dès le départ, Bell Hooks emploie un ton bien plus radical que, par exemple, les écrits de Crenshaw. Cependant, elle ne propose aucune stratégie pour atteindre son but, qui est d’en finir avec le capitalisme et le patriarcat – tout en laissant entendre qu’il s’agit là de deux luttes séparées, ce qui constitue également un problème.

    En effet, le capitalisme ne peut pas être vaincu sans la participation des femmes sur la ligne de front, surtout lorsque l’on parle des femmes issues de la classe des travailleurs, représentant la moitié de la main d’œuvre dans de nombreux pays et qui sont surreprésentées dans les secteurs les plus mal payés et où l’exploitation est la plus intense. Ainsi, aux États-Unis, la population afro-américaine continue à subir cette exploitation des plus sévères. Beaucoup d’efforts doivent être faits afin de construire un mouvement des travailleurs de toutes les origines multiracial capable de remettre en question les divisions et le racisme engendrés par la classe dirigeante qui puisse combattre le capitalisme américain et porter atteinte, voire mettre un terme, au règne des 1 %. Le mouvement « 15 Now ! »,  pour un salaire minimum à 15 $/heure, qui a obtenu plusieurs victoires dans diverses villes dont Seattle, possède ce caractère multiculturel: les travailleurs de couleur sous-payés jouent en effet un rôle d’avant-garde dans le cadre de cette lutte.

    À Fergusson, Missouri, une insurrection locale de la population noire pauvre a éclaté en aout 2014. Cette population est prise pour cible par la police raciste à dominante blanche. Ces évènements ont démontré le potentiel qui existe pour l’émergence d’un nouveau mouvement des droits civiques aux États-Unis. Un tel mouvement pourrait non seulement inspirer les travailleurs (de toutes ethnies confondues) qui sont déçus du soi-disant « rêve américain » prôné par le capitalisme américain, mais aussi tous ceux qui s’identifient aux « 99 % » auxquels s’est adressé le mouvement Occupy. Il pourrait combattre les idées racistes qui existent parmi la classe des travailleurs et servir de tremplin vers l’édification d’un mouvement anticapitaliste large. Ainsi, un tel mouvement, sur base de la lutte pour les droits civiques, pourrait à la fois s’en alimenter et renforcer la lutte. Une telle unité permettrait de dépasser le pouvoir démesuré de l’État capitaliste américain (à Ferguson, la police locale est intervenue en tenue de combat militaire et a combiné les attaques aux lacrymogènes à des descentes en tanks et hélicoptères), qui inflige violence et répression dans le but de maintenir le statu quo.

    De la sphère politique à la sphère individuelle ?

    La seconde vague du féminisme de la fin des années ’60 à ’70, surtout telle qu’elle s’est manifestée aux États-Unis, pourrait se résumer par le principe que « les problèmes personnels sont des problèmes politiques ». Les problèmes tels que la violence, le viol, le manque de contrôle sur ses propres capacités de reproduction, l’isolation et les traumatismes mentaux qui touchent entre autres les personnes condamnées à rester à la maison pour y effectuer un travail non rémunéré ont alors été analysés comme des problèmes sociaux qui ne pouvaient être résolus que par un mouvement social et une transformation sociale – ce à quoi le nouveau mouvement s’attelait. Ces problèmes n’étaient donc plus considérés comme des questions personnelles, dont la résolution revenait aux femmes au niveau individuel. En effet, tous ces obstacles prennent naissance dans le cadre d’un système politique et social donné et nécessitent par conséquent une transformation sociale et politique pour être supprimés.

    En revanche, la plus grande partie du féminisme des années ’90 a complètement retourné cette maxime pourtant très progressiste. La devise de ces féministes devenait : « Les problèmes politiques sont des problèmes personnels ». On voit cela clairement dans les ouvrages de Bell Hook, dans lesquels elle exprime sa propre rage face à l’expérience du racisme et du sexisme, une rage qui ne cherche cependant pas à développer une analyse matérialiste sur la nature de l’oppression dans la société et qui, en outre, n’est pas orientée de manière à contribuer à la construction d’un mouvement de lutte contre cette oppression. Dans Rage meurtrière : En finir avec le racisme (1995), Hooks se fait la digne représentante de cette approche « du politique vers le personnel » :

    « Il est paradoxal de constater que de nombreux Blancs qui s’étaient battus aux côtés des Noirs l’ont fait en réaction aux images de victimisation des noirs. De nombreux Blancs affirmaient être préoccupés par la souffrance de la population noire du Sud à l’époque de la ségrégation et vouloir s’engager dans cette cause. Mais si l’image des Noirs en tant que victimes était une idée admise dans la conscience de chaque Blanc, l’image des Noirs en tant qu’êtres égaux, en tant qu’individus capables d’autodétermination, ne suscitait aucune sympathie. En complicité avec l’État-nation, la seule réponse des Américains blancs aux luttes des noirs a été d’accepter passivement le démantèlement des organisations militantes noires et le massacre des dirigeants noirs. »

    Dans la pratique, Hooks rejette donc l’ensemble des efforts et sacrifices consentis par divers groupes militants, notamment par le mouvement en majorité blanc des « Voyageurs de la liberté » (Freedom Riders), constitué au début des années ’60 et qui a défié les lois Jim Crow et contribué à l’émergence du jeune mouvement des droits civiques. Les conducteurs de la liberté, dont la plupart étaient des étudiants blancs issus des classes moyennes, n’ont évidemment jamais eux-mêmes connu l’oppression subie par la population noire pauvre du sud des États-Unis. Cela ne les a pourtant pas empêchés de s’engager dans des actions dangereuses qui les amenaient à une confrontation directe avec, notamment, les attaques du Ku Klux Klan. Leur seul objectif était de contribuer à la lutte contre l’injustice et la ségrégation. Hooks adopte une position extrêmement cynique, si catégorique dans son rejet des activistes blancs, qu’elle ferme les yeux sur la complexité de la réalité et se refuse à envisager tout changement potentiel dans la conscience de ceux-ci. Oui, il est fort possible que certains des conducteurs de la liberté, en tant que dignes produits de leur environnement, fussent poussés par des préjugés comme, par exemple, l’idée que leur éducation était de meilleure qualité et qu’ils avaient une plus grande capacité à organiser et à diriger un mouvement. Mais il faut aussi tenir compte du fait que la conscience de ces jeunes gens ait ensuite pu évoluer radicalement du fait de leur participation à ce mouvement – un mouvement au cours duquel ils ont vu des militants noirs et pauvres, sans aucune éducation formelle, prendre la tête de manière courageuse, authentique et efficace pour combattre l’élite, le système et les bandes violentes du KKK.

    Il est tout aussi ridicule d’affirmer que chaque être humain à peau blanche vivant aux États-Unis n’ait pu éprouver la moindre sympathie vis-à-vis des mouvements tels que le Black Power ou les Black Panthers. Certains Blancs ont rejoint et collaboré avec les Black Panthers. Tout comme les autres organisations du Black Power, ce mouvement a constitué une source d’inspiration pour l’ensemble des jeunes, des femmes et des travailleurs les plus radicalisés du pays dans le cadre de la lutte contre l’oppression à laquelle ils étaient eux-mêmes soumis, et ce, au cours d’une période par ailleurs hautement révolutionnaire à l’échelle mondiale. Il ne fait aucun doute que la naissance de ces mouvements ait ébranlé les derniers stéréotypes, préjugés ou attitudes négatives envers la population noire qui pouvaient encore subsister dans la conscience même de ces couches les plus radicales. Hooks nie également l’existence du moindre sentiment d’empathie et de solidarité de classe que certaines couches de travailleurs blancs auraient pu ressentir envers les plus opprimés de leurs frères et sœurs de classe – une oppression et une exploitation qu’eux-mêmes pouvaient pourtant comprendre au vu de leur propre expérience en tant que travailleurs.

    Nier la victimisation aide le néolibéralisme

    Qui plus est, la manière dont Hooks parle des victimes pose elle aussi problème. Être victime n’est pas un trait de caractère. Il est tout simplement le propre d’une personne qui est la victime de quelqu’un ou de quelque chose. Les travailleurs du secteur public peuvent être victimes de l’austérité – ce qui ne les empêche pas de pouvoir également devenir des agents de la lutte contre cette austérité s’ils s’organisent. Les femmes victimes de relations abusives sont victimes de la violence et/ou de la domination de leur partenaire, mais peuvent aussi être syndiquées, faire partie d’une campagne anti austérité et/ou d’un mouvement contre la violence conjugale. De façon similaire, la population noire des États-Unis est victime du racisme inhérent à l’État capitaliste de tout pays, et en particulier du racisme étatique étatsunien, qui est en effet la marque de naissance du capitalisme américain.

    La féministe suédoise Kajsa Ekis Ekman a écrit que « l’ordre néolibéral déteste les victimes » et que « s’il n’y avait pas de victimes, il n’y aurait pas d’oppresseurs ». Le fait d’être victime de l’oppression est une réalité qui existe indépendamment de notre volonté. Le fait de nier la réalité de la victimisation, que cela soit fait par un agent de police raciste de Ferguson au Missouri ou par le capitalisme raciste des Etats-Unis, permet uniquement aux oppresseurs (et, de manière plus fondamentale, au système) de s’en tirer à bon compte.

    La théorie du privilège

    La théorie du privilège est une autre branche des politiques d’identité, qui gagne de plus en plus de popularité parmi les nouveaux cercles féministes, émanant elle aussi de la troisième vague du féminisme (ou postféminisme). Cette théorie a été développée par Peggy McIntosh dans un ouvrage datant de 1988, intitulé Synthèse du privilège blanc : Déballer la sacoche invisible. McIntosh y explique son idée selon laquelle les couches privilégiées comme, par exemple, les hommes blancs de la classe dirigeante porteraient en permanence sur eux une sacoche invisible remplie de toute une série d’avantages non mérités auxquels ils peuvent recourir à tout moment de leur vie pour éliminer les divers obstacles qui pourraient se dresser devant eux. Mais elle considère elle aussi, en tant que femme blanche, porter une série d’avantages non mérités par rapport à la population non blanche.

    La plupart de ceux et celles qui s’intéressent à la théorie des privilèges le font dans le but de pouvoir mieux identifier et combattre l’oppression et l’inégalité sous toutes ses formes, ce qui constitue évidemment en soi un pas important. Cependant, le principal problème de cette approche « des privilèges » est qu’elle se concentre sur des solutions individuelles pour mener ce combat. La théorie du privilège implique, en effet, l’idée qu’on pourra combattre l’oppression tout simplement en rendant les gens conscients des « avantages indus » qu’ils portent, afin de les convaincre à titre individuel de ne pas user de ceux-ci.

    « Alors qu’un changement systémique peut prendre des décennies, certaines questions me paraissent urgentes, et j’imagine qu’elles le seront aussi pour d’autres personnes si nous prenons davantage conscience au jour le jour des avantages que représente le fait d’avoir la peau blanche. Que ferons-nous avec une telle connaissance ? Comme nous le constatons en observant les hommes, il s’agit de la question de savoir si nous allons choisir d’utiliser ou non cet avantage non mérité, si nous allons utiliser une partie de ce pouvoir acquis arbitrairement afin de reconstruire les systèmes de pouvoir sur une large base » (McIntosh, Summary of White Privilege : Unpacking the Invisible Knapsack).

    En réalité, la théorie du privilège sous-estime énormément l’ampleur et l’étendue des différentes formes d’oppression, en particulier en ce qui concerne l’oppression de classe. Elle néglige l’analyse des forces sociales sous-jacentes qui mènent à cette oppression et sous-estime totalement le racisme étatique, les profits tirés de l’oppression des femmes (sur base du travail non payé ou sous-payé dans le cadre du capitalisme), etc. Le fait de dire à chaque individu qu’il ou elle est privilégié(e) par rapport à d’autres couches de la société ne constitue pas une stratégie en vue d’un changement. Il s’agit d’une approche subjective, individualiste, libérale, remplie d’illusions envers le système. On ferme les yeux sur la nature monstrueusement oppressive du capitalisme pour adopter une attitude moralisatrice qui vise à afficher sa conscience de l’oppression dans le but de pouvoir « pointer du doigt » l’ignorance des autres.

    Cela revient à vouloir tenter de créer des ilots libres de toute oppression dans l’unique cadre de petits cercles sociaux constitués de personnes « éclairées ». À cet égard, cette approche a donc des points communs avec le concept de squats ou autres mouvements visant à se détacher des normes de la société capitaliste vivant dans des collectivités « communistes » à petite échelle. Mais ce scénario ne permet pas de débarrasser l’ensemble de la société de l’oppression et des inégalités. Ces maux ne pourront être vaincus que par une intervention dynamique pour non seulement opérer un changement d’attitude, mais aussi combattre les racines de classe de l’oppression.

    À un niveau plus fondamental, la théorie du privilège sous-estime l’ampleur de la propagation des idées sexistes et racistes sous le capitalisme, et de leur impact très profond sur les attitudes des individus. Il faudra bien plus que le « refus » d’utiliser ses privilèges individuels pour véritablement transformer les comportements et les relations entre les êtres humains. Par exemple, la théorie du « privilège » n’explique pas pourquoi un grand nombre d’hommes sont violents envers les femmes. Le phénomène social de la violence masculine envers les femmes – dont toute une couche d’hommes dans la société est l’agent – dépasse le cadre d’une simple vision dans laquelle les hommes feraient usage de « privilèges immérités ». La prévalence de la violence masculine envers les femmes, tout comme les abus sexuels perpétrés sur les femmes et les enfants, doit être comprise et analysée dans le contexte d’une idéologie prônant la famille nucléaire patriarcale depuis des milliers d’années, de la soumission permanente des femmes dans la société et de la promotion des idées sexistes sous le capitalisme – un système qui, contrairement aux systèmes économiques et sociaux précédents, jouit d’une capacité sans cesse croissante de propagation de son idéologie.

    Aucune nouvelle théorie ne pourrait justifier d’éviter la lutte active contre l’oppression sous toutes ses formes ou bien contre le système capitaliste lui-même afin d’éliminer les racines matérielles de l’oppression et de l’inégalité. Nous devons construire une société socialiste, dont les fondements seront la satisfaction des besoins humains de la majorité plutôt que les profits d’une toute petite minorité ; un système dont les principes primordiaux seront la solidarité et la coopération. Une telle transformation ne pourra être obtenue et consolidée que par la lutte et l’action de masse collectives afin d’entamer l’édification d’une base sociale qui permettra d’éliminer les comportements racistes et sexistes et d’engendrer des relations humaines personnelles et sexuelles fondées sur l’égalité, le consentement, le choix et le respect.

    Une tradition marxiste

    La tradition marxiste possède une histoire aussi riche qu’instructive en ce qui concerne la lutte contre l’oppression. Déjà en 1902, Lénine, dans un de ses ouvrages fondateurs, Que faire ?, insistait sur l’importance pour les socialistes de s’appuyer sur le pouvoir dont dispose la classe ouvrière pour transformer la société et de mener au sein du mouvement des travailleurs une agitation contre toutes les formes d’oppression – y compris celles qui touchent les classes moyennes et dominantes (il mentionnait, par exemple, la répression étatique contre le clergé et les étudiants).

    Pour Lénine, non seulement il était correct pour le mouvement des travailleurs de se tenir aux côtés de tous les opprimés, mais il était également essentiel de former les travailleurs pour qu’ils acquièrent une compréhension de l’ensemble des mécanismes du système capitaliste, de sorte qu’ils ne soient pas seulement concernés par leur propre lutte quotidienne, mais disposent d’une analyse critique et approfondie de l’ensemble du système et d’une compréhension de l’importance de l’unité des travailleurs et de la lutte au-delà de toute division, afin de mettre un terme à l’oppression. « La conscience de la classe des travailleurs ne peut être une conscience politique véritable si les travailleurs ne sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation arbitraire d’oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes … La conscience des masses laborieuses ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n’apprennent pas à profiter des faits et évènements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique … »

    Le célèbre socialiste américain James P. Cannon (1890-1974) – membre du syndicat des Travailleurs Industriels du Monde (IWW), du Parti socialiste, puis du Parti communiste américain, et qui est devenu, plus tard, un proche collaborateur de Trotsky – trouvait que le Parti socialiste américain avait adopté une approche trop globale vis-à-vis des travailleurs noirs au début du XXe siècle. Pour Eugene Debs, dirigeant du Parti socialiste américain, il suffisait d’appeler les Afro-Américains à l’ « unité prolétarienne » au sens large. Il n’y avait aucune campagne, revendication ou approche spécifique relative aux questions directement liées à l’oppression spécifique dont étaient victimes les populations noires. En réalité, de nombreux travailleurs blancs regroupés au sein du Parti socialiste se méfiaient de la nature « réformiste » des campagnes et revendications spécifiques à la communauté afro-américaine visant à l’égalité. De plus, de nombreuses idées racistes avaient cours à l’intérieur même du Parti socialiste.

    Dans son article « La révolution russe et la lutte des Noirs aux États-Unis », Cannon a expliqué la façon dont s’est opéré un revirement du tout au tout parmi la gauche à la suite de la révolution d’octobre 1917 en Russie. Les socialistes américains se sont inspirés de la théorie et de l’action de Lénine. Ce dernier défendait résolument le droit à l’autodétermination des nationalités opprimées en tant qu’outil visant à transcender les sentiments nationalistes et à activer l’unité de classe et la lutte socialiste au-delà des divisions nationales. Tirant les leçons de cette approche, le PC américain (malgré sa stalinisation), soucieux d’appeler la population noire à s’organiser dans le Parti communiste nouvellement fondé, a développé des revendications et du matériel spécifiques visant à la libération des Noirs et l’a incorporé dans son programme et dans ses activités. Grâce à cela, le PC a pu recruter des milliers d’Afro-Américains au cours des années ‘1920 à ’30, ce qui a permis au Parti de devenir une force importante et un point de référence pour la communauté noire pendant toute une période.

    Le pouvoir du mouvement des travailleurs

    Le mouvement de la classe des travailleurs en lutte a le potentiel de devenir la plus grande force de changement et, pour peu qu’il adopte un programme correct et construise l’unité, un tel mouvement peu devenir un point d’attraction pour l’ensemble des groupes opprimés qui peuvent, à leur tour, rejoindre le mouvement et y mettre en avant leurs revendications spécifiques. Durant Mai 68 en France, nous avons vu se réaliser une telle synergie. D’une part, il y a eu la lutte des étudiants sur les campus des universités françaises, frustrés par un establishment conservateur défendant une approche réactionnaire concernant les questions de genre. D’autre part, la classe des travailleurs s’est engagée dans une grève générale massive au fort potentiel révolutionnaire. La synergie de ces mouvements a créé une force sociale extrêmement puissante qui aurait pu (si la gauche avait été à la hauteur) briser le capitalisme français et jeter la base pour une transformation socialiste de la société en France et ailleurs. Nous avons également vu à l’œuvre une telle synergie lors de la grève des mineurs au Royaume-Uni en 1984-85 avec des femmes prolétaires, des groupes LGBT, des communautés noires et asiatiques qui se sont mis en mouvement.

    Les socialistes et les marxistes doivent mener une lutte contre toutes les formes d’oppression et développer des revendications et un programme complet afin de maximiser le potentiel pour forger une telle synergie. En ce qui concerne l’oppression des femmes, les socialistes doivent, par exemple, participer aux luttes pour les droits reproductifs et sexuels, contre le sexisme dans les médias et contre la violence sexuelle, tout en luttant pour l’égalité au travail et contre l’impact de l’austérité sur les femmes. Une telle approche sera cruciale pour assurer que la majorité du nouveau mouvement féministe émergeant – aux contours encore mal définis – puisse être gagné à une position socialiste et combattre de manière efficace les racines de classe de l’oppression des femmes.

    La radicalisation par rapport aux questions sociales

    En Irlande, on a récemment vu s’opérer de profonds changements à propos de questions sociales, telles que le droit à l’avortement ou la légalisation du mariage homosexuel, en particulier en Irlande du Sud. Les jeunes du Nord comme du Sud sont de plus en plus radicalisés sur ces questions-là. La recherche d’une société plus progressiste, démocratique et laïque peut de plus en plus devenir une porte d’entrée pour les jeunes, en particulier les femmes et les LGBTQI, vers les idées de la gauche anticapitaliste et socialiste. Au niveau mondial, l’arrivée d’une nouvelle génération de féministes est une évolution progressiste positive. Parmi ces couches, nombreux(ses) sont ceux et celles qui se frayent un chemin à travers les théories de l’identité, de l’intersectionnalité et des privilèges. Tout cela est le signe d’une quête sincère, admirable et radicale de réponses pour parvenir à un changement sociétal.

    Il est très important pour les socialistes d’entrer dans ce débat de manière sensible, de trouver une cause commune dans l’action et dans la lutte avec tous ceux et celles qui désirent lutter contre l’oppression. Il est également important de mener la lutte contre le système capitaliste – un système qui se caractérise par une inégalité croissante et qui porte en lui le racisme, le sexisme et l’homophobie depuis sa naissance. Un programme socialiste, qui organise la lutte des travailleurs pour que les richesses et les ressources en Irlande, en Europe et dans le monde soient dans les mains de la collectivité, sous contrôle démocratique de la population, est l’approche nécessaire si nous voulons créer les conditions qui nous permettront de mettre un terme à la pauvreté et à l’oppression.

  • [VIDEO] Participez à notre journée du 5 mars sur la lutte pour les droits des femmes!

    Laura Fitzgerald, porte-parole de ROSA – for Reproductive Rights against Oppression, Sexism and Austerity – en Irlande, vous invite à participer à la journée de débat et de discussion Émancipation des femmes et socialisme, des luttes indissociables! ce 5 mars.

    Elle y animera notamment un atelier intitulé : Politique d’identité et lutte contre l’oppression des femmes.

    • Plus d’infos et programme complet
  • Contre le sexisme, une lutte unitaire pour une autre société est nécessaire!

    luttes_femmesFemmes-objets, harcèlement, violence, précarité : Le sexisme reste une réalité…

    Il y a 10 ans encore prédominait l’idée que l’égalité homme-femme était acquise. Mais depuis lors, un nombre croissant de personnes reconnaissent que les inégalités persistent malgré l’égalité juridique et légale. Le sexisme quotidien est régulièrement abordé dans l’actualité. La crise économique joue un rôle dans ce regain d’attention, en exacerbant les inégalités et en clarifiant que l’égalité n’existe le plus souvent que sur papier. Harcèlement et violences physiques et sexuelles restent des choses bien trop courantes, tout comme la violence économique qui a gagné en importance.

    Un dossier d’EMILY BURNS

    Harcèlement sexuel : en rue comme dans les hautes sphères

    100 % des femmes se sont déjà fait harceler dans les transports en commun parisien, selon une étude publiée en avril 2015. Si de telles statistiques ne sont pas disponibles en Belgique, les articles et témoignages pleuvent concernant des cas de harcèlement dans l’espace public. Quelle femme ne s’est jamais fait accoster en rue avec insistance et entendre dire qu’elle devrait considérer cela comme un compliment ?

    Le harcèlement dans l’espace public est le plus rapporté par les médias, mais le phénomène touche toute la société avec la même ampleur, comme au boulot. Lorsqu’il est le fait d’un supérieur hiérarchique, les obstacles pour en sortir seule peuvent paraitre insurmontables. En plus du facteur psychologique, il est difficile d’accéder à des allocations de chômage complètes – en particulier en cas de démission – et de trouver un nouvel emploi dans le contexte actuel.

    Au Texas, le Président du Parlement de l’État a récemment demandé aux élues de ne porter ni jupe courte, ni décolleté pour éviter de distraire leurs collègues masculins. Comme si le harcèlement dont elles pourraient être victimes était dû à leurs tenues ! Cette attitude considère les victimes du harcèlement comme responsables de la situation, tout en induisant également que les hommes seraient conduits par un instinct bestial.

    Le harcèlement et le sexisme ne sont pas le fait d’un groupe spécifique de la population. Toutes les couches de la société sont atteintes. S’y opposer est indispensable, sans que cela ne devienne le prétexte à la stigmatisation de jeunes ou d’hommes issus de l’immigration. Quant aux médias, ils ont beau dénoncer le harcèlement dans leurs pages actu, ils continuent à véhiculer le sexisme dans leurs pages culture et ‘‘life style’’.

    Refusons la banalisation de toutes les violences à l’encontre des femmes

    Si le cas des agressions de Cologne a fait la une des jours durant, les violences vis-à-vis des femmes sont malheureusement bien plus larges. 1/3 des femmes ont subi des violences graves depuis l’âge de 15 ans. Les violences les plus courantes sont les moins visibles : 1/4 des femmes subissent ou ont subi des violences conjugales (IWEPS – février 2016).

    Ce n’est pas parce que ces violences sont omniprésentes que l’on peut accepter leur banalisation et encore moins leur normalisation. En ce sens, le résultat du procès pour viol d’une femme par un animateur radio gantois est particulièrement choquant. Malgré qu’il ait reconnu le viol, l’inculpé a bénéficié d’une suspension du prononcé. Le juge a considéré, d’une part, que le viol n’était pas agressif et même amical malgré les ‘‘non’’ répétés de la victime (ils s’étaient embrassés plus tôt dans la soirée) et, d’autre part, qu’un casier compromettrait l’avenir du violeur.

    Refusons la culture du viol ! Lorsqu’une personne déclare ne pas vouloir de relation sexuelle, c’est qu’elle n’en veut pas, et ce, y compris si elle a dit l’inverse plus tôt, quelle que soit sa tenue. Et c’est toujours valable dans le cadre d’un couple. Refusons la culpabilisation des victimes !

    Précarisation : l’austérité s’en prend aux femmes

    Les groupes les plus opprimés de la population – comme les femmes – subissent la crise économique avec plus de violence. Les mesures d’austérité prises aux différents niveaux de pouvoir jettent des dizaines de milliers de femmes dans la pauvreté. Alors que les conséquences sont catastrophiques, les médias traditionnels n’en font que peu état.

    Les mesures prises par le gouvernement Di Rupo continuent de faire des ravages. Des dizaines de milliers de personnes sont exclues des allocations de chômage dites d’insertion. Ce sont souvent des personnes ayant travaillé à temps partiel durant des années, majoritairement des femmes. La non-individualisation des allocations de chômage couplée à la dégressivité rapide de celles-ci précarise les autres. À nouveau, les femmes sont plus nombreuses dans le statut de cohabitant, nombreuses sont celles qui se retrouvent avec 125 €/mois pour vivre…

    En allongeant les carrières, le gouvernement Michel s’en prend lui aussi aux femmes. 65 % d’entre elles ne pourront pas prétendre à une pension complète, faute d’atteindre les 42 années de carrière. Cette mesure d’appauvrissement prend place alors qu’un quart des pensionnées touche actuellement moins de 500 €/mois. La minuscule compensation de 1 % de la pension légale ne touchera pas ces femmes âgées et précarisées puisque cette mesure sera réservée à ceux qui sont parvenus à une pension complète.

    Les coupes budgétaires dans les services publics ont également un impact particulier sur les femmes. Elles sont majoritaires dans la fonction publique et la diminution du nombre de postes dans le secteur a des conséquences directes sur l’emploi. Ce sont aussi les principales utilisatrices des services publics. Et, enfin, ce qui n’est plus pris en charge par la collectivité, au travers des services publics, retombe sur le dos des familles, essentiellement sur les femmes.

    À qui profite le sexisme ?

    –           Le sexisme est un instrument qui permet d’augmenter les profits de l’industrie en utilisant le corps des femmes comme outil marketing et comme objet sexuel pour vendre tout et n’importe quoi/qui.

    –           Le sexisme, par les préjugés qu’il véhicule, participe à la justification de bas salaires dans les secteurs des soins aux personnes (crèches, écoles, soins de santé, maisons de repos…) fortement féminins, par la mise en exergue des aptitudes ‘‘maternelles’’ naturelles des femmes qui ne nécessitent donc pas une rémunération sur base de compétences.

    –           Le sexisme permet au gouvernement de plus aisément couper dans les services publics en glorifiant le rôle traditionnel des femmes et en omettant la surcharge de travail domestique.

    –           Le sexisme, comme le racisme, l’homophobie et toutes les discriminations permettent de diviser les luttes pour une société qui réponde davantage aux besoins de la majorité sociale. Il s’ancre dans l’adage ‘‘diviser pour mieux régner’’.

     

    Le sexisme n’est donc pas le fait des hommes ou d’une culture spécifique. Un seul groupe de la population profite de l’oppression spécifique des femmes : les super-riches c’est-à-dire la classe dominante capitaliste.

     

    Un violeur bénéficie d’une suspension de prononcé – Quelle réponse face aux violences vis-à-vis des femmes ?

    36 % des femmes ont déjà été victimes de violence physique ou sexuelle. Face à cette situation, il est essentiel de développer des pistes de solutions. Le ‘‘néo-féminisme’’ des magazines féminins portant au rang de grande avancée pour les droits des femmes la nouvelle poupée-Barbie ‘‘plus ronde’’ n’est clairement pas à la hauteur de la tâche. Face aux violences, l’action est nécessaire. Mais sous quelle forme ? Par la répression ou par la lutte pour un changement de système ?

    Pour plusieurs mouvements femmes, la loi contre le harcèlement constitue une grande avancée symbolique (Vie Féminine – Le Soir 9 février 2016). Toutefois, son impact se révèle extrêmement ténu puisque les faits de harcèlement doivent être constatés par un agent sanctionnateur. Plusieurs communes envisagent de revenir sur le principe même de Sanction Administrative Communale (SAC), trop onéreux à mettre en place au niveau de la formation des agents. Cela rendrait de facto cette loi caduque.

    En justice, les condamnations pour faits de violences restent faibles. Seulement 7 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation. Avec environ 10 % des victimes qui portent plainte, cela revient à une quasi-impunité des violences sexuelles (approximativement 7 condamnations pour 1000 cas). Toutefois, il serait simpliste d’attribuer cette relative impunité uniquement au machisme ou à la misogynie des juges. Si cela existe, bien entendu, c’est le fruit d’un système qu’il s’agit de démonter.

    Pousser les femmes à porter plainte en cas d’agression et plaider pour une politique répressive plus énergique n’est pas suffisant. Malgré qu’un quart des plaintes pour coups et blessures volontaires rapportées au parquet ont lieu au sein du couple (IWEPS – février 2016), la police n’a depuis près d’un an plus pour tâche prioritaire de s’en occuper, en raison des mesures d’austérité.

    De plus, il ne faut pas négliger la différence de traitement – tant médiatique que juridique – que peuvent recevoir des affaires d’agressions. Celles de Cologne la nuit du Nouvel An ont reçu une place retentissante dans les médias (avec également de la désinformation à la clé) et il ne faut pas douter que les peines seront lourdes. À contrario, l’animateur-radio gantois ou encore DSK ont bénéficié d’une clémence du système que l’on pourrait qualifier d’incroyable si on omet de prendre en considération pour qui roule ce système.

    Comme pour le reste des affaires judiciaires, cette justice bourgeoise protège largement les plus nantis. Nous ne devons pas placer tous nos espoirs dans ce système de justice de classe.

    Construisons une autre société

    Nous devons lutter contre les sources matérielles de l’oppression spécifique des femmes. Les industries du cosmétique, du divertissement et du spectacle ainsi que celles de leurs sponsors ont pour vocation de générer un maximum d’argent pour les actionnaires. L’instrumentalisation du corps des femmes comme objet de marketing ou sexuel ne leur pose aucun problème. Cette utilisation constante ‘‘objectivise’’ les femmes et favorise l’idée que, comme pour un objet, on peut en disposer quand et comme on le souhaite. Du point de vue des capitalistes, cette violence est un effet collatéral négligeable. Luttons pour un contrôle et une gestion démocratique de ces secteurs par les travailleurs et les usagers – de même que pour l’ensemble des secteurs clés de l’économie !

    Alors qu’un Belge sur 5 reste en couple principalement pour des raisons financières (Belga – 9 février 2016), il est clair que le manque d’indépendance financière peut prolonger le calvaire de femmes n’ayant pas les moyens financiers de quitter leurs conjoints. Cette indépendance doit passer par une lutte pour l’individualisation des allocations sociales (non au statut de cohabitant !) et pour des emplois de qualité avec des salaires décents. Une réduction collective du temps de travail, sans perte de salaire et avec des embauches compensatoires est également nécessaire. Elle permettrait de mettre fin au chômage structurel et au temps partiel involontaire. Cette mesure favoriserait également un meilleur équilibre entre vies privée et professionnelle et faciliterait l’implication des travailleurs dans la gestion de leur quartier, de l’école de leurs enfants ou encore de leur entreprise.

    Des services publics accessibles et de qualité permettent quant à eux de lutter contre le travail domestique non rémunéré et la double journée de travail auxquels sont particulièrement astreintes les femmes. Des crèches aux maisons de retraite, en passant par l’enseignement, les activités extra-scolaires et les soins de santé (etc.), ce sont autant de secteurs qui doivent être pris en charge par la collectivité pour ne pas retomber sur le dos d’individus avec les complications que cela engendre. Des logements à prix abordable ainsi que des allocations familiales sont également indispensables pour que bâtir une famille ne signifie plus s’appauvrir.

    Lutter contre l’oppression spécifique des femmes passe donc par une lutte contre les bases matérielles de celle-ci. Les revendications contre l’oppression des femmes rejoignent celles du mouvement des travailleurs dans son ensemble : lutter pour une société gérée collectivement et démocratiquement pour répondre au mieux aux besoins de tous et toutes.

    Unité de genre ou de classe : Comment venir à bout de l’oppression spécifique des femmes ?

    8mars_206Le 5 mars, la LCR a pris l’initiative de lancer, tout comme l’an dernier, un appel à la tenue d’une manifestation exclusivement composée de femmes. Nous comprenons bien que l’on peut penser que ‘‘c’est aux femmes de se libérer elles-mêmes’’,… Et s’il est utile que des femmes se réunissent en tant que femmes au sein des organisations de gauche, (pour élaborer le programme à défendre dans leur parti, leur syndicat ou leur mouvement concernant les droits des femmes, etc.), nous estimons que dès lors qu’il s’agit de lutter, tout ce qui nous divise nous affaiblit. La majorité des acquis des femmes résultent des luttes du mouvement des travailleurs dans son entièreté. Une telle approche insère un élément regrettable de division dans notre combat alors que c’est ensemble que nous sommes plus forts.

    Le sexisme n’est pas le fait des hommes ou d’une culture, l’oppression des femmes n’a d’ailleurs pas toujours existé. Identifier la source de cette oppression permet d’adopter la méthode la plus efficace pour venir à bout de ce problème crucial. La présence d’hommes lors de manifestations féministes renforce justement l’idée que notre combat ne repose pas sur une opposition entre hommes et femmes mais sur une lutte de classe contre le système capitaliste et pour une société qui développera les conditions matérielles pour en finir avec toutes les discriminations, l’exploitation et les oppressions.

    L’oppression spécifique des femmes est apparue avec la notion de propriété privée et le développement de la société divisée en classes sociales. Mais pendant la plus longue partie de l’Histoire de l’humanité qui a précédé, elle n’existait pas. Dans ces temps lointains, la collaboration était indispensable à la survie de la tribu. Dans ce cadre, aucune subordination n’était possible et le concept de propriété et celui d’héritage qui en découle étaient inexistants. Le sexisme n’est donc en rien inscrit dans les gènes des hommes.

    Néanmoins, l’oppression spécifique des femmes existe depuis des millénaires à travers le monde. Ce n’est pas en un tour de baguette que l’on en viendra à bout, cela nécessitera un travail en profondeur ! Comme nous l’avons dit, c’est un des outils de la classe dominante pour accumuler toujours plus de richesse sur le dos de la majorité de la population. Les super-riches, voilà notre ennemi dans le combat contre le sexisme. À nous de mettre ce qu’il faut en œuvre pour renverser le système capitaliste.

    Qui sont nos alliés dans ce combat ?

    Le sexisme est un problème collectif, ce n’est que par une lutte collective que l’on pourra le combattre. L’unité doit se faire depuis la base entre tous ceux qui ont les mêmes intérêts : les jeunes, les allocataires sociaux et les travailleurs hommes et femmes. Refusons de rentrer dans le piège de la division et dans le raccourci que les hommes profiteraient de cette situation. L’unité dans la lutte n’est pas un choix, c’est une nécessité. Aucune avancée majeure pour l’émancipation des femmes ne pourra se faire sans l’implication de l’ensemble de la classe dominée.

    S’il est vrai que toutes les femmes sont opprimées du fait de leur genre, les femmes de la classe laborieuse le sont doublement. Contrairement à ce que voudrait faire croire Hillary Clinton, avoir une femme au pouvoir ne garantit en rien les intérêts de l’ensemble des femmes. Au contraire ! Les mesures d’austérité à l’encontre des femmes de la classe ouvrière prises par Margaret Thatcher en son temps en sont un exemple éloquent. Ainsi, une femme travaillant au service clientèle de Proximus a bien plus en commun avec son collègue masculin qu’avec Mme Dominique Leroy, PDG du groupe. Si les employés de la firme entament une lutte pour de meilleurs salaires – permettant plus aisément une indépendance financière – c’est depuis la base que l’unité se fera et non entre toutes les femmes de l’entreprise. Le seul moyen pour les femmes de la bourgeoisie de lutter contre le sexisme est de rompre avec leurs privilèges de classe, pour honnêtement combattre le capitalisme au côté de la classe ouvrière, pour enfin en finir avec le sexisme.

    Émancipation des femmes et socialisme : deux faces de la même pièce

    La lutte pour les droits des femmes est une lutte contre le système capitaliste et pour le socialisme démocratique. Un contrôle démocratique des secteurs clés de l’économie ne nécessiterait plus d’utiliser le corps des femmes comme objets, puisque le but ne serait plus de maximiser les profits, mais de répondre aux besoins de la population. Puis, grâce à une indépendance financière et des services publics accessibles et de qualité, de réels choix de vie pour les femmes deviendraient enfin possibles.

    Si mettre définitivement fin au sexisme nécessite de construire une autre société, nous ne pourrons gagner ce combat qu’en luttant parallèlement contre le sexisme dès aujourd’hui. Comme dans le reste de la société, le mouvement ouvrier est parcouru par le sexisme. Nous devons lutter contre lui au sein du mouvement ouvrier et permettre l’implication des femmes dans les luttes qui se profilent devant nous. Cela ne peut se faire largement que par une attention spécifique aux difficultés particulières qu’elles peuvent rencontrer. Poussons nos organisations syndicales à faciliter l’implication des femmes dans le mouvement (choix des heures des réunions, baby-sitting, …) pour qu’elles puissent plus aisément se présenter sur les listes dans le cadre des élections sociales, par exemple. Notre force, c’est le nombre : aucune révolution ne pourra être gagnée sans les femmes et sans une révolution, le sexisme perdurera.

    • Ce samedi 5 mars: Journée de débat et de discussion “Émancipation des femmes et socialisme: des luttes indissociables!”
    6 mars – 13h gare de Bxl Central : manifestation des Femmes Sans-Papiers

    Violence vis-à-vis des femmes sans-papiers : une lutte unie comme unique solution

    Les femmes sans-papiers sont extrêmement vulnérables : en plus d’une précarité économique souvent extrême, elles n’ont aucun recours possible lorsqu’elles sont sujettes à de la violence. Leur seul perspective pour un avenir, c’est de participer à la construction d’une lutte la plus unie possible pour un changement de société.

    En solidarité, soyons le plus nombreux possible pour participer à la manifestation organisée par le Comité des Femmes Sans-Papiers. Contre les tentatives de division, toujours plus agressives, nous devons opposer une lutte et un combat unitaires : hommes et femmes, avec ou sans papiers, jeunes et travailleurs avec ou sans emploi,… Nous avons tous droit au logement, à l’éducation, aux soins,… à la dignité.

     

  • La manifestation des femmes sans papiers dimanche se terminera bien à Saint Gilles!

    Femmes_SP_06MARSIl y a quelques jours, nous avions publié sur ce site le communiqué de presse du comité des femmes Sans-Papiers et de la Coordination des Sans Papiers de Belgique concernant le blocage du bourgmestre de Saint-Gilles, Picqué, en relation avec la manifestation visant à dénoncer ce dimanche 6 mars le sexisme que subissent des femmes en Belgique et dans le monde, et plus particulièrement les femmes sans-papier et de leurs enfants.

    Nous sommes heureux de pouvoir annoncer que la commune de Saint-Gilles a fini par autoriser que cette marche se clôture sur le carré Moscou, à côté du parvis de Saint Gilles, au centre de la commune.

    Les femmes sans-papiers sont extrêmement vulnérables : en plus d’une précarité économique souvent extrême, elles n’ont aucun recours possible lorsqu’elles sont sujettes à de la violence. Leur seul perspective pour un avenir, c’est de participer à la construction d’une lutte la plus unie possible pour un changement de société.

    Nous appelons donc à être le plus nombreux possible ce dimanche 6 mars pour participer à cette manifestation organisée par le Comité des Femmes Sans-Papier, notamment pour exiger la régularisation de tous les sans-papiers.

    Contre les tentatives de division, toujours plus agressives, nous devons opposer une lutte et un combat unitaires : hommes et femmes, avec ou sans papiers, jeunes et travailleurs avec ou sans emploi,… Nous avons tous droit au logement, à l’éducation, aux soins,… à la dignité.

    Ce dimanche 6 mars à 13h, à partir de la Gare Centrale à Bruxelles.

     

  • Le bourgmestre de Saint Gilles, Charles Picqué, s’oppose à la liberté d’expression des femmes dans sa commune !

    Communiqué de presse du comité des femmes Sans-Papiers et de la Coordination des Sans Papiers de Belgique.

    Femmes_SP_06MARSA l’occasion de la journée internationale de la femme, le Comité des femmes sans-papiers organise une manifestation pour dénoncer le sexisme que subissent des femmes en Belgique et dans le monde, et plus particulièrement les femmes sans papier et de leurs enfants.

    En effet, les femmes dans notre société restent à l’heure actuelle les premières victimes de l’injustice sociale et des violences. Beaucoup des femmes sans papier ont fui les violences et leurs conditions, sans droit dans leur pays, au péril de leur vie.

    En Belgique, elles subissent une double peine. En plus d’être femmes, elles (et leurs enfants) sont considérées comme illégales sur le territoire et sont donc confrontées non seulement à une très grande précarité, mais surtout en proie à de terribles violences contre lesquelles il leur est impossible de se défendre légalement.

    Cette manifestation est donc l’occasion de rappeler une réalité bien sombre et trop méconnue des migrantes. C’est aussi l’occasion pour tous ceux que cela indigne, de manifester leur solidarité.
    Elle aura lieu le dimanche 6 mars, partira du centre ville à la Gare Central à 13h, passera par Ixelles et devait se clôturer à Saint-Gilles par un évènement musical et quelques prises parole.

    Les demandes ont été introduites fin janvier et validées depuis par les différentes communes se trouvant sur le trajet.

    Les organisatrices ont dès lors annoncé la manifestation par tracts, affiches et communications électroniques en mentionnant le rendez-vous de départ et l’évènement de clôture place Bethleem. Les engagements des musiciens ont aussi été confirmés.

    Et puis, le 25 février, à dix jours de la manifestation, le bourgmestre Charles Picqué leur a annoncé par un message téléphonique qu’il refusait d’autoriser la manifestation à Saint-Gilles, sans proposer un autre trajet. Les autres communes ont autorisé le passage du cortège sur leur territoire.

    Après de nombreuses interpellations, des « raisons » ont finalement été données : considérations de sécurité, de tranquillité et de transports publics. De sécurité ? De tranquillité ? Et de transports publics ? En quoi cette manifestation serait elle différentes d’une autre ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un mépris total envers les femmes immigrées ?

    Nous demandons pourquoi ces motifs ou contraintes spécifiques à la politique communale saint-gilloises n’ont-ils jamais été évoqués lors des réunions de concertation ? Ils posent surtout de graves questions sur le droit de manifester.

    Le refus du bourgmestre soulève enfin des interrogations sur la représentation que les autorités se font des femmes sans-papiers et de leur soutien. En quoi constituent-elles un danger pour la sécurité des quartiers populaires saint-gillois ? Faut-il préciser que cette manifestation se veut totalement pacifique ? Un service d’ordre interne est organisé par la Coordination Sans-Papiers qui a déjà fait ses preuves en matière de bon déroulement d’une manifestation. Les personnes sans titre de séjour font tout pour éviter les altercations tant avec les forces de l’ordre qu’avec les habitants des quartiers puisque celles-ci nuiraient à leur cause et les exposeraient à des risques d’expulsion.

    Nous exhortons donc les autorités communales de Saint-Gilles à revoir leur décision et autoriser la manifestation des femmes sans-papiers du 6 mars à traverser la commune et à se clôturer sur une de ses places conviviales. Ce serait non seulement honorer le droit de manifestation et celui des femmes mais également le vivre ensemble et la rencontre interculturelle qui font la richesse de Saint-Gilles.
    Nous invitons la presse à notre manifestation, qui sera unique par la partie partiellement souterraine de l’itinéraire qui nous est imposé. Aidez-nous à faire connaître cette situation scandaleuse à un plus large public !

    Le comité des femmes Sans-Papiers et La Coordination des Sans Papiers de Belgique.

  • [TEXTE de CONGRES] Le post-féminisme n’est plus le consensus général

    [TEXTE de CONGRES] Le post-féminisme n’est plus le consensus général

    workers_feminismAnnexe au texte de perspectives internationales et belge discuté, amendé et voté lors du Congrès National du PSL de novembre 2015. Ce document accompagne également notre texte de perspectives sous forme de livre. Commandez dès maintenant votre exemplaire en versant 10 euros sur le compte BE48 0013 9075 9627 de ‘Socialist Press’ avec pour mention « texte de Congrès ».


    texte_congres_livre« Après une longue période durant laquelle le post-féminisme était dominant, la lutte des femmes presque inexistante et le sexisme soi-disant rigolo, nous avons assisté à un début de changement ces dernières années ». Nous avons écrit ses mots à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes en 2015. Non pas que le post-féminisme a maintenant disparu, mais le consensus qui existait à ce sujet est rompu. Dans cet article, nous avons fait référence à la lutte massive des femmes et des hommes contre la violence à l’encontre des femmes en Inde et en Turquie, mais aussi au mouvement en Espagne en défense des lois sur l’avortement ou encore aux luttes syndicales de différents pays dans « les secteurs féminins » comme les hôpitaux, où des femmes ont joué un rôle crucial. Comme nous l’avons expliqué au début de la crise, au moment où la perte d’emplois était surtout dans l’industrie et parmi des hommes, une deuxième phase de la crise allait voir la politique d’austérité commencer à lancer des attaques contre les services publics et les secteurs des soins. Là, ce seraient les emplois et les conditions de travail de couches entières de travailleuses qui allaient être mises sous pression. Nous avons aussi constaté qu’en Irlande, la lutte contre l’interdiction constitutionnelle de l’avortement a commencé à prendre de l’ampleur, en liaison avec la lutte pour les droits égaux des LGBTQI. En Belgique – où l’on n’avait vu, à côté de la proposition de Femma pour la semaine de travail des 30 heures, que quelques actions spontanées autour du traitement juridique des viols – nous avons assisté dans les jours qui ont suivi le 8 mars à l’éclatement de « wij overdrijven niet » en Flandre (nous n’exagérons pas »), une réaction antisexiste massive sur les médias sociaux. Le mouvement dépassait en tout cas le carcan de « l’action individuelle » surtout orientée vers les médias précédemment mise en avant par des groupes comme les Femens.

    Ce changement dans la situation objective conduit à repenser notre travail femme et notre rôle dans le « mouvement femmes » puisque le travail femmes du PSL/LSP a commencé dans les années ’90, au sommet du consensus post-féministe. Le « mouvement femmes » (mis entre guillemets en raison du peu de « mouvement » ces dernières décennies), largement composé d’organisations de femmes des partis traditionnels, a priorisé la lutte pour les quotas de femmes concernant les hautes fonctions. Son « action » consistait à organiser des élections pour « le manager féminin de l’année ».

    On ne pouvait donc pas parler de mouvement, mais sur le plan parlementaire, un certain nombre de politiciennes sont restées actives autour de quelques propositions de loi destinées à en finir avec les « restes » acharnés de l’inégalité. Sur ce plan-là aussi, les travailleuses ont payé un prix élevé pour la bourgeoisification du PS et SP.a : ces propositions de loi étaient à 100 % basées sur une vision bourgeoise et formelle de l’égalité de genre et pas sur la force progressiste d’une lutte contre le capitalisme, d’une lutte dans laquelle le mouvement des travailleurs met en mouvement tous les groupes opprimés de la société. Il est toutefois de nouveau clair aujourd’hui que lorsque la classe des travailleurs apparait massivement sur scène, elle tire derrière elle tous les groupes opprimés et donne un élan et une stratégie – l’action collective – au mouvement femmes, au mouvement LGBTQI, aux réfugiés et sans-papiers,…

    Les lois qui ont été votées “pour les femmes” entre la fin des années ’80 et maintenant, mais aussi la règlementation du travail qui a suivi la concertation entre syndicats, organisations patronales et gouvernement, a toujours placé les intérêts des femmes face à ceux des hommes et non pas ceux des capitalistes. L’aspiration à l’égalité pour les politiciens – au service des patrons – visait à démanteler les « droits des hommes » et non pas à augmenter les droits des femmes. Accord Interprofessionnel après Accord Interprofessionnel, un progrès minime pour les plus bas salaires et allocations était acheté en octroyant des concessions sur les salaires les plus élevés – la « solidarité » ne signifiait plus que les secteurs où les travailleurs avaient gagné beaucoup de conquêtes sociales se battaient aussi pour ceux qui n’étaient pas si loin, mais au contraire que les travailleurs des meilleurs secteurs voyaient s’effriter leur meilleure position parce qu’ils étaient tenus à « contribuer » au progrès des secteurs à bas salaires. Ceci, en combinaison avec la lutte pour les quotas et la représentation selon laquelle chaque problème des femmes est un problème créé par les hommes individuellement et leurs comportements – les campagnes Equal Pay Day du SP.a et FGTB montrent dans quelle mesure ceci était aussi la tonalité principale dans le mouvement organisé des travailleurs – a fait en sorte que le féminisme a eu une image encore pire que précédemment au sein du mouvement des travailleurs.

    Ainsi, une réponse bourgeoise était formulée sous pression de ce qui se produisait dans les soi-disant « secteurs féminins », comme les hôpitaux, pour de meilleurs salaires et conditions de travail. En dépit du recul du féminisme, le marché du travail continuait à se féminiser. Ce processus est toujours en cours et va de pair avec la montée des contrats temporaires, à bas salaires et à temps partiel, alors que le nombre d’« emplois masculins » dans l’industrie continue de diminuer depuis le début de la crise. Les travailleurs de ces secteurs sont bien obligés de se battre pour de meilleures conditions, en dépit du manque d’organisation syndicale, parce qu’on ne sait tout simplement pas vivre avec de tels salaires. C’est ce à quoi nous avons assisté autres chez les gardiennes d’enfants flamandes l’an dernier et ensuite avec une première action des travailleurs du système des titres-service.

    Parallèlement, des couches entières de jeunes femmes et jeunes filles qui ont grandi dans le mythe du post-féminisme affrontent péniblement la réalité – sur le marché de l’emploi, dans la rue et dans leurs familles,… – et commencent à revendiquer haut et fort l’égalité et la fin du sexisme et des discriminations. Leur part majoritaire dans le personnel de tous les secteurs qui ont de près ou de loin à voir avec les soins assure aussi que leur rôle dans la défense de ce qui reste des soins de santé est crucial. La lutte pour, entre autres, un financement adéquat des hôpitaux s’est mise en branle à un rythme variable dans les différents pays, avec comme exemple le plus fort jusqu’à présent la lutte de l’hôpital de la Charité à Berlin.

    Du slogan “la lutte est toujours nécessaire” à la lutte pour un programme socialiste et pour la direction du mouvement femmes

    8mars_206
    Cette année encore, le PSL commémorera la Journée Internationale des Femmes sous la forme d’une journée de formation politique. Plus d’informations dans notre rubriques “femmes” ou sur notre calendrier disponible sur ce site.

    Quand nous avons commencé nos premières campagnes antisexistes dans les années ’90, essentiellement dans les universités, nous étions alors la seule force à dépenser encore de l’énergie sur ce thème. Nous défendions évidemment une approche socialiste – non pas un féminisme dirigé contre les hommes, mais contre le système – avec un accent sur la lutte contre le post-féminisme. À contrecourant par rapport à presque toutes les forces politiques, nous avons continué à frapper sur le même clou : le post-féminisme est erroné, l’égalité est loin d’être gagnée et nous devons reprendre le chemin de la lutte. Lorsque nous voulions de l’action – l’élément de conscientisation par excellence – autour des sujets liés à la question femmes, nous devions organiser les choses nous-mêmes.

    Nous n’avons pas touché de larges couches avec ce travail. A aucun moment nous n’avons obtenu des résultats comparables à ceux de notre campagne Blokbuster autour de la question du racisme, du populisme et du fascisme. Mais pour attirer des jeunes femmes vers notre parti et assister leur formation comme cadres dirigeantes, ce travail a joué un rôle important. Cela nous a préparé pour le moment où la lutte des femmes serait de nouveau présente de manière plus proéminente. Là où nous étions, avant les années ’90 sous le nom de Vonk, le plus faible dans le mouvement féministe de gauche en comparaison des autres forces révolutionnaires, notre organisation est aujourd’hui au-devant de la gauche radicale en ce qui concerne les méthodes d’action, le programme et la présence de cadres féminins. Nous avons pu tenir debout durant la période de détérioration du féminisme parce nous avons continué, à contrecourant, à nous baser sur les traditions marxistes, qui placent complètement la lutte pour l’émancipation de tous les groupes opprimés – les femmes, mais aussi par exemple les minorités nationales – dans la lutte pour le socialisme sur base de la confiance dans la classe des travailleurs et de sa lutte comme moteur pour le changement. Comme base pour notre travail femmes, nous avons voté à un Congrès National précédent des thèses et résolutions concernant le travail femmes basés sur ceux de la Troisième Internationale (3e Congrès, juillet 1921).

    Nous avons opéré parmi de petits groupes de femmes, mais nous n’y avions aucune concurrence. Aujourd’hui, cette donne est rapidement en train de changer et nous allons vite nous retrouver en minorité. Les couches de femmes qui veulent dénoncer le sexisme et mener la lutte ont grandi, mais cela s’accompagne de la réapparition de personnes qui défendent un féminisme bourgeois ou petit-bourgeois. Même si les « nouvelles féministes » ne définissent généralement plus tout simplement « les hommes » comme grands responsables du problème mais parlent plutôt du rôle de la société, des grandes entreprises et de l’instrumentalisation commerciale du corps des femmes, il existe encore beaucoup de confusion et ces mouvements n’ont aucune stratégie pour permettre la victoire. Cela comprend également le PTB qui a décidé, lors de son dernier Congrès, qu’il fallait mettre plus d’attention sur la question femmes en passant par la fondation d’une Commission femmes et la mise en place de quotas de femmes à la direction. Tout comme sur d’autres plans, ils ne défendent pas sur le terrain des femmes beaucoup plus que la veille social-démocratie qui, par son opportunisme et son réformisme, n’est pas non plus parvenue à créer un véritable lien entre la lutte des femmes et la lutte des classes afin de livrer un véritable combat pour la direction du mouvement femmes.

    Les « nouvelles féministes » ne considèrent pas cette lutte dans le cadre de la lutte du mouvement des travailleurs pour une autre société, une idée qui a reçu de grands coups en raison de l’existence et plus tard de la chute du stalinisme, mais aussi à cause du rôle de la social-démocratie, cet autre courant opportuniste dominant dans le mouvement des travailleurs. Elles considèrent complètement la lutte comme devant être menée à titre individuel et pour des solutions individuelles. Un pur idéalisme est aux commandes : « si on se détache seulement de manière individuelle des normes dominantes qui sont imposées aux femmes et si nous revendiquons activement notre rôle, tout est possible », est un peu la teneur générale de leurs propos. Nous devons prendre les aspects positifs et progressistes là-dedans – le refus radical et explicite de chaque forme d’arriération et de sexisme et la volonté de s’engager – et les utiliser dans notre approche transitoire. Parallèlement, nous devons avertir des limites de cette approche. Un mouvement qui ne va pas plus loin et qui ne commence pas une lutte contre les conditions matérielles qui donnent l’occasion à l’existence du sexisme ne peut que se heurter péniblement à un mur. Dans le meilleur des cas, ça se termine en queue de poisson, comme cela a été de nouveau le cas avec « wij overdrijven niet » (nous n’exagérons pas), sans vouloir sous-estimer l’influence que ce mouvement spontané sur les médias sociaux a eue sur « l’opinion publique ». Si la lutte n’est pas soutenue et ne commence pas à imposer des changements dans la situation objective, cette influence se diluera et, à un moment ou un autre, on en revient au « business as usual ».

    Il existe un renouveau d’activités de femmes qui s’expriment ouvertement comme féministes. Nous voulons rentrer en discussion avec elles, en partant de leurs expériences, de leur refus du rôle qui leur est imposé par la société capitaliste, de leurs revendications (etc.) pour faire un pont vers la nécessité d’un changement socialiste de société. Il y a cependant aussi d’autres figures qui arrivent sur ce terrain et qui veulent canaliser ce nouveau mouvement dans une direction inoffensive pour le capitalisme. Dans la discussion qui a éclaté suite aux déclarations du doyen de la VUB, Willem Elias, ce n’était pas par coïncidence qu’on a vu la politicienne VLD de Bruxelles, Ann Brusseel, se mettre en avant avec sa revendication au Comité d’Administration de la VUB pour la démission d’Elias parce qu’aucune étudiante ne pouvait passer ses examens le cœur léger face à ce sexiste notoire.

    Les féministes bourgeoises s’en tiennent systématiquement à de telles « victoires symboliques » (Elias a effectivement démissionné), à des « revendications femmes » qui ne coutent rien à la bourgeoisie. Le « féminisme » de l’Open VLD – tout comme celui des autres partis traditionnels (et les partis bourgeois Écolo, Groen et NVA) – ne l’empêche pas de mener une politique d’austérité qui touche particulièrement durement les femmes. Cela signifie pour de larges couches de femmes de la classe des travailleurs que le choix pour l’indépendance d’un gagne-pain masculin est en même temps un choix pour la pauvreté. Tous les pays qui ont eu à faire avec les formes les plus brutales de la politique d’austérité, comme en Grèce ou en Espagne, ont connu une croissance de la prostitution. C’est devenu la seule manière de se nourrir et de nourrir ses enfants pour une couche grandissante de femmes. Cela ne sont que quelques exemples pénibles de l’insuffisance du programme bourgeois féministe.

    Les féministes bourgeoises sont notre ennemi de classe sur le terrain de la lutte des femmes : c’est le sens véritable et le contexte derrière le 8 mars et le mouvement des travailleuses

    Le féminisme bourgeois et petit-bourgeois ne constituent pas seulement un problème du fait de leur absence de réponses face aux problèmes de la majorité des travailleuses, cela représente même un obstacle au développement d’une solution en raison de sa fonction de division dans le mouvement des travailleurs. Là où nous le pouvions, nous avons exprimé notre opposition à la forme spécifique prise par la campagne Equal Pay Day, avec sa grande attention sur la responsabilité individuelle des hommes quant à la division des tâches domestiques et son soutien à la revendication de négociations salariales individuelles comme pas vers plus d’égalité salariale. De façon similaire, nous nous sommes toujours opposés à l’idée de quotas et avons défendu un programme général pour toute la classe des travailleurs et contre chaque discrimination. Ceux qui ne font pas de même ne comprennent pas que le sexisme dispose d’une base matérielle.

    Le féminisme bourgeois a encore un rôle très diviseur sur un autre plan, parce que c’est souvent le fer de lance dans des attaques racistes contre la population musulmane de Belgique. L’interdiction du foulard, premièrement dans les écoles (allant aujourd’hui dans certaines écoles jusqu’à l’interdiction de porter des jupes longues !), puis aussi dans les fonctions aux guichets dans plusieurs administrations publiques, était en Flandre une tentative des partis bourgeois de se montrer « fermes » envers les immigrés dans la concurrence électorale avec le Vlaams Blok/Belang. Tout ceci était toujours vendu avec des arguments « féministes ». En Wallonie, ce même courant venait de France, où le mécontentement et la rage envers les partis traditionnels s’expriment, par manque d’une alternative large et crédible de gauche, avec une popularité grandissante et potentiellement dangereuse pour le FN. La gauche officielle en France défend un laïcisme militant utilisé comme instrument dans une campagne raciste. Cela joue un rôle dans le fait que la population d’origine immigrée des pays musulmans se replie de plus en plus sur elle-même.

    Nous devons continuer à mettre en garde contre cette approche. Il en va de même concernant la question nationale : nous devons comprendre que la religion est un aspect secondaire et que c’est seulement par la défense de la liberté religieuse des travailleurs croyants que l’on peut offrir une chance à l’unité des travailleurs nécessaire pour la lutte pour une autre société, où la religion s’évaporera parce que l’être humain aura finalement contrôle sur sa vie et ne sera plus soumis à l’anarchie et aux lois aveugles du marché capitaliste. Nous devons aussi comprendre que chaque limitation du droit à la liberté d’expression des groupes opprimés spécifiques va finalement mener à des restrictions de la liberté d’expression du mouvement des travailleurs et de ses organisations-sœurs. C’est bien un droit qui fait partie de la révolution bourgeoise, mais la lutte de classe des travailleurs a partout été nécessaire pour assurer l’utilisation de ce droit y compris aux couches opprimées et pas seulement à la bourgeoisie elle-même. De la même manière, cela a toujours été la classe des travailleurs qui a contré les attaques contre ce droit.

    Le fait que nous défendons la liberté religieuse ne signifie évidemment pas que nous cherchons la collaboration avec des groupes religieux ou que nous sommes prêts à baisser notre programme, entre autres notre programme concernant les femmes. Nous refusons seulement de nous retrouver du même côté des barricades que la bourgeoise dans une campagne raciste. Nous défendons le droit des musulmanes à porter le voile si elles le souhaitent, nous défendons aussi le droit des musulmanes à ne pas le faire si elles ne le désirent pas. Interdire tout simplement le port du voile n’offre pas aux femmes l’obtention de l’indépendance envers leur famille ou leur communauté. Pour cela, il faut un programme social, un programme général qui permet aux femmes de la classe des travailleurs de faire des choix de manière indépendante : le plein emploi, des salaires décents et des conditions de travail qui permettent de combiner travail et famille, des allocations décentes et le soutien social aux femmes qui en ont besoin, un programme massif de construction sociale,…

    Ces aspects diviseurs du féminisme bourgeois et petit-bourgeois clarifient que nous n’avons aucune affinité avec eux. Nous pouvons – comme c’était le cas dans la campagne contre les « pro-vie » – parfois être autour de la même table parce ces organisations sont incontournables sur certains terrains et/ou parce que nous pouvons établir une plateforme acceptable à nos yeux. Mais nous cherchons nous-mêmes la collaboration avec des organisations de travailleuses, comme les commissions femmes des syndicats et leurs organisations de jeunesse ou encore d’autres organes du mouvement des travailleurs qui organisent (surtout) des femmes. Et nous comprenons profondément que nous devons nous présenter entièrement indépendamment de ces organisations et que nous continuons à exprimer ouvertement nos critiques sur ces organisations, leur programme limité, leurs méthodes d’action incorrectes, leur bureaucratisme, etc. Dans la lutte pour les droits de femmes, nous considérons le mouvement organisé des travailleurs comme notre premier et plus important allié. Nous refusons absolument de considérer le mouvement femmes dans un cadre restreint, comme un mouvement de femmes pour les femmes exclusivement.

    Dans les années à venir, l’accent de notre travail doit être mis sur notre différenciation avec le féminisme bourgeois et petit-bourgeois ainsi que sur le recrutement de jeunes femmes et de travailleuses pour le parti sur base d’un programme socialiste. La stimulation à s’opposer au sexisme et à l’oppression des femmes ne va plus seulement venir de nous, nous allons pouvoir intervenir dans des actions spontanées comme des actions organisées par d’autres, même elles peuvent encore souvent être limitées en ampleur. Dans ces interventions, notre accent doit être mis sur notre caractère et notre programme socialiste. Nous devons dénoncer l’hypocrisie des politiciennes qui se profilent sur les problèmes de femmes, mais qui restent en même temps dans des partis qui mènent une politique d’austérité sur le dos de la grande majorité de femmes.

  • Féminisme et socialisme

    cwi_scoolRapport de la commission “féminisme et socialisme” de l’Ecole d’été 2015 du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).

    Aujourd’hui encore, l’égalité homme – femme n’existe pas ; et ceci est un constat largement partagé. Cependant, nous observons peu de mouvements «féministes» massifs. Par contre, là où ils se déclenchent, ces mouvements remportent un certain succès. Cela a par exemple été le cas en Espagne avec les luttes qui ont pris place contre le projet de loi limitant de 90% le droit à l’avortement, en Inde avec des manifestations de masse contre les viols et leur impunité, ou encore en Irlande avec les mouvements pour le droit à l’avortement et au mariage pour tous. Dans tous les pays, un potentiel énorme existe pour le développement de tels mouvements de masse. Les courants réactionnaires en sont d’ailleurs bien conscients. Une partie des Tories (les conservateurs) en Grande-Bretagne voudrait bien, par exemple, revenir en arrière sur la loi concernant l’avortement. Mais il est peu probable qu’ils s’y attaquent car ils savent que cela pourrait déclencher un mouvement qui leurs serait largement défavorable.

    Par Emily (Namur)

    Notons également que dans un grand nombre de pays sans mouvements d’ampleurs, un nombre important de personnes se disent féministes et consacrent à cette problématique une grande partie de leur vie. En tant que marxiste, il est important d’aborder ces questions et de rentrer en discussion avec un maximum de ces personnes pour les gagner à nos idées socialistes, par nos méthodes et notre programme. Beaucoup de ces hommes et femmes qui se disent féministes veulent l’égalité, mais sont dépourvus d’idées concernant la manière de l’obtenir. Avec nos campagnes ROSA (pour des droits reproductifs, contre l’oppression, le sexisme et l’austérité) en Irlande ou «le viol n’est pas une blague» en Angleterre et au Pays de Galles, nous constatons qu’un grand nombre d’entre elles sont ouvertes à notre approche. Cette dernière, au-delà d’une analyse, apporte aussi des méthodes dans le but de changer la société.

    Lorsque l’on fait une recherche sur le féminisme sur internet, nous trouverons rapidement différents types de théories. Ces dernières ont régulièrement des aspects positifs mais, elles ne répondent jamais à la totalité des enjeux du sexisme structurel et quotidien. C’est les cas des concepts sociologiques tels que l’intersectionnalité, la théorie des privilèges ou encore les espaces de sécurités pour les femmes que nous développerons plus loin. Pour nous, le socialisme démocratique est la seule manière de répondre aux causes sous-jacentes du sexisme, la société de classes. Le socialisme démocratique est donc par essence féministe.

    Origine de l’oppression des femmes

    Nous nous opposons à l’idée que le sexisme ait toujours existé et qu’il existerait par nature. Bien entendu, il existe depuis très longtemps, mais pas depuis toujours. Il est progressivement apparu parallèlement aux sociétés de classes.

    C’est par le développement très lent de la propriété privée qu’est conjointement apparu l’asservissement des femmes. En effet, il est lentement devenu possible de transmettre un héritage à la génération suivante et cela a débouché sur la volonté que cet héritage arrive bien à la descendance directe. Les notions de mariage et de filiation ont alors émergés. Notons par ailleurs que l’étymologie latine du mot famille trouve son origine à l’époque romaine où ce concept désignait un ensemble d’esclaves sous l’autorité d’un maître. Dans son origine, ce concept place les femmes au même rang que les esclaves. Et si, depuis, l’oppression de la femme a pris différentes formes selon les périodes, de tout temps, nous avons connu des manifestations ainsi que des insurrections contre le statut subalterne des femmes.

    Situation actuelle des femmes

    Sous le capitalisme, les femmes ont obtenu des droits importants, en particulier sur le plan économique. Mais l’oppression des femmes reste inhérente au capitalisme, comme à tout système de classe. Ainsi, selon la Banque mondiale, les femmes gagnent à travers le monde en moyenne 10 à 30% de moins que les hommes (chiffres de 2011). Elle relève également qu’il n’existe pas de différence notable entre les pays développés et les autres concernant l’écart de revenu selon le genre. Le rapport soulève que cet écart de revenu ne diminue que de manière marginale et très lente et qu’à celui-ci s’ajoute une importante surcharge de travail domestique pour les femmes.

    Trotsky disait «les femmes sont les esclaves des esclaves». Malheureusement, c’est toujours vrai dans de nombreuses régions du monde. Mais nous ne pouvons toutefois pas dire cela concernant les pays développés en particulier puisque les femmes sont elles aussi sur le marché de l’emploi. En effet, il est devenu nécessaire d’avoir deux salaires pour pouvoir boucler les fins de mois. Avec la tendance à la désindustrialisation, nous avons subi de nombreuses pertes d’emploi et avec ça une diminution des salaires. Si l’écart entre le salaire des hommes et des femmes est moins important qu’auparavant, ce n’est donc pas tant parce que les femmes ont un meilleur salaire, c’est la conséquence d’une réduction du salaire moyen des hommes.

    Après le boulot, les inégalités se poursuivent à la maison. Selon une étude réalisée en Angleterre, malgré qu’une majorité des hommes considèrent qu’ils devraient réaliser la moitié des tâches domestiques, ils n’en effectuent en moyenne que 5h par semaine contre 17h pour leur compagne (et ce, sans compter le fait de s’occuper des enfants).

    La précarité des femmes rend celles-ci plus vulnérables aux violences. Ainsi, 35% des femmes ont déjà subi des violences graves. La moitié des femmes tuées l’ont été par leur partenaire ou un membre de leur famille, comme si les femmes étaient quelque chose dont on peut disposer. L’idée que les femmes doivent obéir et être soumises quoi qu’il arrive n’est heureusement plus une idée acceptée aujourd’hui. Toutefois, cela reste très récent ! Le viol conjugal n’est devenu illégal qu’en 1991 en Grande-Bretagne, en 1989 en Autriche et en 1992 en Espagne. Des pays comme le Pakistan ne reconnaissent même pas la notion de viol conjugal. Et, le plus souvent, même là où c’est illégal, il n’est pas puni. En Grande-Bretagne, par exemple, seuls 15% des viols débouchent sur une plainte et seulement 7% des plaintes aboutissent à une condamnation. L’illégalité reste donc la norme sous le capitalisme.

    Comment combattre le sexisme et avec qui ?

    La lutte pour la libération des femmes doit aller de pair avec la lutte contre le capitalisme. Et la seule force capable de casser le capitalisme, c’est la classe ouvrière. De ce fait, toutes les femmes qui veulent en finir avec le sexisme doivent combattre le capitalisme. Cela ne veut bien entendu pas dire que seules les femmes de la classe ouvrière souffrent du sexisme, les femmes de la bourgeoisie le subissent aussi. Si l’argent ne permet aucunement d’y échapper, il permet toutefois de se défaire d’une partie du travail domestique en engageant quelqu’un pour le faire et il rend également moins difficile de s’extirper d’une situation de violence domestique. Si des femmes de la classe dirigeante veulent combattre le sexisme, elles se placent devant un choix : garder les acquis liés à leur classe et accepter le sexisme intrinsèque au système ou combattre le sexisme au côté du mouvement ouvrier. On a déjà vu en période de lutte des femmes de la bourgeoisie rejoindre la classe ouvrière dans son combat. Cela a par exemple été le cas d’Alexandra Kollontaï.

    Toutefois, n’oublions pas que le sexisme existe aussi parmi la classe ouvrière. Cette dernière fait partie de la société et n’en n’est donc pas exempte. Il est donc essentiel de combattre les préjugés au sein du mouvement ouvrier. Par exemple, notre section en Angleterre et au Pays de Galles est pionnière en la matière avec sa campagne contre les violences domestiques. Nous avons mené une politique consciente d’attention contre le sexisme. A contrario, beaucoup au SWP (Socialist Workers Party) refusent d’y accorder de l’attention sous prétexte que cela risquerait de nous diviser… Mais, pour nous, ne pas mettre sur le tapis un tel problème rend d’autant plus difficile l’inclusion des femmes de la classe ouvrière au mouvement de lutte. Cette sous-estimation généralisée du problème du sexisme montre à quel point il est prégnant et qu’il est nécessaire d’agir. Les femmes doivent pouvoir rejoindre le mouvement ouvrier, elles sont indispensables pour une victoire. Les luttes séparées ne peuvent être qu’inefficaces.

    S’il faut lutter contre le sexisme en son sein, les victoires de notre classe permettent de très grandes avancées en la matière. La Révolution Russe illustre très bien ce phénomène. Directement après la prise du pouvoir par la classe ouvrière, la Russie a connu des évolutions majeures concernant la condition des femmes, et ce, des décennies avant le reste du monde.

    Le suffrage universel mixte a été instauré, tout comme l’égalité salariale, le droit à l’avortement et les congés maternité. Le mariage civil a été rendu possible ainsi que le divorce par simple envoi d’une lettre le notifiant. Malgré ces améliorations monumentales, cela ne suffit pas à mettre fin au sexisme. Comme le disait Trotsky, «pour en finir avec le sexisme, il faut creuser très loin dans les habitudes et la culture». En effet, celui-ci existe depuis tellement longtemps – avant même que les Etats-Nations n’existent, depuis les premières sociétés de classes – que cela demande en plus un travail en profondeur pour s’en débarrasser. La Révolution Russe a permis d’énormes pas en avant dans la lutte contre les préjugés. Cela a été rendu possible par une égalité matérielle et une collectivisation des tâches domestiques avec des services tels que des cantines et des crèches publiques pour tous ceux qui le désirent. Si dès le début, une réelle attention est mise sur la question, que celle-ci débouche, entre autre, sur l’implémentation de ces services publics, nous avons alors la possibilité d’aboutir à une société réellement égalitaire. Mais attention, rien n’est jamais définitivement acquis. Avec l’isolement et le stalinisme, la Russie a connu une dégénération des acquis de la révolution.

    Actuellement, avec l’austérité dans les services publics, des charges de travail auparavant prises en charge par la collectivité (soin aux enfants, aux personnes âgées, etc.) retombent sur le dos des familles et en particulier des femmes. Au lieu d’un Etat providence, les dirigeants nous disent de compter sur «la Grande société», autrement dit sur les familles et les femmes qui doivent reprendre à leur compte des tâches auparavant assumées par les services publics. Il ne s’agit ici pas de solidarité entre les membres de la famille, mais d’une dépendance contrainte. Il n’est, dans ce cadre, pas surprenant de constater que de nombreuses manifestations contre l’austérité comptent une majorité de femmes, comme c’est par exemple le cas actuellement en Irlande avec le mouvement contre la taxe sur l’eau.

    Différentes théories dites féministes, leurs implications et leurs limites

    Avant de commencer cette deuxième partie, notons que sous prétexte de lutter contre le sexisme, certains peuvent utiliser cet argument pour tenter d’éjecter des groupes de manifestations ou d’actions. Ainsi, durant la dernière période, nous avons connu des manifestations étudiantes contre l’augmentation du minerval en Angleterre. Durant celles-ci, les organisateurs ont voulu éjecter les membres du SWP et, par effet collatéral, ceux de notre parti frère, le Socialist Party. Lors de l’occupation d’une université qui a suivi, le même problème c’est à nouveau posé, mais sous une forme particulière. Le prétexte était qu’une personne de l’occupation c’était sentie oppressée par les deux camarades du SP présents sur place. Alors même qu’aucun autre militant présent sur place – toute organisation confondue – n’ait rien remarqué de tel, la sécurité proche du syndicat étudiant a décidé de les éjecter sous le principe qu’il faut exclure toute personne reportée par une autre comme oppressante. Si les comportements sexistes doivent bien entendu être pris très au sérieux et combattus, nous ne pouvons accepter que ceux-ci soient utilisés comme prétexte pour une exclusion qui était en réalité politique.

    Revenons sur les différentes théories développées par des sociologues anglo-saxons, leurs apports et leurs limites pour l’analyse du phénomène du sexisme et comment en venir à bout.

    L’intersectionnalité de Crenshaw1

    Ce terme a été utilisé pour la première fois par une universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw dans un article publié en 1991. Dans celui-ci, elle se réfère au dossier porté en justice par des jeunes femmes afro-américaines contre General Motors, car il leur était impossible de se faire engager par ce dernier. En effet, l’entreprise emploie des hommes blancs et noirs dans l’usine et aux postes de secrétariat des femmes blanches. GM a plaidé qu’il emploie tant des noirs que des femmes et a obtenu gain de cause. Les requérantes sont restées sur le carreau de la justice et du marché de l’emploi. Crenshaw utilise cet exemple pour monter qu’il existe différentes discriminations qui peuvent se superposer et que l’oppression est un phénomène complexe.

    Crenshaw lie les différentes oppressions entre elles pour pouvoir mieux les combattre. C’est un point positif puisque beaucoup passent plus de temps à discuter des idées sans réfléchir à la manière de changer les choses. Elle met en avant que les différentes oppressions s’interpénètrent. Elle s’oppose également à l’idée que si on ne vit pas une oppression, on est incapable de la comprendre.

    Toutefois, cette théorie pose d’autres problèmes. Crenshaw liste les oppressions et considère l’oppression de classe simplement comme l’une parmi tant d’autres. Cette dernière est pourtant l’oppression fondamentale de laquelle découlent les autres. Par exemple, pour la problématique du racisme : les personnes de couleurs sont surreprésentées parmi les couches pauvres et on compte un taux de chômage systématiquement plus important. Cela reste vrai même s’il existe un très petit nombre de noirs très riches qui souffrent malgré tout encore de racisme. Mais il faut être clair que c’est la classe qui est déterminante et non le genre ou la couleur en ce qui concerne l’oppression. Les femmes noires qui se battent pour un salaire minimum dans le secteur des fast-foods ont bien plus en commun avec leurs collègues masculins et blancs qu’avec Michelle Obama !

    La classe ouvrière est très hétérogène et variée et il faut prendre cela en considération. Le rôle d’un parti révolutionnaire est de développer un programme qui puisse l’unir pour pouvoir changer la société.

    Théorie des privilèges de McIntosh2

    Une militante américaine, Peggy McIntosh, a écrit essai à la fin des années 80’ sur les privilèges des blancs et des hommes. Selon elle, un homme blanc, hétérosexuel et de la classe supérieur porte un baguage de privilèges qu’il n’a pas mérité. Une femme blanche, hétérosexuelle, de cette même classe porte également un grand nombre de privilèges, même si c’est un de moins que pour le premier.

    Cependant, cette théorie ne dit rien de la structure de la société, comme si reconnaître les privilèges suffisait à pouvoir les faire disparaitre.

    Les espaces de sécurité pour les femmes

    De ces théories est issu le concept des espaces de sécurité. Il existe de plus en plus de forum sur internet et des meetings qui se revendiquent «espace féministe sécurisé». Ce sont des espaces où la tolérance est de zéro pour les propos discriminatoires.

    Il est important pour une organisation comme la nôtre qu’il y existe des espaces où chacun puisse s’exprimer sans crainte. S’il est essentiel de reconnaitre que ces divisions sont liées au système de classes, il faut parallèlement faire campagne contre les divisions au sein de la classe ouvrière et de chaque organisation. Créer des espaces de sécurité peut en ce sens être intéressant, que ce soit sur internet ou en réservant certaines réunions qu’aux femmes si le besoin se fait sentir. Il est également nécessaire d’éviter les terminologies oppressantes, en ce compris dans les analogies choisies et dans les blagues.

    Néanmoins, des mouvements au sein desquels des problèmes surviennent ne sont pas à rejeter en bloc. De nombreux partisans récents de la théorie de l’intersectionnalité et des privilèges viennent du mouvement Occupy. Peggy McIntosh rapporte des problèmes de harcèlements – et autres –durant ces occupations. Cela ne veut, pour nous, pas dire que le mouvement est à rejeter, mais bien qu’il est nécessaire de mettre en place des structures démocratique pour gérer ces problèmes, pour qu’il ne soit ni banalisé et ni laissé sans réponse. L’absence de telles structures pose un direct problème de démocratie et un risque d’utilisation du sexisme comme un prétexte à d’autres fins politiques. Ainsi, lors de l’occupation de l’université en Angleterre, lorsqu’une étudiante a dit se sentir opprimée par deux camarades (alors que les autres disaient qu’il ne pensait pas qu’il y a eu un comportement problématique), le sentiment d’oppression a directement débouché sur une exclusion sans entendre les différentes parties impliquées. Des structures démocratiques pour gérer cette situation auraient permis de voir clair sur la situation et de prendre les mesures appropriées.

    Plutôt que des petites bulles et des changements individuels de comportement, nous avons besoin d’un changement collectif de société. Nous n’avons donc pas pour objectif des bulles de sécurité, mais bien une société où les femmes et tout un chacun puisse trouver sa place et se sentir en sécurité.

    Le post-modernisme

    Dans les départements de philosophie de beaucoup d’universités, le post-modernisme prévaut. Cette approche ne permet pas de vision collectivement partagée de la grande Histoire, mais bien une interprétation de chacun de la société dans laquelle il vit. Toutefois, comme le disait Marx, si les philosophes interprètent le monde, notre but est de le changer. Le post-modernisme étant incapable d’interpréter le monde, il est encore plus loin de pouvoir le changer.

    Pour conclure

    Dans de nombreux pays, les femmes noires de la classe ouvrière sont trois fois opprimées. C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis et ce n’est donc pas par hasard que ce soit dans ce pays que les théories de l’intersexionnalité et des privilèges se soient développées. Elles sont d’ailleurs beaucoup plus populaires dans les milieux militants anglo-saxons qu’en Europe continentale.

    Il est essentiel de dépasser le stade de la description et de mettre ces différentes analyses sociologiques au profit d’un changement de société. Le racisme et le sexisme doivent être combattu pour abattre le capitalisme, car nous avons absolument besoin de l’unité de la classe ouvrière – celle des jeunes, des travailleurs et des allocataires sociaux – dans ce cadre. Mais ce n’est que lorsqu’on en aura fini avec le capitalisme qu’il nous sera possible de mettre en place les bases matérielles pour une réelle égalité et la fin du racisme et du sexisme.

    La campagne des $15 now donne une idée de comment aller dans cette direction, mais cela ne veut pas dire qu’un groupe spécifique de la population doive attendre le reste de la classe ouvrière pour ce mettre en lutte. Il faut la mener dès maintenant et favoriser que le reste de la classe ouvrière nous rejoigne dans le combat pour un changement socialiste démocratique de société.

    Même en Europe, ces théories pourraient attirées de nombreuses jeunes femmes. C’est pour cela qu’il est important de les déconstruire. Les personnes qui nous rejoignent sur base de nos campagnes sur la problématique du sexisme veulent combattre à la fois le capitalisme, l’austérité et le sexisme. Mais bien évidemment, il est plus facile de gagner de nouvelles camarades lorsque le mouvement ouvrier est en action. Le sexisme structurel inhérent au capitalisme est beaucoup plus compréhensible lorsque l’on voit des manifestations contre les coupes dans les services publics, contre la taxe sur l’eau, pour le droit à l’avortement ou encore sur la question de la prostitution.

    Nous sommes capable, même peut nombreux/ses, de stimuler les luttes. Pour cela, nous devons garder une attention permanente sur ces questions et développer du matériel pour être capable d’intervenir dès que le mouvement se développe. La question du sexisme est une porte d’entrée dans notre programme. Il nous faut lutter contre le sexisme pour venir à bout du capitalisme, mais ce n’est que lorsqu’on aura mis en place une société socialiste démocratique que l’on pourra totalement mettre fin au sexisme.

    1 L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. Le terme a été forgé par l’universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw dans un article publié en 1991.

    2 McIntosh est l’auteur d’un essai écrit en 1988 essay “White Privilege and Male Privilege: A Personal Account of Coming to See Correspondences through Work in Women’s Studies.”

  • Manifestation de la FGTB: Les femmes en ligne de mire

    18292847640_73b75f5804_zHier, une manifestation a pris place à Bruxelles contre les conséquences de l’austérité pour les femmes. L’appel de la FGTB visait à manifester “Contre les mesures d’austérité du Gouvernement actuel qui touchent davantage les femmes, pour de nouvelles mesures à prendre pour une meilleure conciliation vie professionnelle-vie privée, pour une sécurité sociale forte et une fiscalité plus juste pour les femmes, pour des services publics forts.”

    L’allongement de la carrière par relèvement de l’âge de la retraite et de la retraite anticipée, la Suppression de l’allocation ONEm pour les crédits-temps sans motif et plus d’assimilation pour la pension, la diminution de la garantie de revenu pour les temps partiels involontaires,… Toutes ces mesures asociales renforcent la dépendance financière des femmes et auront un impact sur tous. Pendant ce temps, les attaques contre les services publics assurent que de plus en plus de tâches retombent sur les ménages, et principalement sur les femmes. Ce travail bénévole représenterait 150.000 emplois à temps plein selon une récente étude.

    Il est bien évidemment correct de la part de la FGTB d’attirer l’attention sur ces points, mais il en faudra plus pour en finir avec cette politique. Le PSL était présent à cette manifestation avec un tract qui déclarait notamment: “L’avantage du premier plan d’action est qu’il était connu bien à l’avance et construit graduellement autour d’une bonne campagne d’information et de mobilisation vers une grève générale nationale d’ampleur historique. Un de ses points forts fut la (ré)émergence d’assemblées générales du personnel. Faisons un succès de la manifestation appelée pour le 7 octobre prochain! (…) Une concentration de militants début septembre où du matériel de mobilisation et de sensibilisation serait massivement disponible permettrait de sérieusement construire l’élan vers cette étape d’une manifestation de masse nationale. Cette occasion serait également idéale pour annoncer la suite du plan d’action après la manifestation du 7 octobre, autour de l’outil essentiel pour faire chuter ce gouvernement des riches que constitue l’arme de la grève générale nationale.”

    Photos de PPICS.

  • Femmes & austérité : Pour un nouveau plan d’action jusqu’à la chute du gouvernement des riches!

    Les femmes, premières victimes de l’austérité

    we-can-do-itLes femmes sont particulièrement touchées par la détérioration des pensions et des allocations de chômage, le gel des salaires, la limitation de l’accès aux soins, le démantèlement des services publics, etc.

    Tract du PSL à l’occasion de l’action “Les femmes en ligne de mire”

    Les mesures d’attaque frontale contre nos conditions salariales et de travail prises par le gouvernement Michel sont légion, citons quelques exemples :

    • Allongement de la carrière par relèvement de l’âge de la retraite et de la retraite anticipée. Ceci alors qu’en moyenne, les femmes n’atteignent déjà qu’une carrière de 34 ans compte tenu du fait que la moitié d’entre elles travaillent à temps partiel et que ce sont souvent elles qui interrompent leur carrière pour pallier à la pénurie de services publics en matière d’accueil des enfants et de soins aux personnes moins valides. Outre le relèvement de l’âge de la retraite et de la retraite anticipée, il est également question d’un système de pension à points par lequel les travailleurs gèreraient leur carrière en capitalisant des points s’ils ne prennent pas leurs congés ou effectuent des heures supplémentaires. Une nouvelle façon de saper dans les acquis (conquis !) sociaux qui touchera encore plus les femmes.

    • Suppression de l’allocation ONEm pour les crédits-temps sans motif et plus d’assimilation pour la pension. Le crédit-temps de fin de carrière étant quant à lui porté de 55 à 60 ans ! Ceci alors que ces formules sont largement utilisées par les femmes afin de mieux concilier vie privée et vie professionnelle.

    • Allocation de garantie de revenu rabotée de moitié pour les temps partiels involontaires.

    Toutes ces mesures asociales renforcent la dépendance financière des femmes et auront un impact sur tous.

    Elles permettent de poursuivre la précarisation et la flexibilisation du travail. Comme nous l’avons vu au travers du temps partiel vers lequel les femmes ont été poussées et qui a fini par s’imposer comme la règle dans certains secteurs, comme celui de la grande distribution. Un secteur à bas salaires a ainsi été instauré.

    Il nous faut donc lutter, tous ensemble, hommes, femmes, jeunes, actifs, travailleurs sans emploi contre la précarisation du travail et la flexibilité accrue qui nous est imposée, au travers d’un nouveau plan d’action jusqu’à la chute du gouvernement Michel et de toute la politique d’austérité.

    Pour un nouveau plan d’action !

    L’avantage du premier plan d’action est qu’il était connu bien à l’avance et construit graduellement autour d’une bonne campagne d’information et de mobilisation vers une grève générale nationale d’ampleur historique. Un de ses points forts fut la (ré)émergence d’assemblées générales du personnel.

    Faisons un succès de la manifestation appelée pour le 7 octobre prochain! Avec les 120.000 à 150.000 personnes réunies le 6 novembre dernier à Bruxelles, les syndicats avaient su attirer à leur suite d’importantes couches de la jeunesse, du secteur socio-culturel,… jusqu’à de petits indépendants! Ce potentiel est toujours bien présent.

    Une concentration de militants début septembre où du matériel de mobilisation et de sensibilisation serait massivement disponible permettrait de sérieusement construire l’élan vers cette étape d’une manifestation de masse nationale.

    Cette occasion serait également idéale pour annoncer la suite du plan d’action après la manifestation du 7 octobre, autour de l’outil essentiel pour faire chuter ce gouvernement des riches que constitue l’arme de la grève générale nationale.

    • Rétablissement total de l’indexation, négociations salariales libres et salaire minimum de 15 euros bruts de l’heure !

    • Pas de sape des contrats de travail pour la sous-traitance, le recours à l’intérim ou d’autres boulots précaires !

    • Bas les pattes du statut des fonctionnaires ! Aucun démantèlement des services publics ! Aucune privatisation ou libéralisation ! De l’insourcing au lieu de l’outsourcing !

    • Bas les pattes de nos pensions. Maintien de la prépension et de la retraite anticipée!

    • Augmentation des pensions à minimum 75% du dernier salaire avec un minimum de 1500 euros par mois!

    • Ni chasse aux chômeurs, ni dégressivité, ni service communautaire ! Attaquons le chômage par la diminution généralisée du temps de travail à 32 heures/semaine sans perte de salaire et avec embauches compensatoires!

    • Nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle démocratique de la collectivité ! L’économie de marché chaotique et la course aux profits n’offrent aucune garantie d’emplois. Pour une économie planifiée et contrôlée démocratiquement par la collectivité : pour un socialisme démocratique et moderne !

  • ‘‘Comment peut-on (encore) être une femme’’

    MoranAu moment de sa parution, le livre ‘‘Comment peut-on (encore) être une femme’’ (de l’auteure britannique Caitlin Moran, chroniqueuse au Times) a été décrit par certains comme rien de moins qu’un nouveau “manifeste” du féminisme. Si ce n’est aucunement le cas, il s’agit par contre d’une saga amusante et par moment hilarante par laquelle Moran décrit l’évolution de sa propre conception de la “féminité” de ses 13 à ses 35 ans. C’est un appel lancé aux femmes à dire non au sexisme sous toutes ses formes, avec une forte dose d’indignation quant au rôle joué par l’industrie dans l’image de la femme aujourd’hui.

    Par Anja Deschoemacker

    Rédigé comme l’autobiographie d’une journaliste talentueuse, le récit traite du sexisme quotidien et de son impact sur la perception qu’ont les femmes d’elles-mêmes. L’auteure n’a pas souffert de violence sexuelle, elle n’a pas dû non plus tenter de joindre les deux bouts avec un salaire de misère en combinant vie professionnelle et vie familiale. Le livre ne traite aucun de ces thèmes importants – et ne propose pas non plus la moindre solution ou stratégie pour changer les choses – il aborde le sexisme qui frappe l’ensemble des femmes, indépendamment de sa classe sociale.

    La lecture de ce livre vaut le coup, l’ouvrage constitue une rupture vivifiante par rapport au postféminisme qui domine le débat depuis les années ‘80. Non, nous n’avons pas encore triomphé, nous n’avons que commencé à gagner une position différente dans la société. Le féminisme reste essentiel et concerne chaque femme. À celles qui en doute, Caitlin Morgan demande : ‘‘De quelles conquêtes du féminisme vous ne voulez plus ? Du droit de vote ? Du droit de vous marier et de divorcer quand vous le voulez ?’’

    Elle rompt également avec certains aspects du féminisme bourgeois. Si elle conteste à juste titre le fait que les féministes aient à parler d’un combat femmes contre hommes, elle n’y oppose cependant aucune stratégie alternative, à part une résistance individuelle contre les représentations sexistes. Elle ne se replie pas derrière l’idée de quotas ou de “discriminations positives”, ni derrière le mythe selon lesquelles les femmes gèreraient les entreprises “autrement” ou “mieux” que les hommes. On ne trouve aucune allégation du style ‘‘les femmes viennent de Vénus, les hommes de Mars” dans ce livre. Mais sa recherche d’une issue se limite à dire que les femmes, individuellement, savent se frayer un chemin vers le sommet et peuvent y exercer une influence.

    L’ouvrage s’élève contre l’ensemble des normes – comportementales, cosmétiques,… – auxquelles les femmes sont appelées à se conformer via les représentations privilégiées dans les médias. Moran expose de quelle manière ces standards découlent de la recherche de profit des grandes entreprises et défend que les femmes doivent s’en affranchir et être moins tourmentées par leur apparence et leur tenue. Au lieu d’imiter les manières et comportements de tel mannequin ou telle chanteuse, elle invite à développer ses talents et à atteindre ses propres objectifs.

    Le livre ne manque pas d’humour, son regard porté sur les choses est souvent rafraichissant, de même que son style très libre. Mais il ne rompt pas fondamentalement avec le vieux féminisme bourgeois, il en représente même une version moderne. S’il est souvent question du “fossé salarial” entre hommes et femmes et du “plafond de verre” (qui freine les femmes pour atteindre des fonctions dirigeantes), le fait que cette position de faiblesse sur le plan économique constitue un obstacle insurmontable à la libération de nombreuses femmes est ignoré. Les moyens financiers de l’auteure lui ouvrent l’accès aux crèches privées, à une femme de ménage, etc. et une séparation ne représenterait pas une catastrophe financière dans son cas. Pour la plupart des femmes, en particulier les mères, un divorce équivaut quasi-systématiquement à une chute des conditions de vie, comme en atteste le taux de pauvreté des mères isolées.

    L’indispensable liaison de la lutte contre le sexisme à celle pour une autre société est également absente de l’ouvrage. Les conquêtes sociales des femmes sont présentées comme autant d’acquis du féminisme, sans prendre en compte le rôle de la lutte du mouvement syndical et socialiste pour de meilleures conditions pour tous les travailleurs et travailleuses. L’implication des femmes dans cette lutte est pourtant absolument nécessaire. Et ce combat implique nécessairement d’en finir avec le capitalisme.

    Nous pouvons essayer de combattre individuellement le sexisme quotidien, mais cela revient à se battre contre des moulins à vent tant que cette lutte n’est pas liée à celle pour renverser le capitalisme et tous les obstacles qu’il répand et qui empêchent chacun d’e?tre soi-même, de développer ses talents et d’activement poursuivre ses aspirations.

    Ce livre est donc très agréable à lire et comporte nombre de réflexions intéressantes. Il s’agit du livre féministe le plus drôle que je n’aie jamais lu. Mais il n’explique pas pourquoi les femmes sont toujours aujourd’hui repoussées dans une position inférieure dans la société et encore moins comment nous pouvons sortir de cette situation.

    Caitlin Moran, Comment peut-on (encore) être une femme, Flammarion, 2013

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop